Mercredi 13 mai 2015

- Présidence de M. Alain Milon, président -

Audition de Mme Sophie Caillat-Zucman, candidate pressentie pour le poste de présidente de l'Agence de la biomédecine (en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique)

La réunion est ouverte à 9 heures 30.

M. Alain Milon, président. - Nous recevons aujourd'hui Mme Caillat-Zucman, candidate pressentie pour le poste de présidente de l'Agence de la biomédecine. Cette audition est prévue par l'article L. 1451-1 du code de la santé publique. Mme Caillat-Zucman est professeure d'immunologie à la faculté de médecine Paris-Diderot et praticienne hospitalière à l'hôpital Robert-Debré. Sa biographie détaillée vous a été communiquée. Je lui laisse la parole afin qu'elle nous expose son parcours et les problématiques auxquelles elle s'attend à faire face en tant que présidente du conseil d'administration de l'Agence de biomédecine.

Mme Sophie Caillat-Zucman. - Je vous remercie, c'est un honneur pour moi d'être proposée pour présider l'Agence de la biomédecine et de me trouver aujourd'hui devant votre commission. Initialement spécialisée en néphrologie, je me suis intéressée aux questions de biomédecine au travers de l'immunologie. Mon parcours universitaire et professionnel m'a permis d'acquérir une bonne connaissance de l'ensemble des facettes de la question du don d'organe et des greffes. Je suis membre du conseil médical et scientifique de l'Agence depuis 2009 et je connais donc bien l'organisation et le fonctionnement de cette institution. C'est la raison pour laquelle je souhaite maintenant mettre mes compétences à son service dans le cadre de son conseil d'administration.

Comme vous le savez, l'Agence de la biomédecine a repris, à partir de 2004, les compétences de l'Etablissement français des greffes et a vu ses attributions s'élargir progressivement pour concerner l'ensemble des produits humains, à l'exception du sang. Garante du respect des lois de bioéthique, l'Agence a pour missions d'encadrer, de réguler, d'évaluer les activités de prélèvement et de greffe, la recherche sur l'embryon ainsi qu'en matière de génétique et, plus largement, d'assurer l'information des pouvoirs publics, des professionnels de santé et du public sur ces sujets. L'Agence a une fonction opérationnelle, sa première mission vise à piloter l'organisation des greffes en veillant à ce que les patients en attente de greffe puissent trouver un organe compatible et être greffés rapidement.

La présidence du conseil d'administration n'est pas exécutive mais le conseil délibère, notamment sur le budget et sur les orientations stratégiques pluriannuelles.

Au cours des prochaines années, les principaux enjeux pour l'Agence, qui fêtera ses dix ans d'activité à la fin du mois de mai, seront de poursuivre l'augmentation du nombre de greffes pour faire face à la pénurie actuelle avec l'objectif de procéder d'ici 2016 à 20 % de greffes de rein à partir de donneurs vivants, et en développant les prélèvements sur personnes décédées de catégorie dite « Maastricht 3 », de travailler au renouvellement et à l'amélioration des registres de donneurs de cellules souches et de sang placentaire et de préparer le bilan de la loi de bioéthique en vue des états généraux. Par ailleurs, un nouveau contrat d'objectifs et de performance devra être conclu en 2016. Enfin, le projet de loi de santé, actuellement débattu, prévoit le transfert, à l'Agence de biomédecine, des compétences de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé en matière de biovigilance.

Mme Catherine Génisson. - Dispose-t-on d'une évaluation sur une potentielle diminution de l'exigence qualitative des greffons pour faire face à la pénurie et sur les conséquences pour les personnes greffées ?

Par ailleurs, où en est-on de l'application de la loi sur la recherche embryonnaire ?

Mme Catherine Deroche. - Ma première question sur la recherche embryonnaire rejoint celle qui vient d'être posée. Par ailleurs, l'amendement, récemment voté par l'Assemblée nationale concernant le don d'organe, ne devait-il pas relever d'une loi de bioéthique ?

M. Gilbert Barbier. - Comment comptez-vous, en tant que présidente du conseil d'administration, travailler avec le Conseil d'orientation de l'agence de biomédecine dont je fais partie avec certains de mes collègues ?

