Mercredi 15 octobre 2014

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30

Diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière - Examen des amendements au texte de la commission

Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission procède à l'examen des amendements au texte de la commission n° 808 (2014-2015) portant diverses dispositions d'adaptation de la législation d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

Mme Michèle André, présidente. - Nous commençons par examiner les amendements extérieurs sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

Article 2 bis

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 13 d'André Gattolin, qui vise à rendre non déductible de l'assiette de l'impôt sur les sociétés les contributions des banques au fonds de résolution unique, pénaliserait doublement les banques. C'est du reste contraire à la tradition fiscale française en matière d'établissement de l'assiette de l'impôt sur les sociétés.

M. André Gattolin. - Si l'on prend la fourchette haute de la contribution éventuelle des banques françaises au fonds, on atteint 17 milliards d'euros sur huit ans, soit une perte de recettes d'impôt sur les sociétés de 5,5 milliards d'euros, c'est-à-dire de 650 millions d'euros par an pendant huit ans. Je suis très inquiet sur la manière dont l'État va pallier ce manque à gagner.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 13.

Article 3

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 3 de Francis Delattre vise à exclure les mutuelles de santé du champ de la directive « Solvabilité II ». L'intention est d'éviter que les petites mutuelles soient soumises aux mêmes règles que les grandes sociétés d'assurance. De ce point de vue, l'amendement est en pratique satisfait par la directive, qui affirme le principe de proportionnalité et qui exclut les petites mutuelles encaissant moins de 5 millions d'euros de primes par an et dont les provisions techniques sont inférieures à 25 millions d'euros. On ne peut exclure toutes les mutuelles car la directive, qui vise à améliorer la protection des assurés, les mentionne explicitement. L'adoption de cet amendement nous mettrait en infraction avec le droit communautaire. C'est pourquoi je demande de son retrait.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - S'il est satisfait, notre collègue acceptera sans doute de le retirer.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 3.

Article additionnel après l'article 3

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 1 de Jean Germain réserve au souscripteur de bonne foi le bénéfice de la prorogation du délai de renonciation à un contrat d'assurance vie. Cette prorogation, qui peut, de manière assez extraordinaire, aller jusqu'à huit ans, permet de dénoncer le contrat en cas de manquement de l'assureur à ses obligations d'information. Elle est utilisée par un certain nombre d'investisseurs avertis, qui connaissent cette faille, pour dénoncer leur contrat d'assurance vie en fonction de l'évolution de ce dernier. Cela ne concerne pas un grand nombre de contrats, mais les sommes en jeu sont très importantes. Nous ne sommes donc pas du tout dans le cas de petits épargnants qui ont été mal informés ou qui n'ont pas bien compris, mais dans celui d'un professionnel ou quasi professionnel qui utilise une faille. Je suis pour cet amendement qui rétablit la justice.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1.

Article additionnel après l'article 6

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 2 rectifié d'Albéric de Montgolfier vise à raccourcir le délai dans lequel se prononce la Cour d'appel de Paris sur les décisions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) en matière d'offres publiques, notamment d'offres publiques d'achat (OPA). Ce délai s'est considérablement allongé ces derniers temps, ce qui est préjudiciable à la vie des affaires et au développement de la place financière de Paris. Cet amendement propose de donner à la Cour d'appel de Paris un délai de quatre mois pour rendre ses décisions. Il appartiendra au ministère de la justice de prendre les mesures nécessaires pour que ce délai soit respecté. Ceci va dans le bon sens, j'y suis favorable.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le fait est que, même dans le cas d'OPA amicales, on se retrouve souvent bloqué par des délais importants en cas de recours. C'est un problème de compétitivité.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2.

Article 8

M. Richard Yung, rapporteur. - Les amendements n° 4 d'Eric Bocquet, n° 9 de Nathalie Goulet et n° 14 d'André Gattolin visent à étendre à toutes les filiales, même non minières, des groupes miniers et forestiers, l'obligation de publication des paiements effectués aux autorités des pays où elles opèrent. Je suis défavorable à ces amendements qui vont au-delà de la lettre et de l'esprit de la directive et qui imposeraient à des sociétés non minières des obligations de transparence plus exigeantes que celles applicables à leurs concurrentes étrangères.

La commission émet un avis défavorable aux amendements n° 4, n° 9 et n° 14.

M. Richard Yung, rapporteur. - Les amendements n° 5 et n° 6 d'Eric Bocquet, n° 10 de Nathalie Goulet, ainsi que les amendements d'inspiration identique n° 7 d'Eric Bocquet et n° 11 de Nathalie Goulet, visent à étendre le rapport sur les paiements à toutes les informations demandées aux banques dans le cadre de la transparence pays par pays. Je suis défavorable à ces amendements car ils vont au-delà de la directive et de son objet, qui est la lutte contre la corruption, et non la lutte contre l'évasion fiscale.

La commission émet un avis défavorable aux amendements n° 5, n° 6, n° 10, n° 7, et n° 11.

M. Richard Yung, rapporteur. - Les amendements n° 8 d'Eric Bocquet et n° 12 de Nathalie Goulet, ainsi que l'amendement n° 15 d'André Gattolin d'inspiration similaire, visent à obliger les entreprises extractives et forestières à publier les marchés qu'elles concluent avec les Etats où elles opèrent. J'y suis défavorable, car cette transparence systématique, qui serait assez intrusive et qui n'est pas imposée par la directive, fragiliserait les entreprises dans les pays où elle n'est pas prévue, voire interdite.

M. Éric Bocquet. - J'ai une demande d'éclaircissement : où est la frontière entre intrusion et transparence ?

Mme Michèle André, présidente. - C'est un sujet pour le baccalauréat de philosophie !

M. Richard Yung,rapporteur. - Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question philosophique !

Article 24

v

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 16 du Gouvernement vise à porter le délai d'habilitation pour la transposition de la directive sur les marchés d'instruments financiers (« MIF 2 ») au 3 juillet 2016. Après avoir raccourci certains délais d'habilitation, je suis favorable à cet amendement au regard de la complexité et de la technicité de la directive.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 16.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général- Notre collègue Francis Delattre souhaitait présenter un amendement qui demande au Gouvernement un rapport qui précise l'état des négociations sur la clé de calcul qui sera utilisée pour la détermination des banques au fonds de résolution unique et son impact sur le financement de l'économie. Sur le fond, il rejoint l'amendement de notre rapporteur adopté la semaine dernière par la commission. Sans doute pourrons-nous utilement interroger le Gouvernement en séance pour qu'il nous précise sa position dans la négociation et la contribution du secteur bancaire français.

M. Richard Yung, rapporteur. - Cette suggestion d'amendement rejoint en effet notre amendement qui prévoit que le Parlement se saisira de l'accord intergouvernemental sur la mutualisation des contributions au fonds de résolution unique seulement lorsque les actes délégués, donc la clé de calcul des contributions, auront été publiés. Selon l'issue, nous ratifierons ou non l'accord intergouvernemental. Mais il est toujours possible d'interroger le Gouvernement en séance.

Mme Michèle André, présidente. - Cela fait en effet partie du débat.

M. Michel Bouvard. - L'enjeu est de savoir quel est le niveau raisonnable ou supportable de contribution du secteur bancaire français, au regard des contraintes règlementaires qui pèsent sur lui actuellement et de sa capacité à assurer le financement de l'économie. Sans aller jusqu'à un mandat de négociation encadré, pouvons-nous en savoir plus sur la négociation avant qu'il ne soit trop tard ? Il est raisonnable que le Gouvernement s'engage sur le fait que ce qui actuellement proposé n'est pas acceptable et qu'il précise un point possible d'accord. Nous pouvons le faire par amendement ou par une résolution pour faciliter les négociations du côté français.

Mme Michèle André, présidente. - L'amendement de Richard Yung visait justement à aider les négociateurs.

M. Richard Yung, rapporteur. - D'ailleurs, le Gouvernement a plutôt apprécié cette initiative.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le projet de loi de ratification de l'accord intergouvernemental est déjà déposé, mais quand viendra son examen, nous pourrons seulement l'adopter ou le rejeter. Ce sera donc un peu tard. C'est pourquoi il est important que le Gouvernement nous précise dès maintenant le cap qu'il se fixe, sans aller jusqu'à un mandat de négociation.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article additionnel après l'article 2 bis

Auteur

Avis de la commission

M. GATTOLIN

13

Défavorable

Article 3

Auteur

Avis de la commission

M. DELATTRE

3

Demande de retrait

Article additionnel après l'article 3

Auteur

Avis de la commission

M. GERMAIN

1

Favorable

Article additionnel après l'article 6

Auteur

Avis de la commission

M. de MONTGOLFIER

2 rect. bis

Favorable

Article 8

Auteur

Avis de la commission

M. BOCQUET

4

Défavorable

Mme N. GOULET

9

Défavorable

M. BOCQUET

5

Défavorable

Mme N. GOULET

10

Défavorable

M. GATTOLIN

14

Défavorable

M. BOCQUET

6

Défavorable

M. BOCQUET

7

Défavorable

Mme N. GOULET

11

Défavorable

M. BOCQUET

8

Défavorable

Mme N. GOULET

12

Défavorable

M. GATTOLIN

15

Défavorable

Article 24

Auteur

Avis de la commission

Le Gouvernement

16

Favorable

Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne, Rome 29 et 30 septembre 2014 - Compte-rendu

La commission entend ensuite une communication de Mme Michèle André, présidente, sur la troisième réunion de la Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne, tenue à Rome les 29 et 30 septembre 2014.

Mme Michèle André, présidente. - Je vais maintenant vous lire le compte-rendu que notre ancien collègue Claude Belot a bien voulu nous faire de la Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne, qui s'est réunie à Rome les 29 et 30 septembre derniers.

« Je me suis rendu en Italie pour y représenter le Sénat, à l'occasion de la troisième réunion de la Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne. Issue de l'article 13 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG), entré en vigueur le 1er janvier 2013, cette conférence s'est déjà réunie à Vilnius en octobre 2013 et à Bruxelles en janvier 2014. Ce troisième exercice a réuni à Rome les 29 et 30 septembre 2014 des représentants des parlements nationaux et du Parlement européen. Je tiens à vous faire part de mon insatisfaction quant à cette réunion, révélatrice de divergences quant au renforcement des fondements démocratiques de l'Union européenne. En effet, dès l'ouverture de la conférence, Laura Boldrini, la présidente de la chambre des députés italienne, a annoncé qu'aucun règlement de la conférence ne serait adopté pendant les deux jours de réunions et que la question serait abordée à nouveau en 2015. L'approbation de ce règlement est une véritable arlésienne depuis la réunion qui s'est tenue en Lituanie il y a un an. L'enjeu est important : sans règlement, la conférence ne peut adopter de conclusions et jouer un rôle opérationnel. Nous avons tenu plusieurs séances de travail consacrées à la « la voie européenne de la croissance », c'est-à-dire les questions macroéconomiques et la relance par l'investissement, à de nouveaux instruments de gouvernance financière, tels que les eurobonds, les project bonds, les eurobills et le fonds européen de rédemption, à l'Union bancaire et au financement de l'économie réelle et à la coordination des politiques fiscales, avec un accent mis sur le cas de l'économie numérique.

« Sur la question du règlement de la conférence, une fois de plus le Parlement européen s'est opposé au fait que les parlements nationaux soient davantage associés à la gouvernance économique et financière de l'Union européenne. Il y a plus de six mois, nos collègues Philippe Marini, Jean Arthuis et Richard Yung, qui avaient participé à Bruxelles en janvier 2014 à la dernière réunion de la conférence, se demandaient « s'il s'agit d'un simple forum de discussion entre parlementaires ou si l'on souhaite en faire une véritable association des parlements nationaux à la gouvernance économique et financière de l'Union européenne ». Le Parlement européen a donné sa réponse à cette interrogation, les députés européens présents à Rome se sont en effet montrés préoccupés par le fait d'en rester à un simple lieu d'échanges. La délégation allemande a malheureusement partagé cette approche, elle a même indiqué que cette conférence ne pouvait pas apporter de légitimité démocratique.

« Ces prises de position sont regrettables, dans la mesure où la Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne devait être la « contrepartie démocratique » du TSCG, le moyen privilégié d'approfondir le caractère démocratique des politiques économiques européennes. C'est d'autant plus déplorable que tout au long du premier semestre de l'année 2014, la présidence grecque de l'Union européenne avait organisée une consultation, à laquelle le Sénat a participé, dans le but de rassembler des amendements sur le projet de règlement issu de la réunion de Vilnius d'octobre 2013 et de permettre l'adoption d'un règlement lors de la réunion de Rome de septembre 2014. J'indique qu'en vue de faciliter cette adoption, une réunion des parlementaires français et allemands s'était tenue le 12 mai dernier à l'Assemblée nationale. De ce point de vue, la réunion à laquelle j'ai participé à Rome est donc, à nouveau, un rendez-vous manqué. La discussion reprendra en 2015, notamment en avril lors de la prochaine réunion de la conférence des présidents des parlements de l'Union européenne ».

