Lundi 14 mars 2016

- Présidence de Mme Corinne Féret, présidente -

La réunion est ouverte à 16 heures

Audition de M. Mohamed Beddy Ebnou, enseignant de la finance internationale et de la finance islamique à l'Université de Dauphine dans le cadre de l'executive master « Principes et pratiques de la finance islamique »

Mme Corinne Féret, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec deux auditions centrées sur le financement du culte musulman. Nous entendrons M. Mohamed Beddy Ebnou, enseignant à l'université Paris-Dauphine, puis M. Bruno Dalles, directeur de Tracfin.

Monsieur Ebnou, vous enseignez la finance islamique à l'université Paris-Dauphine, qui a mis en place un master exécutif intitulé « Principes et pratique de la finance islamique ». Vous pourrez nous éclairer sur la place de cette finance dans l'ensemble du secteur financier français et mondial, mais surtout sur ses liens possibles avec le financement du culte musulman. Les règles qui encadrent la finance islamique autorisent-elles le financement du culte dans des conditions suffisantes de transparence, ou bien l'interdisent-elles au contraire ? Plus généralement, qui a recours à la finance islamique en France, et pour quels projets ?

M. Mohamed Beddy Ebnou, enseignant à Paris-Dauphine. - La finance islamique n'est pas fondamentalement différente de la finance conventionnelle. Absorbée par le fonctionnement de l'ingénierie financière conventionnelle, elle se développe depuis trente ans par adaptations successives. D'une part, la finance islamique est conforme au droit musulman, c'est-à-dire au fiqh que l'on assimile parfois à la charia. Ce droit, fondé sur les interprétations successives des jurisconsultes, est considéré comme non étatique, même si le débat n'a pas été définitivement tranché. Il ne peut à ce titre être associé à aucun corpus juridique. D'autre part, la finance islamique est conforme au droit de l'État dans lequel elle s'exerce, ce qui facilite sa pratique auprès d'une partie de la clientèle des banques. La plupart des banques conventionnelles, parmi lesquelles la Société générale ou BNP-Paribas, ont ouvert des filières appropriées ou islamic windows, qui exercent à l'étranger ou en outremer, par exemple à Mayotte, à Dubaï ou en Malaisie.

La commission en charge de mettre en place la finance islamique dans les banques françaises suggérait initialement de la désigner sous le nom de « finance alternative ». Les banquiers ont préféré « finance islamique » pour garantir la transparence du message. Les études universitaires se sont beaucoup développées sur ce sujet, d'où la création du diplôme dans lequel j'exerce. Petit à petit, les diplômes spécialisés en finance internationale ont intégré un module de finance islamique. Deux masters spécialement dédiés existent, l'un à Strasbourg, l'autre à Paris-Dauphine.

En revanche, malgré les nombreux projets qui ont vu le jour en 2008 et 2009, aucune banque ne s'est spécialisée en France dans la finance islamique. Certaines banques conventionnelles disposant de fenêtres islamiques ont proposé des services partiels, comme la banque Chaabi du Maroc qui offre un service d'acquisitions immobilières conformes aux principes de la finance islamique.

Pour ce que j'en sais, il n'y a pas de lien direct entre la finance islamique et le financement des lieux de culte. En revanche, le mécanisme du clearing ou de la purification, facilite ce financement. Lorsque les comités de conformité autorisent les banques à émettre des pénalités contre leurs clients retardataires, ils exigent que ces pénalités ne passent pas en profit pour la banque, mais qu'elles soient reversées à des institutions caritatives. C'est ainsi que des établissements à caractère religieux ont pu être financés par un certain nombre de banques ou de fonds à l'étranger. Cependant, depuis les attentats du 11 septembre, les exigences de transparence se sont durcies, et les banques font désormais appel aux États pour désigner les institutions bénéficiaires à privilégier. En France, l'État a ainsi recommandé l'Institut du monde arabe. Les subventions sont plus concentrées qu'auparavant et laissent sur la touche un certain nombre d'institutions qui s'en plaignent.

La finance islamique se pratique surtout à l'étranger, avec seulement quelques unités de recherche installées à Paris. HSBC, qui dispose d'une importante filiale dédiée à la finance islamique, n'a pas souhaité ouvrir d'antenne dans la capitale française. Cette réserve des banques françaises s'explique par l'a priori qui domine sur la composante sociologique des musulmans de France, issus pour la plupart du Maghreb et d'Afrique sub-saharienne et sans tradition particulière en matière de finances.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Pourriez-vous nous donner des détails sur les produits financiers concernés ? Avec Philippe Marini, nous nous étions engagés auprès des autorités saoudiennes à développer ces produits. Pourriez-vous nous décrire un produit-type ?

M. Mohamed Beddy Ebnou. - En France ou à l'étranger ?

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Les deux. Quelle est la particularité de la finance islamique ?

M. Mohamed Beddy Ebnou. - Elle repose sur un principe général qui est l'interdiction de faire des gains sans cause. Les gains doivent forcément résulter, soit d'un effort, soit d'une responsabilité assumée. Il y a d'abord l'interdiction de lancer des contrats sur certains produits comme les psychotropes, les vins, les jeux de hasard ou la pornographie. Tous les produits considérés par la jurisprudence musulmane comme « susceptibles de provoquer des séditions », à savoir les armements, sont également ségrégués. Quant aux contrats, on prohibe ceux qui ne sont pas suffisamment déterminés ou qui portent des informations asymétriques, au désavantage du client.

Autre particularité, la finance islamique est participative. Toutes les transactions doivent être adossées à des actifs tangibles. Les profits et pertes sont partagés. À cela s'ajoute le principe des externalités sociales, selon lequel toutes les activités financières doivent générer un environnement social favorable.

Cela étant, la finance islamique est loin d'être à la hauteur des principes qu'elle affirme. Parmi les contrats, on en compte 20 à 30 % relatifs aux sociétés où la banque est actionnaire, contre 60 % de contrats commerciaux convertis en contrats financiers. Par exemple, le contrat Mourabaha s'est largement développé depuis 2009. La banque acquiert à la demande d'un client un bien immobilier en vue de le lui revendre à son coût d'acquisition plus une marge bénéficiaire convenue d'avance. La banque assume ainsi les responsabilités classiques du vendeur, à l'image du commerçant qui assume ses responsabilités par rapport à ses clients entre le moment où il achète un produit et celui où il le revend. Cette justification morale reste cependant contestable, dans la mesure où la banque capte dans cet intervalle de temps un intérêt qu'elle calcule sous forme de bénéfice. Ces intérêts sont fragmentés et payés par l'acheteur en versements mensuels, comme dans la finance classique.

Les banques tentent en général d'écourter au maximum l'intervalle de temps entre l'achat et la revente, au point de le rendre fictif, l'achat auprès du fournisseur finissant par coïncider avec la revente au client. Ce n'est pas sans rappeler le sketch de Chevallier et Laspalès « On passe par Pau, mais on ne s'y arrête pas ». En réduisant à rien ce délai, la banque supprime le caractère commercial de l'opération et la convertit en une simple opération financière.

