Mercredi 23 novembre 2016

- Présidence de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et de M. Jean-Pierre Masseret, commission des affaires étrangères et de la défense -

La réunion est ouverte à 8 heures.

Audition de M. Philippe Léglise-Costa, secrétaire général aux affaires européennes

M. Jean Bizet, président. - Monsieur le Secrétaire général, merci d'avoir répondu à notre invitation. L'Union européenne s'apprête à entrer dans une négociation avec le Royaume-Uni pour parvenir à un accord sur son retrait de l'Union européenne.

Mme Teresa May a indiqué que la notification prévue par l'article 50 sera prête d'ici fin mars. Des incertitudes demeurent au Royaume-Uni, notamment à la suite de la récente décision de la Haute Cour de justice, qui demande que le Parlement soit associé à la procédure.

Dans ce contexte, les questions ne manquent pas. Quelle est votre appréciation sur la situation actuelle au Royaume-Uni ? Nous nous interrogeons également à propos de la façon dont l'Union européenne s'organise. Chaque institution a désigné ses négociateurs. Quelle organisation sera en définitive retenue ? En sait-on un peu plus sur ce point ? Le Conseil européen ne devrait-il pas être maître de cette négociation ? Comment le Gouvernement et notre administration sont-ils organisés pour affronter celle-ci ?

Au-delà, nous souhaitons être force de propositions pour une refondation de l'Union européenne. Nous voulons une Europe qui se donne les moyens d'agir en puissance en matière de sécurité, mais aussi d'accords commerciaux.

Notre visite à Strasbourg, lundi et mardi, a démontré qu'il existait un souci de mettre en place une Europe de la défense, plus réaliste et bien moins naïve en matière de négociations commerciales internationales. Nous n'avons ressenti aucune volonté de repli, comme de l'autre côté de l'Atlantique !

Nous voulons également une Europe recentrée sur l'essentiel, qui fasse la preuve de sa plus-value. Nous voulons aussi une Europe qui soit proche des citoyens, avec un contrôle démocratique effectif qui fasse toute sa place aux parlements nationaux.

Autant de questions auxquelles vous êtes habitué. Nous attendons avec impatience vos réponses, après l'intervention de Jean-Pierre Masseret, qui représente ici le président de la commission des affaires étrangères, Jean-Pierre Raffarin.

M. Jean-Pierre Masseret. - Monsieur le secrétaire général, quelle est la lecture du Gouvernement sur l'article 50 du traité de l'Union ?

La question du rôle du Conseil européen vient d'être évoquée par le président Bizet, je n'y reviens donc pas. Cependant, quel est le calendrier du Gouvernement s'agissant du Brexit ? S'en est-il donné un ? Colle-t-il sur celui de Mme May, dont il est bien sûr tributaire ?

Quelles sont, dans la négociation qui va s'ouvrir, les lignes rouges - s'il en existe - que le Gouvernement se fixe dans ce moment ? À partir de là, voyez-vous des marges de discussion qui peuvent aboutir à un statut, après négociation ? Quel pourrait éventuellement être la nature de ce statut ?

Où en est aujourd'hui la réflexion du Gouvernement sur la refondation ? Va-t-il proposer une Europe à plusieurs vitesses, à cercles concentriques, et renforcer la coopération entre certains États ? Dans quels domaines et selon quelles modalités ?

M. Jean Bizet, président. - Monsieur le secrétaire général, vous avez la parole.

M. Philippe Léglise-Costa, secrétaire général aux affaires européennes. - Monsieur le président, Messieurs les Sénateurs, le champ des questions est assez vaste.

Je rappellerai les procédures qui sont prévues pour le retrait du Royaume-Uni et la manière dont nous nous y préparons, sachant qu'il existe une part d'indétermination, liée à la situation du Royaume-Uni qui n'a pas encore décidé de sa position, mais également au fait qu'il s'agit d'un exercice inédit. L'article 50 du Traité, tout en précisant les objectifs et les procédures de cette négociation, laisse une marge d'interprétation.

La première étape est formée par la notification de l'intention du Royaume-Uni de se retirer de l'Union européenne. C'est donc à l'initiative du Gouvernement britannique que peut s'engager cette procédure.

Mme May s'est engagée à effectuer ces démarches avant fin mars. Elle a confirmé cette échéance après l'arrêt de la Haute Cour, qui requiert du Gouvernement qu'il saisisse et demande l'autorisation du Parlement britannique. Le Gouvernement a fait appel. La Cour suprême devrait se prononcer en dernier ressort avant la fin de l'année ou au début de l'année prochaine.

Plusieurs hypothèses sont possibles : soit la Cour suprême confirme l'arrêt de la Haute Cour, ce qui est attendu par la plupart des observateurs à Londres. Le Gouvernement devrait alors saisir le Parlement. Il y a là des modalités que la Cour suprême pourrait préciser sur la nature de l'autorisation. S'agirait-il d'une loi proprement dite ? C'est l'orientation de la Haute Cour, qui créerait un risque de retard, d'autant que la Chambre des Lords, bien qu'elle ne puisse avoir le dernier mot, peut utiliser ses pouvoirs pour amener à une procédure plus longue. S'agirait-il d'un simple vote de soutien ? Dans ce cas, les délais peuvent être plus courts. Cela dépendra de ce que dira la Cour suprême.

L'hypothèse la moins probable - mais qui n'est cependant pas exclue - est que la Cour suprême renverse l'arrêt de la Haute Cour. Le gouvernement britannique pourrait toujours intervenir devant le Parlement - ce serait sans doute son choix - mais n'aura pas à solliciter un vote.

