Mardi 11 octobre 2016

- Présidence de MM. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères, Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques, et Jean-Paul Emorine, vice-président de la commission des affaires européennes -

La réunion est ouverte à 19 h 05

Politique commerciale - Accord économique entre l'Union européenne et le Canada - Audition, en commun avec la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes, de M. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

M. Jean-Paul Emorine, vice-président de la commission des affaires européennes. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Je vous prie d'excuser l'absence de M. Bizet, en déplacement. Cette audition a été décidée en Conférence des présidents, Mme Assassi ayant demandé que le Sénat débatte du projet d'accord économique et commercial avec le Canada. C'est pourquoi cette réunion, qui associe nos trois commissions des affaires européennes, des affaires économiques et des affaires étrangères, est également ouverte à tous les sénateurs, et la séance publique a été suspendue pour permettre à tous ceux qui le souhaitent d'assister à votre audition. Celle-ci est particulièrement bienvenue puisque le Conseil se prononcera, le 18 octobre, sur la signature de l'accord, sa conclusion et son application provisoire. Notre commission des affaires européennes examinera jeudi le rapport de M. Bonnecarrère sur la proposition de résolution européenne (PPRE) présentée par MM. Billout et Éric Bocquet et les membres du groupe CRC, qui porte sur les conditions de ratification de cet accord.

C'est d'abord sur le contenu même de ce projet d'accord que nous souhaitons vous entendre. Estimez-vous que les intérêts européens - et notamment ceux de la France - ont été bien défendus dans la négociation ? Celle-ci a-t-elle abouti à un compromis équilibré ? L'accord aura un caractère mixte, ce qui signifie qu'il sera soumis à la ratification des États-membres, dont les Parlements seront donc appelés à se prononcer. C'est un point fondamental pour le Sénat, qui a plaidé à plusieurs reprises dans ce sens et réclamé une plus grande transparence des négociations commerciales. Comment la procédure se déroulera-t-elle ? Une application provisoire de l'accord est prévue. Cette disposition est contestée par nos collègues du groupe CRC dans leur PPRE. Pouvez-vous nous en préciser la signification ?

Au-delà de l'accord avec le Canada, chacun garde à l'esprit les soubresauts de la négociation du traité transatlantique. Cette audition est l'occasion de faire un point sur l'état de cette négociation et d'expliciter la position française demandant son arrêt pur et simple.

M. Jean Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - Je suis heureux de vous retrouver, monsieur le ministre, dans ce format élargi, pour évoquer l'accord économique entre l'Union européenne et le Canada (dit CETA). Nos liens avec le Canada, et tout particulièrement avec le Québec, sont anciens, et notre commission des affaires économiques suit leur évolution de près : avec mon prédécesseur M. Raoul, nous nous étions rendus au Canada en 2014, où nous avons rencontré les négociateurs, ainsi que l'honorable David Johnston, que nous avons ensuite revu à Paris.

Quid du mécanisme de règlement des différends ? Vous avez personnellement poussé à la création d'une Cour permanente d'arbitrage. Le statut de ses juges reste à expliciter, comme les moyens de la lutte contre les conflits d'intérêts. Les provinces du Canada devront-elles ratifier le CETA ? Que pensez-vous de l'application provisoire ?

M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense. - Le CETA semble assurer un meilleur équilibre des intérêts des parties. Quelle opportunité représente-t-il pour les entreprises, notamment françaises ? Les États-Unis ne risquent-ils pas d'en faire un cheval de Troie ? Ils sont eux-mêmes liés au Canada par l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena). La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) a été saisie du statut d'accord mixte. Peut-elle le remettre en cause ? Vous avez courageusement attiré l'attention sur les dangers du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) il y a quelques mois et la nécessité de mettre un terme aux négociations. Où en sommes-nous ? Le développement des échanges commerciaux est important : la France exporte l'équivalent de 450 milliards d'euros chaque année, et un Européen sur sept travaille pour l'export. La libéralisation des échanges est donc bienvenue, à condition de ne pas devenir l'idiot du village en ouvrant notre marché sans contreparties négociées.

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. - Merci de votre accueil. Voilà des années que vous menez un travail très approfondi sur ce dossier, sur lequel nous avons eu de nombreux échanges, en commission ou en séance publique. Je salue l'implication de votre Haute Assemblée dans ces négociations, comme dans celles menées avec les États-Unis, ou d'autres pays. Elle témoigne de votre attachement aux sujets qu'elles abordent, dont l'impact sur nos territoires peut être considérable.

Lors du sommet informel de Bratislava, en septembre, j'ai, comme je l'avais annoncé, demandé au nom de la France l'arrêt des négociations avec les États-Unis. Un an auparavant, j'avais été le premier membre d'un Gouvernement européen à sonner l'alerte sur ce sujet, notamment parce que je bénéficiais des informations que vous me faisiez parvenir. Le compte n'y était pas, et j'annonçais que, si les négociations devaient continuer dans cette mauvaise voie, nous devrions en tirer les conséquences. C'est ce que nous faisons à présent.

Entre partenaires, entre amis, on doit négocier de bonne foi, et avec la volonté d'avancer. Les États-Unis sont le plus ancien allié de la France, et sont pour nous un partenaire incontournable : les quelque 3 000 entreprises américaines implantées en France y emploient environ 470 000 personnes, et les 3 750 entreprises françaises installées aux États-Unis y ont créé environ 570 000 emplois. Nul ne songe à nier cette réalité. Mais il faut qu'une négociation soit positive et constructive.

Or, ce n'a pas été le cas. L'asymétrie et l'opacité de ces négociations ont été dénoncées par votre assemblée, et ce n'est que début 2016 que nous avons obtenu l'accès aux documents de travail pour les parlementaires. Puis, la réciprocité n'était pas au rendez-vous sur plusieurs sujets importants comme l'agriculture, l'ouverture des marchés publics ou encore le respect des règles. L'application unilatérale du droit américain à l'encontre d'entreprises exerçant dans des pays tiers n'est pas conforme au droit international. Face à ce type de pratiques, à quoi bon négocier un grand partenariat ?

La Commission européenne ayant reçu un mandat, elle peut négocier à perte de vue. Mais une part importante - pas majoritaire, certes - des membres du Conseil européen considère désormais que les négociations sont mal engagées. C'est aussi le rôle de notre diplomatie que de savoir mettre un terme à de telles situations. Pour autant, nous souhaitons bien évidemment avoir avec les États-Unis des discussions constructives. Pour qu'elles le soient, il faut qu'elles soient menées dans la plus grande transparence, vis-à-vis des parlementaires comme de nos concitoyens. Et le préalable indispensable est la fin de l'extraterritorialité du droit américain. Nous espérons ouvrir de nouvelles négociations avec la prochaine Administration américaine, sur la base d'un nouveau mandat. Pour l'heure, nous en sommes loin.

Avec le Canada, la situation est différente. Certes, la transparence des négociations a laissé à désirer, mais celles-ci sont désormais derrière nous, et l'accord est intégralement consultable sur Internet. À l'avenir, les négociations ne pourront plus être menées ainsi. Mais sur les marchés publics, qui constituent un intérêt offensif de notre diplomatie économique, les Canadiens sont allés très loin, puisqu'ils ont ouvert à nos entreprises, quelle que soit leur taille, l'accès aux appels d'offre nationaux et locaux. De fait, les provinces se sont toutes engagées dans la négociation, alors qu'avec les États-Unis les États fédérés n'y ont pas participé, et se seraient empressé d'en contester les résultats devant la Cour Suprême...

L'agriculture constitue pour notre diplomatie, quel que soit le Gouvernement aux affaires, une véritable ligne rouge. Les Canadiens ont accepté la reconnaissance d'indications géographiques (IG). Il s'agit pour nous de défendre nos terroirs ! Sur les 173 IG européennes, 42 IG françaises seront reconnues par le Canada. C'est un pas important, comme à chaque fois qu'un État supplémentaire accepte de prendre en compte ces appellations, qui sont, avec les marques, les meilleures protections pour notre agriculture. Elles symbolisent le lien entre un terroir, les hommes et les femmes qui y travaillent, et les produits qui en résultent, lien auquel vous êtes tous attachés. L'agriculture est une dimension de l'excellence française, et le secteur agroalimentaire génère, selon les années, notre deuxième ou troisième plus gros excédent commercial. Elle porte aussi des valeurs, un certain rapport à la vie, à l'alimentation, une manière de cultiver l'espace et la ruralité.

Certains regrettent que toutes nos IG n'aient pas été reconnues. Je leur réponds que nous partions de zéro ! Nous enregistrons donc une évolution positive. De plus, les IG figurant dans l'accord, qui concernent essentiellement les produits laitiers et la charcuterie, s'ajoutent à celles qui avaient été reconnues en matière de vins et spiritueux au début des années 2000.

M. Daniel Raoul. - En 2003.

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. - De plus, les IG retenues l'ont été au vu des réalités commerciales, et notamment de l'existence, ou non, d'un risque de fraude ou d'usurpation. Une liste établie par l'Union européenne a été complétée avec 16 appellations géographiques sur lesquelles des problèmes avaient été constatés au Canada. Le fait qu'une appellation ne soit pas reconnue signifie qu'aucun cas de fraude n'a été détecté. De plus, il existe un mécanisme d'ajout ou de retrait d'appellation géographique, prévu à l'article 20.22. Bref, le réalisme économique a prévalu. Enfin, L'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) demeure compétent dans la lutte contre la fraude et l'usurpation, y compris en droit canadien. Mon département comptant plus de 70 produits agricoles, je connais les craintes que ce traité a inspirées...

Les quotas octroyés pour les viandes sont assez élevés, certes. Mais nous veillons à ce qu'ils n'excèdent pas ce que chaque marché peut absorber.

La Cour de Justice sur les investissements est une avancée considérable. J'ai été le premier membre d'un Gouvernement à en formuler l'idée, et c'était au Sénat, lors d'une séance de nuit. L'arbitrage est un scandale démocratique, car il permet à des grands groupes d'attaquer des choix effectués par les parlementaires. D'où l'idée, avancée par la France, d'une Cour de Justice commerciale internationale, que nous avons soutenue avec l'Allemagne, avant d'être rejoints par la totalité des États-membres et par la Commission. Les arbitres privés, rémunérés par les entreprises, seront remplacés par des juges choisis sur une liste, soumis à des règles strictes de prévention contre les conflits d'intérêt et rémunérés par les États. Il sera interdit à ces juges d'attaquer des choix de politiques publiques. Après l'arrivée au pouvoir de M. Trudeau, le Canada a accepté de rouvrir les négociations sur ce point. Il a été suivi par le Vietnam. C'est un tournant. Pour la première fois, la puissance publique peut édicter des règles impartiales et les faire respecter.

Je souhaite que cet accord devienne progressivement une référence ; il faut aller plus loin - c'est la position de la France pour aboutir à la mise en place d'une véritable cour de justice commerciale multilatérale. Il existe dans le monde environ 3 500 accords prévoyant des mécanismes d'ISDS et d'arbitrage, dont plus d'une centaine ont été signés par la France. L'idée d'une cour de justice commerciale avait recueilli, je le crois, un très large consensus dans la haute assemblée. C'est une proposition conforme à la tradition diplomatique française, attachée au multilatéralisme et au rôle de la puissance publique.

Nous nous sommes également battus pour obtenir la reconnaissance du caractère mixte de cet accord, principe défendu à l'unanimité des États membres. Après avoir gardé le silence, la Commission européenne a tenté, fin juin, d'exclure entièrement les Parlements nationaux du processus de ratification. J'ai écrit, avec le vice-chancelier Sigmar Gabriel, une lettre à la commissaire européenne Cecilia Malmström pour lui signifier qu'il était inacceptable de changer les règles en cours de route contre l'avis des États membres et des propres services juridiques de la Commission européenne. On ne peut mettre de côté les représentations nationales sous le prétexte d'un problème de majorité. Désormais, la Commission reconnaît que, d'un point de vue politique à tout le moins, il est nécessaire de considérer le CETA comme un accord mixte. Il convient maintenant d'inventer des mécanismes pour impliquer davantage les parlements nationaux dans le processus de ratification, y compris en amont.

Le passage en revue de ce qui relève, dans l'accord, des compétences nationales et européennes, au-delà des aspects techniques, a naturellement un impact politique. Le Comité des représentants permanents (COREPER) de l'Union européenne se réunit demain pour y travailler, la validation définitive étant prévue le 18 octobre lors d'un conseil extraordinaire des ministres du commerce extérieur. La politique commerciale étant confiée à l'Union européenne, une minorité des volets de l'accord relèvera des compétences nationales. Parmi ceux-ci figureront néanmoins la protection des investissements et notamment la Cour de justice commerciale internationale. Votre assemblée sera saisie d'un projet de loi de ratification auquel sera annexé l'ensemble de l'accord. Qu'en sera-t-il si un Parlement national le rejette ? En la matière, il n'y a pas de précédent, mais le problème politique serait évident, d'autant plus si ce rejet était le fait d'un pays important.

En vertu du principe de l'application provisoire, l'accord entrera en vigueur avant que les Parlements se prononcent. Le Gouvernement y est favorable pour les volets qui relèvent de la compétence communautaire ; avec cette condition que le Parlement européen ait donné un avis favorable à l'accord. C'est un verrou démocratique. Si le Parlement français votait contre l'accord, il ne fait pas de doute qu'il serait remis à plat ; mais au point de vue juridique, la question n'est pas tranchée.

Nous sommes très attentifs, dans toutes les négociations commerciales, à l'insertion de clauses de sauvegarde pour les services publics. La clause figurant dans l'accord concerne l'ensemble de ces services. C'est un débat qui, dans les années 90, a suscité une forte mobilisation de la France ; cette position est désormais plutôt respectée dans les négociations. En matière d'environnement, nous avons fait en sorte que le droit des États à réguler soit reconnu explicitement. Le CETA n'est aucunement une menace pour l'Accord de Paris sur le climat ou les mesures relatives aux OGM. Quant au gaz de schiste exploité au Canada...

M. André Gattolin. - Les sables bitumineux.

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. - Sur ce sujet, le gouvernement Trudeau a pris des engagements fermes ; de plus, le Canada est signataire de l'Accord de Paris.

J'ai aussi défini une stratégie confirmée par le Président lors de la conférence environnementale, consistant à insérer des chapitres encore plus robustes sur l'environnement - et notamment sur l'Accord de Paris - dans les accords à venir, et à faire en sorte que les règles environnementales soient aussi contraignantes que les règles économiques.

Je ne partage pas l'analyse, récurrente dans le débat public, d'après laquelle cet accord serait un cheval de Troie pour les États-Unis. Pour bénéficier des clauses du CETA, une entreprise doit avoir une véritable activité économique dans l'un des pays parties prenantes. Il ne suffira pas à une entreprise américaine d'avoir une « boîte aux lettres » au Canada.

De plus, prétendre que ces entreprises ont besoin du Canada pour pénétrer le marché français témoigne d'une méconnaissance du tissu économique. Près de trois mille entreprises états-uniennes sont présentes en France, pour 500 000 emplois créés. Elles n'ont pas besoin du CETA pour saisir les tribunaux et demander des indemnisations. Les inquiétudes ne sont pas fondées.

Le 18 octobre, j'exprimerai la position que je vous ai détaillée et donnerai un avis favorable du gouvernement que je représente au CETA, dont la signature est prévue au sommet entre l'Union européenne et le Canada fin octobre.

M. Jean-Paul Emorine, vice-président. - Il faut distinguer la question des indications géographiques protégées (IGP) de celle des appellations d'origine protégée (AOP).

M. Michel Billout. - Merci d'apporter ces précisions sur un sujet qui fait débat ici comme dans tous les Parlements des États membres, jusqu'à ceux des provinces canadiennes. Sans revenir sur le contenu de l'accord, soulignons que les négociations ont été conduites dans la plus totale opacité. Nous en avons pris connaissance - dans des documents en anglais - à l'automne 2014. Il y a un précédent : l'accord entre l'Union européenne et Singapour, dont nous n'avons toujours pas connaissance... Comme nous n'avons pu intervenir dans la phase de négociation de l'accord, il convient d'être particulièrement vigilant sur les conditions de sa ratification.

À une semaine du conseil des ministres du commerce et moins d'un mois de la ratification, nous ne connaissons toujours pas la répartition entre le périmètre communautaire et celui des compétences nationales ; or d'après les Canadiens, le premier concerne 95 % des dispositions de l'accord... C'est une véritable faiblesse, et un défaut de maîtrise démocratique. Nous aurions souhaité davantage de transparence. Malgré des progrès incontestables, la question de l'arbitrage demeure : fait-il partie du volet commercial ou du volet de l'investissement - et relève-t-il de la compétence communautaire ou de la compétence nationale ?

Certes, l'accord CETA a été négocié avant la COP21. Vous avez tenté de nous rassurer sur ce point, mais le principe de précaution ne figure pas dans la législation canadienne... Pourquoi ne pas avoir inséré de clauses de sauvegarde sur les questions qui ont surgi après la fin des négociations ?

M. Daniel Raoul. - Merci d'avoir mis en place le comité de suivi stratégique, qui remédie au manque d'information des parlementaires comme de la société civile. Toutes les filières et organisations syndicales, patronales, industrielles et agricoles y sont représentées, ce qui est une avancée pour la transparence.

Je me félicite également que vous ayez pris en considération ma proposition, formulée en janvier 2013, d'une cour permanente pour mettre fin au système d'arbitrage : il est inacceptable que des États comme l'Australie ou l'Allemagne soient attaqués en justice par des groupes internationaux, notamment ceux du tabac. On ne pouvait continuer ainsi.

Je relève qu'outre la mixité, il y a aussi une approbation par le Parlement européen : deux avancées démocratiques.

Pouvez-vous revenir sur les avancées obtenues dans la reconnaissance des 42 IGP ? On part de zéro : jusqu'à présent, toutes les contrefaçons étaient possibles. Il faut le faire valoir, en rappelant que la liste des IGP est ouverte à l'expansion comme à la réduction.

Quel est l'impact du Brexit sur le calcul des quotas d'importation ? Enfin, savez-vous ce que contiendra l'annexe interprétative ?

M. Philippe Bonnecarrère. - Merci pour ces explications de qualité. Quel rôle aura cette déclaration interprétative qu'on nous annonce ? Vaudra-t-elle pour tous les accords à venir ? Est-ce un adjuvant politique pour convaincre tel État ou telle province - je songe à la Wallonie ? En d'autres termes, est-ce une manoeuvre de communication ou un véritable engagement ?

Le ressort de l'application anticipée est-il simplement une exigence d'efficacité économique ? L'application anticipée de l'accord avec la Corée du Sud a, semble-t-il, été particulièrement avantageuse. Y a-t-il une justification ressortissant au respect de la compétence européenne dans ses domaines ? Est-ce une question, politique, de crédibilité de l'Europe ? On peut en effet imaginer, sans application anticipée, que les États et les Parlements nationaux passent les quatre, cinq ou six prochaines années à discuter l'accord passé par l'Union européenne - avec des dommages certains en matière de crédibilité dans le concert international.

M. Gérard Bailly. - Sur le terrain, les gens sont inquiets, et le monde agricole n'est pas seul concerné. Qui a fixé le chiffre de 120 000 tonnes de viande de porc et de bovins mentionné dans l'accord ? Enfin, je ne perçois pas, dans votre intervention, l'intérêt que notre pays va retirer de l'accord. Va-t-on vendre plus d'automobiles, d'objets de luxe, de services, d'aéronautique, de produits agricoles ?

En comparant les salaires allemands aux nôtres, je crains que nous ne puissions rivaliser avec nos voisins sur le marché canadien. Autre motif d'inquiétude, les États-Unis ne verront-ils pas dans le CETA un argument pour nous convaincre de passer un accord analogue avec eux ?

M. André Gattolin. - Certes, les 42 IGP sont une avancée ; mais elles légalisent certaines appellations usurpées en permettant aux entreprises qui produisent du camembert ou du brie depuis plus de vingt ans de poursuivre leurs activités sous ce label. Quant au vin, il constitue une ressource fiscale importante au Canada, et notamment au Québec, grâce au système des monopoles provinciaux. Or, les taxes imposées par ces provinces aux vins français ne sont pas affectées par l'accord.

