Mardi 11 février 2014

- Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente -

Audition conjointe de MM. Jean-Philippe Vachia, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes, François-Roger Cazala, conseiller-maître, président de la section « transports » à la 7ème chambre de la Cour des comptes, Vincent Léna, conseiller maître à la 4ème chambre de la Cour des comptes, Nicolas Brunner, conseiller maître, président de la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon, et Jacques Schwartz, président de section à la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne, Lorraine

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous entendrons conjointement MM. Jean-Philippe Vachia, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes, François-Roger Cazala, conseiller maître, président de la section « transports » à la 7ème chambre de la Cour des comptes, Vincent Léna, conseiller maître à la 4ème chambre de la Cour des comptes, Nicolas Brunner, conseiller maître, président de la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon, et Jacques Schwartz, président de section à la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne, Lorraine. Ils nous diront quels enseignements tirer à l'issue du contrôle des partenariats public-privé (PPP), en prenant l'exemple des prisons, des hôpitaux et des PPP passés par les collectivités territoriales. Ils détailleront également l'impact des PPP sur le budget de l'État : rappelons qu'ils doivent être retracés hors-bilan en annexe du compte général de l'État.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Philippe Vachia, François-Roger Cazala, Vincent Léna, Nicolas Brunner et Jacques Schwartz prêtent serment.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes. - Notre délégation illustre la diversité des juridictions financières et de leurs travaux. La Cour des comptes s'intéresse aux PPP depuis bientôt dix ans, puisque dès 2006 le sujet figurait dans son rapport public thématique Garde et réinsertion-La gestion des prisons. Les juridictions financières se sont penchées sur certaines catégories de PPP à l'occasion de contrôles sectoriels, ainsi que sur le contrat de partenariat générique. Des textes ont institué des formes particulières de contrats de partenariat, comme la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 qui a créé les PPP dans le secteur pénitencier, l'ordonnance de 2003 qui en a créé d'autres dans le secteur hospitalier, ou bien encore l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales sur les baux emphytéotiques administratifs. Le contrat de partenariat générique a été défini, de façon plus restrictive que dans les textes spécifiques que j'évoquais, dans l'ordonnance du 17 juin 2004, modifiée en 2008 : c'est là que sont inscrites les trois conditions (non cumulatives) que sont l'urgence, la complexité et le bilan coût-avantage. Le PPP a fait l'objet de réserves d'interprétation de la part du Conseil constitutionnel, exprimées en 2003 et en 2008.

Les juridictions financières, chargées de vérifier le respect du principe constitutionnel de bon emploi des deniers publics, opèrent des contrôles a posteriori sur les PPP. Nous avons aujourd'hui un recul suffisant pour tirer quelques leçons.

Nous avons sur ces contrats, cinq catégories d'interrogations. D'abord la régularité de la procédure, même si c'est d'abord le juge administratif qui en est saisi, notamment lors des nombreux recours contentieux, comme actuellement dans l'affaire du Palais de justice de Paris. À ce titre, nous examinons par exemple la coexistence d'un contrat initial et de possibles avenants qui en modifient l'équilibre. Nos juridictions mesurent également l'efficacité du PPP sous deux aspects : l'ouvrage est-il livré dans les délais et répond-il bien aux prescriptions du cahier des charges ? L'exploitation et la maintenance sont-elles assurées selon les exigences imposées initialement ? L'appréciation du résultat ne pouvant se faire que dans la durée, l'administration prend un certain risque, qui doit être mesuré ; elle paye également le risque pris par le cocontractant. Nous évaluons aussi l'efficience du PPP : est-il le meilleur moyen d'atteindre le but recherché, au meilleur coût ? Des comparaisons sont nécessaires entre une construction ou une exploitation en partenariat et une solution en maîtrise d'ouvrage public et en service public direct. Autre aspect auquel nous nous intéressons : la soutenabilité budgétaire. Les dépenses d'investissement, de financement et d'exploitation ont un impact sur le budget de l'État dans la durée. Il y a un avantage au départ, mais un risque de rigidification des dépenses publiques à long terme. Enfin, la comptabilité nationale et générale de l'État doit refléter correctement les engagements pris, au bilan et au hors-bilan.

Nous allons illustrer ces interrogations dans trois secteurs étudiés par la Cour. Nous avons réalisé un rapport, demandé par la commission des finances du Sénat, sur les PPP pénitentiaires. Les PPP hospitaliers font l'objet de développements dans le rapport public annuel de la Cour, présenté ce jour au Sénat par le Premier président M. Didier Migaud. Enfin, une enquête est en cours sur les PPP des collectivités, dont nous pourrons vous dire quelques mots.

M. Vincent Léna, conseiller maître à la 4ème chambre de la Cour des comptes. - Le rapport d'enquête, établi à la demande du Sénat au titre de l'article 58-2° de la LOLF, date de 2011 et n'a pas été actualisé, mais deux autres l'avaient précédé, en 2006 et en 2010. Le secteur pénitentiaire offre à la Cour, dans la durée, un champ d'observation privilégié des PPP. Car dès 1987, la loi Chalandon a autorisé le recours au privé pour la conception et la gestion de prisons. La sophistication croissante des contrats pilotés par le ministère de la justice a nécessité l'implication de l'Agence pour l'immobilier de la justice (Apij) qui, notamment, constitue les cahiers des charges.

Au regard de la grille d'analyse qui vous a été présentée, deux éléments ressortent qui concernent l'efficience de ces contrats et la soutenabilité budgétaire des PPP.

Les investigations menées en 2011 ont mis en évidence un recours très volontariste aux PPP. À partir de 2009 les engagements ont certes été comptabilisés au bilan et au hors-bilan de l'État, mais ces décisions de recours aux PPP répondaient à des arguments de nature budgétaire auxquels s'est ajoutée, depuis 2007, l'idée de contribuer à la relance de certains secteurs économiques prioritaires. La Cour des comptes a émis des critiques sur les évaluations préalables rendues obligatoires par l'ordonnance de 2004. La grille d'analyse de la Mission d'appui aux PPP (Mappp) quant au bilan économique a toujours privilégié - c'est compréhensible ! - le recours aux PPP, surévaluant le risque pris en charge par le secteur privé. L'efficacité du recours aux partenariats n'est pas contestable, le travail réalisé par les entreprises privées est bien fait, mais il n'est pas hors de portée d'une gestion publique. Quant à l'efficience, il est difficile de l'apprécier faute de référentiel pour comparer ces contrats avec une gestion entièrement publique.

La soutenabilité budgétaire des partenariats public-privé est au coeur du rapport de 2011, notamment à cause de la forte montée en puissance des crédits consacrés à la gestion déléguée à des entreprises privées, qui concerne de plus en plus de services, tels que la maintenance dans les maisons d'arrêt, ce qui a un effet d'éviction sur les crédits publics. La croissance exponentielle des crédits consacrés aux loyers des PPP fait peser un risque sur le budget, à moyen terme. En 2011, la Cour s'interrogeait sur la soutenabilité du nouveau programme immobilier, qui se traduira par une dépense multipliée par six d'ici 2017. Le programme a été gelé : sans doute est-ce un effet de cette alarme.