En tout état de cause, même dans le cas le plus contraignant, l'intention de Mme May est de notifier l'intention de retrait du Royaume-Uni avant la fin du mois de mars. Nous nous fondons donc sur cette hypothèse de travail.

Durant cette période, les vingt-sept États membres se sont engagés à ne pas prénégocier : d'une part il ne serait pas acceptable que le Royaume-Uni pose des conditions à sa notification, d'autre part, il faudrait que les vingt-sept États membres se coordonnent, ce qui n'est pas réalisable avant la notification. Chaque État membre se prépare donc, les institutions également, mais il n'existe pas de prénégociation avec les Britanniques.

En France, nous avons mis en place un dispositif organisé, pour ce qui est de l'administration, autour du Secrétariat général des affaires européennes. Une petite équipe en son sein anime, auprès du Secrétaire général, les travaux interministériels. Nous avons mis en place, dès juillet, un groupe qui comprend environ quarante-cinq directions générales de l'administration, la négociation ayant en effet vocation à couvrir un très grand nombre de compétences, que nous mobilisons afin de disposer de leur expertise, de leur évaluation des enjeux et des options qu'elles préconisent. J'ai encore réuni ce groupe hier pour faire le point sur nos travaux. J'y reviendrai.

Les autres États membres s'organisent de manière comparable, avec des équipes restreintes et des réseaux dans l'administration. La Commission européenne elle-même, autour de Michel Barnier, a mis en place une task force de quelques dizaines de personnes. Il s'agit donc d'une petite équipe de négociateurs, mais elle peut avoir recours en tant que de besoin aux directions générales. Enfin, le secrétariat général du Conseil dispose lui-même du même type d'organisation, sous l'autorité du Président du Conseil européen.

Nous avons à ce jour procédé à une première étape de notre évaluation. Elle nous a permis de parvenir à une analyse d'ensemble sur la manière dont la négociation peut s'organiser, les intérêts à défendre, les enjeux pour la France et pour l'Europe, et nous allons affiner ces analyses dans les semaines à venir.

Nous commençons parallèlement à comparer cette évaluation avec nos principaux partenaires, dont l'Allemagne en premier lieu, et la Commission européenne, pour vérifier que nous avons la même méthodologie, les mêmes catégories et, progressivement, on peut l'espérer, la même position.

Jusqu'à présent, de ce que nous savons, la ligne est très largement convergente entre la France, l'Allemagne et la Commission européenne. Elle vise à définir clairement nos objectifs dans la négociation afin de limiter les incertitudes. Il s'agit également d'une ligne de fermeté, de manière à ce que toutes les conséquences du choix britannique soient tirées, que la cohésion politique des vingt-sept États membres de l'Union européenne soit préservée et leurs intérêts défendus.

D'autres États membres peuvent être plus concentrés sur un petit nombre d'intérêts et ouverts sur les autres sujets, ou bien particulièrement inquiets du fait des liens politiques, stratégiques ou économiques qu'ils entretiennent actuellement avec le Royaume-Uni. Il faudra donc préserver dans la durée l'unité des vingt-sept États membres. C'est aussi pourquoi il sera important de mettre en place une structure ordonnée qui suive et contrôle la négociation conduite par la Commission européenne.

Quelle sera la procédure une fois la notification reçue ? Le Conseil européen à vingt-sept membres devra arrêter des orientations qui formeront le cadre pour la négociation.

Il devra procéder assez rapidement pour ne pas perdre de temps. C'est pourquoi le président du Conseil européen a d'ores-et-déjà engagé les discussions sur le contenu de ces futures orientations. Un sommet à 27, sans conclusions, destiné à partager les informations sur l'état de cette préparation, aura lieu dès décembre. Si le Royaume-Uni devait notifier sa demande début mars, le Conseil européen pourra se réunir en mars ou début avril pour formaliser le texte.

Le Conseil européen devrait en principe se prononcer sur trois volets.

Le premier consiste à arrêter le dispositif de la négociation.

Le deuxième volet devrait identifier les sujets qui devront faire l'objet de l'accord de retrait selon les termes de l'article 50 et donc permettre une séparation ordonnée dans les domaines administratif, institutionnel, juridique, budgétaire. Il s'agit du « règlement du divorce » au sens strict.

Enfin, le troisième volet devrait poser des principes pour les relations futures entre l'Union européenne à vingt-sept membres et le Royaume-Uni. Ces relations ne sont pas négociées à proprement parler dans le cadre de l'article 50 (elles relèvent de bases juridiques et de modalités d'approbation différentes), mais il est -dans l'intérêt de tous qu'il y ait la plus grande clarté possible sur ce que serait la relation future, de manière à pouvoir orienter les opérateurs économiques, permettre aux États de se préparer et, si nécessaire, mettre en place une transition.

La négociation de ces relations futures, elle-même, ne pourra être conclue qu'après la sortie, avec le Royaume-Uni comme pays tiers, mais nous pouvons aller le plus loin possible vers la définition de ce que seront ces relations.

Il ne faut toutefois pas exclure une séparation sans accord. L'article 50 prévoit que la négociation dure au maximum deux ans. Elle peut en principe être prolongée à l'unanimité des États membres, mais ce ne doit pas être le scénario privilégié. La durée de deux ans à partir de la date de notification, prévue dans le traité, n'est pas déraisonnable pour négocier les modalités de sortie. Elle permet par ailleurs d'éviter autant que possible des contradictions qui pourraient s'aggraver entre le comportement du Royaume-Uni comme Etat membre et sa préparation à son statut futur. C'est un motif de vigilance. Nous devons ainsi conserver la maîtrise du calendrier et mettre le rapport de force nécessaire en place pour que le Royaume-Uni soumette des propositions raisonnables s'agissant de sa sortie de l'Union européenne et de nos relations futures. Cette période de deux ans, qui se trouve dans la main de chaque État membre, chacun pouvant refuser sa prolongation, seront utiles à cette fin.