M. Dominique Watrin. - Avez-vous des indications sur les objectifs qui pourraient vous être fixés dans le cadre de la nouvelle convention d'objectifs et de performance qui doit être signée en 2016 ? Par ailleurs, existe-t-il un risque de privatisation de certaines activités liées au don d'organe sous l'influence du droit européen, à l'instar de ce qui se produit actuellement dans le domaine de la transfusion sanguine ?

Mme Isabelle Debré. - Je partage l'inquiétude exprimée par ma collègue au sujet du don d'organe et je pense qu'il serait très dangereux de ne pas demander l'avis des proches de la personne décédée. Pourrait-on envisager d'inscrire le choix de chacun à cet égard dans le dossier médical partagé ?

M. Alain Milon, président. - Je voudrais, avant que Mme Caillat-Zucman ne réponde à ces premières questions, faire une remarque sur le don d'organe. Lors de l'adoption de la dernière loi de bioéthique, le Sénat s'était exprimé, à l'unanimité, et contre l'avis du Gouvernement, pour un réexamen tous les cinq ans. Il serait donc assez regrettable de procéder à des modifications ponctuelles des lois de bioéthique en dehors de ces réexamens périodiques.

Mme Sophie Caillat-Zucman. - Bien que le besoin de greffons augmente plus vite que le nombre de greffes, notamment en raison du vieillissement de la population, les exigences qualitatives sont constantes et l'Agence de biomédecine veille à leur respect tout en assurant le suivi des patients greffés. On constate, au contraire, une amélioration de la qualité des greffons prélevés. 16 % des reins sont aujourd'hui prélevés sur des personnes vivantes et nous comptons atteindre l'objectif de 20 % en 2020, mais ce chiffre demeure bien moins élevé qu'ailleurs puisqu'il est de 50 % aux États-Unis. Il y a donc une réelle marge de progrès en la matière.

L'amendement adopté par l'Assemblée nationale renforce le principe du consentement présumé et précise que l'inscription au registre national des refus est le moyen principal, mais non exclusif, d'exprimer une opposition au prélèvement. Il n'appartient pas à l'Agence de biomédecine de se prononcer sur le contenu de la loi actuellement en discussion, mais elle aura la responsabilité d'en assurer la bonne application.

Le conseil d'orientation joue un rôle important, notamment sur les questions de bioéthique et je compte bien évidemment, en tant que présidente du conseil d'administration, m'appuyer sur ses travaux.

Concernant le développement de filières privées, il n'y a, à mon sens, pas de danger, dans la mesure où les principes de gratuité et d'anonymat sont partagés par l'ensemble des pays avec lesquels l'Agence entretient des relations.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Qu'en est-il du trafic d'organes ?

Mme Sophie Caillat-Zucman. - Une des missions de l'Agence est d'être vigilante à ce sujet.

L'amendement déposé par le Gouvernement sur le prélèvement d'organes prévoit que le registre national des refus du don d'organes constitue un moyen de vérifier la non-opposition des personnes ; pour autant, ce registre ne devra pas constituer le moyen exclusif de vérification. On pourrait aussi imaginer que l'information figure sur le dossier médical personnel, mais cela ne relève pas de ma compétence.

M. Alain Milon, président. - Cette disposition n'a pas encore été votée par le Sénat.

Mme Corinne Imbert. - Existe-t-il à l'étranger des structures similaires à l'Agence de la biomédecine ? Quel type d'échanges avez-vous l'intention de mettre en place avec ces structures ?

Mme Isabelle Debré. - Si l'amendement introduit par le Gouvernement sur le prélèvement d'organes devait finalement être adopté, comment faudrait-il informer les Français de la nécessité de faire connaître leur éventuel refus ?

M. Dominique Watrin. - Le contrat d'objectifs et de performance de l'Agence prendra fin en 2016. Savez-vous déjà quels objectifs pourraient être prévus pour sa reconduction ?

Mme Sophie Caillat-Zucman. - Je n'ai pas encore connaissance des orientations prévues pour le renouvellement de ce contrat, qui a été prolongé jusqu'à la fin de l'année 2016.