M. Jacques Schwartz, président de section à la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne, Lorraine. - Au sein du rapport annuel de la Cour, rendu public aujourd'hui, figurent les conclusions d'une enquête, réalisée par la Cour des comptes et plusieurs chambres régionales des comptes, dans laquelle nous nous sommes penchés sur le pilotage même des PPP, sur le dialogue compétitif, qui est au centre de ce mode de commande publique, sur les risques pris, sur l'efficacité, et sur la soutenabilité financière et budgétaire de ce dispositif dans le domaine des hôpitaux. Pour apprécier le pilotage et le suivi, nous avons examiné les opérations réalisées dans le cadre du plan « Hôpital 2007 », soit des investissements engagés entre 2003 et 2007 et achevés - un nouveau plan est en cours depuis 2007 (Plan « Hôpital 2012 »). L'enquête montre que le pilotage a été faible, les PPP se réduisant à un mode de financement retracé hors-bilan, ce qui donnait une certaine marge de manoeuvre pour en disposer. Les critères de l'urgence, de la complexité et du bilan économique n'ont pas joué leur rôle sélectif dans le choix de la formule du partenariat-public-privé. En outre, la manière dont les contrats ont été rédigés a ouvert un vaste champ au contentieux. La phase de réalisation des opérations a été rendue difficile par une rédaction elliptique, qui laissait place à des interprétations d'autant plus variées que les contrats portaient sur le long terme - jusqu'à trente ans - dans un secteur où les techniques évoluent rapidement.

En termes d'efficacité, les délais ont été respectés : un opérateur a même été en mesure de livrer son chantier avec six mois d'avance, ce qui lui a valu 600 000 euros de gratification, comme le contrat le prévoyait... L'opération du centre hospitalier sud francilien offre néanmoins un contre-exemple que le rapport détaille largement et qui montre la difficulté du processus des PPP. L'évolution des normes comptables contribue à une meilleure évaluation de la soutenabilité budgétaire : les contrats apparaissent clairement dans les comptes des établissements publics.

M. Nicolas Brunner, conseiller maître, président de la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon. - En décembre 2013, 143 contrats de PPP avaient été signés par les collectivités locales, pour un montant total de 3,2 milliards d'euros. Depuis un an ou deux, la tendance est au ralentissement. L'enquête dont je rends compte est encore en cours, et devrait être rendue publique dans un an. Une vingtaine de contrats de partenariat ont été examinés.

Le critère de la complexité juridique est rarement démontré, d'autant que le recours à l'assistance à la maîtrise d'ouvrage est toujours possible. La procédure de dialogue compétitif n'est pas toujours respectée ; les délais sont très serrés ; on ne peut se défaire de l'impression que le bénéficiaire a été choisi à l'avance. Les contrats sont souvent déséquilibrés, avec des durées importantes - vingt à trente ans - et des redevances élevées, qui hypothèquent le budget des collectivités locales pour longtemps. À cela s'ajoute le problème des avenants, qui vont jusqu'à remettre en cause l'équilibre initial du contrat. Le choix du partenariat se fait souvent a priori, sans démonstration préalable de son efficience par rapport à d'autres formules.

L'exécution pose la question de la soutenabilité budgétaire. L'importance des loyers des PPP limite la capacité de financement des collectivités ; le contrat a des effets sur l'endettement des collectivités, voire sur leur notation, pour les grandes villes par exemple. Le bilan financier apparaît plutôt défavorable pour la collectivité et favorable pour les entreprises contractantes, essentiellement à cause des avenants.

Néanmoins, les PPP présentent des avantages dans certains secteurs. Pour l'éclairage public, secteur où les collectivités locales passent volontiers des PPP, les entreprises privées font preuve d'une efficacité indéniable - l'éclairage est meilleur et s'accompagne d'économies d'électricité, mais ce bon service coûte deux fois plus cher aux collectivités. Celles-ci négligent le suivi des contrats et manquent d'agents formés pour analyser les rapports annuels obligatoires, qui du reste ne sont pas toujours transmis par les entreprises. Dans la phase d'exécution, on ne compte plus les contentieux, les transactions coûteuses, les annulations pures et simples sur le fondement de l'absence de complexité.

M. Jean-Philippe Vachia. - La soutenabilité budgétaire est un sujet important pour la Cour. En témoignent les travaux sur l'exécution de la loi de finances 2013.

Les instruments de la comptabilité nationale, selon des règles fixées par Eurostat, permettent de calculer le déficit maastrichien ainsi que la dette des administrations publiques. Jusqu'à 2009, l'intégration des PPP dans la dette publique des États n'était pas clairement requise, d'autant que le risque était réputé porté par le co-contractant. Depuis, ces contrats sont pris en compte dans le calcul de la dette publique. La comptabilité générale a évolué dans le même sens. Les PPP apparaissaient comme une forme d'externalisation de la dette. Depuis 2011, la norme de la comptabilité générale de l'État - norme numéro 6 sur les immobilisations corporelles - établit que les PPP sont une immobilisation contrôlée par l'État et qu'ils constituent une dette à hauteur du financement public. Cette dette doit être inscrite comme telle au passif de l'État. Lors de nos travaux de certification des comptes, nous nous assurons donc de l'exhaustivité du recensement des PPP. En amont de la livraison de l'ouvrage, un engagement hors-bilan doit également figurer en annexe au compte général de l'État. J'ai vérifié, Écomouv' y figure. La même règle vaut pour les hôpitaux ou les collectivités territoriales. Le recours aux PPP ne diminue pas l'endettement comptable des personnes publiques concernées, ils sont de la dette.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - J'ai perçu dans vos propos une légère réserve quant à l'usage immodéré et non contrôlé des PPP. J'ai bien compris que le cas Écomouv' n'avait pas encore fait l'objet d'un examen de la Cour des comptes. Vous avez insisté sur l'importance de la durée des contrats. Celui qui nous occupe dure seulement onze ans et demi, avec deux ou trois ans de travaux préparatoires à la mise en oeuvre. La période de versement des loyers est courte, mais leur montant élevé. N'aurait-on pas dû, pour une bonne gestion des deniers publics, prévoir une durée plus longue ? L'évolution technique du matériel n'est pas ici un argument, puisque les installations doivent être rendues à l'État en bon état de fonctionnement à la fin de contrat.

M. Jean-Philippe Vachia. - Un contrat d'éclairage public n'a pas la même durée qu'un contrat dans le secteur pénitentiaire : tout dépend de la nature de l'ouvrage. Pour vous répondre, il faudrait avoir analysé précisément le contrat, son économie et le début de son existence. Les « délégations Chalandon », c'est-à-dire la privatisation des services à la personne dans les prisons, constituent une expérience intéressante. Dans la durée, sans vigilance totale de la personne publique, les dérives sont courantes et il est rare d'obtenir une pleine satisfaction du service attendu. En plus de la qualité de construction de l'ouvrage, il faut prendre en compte sa maintenance dans la durée.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - La complexité technique ou technologique dans le cas d'Écomouv' est indéniable. L'État, en s'adjoignant les services du ministère de la Défense, aurait néanmoins pu régler ce problème. Du reste, n'est-ce pas l'ajout de missions régaliennes d'exploitation qui a augmenté la complexité du contrat ? La nécessaire interface entre les agents des douanes et le prestataire privé en a augmenté le coût. Croyez-vous que la complexité du PPP puisse être le fait de l'État ?

M. François-Roger Cazala, conseiller maître, président de la section « transports » à la 7ème chambre de la Cour des comptes. - Pour que le contrat Écomouv' puisse faire l'objet d'un examen approfondi, au vu des critères que l'on vous a présentés, il faut que le système ait commencé à fonctionner. Il ne sera pas nécessaire d'attendre dix ans et demi ou onze ans pour l'apprécier, rassurez-vous.

L'écotaxe est un sujet que nous avons déjà abordé publiquement, dans le cadre d'un référé sur les aspects fiscaux et budgétaires du Grenelle de l'environnement, présenté au Premier ministre en novembre 2011, publié le 18 janvier 2012. La petite partie qui était consacrée à l'écotaxe exprimait notre préoccupation face au retard pris dans la mise en place du système, qui aurait dû fonctionner dès 2011, selon l'injonction législative. Cette urgence imposée a contribué à compliquer la situation. A-t-on pour autant ajouté de la complexité à un système qui aurait pu être plus simple, donc moins sujet aux doutes ? Nous ne pourrons le dire qu'après l'avoir examiné.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Dans l'étude préalable au choix définitif du PPP, une première estimation évaluait le coût du contrat à 231 millions d'euros ; actuellement, il est de 650 millions. Les exigences de l'État en matière de contrôle justifieraient l'augmentation de ce coût. Cette dérive liée à la délégation d'une fonction régalienne n'aurait-elle pu être prise en compte dès le début ?