Notre hypothèse repose sur un Conseil européen qui se réunirait en mars ou avril pour engager cette négociation, avec l'objectif de parvenir à un accord sur les modalités du retrait en deux ans, et des principes aussi clairs que possible sur les relations futures, en nous préparant en même temps au scénario d'une absence d'accord en ce sens.

Ce scénario reviendrait donc à une sortie sèche du Royaume-Uni de l'Union européenne. Les relations avec le Royaume-Uni ne seraient pas placées dans un vide juridique. Elles seraient simplement fondées sur les cadres juridiques prévus par l'Organisation Mondiale du Commerce, le Conseil de l'Europe ou l'Organisation des Nations Unies, organisations dont il est membre.

Au-delà de la question des relations futures, une sortie sèche du Royaume-Uni de l'Union européenne ne peut pas non plus être totalement exclue s'agissant des modalités du retrait, auquel cas nous entrerions dans une période de contentieux très significatifs.

Notre travail consiste à la fois à préparer cette négociation et les orientations Conseil européen, tout en analysant finement les enjeux pour l'économie française et dans tous les domaines concernés, afin que chacun en France puisse s'y préparer, limiter les effets négatifs, voire puisse en tirer profit.

Une fois les orientations du Conseil européen arrêtées, à l'unanimité, la Commission européenne proposera un mandat détaillé - ce qu'on appelle des recommandations - qui sera approuvé par le Conseil à la majorité qualifiée. L'accord de retrait lui-même devra, le moment venu, être conclu par le Conseil à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen.

Sur le fond, le dispositif de la négociation devrait être fondé sur les éléments suivants : tout d'abord, la Commission européenne devrait être chargée de la négociation. C'est la logique. Elle en a l'expertise et se trouve dans son rôle institutionnel mais, s'agissant d'une négociation très spécifique, elle devra faire l'objet d'un contrôle très étroit. Le Conseil européen et les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement voudront certainement maîtriser pleinement le déroulé de cette négociation en obtenant les informations nécessaires, en se réunissant en tant que de besoin, en développant les propres orientations du Conseil européen s'ils le jugent utile.

De manière plus technique, nous mettrons en place à Bruxelles un dispositif d'échange avec la Commission européenne autour du secrétariat du Conseil. Les 27 représentants permanents, et les collaborateurs qu'ils désigneront, pourront ainsi se réunir afin de créer la confiance indispensable au suivi de cette négociation. C'est d'ailleurs l'esprit dans lequel Michel Barnier veut travailler.

Le Parlement européen voudra être impliqué le plus étroitement possible. C'est de bonne politique, puisqu'il devra, en fin de négociation, approuver l'accord de retrait. Il faudra néanmoins veiller à la clarté des attributions respectives, et nous réfléchissons pour mettre en place des canaux d'information transparents avec le Parlement européen, afin qu'il puisse parfaitement être au fait du suivi de la négociation.

Voilà pour le dispositif.

Je précise que la réflexion n'est pas arrêtée à ce stade à Bruxelles quant au fait de savoir qui présidera les travaux du Conseil à vingt-sept États membres : les présidences tournantes de l'Union européenne ou une présidence stable sous l'autorité du président du Conseil européen. Il existe une hésitation - que nous partageons - sur l'option qui consisterait à ce que ce soit la présidence tournante. Cette négociation doit en effet durer deux ans et il serait dommageable pour nos intérêts que quatre présidences différentes se succèdent. Il est important d'avoir une présidence forte, crédible et indépendante des intérêts britanniques. Nous réfléchissons donc à une certaine permanence autour de personnalités du Secrétariat du Conseil européen, désignées par Donald Tusk.

S'agissant de la négociation de sortie dans le cadre de l'article 50, il convient d'identifier les sujets nécessaires pour que le retrait soit ordonné. Nous avons à ce jour la liste suivante - elle n'est pas forcément tout à fait exhaustive, mais ce sont les principaux thèmes que nous partageons également avec la Commission européenne : sur le plan institutionnel et administratif, il faudra s'assurer qu'au jour de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, tous les représentants du Royaume-Uni quitteront leurs fonctions au Conseil européen, au Parlement européen, soit soixante-treize postes de députés, à la Commission européenne, dans les agences, dans les organes, au Comité économique et social, au Comité des régions, etc.

Le cas des fonctionnaires et des autres agents est différent et ne relève pas a priori - sauf si le Royaume-Uni en fait la demande - de la négociation. Il s'agit de décisions des vingt-sept États membres. L'objectif, pour la France, sera d'assurer à terme le retrait de tous les fonctionnaires et de tous les agents - temporaires, contractuels. Il y a là une discussion à avoir sur leurs droits individuels, les phases de transition, les indemnités éventuelles. La Commission européenne procède à cet examen. Elle est plus prudente que les États membres parce qu'elle doit gérer son propre corps social mais, sur un plan politique, il faudra veiller, le moment venu, à ce qu'après une transition raisonnable, aucun ressortissant britannique ne soit plus actif dans les Institutions et autres organes. Il conviendra également de décider de la date à laquelle des Britanniques ne pourront plus se présenter aux concours de la fonction publique européenne.

Un certain nombre des cadres britanniques actuellement en fonction à la Commission européenne ou au sein du secrétariat du Conseil européen sont d'ailleurs en train d'acquérir soit la nationalité belge, puisqu'ils résident en Belgique depuis longtemps, soit la nationalité de leur conjoint s'il ou elle n'est pas britannique.