Voilà donc ce que notre ancien collègue Claude Belot a voulu porter à notre connaissance. Son compte rendu a le mérite d'être franc et percutant.

M. Richard Yung. - Je comprends ce qu'a voulu exprimer notre ancien collègue Claude Belot. Lors des précédentes réunions, j'avais ressenti une impression similaire. Les difficultés résultent à la fois de la résistance du Parlement européen, qui s'estime seul porteur de légitimité démocratique dans l'Union européenne, et du Parlement allemand. L'idée de donner des moyens à la gouvernance de la zone euro, avec un pouvoir exécutif d'une part et un contrôle démocratique d'autre part, a du mal à se mettre en place. Il faudra plusieurs années et beaucoup d'énergie pour atteindre cet objectif.

Mme Michèle André, présidente. - Nous aurons cette énergie.

La commission donne acte de sa communication à Mme Michèle André, présidente.

Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Albéric de Montgolfier, rapporteur sur le projet de loi n° 2236 (AN - XVe législature) de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

Simplification de la vie des entreprises - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi n° 771 (2013-2014) adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la simplification de la vie des entreprises et nomme, M. Philippe Dominati rapporteur pour avis.

Désignation d'un rapporteur

Puis la commission désigne M. Éric Doligé, rapporteur sur le projet de loi n°4 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.

Mme Michèle André, présidente. - Nous aurons à désigner dans les prochaines semaines un rapporteur sur le projet de loi n° 2026 (AN-XIVe législature) autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscale en matière d'impôts sur le revenu.

La réunion est ouverte à 11 heures 35.

Loi de finances pour 2015 et loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 - Audition de M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

Mme Michèle André, présidente. - Je souhaite la bienvenue à Didier Migaud devant la commission des finances nouvellement reconstituée. Nous le recevons ce matin en tant que président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), afin qu'il nous présente deux avis. Le premier porte sur le projet de loi de finances et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, que je qualifierai de « traditionnel », le Haut Conseil ayant déjà rendu des avis de ce type.

Je souhaite également la bienvenue à Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales.

En second lieu, Didier Migaud nous présentera l'avis du HCFP sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019. Sans entrer dans le détail, j'indique à mes collègues combien cet avis est important. Il conduit en effet le Haut Conseil à se prononcer sur les hypothèses qui ont permis de construire notre trajectoire de solde structurel et auxquelles il se référera ensuite pour en vérifier le respect.

M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques. - Madame la présidente, messieurs les rapporteurs généraux, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir bien voulu m'inviter devant votre commission, récemment renouvelée, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, pour vous présenter les principales conclusions des avis relatifs au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, d'une part, et aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015, d'autre part.

La préparation de ses deux avis a fortement mobilisé les membres du Haut Conseil. Un séminaire sur la croissance potentielle avait été organisé dès le mois de juin, et de nombreuses auditions ont été conduites au mois de septembre.

J'aborderai successivement les deux avis, en commençant par celui relatif au projet de loi de programmation. Le HCFP se prononce pour la première fois sur un projet de loi de programmation des finances publiques.

Aux termes de l'article 13 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, sa mission est triple. Il doit apprécier l'estimation du produit intérieur brut (PIB) potentiel sur laquelle repose le projet de loi de programmation ; il doit se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées ; enfin, il doit examiner la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif à moyen terme (OMT) retenu et des engagements européens de la France.

Permettez-moi d'évoquer, tout d'abord, l'estimation de PIB potentiel. C'est la première fois que le Haut Conseil des finances publiques devait se prononcer sur l'estimation de celui-ci. En effet, le Haut Conseil ayant été installé le 21 mars 2013, il n'avait pas été invité à rendre un avis sur la précédente loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, adopté en décembre 2012.

Le PIB potentiel se définit usuellement comme la production soutenable, c'est-à-dire celle pouvant être réalisée sans entraîner de tensions sur les prix.

Chacun connaît les fragilités de cette notion, pourtant devenue centrale en matière de gouvernance des finances publiques. Il ne s'agit pas de données statistiques ou comptables, mais du résultat d'un modèle économique, ce qui rend l'estimation du PIB potentiel incertaine. Sa mesure est rendue encore plus difficile par la crise économique que nous traversons. Les chocs subis par l'économie française depuis 2008 ont vraisemblablement eu un impact, pour partie transitoire et pour partie pérenne, sur le niveau du PIB potentiel, sans qu'il soit possible d'estimer leur part respective avec précision.

L'écart de production, qui constitue la différence entre la production effective et la production potentielle, renseigne sur la capacité de rebond d'un pays quand il est négatif, comme c'est le cas actuellement, ou sur le risque de ralentissement lorsqu'il est positif. En matière de finances publiques, l'écart de production permet d'identifier la composante conjoncturelle du déficit effectif et de mesurer, par différence, le solde structurel, qui constitue aujourd'hui un outil essentiel de pilotage des finances publiques à l'échelle européenne.

Le Gouvernement a retenu, pour le présent projet de loi, l'écart de production tel qu'estimé par la Commission européenne. Cet écart s'établit à - 2,7 % du PIB potentiel pour l'année 2013.

Le Haut Conseil constate que cette estimation se situe au centre de la large fourchette des estimations disponibles, notamment celles des organisations internationales, comme le FMI ou l'OCDE, et de l'Insee - entre - 2 % et - 3,5 % - du PIB potentiel. Un tel écart suggère que l'économie française dispose d'une forte capacité de rebond. Le scénario retenu par le Gouvernement, comme par les organisations internationales, est donc celui d'un rattrapage, avec une fermeture progressive de l'écart de production. Cependant, ce rattrapage ne serait pas tout à fait achevé à l'horizon de la programmation.

La position du HCFP sur ce plan est plus réservée. Le Haut Conseil considère en effet qu'un écart de production plus faible et, partant, une moindre capacité de rebond, ne peuvent être exclus. Il note en particulier que l'économie française connaît un écart de production fortement négatif depuis plusieurs années, alors qu'en principe un tel écart est supposé se résorber rapidement. Cela conduit à s'interroger sur l'existence même d'un potentiel de rebond substantiel.

La prise en compte d'une telle hypothèse, qui mériterait selon nous d'être étudiée, se traduirait par un déficit structurel plus dégradé tout au long de la période de programmation ; elle pourrait conduire à des prévisions de croissance plus faibles.

S'agissant de la croissance de ce PIB potentiel, le Haut Conseil des finances publiques considère que l'estimation de 1 % en 2014 et 2015, et de l'ordre de 1,2 % en moyenne pour les années 2016 à 2019, constitue une hypothèse acceptable.

Ces estimations, qui sont également retenues par la Commission européenne, sont plus basses que celles retenues dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, et dans les programmes de stabilité et lois de finances ultérieurs - 1,5-1,6 % sur la période 2014-2017. Elles sont proches des dernières estimations du FMI et de l'INSEE, inférieures à celles publiées par l'OCDE, mais plus élevées que celles de la Banque de France.

J'en viens à présent aux prévisions macroéconomiques associées au projet de loi, qui portent sur l'horizon de la programmation, c'est-à-dire la période 2014-2019.

Permettez-moi d'aborder directement le moyen terme - je reviendrai sur les années 2014 et 2015 dans la suite de mon intervention sur les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015.

Par rapport aux prévisions associées en avril dernier au programme de stabilité, le Haut Conseil des finances publiques note que le Gouvernement a décalé dans le temps son scénario de reprise de l'environnement international, et revu à la baisse les perspectives de croissance à court terme. Ce scénario est ainsi moins optimiste que celui présenté en avril dans le programme de stabilité qui reposait, comme le Haut Conseil l'avait noté dans son avis, sur la réalisation simultanée de plusieurs hypothèses favorables, qui ne se sont malheureusement pas matérialisées.

À moyen terme, ses prévisions - 1,7 % en 2016 et 1,9 % en 2017 - reposent toutefois encore, selon nous, sur des hypothèses favorables quant à l'environnement extérieur et à l'effet des politiques économiques sur la compétitivité des entreprises françaises, l'investissement et l'emploi.

Le scénario reste entouré d'un certain nombre d'aléas, qui concernent notamment l'environnement international et l'investissement. La reprise du commerce mondial pourrait en particulier être moins rapide que prévu. De même, la reprise de l'investissement pourrait être moins marquée si les entreprises choisissaient de limiter leur endettement plutôt que d'investir, dans un contexte où l'amélioration de leur taux de marge serait lente. À l'inverse, le scénario du Gouvernement pourrait être conforté par une baisse de l'euro et, à moyen terme, par la mise en place d'un plan d'investissement européen.

J'en viens enfin à la cohérence de la programmation présentée par rapport à l'objectif à moyen terme et aux engagements européens de la France.

Cette programmation n'est pas cohérente avec les engagements européens de la France.

Dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance, la France s'est engagée, à l'occasion du programme de stabilité adressé aux autorités européennes en avril 2014, à ramener son déficit en deçà de 3 % du PIB d'ici 2015, et à améliorer son solde structurel de 0,8 point de PIB en 2014 et en 2015.

Or, dans la programmation présentée, le déficit effectif se maintiendrait au-delà de 4 % du PIB entre 2013 et 2015 et ne reviendrait pas sous le seuil de 3 % avant 2017.

L'ajustement structurel, c'est-à-dire la variation du solde structurel, pour chacune des années 2014 et 2015, est nettement inférieur au 0,8 % par an prévu dans le programme de stabilité d'avril 2014. Il serait de 0,1 point de PIB en 2014 et de 0,2 point en 2015, contre 0,8 point initialement prévu sur les deux années. En 2016 également, l'objectif a été revu à la baisse, à 0,3 point contre 0,5 point selon le programme de stabilité précité.

La France ne réaliserait pas l'ajustement structurel annoncé pour les années 2014 à 2017 pour plusieurs raisons.

La première raison réside dans le caractère relativement modéré de l'effort en dépense ; cet effort est en effet réduit par rapport au programme de stabilité, les objectifs de croissance des dépenses en valeur n'ayant pas été ajustés à la moindre inflation sur les années 2014 à 2016.

La deuxième raison, c'est la baisse des hypothèses de croissance potentielle, qui se répercute mécaniquement sur l'ajustement structurel.

D'autres effets jouent à la marge, concernant notamment la croissance spontanée des recettes, qui reste inférieure à celle de l'activité en 2014 et en 2015, et les nouvelles modalités de comptabilisation des crédits d'impôts.

Le respect des traités entraîne d'autres obligations, comme la convergence vers l'objectif à moyen terme (OMT). C'est en raison du faible rythme d'ajustement structurel que l'atteinte de l'OMT, qui a été revu à la baisse à - 0,4 % du PIB, est reportée à 2019, alors que le programme de stabilité l'avait fixée à 2017.

C'est également ce qui explique que le retour à un déficit effectif en deçà de 3 % du PIB, prévu pour 2015 par le programme de stabilité ait été reporté à 2017.

En outre, si cette nouvelle trajectoire est moins ambitieuse que les précédentes, son respect n'est pas acquis.

Il suppose en effet d'infléchir fortement - et sur toute la période de programmation - la croissance de la dépense publique.

Pour cela, les efforts déjà réalisés depuis 2011 en matière de croissance en volume de la dépense publique doivent être accentués.

Or, une partie des dépenses programmées repose sur des économies à réaliser par des administrations dont l'État ne maîtrise pas les leviers, notamment les collectivités territoriales, l'Unédic ou les régimes complémentaires de retraite, même si les règles de gouvernance ont été renforcées.

Aussi, en l'état des mesures annoncées, le Haut Conseil des finances publiques identifie un risque de déviation par rapport à la trajectoire vers l'objectif à moyen terme, trajectoire elle-même sensiblement décalée par rapport à la précédente loi de programmation et au dernier programme de stabilité.

Le HCFP était également appelé à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015, ainsi que sur la cohérence de ces projets avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Conformément à l'article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012 précitée, il lui était également demandé de formuler une appréciation sur les mesures de correction présentées par le Gouvernement à la suite du déclenchement du mécanisme de correction, en mai 2014.

Pour le présent avis, le cadre de référence reste bien la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, toujours en vigueur avant l'adoption, par le Parlement, d'une nouvelle programmation.

J'en viens directement aux principales conclusions de cet avis.

S'agissant des prévisions macroéconomiques tout d'abord, pour 2014, au vu d'un acquis de croissance à la fin du premier semestre aujourd'hui estimé à 0,3 %, et des dernières informations conjoncturelles disponibles, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du Gouvernement de 0,4 % est réaliste.

S'agissant de 2015, le Haut Conseil des finances publiques estime que la prévision de croissance de 1,0 % est optimiste. Elle suppose, en effet, un redémarrage rapide et durable de l'activité, ce que ne suggèrent pas les derniers indicateurs conjoncturels.