Il n'existe pas d'homologue direct de l'Agence de la biomédecine dans tous les pays, mais certains se sont dotés de structures équivalentes. Pour les pays de l'Europe du Nord (l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, notamment) existe un organisme appelé Eurotransplant, dans le cadre duquel peuvent intervenir certains des acteurs de l'Agence.

L'information constitue la mission centrale et primordiale de l'Agence de la biomédecine, qui réalise d'ailleurs de nombreuses actions dans ce champ. Il est ainsi prévu que soit conduite une campagne d'information dans les collèges et les lycées, dans le but de sensibiliser le public à l'importance du don d'organes dès le plus jeune âge. L'Agence organise par ailleurs des journées annuelles, qui se tiendront cette année à la fin du mois de mai.

Mme Catherine Génisson. - Si le système du prélèvement d'organes repose sur la vérification du non-refus plutôt que sur celle de l'expression d'une volonté active, il est indispensable de faire davantage connaître au grand public le registre des refus, qui constitue encore aujourd'hui un dispositif très confidentiel.

Je m'interroge par ailleurs sur les conditions de la formation des personnels aux questions liées au don et au prélèvement d'organes, en ce qui concerne notamment les services d'urgences, qui sont les premiers pourvoyeurs des centres de prélèvement et de greffe. Il me semble que ce domaine sensible requiert des compétences particulières ainsi qu'une certaine psychologie pour accompagner les familles dans des circonstances très douloureuses. En plus d'une formation spécifique, des locaux dédiés me sembleraient nécessaires à l'humanisation du processus.

M. Georges Labazée. - Certaines communes ont été sollicitées pour faire apparaître le logo bleu du don d'organes. Pouvez-vous nous préciser le contexte dans lequel s'inscrit cette démarche et sa diffusion sur le territoire national ?

M. Yves Daudigny. - Quelles sont les activités de l'Agence de la biomédecine dans le domaine de la génétique ? Des développements très prometteurs sont en cours dans le champ du traitement des cancers.

Mme Sophie Caillat-Zucman. - La mission essentielle de l'Agence de la biomédecine sera de favoriser l'application de la loi, ce qui pourra passer à la fois par des actions de formation des personnels, par le développement d'une meilleure coopération entre les structures impliquées dans le don d'organes, ou encore par une meilleure information des familles et des publics.

Je pense que la démarche évoquée par M. Labazée est d'initiative associative. Les associations ont d'ailleurs un rôle clé dans la diffusion de l'information sur le don d'organes, et l'Etat travaille en liaison étroite avec ces acteurs.

L'Agence de la biomédecine intervient dans le domaine de la génétique constitutionnelle plutôt que dans celui de la génétique somatique, ce qui exclut les traitements oncologiques.

Communication du président sur l'application des lois

M. Alain Milon, président. - Comme chaque année à la même époque, les présidents des commissions permanentes procèdent à une communication sur le bilan de l'application des lois. Je voudrais préciser à nos collègues qui ont rejoint notre assemblée en octobre dernier, que le Sénat se préoccupe de longue date de l'application des lois. C'est en effet en 1971 qu'il a mis en place un dispositif de contrôle, placé sous la responsabilité de chaque commission permanente pour les textes relevant de sa compétence.

Concrètement, chaque commission assure un suivi permanent de la parution des textes réglementaires, vérifie si les décrets ou les arrêtés nécessaires à l'application des dispositions législatives sont bien intervenus et analyse la conformité de leur contenu à la volonté exprimée par le législateur.

De 2011 à 2014, ce travail de suivi a continué à être mené alors que parallèlement était créée une nouvelle instance : la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. Dans les faits, cette dernière se reposait très largement sur le travail et les moyens des commissions permanentes. C'est pourquoi le bureau du Sénat a décidé en novembre dernier de ne pas la pérenniser, tout en maintenant bien entendu l'intégralité de la fonction de contrôle de l'application des lois confiée aux commissions permanentes.

L'ensemble des informations collationnées par les commissions font l'objet d'un rapport de synthèse annuel présenté en conférence des Présidents. Celui-ci fait ensuite l'objet d'un débat avec le Gouvernement qui aura lieu cette année le jeudi 11 juin Chaque commission peut par ailleurs donner la suite qu'elle juge utile aux constats qu'elle effectue sur les textes relevant de sa compétence.