M. Jean Bizet, président. - Le mouvement est net.

M. Philippe Léglise-Costa. - En effet. Nous avons été informés de plusieurs cas individuels, y compris à des hauts niveaux de responsabilité dans l'administration de la Commission, ce qui pourrait accroître mécaniquement le nombre de fonctionnaires de nationalité française, encore plus de nationalité belge !

Le deuxième sujet au coeur de la négociation dans le cadre de l'article 50, sans doute plus lourd, concernera les questions budgétaires. Le Royaume-Uni - c'est notre position, celle de la Commission européenne et, je pense, celle des autres Etats membres - devra s'acquitter de l'ensemble de ses obligations et de tous les paiements correspondant aux engagements contractés. Aujourd'hui, ces restes à liquider, pour tout le budget européen, sont compris entre 250 milliards d'euros et 270 milliards d'euros, soit environ 35 milliards d'euros à 40 milliards d'euros pour le Royaume-Uni.

À cela s'ajoute d'autres obligations qui correspondent aux engagements qui ont été pris pour la durée du cadre financier pluriannuel 2014-2020, ainsi dans le cadre de la politique de cohésion. Des garanties sont par ailleurs incluses dans le budget, par exemple pour le plan Juncker, qui valent pour la durée des projets.

Enfin, il faut tenir compte de la part britannique de la contribution budgétaire aux pensions des fonctionnaires européens pour tous les droits totalisés durant la période pendant laquelle le Royaume-Uni aura été membre de l'Union européenne. Cela représente quelques milliards d'euros supplémentaires, le budget européen contribuant pour un tiers à ces pensions (le reste étant couvert par des cotisations).

Si l'on fait la somme de l'ensemble de ces engagements, selon la Commission européenne et nos propres calculs, l'on aboutit à des sommes comprises entre 55 milliards d'euros et 65 milliards d'euros. Ces chiffres doivent bien sûr être encore affinés.

M. Jean-Pierre Masseret. - Cette somme sera-t-elle payable en une fois ?

M. Philippe Léglise-Costa. - Ceci fera l'objet de la négociation. Il existe un risque pour le Royaume-Uni de se retrouver, le jour de sa sortie de l'Union européenne - non seulement dans la situation de reprendre l'essentiel de l'acquis européen - c'est le sens de la loi annoncée par Mme May - mais également d'acquitter un montant qui serait donc considérable. Il est donc possible que des modalités de paiement doivent être discutées.

On peut penser que les Britanniques s'efforceront de réduire ces chiffres, en faisant par exemple valoir qu'ils ont aussi contribué à la formation d'actifs européens, ce qui sera sans doute contesté par les 27.

L'enjeu budgétaire est donc très important avec, comme dans une séparation, une question d'actif et de passif, mais probablement des exigences fortes des vingt-sept membres de l'Union européenne - et ce sera notre position.

Je passe sur d'autres sujets plus spécifiques, comme la sortie du capital de la Banque Européenne d'Investissement, ou sur les garanties qui devront être données sur l'achèvement de tous les projets souscrits jusqu'à présent.

Le troisième sujet concerne les droits acquis par les personnes physiques et morales. Il faudra s'assurer qu'il n'existe pas d'incertitude ni de risque de contentieux lors de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Un cas très spécifique concerne les droits des citoyens des vingt-sept États membres aujourd'hui installés au Royaume-Uni, et ceux des Britanniques installés dans les vingt-sept États membres - titres de séjour, permis de travail, droits relatifs aux études, coordination des régimes de sécurité sociale, droits à pensions, accès aux soins. Trois cent mille Français résident au Royaume-Uni et plus de deux cent mille Britanniques sont installés en France. Une partie des Britanniques qui vivent en France sont retraités et éprouvent des inquiétudes fortes. Ce sera l'un des objets de la négociation. Les deux pays où l'on trouve le plus de Britanniques sont, par ordre d'importance, l'Espagne et la France. On compte environ 2,7 millions d'Européens au Royaume-Uni, avec un grand nombre de Polonais et de Roumains en particulier.

Cette négociation devra faire partie de l'équilibre d'ensemble. On en voit la portée politique.

Le quatrième sujet est relatif aux agences européennes localisées au Royaume-Uni. On en dénombre deux, l'Agence européenne du médicament et l'Autorité bancaire européenne, toutes deux situées à Londres. Notre position est qu'elles devront déménager. Les modalités de ces déménagements seront sans doute à négocier avec le Royaume-Uni, mais les vingt-sept Etats membres devront aussi déterminer leur relocalisation sur leurs territoires. Nous partons du principe qu'elles se situeront en France, mais cela peut être contesté par d'autres !

Il s'agira, pour les villes qui sont candidates, de faire valoir qu'elles peuvent fournir le cadre le plus adapté. Certains États membres qui n'ont aujourd'hui pas du tout d'agence sur leur territoire revendiqueront cependant ces relocalisations, ce qui peut dans certains cas poser problème pour l'une ou l'autre de ces agences, qui ont besoin d'un écosystème fort.

D'autres sujets peuvent se révéler très sensibles pendant la négociation, comme les frontières de l'Irlande du Nord, la question de Gibraltar, ou celle de Chypre.

J'en termine par un sujet extrêmement complexe, qui amènera sans doute à des négociations difficiles entre l'Europe et le Royaume-Uni, ainsi qu'au niveau international.

Après la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, celle-ci devra procéder à la déconsolidation de tous les accords multilatéraux et bilatéraux dont l'Union européenne est partie. L'Union européenne a contracté environ mille sept cents accords multilatéraux ou bilatéraux dans le monde, dans tous les domaines - environnement, transport, énergie, coopération judiciaire, etc.