Ce scénario présente, par ailleurs, plusieurs éléments de fragilité, qui concernent à la fois la demande mondiale et la demande intérieure.

L'environnement international pourrait se révéler moins porteur, comme en attestent les dernières prévisions de croissance du commerce mondial de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui sont inférieures à celles du Gouvernement.

La reprise de l'investissement productif pourrait être retardée compte tenu du faible taux d'utilisation des équipements, de perspectives d'activité incertaines et de la faiblesse des taux de marge sur lesquels le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) n'a, pour l'instant, eu qu'un impact limité.

Le scénario présenté par le Gouvernement est entouré, par ailleurs, d'un certain nombre d'aléas qui concernent aussi bien l'environnement international que la demande interne.

J'en viens à présent à la cohérence des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Dans son avis relatif au solde structurel des administrations publiques de 2013, rendu public en mai dernier, le Haut Conseil des finances publiques a identifié un écart considéré comme important, au regard des traités et de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, de 1,5 point de PIB par rapport à la trajectoire définie dans la loi de programmation. Cela a déclenché le « mécanisme de correction ». Aux termes de l'article 23 de la loi organique, le Gouvernement doit tenir compte de cet écart dans le projet de loi de finances pour 2015 en prenant des mesures adéquates.

Le Haut Conseil constate que le Gouvernement ne corrige pas l'écart important par rapport à cette loi. Au contraire, celui-ci s'accroît en prévision pour 2014 et 2015.

Plutôt que de corriger cet écart, le Gouvernement fait le choix de définir une nouvelle trajectoire, intégrant les déviations passées, et fixant de nouveaux objectifs, dont l'ambition est revue à la baisse.

Ainsi, en 2015, l'ajustement structurel - ou l'amélioration du solde structurel - serait de 0,2 point de PIB contre 0,8 point dans le programme de stabilité d'avril 2014. L'écart s'explique en partie par la révision à la baisse de la croissance potentielle, mais il reflète également un moindre effort en dépense. L'objectif de progression de la dépense de 1,1 % en valeur est inchangé, malgré une inflation plus basse. Cela a pour conséquence une croissance en volume de la dépense publique, estimée en hausse de 0,2 %.

Au vu des mesures présentées par le Gouvernement, et des informations que le Haut Conseil des finances publiques a pu obtenir au moment de la rédaction de cet avis, en l'absence toutefois des éléments concernant le projet de loi de financement de la sécurité sociale, il estime que cet objectif de 1,1 % risque de ne pas être atteint.

Ces risques concernent notamment la masse salariale des administrations publiques et les dépenses publiques locales, dont l'inflexion dépendra du comportement des assemblées locales, en réaction à la baisse des dotations de l'État.

Par ces deux avis, le Haut Conseil exprime sa préoccupation quant à l'évolution des finances publiques. Alors que la France s'était engagée à réduire son déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2015, et à atteindre son objectif à moyen terme en 2017, ces engagements sont décalés dans le temps, et sensiblement revus à la baisse en raison, notamment, d'un ajustement structurel réduit. La faiblesse de cet ajustement structurel et son report dans le temps font peser un risque sur la trajectoire de la dette publique, qui continuera à augmenter.

Tels étaient les éléments que je souhaitais porter à la connaissance de votre commission. Je suis à présent à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je voudrais, en notre nom à tous, remercier le président du Haut Conseil des finances publiques de sa présentation.

Ma première question portera sur la portée des lois de programmation. Il semble en effet, selon vous, que le Gouvernement considère que la nouvelle loi de programmation rend caduque la nécessité de corriger les écarts par rapport aux précédentes orientations des finances publiques. Cela ne revient-il pas à ôter toute portée au mécanisme de correction ?

S'agissant en second lieu du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous avez été très clair concernant les hypothèses de croissance. Je reprends vos appréciations : « optimistes », « hypothèses trop favorables », « effort sur les dépenses trop peu documenté ». Cela conduit à s'interroger sur la crédibilité de ces hypothèses. Comment, selon le Haut Conseil des finances publiques, pourrait-on fiabiliser les hypothèses macroéconomiques sous-jacentes, qui conduisent à une mauvaise évaluation des recettes de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale ?

Par ailleurs, pour ce qui est des recettes, les hypothèses du projet de loi de finances sont très optimistes, notamment en matière d'impôt sur le revenu. À cet égard, l'avis du Haut Conseil est très peu développé. Vous évoquez assez rapidement une évolution spontanée du rendement de l'impôt sur le revenu de 2,6 %. Or, je ne vois pas de facteur qui, dans la conjoncture, laisse penser à une telle progression spontanée.

Concernant la TVA, le projet de loi de finances prévoit un rebond des recettes. On ne voit pas d'élément permettant de le prévoir de manière sérieuse !

Ces hypothèses de recettes sont-elles donc crédibles ? Le Gouvernement a-t-il encore péché par optimisme, de façon à afficher un déficit moindre, alors qu'on constate malheureusement depuis quelques années que les recettes ne sont jamais au rendez-vous ? Si on les gonfle artificiellement, la déconvenue risque d'être encore plus importante !

Quant aux dépenses, vous l'avez dit, la construction de ce budget repose sur une trajectoire pluriannuelle qui permet de réaliser, en théorie, 50 milliards d'euros d'économies, dont 21 milliards d'euros pour 2015. Ainsi que vous l'avez souligné, la documentation qu'a pu obtenir le Haut Conseil des finances publiques et le Parlement ne permet pas, à ce jour, d'identifier la provenance de ces 21 milliards d'euros. Avez-vous, à ce stade, des informations complémentaires ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - La commission des affaires sociales s'intéresse à la programmation des finances publiques, en raison de la part importante que prennent aujourd'hui les finances sociales. Elle y voit également l'opportunité de renforcer les outils de connaissance et de pilotage des finances sociales, actuellement marquées par une différence très importante entre le périmètre budgétaire qui forme le champ des lois de financement et celui des administrations de sécurité sociale (ASSO), sur lequel sont pris nos engagements européens en matière d'économies.

J'ai interrogé la ministre des affaires sociales sur le détail des économies envisagées dans les administrations de sécurité sociale, dont la Cour des comptes avait considéré au mois de juin dernier qu'elles n'étaient pas suffisamment documentées. Pour 2015, outre les 4,4 milliards d'euros réalisés sur l'assurance-maladie, la famille et la gestion des caisses, 4 milliards d'euros seraient imputables aux mesures déjà prises, et 1,2 milliard d'euros aux finances sociales hors PLFSS - Unédic et AGIRC-ARRCO. Le Haut Conseil a-t-il pu valider ces économies pour 2015, et sur le reste de la période de programmation ?

En second lieu, le pilotage global des finances publiques s'appuie notamment sur l'article liminaire du projet de loi de finances, qui distingue en particulier l'évolution du solde structurel ; nous souhaiterions que celui-ci soit décliné par sous-secteur, comme c'est le cas pour la programmation des finances publiques, et qu'un tableau renseigne les étapes du passage de la comptabilité nationale à la comptabilité budgétaire. Ces objectifs vous semblent-ils techniquement envisageables ?

M. Didier Migaud. - Les lois de programmation sont des lois ordinaires. Elles ne s'imposent donc pas aux lois de finances, même si elles constituent un cadre de référence. Il ne faut pas minorer la portée des engagements qui sont pris par la représentation nationale, d'autant que ceux-ci sont pris à la fois devant les citoyens français, mais aussi par rapport à nos partenaires européens.

Les lois de programmation et les programmes de stabilité permettent d'apprécier si les engagements sont respectés ou non. Le Haut Conseil ainsi que la Cour des comptes ne raisonnent qu'à partir des engagements qui vous sont proposés par le Gouvernement et que vous votez.

Le Gouvernement a choisi en l'espèce une nouvelle loi de programmation et non de corriger la trajectoire précédente. La correction du Gouvernement consiste en une nouvelle loi de programmation. Cette dernière repose, d'ailleurs, sur des hypothèses revues à la baisse, dont l'hypothèse de croissance potentielle, proposant de s'aligner sur celle retenue par la Commission européenne.

Quant aux recettes, les hypothèses sont plus crédibles que les précédentes et plus réalistes que les projections antérieures, notamment en ce qui concerne l'élasticité des prélèvements obligatoires. Nous nous interrogeons cependant sur l'impôt sur le revenu. Notre point de vue est toutefois en ligne avec l'appréciation optimiste que nous portons sur l'hypothèse de croissance pour 2015.

Si la croissance n'est pas à la hauteur de l'attente du Gouvernement, cela entraînera bien évidemment des conséquences sur le niveau des recettes.

Je reviens d'un mot sur la loi de programmation : vous pouvez modifier la trajectoire, mais les engagements que vous avez pris demeurent vis-à-vis de nos partenaires européens. Cela signifie que les lois de programmation, tout comme les engagements que prend un pays vis-à-vis de ses partenaires, ne sont pas sans portée.

Concernant les dépenses et les économies, au moment où nous avons exprimé notre avis, la totalité des économies annoncées n'étaient pas documentées. Tous les arbitrages n'étaient pas encore totalement rendus ; il existait, selon nous, notamment par rapport aux dépenses sociales, des interrogations autour de 2  à 3 milliards d'euros nécessaires pour atteindre la cible de 9,6 milliards d'euros. Ce n'est qu'après que le Haut Conseil s'est réuni que le secrétaire d'État au budget et la ministre des affaires sociales ont apporté des précisions complémentaires.

Le Haut Conseil des finances publiques ou la Cour des comptes, à l'occasion d'autres avis, constateront la réalité ou non de ces économies au fil de leur exécution. C'est tout ce que je puis dire en cet instant.

M. Serge Dassault. - Monsieur le Président, permettez-moi de formuler quelques remarques sur ce que vous venez de dire.

Vous affirmez que la croissance, en 2014, est réaliste. De laquelle parlez-vous, de celle de 1 % ou de 0,4 % ? Je pense que celle de 0,4 % est la plus réaliste.

M. Didier Migaud. - Pour 2014, il s'agit de 0,4 %.

M. Serge Dassault. - Vous qualifiez par ailleurs la prévision de croissance pour 2015 d'optimiste. Vous êtes gentil : elle est impossible ! Pourquoi la croissance ne reviendra-t-elle jamais en France si l'on ne prend pas de réelles mesures ? Tout d'abord, l'investissement productif demeurera toujours trop faible. En effet, les investisseurs sont partis, pour fuir l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), que l'on ne veut pas supprimer. Cela a une conséquence dramatique sur notre économie : on incite les gens qui en ont assez de payer des impôts sur un patrimoine qu'ils ont eux-mêmes construit à quitter notre pays. Il faut donc supprimer l'ISF, sans quoi on ne retrouvera pas de croissance.

Par ailleurs, l'impôt sur les plus hauts revenus est trop élevé et incite également les salariés, mêmes les moins riches, à s'expatrier pour pouvoir continuer à travailler normalement. Ces deux conditions sont donc fondamentales pour rétablir la croissance.

Le coût de production, en France est, en second lieu, trop élevé et nous ne sommes pas compétitifs. C'est la faute des 35 heures ! On ne doit pas y toucher, mais il faut bien reconnaître que les 35 heures de Madame Aubry ont mis la France à terre. Il faut les supprimer !

Sur un autre plan, pourquoi les charges sur les salaires abondent-elles le budget de la maladie et de la famille ? Cela n'a rien à voir avec l'entreprise !

Je souhaiterais que le président du Haut Conseil des finances publiques dise si ce que j'affirme est vrai ou non ! Je trouve sa position un peu trop tiède par rapport à la réalité. La réalité, il faut la connaître. La croissance est impossible à retrouver, du fait de l'ISF, des 35 heures, de l'impôt sur le revenu et des charges sur les salaires. Si ce Gouvernement ou les suivants ne veut pas traiter ces problèmes - ils n'ont d'ailleurs pas l'air d'avoir davantage compris, si j'en juge par les propositions des candidats - on n'en sortira jamais ! On ne peut travailler sans investissement, ni sans investisseurs. Or, il n'y en a plus.

J'aimerais donc savoir, monsieur le président, si vous êtes d'accord avec ces propositions, ou si vous considérez que je suis trop pessimiste.

M. Roger Karoutchi. - Monsieur le président, vous êtes probablement l'un des hommes les mieux informés en matière économique et financière, et l'un des esprits les plus libres et les plus indépendants qui soit. On écoute donc toujours avec beaucoup d'intérêt les analyses du Haut Conseil.

Vous estimez que les recettes vont être inférieures aux prévisions, tant pour ce qui est de la TVA que des rentrées fiscales classiques. Vous affirmez en revanche, fort tranquillement et sereinement - mais ce n'est qu'un constat -, que la réduction des dépenses n'est pas assez rapide. Elle n'est à peu près tenue qu'en matière de baisse des dotations des collectivités territoriales, car il est assez facile pour le Gouvernement de décider que nous aurons moins, nos collectivités n'ayant pas la capacité de réclamer davantage.