Ce contrôle de l'application des lois nourrit un dialogue régulier avec le Gouvernement, qui dispose lui aussi de son propre dispositif de suivi, placé sous la responsabilité du Secrétariat général du Gouvernement. Le Gouvernement est tenu de présenter dans les six mois suivant la promulgation d'une loi un rapport faisant le point sur les mesures d'application prises et celles restant à prendre. Des échéanciers de publication des textes à paraître sont diffusés sur le site internet Légifrance. Les rapports établis par le Sénat contribuent ainsi, avec le concours des services du Premier ministre, à aiguillonner cabinets et services des ministères en pointant les défauts de parution.

Le bilan annuel que je vous présente aujourd'hui porte uniquement sur les lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2013-2014, c'est-à-dire entre le 1er octobre 2013 et le 30 septembre 2014. Il intègre les mesures d'applications publiées jusqu'au 31 mars 2015, c'est-à-dire six mois au-delà des dernières lois prises en compte. Pourquoi cette borne de six mois ? Parce que dans une circulaire du 29 février 2008, le Gouvernement de l'époque avait fixé un objectif d'édiction des « mesures réglementaires nécessaires dans un délai de six  mois suivant la publication de la loi ». Il s'agit donc de mesurer le degré de réalisation de cet objectif.

Je précise que vous recevrez d'ici la semaine prochaine une note détaillée d'une quarantaine de pages, avec des analyses texte par texte. Celle-ci sera reprise dans le rapport d'ensemble qui sera publié au mois de juin. Je vais donc me limiter aujourd'hui aux constats principaux qui résultent du contrôle arrêté au 31 mars dernier pour les textes de l'année parlementaire 2013-2014.

Durant celle-ci, le Parlement a adopté quatorze lois examinées au fond par notre commission des affaires sociales. C'est le même nombre que lors de l'année précédente, un nombre particulièrement élevé qui n'avait pas été atteint depuis la session 2007-2008. Traditionnellement, les débuts de législature se caractérisent en effet par une production législative plus intense. Sur ces quatorze lois, six résultaient d'une initiative gouvernementale : la loi annuelle de financement de la sécurité sociale et une loi de financement rectificative votée l'été dernier ; la loi sur les retraites ; la loi sur la formation professionnelle, l'emploi et la démocratie sociale ; la loi d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la santé ; la loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures relatives à l'accessibilité pour les personnes handicapées.

Huit lois examinées par notre commission résultaient d'une initiative parlementaire, dont sept propositions de loi venant de l'Assemblée nationale et une seule issue du Sénat, celle de Muguette Dini relative à l'expérimentation des maisons de naissance. Sur quatorze lois, quatre pouvaient s'appliquer directement, sans texte réglementaire. Pour les dix autres, un total de 265 mesures d'applications étaient attendues, dont 85 pour la loi sur la formation professionnelle, 80 pour la loi de financement et 65 pour la loi sur les retraites, ces trois lois représentant à elles seules plus de 85 % des mesures attendues.

Premier constat, en dépit du nombre exceptionnellement élevé des mesures d'application prévues - le double de l'année précédente - le taux de parution des décrets ou arrêtés se situe dans la fourchette haute de ceux constatés au cours des dernières années. En effet, 208 mesures avaient été prises au 31 mars 2015, soit un taux de 78 %, quasiment identique à celui constaté l'an dernier à la même période pour un nombre de dispositions à appliquer deux fois moins important. S'agissant des seuls décrets d'application, près d'une cinquantaine, soit 27 % du total de ceux qui étaient attendus, avaient été pris dans les six mois de la promulgation, c'est à dire dans le délai fixé par la circulaire gouvernementale de 2008. Au total, environ 80 % des décrets ont paru dans un délai d'un an. Là encore, c'est un niveau relativement satisfaisant par rapport à celui des années passées.

Le deuxième constat tend à nuancer cette appréciation plutôt positive. En effet, la mise en application des lois comporte de fortes disparités selon les textes. Ainsi, les textes majeurs, qui traduisent les priorités de la politique gouvernementale, sont généralement rapidement mis en oeuvre. C'est le cas des lois de financement, de la loi sur les retraites et de la loi sur la formation professionnelle. Sur ces textes, seules quelques dispositions législatives, de nature généralement technique, sont encore en attente de mesures d'application.