Les banques prétendent rester fidèles à l'éthique de la finance islamique, dans la mesure où il n'y a pas d'intérêt coextensif au temps. Si le client doit payer un demi-million d'euros sur cinq ans, cette somme n'augmentera en principe pas s'il n'est pas en mesure de s'en acquitter dans les délais. C'est sans compter les manoeuvres des banques auprès de leur comité de conformité pour trouver des moyens de pénaliser les clients retardataires.

En France, certaines institutions non bancaires pratiquent des produits qui relèvent de la finance islamique, comme ce cabinet d'avocats, à Lyon, qui réalise des acquisitions immobilières en collectant un certain nombre de moyens financiers auprès des investisseurs. Il procède ensuite à peu près selon le mécanisme que je viens de décrire, sans avoir besoin d'aucun agrément relatif à l'existence d'une banque, puisque rien ne l'interdit dans le droit français.

Quatre ou cinq fonds, enregistrés au Luxembourg et exerçant à Paris, proposent des mécanismes d'assurance solidaire conformes à la finance islamique. Le droit français n'y fait pas obstacle. La difficulté reste d'obtenir un partenariat financier avec les banques conventionnelles. Pour l'instant, l'offre en matière de finance islamique reste limitée en France, malgré les annonces répétées de la Banque islamique du Qatar qui tente depuis sept ou huit ans d'ouvrir des fenêtres en France. La Banque islamique de France promue en son temps par Christine Lagarde n'a pas non plus obtenu d'agrément et a dû déplacer son centre à Londres.

On recense 10 % de produits faisant appel à un mécanisme autre que la Mourabaha, comme la micro finance islamique, pratiquée en Thaïlande, où l'on compte 15 % de Musulmans. L'expérience avait d'abord été tentée en Malaisie, où une banque prétendait ne facturer à ses clients que des frais de gestion, alors que le micro crédit implique habituellement un niveau d'intérêts élevé. Soupçonnée de fixer ces frais à un niveau anormalement élevé pour compenser les pertes, cette banque a fait l'objet de contrôles répétés de la part de l'État malaisien, dont la Banque centrale dispose d'un comité de régulation dédié à la finance islamique. Cette expérience s'est achevée par un échec en 2001. Mais en Thaïlande, une autre banque s'en est inspirée en développant un mécanisme qui relève du droit musulman : l'aumône régulière à laquelle sont soumis les Musulmans au-dessus d'un certain niveau de ressources. Une fois ces aumônes collectées, la banque les utilise pour financer des projets de micro crédit, dont elle devient partenaire, avant de se retirer progressivement du capital. L'expérience connaît un grand succès, auprès de clients, dont d'ailleurs seulement 30 % sont musulmans, le reste de la clientèle étant à l'image de la composition sociologique du pays. La Banque islamique d'Algérie offre ce type de financement à ses clients depuis 2011. La pratique s'élargit à des pays comme le Sénégal ou le Maroc, où le micro crédit n'avait pourtant pas fonctionné jusque-là.

Mme Corinne Féret, présidente. - Dans quelle proportion les musulmans de France ont-ils recours à la finance islamique de manière régulière ?

M. Mohamed Beddy Ebnou. - Les enquêtes sociologiques sont partielles et nous restons circonspects à leur égard. Quand on nous dit que 70 % des musulmans français seraient en attente des produits de la finance islamique, n'est-ce pas d'abord pour soutenir l'intérêt de certaines banques ? Nous ne disposons pas d'enquête exhaustive pour le confirmer. L'estimation est d'autant plus complexe que les clients qui manifestent un intérêt pour la finance islamique ne sont pas forcément de confession musulmane. La plupart des enquêtes sont le fait d'associations ou de structures qui ne font pas autorité. Une organisation liée à Paris Europlace a établi qu'en 2011 au moins 60 % des cadres supérieurs de confession musulmane disaient avoir besoin de la finance islamique pour financer une acquisition immobilière. Est-ce parce que cette offre n'existe pas pour l'instant qu'un certain nombre d'entre eux ne réalisent pas d'acquisition immobilière ? Est-ce pour d'autres raisons ? La banque Chaabi a proposé une offre limitée pour des acquisitions immobilières inférieures à un certain seuil, avec un délai de remboursement inférieur à dix ans. Cette offre n'a pas eu le succès escompté.

L'Institut français de finance islamique a enregistré beaucoup de demandes en provenance de structures sociales qui, pour la plupart, se méprenaient sur la nature de cette finance, imaginant qu'elle était purement caritative ou cultuelle. La crainte des banques islamiques anglaises n'est pas sans fondement. L'arrière-plan sociologique est légèrement décalé en France.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Quel est le chiffre d'affaires de la finance islamique à Londres ?

M. Mohamed Beddy Ebnou. - Le chiffre avancé est de 8 milliards de livres. À l'échelle mondiale, il varie entre 20 milliards et 50 milliards de dollars. À Londres, il oscille entre 7 et 10 milliards de livres. Il y a dix ans, il n'atteignait pas tout à fait le milliard. Ce chiffre d'affaires augmente donc chaque année de manière exponentielle. Cependant, prend-il en compte toutes les pratiques ou exclusivement l'activité des banques ? Tient-il compte des fenêtres ? BNP-Paribas pratique la finance islamique, pourtant elle n'est pas toujours comptée parmi les banques islamiques, car elle n'a qu'une fenêtre islamique. On estime que globalement le chiffre d'affaires de la finance islamique augmente de 12 à 15 % par an.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - L'enjeu est de rendre plus transparent et plus captif un système grâce auquel on pourrait financer une mosquée. Dans le contexte tendu de la société française, ce n'est pas forcément une bonne idée que BNP-Paribas ouvre une fenêtre islamique en France. On pourra toujours expliquer que les produits de finance islamique sont accessibles aux non-musulmans. Y a-t-il vraiment un besoin ? Entre d'un côté les limites imposées par la loi de 1905, de l'autre les besoins exponentiels de la communauté musulmane en France, comment rendre les circuits financiers plus transparents et développer le rôle des institutions françaises dans ce domaine ? La finance islamique pourrait être un outil pour résoudre l'équation.

M. Mohamed Beddy Ebnou. - Un rapport est sorti il y a un an, montrant que certaines structures informelles comme les librairies, les mosquées, etc., constituent un réseau économique parallèle. La plupart des musulmans français ont des réflexes étatisés. Ils considèrent que si un domaine n'est pas réglementé, la carence en revient à l'État. L'Institut français de la finance islamique a enregistré beaucoup de demandes de financement de la part d'organisations qui estiment que la construction d'un lieu de culte, d'une salle de conférence, ou d'une salle de cours ne peut pas faire l'objet d'un financement classique de la part d'une banque. Elles préfèrent recourir à des collectes informelles, ce qui favorise la création de circuits parallèles. Un certain nombre de sandwicheries ont ainsi été créées en vue de construire une salle de prière. Mais aucune étude systématique n'existe sur ces questions.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Je prends un exemple fantaisiste : la Caisse des dépôts, bras armé de l'État, doit fusionner avec l'Agence française de développement et sera donc amenée à travailler avec la Banque islamique de développement ; imaginons qu'elle ouvre une fenêtre islamique pour collecter ce type de financement, cette idée vous paraît-elle absurde ?