Je déplore également l'absence d'études d'impact par pays, pourtant promises par Mme Cecilia Malmström voici deux ans. Lors de la négociation du traité entre l'Union européenne et le Vietnam, il avait été acté qu'une étude d'impact devrait être présentée aux États avant la ratification. L'impact du Brexit n'est pas connu non plus, faute d'un travail sur le sujet.

Enfin, en matière d'exception culturelle, le Canada et l'Union européenne sont en position asymétrique. Tous deux sont signataires de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l'Unesco, mais pour l'Union européenne, l'exception ne couvre que les entreprises audiovisuelles, alors qu'elle s'applique à l'ensemble des industries culturelles canadiennes.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je ne partage pas votre optimisme sur l'intérêt de ce traité. Qu'est-ce qui justifie une application anticipée ? Je n'y vois pas d'urgence, mais une menace pour la démocratie.

Quant à cette fameuse cour de commerce internationale, les arbitres resteront maîtres du test de nécessité : les États devront prouver la nécessité de la réglementation qu'ils mettent en oeuvre. En d'autres termes, le jugement d'opportunité est laissé à des personnes qui ne sont pas des magistrats. D'après l'Association européenne des magistrats, ce système compromet l'ordre juridique de l'Union européenne. L'indépendance éthique des arbitres n'est en rien garantie.

Les États membres ont la possibilité de solliciter l'avis de la Cour de justice de l'Union européenne à propos de la compatibilité du règlement des différends en matière d'investissement avec les traités de l'Union. Je souhaite que la France en fasse usage, la Commission européenne n'en ayant pas manifesté l'intention.

Enfin, même l'Accord général sur le commerce et les services (AGCS) établissait une liste positive des services publics. Ici, elle est négative, ce qui signifie que la règle par défaut est la concurrence. Tout nouveau service public, n'ayant pas été mentionné explicitement dans le traité, ne pourra être considéré comme tel.

M. Henri Cabanel. - Les AOP et IGP, en garantissant l'origine des produits, protègent les consommateurs et les producteurs de la contrefaçon. Comment les 42 indications retenues - qui ne représentent que 24 % de nos AOP et 6 % de nos IGP - l'ont-elles été ? Dès lors que l'on en accepte le principe, pourquoi ne pas toutes les reconnaître ? Et sur quels critères pourra-t-on en ajouter ou en retrancher à la liste qui a été établie ?

M. Daniel Gremillet. - Des progrès ont certes été faits depuis votre dernière audition à propos du traité transatlantique, monsieur le ministre, mais il y a des similitudes entre les deux traités. Les parlements nationaux pourront émettre un avis sur les négociations, c'est une première avancée, mais encore faut-il que les informations leur soient transmises, et dans leur langue ! Or, à ce jour, on ne peut pas dire qu'ils aient été informés de manière très diligente...

Sur le fromage, je suis moins optimiste que vous, car nous sommes en train de donner une caution à des appellations indûment protégées. Elles n'ont en effet pas la même signification dans tous les pays : le muenster du Canada désigne un fromage à pâte molle...

M. Yannick Vaugrenard. - Merci, monsieur le ministre, pour la qualité de votre intervention et la fermeté dont vous avez fait montre sur le traité transatlantique.

On ne saurait aborder ces questions sans tenir compte de l'état de l'opinion
- française ou européenne. Or, en Europe, les populations craignent la mondialisation et nous assistons à un repli généralisé - avec les résultats électoraux que l'on connaît. Il faut dans ce contexte redoubler de transparence et de précision, sur ce que le traité peut apporter en termes d'emploi par exemple, et non se focaliser exclusivement sur les risques qu'il ferait encourir. La pédagogie est fondamentale, car toute espèce de doute de l'opinion entraînera l'échec d'une négociation.

Il serait en outre de bonne initiative d'engager une réflexion, voire un débat parlementaire, sur la compétence européenne en matière commerciale. Le dernier mot ne revient d'ailleurs pas à la Commission de Bruxelles : elle propose, met en oeuvre, mais c'est au Conseil et au Parlement européens de prendre leurs responsabilités.

Enfin, je reste convaincu qu'il faut avancer sur ce traité, alors que les États-Unis se tournent vers le Pacifique : c'est un enjeu de rééquilibrage géopolitique.

M. Martial Bourquin. - Les enjeux géostratégiques sont évidemment majeurs. Mais nous avons d'abord des synergies à exploiter avec les entreprises québécoises - dont beaucoup sont jumelées avec des entreprises franc-comtoises. Se replier sur nous-mêmes serait une catastrophe.

Dans le cadre des négociations pour le traité transatlantique, les États-Unis semblaient dire « ce qui est à nous est à nous, ce qui est à vous nous intéresse... ». Je note avec satisfaction la différence de logique du CETA, et je veux vous féliciter, monsieur le ministre, pour la fermeté dont vous avez fait preuve dans la défense des intérêts de la France.

Nous avons besoin de transparence sur les enjeux majeurs que sont en effet les services publics, les marchés publics, les IGP et les AOP. D'aucuns soutiennent que traité transatlantique et CETA, c'est la même chose. Des risques existent certes autour des deux traités, mais ils ne sont pas identiques ! La question des périmètres est essentielle : si 85 % des stipulations du traité sont de la compétence exclusive de l'Union européenne, nous n'avons en effet pas grand-chose à dire... alors que nous savons qu'ils auront un impact direct sur l'agriculture et l'économie françaises. Bref, nous avons besoin d'une communication plus claire !

M. Bernard Cazeau. - A-t-on avancé sur les produits qui posent problème en Amérique du Nord, comme le foie gras ? Le problème récent de grippe aviaire, remarquablement traité d'ailleurs, aura-t-il quelque incidence ?

M. Franck Montaugé. - Merci pour la clarté de votre propos, monsieur le ministre, votre pédagogie, et ce que vous avez apporté personnellement à ce processus important.

À ma connaissance, les études d'impact économique sont assez anciennes puisqu'elles remontent à 2008, 2011 pour le volet développement durable. C'est, je crois, préjudiciable à la qualité de l'accord. En la matière, l'accord de libre-échange signé avec le Vietnam montre que nous pouvons faire mieux... De plus, ces études prenaient-elles en compte un éventuel Brexit ? Sa concrétisation ne saurait être sans conséquence alors que 25 % de nos échanges sont canado-britanniques. Ne convient-il pas en conséquence de retarder la mise en application provisoire du traité ? Les conséquences juridiques d'un vote négatif des parlements nationaux ne me semblent pas évidentes...

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. - La vigilance des parlements est essentielle, je vous rejoins sur ce point. C'est le sens de votre proposition de résolution européenne.

J'ai fait des propositions précises pour remédier à l'opacité des négociations. Le texte du CETA est désormais disponible en ligne, reste à le traduire dans toutes les langues de l'Union européenne, ce qui, deux ans après la conclusion de l'accord, est la moindre des choses... Je ne cesse de le dire à la Commission européenne. Je suis, plus largement, favorable à l'open data sur les négociations commerciales. Désormais, tout finit par se savoir. La puissance publique de demain doit donc faire la transparence d'elle-même en matière commerciale - il en va bien sûr différemment en matière de défense ou de paix. Tout ce qui ne peut être assumé devant l'opinion doit pouvoir être négocié, et tout ce qui est négocié doit pouvoir être assumé devant l'opinion.

S'agissant du périmètre, nous serons fixés demain au niveau des ambassadeurs, la semaine prochaine au niveau des ministres. Il est probable que la part du communautaire soit assez grande, et la part nationale très réduite puisque les questions strictement commerciales sont de la compétence exclusive l'Union européenne. S'il reste des sujets de la compétence des États dans le cas présent, c'est que le traité touche aux investissements, aux transports maritimes, au développement durable, ou encore à l'arbitrage - question de compétence nationale, indiscutablement.

Merci pour vos propos sur le comité de suivi, qui réunit les parlementaires qui le souhaitent, les ONG, les syndicats et les filières professionnelles. C'est un outil effectivement très efficace, et dont je souhaite la pérennisation pour d'autres types de négociations.

Monsieur Raoul, vous avez été parmi les premiers à défendre l'idée d'une cour permanente dans le débat parlementaire. Si nous avons réussi à convaincre nos partenaires européen de son utilité, c'est que l'idée était bonne...

Les effets du Brexit ne sont pas encore pris en compte. Le premier ministre britannique a annoncé que l'article 50 du traité sur l'Union européenne ne sera enclenché qu'à la fin du mois de mars. Cela transformera la réalité des négociations commerciales. Les contingents devront être réévalués ; cela fait bien sûr partie des choses dont nous aurons à discuter.

L'annexe interprétative est juridiquement contraignante. C'est un mécanisme fréquent en matière commerciale. Beaucoup d'États le souhaitaient, dont l'Allemagne, et nous avons contribué à sa rédaction pour y inclure les services publics, la protection des investissements et l'environnement, en faisant référence à l'accord de Paris. C'est un outil d'interprétation certes, mais qui pose des principes forts. Ceux qui ont tué l'OMC ne sauraient en conséquence nous reprocher de chercher ainsi à régler des problèmes qui devraient être traités en son sein...

Pourquoi prévoir une application provisoire du traité ? Soyons clairs : en raison de la longueur du processus de négociation et de ratification communautaire. Les négociations ont été conclues il y a plus de deux ans - je venais alors d'être nommé. Le temps d'apporter des compléments, d'ouvrir les négociations sur l'arbitrage et la mise en place de la Cour... Sans compter que le Canada discute en ce moment avec la Bulgarie et la Roumanie des questions de visas, ainsi qu'avec la Wallonie. Si, comme je le souhaite, l'Union européenne veut s'affirmer comme un acteur de tout premier plan des négociations commerciales internationales, elle doit être plus réactive dans la ratification des accords conclus. Celle-ci ne peut raisonnablement prendre deux ans à compter de la signature du traité... Faut-il accélérer le processus au niveau national ? Je le pense. Faut-il impliquer les parlements nationaux plus en amont ? Je le crois également, comme je crois qu'il faut leur donner plus de poids dans les négociations. Les parlementaires américains représentant le Congrès sont, eux, autour de la table des négociations : c'est très fort. J'ai fait des propositions pour avancer dans cette direction.

J'entends les craintes, sur le terrain, des associations et des élus locaux, que je reçois systématiquement dans mon département. Elles sont légitimes, alors que nous avons, depuis des décennies, supprimé toute règle, considéré toute intervention de l'État comme intrinsèquement mauvaise, et pour ainsi dire remplacé Keynes par Friedman. Toute mon action dans les négociations du TTIP allait à rebours de cette logique. Les gens savent ce qui est bon pour eux et ce qui ne l'est pas. La mondialisation, nous le savons tous dans nos territoires, fait des perdants et des gagnants... Il fallait remettre des règles.

Nos intérêts dans l'accord avec le Canada ? D'abord, l'accès aux marchés publics ; ensuite, l'agriculture et l'agroalimentaire - fromage, biscuiterie, chocolaterie - qui est notre deuxième ou troisième excédent commercial. Les droits de douane canadiens seront supprimés à 92 % si le traité entre en vigueur : ce n'est pas rien !

Certes, le différentiel de compétitivité entre l'Allemagne et la France est important, mais pour la première fois depuis des années, grâce aux efforts de ce gouvernement, le coût horaire de la main d'oeuvre française est passé sous le coût horaire de la main d'oeuvre allemande... Beaucoup de secteurs dynamiques internationalement le sont aussi en France : l'aéronautique, l'agroalimentaire, l'industrie pharmaceutique, la chimie, le luxe - et ses ateliers et ses artisans dans nos territoires... Nous avons une carte à jouer à l'international, sous réserve que le principe de réciprocité soit respecté. Notre commerce extérieur est certes dans une situation difficile, mais le nombre de nos entreprises qui exportent augmente : elles étaient 117 000 en 2011, 121 000 en 2014, puis 125 000 en 2015. Les PME qui se lancent et font de l'export une stratégie en sortent gagnantes.

Un mot sur la comparaison entre CETA et TTIP. Les États-Unis en veulent plutôt au Canada d'avoir fait des concessions sur l'agriculture, les marchés publics et l'arbitrage, car cela fixe un standard élevé qu'ils ne sont aucunement prêts à accepter...

Le Brexit rebat les cartes. Il nous faudra trouver le bon accord d'association du Royaume-Uni à l'Union européenne. À titre personnel, je souhaite qu'il soit le plus clair possible... On ne peut pas être dans l'Union européenne et en-dehors. Il faut respecter le choix du peuple britannique, qui a manifesté son souhait d'en sortir. Il ne s'agit pas de le punir, mais un État ne saurait être soustrait aux contraintes de participation au budget européen et garder les avantages du marché commun ou de nombreux postes de hauts fonctionnaires dans les instances communautaires... Construire une Europe plus forte ne sera possible qu'avec le concours de ceux qui souhaite avancer. La stratégie du Président de la République, qui a été parmi les premiers à exprimer une certaine fermeté en la matière, est non seulement juste, mais encore conforme aux intérêts de notre pays et de la construction européenne elle-même.

Il est vrai que nous n'avons pas assez d'études d'impact. Nous attendons toujours celles que nous avons demandées à la Commission européenne. Cela étant, je me méfie toujours de celles, positives ou négatives, qui sont précises à l'euro près ou à l'emploi près. Nous avons également besoin d'évaluation ex post de ce qui a été fait dans les négociations commerciales passées. Il faut, plus globalement, réhabiliter un débat contradictoire beaucoup plus vigoureux dans la science économique elle-même - si tant est que ce soit une science...

J'entends les reproches faits à la Cour sur les investissements. La proposition française allait plus loin que la proposition européenne. J'étais favorable à des amendes pour recours abusif, à une peine de quarantaine plus longue entre l'exercice de fonctions de juge et d'avocat... Mais c'est une étape importante dans les relations commerciales internationales, qui ne peuvent évoluer que selon trois scenarios : soit n'y rien changer - ce qui serait scandaleux d'un point de vue démocratique -, soit inventer autre chose - c'est ce que nous essayons de faire -, soit en renvoyant les contentieux aux juridictions de droit commun des États - et l'État de droit étant perfectible chez certains États membres, ce n'est pas une option...

S'agissant des listes négatives, les négociateurs ont formulé les réserves de manière tellement large qu'il n'y a pas de risque de remise en cause.

Nous aurions peut-être pu obtenir la reconnaissance de toutes les indications géographiques, mais pourquoi le faire pour celles qui ne rencontrent aucun problème ? Si un risque se réalise, la clause d'ajout permettra de compléter la liste, si les critères de rationalité économique et commerciale sont remplis, et que des difficultés sont constatées sur un marché.

L'accès plus large aux documents relatifs aux accords commerciaux est, je le redis, l'un des combats des dix années à venir, car la défiance des populations fera immanquablement échouer une négociation.

La mondialisation, telle qu'elle a été conduite depuis trente ans, a créé beaucoup de dégâts et provoqué une vaste désindustrialisation. C'est pourquoi nous promouvons le retour de la puissance publique. Mais vous avez raison de dire que l'aspect géostratégique est une donnée essentielle du problème. J'ai présenté pour la première fois devant vous l'an dernier une stratégie commerciale française, élaborée avec votre concours ; je le referai cette année, car c'est un document très important, qui permet un débat démocratique. Je souhaite en outre que la Commission européenne change sa façon de travailler : contrairement à ce qui se fait aux États-Unis, les responsables des négociations sont aujourd'hui plus nombreux que les responsables de l'application des règles. En conséquence, les chantiers de négociation sont ouverts sans cohérence ni stratégie. Il faudrait inverser les proportions, afin d'alléger les effectifs de négociation et de renforcer ceux dédiés à la rétorsion ou à la lutte antidumping. J'y travaille depuis deux ans, et ne baisserai pas les bras.

Pour la crédibilité de notre politique commerciale, nous ne pourrons pas décaler la mise en application provisoire de l'accord.

Guillaume Garrot, lorsqu'il était ministre délégué à l'agroalimentaire, s'était fortement mobilisé pour défendre le foie gras. Nous restons extrêmement attentifs à cette production - comme aux autres. Nous travaillons aussi avec les producteurs pour améliorer la communication sur ce produit de grande qualité et qui obéit à des standards élevés, y compris en matière de bien-être animal, ainsi qu'avec le ministre de l'agriculture pour faire en sorte qu'il reste un produit d'excellence, valorisant l'image de notre pays dans le monde.

M. Jean-Paul Emorine, vice-président. - Monsieur le ministre, nous vous remercions.

La réunion est levée à 20 h 35.

Mercredi 12 octobre 2016

- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -

La première réunion est ouverte à 10 heures

Approbation de l'accord entre la France et le Gouvernement de la République d'Autriche relatif au statut juridique des personnels de l'armée fédérale autrichienne au cours de leur séjour dans la collectivité territoriale française de Guyane - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. Robert del Picchia et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 863 (2015-2016) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Autriche relatif au statut juridique des personnels de l'armée fédérale autrichienne au cours de leur séjour dans la collectivité territoriale française de Guyane.

M. Robert del Picchia, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord relatif au statut juridique des personnels de l'armée autrichienne au cours de leur séjour en Guyane dans le cadre d'échanges militaires entre nos deux pays.

Avant de vous présenter cet accord de 4 articles, d'une portée, somme toute assez limitée, quelques mots sur la coopération militaire franco-autrichienne et l'armée autrichienne.

Je vous rappelle que l'Autriche est un pays neutre militairement depuis l'adoption, une fois l'indépendance retrouvée, de la loi constitutionnelle du 26 octobre 1955. Sa neutralité ne l'a pas empêchée d'adhérer à toutes les organisations internationales, dont l'ONU, en 1955, et l'Union européenne, en 1995, ni de jouer un rôle de médiateur dans diverses situations de conflits et de tensions (Est-Ouest ou Israël- Pays arabes), ni même encore de participer à de nombreuses missions de maintien de la paix (Congo, Chypre, Suez, Golan, ex-Yougoslavie). Dans les années 1990, l'Autriche a autorisé le survol de son territoire par les avions de la coalition internationale pour frapper l'Irak et a reconnu les décisions obligatoires prises par le Conseil de sécurité de l'ONU. L'Autriche est un partenaire neutre de l'OTAN qui a signé, le 10 février 1995, le document cadre du Partenariat pour la paix (PpP) de l'OTAN, ce qui lui permet de coopérer avec l'Alliance, sans en devenir membre. D'ailleurs, à cet égard, s'il y avait un référendum sur la question d'une adhésion pleine et entière à l'OTAN, « le non » l'emporterait. De fait, l'Autriche participe au spectre complet des opérations du PpP, même si l'envoi de soldats autrichiens à l'étranger ne peut se faire que dans le cadre exclusif de missions placées sous l'égide d'organisations internationales et est soumis à l'autorisation préalable du Parlement - très difficile à obtenir en dehors du théâtre d'opérations traditionnelles des Balkans, du fait de l'opposition très forte de l'extrême droite et des verts à tout engagement extérieur.

La coopération militaire franco-autrichienne est modeste mais diversifiée. La France est avec l'Allemagne et l'Italie, un des trois pays avec lesquels l'Autriche veut concentrer sa coopération. La coopération « terre » porte principalement sur des actions de formation dans le cadre du semestre international de Saint-Cyr et de l'École de guerre et des échanges d'expertise ou des stages dans le domaine du combat en montagne. La coopération « air » consiste en un échange entre les écoles de formation de pilotes de chasse. Une coopération s'est également établie entre les services de santé et commence à se formaliser dans le domaine des affaires civilo-militaires, où les compétences autrichiennes sont particulièrement reconnues. On notera également que les militaires autrichiens font preuve d'un intérêt grandissant pour les problématiques de sécurité sur le continent africain et qu'en réponse à l'invocation par la France, en novembre 2015, de l'article 42.7 du Traité de l'Union européenne qui exige la solidarité des États membres en cas d'attaque extérieure sur le territoire de l'un d'eux, Vienne a légèrement renforcé sa présence en République centrafricaine et a proposé une mise à disposition de 100 heures de vol de C-130 utilisables dans le cadre de missions de l'ONU et de l'Union Européenne, dont les modalités n'ont pas encore été finalisées dans un arrangement technique.