Je signale toutefois, pour la loi relative à la formation professionnelle, trois points importants pour lesquels les textes d'application attendus n'ont toujours pas été pris. Il s'agit des dispositions prévoyant un contrôle de la qualité des actions de formation (des décrets et arrêtés doivent définir des critères d'appréciation et un cahier des charges) ; des dispositions qui permettent la cession gratuite aux régions de certains biens immobiliers actuellement mis à la disposition de l'Afpa par l'Etat ; et du décret qui doit assurer aux régions, pour un montant évalué à plus de 200 millions d'euros, la compensation financière des compétences qui leur sont transférées.

S'agissant de la loi relative aux retraites, il existe également, vous le savez, un problème d'application pour la mise en oeuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité. Les décrets ont bien été pris dès octobre 2014, mais précisément, c'est l'application de ces décrets qui soulève des difficultés. Je ne développe pas puisque le Sénat en a débattu lors de l'examen de la loi de simplification de la vie des entreprises, puis du projet de loi « Macron ». Le Gouvernement attend d'ici quelques semaines les conclusions de deux missions destinées à « préparer les règles d'application pour les facteurs qui entreront en vigueur au 1er janvier 2016 » et à « apporter des précisions et améliorations pour les facteurs entrés en vigueur au 1er janvier 2015 ». A ce stade, il ne semble donc pas exclu que les décrets d'octobre 2014 soient modifiés sur certains points. Dans ce cas précis, les problèmes rencontrés tiennent moins, me semble-t-il, à des questions de délais d'application, qu'à l'absence d'enchaînement cohérent et réaliste entre l'étude d'impact préalable, l'adoption de la loi, la concertation sur la mise en oeuvre et la date d'entrée en vigueur effective.

Cette année encore, nous devons constater que les textes d'origine parlementaire figurent assez systématiquement parmi ceux dont le taux de mise en application est le moins élevé. Je mentionnerai deux cas emblématiques.

Celui tout d'abord de l'application à la fonction publique de la loi permettant le don de jours de repos à un parent d'enfant gravement malade. La proposition de loi avait été adoptée par l'Assemblée nationale début 2012, puis définitivement par le Sénat il y a un peu plus d'un an. L'article 2 prévoit que l'application du texte aux agents publics sera précisée par un décret qui n'a toujours pas été pris. Le Gouvernement avait émis des réserves sur cette proposition de loi, sans toutefois s'y opposer. Dès lors qu'elle a pris force de loi, il me semble normal que ses dispositions soient pleinement applicables dans des délais raisonnables.

Le deuxième exemple est celui de l'expérimentation des maisons de naissance. Cette mesure avait été proposée dans un PLFSS en 2010 par le Gouvernement, mais la disposition avait été annulée par le Conseil constitutionnel au motif qu'il s'agissait d'un « cavalier social ». Le texte a été repris au Sénat sous forme de proposition de loi par Muguette Dini puis définitivement adopté par l'Assemblée nationale à l'automne 2013. Comme le prévoit la loi, la Haute Autorité de santé a publié au mois de septembre 2014 un cahier des charges préalable à l'expérimentation. L'application de la loi est désormais subordonnée à la parution du décret en Conseil d'Etat prévu par l'article 5. Il doit préciser les conditions de l'expérimentation, notamment l'établissement de la liste des maisons de naissance autorisées à fonctionner, leurs modalités de fonctionnement et la prise en charge par l'assurance maladie de la rémunération des professionnels. Si les maisons de naissance existent sous la forme de projets pilotes, la parution de ce décret est évidemment indispensable à la sécurisation de leur cadre juridique et de leur financement.

Pour compléter ce bilan, je voudrais signaler qu'au cours de la période étudiée, plus d'une vingtaine de mesures réglementaires sont intervenues en application de lois votées avant octobre 2013, dont près d'une dizaine pour des lois votées avant 2012, sous la précédente législature.