Le Royaume-Uni devra en sortir à titre national lorsqu'il s'agit d'accords mixtes engageant l'Union européenne et les États membres. Ce sera mécanique, mais il faudra le notifier lorsqu'il s'agit d'accords de compétence exclusive pour l'Union européenne.

La question des accords commerciaux est particulièrement complexe. Que ce soit dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce ou désaccords bilatéraux, des pays tiers pourraient demander des compensations du fait de la réduction de la taille du marché de l'Union européenne. Nous refuserons évidemment que l'Union européenne acquitte de telles compensations. Nous considérerons, si elles étaient justifiées, que ceci relèverait de la responsabilité du Royaume-Uni.

Le mieux serait de mettre en place une approche coordonnée entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, de façon à ce que le Royaume-Uni prenne le moment venu des engagements équivalents à ceux de l'Union européenne partout où cela est possible.

Certaines questions seront très délicates, s'agissant d'engagements quantitatifs : les contingents agricoles, les niveaux de soutien qui, s'ils ne sont pas coordonnés avec le Royaume-Uni, peuvent amener des discussions difficiles.

Pour assurer que cet accord sera prêt en deux ans, il faut - étant donné les procédures d'approbation au Conseil, au Parlement européen et au Royaume-Uni, les délais nécessaires à la révision juridique et linguistique des textes - qu'un accord sur le fond intervienne dans les quinze à dix-huit mois, soit avant fin 2018.

Durant cette période de deux ans, des discussions pourront se tenir sur les relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Il s'agit à la fois de définir les principes sur lesquels devrait s'engager cette négociation une fois le Royaume-Uni sorti de l'Union européen, d'envisager une absence complète d'accord, et de s'assurer que l'Union européenne sera elle-même dotée des instruments qui lui permettent de gérer cette relation de façon ordonnée.

En effet, c'est la première fois que l'Union européenne doit concevoir une relation commerciale et économique avec un pays comme le Royaume-Uni, pays dont l'économie est très importante, très proche et aujourd'hui très intégrée à l'économie de l'Union européenne.

Les enjeux ne sont donc comparables à aucune des relations que nous avons contractées jusqu'à présent, soit avec des pays de taille bien plus limitée, soit bien plus lointains et qui ne posent pas du tout les mêmes défis. Il s'agit d'un travail de négociation avec le Royaume-Uni et de préparation au sein de de l'Union européenne.

Le Royaume-Uni commence à s'organiser. Il a passé une phase très complexe de désorganisation de son administration, puisqu'il a dû à la fois préparer des options qui n'avaient pas du tout été anticipées et qui sont fondamentales pour l'avenir du pays et procéder à des modifications administratives importantes.

Il existe aussi au Royaume-Uni des divisions politiques importantes, dont certaines au sein du gouvernement, concernant les choix fondamentaux pour l'économie du pays. Certains responsables considèrent qu'il est préférable d'aller directement vers une sortie sèche du Royaume-Uni, le Royaume-Uni ayant selon eux une vocation à devenir une plateforme globale, relativement dérégulée, dans les fuseaux horaires européens. D'autres considèrent au contraire que l'intérêt profond du Royaume-Uni est de rester le plus proche possible du marché intérieur. Ce sont des choix très différents en termes économiques et sociaux pour le Royaume-Uni et dans la négociation avec l'Europe.

Nous devrons donc tenir compte de ces arbitrages. Nous n'excluons pas l'hypothèse qui verrait le Royaume-Uni afficher, en début de négociation, des propositions en partie contradictoires, revendiquant des segments de marché intérieur et refusant un certain nombre de ces contreparties.

Nous préparons pour le Conseil européen de mars ou d'avril une position des 27, qui constituerait une forme de réponse aux propositions britanniques, à partir des principes dont le respect autoriserait le maintien du Royaume-Uni dans le marché intérieur et, en cas de rejet du Royaume-Uni, d'autres principes qui couvriront des relations de nature différente.

Quels seront les principes du marché intérieur ? Les chefs d'État et de gouvernement ont commencé à les énoncer fin juin. Il s'agit de garantir la nature indivisible des quatre libertés. Si le Royaume-Uni veut continuer à accéder au marché intérieur pour les services, dont les services financiers, et les biens, il devra accepter la libre circulation des personnes telles que nous la concevons dans l'Union européenne. Ces principes devraient préciser également la nécessité de respecter toutes les réglementations correspondantes sur le marché intérieur dans l'Union européenne, de reconnaître l'autorité de la Cour de justice, et de contribuer de manière suffisante et proportionnée au budget européen.

C'est ce qu'acceptent les Norvégiens, et qui semble correspondre à ce que le Royaume-Uni dit aujourd'hui refuser - réglementations européennes, Cour de justice, budget européen et bien sûr libre circulation des personnes.

Si le Royaume-Uni devait ne pas accepter ces contreparties, nous devrions poser les principes d'une relation commerciale et économique sur laquelle nous commençons à travailler. Quels peuvent-ils être ? Il existe tout d'abord un principe politique : le Royaume-Uni ne peut bénéficier à l'extérieur de l'Union européenne d'un régime aussi avantageux qu'à l'intérieur de celle-ci. Il ne peut non plus bénéficier d'un régime plus avantageux qu'un pays tiers dans une situation comparable, et ne saurait bénéficier de droits sans avoir les obligations correspondantes.

Deuxièmement, cet équilibre des droits et des obligations vaut à la fois pour chaque secteur et pour la relation d'ensemble. Il ne peut y avoir une segmentation qui amènerait le Royaume-Uni et l'Europe à négocier une série d'accords sectoriels, chacun ayant une logique mais dont l'ensemble serait déséquilibré, par exemple s'il privilégiait des secteurs où le Royaume-Uni considère avoir un avantage comparatif.