Enfin, l'armée autrichienne compte environ 55 000 hommes et repose sur la conscription, à laquelle les Autrichiens, qui sont environ 8 millions, restent très attachés. Sur les 21 000 militaires d'actives, seuls 2 200 d'entre eux sont des professionnels. 24 000 hommes proviennent de la réserve active. Depuis les attentats de novembre 2015, la crise migratoire et le réveil de l'opinion qui s'en est suivi, le nouveau ministre de la défense Hans Peter Dokosil, nommé en janvier 2016, a décidé de renforcer l'outil de défense avec une nouvelle organisation des forces armées et une modernisation des équipements et infrastructures au cours de la période 2016-2020. Le budget de la défense devrait ainsi passer de 0,58 % du PIB en 2015 à 0,81 % du PIB en 2020 et les forces d'intervention de 2 200 à 6 000 soldats professionnels.

Venons-en à l'accord proprement dit. Il a pour objet de conférer un statut juridique protecteur aux forces autrichiennes présentes sur le territoire guyanais : la France est partie au traité de l'Atlantique Nord sur le statut des forces de 1951, dit SOFA OTAN, ainsi qu'à la Convention entre les États parties au traité de l'Atlantique Nord et les autres Etats participants au Partenariat pour la paix de 1995, dit SOFA PpP. L'Autriche, quant à elle, n'est partie qu'au SOFA PpP, qui renvoie à l'application du SOFA OTAN dans les relations entre les forces armées françaises et autrichiennes, lorsque celles-ci se trouvent sur le territoire métropolitain des parties. En l'absence d'un accord spécifique, comme celui qui vous est soumis, il n'est pas possible d'appliquer le SOFA OTAN sur le territoire de la Guyane, situé hors du territoire métropolitain et hors du champ d'application géographique du SOFA OTAN, limité aux territoires situés au nord du Tropique du Cancer. Dans ces conditions, les membres des forces armées autrichiennes qui se trouvent en Guyane sont exclusivement soumis aux lois et règlements en vigueur sur le territoire de la République française. Faisant suite à la demande des autorités autrichiennes en 2010 et alors même qu'il n'y a jamais eu d'incident grave, le présent accord vise à combler cette lacune et à permettre aux membres des forces armées autrichiennes de bénéficier du statut du SOFA PpP, et donc par le jeu des renvois, du statut SOFA OTAN, qui leur octroie notamment les traditionnels privilèges diplomatiques en matière de juridictions s'ils commettent des infractions, des exonérations fiscales ou douanières, le bénéfice de règles protectrices concernant les dommages commis ou subis ainsi qu'un certain nombre de facilités dans l'accomplissement de leurs missions comme celles relatives au port d'arme, de l'uniforme et à la reconnaissance du permis de conduire.

Cet accord répond à un besoin ciblé : celui des stagiaires de l'armée autrichienne en Guyane. Il a en effet vocation à s'appliquer aux quelques élèves-officiers autrichiens - une quinzaine depuis 2006 - envoyés en échange, dans le cadre du semestre international de l'école spéciale militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan, pendant le stage de 2 semaines d'aguerrissement en milieu jungle qu'ils effectuent au Centre d'entraînement en forêt équatoriale (CEFE), situé à Régina sur les rives du fleuve Approuague, en Guyane, une des 4 « écoles de la jungle » reconnues internationalement. Ce stage, qui prépare aux opérations extérieures, notamment en Afrique, permet aux membres des forces armées de mieux se connaître et facilitent l'interopérabilité entre les armées sur le théâtre d'opérations extérieures.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Il s'agit du premier accord portant sur le statut des forces étrangères pendant leur séjour en Guyane avec un État participant au Partenariat pour la paix. Parfaitement compatible avec les engagements internationaux de la France, il aura des conséquences très limitées sur le plan financier, juridique et administratif, compte tenu du peu de personnes concernées. Les autorités autrichiennes ont fait savoir que leur procédure d'approbation parlementaire était achevée.

L'examen en séance publique devrait avoir lieu le jeudi 10 novembre 2016, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

M. André Trillard. - Je me réjouis de cette convention mais je me demande si ces militaires autrichiens viennent en France à titre gratuit ou à titre onéreux.

M. Robert del Picchia, rapporteur. - Ces échanges d'élèves officiers de l'armée française et de l'armée autrichienne constituent des « opérations blanches ». C'est la même chose que lorsque l'on envoie des militaires français s'entraîner au combat dans les montagnes autrichiennes.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi précité, à l'unanimité.

PLF pour 2017 - Audition du général André Lanata, chef d'état-major de l'armée de l'air

La commission auditionne le général André Lanata, chef d'état-major de l'armée de l'air, sur le projet de loi pour 2017.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mon Général, avec votre audition nous entamons notre cycle d'auditions budgétaires sur les crédits de la défense. Le projet de loi de finances 2017 intervient dans un contexte où l'armée de l'air participe de façon très intense aux opérations extérieures - alors que la bataille de Mossoul se prépare - et doit dans le même temps renforcer la sécurité de ses emprises sur le territoire national, en conséquence de la montée de la menace intérieure. Ces fortes sollicitations ont naturellement des implications en termes de possibilité d'entrainement et de disponibilité des aéronefs en métropole, notamment.

Quel est le moral des aviateurs qui donnent beaucoup depuis plusieurs mois, voire plusieurs années ? Quels sont les principaux points de vigilance pour vous dans le projet de loi de finances ? Question annexe : en quoi le contrat indien est-il susceptible d'affecter le rythme de livraison des Rafale à l'armée de l'air dans les années à venir ?

Général André Lanata, chef d'état-major de l'armée de l'air. - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, c'est toujours un honneur en même temps qu'une très grande fierté de pouvoir témoigner devant vous du sens du service extraordinaire des hommes et des femmes de l'armée de l'air. Je mesure chaque jour, humblement, la responsabilité immense qui m'a été confiée pour les préparer au combat, physiquement et moralement, pour améliorer leurs conditions de travail et de vie, pour vous garantir ainsi qu'ils réussiront les missions que leur confie la France dans les meilleures conditions possibles, et pour promouvoir les valeurs qui animent les aviateurs et qui contribuent sans nul doute à leurs succès. Car je peux vous assurer que les aviateurs que je commande font preuve d'un enthousiasme remarquable, d'une abnégation quotidienne, d'une discipline et d'un loyalisme sans faille, d'une rusticité et d'une débrouillardise sur le terrain, d'une culture expéditionnaire enviée de nos alliés, d'un désintéressement et d'un sens du service qui force l'admiration et qui peut aller - et qui va - jusqu'au sacrifice ultime.

Malheureusement depuis que je me suis présenté devant vous il y a un an, l'armée de l'air a payé, une fois encore, un tribut important aux combats que mène actuellement notre pays. Je voudrais, au moment de prendre la parole devant votre commission, commencer par rendre hommage à nos blessés et nos morts. Ils sont là pour nous rappeler l'exigence inouïe et la noblesse de leur engagement, et la reconnaissance que notre pays leur doit en retour. Comme le chef d'état-major des armées, j'affirme : nos soldats sont des héros ! A ce titre, je vous remercie très sincèrement des marques de soutien de la représentation nationale que les aviateurs trouvent dans chacun de vos déplacements sur nos bases aériennes, sur les théâtres d'opérations extérieures ou sur le territoire national. C'est pourquoi je vous assure de leur importance dans les circonstances exceptionnelles que nous vivons.

Récemment j'ai présidé la prise de commandement de la base aérienne de Nancy. J'ai été frappé de la magnifique représentation de la cohésion nationale autour du drapeau de la base : préfets, sénateurs, députés, maires, corps de l'Etat. Cela fait plaisir à voir ! Je peux vous assurer que cela signifie beaucoup pour nos aviateurs. Je saisis aussi l'occasion qui m'est donnée pour remercier l'action de votre commission au profit de nos armées. Je voudrais enfin vous remercier de chacune de vos déclarations qui mettent en lumière l'oeuvre accomplie par nos aviateurs en silence, en ordre et parfois dans l'ombre.

Il y a un an, quasiment jour pour jour, à peine un mois après ma prise de fonction, je m'étais présenté devant vous et j'avais pu appeler alors votre attention sur quelques messages. Après vous avoir décrit les atouts de l'outil de combat aérien mis en oeuvre par l'armée de l'air, j'avais constaté l'accroissement de la pression des opérations en 2015, tout en doutant du relâchement de cette pression. J'avais souligné l'importance d'une parfaite exécution de la loi de programmation militaire actualisée compte tenu de l'absence de marges de cette programmation et d'une telle situation d'engagement. J'avais également insisté sur le fait que la performance du système de combat de l'armée de l'air reposait aussi sur la volonté des aviateurs, la volonté de réussir toutes leurs missions, mais aussi la volonté de mener à bien l'ambitieux plan de transformation de l'armée de l'air Unis pour « Faire Face ». J'avais enfin indiqué l'importance de préserver cette volonté, en faisant des efforts significatifs sur la condition du personnel.

J'estime aujourd'hui que l'ensemble de ces constats restent d'actualité. C'est pourquoi, partant de ces éléments, je vous propose maintenant de commencer par témoigner des engagements opérationnels de l'armée de l'air depuis notre précédente rencontre aussi bien en opérations extérieures que sur le territoire national. Ils vous permettront de mieux comprendre le contexte dans lequel s'inscrit le projet de budget 2017 qui nous réunit aujourd'hui. J'évoquerai ensuite quelles sont les dispositions que nous avons prises en interne pour faire face à l'évolution de la situation telle que je la perçois. Enfin, je partagerai avec vous le regard que je porte sur le projet de budget 2017, lequel me paraît indissociable de l'exécution de celui de 2016.

Au fil de mon exposé, je garderai en filigrane plusieurs points d'attention qui constituent pour l'armée de l'air autant d'enjeux à court, moyen ou long terme. La sécurité et la protection de nos emprises fait partie des axes d'effort en profondeur liés au changement brutal du contexte sécuritaire. Faisant écho à une récente actualité, le soutien aux marchés d'exportation du Rafale s'apparente à une mission opérationnelle à part entière. Enfin, je considère que la condition du personnel est essentielle à la performance globale de l'armée de l'air. Les aviateurs sont au centre de mes préoccupations, au centre des succès opérationnels, et au centre des tensions. C'est pourquoi la valorisation de leur travail et la promotion de leurs valeurs constitue l'un des buts prioritaires que j'accorde à la transformation de l'armée de l'air ; ce point sous-tendra toute mon intervention.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, la transformation n'est pas une option. Ou bien nous nous adaptons, ou bien nous subissons. C'est tout le sens de l'acte II du plan stratégique Unis pour « Faire Face » que je viens de lancer cet été. Il permet aux aviateurs de continuer à regarder l'avenir avec confiance et responsabilité. Il mobilise l'armée de l'air autour d'objectifs partagés et cohérents.

Depuis notre dernière rencontre, il y a eu le 13 novembre. Pour l'armée de l'air, cette attaque brutale sur notre territoire s'est traduite sur le plan opérationnel, immédiatement : dans la nuit même de l'attentat par la projection par voie aérienne des forces de l'opération Sentinelle à Paris (mobilité de nos forces armées sur le territoire national) ; et dans celle qui a suivi celle de l'attentat, par les frappes de rétorsion en Syrie ordonnées par le Président de la République puis l'intensification des frappes menées par la France en Syrie et en Irak. Autant d'éléments qui soulignent la réactivité de nos forces aériennes. Depuis, au Levant, nos aéronefs continuent de pilonner les positions de Daech en Irak et en Syrie.

Je voudrais insister ici sur un point. Une campagne aérienne ne réussit et ne produit ses effets qu'au prix d'un effort, patient, systématique, méthodique qui s'inscrit dans le temps. Depuis plus de deux ans, il a permis, au sein de la coalition, de faire reculer Daech, ce qui prive cette organisation d'une partie importante de son territoire, donc de ses ressources, et permet à la coalition d'être aujourd'hui aux portes de Mossoul. Car si Mossoul est au centre des attentions ces jours-ci, sachez que 80 % des missions des chasseurs de l'armée de l'air ont porté l'effort dans cette zone. C'est bien cet effort dans le temps aux côtés de nos alliés, depuis deux ans, qui permet, aujourd'hui, d'être en mesure d'engager la reconquête de cette ville clef pour la libération de l'Irak.

Ainsi, ce sont plus de 1 600 bombes et missiles tirés jour et nuit par l'armée de l'air depuis deux ans. Il s'agit là d'un rythme et d'une intensité de frappe inédits. Pour notre seule base H5 en Jordanie et le seul détachement des M2000 qui a été relevé comme vous le savez par des Rafale cet été (j'y reviendrai) : les M2000, ont réalisé plus de 10 000 heures de vol en 2 300 sorties, plus de 6 400 ravitaillements en vol, délivré plus de 1 000 munitions... sans oublier les 200 000 heures de maintenance pour permettre à nos avions de prendre l'air tous les jours. Considérons aussi que cette intensité et cette régularité sont rendues possibles par l'utilisation d'une base aérienne déployée, judicieusement placée, dans la zone, qui héberge un détachement relativement modeste de 6 à 8 avions et moins de 300 personnes.

J'ajoute que, comme dans toute campagne militaire, rien n'aurait été possible sans une manoeuvre de soutien depuis l'arrière extrêmement exigeante. Nous rencontrons des défis analogues en termes d'élongation et de durée au Sahel avec un engagement des aviateurs dans les opérations Barkhane et Sabre depuis plus de trois ans, pour traquer au Sahel les groupes armés terroristes, dans des conditions climatiques et environnementales particulièrement sévères.

Depuis les bases aériennes déployées de Niamey et de N'Djaména principalement, nous réalisons toute la palette des missions aériennes. Elles nous permettent de quadriller un territoire grand comme l'Europe en nous appuyant sur les moyens de reconnaissance comme les RAFALE équipés de la nacelle RECO-NG, ou de surveillance (REAPER, C160G, ISR léger), de ravitaillement en vol, transport tactique, forces spéciales (commandos parachutistes de l'air et hélicoptères EC725 Caracal ), les moyens de frappe dans la profondeur ou en appui des forces terrestres (M2000, RAF).

Je termine par les capacités de commandement et de contrôle, évidemment indispensables pour coordonner avec efficacité l'emploi de l'ensemble de ces moyens. Pour l'armée de l'air, ces moyens de commandement et de contrôle sont stationnés en France. Ils conduisent à distance et sous l'autorité du chef d'état-major des armées l'ensemble des opérations aériennes en Afrique. Comme j'ai déjà eu certainement l'occasion de vous l'expliquer, cette organisation nous permet d'optimiser l'emploi de moyens comptés en permettant la bascule, dans la même mission, du même avion, d'une opération à une autre, de Barkhane à Sangaris, en passant par Sabre.

Depuis notre rencontre l'an dernier, nos missions se sont étendues à la Libye. Nous y poursuivons notre action de « documentation du théâtre » aussi bien à partir du Sud que de nos bases métropolitaines. Comme vous le savez, l'ensemble du bassin méditerranéen, et au-delà, est à leur portée. Nous l'avions démontré lors des opérations en Libye en 2011.

Pour toutes ces opérations, je souligne l'appui déterminant des Etats-Unis en matière d'ISR, de ravitaillement en vol et de mobilité, et l'appui de nos alliés européens pour le transport.

Nos aviateurs interviennent aussi dans l'opération Sangaris en Centrafrique. Les hélicoptères Fennec apportent l'appui renseignement mais aussi l'appui-feu nécessaires, l'escadron ayant développé une expertise de tireur air-sol embarqué à partir de leur compétence de tireur d'élite pour la police du ciel en métropole. Les groupements chasse et transport de N'Djamena participent ponctuellement à Sangaris, lorsque les besoins l'exigent. Pour terminer sur le terrain des opérations extérieures, vous savez que nous avons actuellement déployé en Lituanie 4 M2000, dans le cadre des mesures de réassurance de l'OTAN face à la Russie. Ils participent à la mission de police du ciel des Etats baltes.

Il ne s'agit pas que d'un simple affichage. Nos Mirage, en état d'alerte maximum, ont ainsi décollé 6 fois en 24 heures ce week-end pour intercepter une dizaine d'avions russes, dont des avions de chasse. Une augmentation de tension dans ce secteur est perceptible dans le contexte politique actuel. Nos équipages déployés en Lituanie mettent en oeuvre les mêmes qualités d'extrême réactivité que lorsqu'ils assurent, en permanence, la posture de sûreté aérienne dans le ciel de France. 73 décollages de chasseur en France sur alerte en 2015, et nous en sommes déjà à 79 pour 2016.

Car cette intensification des missions réalisées par l'armée de l'air à l'extérieur s'ajoutent à la poursuite, dans l'ombre il faut bien le reconnaître, mais toute aussi importante des missions permanentes qui garantissent depuis plus de cinquante ans et sans interruption la protection aérienne des Français et de leurs intérêts vitaux. C'est ainsi que quatre de nos six Rafale en alerte permanente en 7 minutes ont intercepté des bombardiers stratégiques russes, il y a un peu plus de 15 jours, et les ont escortés pendant près d'une heure en face de nos côtes Atlantiques. Je rappelle que chacun des Tupolev interceptés peuvent embarquer plusieurs missiles de croisières dont la portée est estimée à plus de 1 000 km. Une interception analogue s'était déjà produite en Manche le 17 février de cette année, les bombardiers russes faisant demi-tour à quelques kilomètres de notre espace aérien.

Une opération remarquable mettant en oeuvre chasseurs anglais et français, centre de commandement des défenses aériennes anglais et français, un avion de ravitaillement en vol anglais sur lequel nos Rafale ont ravitaillé, démontrant, si besoin est, la parfaite intégration des forces aériennes européennes. Je note au passage la recrudescence de ces démonstrations militaires dans nos approches aériennes qui soulignent les capacités militaires et le retour des menaces de la puissance.

Je me dois de vous signaler à cet égard la grande préoccupation de l'aviateur que je suis face aux stratégies de déni d'accès dans la troisième dimension déployées par ces puissances, qui prolifèrent également sur des théâtres d'opérations (Syrie) ou chez plusieurs puissances régionales. La liberté d'action dans la troisième dimension est un préalable à toutes nos opérations militaires. Il ne faut jamais l'oublier. Il s'agit là d'un enjeu majeur selon moi qui doit alimenter les réflexions de l'avenir de notre système de combat aérien. Pour cette raison mais pas seulement, le maintien sans concession de la posture de dissuasion aéroportée revêt toujours la même importance primordiale. Elle est garantie sans discontinuer depuis le 1er octobre 1964.

Je crois utile d'indiquer ici que la transition de notre composante aéroportée de la dissuasion vers le tout Rafale est désormais engagée de façon irréversible. Cette manoeuvre, extrêmement exigeante, exécutée sans aucune concession, se déroule parfaitement entre l'ouverture dans moins d'un an du 2ème escadron de Rafale à vocation nucléaire à Saint-Dizier et le retrait de service du Mirage 2000N en septembre 2018. Il est certain toutefois qu'elle induit une charge de transformation qui s'ajoute aux nombreuses autres sollicitations dont l'armée de l'air est l'objet.

Depuis notre dernière rencontre, l'armée de l'air prend en compte des menaces atypiques comme les mini-drones. J'estime qu'en un an nous avons beaucoup progressé au point d'être capable de mettre en oeuvre des dispositifs de protection opérationnels et efficaces autour d'évènements particuliers. Nous l'avons fait pour COP21, le match d'ouverture et la finale de l'Eurofoot ou le 14 juillet. Ces différentes manifestations me permettent de souligner l'intensification de l'effort conduit par l'armée de l'air pour mettre en oeuvre de plus en plus fréquemment des dispositifs particuliers de sûreté aérienne afin d'assurer une protection dans la troisième dimension autour de ces rassemblements. Nous sommes passés de 4 de ces dispositifs en 2014 à 12 en 2016. Il faudra là aussi en tirer les conséquences.

S'ajoutent évidemment la poursuite de nos missions en soutien aux services publics, qu'il s'agisse de l'appui que l'armée de l'air fournit à la lutte contre les feux de forêts de la région marseillaise (dans la nuit du 11 août, un C160 Transall de la base aérienne d'Evreux a ainsi transporté 70 pompiers avec leur équipement entre Nantes et Istres) ; de la contribution à l'acheminement des dons d'organe, nos bases aériennes étant les seules plateformes aéronautique à disposer de capacités d'accueil d'aéronefs 24h sur 24, 7 jours sur 7 ; de recherche et sauvetage, d'aéronefs accidentés, bien sûr, mais aussi de sauvegarde des personnes comme l'hélitreuillage de cette femme enceinte à bord d'un ferry au large de la Corse le 22 août dernier.