M. Mohamed Beddy Ebnou. - Une étudiante a écrit un mémoire là-dessus. Il est accessible en ligne me semble-t-il. Elle a été encadrée par des membres de l'Agence française de développement. Pour le financement d'un certain nombre de projets, les gens ont recours à un partenariat d'investissement, grâce à un contrat de Moudaraba, à ne pas confondre avec le contrat Mourabaha. Selon ce système, le client dépose son argent dans une banque qui devient son entrepreneur sur le papier, c'est-à-dire qu'elle se transforme à son tour en investisseur. Le client participe donc au financement d'un projet sans prêt à intérêts ou sans rémunération ex ante, mais toujours en fonction de la performance d'un actif. L'argent investi est adossé aux bénéfices d'un projet qui sont ensuite reversés au client. C'est ainsi qu'a fonctionné un des premiers projets de finance islamique, dans les années soixante, le projet Mit Ghamr, qui a abouti à la création en Égypte de structures bancaires solidaires, finalement nationalisées en 1969 ou 1970.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Nous essaierons de retrouver ce mémoire. Les structures évoluent. Les systèmes devraient percuter.

M. Mohamed Beddy Ebnou. - Au moins la moitié des mémoires sur la finance islamique défendus à Paris-Dauphine concernent ses aspects français.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Nous vous remercions. Nous avons traîné sur la mise en place de la finance islamique en France, malgré toute la détermination de Christine Lagarde.

M. Mohamed Beddy Ebnou. - Le choix des mots a beaucoup joué. Dès qu'on parle de charia, de fatwa ou même de finance islamique, les gens ont peur. À Dauphine, plutôt que fatwa, nous préférons utiliser responsa, qui désigne la réponse juridique.

Mme Corinne Féret, présidente. - Avez-vous d'autres précisions à ajouter ?

M. Mohamed Beddy Ebnou. - J'insisterai sur l'enthousiasme que la finance islamique suscite dans les associations ou chez les particuliers, notamment les générations à Bac + 2 ou Bac + 3. Beaucoup postulent pour être formés à Dauphine. L'engouement pour ce type de finance n'a pas forcément un caractère confessionnel.

Le mécanisme de purification peut bénéficier à des structures qui ne sont pas cultuelles. Il y a deux ou trois ans, j'ai été invité au Maroc à un colloque organisé par l'AISCO, l'équivalent islamique de l'Unesco, sous l'égide de la Conférence islamique. J'y ai entendu qu'en raison des restrictions imposées sur les modes de purification dans tous les pays pétroliers, les banques et les fonds avaient choisi de favoriser les organisations officielles au-dessus de tout soupçon. C'est vers elles que convergent désormais les fonds qui viennent parfois de différents pays. Une partie des structures cultuelles de la France étaient financées ainsi. Depuis 2001, ce n'est plus le cas, même pour la Mosquée de Paris.

Un autre mécanisme de financement est celui du trust. Il est prévu dans le droit islamique et est intégré dans le droit français depuis 2007. L'Agence française du développement s'y est beaucoup intéressée. La pratique consiste à ce que des fondations ou des institutions assurent le financement d'un projet éducatif, comme cela se fait beaucoup aux États-Unis, notamment pour le financement des universités.

Mme Corinne Féret, présidente. - Nous vous remercions de nous avoir éclairés sur la finance islamique.

Audition de M. Bruno Dalles, directeur de TRACFIN

Mme Corinne Féret, présidente. - Merci de vous être rendu disponible pour répondre à notre invitation. TRACFIN est la cellule française de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment des capitaux. Elle recueille et analyse les déclarations de soupçon qui lui sont transmises par les professionnels assujettis, notamment les banques. Nous sommes intéressés par votre point de vue sur le financement des lieux de culte ou des associations musulmanes culturelles ou de bienfaisance, au sein desquelles des risques de blanchiment ou de financement du terrorisme auraient été détectés. S'agit-il de financements étrangers ou français ? Quelle est leur ampleur ? Y a-t-il une typologie des organisations principalement concernées ? Les modes actuels de financement du culte musulman en France vous paraissent-ils suffisamment transparents ? Je vous précise que cette audition ne fera pas l'objet d'une captation vidéo, mais donnera lieu à un compte rendu publié.

M. Bruno Dalles, directeur de TRACFIN. - Merci de votre invitation. L'intitulé de votre mission d'information est si large que j'ai d'abord craint de vous décevoir ; TRACFIN ne s'intéressant qu'aux mouvements financiers - et seulement dans les cas pathologiques - l'organisation et le financement de l'Islam en France sont des sujets qui dépassent mes attributions. De plus, nous ne faisons pas de recherche de renseignement, et notre travail porte uniquement sur les données qui nous sont signalées par des déclarations de soupçon, comme vous l'avez indiqué. Nous n'exploitons pas de bases de données ni ne procédons à des études statistiques. Enfin, 85 % des quelque 40 000 déclarations de soupçon qui nous parviennent chaque année concernent le secteur financier.

Certaines, toutefois, portent sur l'activité d'associations humanitaires, d'aide aux personnes incarcérées, ou encore de gestion et de rénovation de lieux de cultes. En pareil cas, c'est que ces associations ont éveillé les soupçons d'une institution assujettie. Il est vrai que la médiatisation de certaines affaires incite les établissements financiers à vérifier si l'association évoquée figure dans leurs bases de données et, si c'est le cas, à nous adresser une déclaration. Cela dit, TRACFIN s'était déjà intéressé à l'association BarakaCity avant que le doublement de son volume d'activité et du nombre de ses salariés ne défraie la chronique.

Dans ces associations, nous trouvons plus souvent des irrégularités comptables banales que des anomalies susceptibles de constituer l'infraction de financement du terrorisme. D'ailleurs, d'autres associations, notamment sportives, ne sont pas toutes des modèles de transparence. En fait, le statut associatif est en lui-même porteur de risques d'opacité.

Pour une association donnée, nous identifions les comptes bancaires situés sur le territoire national, recensons les ressources et vérifions que les dépenses effectuées correspondent bien à l'objet de l'association. Souvent, les opérations financières sont tout à fait licites. La complexité de certains modes de financement ne signifie pas nécessairement que les dépenses concernées ne sont pas conformes à l'objet de l'association. Même, certaines associations sont contraintes de changer d'établissement financier au rythme des déclarations de soupçon, au point d'en être parfois rendues à demander à la Banque de France de bénéficier du droit au compte ! Si elles en viennent à devoir ouvrir un compte à l'étranger, cela complique notre travail... Il arrive que les virements soient effectués depuis un compte PayPal, ce qui rend difficile de retracer l'origine des fonds, malgré les bonnes relations que nous avons avec le Luxembourg, où est situé le siège de PayPal. Et, si nous accédons aux justificatifs des dépenses, nous ne pouvons nous assurer qu'ils correspondent à la réalité. Nous dépendons pour ce type de vérification des autres services de renseignement.