Troisième condition : pour chaque secteur, et de manière générale, il faut assurer des conditions d'échange dont l'équité peut être vérifiée dans la durée, de manière dynamique. Il faut en effet s'attendre, une fois le Royaume-Uni sorti de l'Union européenne, s'il n'est pas dans le marché intérieur, à l'apparition progressive de divergences réglementaires. Chacune peut former une distorsion de concurrence potentielle. Dès lors que nous devrons permettre des échanges avec le marché intérieur, il faudra vérifier qu'il n'y a pas de distorsions. Cela vaut pour les normes de produits, mais aussi pour les normes sur les processus de production que nous nous imposons en Europe, par exemple sur le plan environnemental. Il existe également des réglementations fiscales, en matière d'aides d'État, de propriété intellectuelle, de protection des données, des règles d'origine (permettant de s'assurer que des composants provenant de pays tiers n'entrent pas en Europe par le Royaume-Uni de manière détournée).

Cela signifie que nous devons vérifier cette équité pour tous les biens ou tous les services qui viendraient du Royaume-Uni vers l'Europe, avec un dispositif institutionnel suffisamment robuste pour réagir à tout défaut d'application. Afin de prévenir de tels cas, l'Union européenne à 27 devra se doter des instruments lui permettant de reconstituer des échanges équitables.

Il s'agit d'un sujet complexe. Nous sommes en train de passer en revue la manière dont les choses devraient fonctionner. L'exemple des services financiers est illustratif. Il s'agit d'un secteur dans lequel le Royaume-Uni occupe actuellement une place prépondérante, les institutions financières basées à Londres assurant le financement d'une part significative de l'économie européenne du fait de l'avantage comparatif que la City a acquis.

Aujourd'hui, ces institutions financières bénéficient le plus souvent du passeport financier. Dès lors qu'il est octroyé, elles peuvent fournir des services dans un Etat membre comme si elles y étaient installées. Pour les pays tiers, comme par exemple les Etats-Unis, il existe des régimes d'équivalence. Ces régimes permettent, de fournir certains services, mais sous des conditions bien plus restrictives.

L'analyse du Trésor français est que si l'on appliquait ces régimes d'équivalence actuels à la City, elle continuerait à avoir une place prépondérante, tout en autorisant une certaine dérégulation. Il faudrait donc renforcer très fortement ce régime d'équivalence pour pouvoir garantir l'application de réglementations prudentielles et financières suffisantes, définir clairement les conditions d'accès au marché européen et retirer ces équivalences si nécessaire.

Nous passons donc actuellement en revue l'ensemble des secteurs afin de nous préparer à la négociation avec le Royaume-Uni, sur la base de ce principe d'équité des échanges.

Ce principe suppose que le Royaume-Uni accepte de se conformer aux exigences qu'il implique, ce qui devrait être son intérêt économique, mais qu'il pourrait malgré cela refuser. C'est pourquoi nous ne pouvons pas exclure pas une sortie sèche du Royaume-Uni de l'Union européenne.

D'autres principes doivent également être posés, comme le principe de réciprocité (par exemple dans le domaine des marchés publics) ou un principe de protection, en matière de sécurité des consommateurs ou de stabilité financière de la zone euro. Il y a enfin un principe d'autonomie de décision de l'Union européenne : on ne peut accepter que le Royaume-Uni quitte l'Union européenne et continue à participer à l'élaboration des normes et réglementations européennes d'une manière ou d'une autre.

Ces mêmes principes devraient s'appliquer à une éventuelle période de transition, entre la sortie effective et la mise en oeuvre d'un futur accord entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, s'il était convenu d'une telle transition. Elle devrait en effet préparer la relation future et entraîner d'emblée une dégradation du statut du Royaume-Uni par rapport à l'Union européenne.

En même temps que nous réfléchissons aux instruments de l'Union européenne, nous étudions ce que cela représente pour l'économie française. Nous avons engagé une concertation avec tous les acteurs économiques afin de voir lesquels sont les plus exposés à des obstacles aux échanges qui apparaissent difficilement contournables aujourd'hui.

La France dispose d'un excédent commercial important, et il existe donc des secteurs exportateurs industriels ou agroalimentaires qui devront se préparer à une réduction de ces échanges. Ce sera vrai dans l'autre sens et il peut y avoir aussi des secteurs qui bénéficient actuellement d'importations britanniques.

Les chaînes de valeurs industrielles fondées en partie sur des investissements au Royaume-Uni devront pouvoir se réorganiser, avec des risques liés à l'avenir des investissements réalisés, mais aussi des opportunités, c'est-à-dire la possibilité d'attirer des investissements en Europe et en France. Il y a là un potentiel pour notre économie dès lors qu'elle démontre son attractivité. On l'a vu pour les institutions financières : c'est vrai aussi dans le domaine industriel.

Enfin, il faut envisager la reconstitution de ressources humaines et matérielles en premier lieu pour les douanes françaises, qui ne sont sans doute pas aujourd'hui pleinement équipées pour contrôler les importations venant du Royaume-Uni.

Je termine avec un certain nombre de questions sectorielles, qui devront faire l'objet d'une attention spécifique tout en respectant l'équilibre et la cohérence d'ensemble de la négociation.

La première concerne les personnes : ce qui est vrai pour les personnes déjà installées devra être défini pour les personnes qui ne le sont pas encore - Français voulant s'installer au Royaume-Uni, Britanniques désirant venir en France. Il faudra voir si les questions qui les concernent - résidence, sécurité sociale, accès aux soins, droits à pension, etc. - seront couvertes par un futur accord entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ou si elles devront être traitées différemment, y compris de manière bilatérale entre le Royaume-Uni et chaque Etat membre.