Je serais incomplet dans cette description de l'engagement de l'armée de l'air sur le territoire national, au service de la protection des Français, si je ne mentionnais pas l'effort sans précédent conduit pour renforcer la protection de nos emprises militaires. Un vaste plan prenant en compte toutes les dimensions de la problématique est en oeuvre.

Je pense toutefois utile de vous dire que pour faire face à une situation de menaces inédite, ma plus grande préoccupation concerne les ressources humaines, notamment la faiblesse des effectifs de commandos de l'air que nous recrutons néanmoins à marche forcée, en mobilisant les marges de manoeuvre résultant de l'arrêt des déflations d'effectifs et en conduisant un effort sensible sur les réserves (+ 35 % en 3 ans), dont plus du tiers va à la protection. Cette situation me contraint, dans l'attente, à mobiliser une partie du personnel militaire des bases aériennes, secrétaire, mécaniciens avion, contrôleur aérien, etc... pour venir renforcer la protection de nos sites militaires.

Incomplet également je serais, si je ne mentionnais pas la participation de l'armée de l'air à la mission Vigipirate et Sentinelle. Depuis notre dernière rencontre, il y a également eu l'attentat de Nice. Si je mentionne cet évènement marquant, c'est en raison de l'engagement d'aviateurs sur la Promenade des Anglais le 14 juillet au soir. En mission à l'aéroport de Nice, ils ont été appelés dans les minutes qui ont suivi l'attentat pour la sécurisation de la zone. Je suis allé à leur rencontre le surlendemain de l'attentat. Ils ont été sensibles à cette visite. Ils avaient besoin de parler, d'être écoutés, d'être soutenus compte tenu de ce qu'ils avaient vécu. Je signale la présence parmi le détachement de deux jeunes réservistes dont une jeune femme de 18 ans qui, quand je leur ai demandé la raison de leur engagement, m'ont répondu « J'avais envie de servir et d'aider ! ».

A ces très nombreux engagements opérationnels s'ajoutent les importantes sollicitations intervenant dans le cadre du soutien à nos marchés d'exportation du Rafale. Il faut se féliciter de ces succès à l'export : c'est une bonne nouvelle pour notre industrie, pour l'armée de l'air, pour la LPM et pour la France. Le soutien que nous y apportons consiste principalement en des actions de formation. Ceci me permet de souligner l'attrait, l'intérêt central des clients pour l'expertise opérationnelle unique et recherchée détenue par l'armée de l'air. Il faut voir ici une des raisons de ces succès à l'export. Il s'agit également d'action de promotion (participation à des salons aéronautiques, exercices), de prêts d'équipement, ou de mise à disposition de moyens et de personnel pour les besoins de développements des standards demandés par les clients. Tout ceci n'est évidemment pas neutre et vient s'ajouter à une situation tendue. Je crois important de pouvoir réaliser les prestations demandées dans de bonnes conditions autant pour notre industrie de défense que pour les partenariats stratégiques de long terme que l'armée de l'air, et de façon générale la France, va pouvoir nouer avec les pays acquéreurs.

Il est donc nécessaire de donner à l'armée de l'air les ressources lui permettant de le faire. Le point d'attention se situe ici probablement sur les ressources humaines et l'épaisseur organique de la flotte, l'essentiel de ces prestations étant compensé financièrement.

Ce panorama des activités opérationnelles réalisées par l'armée de l'air dans l'année écoulée me conduisent à formuler plusieurs remarques.

Premièrement, un constat : nos missions se sont cette année encore étendues en type, en zone d'action et en intensité. C'est incontestable. Ce sont désormais 20 avions de combat au lieu de 12 prévus dans les contrats opérationnels issus du Livre blanc, 4 bases aériennes projetées au lieu d'une, 3 à 4 théâtres en permanence au lieu d'un. Voici les données qui constituent la norme de nos engagements dans la durée. C'est pour l'ensemble de ces raisons qu'avec le chef d'état-major des armées, nous réclamons une augmentation de l'effort de défense pour atteindre 2 % du PIB. Les données que je vous ai indiquées doivent constituer la base des travaux à venir.

Deuxièmement, un satisfecit : l'armée de l'air est au rendez-vous de ses missions. Pour faire face à cette situation exceptionnelle, nous nous sommes bien sûr appuyés sur les mesures prises dans le cadre de l'actualisation de la LPM et des décisions prises en conseil de défense d'avril dernier. Mais nous avons aussi pris de très nombreuses dispositions en interne.

Je commencerai par la mesure la plus visible, car il s'agit d'une manoeuvre d'optimisation qui s'est déroulée au cours de l'été sur trois continents. Nous avons effectivement réorganisé le dispositif de l'aviation de chasse entre le Levant et la bande Sahélo-Saharienne. Les Mirage 2000D ont ainsi quitté la Jordanie, remplacés par des Rafale. Réciproquement, les Rafale ont quitté l'Afrique, remplacés par un tandem de Mirage 2000D et C à Niamey. Ce rééquilibrage important est désormais terminé. Il permet d'augmenter la puissance de feu sur le théâtre syro-irakien, grâce aux capacités d'emport du Rafale ; de faire souffler les machines et les équipes de Nancy, soumis à un rythme opérationnel effréné et incessant depuis maintenant deux ans, et dont plus de 50 % de l'activité est réalisée en OPEX - nous étions en train d'épuiser la flotte et les équipages ; de mieux garantir la sécurité des missions au-dessus des zones hostiles du Levant, les deux réacteurs du Rafale apportant un gage de sérénité aux équipages qui survolent des heures durant les zones contrôlées par Daech.

Un autre domaine, bien moins visible, dans lequel nous avons porté nos efforts en interne, consiste dans les mesures que nous avons prises afin d'améliorer la régénération de nos équipements. Je ne vais pas les décrire en détail. Il s'agit par exemple de l'adaptation des plans de maintenance, l'acquisition de rechanges supplémentaires, le transfert d'activité vers l'industrie, le rééquipement d'avions en attente de pièces, l'augmentation des cadences de visite au service industriel de l'aéronautique (SIAé), l'amélioration des flux logistiques... Tout ceci est actuellement mis en place ou en cours de mise en place.

La remontée d'activité des flottes aéronautiques s'étale sur l'ensemble des annuités de la LPM. Et c'est en ce sens que la problématique du MCO aéronautique doit continuer de faire partie de mes préoccupations, mais aussi des enjeux du PLF 2017 que je vais aborder maintenant.

Avant de vous parler des besoins de l'armée de l'air dans le cadre du PLF 2017, je veux évoquer avec vous les réalisations et naturellement la fin de gestion de l'exercice 2016. Nous le savons bien, le budget de l'année prochaine est dépendant des conditions budgétaires de sortie de l'année en cours. Je note d'abord plusieurs avancées majeures depuis le mois de janvier. La signature du contrat d'acquisition de 2 avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR). Ces appareils complèteront les capacités offertes par les drones REAPER, par leur réactivité d'emploi et leur souplesse de déploiement. Il s'agit là d'un domaine d'effort capacitaire indispensable au déroulement de nos opérations. Leur livraison est prévue à compter de 2018.

Pour la capacité mobilité, la modernisation des 14 C130H a été commandée à l'été 2016 pour rendre, en particulier, les capacités de 8 d'entre eux compatibles avec les besoins des forces spéciales. Les livraisons interviendront entre 2019 et 2025. La commande de 4 C130 J neufs, décidée par le ministre de la défense à la suite de l'actualisation de la LPM, vient compléter ces mesures. Pour l'aviation de chasse, la rénovation de 55 Mirage 2000D a été décidée pour des premières livraisons à compter de 2020. Des bombes de 250 kg et des kits de guidage de précision ont été commandés, faisant suite au niveau d'engagement constaté en opérations.

Comme je vous l'indiquais, je demeure vigilant sur la fin de gestion 2016 qui nécessite absolument la levée rapide de la réserve parlementaire, ainsi que la mise à disposition du décret d'avance OPEX, de manière plus anticipée que lors de l'exercice 2015, la rupture de trésorerie étant actuellement envisagée au cours de la deuxième quinzaine du mois d'octobre. En fin d'année, sur le plan capacitaire, un 2ème système Reaper (3 drones) doit encore être livré fin 2016 à Cognac (1 vecteur et 2 stations sol) et à Niamey (2 vecteurs). Le 3ème système a également été commandé cette année. Je reste attentif à la commande du 4ème d'ici la fin de l'année si nous voulons tenir les objectifs de la LPM dans ce domaine. Les livraisons associées sont prévues en 2019.

En parallèle, une capacité de simulation doit être livrée mi-2017 à Cognac qui permettra de disposer de l'autonomie de formation nécessaire à la montée en puissance de cette capacité indispensable aux opérations.

Les livraisons d'A400M se poursuivent, 2 appareils ont déjà été réceptionnés cette année, un 3ème est prévu en fin d'année. Ces livraisons porteront à 11 la flotte de l'armée de l'air. Sur ce programme, je suis attentif à la mise à disposition des 6 appareils au premier standard tactique d'ici à la fin de l'année conformément aux engagements de l'industriel.

Enfin, je constate que les objectifs de remontée d'activité en prévision pour 2016 sont globalement en hausse par rapport à 2015. L'augmentation se chiffre à 1 %, soit environ 1 000 heures pour l'armée de l'air.

Cette progression masque toutefois une situation contrastée, en raison de la faible disponibilité de la flotte de transport. Et si nos équipages chasse réalisent l'essentiel de cette augmentation (168 heures, dépassant ainsi les 159 heures inscrites dans la Loi de Finance), il faut garder à l'esprit que la grande partie de cette activité se déroule en OPEX. C'est dire l'importance pour l'armée de l'air du projet de formation des pilotes de chasse FOMEDEC (formation modernisée et entraînement différencié des équipages de chasse). Un projet sur lequel repose notre capacité à rejoindre un niveau d'activité indispensable au maintien de nos capacités et savoir-faire opérationnels. Une décision doit absolument être prise avant la fin de l'année.

Sur le plan des ressources humaines, la contribution de l'armée de l'air aux déflations d'effectifs depuis le début de la LPM était de 2 800 personnes fin 2016. Après les décisions du conseil de défense d'avril 2016, l'armée de l'air aura tout de même supprimé 2 500 postes sur la durée de la LPM (contre 3 200 prévus en LPM actualisée et 4 515 en LPM initiale), soit 55 % de l'objectif initial. Pour 2017, cette atténuation bénéficie principalement aux domaines : PRODEF (environ 100 fusiliers), aux escadres de combat (plus de 80 mécaniciens), ainsi qu'au renseignement (25 postes à l'escadron drones : équipages, officiers renseignement et techniciens). Pour ces raisons, et celles que je vous ai décrites, les RH constituent l'une de mes plus grandes préoccupation.

S'agissant maintenant du projet de loi de finances pour 2017, je commencerai par noter que, dans l'actualisation LPM, l'acquisition de nouveaux équipements (P146) a été en partie financée par des ressources internes au ministère dégagées grâce aux marges résultant de l'évolution des indices économiques identifiés à l'issue de leur enquête par l'Inspection générale des finances et le Contrôle général des armées. Par ailleurs, l'effet coût des facteurs en particulier sur le prix du carburant est intégré dans la construction budgétaire.

Ceci étant posé, nous poursuivons pour 2017 des objectifs de remontée d'activité, conformément à la LPM actualisée, prenant en compte la réalité de nos engagements opérationnels. Nous maintenons la trajectoire permettant de retrouver à terme les normes d'activité, en fin de LPM. Ainsi, pour 2017, nous prévoyons respectivement 164 heures par pilote de chasse, 191 heures en hélicoptère et 267 heures pour les équipages de transport.

Concernant l'équipement des forces de l'armée de l'air, le PLF 2017 doit permettre de consolider la feuille de route aviation de combat en lançant les commandes des premiers M2000D rénovés (45 commandes sur 55 décidées) ; d'améliorer les capacités d'intervention de nos forces avec la commande de 15 nacelles de désignation nouvelle génération Talios supplémentaires ; de renforcer la capacité de protection avec la commande du troisième centre ACCS qui sera installé à Mont-de-Marsan, après ceux de Lyon et de Cinq Mars la Pile.

A ce sujet, l'ACCS (Air Command and Control System), système partagé avec nos alliés de l'OTAN, constitue une de mes préoccupations majeures. Je juge ce système ni encore suffisamment mature, ni robuste pour satisfaire les exigences de la posture permanente de sûreté aérienne. Compte tenu des difficultés de mise au point, il est désormais nécessaire de prolonger le fonctionnement et le soutien du système STRIDA actuel jusqu'à l'horizon 2021 (au lieu de 2018) pour sécuriser la continuité de la protection de l'espace aérien national. Les tests de fonctionnement d'ensemble fin novembre permettront de consolider le calendrier, notamment la reprise des opérations de vérification début 2017, déterminante pour la suite du programme. Je suis confiant, car l'industriel estime être en mesure de tenir cette échéance compte tenu des ressources qu'il a affectées sur cette affaire et de l'analyse des faits techniques restant à corriger. L'armée de l'air apporte tout son soutien au développement, notamment pour les tests en environnement réel, afin d'assurer le succès du programme malgré ces difficultés. Je signale tout de même la contrainte de maintenir une activité sur le site de Drachenbronn supérieure aux prévisions.

En matière de recueil de renseignement électromagnétique, l'intégration d'une charge d'écoute électromagnétique ROEM est prévue d'être commandée en 2016, pour une capacité opérationnelle attendue en 2018.

En ce qui concerne la mobilité, le premier des 4 C130J neufs sera livré fin 2017 (puis 1 en 2018 et 2 avions disposant d'une capacité de ravitaillement en vol d'hélicoptères en 2019). Pour l'A400M : 3 autres appareils doivent être livrés en 2017 et le quinzième en 2018. La LPM actualisée prévoit ensuite une suspension des livraisons jusqu'en 2021.

Pour conclure, et compte tenu de la situation que j'ai décrite, vous comprendrez que j'ai absolument besoin d'une exécution à la lettre de la programmation militaire, amendée par l'actualisation intervenue en 2015, auxquelles sont venues s'ajouter les décisions prises en conseil de défense cette année. A défaut, l'armée de l'air ne pourra pas faire face à l'ensemble des missions qui lui sont demandées. Mais il y a une réalité qui dépasse l'analyse capacitaire derrière les mesures chiffrées du PLF, une réalité que j'affectionne de nommer « épaisseur », opérationnelle et humaine.

A ce titre, l'armée de l'air est tout sauf une abstraction budgétaire ou conceptuelle. Elle n'a de sens qu'intégrée dans les opérations interarmées, au service des ambitions de la France, et pour la protection des Français. Par-dessus tout, elle n'a de sens que par celui de l'engagement des femmes et des hommes qui en son sein servent la France. C'est sur eux que reposent nos succès en opérations, c'est d'eux que dépend la réussite de notre transformation. J'ai confiance en eux, et je tenais à vous le redire publiquement. En ces circonstances, leurs conditions de vie et de travail font l'objet de toutes mes attentions et de mes priorités. C'est aussi une forme de reconnaissance que nous devons à leur engagement.

Et je voudrais terminer sur ce point : la condition du personnel, les familles de nos aviateurs sont une part intégrante de nos capacités de combat. Je sais que la commission, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, est de tout coeur avec eux et sera attentive à leur préoccupation. Vous pouvez avoir confiance en eux.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci, mon Général, pour cet exposé très complet. Passons aux questions de mes collègues.

M. Jacques Gautier, rapporteur pour avis pour le programme 146.- Je voudrais saluer en préalable le niveau d'engagement des hommes et des femmes de l'armée de l'air qui exécutent de façon exemplaire l'ensemble de leurs missions. Je souhaiterais que vous puissiez nous apporter quelques précisions sur l'échéancier des commandes et livraisons de certains équipements importants pour permettre à l'armée de l'air de remplir sa mission dans la durée.

Il n'est prévu, en 2017, la livraison que de 3 Rafale dont deux sont, en réalité des retours de livraisons. Sont-ils tous destinés à l'armée de l'air ? Il reste 28 Rafale de la tranche n°4 à délivrer. A quel moment les commandes seront-elles passées et les livraisons réalisées ?

J'observe qu'avec la rénovation, d'ailleurs tardive, des Mirage 2000, l'armée de l'air sera obligée de maintenir encore très longtemps deux types d'avions de chasse alors que l'intention initiale devrait être de ne disposer que d'un seul.

S'agissant de l'A400M, pouvez-vous nous indiquer qu'ils disposent enfin de la pleine capacité de largage de parachutistes ?

Je voudrais également que vous nous précisiez la faisabilité opérationnelle de la mutualisation envisagée avec l'Allemagne de nos capacités de transport C130 ? Où en est le choix de l'appareil devant remplacer comme avion d'entraînement l'Alphajet ?

Enfin, quand l'armée de l'air est-elle appelée à prendre en charge la totalité du parc des hélicoptères Caracal ?

M. Daniel Reiner, rapporteur pour avis pour le programme 146.- Je voudrais également souligner l'intensité et la continuité de l'engagement des personnels de l'armée de l'air. Nous avons bien perçu que les normes d'engagement et les contrats opérationnels décrits dans le Livre blanc et la loi de programmation militaire ont été dépassés et qu'il faudra les réviser à l'occasion de la prochaine actualisation de la LPM.

Je m'inquiète, comme vous, du déploiement de nombreux systèmes modernes de déni d'accès, en Syrie et dans l'est de l'Europe, ce qui affaiblit nos capacités d'action. L'OTAN réfléchit à ce risque et aux moyens de dépasser ces obstacles. Qu'en est-il de la réflexion française et des solutions envisageables ?

En matière de système de commandement et de contrôle, la mise en oeuvre des programmes me paraît plus lente que prévu. Or c'est un domaine où nous devons faire un effort important.

Enfin s'agissant des drones, où en est l'amélioration des capacités de communication et de renseignement du Reaper ? Nous sommes engagés dans un programme européen de réalisation d'un drone MALE qui suscite encore beaucoup d'interrogations. L'OCCAR vient de publier une feuille de route. Ce projet vous paraît-il stratégique ? Il semble que la prochaine avancée technologique soit à rechercher dans des drones stratosphériques, avons-nous des programmes de recherche en ce domaine ? Les Européens ne devraient-ils pas s'y intéresser pour combler leur retard dans ce domaine ?

M. Xavier Pintat, rapporteur pour avis pour le programme 146. - Mon général, après l'exposé particulièrement complet et les interventions de mes collègues, bon nombre de mes questions ont déjà trouvé réponse. Je souhaiterais toutefois revenir sur le contrat d'achat des C130. Le 4 octobre dernier, le ministère de la défense a déclaré avoir signé avec l'Allemagne une déclaration d'intention pour définir les modalités de mise en commun des moyens de transport tactique C130 commandés aux Américains. Nous en avons commandé quatre et les Allemands à peu près autant. L'annonce de la mutualisation des coûts de la flotte du C130 est une très bonne nouvelle. Cela entraîne toutefois des questions. Est-ce que la flotte serait localisée là où il était envisagé qu'elle le soit ? Je crois que oui. Ne sera-t-il pas compliqué de mutualiser des flottes avec des missions sensiblement différentes ? On peut imaginer que la mission des appareils allemands sera différente des missions des appareils français.

Ma deuxième question concerne le domaine spatial qui a été un des thèmes forts des universités d'été de la défense qui se sont tenues à Paris en septembre 2016. La presse s'est fait l'écho récemment de la notification du contrat de modernisation du système de surveillance spatiale GRAVES (Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale). Je rappelle que ce système d'observation a permis en 2005 à la France, avec la Russie et les États-Unis, d'être parmi les rares puissances ayant une capacité autonome de surveillance de l'espace. Or cette notification semblait être une modernisation a minima permettant de traiter les obsolescences du système sans se projeter dans l'avenir en améliorant la détection des petits engins spatiaux. Or je crois que le volet spatial, comme la dissuasion, est essentiel pour les années à venir. Cette notification vous semble-t-elle suffisante ou n'omettons-nous pas là la possibilité de conserver un avantage stratégique décisif.