Nous épluchons les comptes d'une pléiade d'associations, suite à une déclaration de soupçon ou à la demande d'un service de renseignement. Nous travaillons ainsi sur une association qui aide les détenus et leurs familles - qui mériterait d'être mieux surveillée, car cet objet peut recouvrir du prosélytisme. Elle verse de l'argent à des familles de détenus ou même à des détenus. Or ceux-ci appartiennent à la mouvance islamiste radicale. On imagine l'effet au sein des établissements pénitentiaires... Il est utile de connaître les donateurs de ce type d'association, car nous savons que le parcours-type de l'apprenti-terroriste commence par le soutien logistique. Ensuite, nous passons le relais aux services de renseignement.

Les associations participant à la mise en place de lieux de prières que nous avons examinées ont souvent une faible surface financière, et il est rare que leurs fonds proviennent de l'étranger. Certes, les médias se font l'écho d'opérations publiquement financées par certains pays ou donateurs étrangers. Dans nos dossiers, le chèque moyen est typiquement d'une centaine d'euros, et plus de la moitié des dons n'atteignent pas cinquante euros. Les infractions que nous décelons sont, de ce point de vue, décevantes. Des retraits d'argent liquide, par exemple, n'ont souvent d'autre objet que de financer une partie des travaux au noir ou, au pis, de contribuer aux dépenses personnelles de certains membres. Bien sûr, si l'association appartient à la mouvance salafiste, nous entrons dans une logique d'entrave et ce type d'information est transmis à la justice, qui ouvre une enquête judiciaire pour abus de confiance ou blanchiment afin d'accrocher le plus tôt possible ce type d'acteurs. Mais nous sommes loin de l'infraction de financement du terrorisme !

Dans l'un de nos dossiers, sur un budget de 2 millions d'euros, 1,3 million d'euros viennent d'une personne privée, originaire du Qatar. La transparence est faible, mais ce n'est pas interdit. Nous nous bornons à vérifier que la personne en question ne figure sur aucune liste des Nations Unies ou des services de renseignement. Établir ainsi l'environnement financier est utile, dès lors que nous partageons ces informations avec les autres services de renseignement et que ce travail mène parfois à des décisions administratives, comme récemment à Lagny-sur-Marne - où le responsable avait tout de même eu le temps de partir en Égypte...

Certains modes de financement accroissent l'opacité et sont dénoncés par TRACFIN depuis quelque temps. Les comptes Nickel, par exemple, ont déjà 230 000 utilisateurs. M. Sapin a souhaité qu'ils soient enregistrés dans le fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) ; ils le sont depuis le 1er janvier, mais ils ont soulevé des difficultés en 2014 et en 2015. De même, le financement participatif, ou crowdfunding, est très opaque. On peut quasiment financer ainsi son djihad ! La finance islamique en fait un grand usage, pour des transactions répondant à ses critères : absence d'intérêts, prêts étudiants, aide communautaire... Depuis une ordonnance de 2014, les établissements de paiement concernés sont assujettis aux obligations de lutte contre le blanchiment, mais ils n'émettent pas spontanément de déclarations de soupçon. Aussi allons-nous à leur rencontre pour les sensibiliser à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Enfin, la réduction des montants de paiement en liquide autorisés est bienvenue, comme la traçabilité des cartes prépayées, qui sera débattue prochainement au Sénat. Il convient aussi de renforcer les possibilités de mettre une personne physique ou morale sous surveillance. Bien sûr, ces dispositifs doivent faire l'objet d'une coordination européenne et internationale. Il y a encore beaucoup à faire : en Europe, les entraves restent nombreuses ; quant à la Turquie, notre coopération avec elle est quasi-nulle.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Au cours de deux commissions d'enquête passées, j'ai développé un tropisme envers TRACFIN : nous avions établi des contacts réguliers avec votre prédécesseur, M. Carpentier. J'espère que cela continuera avec vous, ne serait-ce que pour garantir l'augmentation de vos moyens. Lors de l'examen de la loi du 13 novembre 2014, j'avais déposé des amendements sur le crowdfunding et les cartes prépayées. Le rapporteur, Alain Richard, avait estimé alors qu'ils étaient trop éloignés du sujet. Je me réjouis qu'il ait changé d'avis, mais nous avons perdu deux ans...

Comment renforcer la transparence ? Je me souviens que vos services surveillaient particulièrement les écoles musulmanes. Est-ce toujours le cas ? La transparence doit être accrue d'abord pour protéger la communauté musulmane. Cette préoccupation préexistait à la problématique du terrorisme, qui n'a fait que s'ajouter à celle de la grande délinquance - avec laquelle le terrorisme entretient d'ailleurs des liens démontrés. Le statut des associations ne doit-il pas être modifié pour faciliter le suivi de leur fonctionnement financier ? Il y a beaucoup d'associations qui peuvent interroger... Moudjahidines du peuple, Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), Ligue de défense juive, Betar : cela ne concerne pas que les musulmans. Un véhicule législatif arrive : ne le ratons pas !

M. Bruno Dalles. - Depuis que j'ai pris mes fonctions l'été dernier, je n'ai pas eu connaissance d'anomalies dans les associations musulmanes gérant des écoles. Dans mes fonctions antérieures de procureur de la République, j'ai vécu l'explosion, dans le Sud de la Seine-et-Marne, de certaines écoles coraniques, où l'on faisait suivre à des personnes déscolarisées un enseignement qui n'avait rien à voir avec la convention passée avec l'Éducation nationale. Ces structures favorisent la radicalisation au moment même où nous développons des politiques de déradicalisation ! Parmi les personnes interpellées à la suite des évènements violents survenus à Paris il y a deux ans, les jeunes issus de ces établissements étaient surreprésentés.

Le texte tel qu'il a été stabilisé à l'Assemblée nationale comporte des avancées dans la lutte contre le financement du terrorisme : les mesures que nous préconisions y figurent, enrichies par le travail des parlementaires. Nous n'avons pas demandé de cadre juridique plus strict pour le financement participatif, car l'urgence est de donner aux autorités les moyens de faire respecter les règles existantes. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) doit pouvoir mieux contrôler la délivrance des agréments et TRACFIN doit mieux travailler avec les établissements de paiement qui gèrent les plateformes participatives. S'ils sont défaillants, l'ACPR doit prendre des sanctions, allant jusqu'au retrait d'agrément. En somme, l'ordonnance de mai 2014 est suffisante, pourvu qu'elle soit appliquée.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Il n'y a pas d'enregistrement obligatoire des opérations de crowdfunding...

M. Bruno Dalles. - L'établissement de paiement doit être vigilant et respecter ses obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - J'avais proposé, en 2014, la création d'un portail au ministère de l'économie et des finances pour que ces opérations soient déclarées, ce qui aurait facilité leur contrôle. N'est-ce pas une bonne idée ?

M. Bruno Dalles. - Il faut surtout appliquer les règles existantes. L'Organisme pour le registre des intermédiaires en assurance (ORIAS) enregistre déjà certaines opérations de ces plateformes.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Et les dons ?