Parmi ces politiques sectorielles, il convient de signaler les questions liées à la pêche. Les pêcheries françaises sont dépendantes de l'accès aux eaux britanniques à hauteur de 20 % à 22 % des prises. Pour certains ports, dans le Nord, cela peut aller jusqu'à 70 %. Cet accès est inscrit dans les principes de la politique commune de la pêche. Si le Royaume-Uni en sortait complètement, il y aurait une difficulté.

En sens inverse, environ 28 % des exportations britanniques de produits de la pêche vont vers la France. La dépendance est donc symétrique.

Il faut donc se préparer à une négociation, sans pouvoir là-aussi exclure une sortie sèche du Royaume-Uni de l'Union européenne. Il s'agira donc, tout en portant ce sujet dans la négociation, d'examiner les formules alternatives, par exemple par l'accès à d'autres eaux, qui permettraient de donner des garanties aux pêcheurs français. Peu d'États membres sont dans cette situation. Ce sera une spécificité française de la négociation.

Certains sujets sont liés au transport, comme le tunnel sous la Manche, pour lequel se poseront des questions de réglementation. L'Union européenne sera davantage en position de force s'agissant des transports aériens. Nous pourrons déterminer le nombre de « libertés » qui seront octroyées aux opérateurs aériens britanniques, ce qui peut aller de la suppression totale à des restrictions, par exemple sur le cabotage en Europe. Des compagnies comme easyJet ont un intérêt fondamental à maintenir les conditions actuelles ou à se réinstaller sur le continent.

Certaines questions sont liées à l'énergie et au climat. Il faudra y être attentif. Le Royaume-Uni voudra sans doute rester pleinement engagé dans la lutte contre le changement climatique. Il faudra voir dans quelle mesure il pourra être associé aux instruments européens. Il s'agira de préserver l'ambition globale, sans que cela n'entraîne des efforts supplémentaires pour la France du fait de la sortie du Royaume-Uni.

Les questions de recherche sont très sensibles. Le Royaume-Uni est un acteur très important de la recherche européenne. Ses chercheurs sont très liés au programme Horizon 2020. Un certain nombre d'infrastructures de recherche européennes sont par ailleurs basées au Royaume-Uni. Il y aura donc négociation.

Des questions se poseront en matière nucléaire civile, aéronautique spatiale ou d'industrie de défense. Il faudra s'assurer que l'Europe ne soit pas affaiblie dans ces domaines Ceci peut concerner, soit des programmes européens, comme ITER, Galileo ou Copernicus, soit des enjeux de réglementation ou de normes, ainsi pour Airbus en matière de certification.

Nous serons précis sur toutes ces questions spécifiques.

Enfin, s'agissant d'un sujet très particulier, la coopération policière et judiciaire, dont le Royaume-Uni est pour nous un partenaire très important, en particulier pour la lutte contre le terrorisme. Si des instruments existent, dans un cadre bilatéral ou multilatéral (Conseil de l'Europe), ces instruments européens auxquels il participe actuellement sont les plus réactifs et les plus complets. Il faudra voir en tout d'état de cause quelles sont les modalités permettant d'assurer le même niveau de protection et d'échange d'informations.

M. André Gattolin. - Monsieur le secrétaire général, c'est avec un grand plaisir que nous vous accueillons dans cette commission. Espérons que ce ne soit pas la dernière fois ! Vous avez en effet beaucoup à nous dire. Or, nous étions habitués, dans le temps, à plus de relations entre parlementaires, d'où notre frustration à ne pouvoir poser plus de questions -ou du moins à ne pouvoir en entendre les réponses, car nous devons assister à d'autres réunions ce matin.

Parmi l'impact d'une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, il ne faut pas négliger celui sur les pays partenaires de l'espace économique européen. Président du groupe d'amitié France-Europe du Nord, je suis très souvent en Norvège et en Islande, où il existe un négociateur sur le Brexit. La Grande-Bretagne est leur deuxième partenaire commercial. Les Islandais sont très inquiets et n'ont pas de réponse.

De même, lorsqu'on négocie les grands traités commerciaux, comme le traité transatlantique, ils ne sont pas associés. Un pays comme la Norvège, tout en étant un partenaire loyal, se retrouve dans l'obligation de signer à « la sauvette » un contre-rapport. L'Union européenne doit donc comprendre qu'elle a des partenaires dans les discussions sur le Brexit. En Islande, on a vu ces deux derniers mois le taux d'euroscepticisme grimper.

Une des autres conséquences est l'explosion des migrants intra-européens, notamment Polonais et Baltes. Aujourd'hui, en Islande, la langue la plus parlée dans les administrations, après l'anglais et l'islandais, est le polonais. On n'a peut-être pas assez actionné notre réseau diplomatique.

Par ailleurs, où en est-on de la réflexion post-Brexit ? L'idée de répondre par une gouvernance de la zone euro ne paraît pas adéquate à un certain nombre d'entre nous. Certes, il faut une gouvernance, mais ce n'est pas une possibilité sérieuse d'aller plus loin. Je pense que nous pourrions avoir, même à l'intérieur de la zone euro, des problèmes avec certains pays, comme Chypre ou autres.

Nous ne savons pas si ce point a été abordé par les institutions, le Gouvernement français, le secrétariat général des affaires européennes, Bercy, ou le Quai d'Orsay. Nous sommes très demandeurs d'une telle réflexion en tant que parlementaires, à travers France Stratégie ou autres, dans laquelle nous pourrions être impliqués.