M. François-Roger Cazala. - Une expertise serait nécessaire pour vous répondre. L'objectif était d'avoir un système opérationnel assurant le rendement de l'écotaxe à la fin de 2011. Cela a peut-être présidé au choix du PPP, en dépit du coût. Un autre système aurait-il été plus efficace ? Cela n'est pas certain.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Connaissez-vous d'autres PPP de même nature, qui rapportent de l'argent ? Cette rentabilité n'a-t-elle pas incité à une certaine négligence, notamment sur les contrôles ? La recette prévue était de 1,2 milliard d'euros, contre 230 millions d'euros de dépenses pour les loyers. L'État était de toute façon gagnant ; il fallait aller vite.

M. François-Roger Cazala. - C'est très exactement ce que je voulais dire. Cependant l'absence d'examen par la Cour des comptes m'empêche d'étayer mon propos. Il n'existe aucun PPP de l'ampleur d'Écomouv'.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'État voulait aller vite. Il a pourtant choisi une procédure comportant une phase très longue de dialogue compétitif ?

M. Jean-Philippe Vachia. - Le dialogue compétitif est une forme moderne de dévolution de l'achat public, alternative au marché public classique, prévue par les directives européennes et explicitement inscrite dans l'ordonnance de 2004 sur les contrats de partenariat. Il est précédé d'une phase d'appel à concurrence. On l'utilise justement pour aller vite. Le dialogue compétitif n'est d'ailleurs pas propre aux contrats de partenariat.

Il existe d'autres très gros contrats de partenariat, Balard, le Palais de justice de Paris, l'hôpital sud francilien,... À notre connaissance, le contrat écotaxe est le seul dans lequel le prestataire réalise un ouvrage public, l'exploite et organise la perception d'une taxe. C'est un cas particulier dont l'analyse nécessitera un raisonnement particulier de la part de la Cour des comptes.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La suspension de l'écotaxe ne signifie pas la suspension du contrat. La puissance publique a-t-elle pris la mesure de cette situation particulière ? Comment appréciez-vous le recours de l'État à des conseillers extérieurs ? Les fonctionnaires sont-ils formés à suivre ce type de contrats exceptionnels ?

M. Jean-Philippe Vachia. - En 2006, nous avions recommandé de constituer une capacité interne d'expertise nationale et régionale pour suivre l'exécution des PPP pénitentiaires. Suivre l'exécution d'un contrat de partenariat est en soi un métier. Il faudrait avoir des spécialistes, pour dépouiller le rapport annuel du co-contractant ou faire des vérifications concrètes sur place. En internalisant ce savoir-faire, nous aurions une « puissance de feu » en termes d'expertise. Une expertise juridique et financière est nécessaire pour négocier le contrat, une expertise technique pour en contrôler l'exécution. Une faiblesse dans le suivi d'un contrat peut suffire à le déséquilibrer.

La commission des finances du Sénat a demandé à la Cour une enquête au titre de l'article 58-2° de la LOLF sur le recours aux consultants extérieurs - sans rapport particulier avec les PPP. Nous en aurons les résultats dans huit mois et pourrons alors en reparler.

M. Vincent Léna. - Le recours aux PPP est souvent justifié par le transfert des risques vers le contractant. Deux exemples : un centre de rétention, au Havre, présente une instabilité du sol, constatée après coup. Le ministère de la justice est fier de rappeler que c'est le contractant qui supporte tous les risques ; mais à Nantes, des explosifs ont été trouvés sur un terrain en construction. L'État a versé 6 millions d'euros, car tous les risques n'étaient pas inclus dans le contrat. Il faut en amont une expertise très forte pour évaluer les risques. Prenons le cas des créances « Dailly ». Si la société qui exploite une prison fait faillite, l'État doit continuer de payer les échéances à la banque. Tous les risques ne sont pas suffisamment anticipés. Le suivi, notamment à travers les pénalités de retard ou pour défaillance, est un métier complexe. Pour former ses agents, l'État a dû faire face à des dépenses qui n'étaient pas prévues.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Dans le montage lié à l'écotaxe, le contrôle est confié à une société privée, qui signale aux douanes les manquements. Comment évaluer l'efficacité des contrôles ? Écomouv', ai-je lu dans le contrat, fera elle-même les audits des sociétés habilitées de télépéages auxquelles elle déléguera une partie des tâches... Quels sont les risques pris par l'État dans ce contrat ?

M. François-Roger Cazala. - Vous avez sur nous l'avantage d'avoir lu le contrat ! Nous l'analyserons quand nous l'aurons. Cependant, je signale que le contrôle des prestations fournies par un concessionnaire est une pratique courante et les PPP ne sont pas un cas particulier à cet égard.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Le contrôle est une fonction régalienne, il me semble.

M. François-Roger Cazala. - La perception de l'impôt est une fonction régalienne, mais les modalités de recouvrement sont multiples et la perception matérielle peut être déléguée. Cela a été validé par le législateur. Le Conseil constitutionnel n'y a pas trouvé à redire.

Sans avoir le contrat, nous disposons tout de même d'une évaluation préalable qui présente une matrice de risques très complète, pour choisir entre les différentes modalités juridiques et techniques. J'ai pu constater que les risques qui se sont produits - vandalisme, sabotage, détérioration des équipements, et même « taxe non collectée pendant le fonctionnement » - étaient mentionnés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Un risque a quand même été oublié : la suspension du contrat !

M. François-Roger Cazala. - J'ignore comment cette matrice de risques a été prise en compte dans la rédaction du contrat de PPP et dans les procédures de contrôle que vous avez mentionnées.

Plus que le ministère de la justice, l'administration de l'équipement et du développement durable a une expérience dans le domaine du contrôle. Cette administration a une structure spécialisée dans les délégations de service public, qui fournit un appui technique et juridique à ceux qui le souhaitent.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les responsables des douanes nous ont précisé que la collecte et le recouvrement amiable sont confiés à Écomouv', le recouvrement forcé aux douanes.

M. Michel Teston. - La Cour a certainement contrôlé d'autres PPP dont l'environnement était différent. Elle doit avoir une idée précise des domaines et des cas où il vaut mieux ne pas recourir aux PPP. Pouvez-vous vous prononcer dès à présent sur la pertinence du recours au PPP pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds ?

M. Jean-Philippe Vachia. - La question est simple, la réponse ne l'est pas. In abstracto, un PPP n'est pas bon ou mauvais. Dans le secteur pénitentiaire, le bilan nous paraît en demi-teinte, mais pas négatif. Utiliser le PPP pour construire un hôpital entier n'est en revanche pas très heureux, les besoins fonctionnels de l'hôpital évoluant trop rapidement, au fil des avancées technologiques. Le choix d'un PPP se justifie plus lorsque la définition du programme fonctionnel est intangible, car alors le contrat ne risque pas d'être ultérieurement déséquilibré. Du reste, les PPP les plus récents dans le domaine hospitalier concernent des ouvrages plus modestes. L'hôpital sud francilien est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire.

Il est difficile de faire une réponse générale sur les PPP. Les contrats doivent être pris au cas par cas, en comparant ce qui est comparable, et en envisageant les choses dans la durée. Pour pouvoir établir des comparaisons, il est nécessaire de conserver des solutions confiées entièrement au secteur public...