M. Bruno Dalles. - Ils doivent transiter par un établissement de paiement agréé. Mais ceux-ci sont divers, et bénéficient de plusieurs types d'agréments. Nous devons vérifier qu'ils ont pris des mesures de lutte contre le blanchiment. Si l'encadrement juridique actuel s'avère insuffisant, il faudra songer à lui faire franchir un saut qualitatif. Il n'en va pas de même des cartes prépayées, sur lesquelles vous avez eu raison avant tout le monde. Après le 13 novembre, il est apparu que les membres du commando belge en avaient utilisé pour régler un séjour dans un hôtel d'Alfortville. Sur ce point, la quatrième directive européenne ne va pas assez loin. C'est pourquoi, le 2 février dernier, la Commission européenne a publié un plan de lutte contre le financement du terrorisme reprenant des propositions franco-allemandes et concernant aussi les monnaies virtuelles, comme le bitcoin.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Il faut les interdire !

M. Bruno Dalles. - Ce serait le plus simple.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - À vrai dire, nous en avions une compréhension assez faible, qui nous a incités à en proposer l'interdiction.

M. Bruno Dalles. - L'Europe a décidé de ne pas assujettir les transactions en bitcoin à la TVA, par crainte de créer une situation semblable à celle du marché du carbone, corrompu par la fraude. C'est bien qu'il y a un problème ! Mais la règlementation nationale devrait suffire, pour l'instant. D'ailleurs, il n'y a pas de lien prouvé entre bitcoin et financement du terrorisme. Il est vrai en revanche que les cyberattaques sont financées en bitcoins...

Pour accroître la transparence des associations, leur statut devrait être modifié. Certaines n'ont plus rien à voir avec un petit club de pétanque local : budgets de plusieurs millions d'euros, nombreux salariés, activités concurrentielles... La loi de 1901 est sans doute difficile à modifier, mais nous devrions mieux connaître les membres de chaque association. Une simple déclaration en sous-préfecture suffit à créer une association, et en l'absence de base de données nationale, il est impossible de procéder à des recoupements. De plus, l'administration fiscale ne lance de contrôles que si le volume de fraude supposé permet d'envisager des recouvrements intéressants. Ce n'est jamais le cas pour les associations qui relèvent de votre mission d'information. Même 8 millions d'euros, ce n'est pas un montant significatif... Imposer des plans de financement précis pour certaines opérations ou une obligation de dépôt et de contrôle des comptes pourrait réduire l'opacité.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Aux États-Unis, à partir d'un certain montant de dons reçus, une fondation doit avoir un comptable qui rend des comptes au Trésor. Au-delà d'un certain budget ou d'un certain nombre de salariés, nous ne sommes plus vraiment dans le cadre associatif tel qu'il a été créé en 1901, à mon avis. Je sais bien qu'il y a les Restos du Coeur... Mais dans certains cas, l'administration fiscale doit pouvoir requalifier le statut associatif en société commerciale.

Mme Corinne Féret, présidente. - Cela dit, au-delà d'un certain volume budgétaire, ou lorsque des subventions publiques sont perçues, les contrôles sont aussi renforcés, parfois même avant le versement des subventions. Les activités d'une association doivent correspondre à son objet, et l'évolution de sa gouvernance et de ses effectifs doit être régulièrement déclarée, même en l'absence de financements publics.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je crois beaucoup à l'exemplarité. Une opération de requalification - pas nécessairement d'une association musulmane - aurait de l'impact. Le secteur associatif est une vraie nébuleuse au sein de notre droit, par ailleurs assez rigoriste. Une réflexion s'impose, mais pas dans le cadre de cette mission, pour ne pas stigmatiser qui que ce soit. On sait bien que sous couvert du statut associatif, les partis politiques en exil qui s'installent à Auvers-sur-Oise ou les centres culturels établis rue de Paradis sont financés de manière très opaque et ne sont pas toujours très recommandables. Dès lors que nous les accueillons sur le territoire national, la loi de la République doit s'appliquer. C'est à Bercy de s'en assurer.

M. Bruno Dalles. - Oui, le suivi des associations doit être amélioré, notamment lorsqu'elles ne touchent pas de subventions publiques, et ne font donc pas l'objet des contrôles afférents. Les obligations pourraient être modulées en fonction du nombre de salariés, du montant des dons ou du volume d'activités. Si la direction générale des finances publiques en a les moyens, elle s'assurera que ces contraintes soient respectées. C'est au ministère de l'Intérieur qu'il revient de préparer un texte en ce sens.

Mme Corinne Féret, présidente. - Merci.

La réunion est levée à 18 h 05

Jeudi 17 mars 2016

- Présidence de Mme Corinne Féret, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 30

Audition de M. Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM), et de M. Michel Soussan, conseiller

Mme Corinne Féret, présidente. - Nous accueillons aujourd'hui M. Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (Fnem) et son conseiller, M. Michel Soussan. Si la fédération, créée en 2014, est récente, la question de l'enseignement privé musulman n'est pas nouvelle dans le débat public. Elle a pris corps avec la création à Lille d'un lycée puis d'un collège Averroès dont, monsieur Mamèche, vous avez rejoint l'équipe de direction. Vous êtes également vice-président de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) en charge de l'enseignement privé.

Nous mesurons bien que l'enseignement privé musulman n'est pas une modalité directe du culte, mais notre mission a souhaité recueillir votre point de vue, ce type d'enseignement étant en lien direct avec le développement de la pratique de l'Islam en France.

Sur la base de vos propres observations, pourriez-vous nous faire part des attentes de la communauté musulmane en matière d'enseignement privé, peut-être en comparaison avec le modèle de l'enseignement catholique ou protestant ? Assiste-t-on en France à une montée en puissance des établissements scolaires confessionnels ? Quel contrôle l'État exerce-t-il sur ces établissements ? Enfin, quel contenu relatif à la pratique de l'Islam - l'enseignement coranique par exemple - y est-il dispensé ? Selon vous, à quel mode de vie un musulman doit-il se conformer dans la société française ?

M. Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM). - Merci de cette invitation. L'enseignement privé musulman en France s'inscrit pleinement dans le paysage éducatif français, en respectant les programmes d'enseignement - y compris les établissements hors contrat - et les valeurs de la République. Apparu au début des années 2000, il répond à un réel besoin scolaire et à une demande grandissante. C'est un levier de développement pour l'enseignement privé, en rien un repli identitaire ou un refuge.

Les établissements privés musulmans sont des lieux d'éducation et d'enseignement pour réussir sa scolarité et non apprendre par coeur le Coran. Ils s'inscrivent dans un paysage franco-français et représentent un endroit idéal pour transmettre les valeurs de l'Islam, en parfaite harmonie avec celles de la République : le vivre ensemble, le respect d'autrui, la paix, l'amour, pour lutter contre toutes les formes de radicalisme et d'extrémisme.

L'enseignement privé n'a pas pour but de remplacer l'enseignement public mais d'offrir le choix aux parents d'élèves de profiter de cette valeur ajoutée qu'est le caractère propre de nos établissements. La création de ces établissements n'est en aucun cas un signe d'échec de l'intégration. C'est au contraire un signe de réussite puisque les musulmans intègrent le système éducatif français, au même titre que les catholiques, les protestants, les juifs ou les laïcs, en tant que composante de la société.