Le Gouvernement - et je ne fais pas là de politique politicienne - demande à Bruxelles de respecter la France. Nous devrions être sanctionnés. Il pourrait y avoir, de la part de Bruxelles, des commentaires très négatifs, voire un refus du budget de la France. Le Haut Conseil des finances publiques affirme que la trajectoire n'est pas respectée, pas plus que les perspectives, et que l'on va dans le mur. Bruxelles dénonce, le Haut Conseil des finances publiques avertit : quelles en sont les conséquences ?

Nous nous étions posé la question, ici même, de savoir si nous devions ou non donner au Haut Conseil le pouvoir de sanctionner le Gouvernement ou de lui délivrer des avertissements en cas de non-respect de la ligne financière. Nous en avons décidé autrement, et on a aujourd'hui le sentiment de ne pouvoir agir. L'analyse est juste, Bruxelles a raison, mais le Gouvernement continue tranquillement à mener la politique qu'il souhaite et à modifier les trajectoires !

Vous êtes le Premier président de la Cour des comptes, le président du Haut Conseil des finances publiques : selon vous, a-t-on ou non la capacité de modifier la politique d'un Gouvernement ? On élabore de belles analyses, mais il ne se passe rien, et cette politique nous conduit à la catastrophe !

M. Vincent Delahaye. - Je m'interroge, pour ce qui me concerne, sur l'utilité des lois de programmation et du Haut Conseil des finances publiques. On n'a pas voté, ici, la loi de programmation de décembre 2012, mais celle-ci nous paraissait déjà très optimiste ; on était alors persuadé qu'elle ne serait pas respectée. Aujourd'hui, on en a la preuve. Entre-temps, il ne s'est pas passé grand-chose. Aucune catastrophe internationale n'a emporté notre pays dans une tourmente considérable. La gestion du Gouvernement a été chaotique, aucune réforme structurelle n'est intervenue, et l'on reporte aujourd'hui nos objectifs, tout en ayant un doute sur le respect de la trajectoire, comme l'a indiqué le Haut Conseil des finances publiques.

Je me pose donc des questions sur l'utilité des lois de programmation qui ne sont pas respectées et que l'on peut modifier au bout de deux ans, avec des critères selon nous encore assez optimistes.

Lors du débat sur le Haut Conseil des finances publiques, je m'étais interrogé sur l'utilité de ce dernier. En effet, que fait le Gouvernement de l'avis motivé du Haut Conseil ? On a l'impression qu'il s'en moque ! On estime l'hypothèse de croissance pour 2015 optimiste, on émet des doutes sur le respect de la trajectoire jusqu'à 2019, mais on n'en tire aucune conséquence. Le citoyen a raison de se demander ce que font les parlementaires qui votent des textes qui ne tiennent pas la route !

Cela me pose un problème de fond, et j'aimerais connaître votre avis à ce sujet, monsieur le président, ainsi que sur la sincérité des prévisions. Les prévisions de recettes 2014 ont été considérablement modifiées. En juillet, on nous annonçait 0,7 % de croissance. On nous parle à présent de 0,4 %. En deux mois, on a presque diminué de moitié !

Je ne crois pas que la baisse des recettes de 15 milliards d'euros soit uniquement due à la différence entre le taux de croissance initiale et le taux de croissance aujourd'hui constaté. Je pense que cela va au-delà. N'existe-t-il pas un problème de sincérité des prévisions de recettes ? Cela pose une question de fond car, selon moi, les comptes doivent être prudents et sincères, les comptes publics encore plus que les autres. Or, on a aujourd'hui l'impression qu'ils ne sont ni prudents, ni sincères. C'est très grave pour la France !

M. Francis Delattre. - Monsieur le président, vous affirmez que nous sommes en décalage dans le temps par rapport aux objectifs fixés par l'Europe. Le problème vient du fait qu'il s'agit d'un deuxième et énorme décalage.

Pour beaucoup d'entre nous, cela ressemble davantage à un enfoncement continu.

J'ai deux questions à vous poser. Nous avons un indicateur indiscutable, celui de la dette. On a franchi les 2 000 milliards d'euros. En atteignant ou en dépassant un endettement de 100 % du PIB, n'entre-t-on pas dans une zone extraordinairement dangereuse ? Nous bénéficions actuellement de conditions d'emprunt très avantageuses, mais nous savons bien que la planche à billets ralentit et que l'argent sera forcément plus cher. Cet indicateur vous paraît-il inquiétant ?

En second lieu, pouvez-vous nous donner un exemple d'économies que vous avez préconisé ces deux dernières années et qui ont eu un début de réalisation ?

Enfin, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) constitue un « nouveau trou dans le fromage » : avez-vous analysé ses répercussions sur les résultats de l'impôt sur les sociétés ? La difficulté de réaliser des économies, conjuguée à des recettes fiscales qui se font attendre, nous place dans une situation très inquiétante.

Les intérêts des emprunts bancaires contractés par les entreprises ne sont plus fiscalement déductibles depuis la fin de 2012. Quel effet cette mesure peut-elle avoir sur les investissements des entreprises, ainsi que sur le montant et le rendement de l'impôt sur les sociétés ?

Mme Marie-France Beaufils. - Le président Migaud nous a précisé qu'il ne faisait qu'analyser les textes votés par le Parlement. On ne nous a cependant expliqué à aucun moment comment les dépenses fiscales, qui font perdre des ressources au budget de l'État, ont permis de redresser la situation économique. Il serait intéressant d'aborder la question sous cet angle.

Il serait également intéressant d'analyser une mesure emblématique comme le CICE, alors qu'on ne fait que se pencher sur l'estimation prévue dans les orientations. Je reste donc, de ce point de vue, sur ma faim.

Mme Fabienne Keller. - Ma question portera sur la baisse des dotations aux collectivités territoriales, programmée à peu près sur la même période. Avez-vous pu travailler sur son effet « boomerang » sur les comptes de l'État ? Si l'on peut penser qu'un ajustement du fonctionnement des collectivités interviendra sûrement, celui-ci prendra du temps. Il y aura donc un fort ajustement en matière d'investissements, conduisant à un moindre volume de commandes et à une baisse de l'impôt sur les sociétés et des charges sociales ainsi, un à deux ans plus tard, qu'à des augmentations de charges liées au RSA et aux autres minima sociaux en rapport avec le chômage induit. Existe-t-il une mesure quantitative dans ce domaine ? Je me suis essayée à un exercice extrêmement grossier, en estimant, sur 11 milliards d'euros, à environ 4 milliards d'euros, en régime courant, le manque de recettes pour l'État. Cela rappelle l'augmentation attendue des recettes de 50 milliards d'euros pour 2013, qui n'ont finalement rapporté que 25 milliards d'euros.

Je voudrais par ailleurs dire ma tristesse face à la campagne de presse de ce matin, sur les « mauvais comptes de nos communes », à la suite de la publication par la Cour des comptes d'un rapport sur les finances locales. Vous me direz que vous n'y êtes pour rien. Dans votre conférence de presse, vous avez précisé que les dépenses de fonctionnement des communes et des intercommunalités dérapent, 40 % de leur hausse étant directement imputable à l'État. Avez-vous pris en compte les normes d'encadrement qui ont un effet considérable sur les charges salariales des services périscolaires ? Avez-vous pris en compte les nombreuses évolutions des statuts professionnels des agents de l'État, qui ont provoqué des surcoûts ?

On a vu, cet été, lors de la compagne pour les sénatoriales, des adjoints repeindre eux-mêmes des cours d'écoles et planter les espaces verts. Je voudrais pointer ici l'hétérogénéité de la situation réelle des collectivités. Il existe sûrement des endroits où l'on peut faire plus rigoureux, mais beaucoup de communes et d'intercommunalités ne font pas si mal que cela, et ont un réel souci d'économies.

Ne devrions-nous pas tous changer de discours ? Chacun doit faire sa part dans cet effort budgétaire indispensable. Nos concitoyens en sont totalement conscients et accomplissent d'ailleurs cet effort sur leur propre budget. Cette contribution devrait permettre à la France - État central, collectivités ou des différentes agences - de s'en sortir !

M. Jean-Claude Boulard. - Monsieur le président, je me garderai bien de faire des commentaires sur les prévisions, de crainte d'ajouter de l'erreur à l'erreur ! Citez-moi en effet une prévision, quel que soit l'organisme qui l'ait produite, qui se soit jamais révélée exacte ! Je serai le premier étonné.

Vous avez, à plusieurs reprises, fait le lien entre vos prévisions et la dépense publique locale. C'est autour de celle-ci que je voudrais faire quelques commentaires, et formuler quelques interrogations.

Cela coïncide avec la présentation, hier, du rapport sur la gestion des collectivités locales, assorties de commentaires du Premier président et de ses collaborateurs, qui ont pu en choquer certains. Je partage totalement le sentiment de Fabienne Keller sur ce point.

A-t-on mesuré les conséquences des baisses des dotations sur le secteur du bâtiment et des travaux publics et sur les prévisions de croissance qui viennent d'être présentées ? Je tiens à votre disposition la presse locale de mon département. Les titres en sont les suivants : « Les travaux publics en panne » - Maine Libre - ; « Les patrons des travaux publics dans la rue » - Ouest France. Cela contraste singulièrement avec les propos tenus hier à propos de la baisse des dotations, qui ne doit pas avoir d'influence sur le secteur des travaux publics, la croissance ou les prévisions.

En second lieu, j'ai découvert que nous étions en déficit. Tous nos comptes administratifs sont en excédent ! C'est la première fois que l'on parle du déficit dans des propos officiels, confondant l'emprunt qui vient couvrir des déficits de fonctionnement, qui est en effet un emprunt parfaitement condamnable, que pratique l'État, et l'emprunt qui vient financer de l'investissement amorti sur plusieurs générations, avec un taux d'autofinancement raisonnable. Il est incroyable qu'aucun responsable de ce pays ne relaye une réflexion qui est en train de se dessiner à Bruxelles pour ne plus confondre, au sein de la dette publique, la mauvaise dette, liée au fonctionnement, avec la dette liée à l'investissement !

Enfin - et j'espère que vous n'y verrez pas malice - pour répondre aux donneurs de leçons, je me suis permis d'étudier l'évolution du budget de fonctionnement des juridictions financières. Je m'attendais à y trouver des baisses de dépenses de fonctionnement. Quelle n'a pas été ma surprise, à la lecture de vos rapports, de découvrir qu'il n'en est rien ! Voici quelques chiffres : en 2010, les dépenses de personnel des juridictions financières ont représenté 165 millions d'euros ; en 2013, elles s'établissent à 175 millions d'euros, soit une augmentation de 6 %.

De la même manière, les dépenses de fonctionnement sont passées de 27 millions d'euros à 28 millions d'euros. Les dépenses d'investissement ont quant à elles enregistré 36 % d'augmentation entre 2012 et 2013, certes pour des sommes modestes. Mais il me semble qu'il va falloir introduire une certaine cohérence entre les discours extrêmement rigoureux qui nous pointent du doigt de façon très injuste, il me semble, et l'évolution de la dépense publique, y compris celle des juridictions qui sont là pour nous rappeler à l'ordre. Il y a là, me semble-t-il, une petite contradiction que je souhaitais souligner et que je continuerai à relever tant qu'on nous donnera des leçons.

M. Michel Bouvard. - Je n'ai pas de doute sur l'utilité du Haut Conseil des finances publiques, qui apporte un éclairage indépendant, ni sur la loi de programmation des finances publiques, qui permet d'assurer le suivi et la cohérence du cycle budgétaire triennal, avec les moyens qui sont accordés aux ministères.

Cependant, je me pose les mêmes questions que chacun sur l'impossibilité de réduire l'écart entre les prévisions et la réalité des choses.

Le Haut Conseil a-t-il été amené à s'intéresser à des comparaisons européennes pour déterminer si les recettes de notre pays ont ou non une moins grande élasticité par rapport aux autres ? A-t-il une plus grande difficulté d'adaptation de la dépense aux éléments conjoncturels ? Nos constructions budgétaires sont-elles plus sensibles, en période de redressement, au ralentissement économique ? Pour le reste, il est patent que nous n'avons pas le même rythme que les autres s'agissant des réformes structurelles attendues.

Par ailleurs, pouvez-vous nous apporter un éclairage sur ce que vous avez voulu dire en évoquant la perspective de croissance, dont vous avez estimé qu'elle n'était pas totalement exclue dans les années à venir ? Le HCFP a-t-il pu chiffrer ce que nous pourrions attendre d'un plan de relance européen des investissements ?

Enfin, concernant les collectivités locales, Fabienne Keller a estimé que la décision de réfaction de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et des autres dotations va prioritairement avoir un effet sur l'investissement. La méthode de réfaction retenue par le Gouvernement, sans prendre en compte le fait qu'il existe des collectivités qui laissent filer les dépenses de fonctionnement et d'autres qui investissent, est-elle la bonne ? Le Haut Conseil des finances publiques ne considère-t-il pas qu'il conviendrait de différencier les collectivités vertueuses, qui tiennent leurs dépenses de fonctionnement, de celles qui le sont moins, et qui les laissent filer ? Cela permettrait sans doute une péréquation plus juste et plus équitable.