M. Jean-Luc Fichet. - J'ai eu l'occasion de visiter deux prisons, l'une sous contrat, l'autre en régie. Dans le premier cas, les clauses du contrat avaient été respectées, et mon interlocuteur a souligné l'efficacité et la réactivité de l'entreprise privée. Dans l'autre, le directeur ne souhaitait pas de PPP, pour garder la maîtrise de ce qui se passait dans l'établissement. Dans le cas d'Écomouv', je comprends mal les termes de la relation entre l'État et son co-contractant, du fait de la complexité à l'infini du contrat. Vous parliez de la « matrice des risques ». Elle aurait dû permettre d'anticiper un risque aussi énorme que la suspension du contrat. Nous sommes actuellement dans une situation inextricable, un cas d'école pour les juristes. Quelle lecture faites-vous de la situation actuelle ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Écomouv' a demandé la mise à disposition par une lettre du 17 janvier 2014. L'État a jusqu'au 17 mars pour répondre et signaler manquements ou anomalies. C'est un moment capital dans le déroulement d'un PPP.

M. Jean-Philippe Vachia. - Tout PPP appartient à une catégorie spécifique. Celui-ci, en outre, porte sur une mission régalienne et a nécessité une loi.

M. François-Roger Cazala. - Dès lors que la demande de mise à disposition a été faite, c'est au gouvernement de se prononcer. La suspension de l'écotaxe privera les infrastructures de transport de financements considérables. Déjà, en 2011, le retard pris dans la perception des recettes fiscales prévues par le Grenelle de l'environnement, comme la redevance carbone ou l'écotaxe poids lourds, nous préoccupait : comment les objectifs de financement des infrastructures et de report modal allaient-ils être atteints ? Nos critiques sont encore plus justifiées aujourd'hui.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Monsieur Doligé, souhaitez-vous prendre la parole au nom des départements ? Nombre de collectivités territoriales attendaient cette recette...

M. Éric Doligé. - Hélas ! Pour l'instant, il n'y a que des charges ! La date de mise en application nous importe beaucoup. Par les temps qui courent, toute nouvelle recette est bienvenue et nous comptions sur celle-ci ; certaines collectivités territoriales l'avaient inscrite à leur budget dès 2012. Une compensation financière de l'État aux collectivités territoriales sera-t-elle versée ? L'État a transféré l'intégralité des routes nationales aux collectivités territoriales. Celles-ci, tout autant que l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), pouvaient donc attendre de nouvelles recettes substantielles.

M. Jean-Philippe Vachia. - Je n'ai pas d'éléments de réponse sur ce sujet. L'analyse du contrat est une chose, son impact sur les recettes de l'État et des collectivités territoriales en est une autre. Nous reviendrons sur ce dernier aspect, je pense, dans nos prochains rapports annuels sur l'exécution du budget, ainsi que dans le prochain rapport sur les finances publiques locales. Cela nécessitera d'apprécier les relations entre l'État et l'Afitf, et d'évaluer la créance « Dailly » - est-elle suspendue ou non, exigible par les banques ou non ? Les conséquences budgétaires, comptables, juridiques et financières sont bien là. Reste à les apprécier.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Elles s'étendent jusqu'aux contrats de plans État-région : je constatais hier avec le préfet de la région Aquitaine que les opérations relatives aux transports sont toutes conditionnées à la perception des recettes de l'écotaxe. On trouve dans l'évaluation des PPP qui figure en annexe du compte général de l'État pour 2012 le chiffre de 774 millions d'euros, coût de la mise en place de la taxe poids lourds. À quoi s'est exactement engagé l'État ? À quoi correspond cette somme ?

M. Jean-Philippe Vachia. - À la page 225, dans l'annexe du compte général pour 2012, une ligne est consacrée à la mise en place de la taxe poids lourds : une somme de 668,7 millions d'euros est inscrite au titre de garantie de la créance « Dailly » ainsi que les deux loyers, correspondant à la construction et au financement d'une part, à l'entretien, la maintenance et le renouvellement d'autre part. Ce sont des engagements pris en 2012. Au moment où l'ouvrage sera livré, la valeur actualisée du coût de l'investissement devrait figurer dans les immobilisations de l'État, et la dette équivalente devrait être inscrite.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Ce chiffre changera donc sensiblement en 2013, je suppose.

M. Jean-Philippe Vachia. - Je m'exprime sous réserve des travaux de certification des comptes de l'État, qui sont effectués par la première chambre, ainsi que de ceux sur l'exécution du budget de l'État.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La créance « Dailly » est donc comprise dans ce chiffre.

M. Jean-Philippe Vachia. - Il y a aussi une autorisation d'engagement, depuis 2011, entre l'État et l'Afitf.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci pour ces précisions.

Audition de M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous recevons M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). Nous avons déjà reçu trois de ses collaborateurs : M. Michel Hersemul, chef du département d'expertise des partenariats public-privé (PPP) et de conduite de projets délégués et MM. Antoine Maucorps et Olivier Quoy, membres de la mission de la tarification. Les auditions précédentes nous ont montré que l'initiative de ce projet et sa conduite relevaient presqu'exclusivement de la DGITM, que vous dirigez depuis le début des opérations. La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) elle-même nous a renvoyés vers vous dans notre recherche d'explications sur ce projet et sur son coût. Pouvez-vous nous éclairer sur le processus de prise de décision dans ce dossier ? Avez-vous décidé seul ? Avez-vous eu recours à l'expertise d'autres services de l'État ? Comment avez-vous tenu les ministres informés ? Quelle part avez-vous pris à la décision de suspension ? Quel serait votre rôle dans une négociation avec le prestataire ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Daniel Bursaux prête serment.

M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer. - Ce projet, dont vous connaissez désormais l'historique, résulte d'une commande politique forte passée à la DGITM dans le cadre du Grenelle de l'environnement. Les ministres qui se sont succédé ont tous insisté sur l'importance de ce dossier comme sur la nécessité d'aller le plus rapidement possible. Le dispositif répondait à l'objectif, écologique, de favoriser le report modal et d'inciter à la rationalisation des chaînes logistiques. Il s'agissait aussi de mettre en place un financement pérenne de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). L'exemple de l'Allemagne est éloquent : depuis la mise en place de la LKW Maut, le réseau autoroutier y connaît une nouvelle jeunesse.

Il m'appartenait de mettre en place, en lien étroit et permanent avec la DGDDI et en m'appuyant sur les compétences de nos ministères respectifs, un dispositif répondant, sur les plans technique et juridique, à cette commande. Nonobstant les obstacles de toutes sortes, dont une procédure contentieuse tranchée au Conseil d'État, nous y avons répondu de manière adéquate, en toute légalité et dans la transparence. Certes, depuis la signature du contrat, des retards sont survenus. Ils sont presque tous imputables à la société Écomouv', même si celle-ci le conteste. Jusqu'au mois d'août 2013, aucun des dispositifs de contrôle n'avait été détruit, alors que le premier avait été installé le 31 janvier 2012. Ce projet semblait donc socialement acceptable - vous savez ce qu'il en est advenu en octobre dernier.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Vous attribuez la responsabilité des retards à la société Écomouv', mais ceux-ci n'étaient-ils pas prévisibles ? Les technologies choisies étaient nouvelles, les fonds propres de cette société ne s'élevaient qu'à 30 millions d'euros. Les délais initiaux n'étaient-ils pas trop justes ?

M. Daniel Bursaux. - Le résultat de la consultation a été évalué par mes services. Après avoir examiné leur rapport, la commission consultative a estimé que les délais proposés étaient crédibles. Ceux que proposaient les concurrents n'étaient pas substantiellement supérieurs. Quoiqu'extrêmement serrés, les délais n'étaient pas irréalistes.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Entre l'évaluation préalable et la signature, le coût estimé est passé de 231 millions d'euros à 650 millions d'euros. Avez-vous rendu compte par écrit de cette dérive aux ministres successifs ?

M. Daniel Bursaux. - Je n'ai pas le souvenir de rapports spécifiques. Cette évolution résultant de la consultation menée, les ministres en ont toutefois eu connaissance avant de faire le choix définitif.