En mars 2014, les établissements Averroès à Lille, Al Kindi à Lyon, Ibn Khaldoun à Marseille, La Plume à Grenoble et Éducation et Savoir à Vitry-sur-Seine se sont unis en fédération nationale, à l'instar des établissements catholiques ou juifs, avec pour perspective l'organisation et la structuration de l'enseignement privé musulman. Cette fédération, qui mutualise les expériences, est l'interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Constituée de soixante établissements privés - surtout des écoles primaires - dont six sous contrat, elle accompagne et coordonne les porteurs de projet, puisque des nouveaux établissements sont créés chaque année.

Les cinq premières années de son existence, c'est-à-dire la période d'observation, un établissement est hors contrat ; il ne reçoit pas de subvention publique. Les porteurs de projet, que je salue, assument eux-mêmes le budget de leur établissement, mus par le courage. Ce financement intégral n'est pas une mince affaire.

Au bout de cinq ans, il est possible de signer un contrat. Seul le lycée Averroès est sous contrat total. Pour les cinq autres concernés, le contrat est partiel. Ainsi, deux établissements ont signé l'an dernier un contrat pour une seule classe. Le groupe scolaire Al Kindi à Lyon a signé son premier contrat en 2011 ; chaque année, une classe est ajoutée. À ce rythme-là, s'il compte vingt classes, il faudra attendre vingt ans pour que tout l'établissement soit sous contrat...

J'attends un geste politique fort du Gouvernement, du ministère de l'éducation nationale, pour rattraper ce retard. Le contrat d'association est le meilleur moyen de contrôler non seulement les finances mais aussi la pédagogie. Un vrai dialogue doit s'installer pour voir où sont les problèmes.

La formation du personnel représente également un grand chantier. Les autres branches de l'enseignement privé ont leurs centres de formation des maîtres - nous avons ce déficit.

Quand une école musulmane ouvre, on pense qu'il y a un problème de repli identitaire, de communautarisme et on met des bâtons dans les roues en pointant la communauté musulmane. Je vous invite à ouvrir un dialogue franc avec les porteurs de ces projets, vous serez étonnés de voir à quel point ils défendent les valeurs de la République. Il est faux de parler d'islamisme ou de repli.

J'ai visité nombre d'établissements, été invité à nombre de rencontres. L'objectif de l'ouverture d'un établissement privé musulman n'est pas d'en accroître le nombre mais de répondre à un réel besoin scolaire et d'assurer la qualité de l'enseignement. En outre, ces établissements doivent être ouverts à tous, y compris bien sûr les non-musulmans, comme les autres.

À l'enseignement de qualité, s'ajoute un caractère propre : outre l'éthique musulmane, matière facultative, on essaie de transmettre les valeurs de cette grande religion. Le programme est celui de l'éducation nationale - les établissements sous contrat reçoivent des inspecteurs de l'académie. La langue arabe, langue vivante comme le sont l'espagnol ou l'anglais, est enseignée, comme partout ailleurs. On enseigne aussi l'éthique et la religion musulmane comme on fait le catéchisme dans les établissements catholiques ou l'enseignement de la Torah pour les juifs. Nous essayons de transmettre nos valeurs d'amour, de respect d'autrui.

Nos établissements sont ouverts à tous les contrôles qui existent. Les portes sont ouvertes, et je demande l'instauration d'un vrai dialogue. La meilleure façon de les contrôler est encore de les faire passer sous contrat.

Nous avons tout à gagner à donner à l'enseignement privé musulman les moyens de réussir.

M. Michel Soussan, conseiller. - J'ai fait toute ma carrière dans l'éducation nationale. Avant mon dernier poste en tant que directeur de l'académie de Paris, je suis passé par des académies à forte implantation de l'enseignement privé catholique, je pense à la Bretagne - et bien sûr l'Orne, Madame le rapporteur. J'y ai beaucoup connu l'enseignement privé sous contrat. Lorsque j'ai pris ma retraite, j'ai été appelé par le président de l'association Averroès, qui m'a demandé si je pouvais être le coach du directeur, qui était alors dépourvu de tout supérieur. C'est ainsi que je me suis attaché à cet établissement, dont je suis devenu conseiller pédagogique. En fait, j'exerce cette fonction aussi bien en direction des enseignants que des élèves et des parents d'élèves. Je m'y suis extrêmement impliqué jusqu'à ce que le président du conseil départemental du Nord m'appelle à ses côtés sur les questions d'éducation. Je suis donc un peu moins présent à Averroès. Mais j'invite les sénateurs à venir en visite.

La Fnem a élaboré une charte des principes fondateurs de l'enseignement privé musulman de France, à laquelle les établissements membres doivent souscrire. J'en suis garant. Je suis un militant laïc qui ne pratique aucune religion, et je souhaite montrer qu'un établissement confessionnel peut défendre constamment les valeurs de notre pays. Le lycée Averroès accueille des enfants non musulmans.

Le problème de l'enseignement musulman est politique. Nous avons besoin d'une volonté politique. Notre lettre du 4 janvier à la ministre de l'éducation nationale, qui demandait des moyens, est restée sans réponse. Alors que la Fnem regroupe 5 000 élèves dans une soixantaine d'établissements, qu'une quinzaine ouvre, que six peuvent passer sous contrat, nous n'avons pas réussi à savoir quelle serait la dotation attribuée pour la rentrée prochaine.

Le budget de l'État accorde aux établissements privés les moyens de fonctionner dès l'adoption de la loi de finances. L'enseignement catholique connaît sa dotation au mois de décembre. Les autres établissements qui dépendent de la réserve, c'est-à-dire de ce qui sera distribué ensuite - selon des critères inconnus -, ne connaissent leur dotation que tardivement. Cette année, la réserve comprend soixante-dix contrats. Alors que nous souhaitons être informés en temps utile, comme l'enseignement catholique, on ne nous informe pas.

Le passage sous contrat classe par classe est excessivement lent. Il aurait fallu vingt ans pour Averroès et ses vingt classes. À l'époque, le préfet Daniel Canepa avait obtenu ce passage en une fois.

Ce système conduire aussi à des situations paradoxales. Ainsi, le groupe scolaire Al Kindi compte deux classes de troisième, dont une seule est sous contrat. Dans ce cas, pour le brevet, les élèves passent trois épreuves, outre le contrôle continu. Hors contrat, les élèves passent toutes les épreuves. Que fait-on, avec ces deux classes ? Comment répartir les élèves ?

Le lycée Averroès n'est pas coranique. La religion n'est pas une matière. Il n'existe que l'éthique musulmane, qui n'est pas obligatoire. Les élèves sont en majorité musulmans, mais ils ne le sont pas tous. À l'entrée en sixième ou en seconde, des parents non musulmans demandent s'ils peuvent inscrire leurs enfants. Oui ! La seule contrariété étant que nous avons quatre fois plus de demandes que de places.