M. Maurice Vincent. - Monsieur le président, je tiens à saluer la qualité de votre présentation et sa rigueur mais, paradoxalement, je veux également insister sur un point qui n'a pas été abordé, qui me paraît essentiel dès lors qu'on réfléchit à l'évolution de la politique des finances publiques de notre pays. Il s'agit du lien avec le contexte macroéconomique. De ce point de vue, je trouve normal que le Gouvernement, compte tenu des évolutions, ait proposé une nouvelle loi de programmation.

Si l'on veut porter un jugement sur les objectifs qui ne sont pas remplis et les perspectives de croissance qui ont tendance à se dégrader encore, on ne peut faire abstraction du contexte macroéconomique. Celui-ci s'est traduit ces dernières années par plusieurs événements très importants - erreurs majeures de prévision du consensus des économistes pour 2013-2014, inflation en baisse à 0,3 % en septembre 2014, voire à 0 % si l'on tient compte des politiques fiscales, perspectives d'évolution du PIB à la baisse.

Nous allons vers la déflation, la baisse des prix et celle de l'activité. C'est indiscutable et cela a d'ailleurs été mis en évidence par le fonds monétaire international (FMI) et l'OCDE. C'est dans ce contexte qu'il faut relever les écarts que vous observez, mais aussi se poser la question de savoir s'il est raisonnable de demander encore davantage d'économies. Je ne le pense pas. La position actuelle de la France est raisonnable : c'est l'Europe qui ne l'est pas - mis à part Mario Draghi, qui a compris la gravité de la situation.

Ce n'est pas pour cela que nous allons convaincre les Européens en quelques minutes. D'autres que nous s'y sont déjà attachés sans succès.

C'est bien ce contexte qui est devant nous et c'est pourquoi je considère que l'urgence, dans les mois qui viennent, réside dans le soutien à la demande. Cela rejoint ce que disait notre collègue Michel Bouvard : l'effort demandé aux collectivités territoriales est considérable. Il faut tout faire pour que celles qui investissent ne soient pas pénalisées. Vous connaissez aussi bien que moi les conséquences d'un effondrement de l'investissement public local. On pourrait donc réfléchir à des systèmes qui encouragent les collectivités à investir.

Avez-vous, enfin, des informations sur le plan de relance européen de 300 milliards d'euros ? Il faudrait que celui-ci soit mis en oeuvre rapidement, afin de doper la relance européenne, limiter le risque de déflation et nous ramener à l'équilibre des finances publiques.

- Présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente -

M. Didier Migaud. - Répondre à certaines questions me ferait sortir de la condition qui est la mienne, compte tenu du fait que les missions du Haut Conseil des finances publiques sont très circonscrites par la loi organique. Nous devons exprimer des avis sur des hypothèses macroéconomiques et sur la cohérence des conséquences qu'en tire le Gouvernement sur la loi de programmation et sur les lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Le parti pris en France, par rapport aux traités européens, a plutôt été minimaliste. Il ne m'appartient pas de l'apprécier. Nous exécutons et nous exerçons les missions qui nous sont confiées par la loi.

D'autres instances équivalentes ont des missions plus importantes, comme celle d'arrêter elles-mêmes les hypothèses macroéconomiques. C'est le cas du Royaume-Uni, ou de l'Espagne.

Beaucoup de questions ne concernent donc pas le président du Haut Conseil des finances publiques. Certaines peuvent s'adresser davantage au Premier président de la Cour des comptes. J'essayerai d'y répondre.

S'agissant des hypothèses de croissance, ainsi que Jean-Claude Boulard l'a remarqué, la prévision est un art difficile. Il ne nous est d'ailleurs pas demandé d'émettre une prévision, mais seulement d'exprimer un avis sur une prévision et sur des hypothèses macroéconomiques.

Nous essayons de le faire à partir de données objectives et à partir d'auditions que nous organisons - Insee, OFCE, Rexecode, Commission européenne, FMI, OCDE, prévisionnistes, économistes. Nous essayons de nous forger notre opinion pour exprimer un avis.

Pour 2014, compte tenu du fait qu'il existe déjà un acquis de croissance de 0,3 %, nous avons estimé crédible l'hypothèse à 0,4 %.

Pourquoi avons-nous qualifié d'optimiste la prévision 2015, alors même que le consensus des économistes l'établit ces dernières semaines plutôt autour de 1 % ? Le FMI vient d'ailleurs de citer ce chiffre. On voit bien, au fil du temps, qu'un certain nombre d'organismes sont en train de réviser leurs hypothèses pour 2015, compte tenu d'un environnement international qui peut être très fragilisé, où les aléas baissiers sont plus importants que les événements porteurs en matière d'activité.

Si nous avons jugé ces prévisions optimistes, c'est que les enquêtes qui nous parviennent de la Banque de France ou de l'Insee sur l'activité pour le troisième trimestre ne nous paraissent pas correspondre à une reprise. Il en va de même des indicateurs les plus récents, pour lesquels les prévisions restent atones.

Nous risquons donc de partir avec un acquis de croissance faible, autour de 0,1 % en fin d'année. Les trimestres à venir doivent donc être au moins de 0,3 % pour parvenir à 1 %.

Pour le moment, ce que nous constatons dans les enquêtes ne nous permet pas de dire autre chose que ce que nous avons dit à propos du caractère optimiste des prévisions.

Cela signifie-t-il que ces hypothèses sont insincères ? Ce n'est pas à nous de l'apprécier, mais au Conseil constitutionnel. Optimiste ne veut pas dire infaisable. Si tous les aléas se retournent, cela peut conforter l'hypothèse de croissance du Gouvernement. Certains événements jouent positivement, comme la baisse de l'euro ou le plan européen de croissance, qui mettra certes un peu de temps à se mettre en place, mais qui peut améliorer la situation.

En revanche, il existe beaucoup d'aléas baissiers et beaucoup d'inconnues, même en matière de commerce mondial. On voit que les hypothèses du Gouvernement restent plus optimistes que celles qui viennent d'être révisées par l'OMC. Un des enjeux reste d'ailleurs la capacité de la France à répondre à l'augmentation de la demande mondiale. Si celle-ci est plus ralentie que prévu, on en profitera moins. Il faut également tenir compte du problème de la compétitivité de nos entreprises : sont-elles en situation de répondre à l'augmentation de la demande ?

Voilà pourquoi nous considérons qu'une hypothèse de croissance de 1 % est optimiste.

Le Haut Conseil des finances publiques est-il utile ? Je pense que le Gouvernement est attentif aux avis que nous pouvons exprimer. Il n'y a qu'à considérer les réactions suscitées par ceux-ci dans le débat public. Je pense que l'existence même du Haut Conseil conduit les gouvernements, quels qu'ils soient, à être plus prudents dans les hypothèses macroéconomiques qu'ils retiennent. Ils savent que le Haut Conseil existe, et qu'il est composé de magistrats, mais aussi d'économistes désignés par des personnalités de toute sensibilité politique, qui peuvent apporter un avis le plus éclairé possible. Cela compte sûrement dans les raisonnements du Gouvernement. Cela peut donc être utile, d'autant que le Haut Conseil ne coûte pas grand-chose, son budget de fonctionnement ayant été pris sur celui de la Cour des comptes. Le mandat de ses membres est gratuit, même pour ceux qui ne sont pas magistrats de la Cour des comptes et représentent la société civile. C'est d'ailleurs un des rares organismes pour lesquels les missions ne sont pas indemnisées. Son budget ayant été pris sur celui de la Cour des comptes, ce dernier a d'ailleurs plutôt baissé - mais j'y reviendrai.

Par ailleurs, je pense que les lois de programmation des finances publiques sont utiles. Il est essentiel d'avoir une vision pluriannuelle lorsqu'on analyse les finances publiques. Il est sûr que les lois de programmation n'ont pas suffisamment de force par rapport aux lois de finances. Cela étant, c'est le législateur que vous êtes qui en a décidé ainsi. Vous n'avez pas confié de force supérieure aux lois de programmation. Il aurait d'ailleurs vraisemblablement fallu modifier la Constitution, ce qui n'était pas possible, en l'état des majorités en présence et des débats au sein même du Parlement. Je pense une fois de plus que c'est un exercice utile.

Quant à l'élasticité des recettes, on constate que les hypothèses, ces dernières années, ont été optimistes. C'était le cas en 2013, et encore en 2014, avec une élasticité de 1 qui s'est révélée être de 0,7. Celle-ci est assez sensible à la conjoncture. Il faut donc pouvoir en tenir compte ; c'est pourquoi le Haut Conseil des finances publiques et la Cour des comptes invitent à être raisonnables en la matière.

Une dette de 100 % est-elle plus grave qu'une dette de 99,9 % ? C'est un peu de même nature. Il faut également tenir compte de la psychologie. L'économie est également constituée d'irrationnel, il faut y prendre garde. Il existe une part de subjectivité dans l'appréciation des acteurs économiques. Nous sommes déjà dans une zone dangereuse, et la dette va continuer à augmenter en 2015. Elle va donc se rapprocher des 100 % et, a priori, va augmenter encore en 2016, voire en 2017, compte tenu des projections.

Les économistes sont très partagés sur ce sujet. Certains disaient que 90 % étaient la limite à ne jamais franchir. On a dépassé 90 %, et il ne s'est rien passé ! Les spreads nous sont toujours favorables et l'on continue à emprunter à des taux très bas. Cela a d'ailleurs des effets pervers, l'endettement augmentant et la charge de la dette diminuant comme par miracle. Cette situation est toutefois extrêmement fragile. Tout retournement peut être extrêmement lourd de conséquences : 1 % d'augmentation des emprunts peut représenter plusieurs milliards d'euros, dont 2 à 3 milliards la première année qui suit, le coût devenant ensuite exponentiel !

Si l'on veut conserver des marges de manoeuvre, il faut donc maîtriser la dette. Cela signifie qu'il convient de maîtriser les finances publiques. Oui, nous avons recommandé certaines économies qui sont mises en oeuvre. Un certain nombre de recommandations de la Cour des comptes peuvent être suivies. C'est le cas des dépenses de personnel ou d'un certain nombre de niches fiscales ou sociales qui ont été remises en cause. Nous estimons qu'il faut amplifier les efforts en matière d'assurance-maladie ; des économies sont possibles, sans remettre en cause ni la qualité ni l'accès aux soins. Certaines choses ont déjà été entreprises dans le domaine du médicament ou de la biologie médicale. Il faut amplifier ces efforts. Il existe des marges importantes par rapport à ce qui se fait dans un certain nombre d'autres pays.

Marie-France Beaufils a demandé si l'on avait évalué l'impact récessif des économies. Le Haut Conseil des finances publiques n'a pas nié qu'il puisse exister pour certaines dépenses. Il faut le mettre en regard de ce qui se passe dans les autres pays. La France peut-elle se permettre de continuer à avoir une tenue de comptes atypique par rapport aux autres pays et au marché financier, à partir du moment où nous sommes dépendants de ceux-ci ? Le redressement des comptes publics est une nécessité de ce point de vue.

Je suis d'accord avec Marie-France Beaufils sur le fait qu'il faut s'interroger sur l'efficience d'un certain nombre de dispositifs, non seulement en matière de dépenses fiscales, mais également de dépenses publiques.

Il ne m'appartient pas d'apprécier si le niveau de dépenses publiques de notre pays est le bon ou non, mais nous constatons qu'il est élevé par rapport à des pays comparables. La question qui se pose est de savoir si la France obtient des résultats à la hauteur des crédits que nous consacrons aux politiques publiques. La réponse est non - et vous le savez ! Nous vous invitons à vous intéresser davantage - bien que le Sénat le fasse plus que l'Assemblée nationale - au contrôle de l'exécution.

Prenez le secteur du logement, auquel nous consacrons 46 milliards d'euros. En a-t-on pour notre argent ? Non ! Quant à la formation professionnelle, c'est presque une caricature. Il en va de même des aides à l'emploi, ou de l'éducation nationale. La France consacre à ce domaine plus de crédits que bien d'autres nations, avec des résultats de plus en plus médiocres par rapport à ces derniers, et des enseignants plus mal payés que dans les autres pays. Il y a donc là un sujet.

S'il y avait un lien entre le niveau de dépenses publiques et la croissance, nous serions les champions du monde de la croissance ! Je l'ai dit récemment à l'Assemblée nationale. Notre niveau de dépenses publiques est parmi les plus élevés du monde. S'il existait un lien automatique, nous devrions avoir la croissance la plus élevée du monde. Or, ce n'est pas le cas ! Il faut donc s'interroger sur l'efficacité de la dépense publique, et nous pensons qu'il y a là des marges.