Le montant de 231 millions d'euros que vous évoquez, et qui figurait dans l'évaluation préalable, ne prenait en compte que les éléments embarqués des non-abonnés, dont le coût était estimé à 71 millions d'euros en utilisant les technologies GNSS, et à 3 millions d'euros en technologie DSRC. Le coût des éléments embarqués des abonnés se montait, lui, à 96 millions d'euros en GNSS et à 14 millions en DSRC, pris en charge par les coûts d'exploitation, à travers la rémunération annuelle des SHT. Le chiffre à prendre en compte était ainsi de 327 millions d'euros au mois d'août 2008. Les investissements d'Écomouv', pour lesquels vous évoquez à juste titre un montant de 650 millions d'euros, sont chiffrés en valeur de fin 2011, et comprennent 67 millions d'euros de frais de financement et d'impôts, qui n'étaient pas intégrés dans le calcul de l'investissement brut. Il faut en réalité comparer aux 327 millions d'euros de 2008 les 580 millions de 2011.

L'écart résulte du coût du dispositif de contrôle, passé de 76 millions à 198 millions d'euros, et de celui du système central, passé de 38 millions à 135 millions d'euros. Nous avions d'abord imaginé mettre en place du personnel pour le réseau de distribution avant de décider d'installer un système de distribution automatisé : cela gonfle aussi le montant de l'investissement.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je suis étonnée que sur un dossier aussi complexe les choses n'aient pas été clairement précisées dès le début et soient restées dans le vague. Vous devez rechercher des chiffres pour nous les communiquer !

M. Daniel Bursaux. - Il s'agissait d'estimations sur un système complexe et sans précédent dans notre pays. Nous nous sommes entourés de tous les conseils possibles. Le marché a répondu : les trois concurrents qui se sont manifestés proposaient des prix de cet ordre.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les premiers montants vous ont-ils surpris ?

M. Daniel Bursaux. - Les premiers chiffres étaient encore plus élevés, et nous ont en effet surpris. Le montant des offres finales correspond, je crois, à des données objectives.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les surcoûts survenus après la signature du contrat ont-ils été pris en charge par la société Écomouv' ?

M. Daniel Bursaux. - Les prix figurant dans le contrat étant forfaitaires, et le contrat n'ayant pas été modifié, tout surcoût dans la réalisation, même dû à des retards, est à la charge de la société, sauf à ce qu'Écomouv' prouve que l'État en est responsable : nous n'avons pas entamé de discussion sur ce point.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Qu'est-ce qu'un démonstrateur ?

M. Daniel Bursaux. - L'État, dans le cadre du dialogue compétitif, a souhaité s'assurer que les candidats auraient l'expertise et les capacités techniques nécessaires pour développer les composants qui interviendraient dans les sous-ensembles sensibles du dispositif. Aussi leur avons-nous demandé de fournir un démonstrateur pour la proposition initiale, c'est-à-dire tout ou partie d'un système technique, pour en apprécier la robustesse et l'adéquation aux attentes. Les résultats des démonstrateurs initiaux ont été tels que l'État a demandé aux candidats un nouveau démonstrateur pour l'offre finale. Il a alors mis à leur disposition des conditions identiques (local sécurisé, alimentation électrique, surveillance...) pour l'installation de ces démonstrateurs. Il s'agissait alors essentiellement de tester la fonction de collecte de la taxe.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Un prototype, en quelque sorte...

M. Daniel Bursaux. - Si l'on veut, mais à échelle réduite.

M. Yves Krattinger. - Le système français est-il, comme le préconisent les directives européennes, interopérable, en particulier avec les dispositifs mis en place par nos voisins du nord-est, d'où proviennent le plus grand nombre des poids lourds ? La complexité de ce dossier justifiait-elle le recours à un PPP ? Quels étaient les avantages et les inconvénients des solutions alternatives ? Enfin, fallait-il séparer construction et exploitation ?

M. Daniel Bursaux. - Contrairement au système allemand, dans lequel les systèmes embarqués doivent être achetés à la société cocontractante du PPP, notre dispositif est pensé pour l'interopérabilité : la Commission européenne y a veillé. Nous aurions pu passer par une maîtrise d'ouvrage publique, mais je ne suis pas convaincu que l'administration soit à même d'organiser une consultation sur un système aussi complexe et de s'assurer que toutes les interfaces sont bien fonctionnelles. Si il y avait eu des dysfonctionnements, il aurait été quasiment impossible d'établir les responsabilités  La construction de bâtiments complexes en lots séparés illustre bien ce problème. Mes équipes n'avaient pas les moyens humains de gérer une telle tâche, sauf à avoir recours massivement à des bureaux d'études. Les Pays-Bas, qui ont fait ce choix de lotissement, ont abouti à une impasse : leur projet a été abandonné en février 2010. Sans aller aussi loin, les difficultés rencontrées par le ministère de la Défense français dans la mise en place de son système de paie ont mis en évidence la difficulté de la maîtrise d'ouvrage directe de projets à interfaces multiples. Le recours au PPP était totalement justifié, comme le confirme l'avis de la Mappp.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Avec quels pays d'Europe le système est-il interopérable, exactement ?

M. Daniel Bursaux. - C'est une question d'équipements. Plusieurs sociétés de télépéage ont rejoint le projet et proposent un équipement embarqué. La société Écomouv' n'en a pas le monopole.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Avec ceux de quels pays ces équipements sont-ils compatibles ?

M. Daniel Bursaux. - Ils sont compatibles avec les réseaux français, italien, espagnol et belge. La Belgique est d'ailleurs engagée dans un projet comparable au nôtre. L'objectif est bien sûr que les transporteurs n'aient pas à s'équiper de 28 équipements embarqués différents. Ce sont les SHT qui doivent avoir un équipement embarqué interopérable.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Vous avez évoqué un logiciel du ministère de la défense qui a connu des dysfonctionnements : n'est-ce pas l'une des sociétés de la SAS Écomouv' qui l'a fourni ?

M. Daniel Bursaux. - La société Steria est effectivement intervenue dans ce projet, mais pour le sauver. Je vous renvoie sur ce point au rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Comment les tarifs de l'écotaxe ont-ils été fixés ? Avez-vous d'abord estimé son produit, ou êtes-vous partis des tarifs ?

M. Daniel Bursaux. - Depuis l'origine du projet et lorsque le débat politique s'est ouvert, le chiffre évoqué pour le produit attendu de la nouvelle recette était d'un milliard d'euros, chiffre finalement retenu par le ministre d'alors, M. Borloo. Nous avons procédé à deux calculs. Le premier visait à nous assurer que nous respections les normes fixées par la Commission européenne en matière de taux plafond, celui-ci devant refléter, sans le dépasser, le coût d'usage de l'infrastructure. Nous avons abouti à environ 16 centimes d'euros par kilomètre. Puis, nous sommes descendus à 12 ou 13 centimes afin de remplir la commande.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous avez aussi décidé de la charge des camions : 3,5 tonnes au lieu de 12 tonnes en Allemagne. Vous avez déterminé le réseau taxable...

M. Daniel Bursaux. - C'est la loi qui en a décidé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Une fois ce tarif décidé, il devient difficile de dire qu'un coût de 237 millions d'euros est trop élevé !

M. Daniel Bursaux. - Un tarif supérieur à 16 centimes nous aurait exposés à des risques de contentieux en raison de la directive « Eurovignette ». Si demain les régions doivent fixer leurs taux, il faudrait calculer les plafonds région par région. La Commission européenne est plutôt favorable à la taxation dès 3,5 tonnes, mais le débat sur un seuil de tonnage supérieur reste ouvert.

M. Michel Teston. - Vous estimez que le recours à la maîtrise d'ouvrage publique aurait posé de gros problèmes, mais comment justifier que l'on soit passé de 320 millions à 580 millions d'euros ? Qui a voulu recourir au PPP ? La décision a-t-elle été politique ?