À la différence de ce que j'ai connu dans l'enseignement public, et contrairement à ce qu'affirme l'inspecteur général Jean-Pierre Obin, il n'existe pas de cas d'extrémisme ni de radicalisation. Nous avons seulement signalé une jeune fille à la cellule nationale de prévention de la radicalisation après avoir interrogé quelques élèves venus nous dire qu'elle écoutait des émissions sur internet toute la nuit. Contrairement à ce que dit avec méchanceté et malveillance un professeur de philosophie, il n'y a jamais eu d'antisémitisme au lycée Averroès. Moi qui suis juif d'origine, je serais parti si j'en avais senti le moindre relent. Nous avons fait venir un rabbin et projetons d'emmener les enfants à Auschwitz et Birkenau. Nous cultivons avec beaucoup de force le dialogue interreligieux, et comme notre président de conseil départemental Jean-René Lecerf, nous sommes très partisans de l'enseignement du fait religieux.

Le lycée Averroès est un établissement exemplaire. Les inspecteurs venus nous contrôler nous ont dit que nous étions le seul établissement de l'académie à appliquer avec autant de rigueur le nouvel enseignement moral et civique. Nous avons des anciens élèves étudiants en médecine, ingénieurs... L'honneur de cet établissement est d'être un modèle. Il est beaucoup sollicité par d'autres qui souhaiteraient l'imiter. Je dis parfois que c'est la seule institution musulmane française qui ait vraiment réussi.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Merci pour ce vibrant plaidoyer. Je vois que M. Soussan a gardé toute son énergie.

Comment et par qui le financement de la construction et de la mise en place des établissements est-il assuré ? Comment et par qui s'effectue le choix et le paiement des enseignants ? Quel est leur statut ?

J'ai bien compris la rupture d'égalité entre les classes sous contrat et les autres, et votre plaidoirie pour un enseignement religieux. J'ai compris que certains élèves n'étaient pas musulmans. J'en déduis que le voile n'y est pas obligatoire : merci de me le confirmer.

Ces questions techniques sont extrêmement importantes pour ne pas créer la suspicion. Mieux les choses sont dites, plus nous serons à même d'être efficaces.

M. Makhlouf Mamèche. - Certains établissements sont nés au sein d'une mosquée, dans des salles de cours destinées à l'apprentissage de la langue arabe ou à l'école coranique. D'autres gestionnaires d'écoles louent ou achètent un bâtiment dédié à l'enseignement.

Les enseignants relèvent du droit privé, comme dans tout le secteur hors contrat. Le contrat de travail est signé entre le professeur et l'organisme gestionnaire de l'établissement.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Plus précisément, l'argent provient-il d'une collecte ?

M. Makhlouf Mamèche. - Le financement des établissements coûte cher. C'est un grand sacrifice. On organise des soirées caritatives pour financer tel ou tel projet, on organise des collectes dans les mosquées. Le financement provient aussi de l'étranger, même si c'est très difficile. Il existe des fondations, surtout dans les pays du Golfe, qui aident à financer la mise en place d'établissements privés musulmans - l'achat du bâtiment par exemple, mais pas le fonctionnement - tels que la Banque islamique de développement, basée à Djeddah, la fondation Qatar Charity, le Croissant rouge et d'autres organismes au Koweït, aux Émirats arabes unis. Il faut préparer un dossier qui passe dans différents circuits.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Soyez à l'aise. Ces structures, dès lors que l'État ne les finance pas, doivent trouver l'argent quelque-part. Cette question est tout à fait légitime. N'y voyez pas d'arrière-pensée.

M. Makhlouf Mamèche. - L'émir du Qatar a donné à la Sorbonne deux ou trois millions d'euros cette année. Personne n'en parle. Mais si un établissement privé musulman reçoit un ou deux millions d'euros, il y a débat. Recevoir de l'argent de l'étranger n'est pas interdit. Par contre, si un don est conditionné, nous le refusons de la manière la plus claire.

M. Michel Soussan. - Le président de l'association Averroès a dit que le premier des contrats d'association était celui qu'il avait conclu avec les parents d'élèves, qui contribuent par leurs dons ou en acquittant les frais de scolarité. Les familles et la communauté musulmane autour de la grande mosquée de Lille sont aussi très présentes.

Une fois, nous avons été contactés par une fondation du Golfe qui proposait d'acheter nos locaux pour nous les louer. Nous avons décliné. Averroès reste extrêmement soucieux de garder son indépendance, surtout vis-à-vis de pays preneurs de sa notoriété.

M. Makhlouf Mamèche. - Dans les établissements privés musulmans, le voile n'est ni obligatoire ni interdit. Les filles peuvent venir voilées ou non. Les inspecteurs d'académie jugent parfois utile de mentionner dans leur rapport que certains professeurs ou certaines élèves sont voilées. Précisent-ils de la même manière que le directeur d'un établissement catholique porte une croix ? On focalise sur le foulard.

Mme Josette Durrieu. - Dans les écoles musulmanes, on enseigne la langue arabe et la religion, en plus du programme de l'Éducation nationale. Y aurait-il d'autres demandes de la part des parents qui inscrivent leurs enfants dans ces établissements ?

Le financement de votre établissement est assuré par des porteurs de projets. Vous nous avez rassurés en nous assurant que l'argent en provenance de l'étranger ne pouvait pas être conditionné. La question est légitime en cette période.

Comment gérez-vous la mixité ? Le problème se pose déjà de manière très compliquée à l'école publique laïque, notamment au sujet de la participation des jeunes filles au cours de gymnastique, alors qu'en est-il chez vous ?

Vous n'avez noté aucun cas de radicalisation. Faites-vous de la prévention ? Certains cours traitent-ils ce problème ?

M. Roger Karoutchi. - J'aurais été très étonné si vous étiez venus nous dire que vous représentiez une difficulté pour la République. J'ai toujours été favorable au développement d'un enseignement privé à côté de l'enseignement laïc, qu'il soit catholique, juif ou musulman. Certaines familles sont attachées aux valeurs religieuses, ce qui est tout à fait normal. En revanche, le financement peut poser problème. Si beaucoup d'établissements privés catholiques ou juifs sont sous contrat d'association, c'est simplement que leur création est ancienne. Le passage sous contrat s'effectue de manière progressive et demande du temps. Je suis certain que dans dix ans, il y aura beaucoup d'établissements privés musulmans sous contrat. Tant mieux, car c'est la meilleure garantie d'un contrôle régulier par les inspecteurs.

Les établissements privés musulmans ont parfaitement le droit d'être financés de l'extérieur. Cependant, l'objectif de notre mission d'information est de déterminer précisément pourquoi le financement de ces établissements ou des mosquées vient essentiellement de l'extérieur. Dans notre monde imparfait, il est légitime de se demander si les fondations ou les pays étrangers qui financent massivement l'Islam de France le font en toute neutralité. Avez-vous fait des propositions au ministère pour développer des solutions de financement reposant sur les familles en fonction de leur capacité contributive ? Je le répète depuis le début de nos travaux, je suis pour un Islam de France totalement intégré et accepté. Il ne pourra pas se mettre en place sans une révolution dans son organisation. La rupture avec le financement étranger en fera partie.

M. François Grosdidier. - Qu'en est-il de la mixité et du suivi des enseignements par tous les élèves ? A Woippy, en Moselle, la moitié de la population est de confession ou de culture musulmane, dans certains établissements, ça représente les trois-quarts des élèves scolarisés. Il est arrivé que certains enseignements scientifiques soient contestés au nom d'une interprétation littéraliste du Coran, comme certains protestants contestent les thèses évolutionnistes aux États Unis.... Le problème se pose aussi parfois pour la pratique du sport par les filles. Comment gérez-vous ce type de situation ?