Plusieurs d'entre vous ont exprimé leur tristesse - pour conserver un langage diplomatique, - Jean-Claude Boulard ayant eu des expressions plus imagées - estimant que la Cour des comptes jouait les donneuses de leçons. Non, la Cour des comptes ne donne de leçons à personne ! Elle n'opère pas non plus les confusions que vous lui prêtez. Je vous demande de lire l'original du rapport de la Cour des comptes, et non les commentaires ou les articles de presse. Vous vous rendrez compte que la Cour des comptes ne stigmatise pas les collectivités territoriales, ni les élus locaux. Ce n'est pas son propos.

Notre rapport évoque des données nationales objectives, et part des enquêtes des chambres régionales des comptes. Nous parlons de 2013, quand vous parlez de 2015. Nous affirmons que la situation financière des collectivités territoriales s'est dégradée. Ce sont les chiffres qui le montrent. La Cour des comptes ne fait que le constater. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à le dire. L'endettement des collectivités territoriales et les dépenses de fonctionnement ont augmenté plus que les recettes. Ce sont là des réalités objectives. On peut ensuite les présenter comme on veut.

Des réductions de dotations sont intervenues en 2013 et 2014, plutôt faibles par rapport à celles qui sont envisagées pour 2015 à 2017. Pour le moment, elles n'ont pas entraîné de réductions de l'investissement des collectivités territoriales. Celui-ci a augmenté en 2013. Certes, ceci est lié au cycle électoral, mais nous l'analysons. Je l'ai dit, je le répète systématiquement lorsque je m'exprime, et nous l'écrivons dans le rapport de la Cour des comptes : la dette des collectivités territoriales n'est pas de même nature que la dette de l'État ou de la sécurité sociale. Les magistrats ont, je pense, une certaine connaissance de la réalité locale : ne leur faites pas l'affront de penser qu'ils ignorent que les collectivités territoriales ne peuvent pas emprunter pour couvrir des dépenses de fonctionnement. La dette n'est donc pas de même nature.

Toutefois, lorsque vous empruntez, vous augmentez la dette, et celle-ci est englobée dans la dette prise en compte par l'application des règles européennes. Nous l'expliquons en toutes lettres dans le rapport.

Les objectifs de la loi de programmation indiquaient que les collectivités territoriales devaient « contribuer » à hauteur de - 0,2 % à l'ensemble du déficit des administrations publiques. Le résultat est de 0,4 %. Il y a donc eu un certain dérapage, et nous le constatons. Il n'y a d'ailleurs pas que les collectivités territoriales qui ont pu globalement déraper par rapport aux objectifs assignés dans la loi de programmation : l'État et la sécurité sociale n'ont pas non plus respecté tous leurs objectifs. Nous le disons le plus objectivement possible, sans mettre personne en cause.

Nous affirmons qu'il existe des marges sur les dépenses de fonctionnement - et nous l'assumons. Nous exprimons d'ailleurs des interrogations sur le fait qu'une réduction des dotations de 11 milliards d'euros, à raison de 3,7 milliards par an, peut ne pas entraîner de réduction équivalente de la dépense des collectivités territoriales.

Ce que vous dites confirme d'ailleurs nos interrogations sur ce point. Les choses ne sont pas automatiques : on a vu que de la réduction des dotations en 2014 ne s'est pas traduite par une réduction à due concurrence de l'investissement des collectivités territoriales.

Nous avons fait une analyse sur 2013 et sur le début de 2014. Vous évoquez quant à vous 2015. Ce n'est pas la Cour des comptes qui vote les textes ! C'est à vous que sont proposées un certain nombre de décisions, dans le cadre des lois de finances. Le scénario de finances publiques propose une maîtrise de la dépense que nous n'avons jamais connue en France dans de telles proportions. Il s'agit donc d'efforts réels, qui ont d'ailleurs commencé en 2011.

Le rythme d'évolution de la dépense, on le voit, a sensiblement baissé, même si elle continue à augmenter. Il faut parfois relativiser le terme d'« austérité ». La dépense ne se réduit pas. Affirmer que le Gouvernement affiche une politique ambitieuse en termes de maîtrise de la dépense publique est un raisonnement très franco-français. Des pays comme l'Allemagne, les Pays-Bas, ou le Canada, dans d'autres circonstances, ont réduit leurs dépenses. Nous ralentissons, quant à nous, le rythme d'augmentation de la dépense publique : c'est de nature totalement différente, mais cela représente un effort. Ce que nous voulons dire, c'est qu'il existe des marges.

Expliquer que l'augmentation des dépenses de personnel a pour seule explication des décisions de l'État n'est pas tout à fait juste. Mais certaines pèsent sur les collectivités territoriales, c'est évident, et nous l'affirmons noir sur blanc dans le rapport.

Nous invitons d'ailleurs l'État à balayer devant sa porte, à moins user de son pouvoir normatif, qui a des conséquences sur les dépenses des collectivités territoriales. Le fait que l'État prenne des décisions touchant les catégories C, les rythmes scolaires, les sapeurs-pompiers professionnels, entraîne bien évidemment des conséquences sur les budgets des collectivités territoriales.

Dire que les collectivités territoriales ne sont pas en quoi que ce soit responsables de l'augmentation des dépenses de personnel n'est pas vrai. Nous avions mené ce travail à propos des dépenses de 2012, en tentant de pénétrer dans le détail des dépenses, afin d'étudier ce qui relevait de l'État et des collectivités territoriales. Nous avions établi un rapport de 60-40, le second chiffre concernant l'État.

Nous allons essayer de continuer ce travail de la façon la plus objective possible, en contradiction avec les associations d'élus. Vos appréciations m'attristent, car le procès fait à la Cour des comptes n'est pas fondé.

Nous ne voulons pas remettre en cause ce que font les élus. Le rapport met donc en avant un certain nombre de bonnes pratiques. Il existe des marges possibles à l'échelon de l'intercommunalité, par exemple en mutualisant davantage certains domaines. Certaines collectivités ont ainsi fait en sorte que les compétences soient pleinement transférées, afin que celui qui a transféré les compétences ne les exerce plus et n'ait plus de dépenses à réaliser à ce titre. Il faut que l'État fasse la même chose : lorsqu'il transfère des compétences, il ne faut pas qu'il continue à vouloir les exercer ! L'État doit donc clarifier ses compétences avec les collectivités territoriales et celles-ci doivent également réaliser un effort de clarification entre elles.

Je suis quelque peu sorti de l'ordre du jour, mais je pense que cet échange était utile.

Pour répondre à Jean-Claude Boulard, le budget de la Cour des comptes est très contraint, et nous nous efforçons d'être en totale cohérence avec les constats et les recommandations que nous formulons.

Notre budget comporte essentiellement des dépenses de rémunération. La Cour des comptes, comme le Conseil d'État et l'Inspection des finances, est un grand corps, et ses rémunérations sont connues. D'ailleurs, les rémunérations des fonctionnaires de catégorie A +, depuis quelques années, sont bloquées non seulement par l'indice, mais en outre par les cotisations supplémentaires pour les retraites. Les traitements diminuent donc plutôt. Depuis deux ans, j'ai également bloqué les régimes indemnitaires.

Vous faites apparaître une augmentation de l'investissement, mais il faut aller jusqu'au bout...

M. Jean-Claude Boulard. - Je n'ai pas parlé de l'investissement, mais du fonctionnement ! J'ai cité des chiffres, et je les diffuserai. Entre 2010 et 2013, les dépenses de personnel sont passées de 165 millions d'euros à 175 millions d'euros. C'est dans votre rapport ! Si vous donnez de mauvais chiffres, c'est grave.

M. Didier Migaud. - Il faut étudier les progressions nettes. Le budget de la Cour des comptes est stabilisé dans son ensemble, et nous avons réduit nos dépenses de fonctionnement. Nous avons toutefois réorganisé notre réseau de chambres régionales, ce qui a impliqué une augmentation des dépenses de personnel sur une année donnée, un certain nombre d'indemnités étant prévues dans ce cadre. Cela a également entraîné, dans un premier temps, quelques travaux supplémentaires.

Sur le moyen terme, nos budgets ont cependant baissé. Nous avons ainsi pu augmenter les effectifs chargés du contrôle des juridictions financières, à moyens constants. En effet, en réorganisant notre réseau, nous avons supprimé un certain nombre d'emplois dans les fonctions supports, que nous avons transformés en personnel de contrôle.

Sur 10 000 euros de dépenses publiques, 2 euros reviennent aux juridictions financières. Est-ce trop pour le contrôle extérieur ? La Cour des comptes emploie, en France, 700 personnes, contre 860 au Royaume-Uni et 1 300 en Allemagne, pour des missions moins importantes que les nôtres. Je continue de penser qu'une institution supérieure de contrôle, qui est une juridiction, qui apporte un regard extérieur, au vu de ses missions, peut justifier son budget, d'autant que nous avons réduit nos dépenses de fonctionnement. Notre parc de voitures de fonction et de service s'élevait à huit véhicules ; nous n'en avons aujourd'hui plus que deux.

Nous essayons d'être exemplaires. Je vous invite quand vous voulez pour le vérifier, monsieur le sénateur.

Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Monsieur le président, je vous remercie de vos réponses.

Je pense qu'il conviendra de tirer le bilan de la réduction des dotations aux collectivités avec les comptes administratifs de celles-ci. Tant que l'on n'en dispose pas, il est difficile d'en mesurer les conséquences. Il faut donc se donner un peu de temps pour cela.

La réunion est levée à 13 heures 10.

Contrats de plan État-régions (CPER) - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

La réunion est ouverte à 14 h 35

Au cours d'une troisième séance tenue l'après-midi, la commission procède à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les contrats de plan État-régions (CPER).

Mme Michèle André, présidente. - Notre première audition pour suites à donner de cette nouvelle mandature concerne une enquête que nous avions confiée, il y a près de deux ans, à la Cour des comptes sur les contrats de plan État-régions (CPER), appelés contrats de projets pour la seule période 2007-2013. L'étude a été suivie par notre collègue Frédérique Espagnac, alors rapporteure spéciale, et nous avons reçu le rapport de la Cour le 28 juillet dernier. Nous avions demandé ce travail à la Cour des comptes car la génération de contrats 2007-2013 arrivait à son terme et qu'il était important de bien identifier ses points forts et ses points faibles, afin d'améliorer le contenu de la nouvelle génération de contrats. La nouvelle génération de contrats de plan doit maintenant couvrir la période 2015-2020, suite à la prolongation sur 2014 de la précédente génération.

En 2000, notre ancien collègue Pierre André, sénateur de l'Aisne, avait rendu un rapport au titre évocateur « les contrats de plan État-régions : une ambition inachevée ». Il y relevait déjà un cadre fixé unilatéralement par l'État, des négociations déséquilibrées, des actions hétéroclites et parfois floues, une coordination interministérielle insuffisante, un saupoudrage des crédits, des engagements financiers insoutenables et donc non respectés ou, encore, un suivi inégal et approximatif. La Cour des comptes nous dira si ces travers ont été résolus. Jean-Luc Lebuy, président de la formation inter-juridictions ayant mené les investigations, va nous l'indiquer. Nous entendrons ensuite le rapporteur général qui posera quelques questions, puis la réaction du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), représenté par Caroline Larmagnac, qui en dirige la mission contractualisation et partenariats territoriaux ; le délégué général de l'Association des régions de France, Gilles Mergy s'exprimera ensuite sur la question.

M. Jean-Luc Lebuy, conseiller-maître à la Cour des comptes. - Cette enquête demandée par votre commission en novembre 2012 a été conduite par quatre chambres de la Cour des comptes et quatre chambres régionales : celles d'Île-de-France, d'Auvergne et Rhône-Alpes, de Basse et Haute-Normandie et, enfin, de Nord-Pas de Calais et Picardie. Les nombreux rapporteurs ont rencontré plus de cent vingt personnalités : élus locaux, membres de cabinets ministériels, hauts fonctionnaires notamment de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), devenue CGET. Les CPER 2007-2013, objet de cette enquête, souffrent des mêmes faiblesses que leurs prédécesseurs, relevées dans le rapport du Sénat cité par la présidente, comme dans le référé sur la génération précédente de contrats rendu par la Cour en 2006, dont Philippe Séguin était alors premier président. Malgré les progrès réalisés, les faiblesses ont largement subsisté, notamment six d'entre elles.

Tout d'abord, l'absence de stratégie nationale définie en amont de la signature des contrats. Aux termes de la loi du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification, non abrogée, les CPER devaient mettre en oeuvre au niveau régional le plan de la nation. Certes, le plan quinquennal, cette « ardente obligation » pour le général de Gaulle, a perdu le rôle majeur qu'il avait joué pendant les trente glorieuses ; mais la loi prévoyait logiquement que les CPER, s'échelonnant sur cinq ou six ans et portant sur plusieurs milliards d'euros, s'inscrivent dans une stratégie définie par l'État, soumise au vote du Parlement. Or aucune génération n'a fait l'objet d'un vote, ni même d'un débat, dans les assemblées. Il n'est pas anodin que les contrats de 2007-2013 aient substitué le mot « projet » au mot « plan » - même si nous pourrions en revenir à ce dernier terme, à partir de 2015. Ils ont été définis par des circulaires du Premier ministre.