Ont ainsi été enregistrées 5 mesures pour l'application de la loi de financement pour 2013, 4 mesures pour celle de la loi portant réforme de la biologie médicale de mai 2013, 3 mesures pour celle de la loi sur la sécurisation de l'emploi de juin 2013.

On peut aussi noter que 5 années après la promulgation de la loi HPST de 2009, les dispositions de son article 8 prévoyant la possibilité de créer des fondations hospitalières associant des acteurs publics ou privés de la recherche clinique peuvent désormais entrer en application, grâce à un décret paru au mois d'août 2014.

Je voudrais également signaler qu'un arrêté de février 2015 venu en application de l'article 28 de la loi de bioéthique de juillet 2011, plus de trois ans et demi après sa promulgation, a précisé les conditions de formation et d'expérience des praticiens exerçant les activités d'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Ce texte ne satisfait d'ailleurs que de manière très partielle l'amendement qui avait été adopté par le Sénat en vue d'établir des règles de bonnes pratiques en la matière. En effet l'assistance à la procréation avec tiers, qui reste couverte par le secret s'agissant de l'identité du donneur de gamètes, laisse aux praticiens une marge d'appréciation particulièrement importante s'agissant de l'adéquation entre les caractéristiques physiques des parents et celles du donneur.

Enfin, comme l'an dernier, on peut déplorer l'absence de parution de l'arrêté devant permettre d'appliquer une teneur maximale en sucres ajoutés aux produits exclusivement distribués outre-mer. Le dispositif de l'article 1er de la loi du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire outre-mer est ainsi rendu largement inopérant.

Je voudrais terminer par un mot sur la loi de décembre 2012 suspendant la fabrication et la mise sur le marché des conditionnements alimentaires contenant du bisphénol A. Cette loi est pleinement applicable depuis le 1er janvier dernier, mais des incertitudes juridiques subsistent en raison de la procédure engagée auprès de la Commission européenne contre la France sur la conformité de cette loi au droit de l'Union européenne, notamment au principe de libre circulation des marchandises. Par ailleurs, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a rendu en janvier dernier un avis sur les risques associés au bisphénol A, concluant à une absence de risque pour la santé des consommateurs aux niveaux actuels d'exposition. Ce dossier méritera donc d'être suivi attentivement, d'autant que d'autres mesures législatives relatives au bisphénol A sont en discussion dans le projet de loi relatif à la santé.

Tels sont les principaux enseignements pouvant être tirés de ce bilan annuel. Des informations plus détaillées figurent dans la note que vous recevrez et qui sera intégrée au rapport publié au mois de juin.

Mme Catherine Deroche. - Nous pouvons ainsi nous rendre compte que ce sont souvent les lois en apparence les plus simples qui rencontrent les plus grandes difficultés d'application ! A propos du texte permettant le don de jours de repos à un parent d'enfant malade, j'avais écrit dès le mois de juin 2013 à la ministre en charge de la fonction publique pour lui rappeler l'importance du dispositif et la nécessité de son application aux fonctionnaires. Il a cependant fallu attendre une affaire très médiatisée pour que la parution du décret - qui n'est toutefois pas encore effective - soit relancée. Il me semble que cela pose question quant au fonctionnement de l'administration, à la lourdeur de ses procédures et de ses consultations préalables. Ces atermoiements sont incompréhensibles pour nos concitoyens, qui se représentent que la loi s'applique dès lors qu'elle est votée.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Le contrôle et l'évaluation de l'action de l'exécutif et des politiques publiques doivent être pour nous une sorte d'hygiène de vie. Ne pourrait-on envisager de préparer les décrets d'application des textes d'origine parlementaire en amont de leur adoption, et de les faire examiner par le Conseil d'Etat en même temps que les propositions de loi ?

S'agissant du compte personnel de formation, j'ai reçu de nombreux signaux d'alerte de la part des professionnels du secteur, qui s'inquiètent de la mise en oeuvre du dispositif. A l'heure actuelle, seul un très petit nombre de personnes a pu faire valoir ce droit.