M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur pour avis pour le programme 178. - Les hélicoptères, les avions de chasse sont aujourd'hui beaucoup plus performants qu'avant, le corollaire de cette excellence est que le coût de leur entretien a cru de façon exponentielle. Cette même excellence des équipements permet leur exportation. Il est évident et chacun ici le sait que l'armée de l'air contribue pour beaucoup à la réussite de ces exportations, que ce soit vers l'Égypte ou le Qatar et vers l'Inde. Les stocks de pièces détachées, les techniciens, sont largement sollicités. Dans les réponses au questionnaire budgétaire que nous avions préparé pour le projet de loi de finances pour 2017, j'ai lu ceci, je cite : « le risque majeur porte sur la capacité de la maintenance étatique et industrielle à générer le potentiel chasse supplémentaire nécessaire tout en assurant les actions au profit du soutien à l'export du Rafale ». Faut-il s'interroger sur la capacité à remplir à la fois le contrat opérationnel et à assurer les missions de soutien à l'exportation ? Ne serait-il pas souhaitable que cet engagement de l'armée de l'air aux côtés des industriels, que l'on appelle le SOUTEX, trouve une sorte de retour dans l'amélioration des conditions de l'entretien programmé du matériel ? Comment avancer sur ce sujet ?

Mme Michelle Demessine, rapporteur pour avis pour le programme 178. - Général, je voudrais vous interroger sur le projet appelé formation modernisée et entraînement différencié des équipements de chasse (FOMEDEC) que vous avez cité dans votre intervention. Depuis la définition de ce projet, l'armée de l'air recourt à un entraînement différencié en répartissant ses pilotes de chasse en deux cercles traités différemment. Toutefois, un certain retard a été pris dans la mise en oeuvre de ce projet, décalé de 2017 à 2018, qui pourrait obérer la capacité de l'armée de l'air à atteindre enfin la norme d'activité individuelle de 180 heures de vol par pilote de chasse en 2020. Pouvez-vous, Général, nous expliquer les raisons du décalage de 2017 à 2018 ? Nous rappeler le nombre d'heures de vol par pilote de chasse espéré en 2017 ? Vous nous avez expliqué que l'on en était à 164 heures en 2016. Enfin quelle mesure faudrait-il prendre pour vous garantir d'atteindre l'objectif d'activité fixé en 2020 ? On sait bien que des niveaux trop bas des crédits de maintien en condition opérationnelle empêchent la qualification des équipages et brime la capacité organisationnelle de nos armées. 2017 sera-t-elle l'année pendant laquelle les pilotes pourront suffisamment s'entraîner pour se qualifier, et être ainsi opérationnels, ou les mêmes équipages, déjà qualifiés, continueront-ils de se succéder en mission ?

M. André Trillard, rapporteur pour avis pour le programme 144. - Beaucoup de questions ont déjà été posées qui concernaient le programme 144. Il en reste une que je souhaite poser toutefois. Je repense à vos prédécesseurs en activité pendant les années 2005 à 2010, il est évident que lorsqu'on leur demandait d'identifier le manque capacitaire de l'armée de l'air, ils répondaient les drones. Avez-vous aujourd'hui identifié un manque ou un besoin spécifique vers lequel devraient être orientés les crédits de recherche et développement ? Mon autre question porte sur les modalités de la construction des avions et leurs ventes. Ne constate-t-on pas une forte tension sur les capacités de recrutement des mécaniciens dans ces secteurs ?

M. Robert del Picchia, rapporteur pour avis pour le programme 212. - Mon Général, je voudrais revenir sur le personnel. Vous avez évoqué les problèmes de « recrutement à marche forcée », pour vous citer. Y a-t-il beaucoup de domaines dans lequel vous rencontrez des tensions ? Quelle solution envisagez-vous de mettre en place pour remédier à ces difficultés ? Enfin disposez-vous de suffisamment de leviers pour valoriser le travail des personnels ?

M. Cédric Perrin. - Mon général, merci pour les propos que vous avez tenus sur vos hommes en particulier et sur nos soldats en général. Ce sont des propos forts et nous les partageons.

L'avenir de l'aviation de combat est une question importante, notamment dans la perspective de l'atteinte des « 2% » : quelle est votre vision de la maîtrise du ciel à l'horizon 2030 ?

Même s'il ne faut sans doute pas généraliser les problèmes survenus sur un certain nombre de flottes, pourriez-vous nous apporter des précisions sur la problématique du maintien en condition opérationnelle aéronautique ?

M. Michel Boutant. - Quel est l'avenir de la transformation de la base aérienne de Cognac, où notre commission s'est rendue il y a quelques mois ? Cette interrogation est liée à une précédente question, qui concernait le projet FOMEDEC, ainsi qu'à la livraison de drones supplémentaires Reaper, que vous avez évoquée.

Quel sera, d'après vous, le rôle de la réserve dans les années à venir ? Comment s'inscrira-t-elle dans le projet de Garde nationale ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Merci, Général, pour ce brillant plaidoyer en faveur de notre armée. Nous y souscrivons évidemment. Vous avez évoqué l'objectif d'augmenter les effectifs de la réserve de 35 % en trois ans. Quelle articulation envisagez-vous entre réserve opérationnelle et réserve citoyenne ? Comment percevez-vous le projet de Garde nationale ? Avez-vous des difficultés à recruter des réservistes ? Le projet de Garde nationale peut-il vous aider à attirer de nouveaux réservistes ?

M. Joël Guerriau. - Mon général, vous avez mentionné l'extension du champ d'intervention de l'armée de l'air, qui déploie aujourd'hui vingt avions de combat de manière permanente. Quelles sont les conséquences de cette situation en termes du budget de maintenance, sur des matériels de pointe ? Ce budget est-il en augmentation, pour les matériels et pour le personnel ?

Vous avez évoqué le déploiement de 4 M2000 en Lituanie, avec, récemment, six sorties en 24 heures. Quels effectifs et quels moyens un tel déploiement représente-t-il ?

Général André Lanata.- Je commencerai par répondre à vos interrogations sur le domaine spatial. J'estime nécessaire de moderniser et d'élargir nos capacités de surveillance, afin de continuer à nous inscrire dans un domaine d'effort inéluctable. Il faut comprendre que nous nous appuyons très fortement sur le segment spatial pour nos opérations, pour des raisons d'autonomie stratégique, bien sûr, mais nous constatons également une utilisation extensive du segment spatial dans nos opérations en particulier dans le domaine de l'observation ou des communications. Ce recours quasi systématique au domaine spatial génère de nouvelles vulnérabilités dont il est essentiel de se préoccuper. Le domaine spatial n'échappe pas à la compétition stratégique entre les puissances. C'est pourquoi nous aurions souhaité aller au-delà de la rénovation a minima du système GRAVES, afin de contrôler davantage d'orbites et donc davantage d'objets spatiaux. Les arbitrages de la LPM ne l'ont pas permis, mais il faudra se demander, à l'avenir, comment nous continuons à garantir notre autonomie stratégique dans ce milieu essentiel pour nos opérations.

S'agissant de l'aviation de chasse, j'estime qu'il s'agit d'un des enjeux, peut-être l'enjeu principal pour l'armée de l'air, aujourd'hui et demain, tant l'aviation de chasse structure l'ensemble du système de combat de l'armée de l'air. Des décisions essentielles doivent être prises au début de la prochaine décennie, afin d'orienter l'avenir en la matière. Cela concerne notamment le renouvellement de la composante aéroportée de la dissuasion dont une dimension de la problématique concerne le porteur.

Vous m'avez posé la question de la poursuite des livraisons de Rafale. Pour l'armée de l'air, un seul Rafale sera livré l'année prochaine. En 2018, trois Rafale seront livrés en compensation des avions prélevés pour assurer les premières livraisons à l'Égypte. Pourquoi cette livraison est-elle indispensable en 2018 ? Parce qu'en 2018 l'armée de l'air devra assurer l'entrée en service opérationnelle du deuxième escadron de Rafale à vocation nucléaire, et sans ces avions, je ne saurais garantir la tenue de cet objectif extrêmement important et exigeant. Ensuite, il n'y aura plus de Rafale livrés à l'armée de l'air jusqu'en 2021, date de reprise de la livraison de la fin de la quatrième tranche.

Pour garantir les formats prévus aujourd'hui par la LPM, il nous faut absolument la livraison des 28 Rafale de la quatrième tranche suivie d'une nouvelle commande pour compenser le retrait des Mirage 2000D. Cela permettra de garantir strictement le modèle décidé dans la LPM, soit 185 avions de combat pour l'armée de l'air. Ensuite se posera la question de la forme de ces nouvelles livraisons dans la seconde partie de la décennie suivante, parce que celles-ci devront prendre en compte le renouvellement de la composante aéroportée de la dissuasion - vecteurs et missiles - et les choix qui seront faits en la matière.

Il faudra enfin soulever, lors des débats à venir, la question de l'ajustement des contrats opérationnels et des conséquences à en tirer pour le plan de livraison de nos avions de combat.

Dans cette situation, comment arrivons-nous à soutenir les équilibres organiques, compte tenu des tensions et des multiples sollicitations qui s'exercent sur l'aviation de chasse de l'armée de l'air, pour atteindre les normes d'activité par exemple ? A format constant, il est évident qu'il arrivera un moment où l'aviation de chasse ne pourra plus produire davantage d'heures de vol. Nous conduisons actuellement tous les efforts possibles pour optimiser cette production. Par exemple, cette année, il était prévu que nous réalisions pour l'aviation de chasse un peu plus de 46 000 heures de vol. En augmentant la productivité de notre système, nous allons atteindre 48 000 heures. Nous y sommes parvenus en commandant davantage de rechanges grâce à l'actualisation de la LPM, mais aussi grâce aux ressources exceptionnelles du soutien à l'export. Nous avons aussi conduit de nombreuses mesures en interne : plan d'actions pour le moteur M88 négocié avec Safran, achat de réacteurs et de radars supplémentaires, adaptation des plans de maintenance des Mirage 2000, doublement des cadences au SIAé, augmentation du nombre d'heures de vol fait par avion et par an... Sur le Rafale, nous sommes passés de 250 heures à 275 heures de vol effectuées par avion et par an. Ainsi nous sommes proches du volume d'heures de vol maximum que peut produire le format actuel. C'est dans cette enveloppe, en définitive plafonnée, qu'il nous faut absorber les différentes sollicitations. Ainsi, par exemple, plus le soutien à l'exportation sera gourmand, plus cela réduira l'entraînement pour nos équipages. Plus les opérations demanderont d'heures de vol, plus il sera compliqué de garantir la formation des jeunes pilotes et l'entraînement sur tout le spectre des savoir-faire de l'armée de l'air. L'enjeu est là.

Je parle des équipages, mais les équilibres reposent aussi sur nos mécaniciens dont dépend la capacité de régénération technique, et de façon plus générale, sur l'ensemble des capacités de régénération industrielle pour augmenter la productivité de l'outil. S'agissant des mécaniciens, j'ai une contrainte et cela rejoint la question que m'avez posée sur la tension en matière de recrutement. Globalement, je n'ai pas de problème de recrutement. Je rencontre en revanche un problème de fidélisation. La situation est différente par spécialité. Ainsi, j'ai plus de difficultés pour le recrutement des fusiliers commandos que pour celui des mécaniciens ou des pilotes. L'évaporation est très importante chez les fusiliers commandos et il faut donc que nous soutenions cette spécialité par des mesures attractives, mais aussi par la valorisation des compétences. À cet égard, nous travaillons par exemple avec l'Éducation Nationale et avec le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), pour permettre la reconnaissance des qualifications acquises. Pour une plus grande attractivité, il est également nécessaire de diversifier les missions. Dans le cas des fusiliers commandos, le contexte actuel rend la chose difficile. Tant que nous ne réussirons pas à augmenter significativement les effectifs, il nous sera difficile de faire évoluer cet état de fait.

M. Daniel Reiner. - Pour résumer le débat sur le format 2025, fixé par le Livre blanc 2013, les 225 avions de chasse Air et Marine suffisent-ils ou faut-il, dès maintenant, dans le cadre d'une réactualisation de la LPM, prévoir d'aller au-delà pour tenir les normes d'engagement dont on vient de parler ?

Général André Lanata. - Pour tenir les 225 avions de chasse en 2025, il est indispensable de disposer des 55 Mirage 2000D qui vont être rénovés, (et pas seulement 45), des 28 Rafale restant à livrer dans la quatrième tranche Rafale et ultérieurement - après 2025 - d'une cinquième tranche Rafale pour compenser le retrait de service des Mirage 2000D. Avec ces mesures nous arrivons tout juste à garantir le format prévu en LPM. Nous sommes donc à l'étiage minimum. C'est une chose certaine. Par la suite, pour tenir dans la durée les 20 avions de combat projetés que nous constatons aujourd'hui au lieu des 12 prévus dans la LPM et pour assurer le soutien à l'export du Rafale, mission que j'estime indispensable, je vais avoir besoin de davantage d'heures de vol afin de garantir les équilibres organiques, c'est-à-dire la formation des pilotes ; tout ceci pour les raisons que j'ai indiquées. Il faudra donc intégrer dans nos trajectoires capacitaires l'évolution des contrats opérationnels. Doit-il y avoir un ajustement des formats au regard des contraintes opérationnelles telles qu'elles se manifestent aujourd'hui, et depuis plus de deux ans ? C'est un débat qui interviendra sûrement dans les mois à venir. Pour l'instant, je vois deux questions distinctes. Pour tenir les objectifs de la LPM, je viens de vous répondre. Au-delà, il faudra probablement augmenter le nombre d'avions selon l'évolution des contrats opérationnels qui sera décidée.

S'agissant de l'A400M, je m'en remets aux engagements de l'industriel. J'attends la fin de l'année pour mesurer le respect des engagements - pris devant le ministre - d'une livraison de 6 appareils au premier standard tactique, qui comprend en particulier la question du parachutage. Nous attendons de l'industriel concerné qu'il fasse tous les efforts en son pouvoir, afin de nous permettre de faire face à nos très nombreux engagements opérationnels. Alors que l'an dernier, dans d'autres circonstances, ma principale préoccupation concernait les capacités tactiques de l'A400M, aujourd'hui la question des moteurs est la plus prégnante.

M. Jacques Gautier. - Les moteurs sont-ils garantis pour 80 heures ou un peu plus ?

Général André Lanata. - Une visite toutes les 80 heures représente un rythme insupportable pour les unités, voire impossible vu le nombre d'heures nécessaires pour les maintenances. L'industriel est pleinement conscient de cette situation. Le problème est donc devenu davantage celui de la disponibilité de la flotte. L'industriel signale qu'il a développé une solution intérimaire, qui va être mise en place d'ici au printemps 2017 et qui permettra, avant de disposer d'une solution définitive en cours de développement, de nous retrouver dans une situation gérable, ce qui n'est pas actuellement le cas.

Sur la question des C130-J, la France a décidé d'acheter quatre C130-J ; les raisons d'acquisition de C130-J neufs ont été exposées l'année dernière. L'Allemagne, faisant probablement le même parcours que nous, réfléchit à une acquisition similaire. Elle pense qu'au lieu d'acquérir la totalité de l'environnement nécessaire à l'exploitation de ses avions, il serait plus judicieux de les « co-localiser » avec les nôtres, de façon à profiter d'un environnement mutualisé pour exploiter ces avions. C'est l'intention initiale ; et il y a en effet, dans le contexte politique de l'Europe - celui de l'Europe de la défense -, une volonté politique d'avancer dans cette voie. Il reste deux questions, sur lesquelles nous travaillons avec les Allemands. D'une part, les conditions de cette mutualisation avec l'Allemagne : D'autre part, les conditions d'emploi : comment chaque nation peut-elle avoir recours à la capacité dans les conditions et au moment qu'elle souhaite ? C'est là une question de nature opérationnelle, et j'ai demandé un avis à l'état-major des armées sur cette question. C'est également une question politique et juridique.

Je note également que le domaine du transport aérien militaire est le domaine ou nous sommes allés le plus loin en matière de mutualisation avec le Commandement européen du transport aérien militaire (EATC), une mutualisation intelligente où nous partageons des droits de transport et de ravitaillement en vol tout en conservant le libre accès aux capacités pour des missions souveraines.

Le projet FOMEDEC est très important pour l'armée de l'air car il articule plusieurs dimensions du plan de transformation de l'armée de l'air et de la LPM, en lien avec la modernisation de la formation des pilotes de chasses. Premièrement, l'armée de l'air a besoin de moderniser la formation de ses pilotes de chasse. Aujourd'hui nous formons les futurs pilotes de Rafale, et nous ne pouvons pas utiliser pour y arriver le même outil que dans les années 80, période où l'Alpha-jet que nous utilisons encore est entré en service. Nous avons donc besoin de cette modernisation qui comprendra par exemple un système de simulation embarquée préfigurant le système d'armes qui équipe les avions modernes de type Rafale. Parallèlement, des économies seront réalisées sur le MCO aéronautique, pour atteindre les objectifs de la LPM de normes d'activités des équipages. Le coût d'exploitation de l'appareil susceptible d'être retenu dans le cadre de FOMEDEC est en effet très sensiblement inférieur à celui de l'Alpha Jet. Ce sont donc des économies substantielles sur l'entretien programmé des matériels qui pourront profiter à l'ensemble de nos activités, mais aussi des économies sur les coûts de personnel car, derrière le projet FOMEDEC, nous prévoyons la fermeture de l'activité Alphajet sur la base aérienne de Tours et l'augmentation de l'activité sur la base aérienne de Cognac.

En outre, avec le principe de la différenciation qui est inscrit dans la LPM, nous avons fait reposer une partie de l'activité des équipages de chasse sur FOMEDEC : 290 équipages sont prévus dans la LPM pour garantir la tenue de nos contrats opérationnels, 50 d'entre eux ont vocation à exercer une part de leur activité sur les appareils apportés par FOMEDEC. Il est donc très important pour l'équilibre organique de l'armée de l'air que ce programme entre en service le plus rapidement possible. Il garantira la rejointe du niveau d'activité permettant la pérennisation de nos savoir-faire opérationnels et le maintien d'un volume de pilotes entrainés suffisant pour assurer l'ensemble de nos missions opérationnelles. En effet, ces 50 équipages réaliseront 140 heures de vol par an sur ces nouveaux appareils, soit 7 000 heures de vol par an effectuées au travers du programme FOMEDEC, ce qui, rapporté aux 45 000 heures par an prévues au total pour l'activité chasse, est considérable.

L'entrée en service du programme a été retardée. Initialement, un partenariat public-privé était envisagé, mais le Ministère a abandonné cette idée qui n'apportait pas de gains financiers significatifs. Le Ministre a décidé de retenir l'option d'un leasing court, une forme nouvelle de contractualisation fondée sur un dialogue compétitif qui a donc pris un peu de temps à se mettre en place. Les résultats du dialogue compétitif sont entre les mains de la DGA. Dès lors que le prestataire retenu satisfera les exigences du cahier des charges, je serai satisfait. La question du calendrier est pour moi centrale.

En ce qui concerne les hélicoptères, le regroupement des flottes de Caracal est bien prévu dans l'actualisation de la loi de programmation militaire. La question est celle du calendrier et la discussion est en cours sur ce sujet, en particulier avec l'armée de terre et l'état-major des armées.

Nous sommes préoccupés par le problème du déni d'accès, et je le suis d'autant plus en tant qu'aviateur. Aucune opération aérienne, ni même aucune opération militaire quelle qu'elle soit, n'est possible sans la maîtrise de la troisième dimension. Certaines puissances développent des stratégies de contestation dans les espaces aériens en réponse probablement à la supériorité aérienne occidentale. Il est indispensable de poursuivre nos efforts pour conserver cette supériorité aérienne. Cette tendance concerne par exemple des systèmes sol-air performants qui sont par ailleurs cédés à des puissances régionales, compliquant la situation sur certains théâtres. Ce sont également des chasseurs de dernière génération qui concernent cette fois le domaine air-air. Le domaine cyber constitue également un point d'attention. Dans le domaine aérien, il est indispensable de pouvoir percer les défenses adverses pour « entrer » sur le théâtre d'opérations. Pour y parvenir, il faut commencer par savoir comment cette menace va évoluer à l'horizon 2030 - cette préoccupation concerne également la force nucléaire aéroportée - puis développer les technologies nous permettant de maintenir notre supériorité. Il faut travailler par exemple sur la discrétion, mais aussi sur les armements destinés à neutraliser les défenses. C'est le grand enjeu de la prochaine décennie car l'avenir de l'aviation de chasse et celui de la composante aéroportée de la dissuasion en dépendent.