Deuxième faiblesse, l'insuffisante préparation de certaines opérations, dépourvues d'études d'impact et dont on ignorait la faisabilité physique ou financière. Conséquence logique, les taux d'exécution sont très inégaux, certaines opérations ne sont jamais engagées.

La multiplication des priorités, conduisant au saupoudrage des crédits, est un autre travers, le troisième. Certes, sur 2007-2013, les transports ainsi que l'université et la recherche ont concentré respectivement 27 % et 24 % des crédits de l'État d'une part, et 38 % et 18 % de ceux des régions, d'autre part ; mais l'autre moitié des crédits était saupoudrée sur une foule de projets concernant l'écologie, l'agriculture, l'urbanisme, les sports, la culture, l'économie, le tourisme, l'emploi ou la formation professionnelle. Comme dans les générations précédentes, des opérations ont été inscrites dans les contrats alors qu'elles auraient été engagées de toute façon par l'État ou ses opérateurs. Le but était bien sûr de partager leur coût avec les acteurs locaux.

Quatrième difficulté, les CPER ont souffert d'un pilotage défaillant de leur exécution, en dépit du dispositif strict prévu par la circulaire de 2007 : pilotage serré grâce à des comités de suivi au niveau régional et national (le Groupe d'études et de suivi des CPER ou GESCPER, au nom prédestiné), grâce aussi au système d'information Presage. Ces deux piliers ont finalement été assez branlants : les groupes de suivi n'ont pas fonctionné et le logiciel a été mis en place avec retard, conduisant de nombreuses régions et administrations centrales à lui préférer leurs propres outils de suivi, avec des données ne coïncidant pas ou devant être saisie deux fois. Ces incohérences ont aggravé les incompréhensions entre l'État et les régions. Conscient de ces faiblesses, le CGET annonce un nouveau dispositif, Synergie, qui nous inquiète car il devrait coûter 55 millions d'euros. Il sera déployé entre 2015 et 2021 : sera-t-il utilisé par l'État et la dizaine de régions concernées ou son arrivée sera-t-elle trop tardive ? Cette réforme suffira-t-elle à répondre au suivi défaillant par Presage ?

Cinquième problème, lié au précédent, on ne peut pas tirer de conséquences des évaluations à mi-parcours puisqu'elles n'ont tout simplement pas lieu. Ainsi, pour l'exécution 2007-2013, une évaluation avait été programmée en 2010, afin de réviser les contrats en supprimant certaines opérations et de redéployer les crédits ainsi libérés. Or l'instance nationale de suivi ne s'est pas réunie depuis novembre 2009 et dans plusieurs régions, les comités n'ont pas fonctionné.

Sixième caractéristique ayant handicapé le fonctionnement des CPER, au cours de la période, l'État a mis en oeuvre de nombreux programmes sectoriels qui recoupaient au moins en partie ceux inscrits dans les CPER : plan campus, plans transports, investissements d'avenir (PIA), plan de relance et grand emprunt, sans compter le programme de développement des routes - celles-ci sont exclues pour la première fois des CPER. Si la crise justifie sans doute la réaction de l'État, cela a incontestablement nui à la visibilité des contrats.

Malgré ces faiblesses, que tous, à l'instar du CGET, reconnaissent, il est remarquable que ni les élus, ni les services de l'État, notamment services déconcentrés, n'aient remis en cause l'utilité du principe des CPER. La Cour s'est toutefois interrogée au début de l'année 2013 : le Gouvernement voulait-il bien reconduire les contrats ? Les hésitations à ce sujet n'ont cessé qu'en juillet 2013, lorsqu'une circulaire du Premier ministre Jean-Marc Ayrault les a relancés, avec hélas un nombre de priorités excessif : une dizaine. La réforme territoriale et la fusion de régions, le changement de Premier ministre, ont bouleversé la situation. À présent cinq priorités seulement sont retenues. Pourtant les régions qui seront fusionnées se demandent comment négocier des contrats qu'elles n'auront pas directement à appliquer. Le 16 juillet 2014, une communication de la ministre du logement et de l'égalité des territoires a indiqué que l'année 2014 serait neutralisée, les nouveaux contrats prenant effet en 2015 - ce qui ne favorisera pas la synchronisation avec la programmation des fonds européens, laquelle commence en 2014. La négociation va commencer, mais il semble difficile qu'elle aboutisse avant la fin de l'année. L'État a l'intention de consacrer aux CPER 9,6 milliards d'euros, au lieu de 12,4 milliards d'euros sur la période précédente.

Les CPER sont un outil prévisionnel utile ménageant des dialogues fructueux, mais ils doivent être rénovés, comme le suggère le cahier des charges qui conclut notre enquête, en respectant huit exigences.

Tout d'abord, les priorités doivent être limitées en nombre, de trois à cinq, et inscrites dans une stratégie nationale définie après coordination avec les régions et organisation d'un débat, voire d'un vote, au Parlement. La loi du 29 juillet 1982 le prévoit comme je l'ai indiqué.

Deuxièment, cette stratégie doit permettre de trancher l'ambiguïté entre les deux objectifs que sont la péréquation et l'attractivité : car comment les poursuivre simultanément sans se condamner au saupoudrage ? Cette ambiguïté des CPER n'a, à ce jour, jamais été levée.

Les CPER devraient, en troisième lieu, ne comporter que des opérations ayant fait l'objet d'études de faisabilité physique et financière, garantissant qu'elles pourront être engagées dans un délai raisonnable. Une consultation du Commissariat général à l'investissement (CGI) serait gage de leur intérêt socio-économique, voire de leur rentabilité - ce qui n'est pas le cas, par exemple, de toutes les opérations de transport ferroviaire réalisées.

Quatrièmement, les autorisations d'engagement (AE) devraient être inscrites dans la loi de programmation des finances publiques de l'État et programmées dans les budgets des régions.

Cinquièmement, les contrats interrégionaux et les contrats territoriaux devraient être conclus uniquement s'ils s'inscrivent dans la stratégie nationale.

Sixième exigence : l'État doit s'efforcer dans les premières années de ne pas adopter seul de plans sectoriels susceptibles de perturber l'exécution des contrats de plan, sans pour autant se priver de réagir rapidement à des crises.

Septième recommandation : le comité national de suivi et les comités régionaux devraient se réunir au moins une fois par an pour dresser un bilan à partir d'un outil partagé et fiable.

Enfin, comme prévu en 2007, une évaluation partagée à mi-parcours s'impose, afin d'ajuster et de réviser la programmation.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je remercie la Cour des comptes en la personne de Jean-Luc Lebuy pour la qualité de ses analyses et l'aide qu'elle nous apporte par ses enquêtes. Les CPER sont insuffisamment préparés et sans cohérence nationale. Nous ne savons même pas comment ils seront dotés. Ne faut-il pas agir plus en amont, avec une concertation associant le Parlement et les élus locaux et débattant des objectifs et des orientations ? Vous parlez avec raison de l'enchevêtrement avec d'autres dispositifs sectoriels, qui engendre du saupoudrage : programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI), plans de transports, plan campus, etc. L'articulation avec les politiques de l'État et la programmation européenne ne serait-elle pas meilleurs si les CPER devenaient l'unique programmation de l'investissement dans les territoires ? Sans s'interdire d'agir de manière ponctuelle, y a-t-il lieu de maintenir tous ces dispositifs ?

Mme Caroline Larmagnac, cheffe de la Mission contractualisation et partenariats territoriaux au Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET). - Nous avons pris en compte les observations de la Cour des comptes dans la préparation des contrats de plan 2015-2020. La principale critique est que la démarche contractuelle est affaiblie par les autres modalités d'intervention de l'État. Pour 2015-2020, nous essayons de redonner de la visibilité et de la cohérence aux interventions en affichant les montants consacrés dans les différentes régions aux différents plans, et qui s'ajoutent aux montants contractualisés. Au-delà, nous travaillons sur l'articulation entre les dispositifs sectoriels verticaux (qui donnent lieu à des appels à projets) et la logique horizontale des CPER. Les deux sont complémentaires et nous sommes conscients qu'il faut les articuler. Nous cherchons à mettre les acteurs régionaux en situation de répondre aux futurs appels à projets des investissements d'avenir. Le Premier ministre a ainsi annoncé jeudi 9 octobre 2014 à Toulouse devant le congrès de l'Association des régions de France (ARF) une expérimentation dans certaines régions, avec des appels à projet régionalisés, sur la base d'un cahier des charges élaboré localement avec le Commissariat général à l'investissement. Nous prévoyons quelques crédits - sans doute insuffisants - accompagnant le plan France-très haut débit, financé par le Fonds pour la société numérique (FSN), afin d'améliorer la gouvernance du numérique.

Quelle est la vocation des CPER ? À vouloir leur faire faire trop de choses, ne se noie-t-on pas ? La question n'est pas tranchée. Jean-Luc Lebuy estime qu'ils n'ont pas vocation à refléter l'ensemble de l'action gouvernementale au niveau régional - mais ne pourrait-on pas, au contraire, considérer qu'ils pourraient le faire désormais, devenant non pas des outils financiers mais d'abord des outils de mise en cohérence ? Je comprends votre souci que des crédits divers ne viennent pas gonfler artificiellement les enveloppes des CPER ; pour autant, si ces derniers sont cantonnés à quelques priorités ciblées, cela réduit leur capacité à créer les conditions d'un débat partagé et il ne faut pas se priver d'ajouter des dispositifs aux CPER. L'équilibre est difficile à trouver entre des approches trop englobantes ou trop pointilliste. Les CPER en cours de préparation traduisent cette recherche : les acteurs régionaux ont déterminé des éléments de stratégies ; les crédits des opérateurs de l'État - Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et agences de l'eau par exemple - ont été intégrés.

La Cour regrette un cadrage national trop flou. Il ressort de votre enquête, que les critiques à l'égard des CPER sont diverses, voire contradictoires : trop verticaux ou trop horizontaux, trop ciblés ou trop dispersés. Les attentes des acteurs peuvent être divergentes. Les CPER traduisent l'alchimie entre l'approche nationale et les approches locales : il ne faut trop les cadrer en amont si l'on veut laisser une marge de négociation suffisante aux préfets. Les circulaires de 2013 ont heureusement été assouplies par une circulaire du 30 juillet 2014, après les remontées unanimes en ce sens, d'autant plus que les crédits sont limités.

Les CPER doivent-ils être des leviers d'attractivité ou de rééquilibrage, voire de péréquation entre les territoires ? C'est un choix très difficile. Les concentrer sur l'attractivité les exposeraient aux effets pervers que nous reprochons aux investissements d'avenir : la concentration des projets dans un nombre restreint de régions. Le rééquilibrage exclusif disperserait les crédits.

Les critiques de la Cour sont souvent fondées et nous partageons la plupart de vos constats. Nous sommes conscients des lacunes en termes de pilotage et de suivi. Vous êtes affolé par notre outil Synergie...

M. Jean-Luc Lebuy. - Je ne vais pas jusque-là ! Il nous inquiète.

Mme Caroline Larmagnac. -... mais il est déjà utilisé pour le suivi des programmes européens. Il nous a donc semblé de bonne politique de rechercher des économies d'échelles grâce à une utilisation plus large, moyennant le surcoût modique des quelques modules complémentaires. Certains défauts de Presage seront levés : plus de double saisie, grâce aux interfaces. Il autorisera un suivi physique et financier des opérations, et non plus seulement un suivi global. Nous travaillons avec l'ARF sur un dispositif d'évaluation moins ambitieux qu'en 2007, mais qui devrait tenir la durée.

M. Gilles Mergy, délégué général de l'Association des régions de France (ARF). - Nous partageons l'analyse de la Cour des comptes sur l'absence de cadrage stratégique des CPER 2007-2013 : il s'est plutôt agi d'une liste de courses, d'un catalogue de projets apportés par chacun des partenaires et consolidés dans un document. Ce n'était pas une nouveauté, du reste. Le passage sémantique du « plan » au « projet » aurait pu expliquer ce phénomène si les générations précédentes n'avaient eu les mêmes caractéristiques. Les présidents de région regrettent que les mandats de négociation des préfets soient très précis, leur laissant une marge très faible. Avant d'être rassurés par le Premier ministre la semaine dernière, nous n'avions pas le sentiment que ces mandats seraient plus souples cette fois-ci. Notre espoir est que le futur schéma régional d'aménagement et de développement durable des territoires, dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ait un caractère prescriptif et opposable, et serve alors de cadre de réflexion stratégique. Cela risque d'être un peu tard pour 2015-2020, mais sera opérationnel pour la génération suivante.