Dans les établissements catholiques, les filles de confession musulmane sont autorisées à porter le voile. D'où les inscriptions en hausse après le vote de la loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l'école.

La population musulmane vit souvent dans des quartiers défavorisés où la carte scolaire est plus difficile qu'ailleurs. En choisissant de scolariser leur enfant dans un établissement privé, les parents échappent à ce déterminisme social et éducatif. Le lycée Averroès est aussi exemplaire que son nom le laisse entendre. Comment les parents réagissent-ils ? Vous poussent-ils parfois à en faire plus ?

Il y a une vraie réticence de la part de l'État face au développement de l'enseignement musulman, à la fois au nom d'une laïcité négative et par crainte de l'Islam. Il y a beaucoup de non-dits dans cette affaire. Quel rôle joue-t-elle dans l'absence de financement public ? Et quelle est la part des restrictions budgétaires ?

Je suis pour la construction d'un Islam de France, et je trouve contradictoire l'interdiction de financement des établissements musulmans par des fonds publics. Étant d'un département concordataire, je suis le seul maire à avoir construit une mosquée municipale. Compte tenu des moyens souvent limités de nos concitoyens musulmans, sans ces fonds, il n'y a pas d'autre recours que de faire appel à des financements étrangers pour édifier des bâtiments. Or, lorsque ce type de financement a une influence sur le fonctionnement des établissements, cela devient dangereux. Pour couper ce lien de dépendance financière, il faudrait remettre en vigueur la fondation des oeuvres de l'Islam de France. Malheureusement, elle ne fonctionne pas. Faut-il envisager qu'elle soit financièrement alimentée par le circuit halal ? À cela s'ajoute l'éclatement des musulmans de France qui rend la situation difficile, car même si on avait l'argent, comment le répartir ?

M. Michel Soussan. - Au lycée Averroès, l'enseignement est obligatoire et neutre. Tous les enseignements du programme de l'Éducation nationale doivent être dispensés. Je me suis souvent insurgé contre les parents qui s'y opposaient. On a déjà eu des questions de ce type, par exemple avec des enfants Témoins de Jéhovah, mais notre position est constante : s'ils ne veulent pas suivre le programme, il faut que les parents choisissent un autre établissement. Les inspecteurs viennent souvent nous voir : ils n'ont jamais constaté de manquement.

Nous accueillons beaucoup plus d'élèves non voilées que d'élèves voilées. Certaines enseignantes sont voilées, d'autres non. Certains élèves sont de confession musulmane, d'autres non. Le mélange est total.

La mixité reste un sujet sensible. Nous n'acceptons pas les exigences de certains parents qui souhaiteraient que leur fille ne soient pas assise à côté d'un garçon. Les cours d'EPS sont mixtes, sauf lorsque la discipline sportive ne s'y prête pas. Bien sûr, je ne peux parler qu'au nom de mon établissement. On a refusé de nous recevoir à l'école Arc-en-ciel de Roubaix, sous prétexte que l'établissement n'accueillait pas les hommes. Il y a des cas extrêmes.

M. Makhlouf Mamèche. - Les parents scolarisent leurs enfants dans des établissements musulmans pour des raisons de proximité ou pour conserver la possibilité d'y porter le voile. La réussite scolaire est également une motivation importante, car les parents sont très conscients de l'enjeu que cela représente pour l'avenir de leurs enfants, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. La communauté musulmane accorde beaucoup d'importance à l'éducation. La réussite scolaire est un défi à relever. Le lycée Averroès a été classé premier lycée de France en 2013, il était quinzième l'an dernier. Les parents font la queue pour y inscrire leurs enfants, parfois au prix de lourds sacrifices, car on recense 60 % de boursiers parmi nos élèves.

Je suis d'accord avec vous : l'Islam en France doit céder la place à l'Islam de France. Je participerai, le 21 mars prochain, à l'instance de dialogue avec le culte musulman qui se réunit une fois par an. On n'y règlera certainement pas tous les problèmes. Les États étrangers interviennent sans cesse dans l'Islam de France, parce qu'on leur en donne l'occasion. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) est dans l'incapacité d'organiser le financement de nos établissements, il faut bien que les fonds viennent d'ailleurs. Le jour où nous réussirons à être indépendants financièrement, ce sera l'avènement de l'Islam de France. Comment trouver la solution ? On accumule du retard tant pour les lieux de culte que pour les établissements d'enseignement privé. Les instances étrangères perçoivent nos faiblesses et en profitent. Je rêve, inch' Allah, d'une indépendance totale. Les musulmans sont parfaitement capables d'assumer leurs responsabilités. Il faudrait ouvrir un vrai dialogue avec les pouvoirs publics pour trouver des solutions.

Imaginez que les frères Kouachi soient passés par un établissement privé musulman : cela aurait été catastrophique pour notre image. Heureusement, à l'époque, ce type d'établissement n'existait pas encore. Le plus ancien date de 1947, à la Réunion et de 2001 en métropole, avec la Réussite à Aubervilliers ou la Plume à Grenoble. Pour éviter ce genre de dérive, il faut prendre l'initiative dès le début et ne pas laisser le désordre s'installer. La société est éclatée. Les établissements privés musulmans scolarisent 5 000 élèves, qui sont aussi de futurs citoyens et des enfants de la République. Ils ont droit à un enseignement de qualité. La République a le devoir de les prendre en charge, que ce soit hors contrat ou sous contrat.

M. Michel Soussan. - Le monde musulman est une victime collatérale du débat sur la laïcité. Il est pris entre les feux d'une laïcité apaisée et d'une laïcité que l'on pourrait presque qualifier d'intégriste. Le ministère oscille entre sa volonté politique de nous aider et sa réticence à ranimer un débat difficile en France.

M. Makhlouf Mamèche. - Je conclurai en citant un manuel d'histoire pour classe de cinquième dans sa partie consacrée à la présentation du fait religieux. Vous pouvez consulter cet ouvrage : à la rubrique « djihad », question épineuse s'il en est, on trouve en guise de définition un verset directement tiré du Coran : « Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu ». Aucune explication n'est donnée sur la situation précise dans laquelle il a été révélé à l'époque du Prophète. Cela me choque, en tant que musulman, car on construit ainsi une vision guerrière de l'Islam, et on la transmet telle quelle à des enfants de douze ans. Sans compter que le manuel multiplie les erreurs de référence. Les auteurs sont incompétents et irresponsables. Il faudrait que les musulmans participent à la rédaction des manuels scolaires, au moins sur ce chapitre.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - Quelles sont les références de l'ouvrage ?

M. Makhlouf Mamèche. - C'est un manuel scolaire de cinquième chez Hachette Éducation. Il y en a beaucoup d'autres, bien pires parfois.

Mme Corinne Féret, présidente. - Je vous remercie de ces informations précieuses pour la compréhension d'enjeux complexes.

La réunion est close à 14h45