Mme Élisabeth Doineau. - Le contrôle régulier de la bonne application des lois est impératif afin de garantir la crédibilité des parlementaires. A voir certains des délais d'édiction des mesures d'application, qui vont jusqu'à 5 ou 6 ans, souvent après un travail législatif très intense, on se demande quelles seraient les conséquences d'un délai de prescription en la matière ! Dans ces conditions, il est normal que nos concitoyens n'y comprennent rien, et la justice paraît parfois compromise.

M. Michel Forissier. - Pouvez-vous me confirmer que la bonne application du texte relatif aux maisons de naissance n'entraînera pas de charges supplémentaires pour les collectivités territoriales ?

Mme Nicole Bricq. - La commission sénatoriale d'application des lois avait le mérite de donner une certaine visibilité à cette question. Au-delà du travail réalisé aujourd'hui en commission, comment la vision d'ensemble de cette problématique pourra-t-elle ensuite être rendue ?

Je rejoins les inquiétudes exprimées quant à la perception de notre action. Le premier travail du parlementaire réside dans le contrôle de l'exécutif. Le partage de l'ordre du jour instauré en 2008 était une bonne mesure, mais il a également ouvert la voie à une inflation des propositions de loi qui n'arrivent pas toutes à bonne fin, loin s'en faut. Il nous faut limiter le temps passé à examiner des propositions de lois improductives et nous assurer de l'appui des services ministériels pour l'application des textes que nous votons. Nous devrons réfléchir à ce sujet crucial dans le cadre de la réforme du Sénat.

M. Alain Milon, président. - Notre collègue, Claude Bérit-Débat, en tant que vice-président du Sénat, a été chargé d'élaborer un rapport global sur l'application des lois, qui sera présenté en conférence des Présidents, puis débattu en séance publique, en présence du Gouvernement, le 11 juin.

Mme Catherine Procaccia. - Existe-t-il des données relatives à une éventuelle différence dans le taux d'application des lois entre les dispositions d'origine gouvernementale et les dispositions d'origine parlementaire ?

M. Alain Milon, président. - Pour les lois relevant de la commission des affaires sociales et promulguées sur l'année 2013-2014, 82 % des mesures prévues par le texte initial étaient prises au 31 mars 2015. Ce taux était de 67 % pour les mesures prévues par des dispositions issues d'amendements du Gouvernement, 60 % pour les amendements d'origine sénatoriale et 68 % pour les amendements introduits par l'Assemblée nationale. Pour les dispositions introduites en commission mixte paritaire, ce taux était de 86 %.

Mme Michelle Meunier. - Les retards dans la parution des textes d'application sont particulièrement dommageables s'agissant des expérimentations qui sont bornées dans le temps. Les associations de mon département me font remonter leur vive inquiétude concernant les maisons de naissance, la loi prévoyant que les décisions autorisant les expérimentations doivent intervenir dans un délai de deux ans après la promulgation, c'est-à-dire avant le mois de décembre prochain.

Mme Aline Archimbaud. - Nous sommes constamment interpellés par nos concitoyens sur l'application des lois que nous votons. Il résulte des retards pris un décalage entre les annonces et les évolutions sur le terrain qui sont sources de confusion. Pourrait-on demander qu'un tableau de bord retraçant, en temps réel, la parution des mesures d'application des lois soit accessible à chaque parlementaire ?

M. Alain Milon, président. - Il existe d'ores et déjà un outil de ce type consultable par tous sur le site internet du Sénat. Pour chaque texte, le dossier législatif mentionne, article par article, les mesures d'application intervenues et celles qui demeurent en attente.

Mme Patricia Schillinger. - Il est important de davantage travailler entre nos commissions et notamment avec la commission des affaires européennes. Je pense, par exemple, à la loi sur l'interdiction du bisphénol A, que nous avons votée et dont l'application pourrait se heurter au droit européen.

Mme Catherine Deroche. - Parallèlement à la parution, en temps et en heure, des textes d'application, il serait bon de veiller à toiletter régulièrement le droit existant afin de lever les ambiguïtés qui existent parfois quant à l'abrogation de certains textes.

M. Alain Milon, président. - Je voudrais répondre à la question de M. Lemoyne sur la possibilité, pour le Parlement, de préparer des décrets d'application. Je pense que cette proposition se heurte à la répartition des compétences entre le Parlement et le pouvoir exécutif.

La réunion est levée à 11h.