La réponse ne pourra pas venir seulement des avions de combat : c'est tout le système de combat aérien qu'il est nécessaire de penser dans son ensemble. La réflexion doit articuler les drones, les systèmes de commandement, les échanges de données, la discrétion, les armements, en d'autres termes l'ensemble du système de combat aérien et non le seul vecteur ou une superposition de vecteurs. C'est cette réflexion qui permettra d'ailleurs probablement de desserrer la contrainte sur les vecteurs eux-mêmes. Il s'agit aussi de travailler sur les liens entre plusieurs plates-formes pour neutraliser les défenses ennemies.

Un des principaux facteurs de coût dans les systèmes de combat modernes, résulte de l'intégration d'un très grand nombre de fonctions. Je pense donc nécessaire d'étudier les façons de desserrer cette contrainte technologique et financière en réfléchissant par exemple à la coopération entre les plates-formes au sein du système de combat.

Ce qui m'amène à la question des drones, et notamment des drones endurants. Il faut évidemment avancer dans ce domaine avec le projet du MALE européen. Cette affaire est stratégique dès lors qu'on raisonne en termes de connectivité entre les différentes plates-formes qui disposent d'un certain niveau de permanence. Cela dépasse la question des drones endurants, même si je suis sensible à la possibilité de disposer de moyens stratosphériques disposant d'une permanence encore accrue. J'estime que cette question va au-delà de la question de la surveillance : en raison de leur permanence dans le système de combat aérien au-dessus des théâtres d'opérations, en raison aussi de leur capacité naturelle de transmission de l'information puisqu'il s'agit de moyens de surveillance, ces plates-formes sont susceptibles d'organiser les réseaux et les flux d'information. C'est pourquoi j'estime nécessaire de disposer de solutions nationales ou européennes, notre capacité ne pouvant pas reposer uniquement sur un achat sur étagère aux États-Unis. Nous rencontrerons peut-être des difficultés de partage industriel, mais s'il y a une volonté, un chemin sera trouvé.

M. Jacques Gautier. - Ceci rejoint la réflexion sur les AWACS : faut-il les remplacer par d'autres avions ou ne va-t-on pas entrer dans un système de réseau ?

Général André Lanata.- Cela fait effectivement partie de la réflexion, même si leur renouvellement ne doit pas avoir lieu avant 2030. Il y a aussi la question du « segment » que nous aurons au sol pour soulager les plates-formes aériennes, ce qui sera source d'économies.

Il y a un gros chantier devant nous, mais avec des pistes passionnantes à explorer : la connectivité, des réflexions sur les architectures autour des pions permanents de l'espace aérien. C'est dans ce cadre d'un système de combat organisé autour de la connectivité entre les différents éléments du système de combat aérien qu'il faut se préoccuper de la robustesse de notre segment spatial.

J'en viens à la question de l'export. Je dirai en substance qu'il n'y a pas d'autre solution que de réussir le soutien à l'exportation. C'est important pour nous - il en va de notre crédibilité - c'est important pour notre industrie de défense, comme c'est important pour les clients, je dirai même les partenaires. Et je souhaite qu'il y ait encore d'autres succès à l'export ! Nous ne demandons qu'à l'accompagner ; nous en tirons un réel bénéfice, tant politique qu'opérationnel. Il s'agit donc de considérer la charge significative liée au soutien à l'export comme une nouvelle forme de mission à intégrer dans nos contrats opérationnels.

En ce qui concerne les capacités de commandement et de contrôle, nous rencontrons actuellement des difficultés avec le programme ACCS qui est en retard par rapport à ce qui était prévu, ce qui gêne considérablement la transformation de l'armée de l'air dans ce domaine. Il faut noter l'importance de ce programme réalisé en commun dans l'OTAN. Il permet l'interopérabilité entre les pays alliés au sein de l'OTAN en ce qui concerne le traitement des informations de défense aérienne. C'est donc capital. Je note qu'il s'agit là aussi d'un bel exemple de coopération et de mutualisation pour assurer la défense de l'Europe. Ce programme permet également le commandement et le contrôle, c'est-à-dire la planification et la conduite des opérations aériennes. Chaque nation reste libre et responsable des actions à conduire sur son propre territoire pour compléter ce système de commandement avec des effecteurs (avions de chasse, systèmes sol-air) et des capteurs (moyens de détection radar par exemple). A cet égard je souligne l'importance pour la France de renforcer nos capacités de détection. Il nous faut les moderniser, en effet ; c'est ce que nous faisons, notamment, avec les radars de nouvelle génération prévus dans le programme SCCOA. Notre effort en la matière doit également porter sur la détection des mini-drones, et la basse altitude face aux menaces atypiques.

Sur le sujet du personnel, je le répète : la ressource humaine est la première préoccupation de l'armée de l'air. Les spécialités actuellement sous tension, voire déficitaires, sont celles des fusiliers commandos de l'air, pour la protection de nos emprises ; des mécaniciens aéronautiques, qui sont aujourd'hui particulièrement sollicités, pour la maintenance de nos avions. Cette spécialité est courtisée par le secteur industriel civil dans lequel elle est également déficitaire pour des raisons symétriques à celles de l'armée de l'air ; Sont également sous tension les spécialités touchant au domaine du renseignement - officiers de renseignement, interprétateurs photos ; enfin, des spécialistes des systèmes d'information et de communication, ainsi que les contrôleurs aériens. Mais, comme je l'ai indiqué, notre problème est moins celui du recrutement que celui de la fidélisation du personnel. Nous nous employons à la favoriser, au moyen des outils à notre disposition : primes spécifiques, trajectoires de carrières, valorisation des parcours, etc.

La question de notre capacité de mobilisation rejoint celle du moral. Le moral est bon dans l'armée de l'air. Il est toutefois contrasté. Il est très bon en opérations : le personnel évoluant dans un environnement opérationnel très exigeant mais également très motivant, d'autant que nous produisons l'effort pour que les unités combattantes disposent en opérations des moyens de réaliser leurs missions. Sur les bases aériennes, où se cumulent les contraintes du soutien de l'avant, la tension sur les ressources notamment humaines, et les réorganisations en cours qui sont une source d'interrogations de la part du personnel, le moral est en baisse. Mais, globalement, ce moral est bon, et je le redis : les aviateurs sont enthousiastes dans l'exercice de leur mission et ils croient en celle-ci.

En réponse à la question concernant la Lituanie : notre détachement dans ce pays est une opération extérieure. Ce détachement est composé de 105 militaires de l'armée de l'air et de quatre Mirage 2000-5, pour un surcoût d'environ 10 millions d'euros. Ce surcoût, résultant d'une exploitation hors de nos bases aériennes, devra être compensé au titre des OPEX selon les principes habituels. Cela dit, depuis le 31 août 2016, le détachement a déjà effectué 16 décollages sur alerte, alors que le détachement précédent n'en avait effectué que 4 au total. Ce constat, somme toute assez exceptionnel, reflète bien la tension croissante face à la Russie.

S'agissant des munitions, je laisserai le soin de répondre au Général Jean Rondel, sous-chef activité de l'état-major de l'armée de l'air, ici présent à mes côtés.

Général Jean Rondel, sous-chef activité de l'état-major de l'armée de l'air. - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, sur ce sujet des munitions il convient de distinguer deux problématiques : celle du corps de bombe et celle du kit de guidage.

Les mesures sur les corps de bombes ont été prises dès début 2015, en faisant appel à un certain nombre d'alliés occidentaux pour pouvoir puiser dans leurs stocks, notamment les Canadiens qui avaient des stocks sur le théâtre concerné, et des Européens qui nous ont évité de descendre à des niveaux trop bas de stocks. Puis nous avons effectué des achats à l'étranger, aux États-Unis, puisque nous n'avons plus de capacités de production en France. Nous avons ainsi corrigé un niveau de stocks qui nous paraissait trop bas.

En ce qui concerne les kits de guidage, des mesures ont été prises également dès début 2015, en diversifiant les sources d'approvisionnement. Nous avons des kits de guidages laser achetés sur étagère aux États-Unis et des kits de guidage de l'armement air-sol modulaire, dans ses différentes versions, que nous avons commandés à l'industriel Sagem. Aujourd'hui, les kits de guidage américains sont livrés, certains directement sur théâtres d'opérations afin de ne pas atteindre des seuils critiques de réserves. Mais ces kits de guidages sont principalement adaptés au Mirage 2000. Il nous faut maintenant faire le même effort sur les kits de guidage air-sol modulaire pour le Rafale. L'enjeu est clairement chez l'industriel qui s'est vu notifier des commandes dès l'été 2015, une autre commande devrait être notifiée par la direction générale de l'armement d'ici la fin de l'année. L'enjeu est clairement celui de la montée en cadence et de l'augmentation de la capacité de production de l'industriel afin que Sagem puisse nous fournir les kits d'armement. Nous serons vigilants sur ce sujet, sachant que nos stocks nous permettent encore de réagir mais que nous ne souhaitons pas qu'ils atteignent des seuils critiques.

Nous veillons également à la remontée des stocks « objectif global » qui sont les stocks qui doivent être détenus pour tenir les contrats opérationnels qui sont les nôtres. Ces stocks avaient été calculés un peu bas dans les derniers arbitrages de la LPM, ils ont été réévalués dans le cadre des contrats opérationnels et de la surintensité des engagements que nous connaissons. Un effort budgétaire est fourni pour alimenter ces stocks et pour être cohérent avec nos contrats opérationnels.

Général André Lanata.- La question du niveau de nos stocks de munitions a été examinée dans le cadre du conseil de défense d'avril dernier et a bénéficié d'un arbitrage favorable. Il y a deux questions distinctes comme cela vient de vous être expliqué : le recomplètement des munitions que nous consommons en opérations et le rehaussement du niveau de ces stocks afin de pouvoir mieux gérer les aléas de leur recomplètement, compte tenu des consommations très importantes que nous constatons. Ces dispositions ont été traduites dans le budget 2017. Il faudra s'assurer qu'elles le soient les années suivantes dans la mesure où elles ne sont pas traduites dans une loi de programmation. Une autre question de fond qui se pose dans ce domaine, est la capacité de notre industrie à remonter en puissance. Pour soutenir un effort de guerre, il faut une industrie de guerre.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mon Général, merci pour l'ensemble de ces éléments très complets, qui nous font prendre conscience de toutes les contraintes qui pèsent sur l'armée de l'air, mais aussi de la situation de compétition militaire et technologique en train de se mettre en place... Une dernière question, d'actualité : avez-vous des contacts avec votre homologue russe ?

Général André Lanata. - Non, pas à mon niveau. Les contacts avec la Russie se font au niveau politique et diplomatique, et sur le plan opérationnel, à travers les structures de la coalition qui intervient au Levant.

La première réunion est levée à 12 h 10

Loi de finances pour 2017 - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

La seconde réunion est ouverte à 16 h 30

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - En ouverture de notre réunion, nous souhaitions exprimer notre sympathie aux soldats des forces spéciales françaises grièvement blessés par un drone piégé à Erbil, dans le Kurdistan irakien. Ils savent qu'ils peuvent compter sur notre soutien.

Monsieur le ministre, nous nous retrouvons pour une audition budgétaire sur les crédits de la défense. Nous souhaiterions que vous nous présentiez le budget de votre ministère pour l'année 2017 et que vous nous éclairiez sur l'exécution de ce budget pour 2016.

Je vous laisse la parole avant de la donner à nos rapporteurs pour les premières questions, lesquelles porteront probablement tout autant sur l'emploi des crédits de la défense que sur l'actualité internationale.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai toujours plaisir à venir devant vous. Nous nous sommes vus à la fin du mois de juillet dernier, au cours d'une réunion commune de votre commission et de la commission de la défense de l'Assemblée nationale, pour discuter des événements qui avaient marqué cette période.

La présente audition est essentiellement consacrée à la présentation du projet de loi de finances pour 2017.

Avant d'aborder les perspectives budgétaires elles-mêmes, je ferai un rappel rapide du contexte international dans lequel s'inscrit ce budget.

Le contre-terrorisme est un engagement majeur de nos armées. Il se manifeste de deux manières. En premier lieu, nous sommes confrontés à un terrorisme militarisé, qu'il soit l'oeuvre de Daech - il s'agit de sa forme la plus spectaculaire - ou de Al-Qaïda. En second lieu, ce contre-terrorisme est marqué par un lien fort entre les actions menées hors de nos frontières et celles qui sont planifiées sur notre sol.

Cet engagement constitue une grande nouveauté par son ampleur. Actuellement, nos forces armées s'emploient d'ailleurs à détruire les sites de ces groupes terroristes. Nous aurons l'occasion de reparler de ce sujet la semaine prochaine lors du débat sénatorial consacré aux opérations extérieures, les OPEX.

Vous savez sans doute d'ores et déjà que, dans le cadre de ces opérations, le groupe aéronaval est sur zone, que nous allons renforcer notre soutien aux forces irakiennes et aux peshmergas et que nous préparons la bataille de Mossoul. Des actions de contre-terrorisme se déroulent également en Libye où nous soutenons le gouvernement d'entente nationale de M. el-Sarraj, même si la situation y demeure complexe. Il est important que nous intervenions dans cette partie de l'Afrique avec l'appui de nos services de renseignement et de notre diplomatie, afin d'aboutir à une situation pérenne.

Vous savez également que l'opération Barkhane se poursuit pour empêcher la résurgence d'un sanctuaire territorial relevant d'Al-Qaïda. Nous agissons de manière énergique pour faire respecter les accords d'Alger, même si nous attendons et appelons aujourd'hui de nouveaux développements dans leur application.

En outre, je rappelle que nous soutenons les forces tchadiennes, nigériennes, camerounaises et nigérianes dans le cadre de la lutte qu'elles mènent au nom de la force multinationale mixte contre le groupe Boko Haram, groupe qui s'est scindé depuis cet été en deux ensembles distincts, d'un côté, le groupe historique, de l'autre, un groupe plus proche de Daech et mené par al-Barnaoui.

Pour en finir avec ce propos introductif, je souhaite enfin vous rassurer sur le fait que j'ai pris la décision, à la demande du Président de la République, d'arrêter l'opération Sangaris en Centrafrique, étant précisé que nous maintiendrons dans ce pays un minimum de capacités pour pouvoir réagir si d'aventure cela était nécessaire. Le contre-terrorisme nous mobilise donc fortement.

Au total, plus de 30 000 militaires sont déployés aujourd'hui, tant sur notre sol qu'à l'étranger. 16 000 d'entre eux sont engagés en métropole dans le cadre de l'opération Sentinelle ou dans les forces de présence outre-mer et 14 000 hommes le sont à l'étranger, dont près de 10 000 sont en OPEX et 4 000 sont pré-positionnés en Afrique et aux Émirats arabes unis. Le niveau de sollicitation actuel est très élevé, c'est une tendance durable et cela constitue l'un des enjeux principaux du projet de budget que je vais présenter.

Parallèlement à cela, et de manière concomitante, nous ne pouvons pas uniquement nous concentrer sur la menace terroriste. Nous observons une démonstration de force des Russes depuis deux ans, que ce soit en Crimée et à l'Est de l'Ukraine, en Syrie ou dans notre environnement plus immédiat. Les Chinois affichent leurs ambitions territoriales en mer de Chine méridionale. Nous constatons donc le retour des stratégies de puissance militaire, ce qui oblige notre défense à une grande vigilance. Face à ces risques, nous devons maintenir notre dissuasion nucléaire à deux composantes, conserver l'intégralité de nos capacités à mener des opérations conventionnelles de haute intensité et, en même temps, assurer la surveillance de nos approches maritimes, ainsi que la sécurité de nos frontières et de notre espace aérien. Tout cela nécessite l'entretien de nos capacités, implique des ressources financières humaines, technologiques et opérationnelles, et ce d'autant plus que la France doit tenir son rang de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

Dans ce panorama général, j'ajouterai que des initiatives pourraient être prises au cours du Conseil européen du mois de décembre prochain pour faire suite aux engagements communs affichés par le Président de la République et la chancelière fédérale allemande.

Nous avons aujourd'hui approuvé une stratégie globale pour L'Union Européenne, sous l'impulsion de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Mogherini, mais nous avons aussi pris des initiatives, Mme von der Leyen, ministre allemande de la défense, et moi-même, pour renforcer la politique de sécurité et de défense de l'Union européenne, à la fois au bénéfice des États membres et de l'OTAN. Il y a dix jours, à Bratislava, nous avons formulé plusieurs propositions en vue du conseil des ministres de la défense du 15 novembre, lesquelles propositions sont aujourd'hui soutenues non seulement par la France et l'Allemagne, mais aussi par l'Espagne et l'Italie.

Je rappelle enfin que notre action s'appuie sur une relance substantielle de la relation bilatérale avec l'Allemagne, qui se manifeste notamment par un intérêt marqué de nos voisins pour la situation militaire et sécuritaire au Sahel, et avec le Royaume-Uni, autre acteur majeur de la sécurité de l'Europe, et ce quel que soit le statut de ce pays par rapport à l'Union européenne. Depuis le Brexit, j'ai déjà eu l'occasion de rencontrer mon homologue britannique à trois reprises, ce qui nous a permis d'affirmer notre détermination à poursuivre une relation stratégique et militaire commune.

Sur le plan strictement budgétaire, j'observe avec intérêt que la nécessaire augmentation des crédits de la défense fait l'objet d'un assez large consensus dans notre pays. Je me réjouis d'entendre de nombreuses personnalités issues de familles politiques diverses demander que l'on porte le budget de la défense à 2 % du PIB à plus ou moins long terme, et ce d'autant plus que cet objectif figure à l'article 6 de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019, la LPM, et qu'il correspond aux engagements internationaux de la France envers ses alliés, engagements pris dès le sommet de l'OTAN à Newport en 2014 et réaffirmés au sommet de Varsovie en juillet dernier.

Dans le cadre du prochain projet de loi de finances pour 2017, le budget de la défense atteindra 1,77 % du PIB, lorsqu'on intègre les dépenses liées aux pensions.

S'agissant du budget à proprement parler, je présenterai tout d'abord les différentes évolutions que notre programmation militaire a connues depuis 2015.

Après les attentats de janvier 2015, une loi actualisant la programmation militaire a été adoptée le 28 juillet 2015. Elle a tiré les conséquences des premiers engagements pris par notre pays avec le déploiement de l'opération Sentinelle et nos engagements extérieurs, sous la forme d'une montée en puissance de la Force opérationnelle terrestre, la FOT, du renforcement de nos capacités aéromobiles et de l'accroissement de nos capacités de renseignement et de cyberdéfense.

Après les attaques du 13 novembre 2015 à Paris, le Président de la République a conforté cette orientation en annonçant devant le Parlement réuni en Congrès l'arrêt de la déflation des effectifs du ministère de la défense jusqu'en 2019 et le redéploiement de nos effectifs pour satisfaire les différentes priorités retenues, à savoir le renforcement des unités opérationnelles et leur soutien, l'accroissement les moyens de cyberdéfense et de renseignement et l'intensification des frappes dans le cadre des opérations de contre-terrorisme, en particulier au Levant.

Lors du Conseil de défense du 6 avril 2016, le Président de la République a décidé en conséquence d'augmenter les moyens de la défense qui avaient été programmés dans le cadre de la loi du 28 juillet 2015. C'est dans ce cadre que s'inscrit le projet de budget 2017.

En raison du déroulé des différentes étapes que je viens de rappeler, j'ai décidé de vous remettre prochainement au nom du Gouvernement un rapport décrivant les conséquences physiques et financières de ces engagements pour les années 2017 à 2019, donc sur les annuités restant de la LPM.

Le budget 2017 est en hausse de 600 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2016. La LPM initiale de 2013 prévoyait un budget de 31,6 milliards d'euros pour 2017. Le budget que je vous présente aujourd'hui s'élève lui à 32,7 milliards d'euros, hors pensions, soit 1,1 milliard d'euros de plus. Il s'agit d'un saut quantitatif et qualitatif important, qui montre bien le chemin parcouru.

Le besoin financier des armées et des services de la défense en 2017 avait été évalué à 775 millions euros au-delà de la prévision inscrite dans la LPM actualisée. Nous le couvrons pour 417 millions euros par des crédits budgétaires nouveaux. Le solde à financer, soit 358 millions d'euros, est couvert par le redéploiement de marges de manoeuvre internes : 205 millions d'euros d'économies nouvelles sur le coût des facteurs, 50 millions d'euros issus de la trésorerie du compte de commerce « Approvisionnement des armées en produits pétroliers », qui s'est fortement accrue en raison de l'évolution favorable du prix des carburants, et un peu plus de 100 millions d'euros provenant de l'actualisation des échéanciers financiers des programmes d'armement pris en compte lors de l'actualisation de la LPM, il y a plus d'un an.