M. Daniel Bursaux. - Le gouvernement a demandé au Conseil d'État s'il pouvait recourir à un PPP. En posant la question, il avait en tête que cette solution pouvait être retenue. Ensuite, sur proposition de ma direction générale, mais aussi de celles des douanes et droits indirects, du budget, de la législation fiscale, il a décidé de recourir à un PPP.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Pourquoi avoir mis en place une mission de tarification spécifique au contrat écotaxe alors qu'il existe un département d'expertise des PPP au sein de la direction générale ?

M. Daniel Bursaux. - Nous avons créé la mission tarification car il s'agissait d'un projet extrêmement spécifique qui devait faire travailler ensemble deux directions générales. En outre, cette mission a piloté tout le projet. Elle est dirigée par Antoine Maucorps, que nous avons choisi d'un commun accord, assisté d'Olivier Quoy (DGITM) et d'Anny Corail (DGDDI). Le département d'expertise sur les PPP de ma direction générale a été audité par le conseil général de l'environnement et du développement durable ; celui-ci a estimé dans son rapport que ce département fonctionnait correctement et il a même proposé qu'il n'ait plus de mission opérationnelle, mais qu'il se consacre uniquement à conseiller les autres services gérant les PPP. J'ai fait le choix, en termes d'organisation que le département traite seulement des PPP routiers, ceux-là même gérés par la direction à laquelle est rattaché ledit département. Les autres PPP sont gérés par des services différents.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Le Conseil d'État n'a jamais dit que le PPP était la meilleure des solutions : il a simplement estimé que ce PPP était possible. Cela dit, était-ce la meilleure solution ?

M. Daniel Bursaux. - Oui. À l'étranger, des systèmes très proches ont été retenus, du fait de la complexité du système.

M. Louis Nègre. - L'Allemagne a instauré une toll tax. Lorsque les autres pays européens ont décidé d'établir une écotaxe, sont-ils passés par la maîtrise d'ouvrage publique (MOP) ou par un PPP ?

M. Daniel Bursaux. - L'Allemagne et la Slovaquie ont choisi un PPP. Je crois que la Belgique est en train de faire de même.

M. Louis Nègre. - Et la MOP ?

M. Daniel Bursaux. - Un seul pays : la Suisse, qui n'appartient pas à l'Union européenne.

M. Louis Nègre. - Son système est spécifique et plus ancien. Le système mis en place en France est très innovant, et des entreprises comme Thales y jouent un rôle important. Aurions-nous pu exporter cette technologie ?

M. Daniel Bursaux. - Certaines SHT françaises auraient pu opérer dans d'autres pays. Thales aurait pu, elle-aussi, exporter en Belgique s'il n'était pas arrivé ce que l'on sait.

M. Louis Nègre. - Si c'était à refaire, referiez-vous la même chose ?

M. Daniel Bursaux. - Sans l'ombre d'un doute. Le vice-président du Conseil d'État a récemment déclaré : « La prudence et la prévoyance sont deux qualités nécessaires dans la prise de décision publique. Elles ne doivent pas être dévoyées au point de devenir de la réticence et de la frilosité, voire de la crainte d'agir ». S'inquiétant de comportements précautionneux, il invitait les décideurs publics à dépasser les contraintes. Mon équipe et moi-même avons pris des risques en conduisant ce projet et je les assume complètement.

M. Éric Doligé. - J'espère que le vice-président du Conseil d'État prendra lui aussi des risques dans le cadre du redécoupage des cantons...

M. Daniel Bursaux. - Dans la suite de l'entretien, il s'inquiétait du développement de comportements précautionneux, et invitait les décideurs publics à « prendre des initiatives et, parfois, des risques ».

M. Éric Doligé. - Le PPP répondait certainement à l'objet du marché. Le dispositif devait être livré le 20 juillet, puis le 1er octobre 2013 et enfin le 1er janvier de cette année. Toutefois, une mise en oeuvre plus précoce avait été évoquée lors de précédentes auditions : des recettes étaient prévues dès 2012. Les retards sont-ils toujours dus à Écomouv' ?

J'ai entendu dire que les taux pourraient être fixés par les régions, qui ne sont ni responsables ni propriétaires des routes - veut-on faire disparaître les départements ? Les débats actuels ne sont pas neutres.

Le rapport financier prévu est plutôt positif : 1,2 milliard d'euros de facturation et un gain pour l'État et les collectivités de 900 millions d'euros. Ces dernières devaient percevoir 100 à 160 millions d'euros, selon le trafic. Elles attendent avec impatience les décisions de l'État afin que les recettes arrivent. Percevront-elles des arriérés de recettes ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous traiterons de la suspension à la fin de l'audition.

M. Daniel Bursaux. - Dans une version optimiste, lors du Grenelle de l'environnement, le ministre imaginait avec volontarisme une entrée en application fin 2011, début 2012. Cependant les procédures ont été longues : l'élaboration du cahier des charges puis les échanges lors du dialogue compétitif, pour être sûrs que nous ne fassions pas fausse route, ont demandé un an supplémentaire. Nous avons également perdu la première moitié de l'année 2011 avec le contentieux sur le classement des offres qui s'est terminé devant le Conseil d'État.

En ce qui concerne les coûts, il est difficile de faire les calculs en pourcentage : si le montant au kilomètre diminue de moitié, le coût de collecte devient faramineux. On peut aussi comparer à des systèmes à l'étranger, qui eux ne sont pas interopérables. Enfin, je crois que, par rapport à la recette, le coût du système en place pour les radars automatisés est plus élevé que celui de notre projet alors qu'il n'y a pas de suivi satellitaire. C'est que le but est aussi de renforcer la sécurité routière tout comme l'écotaxe encourage le report modal et fait payer les transporteurs étrangers circulant dans notre pays. Si d'autres pays ont fait un choix identique, il ne doit pas être si idiot que cela...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - L'État a-t-il une responsabilité dans les deux premiers reports de la taxe poids lourds ?

M. Daniel Bursaux. - S'il y avait demain un contentieux, je défendrais l'idée que l'État n'est pas responsable, ce qui n'est bien évidemment pas la position d'Écomouv'.

M. Francis Grignon. - L'État n'a assuré que la maîtrise d'ouvrage du projet. S'il avait été maître d'oeuvre, le dérapage financier n'aurait-il pas été catastrophique ?

M. Daniel Bursaux. - Je ne peux pas l'assurer. Il aurait fallu recruter du personnel, faire appel à des bureaux d'étude... Pour la construction de bâtiments, on peut avoir, dans un premier temps, des offres assez alléchantes mais lors de l'exécution, des dérapages peuvent survenir au moment des interfaces. La gestion des multiples contrats aurait été beaucoup plus compliquée.

M. Francis Grignon. - Avec la suspension de l'écotaxe, le manque à gagner pour le Bas-Rhin va se monter à un million d'euros voire plus, puisque nous voulions être expérimentateurs. Passer à 12 tonnes nous simplifierait grandement la tâche, mais quel en serait le coût ?

M. Daniel Bursaux. - Si nous passions à 12 tonnes, le manque à gagner serait de l'ordre de 200 millions d'euros. Pour le compenser, il faudrait passer le coût kilomètre à 14 ou 15 centimes. En revanche, les équipements de contrôle fixes devraient être adaptés : les portiques de Thales reconnaissent des masses de 3,5 tonnes. Le coût de la transformation risque d'être élevé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Combien coûte un portique ?

M. Daniel Bursaux. - Un million d'euros environ.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les douanes nous ont dit qu'il faudrait quatre à cinq mois pour actualiser les systèmes et les procédures en cas d'évolution des textes législatifs ou réglementaires.

M. Daniel Bursaux. - Il faut effectivement prendre en compte tout l'environnement administratif. Je n'évoquais que la faisabilité technologique, qu'il conviendrait d'évaluer, surtout dans ce contexte.