Les CPER ont surtout servi à financer des projets de l'État, qui plus est des rénovations ou des mises aux normes relevant de l'investissement de droit commun et que l'État a cherché à faire cofinancer. En revanche sur les questions sanitaires et sociales, il a refusé des opérations.

Il semble aussi que, pour arriver à un total de 12,7 milliards d'euros, qui se rapproche des 15 milliards d'euros mis par les régions, l'État ait apporté des projets dont l'intérêt stratégique était tout relatif. L'articulation des financements de l'État et ceux de ses opérateurs, notamment l'Ademe et l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), n'a pas toujours été claire. Les deux catégories ont été soigneusement mêlées... Enfin, certaines avances de fonds consenties par les régions à l'État n'ont jamais été remboursées !

Par ailleurs, le télescopage fréquent des plans thématiques ou sectoriels comme le plan campus ou le plan rail, avec les CPER a nui à la bonne articulation des différentes politiques publiques et à la lisibilité des CPER. Le problème risque de se poser à nouveau. Le Premier ministre a récemment indiqué qu'une partie des investissements d'avenir serait gérée au niveau régional à titre expérimental, mais cela ne porte que sur 10 millions d'euros environ, et un nombre de régions limité. Il n'y a pas, non plus, eu de réelle articulation entre les fonds européens et les CPER. Les régions étant les autorités de gestion du Fonds européen de développement régional (FEDER), du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et d'une partie du Fonds social européen (FSE), des améliorations en ce domaine sont possibles, d'autant plus que le calendrier d'utilisation de ces fonds est à peu près cohérent avec celui des CPER - sur ce point, je nuancerai les propos de Jean-Luc Lebuy, le décalage d'un an n'est pas inquiétant, car les grosses opérations sont forcément lancées avec un certain délai.

Le volet territorial a fait l'objet d'un saupoudrage révélant l'absence de réflexion stratégique. Parfois, je le répète, l'État y a intégré des investissements de droit commun, par exemple dans l'assainissement. Les crédits qu'il apportait étaient beaucoup plus faibles que ceux qu'y consacraient les régions - dans un rapport de un à dix.

Enfin, le suivi stratégique des CPER a beaucoup pâti de la prévalence d'une approche thématique, en silo ; et du manque de dialogue avec les collectivités infrarégionales. La mise en place de Presage a été compliquée par des retards dans la mise au point, un manque de dialogue avec les régions et la nécessité d'une double saisie. La qualité du suivi s'en ressent. Pour l'installation de Synergie, obligatoirement utilisé pour la gestion des fonds européens, le dialogue entre les régions et le CGET a été plus efficace. L'articulation entre les CPER et les fonds européens sera donc meilleure.

En conclusion, les régions considèrent que les CPER sont utiles, notamment parce qu'il existe encore sur les territoires des compétences partagées par les régions et l'État. Lorsque la décentralisation aura été menée à son terme, ils le seront moins. Pour que les CPER fonctionnent bien, il faut une stratégie nationale et une stratégie régionale distinctes. L'État déconcentré doit disposer de réelles marges de négociation, et les projets doivent être choisis dans une logique partenariale et non imposés d'en haut. Un dialogue de qualité avec toutes les collectivités territoriales est indispensable. Les modalités de financement doivent être clairement contractualisées. Enfin, une évaluation s'impose, notamment à mi-parcours. Une clause de revoyure est prévue en 2016-2017 pour tenir compte de la fusion des régions.

Nous n'avons pas encore eu connaissance du contenu du rapport de la Cour des comptes. Il me semble toutefois que les présidents de région n'en désapprouveront pas les conclusions.

M. François Patriat. - Je suis entièrement d'accord. Malgré les critiques dont ils ont fait l'objet, les CPER ont été utiles aux territoires. Bien des opérations n'auraient pu être engagées ou menées à bien sans eux. Certes, les projets sont de qualité et d'utilité très variées. J'ai eu connaissance d'investissements ferroviaires lourds qui se sont avérés peu utiles. Du moins ont-ils fourni du travail aux entreprises... et donné lieu à des inaugurations !

Les régions n'ont jamais été en reste dans les CPER. Elles sont souvent en avance. Il semble que pour les prochains, l'État prévoie de recycler des projets sur lesquels il n'a pas encore apporté sa contribution tandis qu'il demandera de nouveaux financements aux régions. Trop souvent, également, il invite celles-ci à réaliser des opérations hors du champ de leurs compétences. Il est temps de sortir du double discours qui consiste à appeler les présidents de régions à s'en tenir à leurs compétences tout en leur enjoignant de contribuer à des opérations portant, par exemple, sur le réseau routier. Le préfet de la région Bourgogne me demande ainsi, dans le cadre du CPER, d'investir pour la RN 7 ou pour le contournement d'Auxerre...

Les propositions formulées par la Cour des comptes me semblent raisonnables. Je l'ai dit hier au Premier ministre, nous ne devons élaborer de nouveaux CPER que s'il y a matière à le faire. Pas besoin d'un contrat pour investir 2 ou 3 millions d'euros dans la recherche ou l'innovation en cinq ans.

Certaines régions demeureront dans leurs frontières actuelles, d'autres, comme la mienne, devront fusionner. Cela aura un coût et un impact sur les délais d'organisation. Ces régions seraient donc bien inspirées de commencer dès maintenant à réfléchir ensemble, en identifiant leurs priorités communes.

M. Roger Karoutchi. - Je préside la commission des finances de la région Île-de-France, certes en tant qu'opposant...

M. François Patriat. - De qualité !

M. Roger Karoutchi. - Merci. Pour ma part, j'ai dit au président Jean-Paul Huchon que je n'étais pas favorable à la conclusion d'un nouveau CPER. Le 1er janvier 2016 sera créée dans notre région une métropole qui détiendra de nombreuses compétences et d'importants moyens. Elle ne se sentira nullement tenue par un contrat signé par la région. De plus, nous délibérerons dans un mois et demi sur un texte relatif à la répartition des compétences entre les régions et les départements. Il en résultera de grands changements. Comment négocier un contrat sans même savoir comment les compétences seront réparties, dans un an, entre la région, le département - s'il existe encore ! - et la métropole ?

Le système est devenu fou : l'État, désargenté, nous demande de signer un « contrat de plan » par lequel il entend faire à la fois de la planification et de la péréquation. Je n'aime pas ce retour au vieux système - pourtant, je suis gaulliste ! La région ne peut s'engager qu'en son nom, et n'a pas à signer pour les autres régions dans un cadre général. Et si l'on veut faire de la planification, il faut rétablir le Commissariat au plan. En réalité, l'État annonce une baisse des dotations aux collectivités territoriales de 11 milliards d'euros sur trois ans et, dans le même temps, demande aux régions de payer. La région Île-de-France est ainsi priée de consacrer des financements considérables aux universités alors qu'elle ne dispose d'aucun pouvoir en matière d'enseignement supérieur. Elle a le droit de payer, non de parler ! Je suis donc défavorable au maintien des CPER. Il est tout à fait possible de passer des accords sectoriels avec l'État pour déterminer les parts de chacun dans le financement. À cet égard, les annonces faites par le Premier ministre à Créteil sont en trompe-l'oeil. Nous devons nous déprendre d'une vision étatique, qui considère les régions comme de simples correspondants financiers n'ayant guère leur mot à dire sur la définition du contrat. Si l'on décentralise, il faut donner plus de marge de manoeuvre aux collectivités. Sinon, que l'État garde la main et l'assume.

Actuellement, les régions sont en position de payeurs majeurs, négociateurs mineurs, et ne sont responsables de rien. Je préside le comité de suivi du CPER : je n'ose plus le réunir, tant nos délibérations sont dépourvues d'intérêt. Comment, avant la fusion des régions, avant la nouvelle répartition des compétences entre les départements et régions, demander aux régions de signer des CPER ? C'est absurde.

Mme Michèle André, présidente. - L'objet de notre réunion est de faire le point sur le passé, plutôt que de nous projeter dans les débats futurs.

M. Yannick Botrel. - Monsieur Lebuy pourrait-il préciser les chiffres relatifs au taux d'exécution des contrats ? Je comprends qu'en mai 2014 ce taux s'établissait à 63 %. Or les paiements semblent s'établir à un niveau inférieur à cette même date.

M. Jean-Luc Lebuy. - Les taux d'exécution selon Presage, dont nous avons vu les limites, sont à manier avec précaution. Il est normal de constater un décalage entre les crédits engagés et les crédits payés. Les taux d'exécution sont très variables selon les secteurs et les régions. Certains projets sont achevés, alors que le taux de réalisation d'autres projets demeure faible, faute de préparation suffisante.

Mme Caroline Larmagnac. - Le taux d'exécution des crédits de l'État sera de 87,5 % fin 2014, une fois corrigés les surengagements notés par la Cour des comptes sur certains budgets opérationnels de programme (BOP). Par exemple, Presage donne pour les crédits des agences de l'eau un taux d'exécution de 133 %, ce qui est absurde.

M. Jean-Luc Lebuy. - Voire louche !

Mme Caroline Larmagnac. - Cela correspond simplement à un dépassement des financements, par rapport aux montants qui figuraient sur la maquette. Je ne dispose pas encore des taux d'exécution des parts régionales.

M. Charles Guené. - Certes, nous devons évaluer le passé. Mais c'est dans le but d'en tirer des enseignements pour l'avenir. Tous semblent s'accorder sur l'ambiguïté du fonctionnement des CPER. Peut-être cela résulte-t-il d'un péché originel : ceux-ci ne sont-ils pas issus de l'union d'un Plan en fin de vie et d'une décentralisation naissante ? Les procédures prévues n'ont guère été utilisées et c'est l'empirisme qui a prévalu dans l'adaptation d'une vision nationale aux réalités locales. On s'est donc éloigné du projet initial et vous avez d'ailleurs évoqué le terme d'alchimie...

M. Jean Germain. - Du Plan au plomb !

M. Charles Guené. - La question de savoir si les CPER visent la compétitivité ou la péréquation n'a jamais cessé de se poser. La question est ouverte. Mais au fil du temps, et quoi qu'on en pense, on est passé d'un plus à des substituts et les CPER ont abouti à des transferts... Comment faire évoluer ces contrats dans le bon sens maintenant, et de manière soutenable ? Vaste problème ! Dans le contexte actuel, l'État ne sera-t-il pas tenté de procéder à une recentralisation financière ?

Mme Michèle André, présidente. - Le Gouvernement, qui n'est pas représenté parmi nous aujourd'hui, nous précisera ses intentions. Si j'insiste sur la dimension de bilan, c'est bien sûr dans l'idée de faire mieux avec l'outil existant, qui est perfectible.

Mme Caroline Larmagnac. - Si le Gouvernement a décidé de relancer une nouvelle génération de CPER malgré les incertitudes sur l'environnement institutionnel, c'est pour relancer l'investissement public. Depuis quelques années, les projets semblent émerger plus difficilement, ce qui inquiète de nombreux acteurs et menace l'emploi. Sans ignorer les difficultés que vous avez évoquées, le Gouvernement a tranché. Il a toutefois prévu une clause de révision fin 2016, lorsque les exécutifs se seront réorganisés, afin de prendre en compte les transferts de compétences à opérer début 2017.

M. Gilles Mergy. - La fusion des régions complique un peu les choses, en effet, mais ce n'est pas le principal problème. L'enjeu est plutôt de savoir si l'on veut ou non achever la décentralisation, clarifier les compétences de l'État et celle des collectivités territoriales. Certains présidents de région considèrent que les CPER ont leur utilité dans le paysage complexe que nous connaissons. Mais il s'agit d'un succédané, faute de réelle volonté de décentraliser.

M. Jean-Luc Lebuy. - Il est essentiel que les opérations prévues par les CPER soient bien préparées. Il ne suffit pas qu'elles donnent du travail aux entreprises de travaux publics. Certaines, vous l'avez reconnu, ne sont manifestement pas rentables. Étant donné la rareté des crédits publics, les partenaires doivent veiller à ne programmer que des projets ayant fait l'objet d'une étude d'impact préalable, si possible après consultation du Commissariat général à l'investissement, et dont l'intérêt social et économique est prouvé. Comment mieux articuler les plans sectoriels aux CPER ? Comme les collectivités locales, l'État doit conserver ses politiques sectorielles. Toutes les politiques publiques n'ont pas vocation à se retrouver dans le contrat de plan. Mieux vaudrait signer des CPER mobilisant moins de ressources, mais portant sur des opérations clairement délimitées et à la rentabilité démontrée. Dès lors, si les régions lancent des opérations dans des secteurs voisins, il n'y aura pas de brouillage.

Mme Michèle André, présidente. - Mes chers collègues, si vous approuvez le principe de la publication de l'enquête Cour des comptes, je vous propose que le rapport d'information soit confié à notre rapporteur général, la sénatrice qui a initié cette enquête, Frédérique Espagnac, n'étant plus membre de notre commission.

La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente audition.

La réunion est levée à 16 h 00