Pour autant, l'équation repose sur une hypothèse majeure, à savoir la bonne exécution de la gestion budgétaire de la fin de l'année 2016, ce qui signifie la mise à disposition du ministère de ressources actuellement immobilisées, soit 2,7 milliards d'euros au titre de la réserve de précaution et des différents gels appliqués par le ministère des finances en gestion. Cela implique aussi la couverture par des crédits interministériels du montant des surcoûts liés aux OPEX et aux OPINT, les opérations intérieures. C'est un sujet que nous abordons toujours à ce moment de l'année mais qui relève de discussions interministérielles qui démarreront prochainement.

Dans ce budget, la masse salariale représente 11,4 milliards d'euros, crédits qui permettront notamment de financer l'annulation des suppressions d'emplois et la création nette de 464 emplois, dont 64 pour le service industriel de l'aéronautique dès 2017, ainsi qu'un effort en faveur de la condition du personnel.

Les crédits d'équipement s'élèvent à 17,3 milliards d'euros. Ils permettent de tenir nos engagements en matière de modernisation du matériel.

Quant aux crédits de fonctionnement, ils atteignent 3,5 milliards d'euros et sont destinés à soutenir les personnels engagés sur le territoire national et dans les OPEX.

Après le rappel de ces enjeux généraux, je dirai quelques mots sur les effectifs : 10 000 postes seront sauvegardés sur la période 2017-2019, qui s'ajoutent aux 18 750 emplois déjà préservés lors de l'actualisation de la LPM en juillet 2015, soit un total de 28 750 postes supplémentaires par rapport aux prévisions initiales de la LPM. Ce chiffre est à mettre en regard des 33 675 suppressions de postes initialement prévues au cours de la période de programmation.

Suite aux décisions du chef de l'Etat, en 2017, la défense disposera ainsi de 3 000 postes de plus que ce qui était prévu dans la LPM actualisée, et de 7 800 postes de plus que dans la LPM initiale de 2013. Cela signifie qu'il n'y aura pas de dissolution significative au cours de l'année 2017 même si des transformations  se poursuivront : c'est indispensable pour l'adaptation de nos forces armées et des services du ministère à leurs nouvelles missions. Aussi, un seul chiffre figure dans le PLF 2017, celui des 400 postes supplémentaires (hors SIAé) dont bénéficiera le ministère de la défense en 2017 par rapport à 2016. Ce chiffre correspond au solde entre créations et suppressions de postes et traduit la transformation de ce ministère.

S'agissant plus particulièrement de la FOT, les effectifs de cette force vont passer de 66 000 à 77 000 postes d'ici 2017. La FOT pourra ainsi poursuivre la mise en oeuvre de son modèle « Au contact », lever un certain nombre de contraintes liées à l'opération Sentinelle et garantir une présence homogène à la fois pour les OPEX et les OPINT. Cette augmentation sensible des effectifs se traduit pour l'essentiel par la densification des unités existantes avec la création d'escadrons supplémentaires ou de compagnies supplémentaires dans les régiments, ce qui est un facteur très positif pour le moral des unités. Nous allons également créer de nouveaux régiments, comme le cinquième régiment de dragons (5eRD) à Mailly-le-Camp et le cinquième régiment de cuirassiers (5eRC) aux Émirats arabes unis.

Comme vous le savez, la treizième demi-brigade de la Légion étrangère (13eDBLE) va, quant à elle, entamer sa montée en puissance dans le camp du Larzac, où je me rendrai la semaine prochaine. Ce « mariage » entre légionnaires et population du Larzac semble bien fonctionner...

Nous poursuivons la mise en oeuvre du plan stratégique de la marine « Horizon Marine 2025 » en densifiant la présence des forces opérationnelles, les fonctions de renseignement, de protection et de cybersécurité.

Nous poursuivons également la mise en oeuvre du plan de transformation de l'armée de l'air « Unis pour faire face » en renforçant sa capacité à durer en cours d'OPEX, et en consolidant la protection de ses sites.

J'ajoute que nous réalisons un effort important en matière de renseignement et de cyberdéfense : dans le seul cadre du PLF 2017, près de 600 créations d'emploi sont prévues. Ces effectifs auront été significativement renforcés entre 2014 et 2019, avec plus de 3 200 créations d'emploi.

L'action sociale du ministère en direction de la jeunesse, en particulier par le biais du service militaire volontaire (SMV), est une réussite. Aujourd'hui, nous disposons de trois sites et la création d'un quatrième est prévue début 2017. Les militaires affectés à ces tâches sont extrêmement mobilisés. Nous avons déjà formé 300 jeunes, alors que 700 autres sont en cours de recrutement.

S'agissant de la condition du personnel, un plan d'amélioration de la condition du personnel (PACP) a été validé lors du Conseil de défense du 6 avril dernier. Il s'articule autour de trois grands axes, inscrits dans le PLF 2017.

Le premier axe correspond à la prise en compte de la suractivité induite par le contexte opérationnel, avec la création notamment d'une indemnité d'absence cumulée, (IAC), qui vise à indemniser la sur-absence de nos militaires lorsqu'elle dépasse 150 jours par an. Cette nouvelle prime sera payée dès 2017 sur le fondement de l'activité constatée en 2016. Le PLF 2017 intègre aussi une extension, au personnel protégeant l'ensemble des sites du ministère, de l'indemnité de sujétion spéciale d'alerte opérationnelle (AOPER), dont le montant a en outre été doublé cet été.

Le deuxième axe est l'équité interministérielle avec la transposition aux militaires du protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR). Il a fallu batailler pour obtenir cette transposition, comme pour celle de la réforme de la grille indiciaire des fonctionnaires de catégorie C aux militaires du rang ou pour la transposition de la grille des capitaines de gendarmerie aux capitaines des armées.

Troisième et dernier axe : l'amélioration des conditions de travail et l'aide aux familles, avec des mesures améliorant leur cadre de vie, comme la création de crèches.

De son côté, le personnel civil bénéficiera de la poursuite de la mise en oeuvre du protocole PPCR et de l'extension du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) à l'ensemble des fonctionnaires.

En incluant la revalorisation du point fonction publique, l'ensemble de ces mesures prises au titre de l'effort supplémentaire en direction du personnel représentera environ 350 millions d'euros dans le PLF 2017.

Le présent budget prévoit un effort particulier pour financer les dépenses de préparation opérationnelle, pour assurer la formation et l'entraînement des personnels supplémentaires. En effet, il ne suffit pas de recruter, il faut aussi préparer nos soldats. L'objectif est, après le choc des attentats et de leurs conséquences sur nos déploiements, de retrouver des rythmes de préparation qui correspondent aux prévisions initiales. C'est particulièrement le cas pour l'armée de terre. C'est vrai aussi pour la marine qui aura 96 jours de mer par bâtiment au lieu de 91 jours en 2015. C'est vrai enfin pour l'armée de l'air, puisque les pilotes de chasse auront 164 heures de vol en 2017 contre 154 heures en 2015Le montant des crédits d'EPM, les crédits destinés à l'entretien programmé des matériels, restent stables dans le PLF 2017 par rapport à la LFI 2016, pour laquelle un abondement de 200 millions d'euros avait été voté. Depuis mon arrivée, j'ai d'ailleurs veillé à ce que les crédits d'EPM soient réévalués puis stabilisés. Ils s'élèvent désormais à 3,4 milliards d'euros.

L'effort budgétaire concernant les infrastructures représentera 1,174 milliard d'euros. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine : plans d'urgence, hébergement de la force Sentinelle, montée en puissance des programmes d'armement avec la nécessité de réaliser les infrastructures nécessaires à l'accueil des nouvelles capacités, comme l'Airbus A400M, les frégates multi-missions( FREMM), le programme Scorpion ou le programme Barracuda.

J'en viens maintenant aux capacités pour dire quelques mots sur le contexte industriel et les succès français à l'export.

En 2015, nous avons battu un record, puisque nous avons réalisé 17 milliards d'euros de prises de commandes, soit le triple du montant des commandes réalisées en 2012, qui s'élevaient à 4,8 milliards d'euros. En 2016, nous atteindrons un niveau proche de celui de 2015 grâce à la vente de 36 avions Rafale à l'Inde, pour un montant estimé à 8 milliards d'euros, et à la conclusion d'un contrat très important avec l'Australie pour la vente de sous-marins, pour un montant qui pourrait approcher les 35 milliards d'euros, même si une partie de l'armement ne sera pas fournie par la France. D'ailleurs, les discussions avec l'Australie se déroulent bien : un premier accord a été signé avec DCNS il y a quelques jours pour l'engagement de travaux d'études en vue de la construction de ces sous-marins.

En matière de dissuasion, les crédits du budget 2017 s'élèveront à 3,866 milliards d'euros, soit près de 9 % du budget global. Les travaux de modernisation du missile M51 se poursuivent, ainsi que les travaux de conception du futur sous-marin nucléaire lanceur d'engins de troisième génération. Concernant la composante aéroportée, le programme de rénovation du missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A), et le programme de conception du futur missile ASN4G mobilisent nos équipes. Enfin, pour être complet, je veux souligner la montée en puissance continue de l'outil de simulation du Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, avec notamment la mise en service progressive des chaînes laser mégajoule (LMJ).

Je tiens également à rappeler que la mise en service opérationnelle du missile M51.2 est en cours sur le SNLE Le Triomphant.

S'agissant des autres équipements, le budget 2017 confirme les engagements antérieurs, avec 17,3 milliards euros d'investissement. Ce chiffre est significatif, dans la mesure où nous avons le même niveau d'investissement en équipements pour nos forces que de commandes destinées à l'export. Cela montre la complémentarité de nos investissements et leur caractère incitatif pour notre industrie de défense. Ce chiffre est en augmentation permanente depuis plusieurs années, puisqu'il représentait 16,4 milliards d'euros en 2014, 16,7 milliards en 2015 et 17 milliards d'euros en 2016.

Les premières commandes du programme Scorpion de l'armée de terre seront comptabilisées dans le budget 2017. Je rappelle que ce programme a été lancé en octobre 2014 avec la notification des marchés « Jaguar » et « Griffon ». Nous pourrons donc commander les 319 premiers exemplaires du Griffon, ainsi que les 20 premiers exemplaires du Jaguar dès 2017. Nous lancerons également dès cette année la rénovation de 45 Mirage 2000 D, sur les 55 nécessaires, indispensables pour maintenir les capacités de l'armée de l'air, et commanderons un sous-marin d'attaque de classe Barracuda. Enfin, je rappelle mon engagement à maintenir les crédits alloués aux programmes d'études amont, qui s'élèvent à environ 730 millions d'euros.

J'ajouterai un dernier mot sur la politique des réserves, sujet tout à fait d'actualité. Le conseil des ministres a validé ce matin le concept de Garde nationale. Concernant la partie « défense » de cette politique, nous visons un objectif de 40 000 réservistes à la fin de l'année 2018. Il y en avait 28 000 à mon arrivée au ministère, il y en a 31 000 aujourd'hui. Un effort singulier, y compris budgétaire, a donc été engagé depuis l'an dernier.

Cet effectif cible de 40 000 réservistes en 2018 nous permettra d'employer quotidiennement 4 000 réservistes sur le territoire ou en OPEX, contre 2 300 aujourd'hui. Ce mouvement va s'accentuer grâce à l'impulsion donnée par le projet de Garde nationale à chacun de ses deux piliers : la réserve opérationnelle des armées, tout d'abord, la réserve opérationnelle de la gendarmerie et de la police nationales, ensuite. Instance permanente de cette Garde, le secrétariat général aura pour mission d'assurer la cohérence des actions en matière de recrutement et d'attractivité, de développer les partenariats avec les entreprises, et d'engager des actions de communication, en particulier à destination des jeunes. Des mesures d'incitation à rejoindre la Garde nationale ont d'ailleurs été adoptées au cours du conseil des ministres : l'Etat participera en particulier au financement du permis de conduire à hauteur de 1 000 € pour tout jeune qui s'engage avant l'âge de 25 ans dans la réserve et s'investit ainsi dans la Garde nationale. D'autres formes d'incitation seront mises en oeuvre pour les étudiants ou les entreprises. Ces dernières bénéficieront ainsi des mêmes exonérations fiscales que celles dont elles disposent aujourd'hui lorsqu'elles maintiennent le montant des rémunérations de salariés qui effectuent des périodes d'activité comme sapeurs-pompiers volontaires. Ces mesures résultent de préconisations présentées par des parlementaires, dont certains d'entre vous.

Pour conclure, je dirai que la Garde nationale et la mise en oeuvre de la nouvelle politique en matière de réserve opérationnelle forment un ensemble important pour notre sécurité et amplifient l'effort d'adaptation que nous menons au sein des armées. Le projet de budget 2017 correspond aujourd'hui aux besoins de nos forces armées pour accomplir leurs missions, qui sont de plus en plus nombreuses et se diversifient.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci, monsieur le ministre. Vous nous direz peut-être un mot tout à l'heure sur l'état de nos relations avec la Pologne et sur l'annulation par le gouvernement polonais du contrat des Caracal. Nous souhaiterions également connaître votre appréciation sur la Russie, au-delà même des événements d'Alep.

Je vais désormais laisser la parole à nos différents rapporteurs.

M. Jacques Gautier. - Monsieur le ministre, je vous remercie de cette présentation très complète que vous avez essayé de rendre la plus attractive possible, même si l'exercice est difficile.

Je veux saluer votre engagement personnel, notamment pour favoriser l'exportation de nos équipements. Plusieurs d'entre nous vous ont accompagné à New Delhi pour la signature de la vente des Rafale. Nous sommes à vos côtés dans cette démarche de l'équipe France, vous le savez.

Je souhaite également saluer les 600 millions euros de crédits supplémentaires dont vous venez de parler, même si je constate, comme vous l'avez rappelé, que ce montant servira à compenser la moindre déflation ou la fin de la déflation des personnels. Si nous nous félicitons de cette stabilisation des effectifs, elle aura un impact budgétaire dans la durée.

Je salue en outre un certain nombre d'annonces en faveur des armées. Cela étant, les avantages qui sont accordés ont un coût qui s'élève à environ 300 millions d'euros.

Concernant les équipements, je formulerai une seule remarque : je regrette que la rénovation des Mirage 2000 D soit intervenue tardivement et a minima, puisqu'elle ne concerne que 45 appareils. En effet, si nous voulons atteindre le parc des 185 avions de combat prévus dans la LPM, ce ne sont pas 45 mais 55 avions qu'il faudra rénover. Je rappelle également qu'en rénovant ces Mirage nous nous engageons à entretenir pour une dizaine d'années deux parcs différents, alors qu'il était prévu de passer à une seule flotte d'avions de combat, les Rafale. Le maintien des Mirage 2000 D entraînera donc des coûts supplémentaires.

Un mot enfin sur l'opération Sentinelle et sur la réserve : vous affichez un objectif de 40 000 réservistes pour 2019.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - 2018 !

M. Jacques Gautier. - Cette prévision me semble optimiste. Je rappelle que nos armées ont besoin de puiser dans les effectifs actuels de la réserve pour fonctionner correctement. Il faudra donc renforcer ces effectifs si l'on veut demain créer des postes dans la garde nationale.

Je profite également de votre présence, monsieur le ministre, pour signaler un problème que vous connaissez bien. On parle toujours de la réserve de premier niveau, la RO1, et jamais de la réserve de second niveau, la RO2, créée en 1999. Cette dernière représente pourtant un potentiel de 99 000 réservistes, qui n'ont jamais été convoqués ! Consciente de cette situation, l'armée de terre a organisé cette année l'exercice VORTEX pour tester la mobilisation de cette RO2. Seuls 41 % des réservistes de deuxième niveau ont répondu présent, les autres n'ayant pu être joints. Cela doit interpeller le ministère : il serait nécessaire d'organiser un véritable suivi et de prévoir une gestion plus efficace de ces près de 100 000 réservistes. Je regrette que ces effectifs ne puissent pas servir réellement.

Par ailleurs, je me félicite que les gardes statiques de l'opération Sentinelle aient disparu au profit de modes d'actions plus dynamiques. J'ai constaté qu'une partie importante des crédits destinés aux infrastructures était consacrée à l'accueil, au déplacement et à la protection des troupes de cette opération. Cela va dans la bonne direction même si, une fois de plus, je tire la sonnette d'alarme : on ne peut pas mobiliser 10 000 hommes dans la durée. Il faudrait alléger ce dispositif pour ramener les effectifs en deçà de 7 000 hommes, si cela est possible.

Vous avez rappelé que le budget consacré aux infrastructures était passé de 1 milliard d'euros à 1,174 milliard d'euros. C'est une bonne chose, mais je voudrais connaître l'étendue des moyens que vous comptez prendre pour accueillir les sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda de classe Suffren ? On sait que les infrastructures nécessaires coûtent entre 460 millions d'euros et 1,4 milliard d'euros, ce qui signifierait que la totalité des crédits alloués aux infrastructures devrait être employée à l'accueil de ce nouveau sous-marin, dont la livraison du premier exemplaire est prévue dans quelques mois.

Le président Raffarin a parlé de la décision des Polonais d'annuler l'achat de 50 Caracal. Le gouvernement polonais et Airbus Helicopters étaient pourtant sur le point de signer le contrat il y a quelques jours à peine. Cette décision n'explique pas à elle seule la suppression de 1 200 emplois envisagée par Airbus Helicopters. Cette société connaît également un problème avec le volet civil, puisque la crise pétrolière a fortement réduit le nombre de commandes d'hélicoptères offshore. Le volet militaire ne doit pas cacher la réalité des problématiques civiles !

Un dernier mot sur le maintien en condition opérationnelle. Monsieur le ministre, vous avez vous-même demandé à vos services d'élaborer un rapport sur les problèmes que nous rencontrons pour maintenir nos hélicoptères en condition opérationnelle, qu'ils soient anciens ou nouveaux. On ne peut pas continuer avec un taux de disponibilité du matériel aussi faible !

M. Daniel Reiner. - Monsieur le ministre, ce dernier budget de la législature s'inscrit parfaitement dans la loi de programmation militaire. Celle-ci, en 2013, annonçait un budget de 31,6 milliards d'euros, et nous sommes à 32,7 milliards. Nous saluons cette augmentation - nous aurions bien sûr préféré que les circonstances ne nous y contraignent pas - ainsi que votre effort au sein du Gouvernement pour mettre à niveau notre outil de défense. Le travail a été fait, et bien fait.

En matière d'export, les chiffres parlent d'eux-mêmes : notre passage de cinq à près de dix-sept milliards d'euros révèle la qualité de nos produits industriels et le savoir-faire de nos armées en opération. Un détail à ce propos : depuis 2013, il est dit que les industries d'armement représentent 165 000 emplois directs, mais puisque les exportations ont quadruplé, je serais étonné que cette estimation du nombre d'emplois n'ait pas évolué. Avez-vous des chiffres plus récents sur le nombre d'emplois directs et indirects concernés ? À l'heure où l'on ne parle que de chômage, il ne ferait pas de mal de citer des chiffres positifs !

S'agissant des hélicoptères Caracal, un chiffre n'a pas été donné : celui du nombre de déplacements que vous avez effectué en Pologne depuis 2012 : il permettrait d'évaluer plus justement les responsabilités. Souvenons-nous en outre de la pression subie naguère pour ne pas vendre les BPC Mistral à la Russie, à laquelle nous avons finalement cédé... Au moment où la solidarité européenne devrait s'imposer, cette affaire envoie un bien mauvais signal.

Un mot sur l'avenir du combat aérien. Nous sommes en la matière dans le cadre fixé par la loi de programmation militaire : peu de livraisons de Rafales, mais des engagements tenus à l'égard des industriels grâce à l'export. Pendant ce temps, le combat aérien évolue, et la réflexion progresse. Nous y participons avec les Britanniques dans le cadre du programme d'étude Future Combat Air System (FCAS), qui porte surtout sur les drones de combat ; le programme F35, qui pèsera lourdement sur eux comme sur un certain nombre de pays pendant plusieurs années, nous empêchera probablement de coopérer sur un prochain vecteur aérien piloté. C'est en la matière vers les Allemands que nous devons nous tourner, et le Sénat a adopté à cette fin une résolution demandant l'inscription de perspectives financières en matière de recherche sur la défense à partir de 2020. Une action préparatoire est en cours de discussion. L'Agence européenne de défense, chargée de présenter le programme, se réunit le 24 octobre : la France doit à cette occasion pousser pour que le sujet soit abordé dans les prochaines perspectives financières ! Je n'ignore pas les réticences de certains pays, mais la position de la France gagne à être promue, et la coopération franco-allemande mise en avant.