M. Yves Krattinger. - En application de la loi, 5 500 kilomètres de routes départementales sont taxables. Le réseau routier taxé appartient à l'État et aux départements.

M. Daniel Bursaux. - Le périphérique de Paris appartient à la ville et il y a un tronçon de route à Strasbourg.

M. Yves Krattinger. - Si le barème n'est plus national, il faudra discuter avec les principaux intéressés ! La commande des deux gouvernements successifs a-t-elle toujours été claire et précise ? Les retards n'ont-ils que des causes administratives et techniques ? Pourquoi le décret du 6 mai 2012 était-il incompréhensible ?

M. Daniel Bursaux. - Je ne reviens pas sur le réseau taxable local : nous avons appliqué la loi qui laissait une petite marge d'interprétation. Nous avons défini les tracés département par département et nous sommes parvenus à un quasi-consensus dans le respect du vote du Parlement. Quel que soit le gouvernement, il m'a toujours été demandé de faire avancer le dossier. Aucun ministre ni aucun secrétaire d'État ne m'a dit de lever le pied.

En ce qui concerne le décret du 6 mai 2012, le gouvernement sortant a sans doute voulu publier le texte prévu par la loi. Certes imparfait, ce décret a fait l'objet d'un long travail dans mes services : il répondait à la loi telle qu'elle avait été rédigée. Le nouveau ministre délégué s'est étonné, puis son cabinet a fini par convenir que c'était la loi qu'il fallait modifier.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Cela a-t-il retardé l'exécution du contrat Écomouv' ?

M. Daniel Bursaux. - Pas du tout : le décret concernait exclusivement les transporteurs.

M. Roland Ries. - La complexité invoquée pour justifier le choix du PPP résulte-t-elle de problèmes techniques ou bien est-elle due à une forme de perfectionnisme ? Ne pensez-vous pas que pour faire mieux que les autres pays, on a créé une coûteuse usine à gaz, alors qu'il serait moins cher d'accepter un taux de fraude supérieur mais de réaliser des économies sur les portiques et sur le fonctionnement ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Cette question est souvent soulevée par notre rapporteur.

M. Daniel Bursaux. - Incontestablement, le projet est techniquement complexe. Dans l'appel d'offres, nous avions laissé le choix entre un système à ondes comme c'est le cas pour les péages autoroutiers, et un système satellitaire. Toutes les entreprises qui ont répondu ont choisi cette deuxième technique. Il fallait en outre prévoir des contrôles, des systèmes embarqués, l'interopérabilité, un système informatique central sur lequel nos estimations de coûts se sont révélées erronées, ainsi qu'un système de facturation.

Il ne s'agit pas tant de performance du dispositif que de sécurité pour le redevable. Pour éviter des contestations en cascades, nous voulions être sûrs du système, d'où le principe d'une erreur maximum pour un million au détriment du redevable. Les erreurs de facturation, en défaveur des contribuables, auraient créé des polémiques et mis à bas la crédibilité du système.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Votre réponse est adroite, mais vous n'avez pas le même souci pour les amendes de circulation !

M. Daniel Bursaux. - Les premiers contrôles radar ont entraîné beaucoup de contestations, ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Avez-vous rencontré les concurrents lors du dialogue compétitif ?

M. Daniel Bursaux. - Je n'ai pas absolument pas participé à ce dialogue.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous étiez représenté à la commission consultative...

M. Daniel Bursaux. - En effet. En revanche, lorsque les offres initiales ont été remises, j'ai demandé à mes services de me fournir les chiffres.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - L'État est-il intervenu pour qu'Écomouv' s'implante à Metz, ville où se trouve le siège social de la Sanef ? Perçoit-il des loyers ?

M. Daniel Bursaux. - Les douanes ont leur site écotaxe à Metz. Lorsque la question s'est posée pour Écomouv', nous leur avons suggéré de s'y implanter, tout en disant clairement qu'ils étaient libres d'aller où bon leur semblait. Calais et Reims avaient remis des propositions à Écomouv'. Je ne sais pas en revanche s'il y a eu des incitations financières. Le ministère de l'écologie ne perçoit pas de loyer ; j'ignore ce qu'il en est pour l'État ou pour la collectivité. J'ai transmis la question au préfet de région.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La collectivité nous a dit qu'elle n'en percevait pas.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - À Metz, Écomouv' dispose de deux bâtiments distants de quatre kilomètres et l'un des deux est entouré de 6 500 mètres carrés constructibles. Quelle en est l'utilité ?

M. Daniel Bursaux. - Je l'ignore, tout comme je ne peux pas répondre sur les problèmes des salariés sur lesquels vous m'avez interrogé par écrit, et sur lesquels je n'ai pas reçu de mandat pour les traiter.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Vous ne voulez pas que les redevables soient taxés injustement. Des contrôles sont donc nécessaires, d'où les portiques. N'y a-t-il pas eu déficit d'explication ?

M. Daniel Bursaux. - Sans doute. Reste que ces portiques ont été en place pendant dix-huit mois sans que personne ne songe à les attaquer. Des articles de presse ont expliqué à quoi ils servaient. Il n'y avait pas de secret, pas de scoop.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Écomouv' était en retard et pourtant l'État a autorisé des marches à blanc dès juillet 2013. N'étaient-elles pas vouées à l'échec ?

M. Daniel Bursaux. - Elles ont fonctionné à peu près correctement. Certes, il y avait encore des défauts majeurs, mais elles ont démontré que le système de tarification fonctionnait.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Il y avait des défauts majeurs...

M. Daniel Bursaux. - Ils ont été corrigés, puis la VABF a été prononcée début janvier après les homologations.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - La Mappp a eu 48 heures pour présenter ses remarques sur les procédures de contrôle et de suivi du contrat, notamment sur le respect des indicateurs de performance. Ces réserves n'ont pas obtenu de réponse écrite. Pourquoi ?

M. Daniel Bursaux. - Je vous enverrai le compte rendu de la réunion du 14 octobre 2011 avec la Mappp. L'équilibre économique du contrat, résultant de l'appel d'offres, aurait été profondément modifié si certaines de ses observations avaient été suivies. En revanche, nous avons entamé la négociation avec Écomouv' qu'elle demandait sur un point précis. Quant à l'urgence que vous dénoncez,  le décret de 2009 imposant la consultation des ministres du budget et des finances n'était pas sur le site Internet de la Mappp.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est exact, mais il n'avait pas à y figurer.

M. Daniel Bursaux. - Je consultais le site de la Mappp pour voir quelles étaient les obligations. Certes, nul n'est censé ignorer la loi, mais j'étais resté sur l'idée que seul le contrôleur économique et budgétaire du ministère devait donner son accord, ce qu'il a fait dans des délais raisonnables. Je reconnais que nous avons découvert ce problème une dizaine de jours avant la signature du contrat - mea culpa. Nous avons alors envoyé le projet de contrat aux deux ministres concernés lesquels ont saisi la Mappp. Nous avons très rapidement organisé une réunion sur les points soulevés. À l'époque, nous perdions trois millions d'euros par jour de retard de signature du contrat. En outre, nous craignions un nouveau contentieux si nous ne signions pas rapidement. Les ministres, qui ont dû avoir connaissance des remarques de la Mappp, ont dû estimer que nos réponses étaient satisfaisantes, puisqu'ils ont émis un avis favorable à la signature du contrat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Avez-vous un bilan financier des détériorations subies par les portiques ? J'ai cru comprendre que les coûts restaient à la charge de l'État.

M. Daniel Bursaux. - Je ne dispose pas de bilan précis, mais on peut estimer le coût des dégradations à une dizaine de millions d'euros. Le contrat prévoyait que lorsqu'il s'agissait de dégradations isolées, les réparations étaient à la charge des assureurs d'Écomouv'. À partir du moment où il y a eu volonté organisée de nuire et de détruire, Écomouv' a estimé que l'État était responsable. Nous allons en discuter avec eux.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Qui négocie avec Écomouv' maintenant ?