M. Xavier Pintat. - Merci, monsieur le ministre, pour votre présentation claire et précise sur le programme 146.

Le 1er juillet dernier, un tir d'essai du missile balistique M51 depuis Le Triomphant a permis de tester ce système en condition opérationnelle. C'est une très bonne nouvelle, et l'occasion de saluer la performance de notre système de dissuasion nucléaire, l'un des meilleurs au monde. C'est lui qui nous a permis de signer l'accord de Lancaster House, qui scelle une coopération de 50 ans avec les Britanniques. Mais il faudra consentir de nouveaux investissements, notamment pour moderniser la force océanique stratégique. Quel est l'état de la réflexion sur l'avenir de notre système de dissuasion nucléaire ?

Nous collaborons également avec les Britanniques sur l'avion de combat du futur. L'année 2017 verra l'ouverture d'une nouvelle phase dans nos relations, conformément à la volonté commune exprimée au sommet d'Amiens, avec le projet de démonstrateur de drone de combat. Mais depuis le Brexit, la coopération entre nos deux pays suit-elle une trajectoire satisfaisante, et est-elle bien complémentaire avec la coopération qui nous lie à l'Allemagne ?

M. Dominique de Legge. - Mon propos volera moins haut : je raisonnerai comme un épicier breton - référence qui en vaut d'autres... La loi de programmation militaire est entièrement respectée, nous en sommes d'accord. Les recettes exceptionnelles sont majorées de 100 millions d'euros, mais si l'on considère aussi les 417 millions d'euros de majoration de crédits et les moindres dépenses sur un certain nombre de postes, il reste un disponible de 775 millions d'euros. Cela correspond-il au coût des annonces faites par le président de la République en début d'année, ou cela laisse-t-il le loisir d'améliorer le maintien en condition opérationnelle ?

Où espérez-vous trouver les 100 millions d'euros de recettes exceptionnelles ?

Pourquoi les autorisations d'engagement baissent-elles par rapport à l'année précédente ?

Une enveloppe d'une centaine de millions d'euros devait permettre l'an dernier de rénover 550 véhicules de l'avant blindé. Le délai de dépense ayant été raccourci de cinq à quatre ans, le coût unitaire de restauration est plus élevé. Quelles conséquences cela aura-t-il sur le maintien opérationnel de ces équipements ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Les crédits de paiement de l'action du programme 178, dédiée à la préparation des forces terrestres, diminuent de 1,3 % par rapport à 2016, pour s'établir à 1 226,3 millions d'euros. Or l'année 2017 doit permettre d'atteindre une force opérationnelle terrestre de 77 000 hommes. On nous annonce en outre que 2017 sera la fin des renoncements sur la projection outre-mer opérée en 2015 et 2016. Cette remontée d'effectifs annonçait une augmentation des crédits de paiement sur cette action... Si les crédits diminuent et les effectifs augmentent, comment la préparation des forces terrestres retrouvera-t-elle son cycle normal de préparation opérationnelle-projection-remise en condition ?

En 2017, le recrutement externe doit encore concerner 14 500 hommes, et il sera nécessaire de densifier la formation des recrutés en 2015 et 2016. De la même façon, au sein de l'action « préparation des forces terrestres », les crédits de l'opération stratégique « entretien programmé des matériels » restent à un niveau équivalent à celui du projet de loi de finances pour 2016. Sera-t-il possible de maintenir les équipements à un niveau suffisant pour tenir le contrat opérationnel alors même que le soutien à l'exportation mettra les moyens durement sous tension, notamment ceux de l'armée de l'air en raison des ventes de Rafales ? Pourquoi avoir fait reposer l'exécution de la LPM sur le pari des exportations sans y avoir inscrit le coût de soutien à ces exportations ?

En tant qu'élu de Paris, je m'interroge en outre sur l'opportunité de vendre des locaux - l'îlot Saint-Germain dans le VIIe arrondissement par exemple - à des prix bradés, à la ville de Paris ou ailleurs, pour faire des logements sociaux...

M. Robert del Picchia. - Lorsque la Pologne a été admise dans l'Union européenne, elle nous a promis d'acheter des chasseurs français, avant de se rabattre sur du matériel américain... L'histoire se répète.

Où en est le dialogue social dans nos armées, en particulier de la mise en place des associations professionnelles nationales de militaires ? Comment les armées, après les inquiétudes suscitées par Louvois, abordent-elles la mise en place de la retenue à la source de l'impôt sur le revenu ?

M. Gilbert Roger. - Monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire un point sur les objectifs et les réalisations de la politique immobilière du ministère ? Il est souvent plus compliqué qu'on l'imagine, en province surtout, de céder certaines implantations. Nous aimerions également avoir plus de détails sur l'amélioration de l'opération Sentinelle et les conditions d'hébergement des militaires.

Après le vol spectaculaire d'explosifs à Miramas, et le vol d'armes à Istres, quelles mesures avez-vous prises pour sécuriser les sites militaires ?

Le déploiement de Source Solde est-il en passe d'effacer le nom de Louvois, ou a-t-il pris du retard ?

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Nous mesurons bien le chemin parcouru, monsieur le ministre, jusqu'à votre présentation devant le Parlement, dans le contexte que nous connaissons tous, d'un budget en hausse de 600 millions d'euros. Nous mesurons tous votre implication, sur ce budget comme sur le soutien à l'export.

MM. Cambon, Namy, Trillard, Laufoaulu et moi-même rentrons d'une mission en Australie, où nous avons mesuré l'excellence des entreprises françaises qui s'y sont installées - Thales, Safran, par exemple -, l'implication de l'équipe France, et la part que vous avez prise dans le succès de DCNS. Mais plus largement, nous avons eu le sentiment qu'un tournant s'était opéré dans les relations franco-australiennes. Le marché du siècle qu'a constitué la vente de nos sous-marins a été sous-tendu par un transfert de technologie inédit, en quoi les Australiens ont vu, à bon droit, la preuve de la confiance que nous leur faisions. Cette confiance unit également nos deux nations sur le plan militaire et je voudrais, monsieur le ministre, vous en faire crédit. Nos homologues australiens nous ont dit la très haute estime dans laquelle ils vous tenaient et tenaient votre action. Tous nos interlocuteurs, think tanks et universitaires aussi bien, ont exprimé un « besoin de France », dans un contexte où le barycentre du monde se déplace vers l'Asie. Voilà le message que notre délégation a retenu de sa mission.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Votre homologue australienne, personnalité de grande qualité, pourrait être l'invitée d'honneur de la prochaine université de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian. - Excellente idée à laquelle je souscris pleinement.

M. Jean-Marie Bockel. - Je veux à mon tour saluer votre engagement et votre action, monsieur le ministre.

Vous avez rappelé le consensus sur la hausse du budget, pour atteindre le seuil symbolique des 2 % du PIB. Mais le débat politique a aussi fait émerger le souhait que nos partenaires de l'Otan consentent à faire une partie des efforts pour contrer la menace. Or, il y a quelques jours encore à l'assemblée parlementaire de l'Otan, nous avons eu le sentiment que la notion de complémentarité l'emportait sur celle de solidarité... Quel est votre sentiment ?

Gisèle Jourda et moi-même avons apprécié d'être associés à la réflexion sur la montée en puissance de la garde nationale. Nous voyons tous bien ce que la garde nationale peut apporter pour répondre au besoin d'engagement. Mais sur la gouvernance du dispositif, je reste sur ma faim : celle du label « garde nationale » sera effective, mais d'un point de vue militaire, la gouvernance est perfectible.

Le groupe d'amitié France-Pays baltes s'est rendu il y a quelques jours en Estonie, notamment au Collège de défense balte de Tartu, où nous avons, nous aussi, entendu une demande de France. Or nous avons quitté cette instance ! La présence à Tartu d'un officier français est certes symbolique, mais c'est un symbole important lorsque d'autres pays, comme l'Allemagne, y sont toujours représentés.

M. Michel Boutant. - Pouvez-vous nous préciser ce qui s'est passé à Erbil et en Libye il y a quelques semaines ? Je veux en profiter pour rendre hommage à nos forces spéciales qui, dans l'ombre le plus souvent, oeuvrent efficacement pour notre défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Même devant vous, je ne saurais m'étendre sur l'action des forces spéciales... Je dirai simplement que, en Libye, nos hommes sont décédés dans l'exercice de leur mission, en particulier de renseignement. Quant au drone qui a blessé deux de nos soldats au Kurdistan, il s'agit d'un drone commercial, rustique, non armé mais adapté et bourré d'explosifs, une nouvelle sorte d'engin explosif improvisé.

Madame Perol-Dumont, merci de vos propos. La vente des douze sous-marins à l'Australie crée une relation de longue durée entre nos deux pays, car le contrat porte à la fois sur leur vente et leur entretien, mais elle témoigne plus largement d'un état d'esprit très positif des Australiens à notre égard et d'une confiance réciproque exceptionnelle. Je suis favorable à l'invitation du ministre australien de la défense à la prochaine université de la défense. Nos relations sont excellentes aussi bien avec le gouvernement fédéral qu'avec Adelaïde, capitale de l'Australie méridionale qui accueillera le chantier, et qui se trouve être la ville d'origine du Premier ministre.

La méthode polonaise n'est pas acceptable. Je me suis rendu en Pologne quatorze fois pour discuter stratégie et politique de défense avec mon homologue de l'époque, Tomasz Siemoniak, et le président de la République de Pologne, qui manifestaient alors une très forte volonté de rapprochement avec la France - et l'Allemagne. Le contrat en cause ici a été signé en septembre 2015 après une très longue négociation, et l'entreprise Airbus accordait des avantages exceptionnels à la Pologne, tels que la construction d'une usine spécifique ou l'entrée de la Pologne dans le capital du Groupe... Il a finalement été rompu très brutalement, et assez cyniquement, trois jours avant le déplacement du Président de la République à Varsovie, alors qu'il aurait dû donner lieu à la vente officielle de vingt et un hélicoptères pour les forces spéciales polonaises... Tout cela est assez spectaculaire, rappelle de mauvais souvenirs, et nous conduira à adopter une attitude assez ferme vis-à-vis de ce Gouvernement polonais. La décision est, dit-on, très politique... Je n'en suis pas moins mécontent, et une procédure judiciaire sera lancée. Bref, l'affaire n'est pas close.

Les associations professionnelles nationales militaires (APNM) représentatives d'au moins trois des quatre forces armées et de deux formations rattachées pourront participer au dialogue interne au niveau national et siéger au Conseil supérieur de la fonction militaire, où 16 sièges sur 61 leur sont réservés. Nous comptons pour l'heure une dizaine d'APNM dont aucune n'est reconnue représentative en ce sens : le mouvement n'est donc pas spectaculaire, mais il est enclenché.

Sur la retenue à la source, nous serons très vigilants, en raison des primes versées aux militaires. Le calendrier initialement prévu pour le déploiement de Source Solde est pour l'instant respecté. À une première phrase de vérification succédera une phase en double pilotage, après quoi la Marine nationale sera la première à utiliser le nouveau dispositif, en décembre 2017. Vu l'ampleur du désastre du système précédent, il vaut la peine de prendre le temps... Je m'enquiers régulièrement de la situation des victimes de Louvois et de la réparation des dégâts qu'il a causés. Nous restons très vigilants, et essayons de rendre opérationnel le dispositif qui sera légué à mon successeur.

S'agissant de l'entretien programmé du matériel (EPM), nous avons augmenté le niveau de l'entretien programmé du matériel de l'armée de terre à chaque budget depuis 2013, et de manière significative l'année dernière en raison de leur engagement important en opération. Ce niveau sera maintenu sans diminution en 2016-2017.

Nous avons inscrit dans le budget des crédits et les effectifs supplémentaires nécessaires au soutien à l'exportation : 24 millions d'euros ont été débloqués en 2016, ainsi que 400 équivalents temps-plein, dont 97 créés en 2016 pour remplir de nouvelles missions de soutien à l'export. Certes, cela entraîne des contraintes pour les armées, de l'air en particulier - l'accélération de la livraison des premiers Rafale à l'Égypte n'a pas été sans heurts -, mais les moyens d'assurer cette mission sont désormais acquis.

Monsieur de Legge, le remplacement des véhicules de l'avant blindé a été accéléré par le lancement du programme Scorpion. Nous avons certes amélioré la capacité de résistance des véhicules de retour d'opération extérieure, mais l'ampleur de ces opérations rendait nécessaire une telle accélération.

Sur les 250 millions d'euros de ressources exceptionnelles provenant de produits de cessions, 50 millions seulement sont liés à la vente de matériel usagé. Ces objectifs de cessions intègrent les perspectives de vente du site du Val-de-Grâce. Enfin, la baisse des autorisations d'engagement est normale : c'est le niveau de crédits de paiement qui importe ici.

Monsieur Bockel, l'Estonie est notre partenaire privilégié dans la cyberdéfense, je souhaite resserrer nos liens ; je regarderai de plus près le point que vous soulevez.

Monsieur Gautier, la deuxième tranche de rénovation des Mirage 2000 D, qui sera lancée en 2018, portera bien le nombre total d'appareils rénovés à 55. Nous ferons ensuite la jonction avec la fin de la quatrième tranche et ce qui sera sans doute la cinquième tranche du programme Rafale. Les objectifs de la loi de programmation militaire et du Livre blanc sur le modèle d'armée à l'horizon 2025 seront respectés - d'autant plus aisément grâce à nos succès à l'exportation.

S'agissant du combat aérien du futur, notre collaboration avec les Britanniques sur la préparation du démonstrateur du drone de combat de nouvelle génération progresse bien, et n'a aucune raison de s'arrêter - j'ai d'ailleurs vu mon homologue à plusieurs reprises depuis le Brexit. Inscrire l'aviation de chasse pilotée dans l'action préparatoire ? Pourquoi pas, c'est un vrai sujet, mais attendons. L'élaboration de l'action préparatoire est en bonne voie, mais les montants sont faibles : 25 millions d'euros. On peut désormais, en effet, obtenir des crédits européens en matière de défense ; cela nous a pris trois ans de travail, pour 25 millions d'euros...

Il faudra ensuite militer en faveur d'une consolidation plus poussée des futures orientations budgétaires de l'Union européenne. C'est ainsi que l'on pourrait parvenir à pousser un tel projet.

M. Daniel Reiner. - Absolument !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Pour l'instant, l'hypothèse d'action préparatoire la plus vraisemblable en matière de défense européenne concerne le lancement d'un hélicoptère dronisé.

Pour répondre à une autre question, l'industrie de défense représente bien 165 000 emplois industriels, selon moi. Je maintiens ce chiffre, même si l'on peut imaginer que plusieurs dizaines de milliers d'emplois supplémentaires puissent être créés dans l'avenir, compte tenu du montant des contrats signés. J'attire toutefois votre attention sur le fait que les 17 milliards d'euros dont j'ai parlé tout à l'heure pour 2015 représentent uniquement le montant des contrats signés. En réalité, on ne peut commencer à comptabiliser le nombre d'emplois créés grâce à ces commandes qu'à partir de la phase d'élaboration des projets. La traduction industrielle d'un contrat n'intervient en moyenne que deux ans après la signature du contrat. De leur côté, les industriels évaluent le nombre d'emplois liés à l'export à environ 50 000 postes directs ou indirects.

Autre réponse : les drones de combat représentent 50 à 70 millions d'euros par an jusqu'en 2017 en investissement pour la France, le Royaume-Uni investira les mêmes montants.

Monsieur Gautier, vous m'interrogez sur les réserves. L'objectif de 40 000 réservistes est en effet très optimiste, et très ambitieux aussi, mais nous y parviendrons. Personne n'imaginait non plus que l'on atteindrait 31 000 réservistes à la fin de cette année. L'échéancier laisse à penser que l'on arrivera bien à 40 000 hommes.

J'aimerais également préciser que ce sont les effectifs de l'ensemble des réserves opérationnelles qui composent la garde nationale. Celle-ci a pour mission d'assurer la coordination, la cohérence globale du dispositif et de développer des partenariats avec les entreprises. L'impulsion globale sera donnée par un pilotage conjoint du ministre de l'Intérieur et de moi-même, ainsi qu'une petite équipe animée par un secrétaire général. Son mode opératoire restera au niveau des forces armées, puisque le patron opérationnel de la réserve militaire de la garde nationale sera le chef d'état-major des armées.

M. Jacques Gautier. - Pouvez-vous me répondre également sur les réservistes de deuxième niveau ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Le manque de disponibilité de la RO2 montre le désintérêt que l'on portait jusqu'à présent aux réserves. Le test dont vous avez parlé est significatif, même s'il n'est pas satisfaisant. Nous allons tâcher d'améliorer le fonctionnement et l'efficacité de cette réserve. Le chef d'état-major de l'armée de terre, en particulier, y travaille.

Il existe bel et bien des discussions au sujet des infrastructures destinées aux Barracuda. Ce sujet n'est pas encore tranché et la question reste aujourd'hui en suspens. Le calendrier est pourtant serré, dans la mesure où nous projetons toujours une première mise à la mer en 2018. Je fais miennes vos interrogations sur le sujet mais je ne dispose pas encore le montant exact de la mise en oeuvre des infrastructures destinées aux SNA.

Monsieur le sénateur, vous avez à juste titre pointé du doigt le problème du MCO hélicoptères. C'est un vrai sujet, car nous sommes mauvais en la matière. Il faut probablement prendre des mesures fortes : le premier plan de travail qui a été élaboré était à mes yeux insuffisant. Il s'agit de l'une de mes grandes préoccupations en matière capacitaire aujourd'hui. Le chef d'état-major des armées et moi-même nous accordons sur le diagnostic et les difficultés. Nous déplorons l'absurdité de certaines situations, comme celle consistant à livrer des hélicoptères neufs qui ne peuvent quasiment pas être utilisés ! Il faut remédier à ce problème le plus rapidement possible, et ce d'autant plus qu'il s'agit de l'outil d'intervention le plus demandé et le plus efficace dans le cadre de la plupart des opérations.

Monsieur Pintat, vous m'avez interrogé sur la dissuasion nucléaire. Nous cherchons à donner une certaine cohérence à notre action dans ce domaine. J'ai moi-même lancé les études pour la réalisation de la troisième génération de sous-marins nucléaires. Nous nous mobilisons pour trouver un successeur au missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A). Nous lançons également de nouveaux missiles, comme le M51.2. Je mettrai simplement en perspective la montée en puissance des nécessités budgétaires au cours de la période 2020-2030 : en matière de dissuasion, les crédits du budget 2017 s'élèvent à 3,8 milliards d'euros. Il faudra augmenter ces crédits à hauteur de 4 à 4,5 milliards d'euros pour assurer le renouvellement des équipements.

Nous en terminons, il est donc temps, monsieur le président, que je réponde à votre interrogation initiale sur la Pologne et la Russie.

J'ai rencontré personnellement dix-neuf fois mon homologue polonais et fait 14 déplacements en Pologne à ce jour.

Sur la Russie, je constate en effet l'augmentation du nombre d'incidents, dont certains ont été relatés par la presse, s'agissant des bombardiers stratégiques russes. J'ai rencontré mon homologue à Moscou. Nous devons allier fermeté, précaution et dialogue.

Pour conclure, je répondrai à M. de Legge : les 775 millions d'euros de crédits dont j'ai parlé couvrent l'ensemble des coûts liés aux décisions prises par le Président de la République au cours du Conseil de défense du 6 avril 2016, et eux seuls.

M. Dominique de Legge. - Cela montre l'importance financière des annonces du Président de la République.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour cette longue et approfondie discussion. Nous aurons l'occasion de la prolonger lors du débat portant sur l'ensemble des opérations extérieures de la France, qui se déroulera la semaine prochaine au Sénat. Je recommande d'ailleurs la lecture du rapport élaboré par nos collègues Jacques Gautier, Daniel Reiner, Jean-Marie Bockel, Jeanny Lorgeoux, Cédric Perrin et Gilbert Roger sur le bilan des opérations extérieures. Le Sénat se trouve ainsi au coeur de l'actualité.

La seconde réunion est levée à 18 heures 10.