M. Daniel Bursaux. - Mes services avec l'aide d'un conseil, ainsi que les douanes. Il a y des aller et retour avec mon cabinet.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Écomouv' a-t-elle payé quelque chose à l'État, mis à part le loyer ? A-t-elle envoyé une facture ?

M. Daniel Bursaux. - Écomouv' ne peut pas demander à l'État de payer quoi que ce soit, puisque la mise à disposition du dispositif n'a pas été prononcée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La demande de mise à disposition vous a été demandée par lettre du 17 janvier 2014 et une lettre complémentaire vous a été adressée le 20 janvier. Vous avez jusqu'au 20 mars pour répondre. Jouez-vous la montre ?

M. Daniel Bursaux. - Le cabinet nous a adressé un mandat de négociation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Tout a-t-il été listé ?

M. Daniel Bursaux. - Je le pense.

M. Louis Nègre. - À Metz, nous avons eu le sentiment qu'Écomouv' ne vous bousculait pas. Pourquoi ce tango ? La suspension est une mesure d'ordre politique qui nous coûte 3 millions d'euros par jour et a des conséquences directes sur l'Afitf. Qu'entend faire le gouvernement pour remplacer les 800 millions d'euros que l'Afitf ne percevra pas ?

M. Daniel Bursaux. - Nous avions reçu une première facture le 1er octobre 2013, que nous n'avons pas honorée, compte tenu des événements et du fait que les VABF n'avaient pas été prononcées. J'ai reçu comme consigne de ne pas trop me presser pour signer la VABF. Elle l'a quand même été début janvier 2014, après que l'homologation a été obtenue. Écomouv' estimait d'ailleurs que celle-ci n'était pas nécessaire pour obtenir la VABF, tandis que nous soutenions le contraire. Écomouv' nous a ensuite transmis le rapport de vérification de service régulier (VSR) et le contrat prévoyait fort heureusement des délais. Nous disposons donc d'un délai de deux mois, depuis la remise de ce rapport, pour prononcer la mise à disposition.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il est difficile de négocier sur la mise à disposition ! Qui va payer ? Est-ce le programme budgétaire 203 ?

M. Daniel Bursaux. - S'il faut payer, ce sera bien sur ce programme 203 alimenté par l'Afitf, puisque dépenses et recettes passent par cet organisme.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il y aura donc des reports sur toutes les opérations d'infrastructure. Hier après-midi, le préfet de région d'Aquitaine, qui nous réunissait pour les contrats de plan État-région, nous a dit qu'ils étaient conditionnés à une recette de l'écotaxe.

M. Daniel Bursaux. - Je suis prêt à parler de mon mandat de négociation avec Écomouv' mais à huis clos. Si j'ai poussé les feux sur l'écotaxe, c'est parce que j'étais persuadé que c'était le seul moyen, dans le contexte budgétaire actuel, de financer les infrastructures françaises. Avec cette recette pérenne (qui s'ajoutait à la taxe d'aménagement du territoire, à la redevance domaniale et au reliquat des amendes radar), on garantissait le financement de l'Afitf.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Quand on voit les reports des opérations anciennes...

M. Daniel Bursaux. - Nous avons trouvé une solution pour cette année. Un amendement budgétaire été voté, les gels traditionnels épargneront le programme 203. Nous avons trouvé de quoi équilibrer les dépenses prévisionnelles, mais il y aura peu d'engagements pour de nouvelles opérations en 2014, ce qui rend l'exercice de contractualisation entre les préfets et les régions extrêmement compliqué.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Sans doute n'y aura-t-il pas de recettes d'écotaxe en 2014.

M. Daniel Bursaux. - D'autant plus qu'il sera peut-être nécessaire de revoir le cadre légal et règlementaire, ce qui prendra quelques mois.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Le contrat va donner lieu à négociation. Reste qu'il faudra bien que des sommes arrivent sur le programme 203, dont on va d'ailleurs supprimer une recette.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Jusqu'à quand Écomouv' aura-t-elle la capacité de négocier ?

M. Daniel Bursaux. - À mon avis, mais sans que ce soit un engagement, je pense que nous avons deux mois après la VSR, pendant lesquels il n'y a pas grand risque. Ensuite, les discussions, auxquelles participeront les banques, seront plus difficiles.

M. Jean-Jacques Filleul. - Que votre mandat de négociation n'aboutisse pas aurait des conséquences catastrophiques, y compris pour Écomouv'.

M. Daniel Bursaux. - Par définition, un mandat de négociation peut ne pas aboutir.

M. Louis Nègre. - La situation est en effet très difficile. Non seulement on va fragiliser Écomouv', mais encore l'Afitf dispose de 1,8 milliard d'euros de crédits de paiement contre des autorisations d'engagement trois fois moindres, ce qui impacte les contrats de plan ainsi que le troisième appel à projets. Cela affecte également les entreprises de transport qui ont pris leur matériel. Pouvez-vous nous indiquer quelle proportion de la cible représentent les 180 000 camions enregistrés ?

M. Daniel Bursaux. - Nous tablons sur six cent mille abonnés.

M. Louis Nègre. - Ne risquent-ils pas de se retourner contre l'État ?

M. Daniel Bursaux. - Non, la situation est pour l'instant neutre pour les transporteurs, mis à part le temps pris pour les procédures d'enregistrements.

M. Éric Doligé. - Après la négociation, qui reste dans le cadre du contrat, viendra le temps du politique, de la décision. Je suis inquiet de l'importance des conséquences pour les entreprises et pour l'économie. L'allongement des concessions autoroutières pourrait avoir pour contrepartie 3,5 milliards d'euros de travaux. Or, un report pèserait sur l'activité ainsi que sur la sécurité de nos routes - j'attends chaque année 9 millions d'euros de l'écotaxe.

J'aimerais, madame la Présidente, que vous demandiez au Premier ministre de nous donner le rapport rendu il y a quelques mois sur les partenariats public privé. M. Sueur ne parvient pas à l'obtenir du ministre du budget. Auditionner le Premier ministre nous aiderait à obtenir un document qui serait bien utile à notre réflexion.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous l'avons demandé à M. Moscovici et j'invite l'administration à faire le nécessaire pour que nous l'ayons.

M. Daniel Bursaux. - Le propos de M. Doligé explique notre engagement. Le réseau autoroutier allemand, qui était menacé de délabrement, connaît depuis trois ou quatre ans un renouveau avec un rythme soutenu de travaux. Le plan de relance autoroutier, dont le ministre a parlé aux parlementaires, est en cours de discussion devant la Commission européenne parce que les allongements de concession relèvent d'une instruction au titre des aides de l'État. Cela donne une perspective de travaux pour les entreprises de travaux publics.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous négociez avec Écomouv'. Toutefois, n'êtes-vous pas inquiet de l'évolution de la relation contractuelle ?

M. Daniel Bursaux. - Bien sûr que si ! Raisonnablement, compte tenu des autres intervenants, notamment financiers, il faut avoir trouvé une solution dans les deux mois. On se parle.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - J'en suis heureuse : ils nous ont dit qu'ils avaient appris la suspension par la presse.

M. Daniel Bursaux. - Vous me taquinez... La suspension a été annoncée à l'issue d'une réunion du Premier ministre avec les partenaires bretons. J'ai été informé par un SMS juste avant la fin de la réunion et je n'ai pas eu le réflexe de prévenir Écomouv' : la décision était alors partout dans les médias.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - J'aurai d'autres questions lorsque nous vous auditionnerons à huis clos.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous tiendrons cette réunion le 11 mars après-midi. Écomouv' et les banques y participeront également.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Cela nous évitera peut-être de poser les mêmes questions plusieurs fois.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.