M. Richard Yung. - Monsieur le secrétaire général, vous avez mentionné plusieurs fois la possibilité d'une sortie sèche du Royaume-Uni de l'Union européenne. Pouvez-vous nous en dire plus ? Jusqu'à maintenant, on a toujours dit qu'on souhaitait un accord, dans l'intérêt de tout le monde. On comprend que ce n'est peut-être pas ce qui va se passer...

M. Simon Sutour. - Le président Valéry Giscard d'Estaing, lorsque nous l'avons auditionné, nous avait fait part de ce risque de sortie sèche du Royaume-Uni de l'Union européenne sous deux ans si rien n'aboutit.

Y aura-t-il bien un Conseil européen spécifique après le déclenchement de l'article 50, qui se confondra avec celui de début mars ?

M. Philippe Léglise-Costa. - En effet.

M. Jean Bizet, président. - Compte tenu de votre position centrale, il serait bon que vous veniez régulièrement devant notre commission.

Par ailleurs, le Sénat représente les territoires. Or, nous commençons à être interpellés par des entreprises dans nos propres régions. Il serait bon que vous puissiez dès que possible nous fournir des fiches sur l'agroalimentaire et d'autres secteurs économiques.

Nous comptons également parmi nos administrés un certain nombre de ressortissants anglais, qui commencent à nous poser des questions sur la protection sociale, la naturalisation, etc. Nous avons besoin de fiches pratiques, car nous sommes aujourd'hui dans l'incapacité de leur répondre.

M. Didier Marie. - Je souscris pleinement à ce que vient de dire le président Bizet. Je suis élu de Seine-Maritime, département frontalier de la Grande-Bretagne, qui connaît certaines interdépendances dans le domaine de la pêche, des transports, etc. Je suis donc très intéressé par la dimension pratique de l'évolution des négociations, de telle sorte qu'on puisse les anticiper - sachant que des fonds publics sont engagés dans les partenariats transmanche.

Par ailleurs, on voit bien qu'il existe des forces politiques contradictoires en Grande-Bretagne. On mesure bien la probabilité de l'activation de l'article 50, mais cela peut aussi ne pas se faire. Dans cette hypothèse, que se passera-t-il ? Fera-t-on comme si de rien n'était, malgré le référendum ? Que peut-il arriver ?

M. Jean-Pierre Masseret. - L'élection du nouveau président des États-Unis ne renforce-t-elle pas la probabilité de la sortie sèche du Royaume-Uni de l'Union européenne ?

M. Philippe Léglise-Costa. - Je suis à votre disposition, avec l'équipe du Secrétariat général des Affaires européennes, pour revenir devant vous et vous fournir toutes les informations dont nous disposons.

L'Islande et la Norvège sont inquiètes du fait de leurs relations commerciales avec le Royaume-Uni, des conséquences politiques que la sortie peut entraîner et d'une éventuelle adhésion du Royaume-Uni à l'Espace Economique Européen, ce qui n'est pas leur souhait. Elles sont aussi inquiètes à l'idée que le Royaume-Uni pourrait obtenir des avantages comparables à ceux dont bénéficient les membres de l'Espace Economique Européen, sans en avoir les mêmes obligations, au motif qu'il aurait de meilleures cartes de négociation. Nous serons bien sûr attentifs aux inquiétudes des Norvégiens et des Islandais.

S'agissant de l'avenir de l'Europe, le Président de République et le Gouvernement ont marqué, dès le lendemain du référendum britannique, en même temps que la volonté de gérer la négociation avec le Royaume-Uni de manière claire et ferme, leur souhait de donner à l'Europe des priorités fortes, de concentrer son action sur celles-ci et de rendre son fonctionnement plus simple et plus efficace.

Ils ont pris l'initiative, avec la Chancelière allemande et le Premier ministre italien, d'un premier sommet à 27 à Bratislava, qui a arrêté des priorités essentielles selon nos propositions : sécurité intérieure et frontières de l'Union européenne, défense, investissements, technologies et développement industriel pour l'avenir, cohésion sociale, jeunesse. Ces enjeux doivent former la priorité pour les Institutions européennes, ce qui signifie aussi qu'elles doivent être moins présentes sur les sujets qui relèvent des États membres dans le cadre de la subsidiarité.

Enfin, une feuille de route a été adoptée, avec des mesures concrètes à prendre dans les six mois. Le Conseil européen de décembre fera le point sur ce sujet. Beaucoup a déjà été fait en matière de protection des frontières extérieures, de sécurité, d'investissement avec le doublement du plan Junker. Plusieurs mesures ont pu être prises grâce aux propositions annoncées par Jean-Claude Juncker en septembre.

Nous entrerons ensuite dans une deuxième phase, avec un sommet à vingt-sept à Malte, début février et, le 25 mars, la commémoration du soixantième anniversaire du traité de Rome, pour lequel nous devrons préparer des propositions qui seront cohérentes avec ces grandes priorités, mais qui pourront éventuellement définir d'autres perspectives.

Il faut reconnaître qu'il n'est guère facile aujourd'hui de réunir les différents gouvernements de l'Union européenne autour d'orientations très fortes, des divergences et des fractures s'étant créées. Il faut néanmoins s'assurer de la cohésion des vingt-sept membres de l'Union européenne, ne serait-ce que pour la négociation avec le Royaume-Uni. La nécessité de rassembler ne doit cependant pas se faire au prix d'une paralysie ou d'un affaiblissement de l'Europe sur des enjeux décisifs. Il faut donc pouvoir avancer en tout état de cause, en premier lieu avec l'Allemagne. Des propositions devront donc être préparées, le moment venu, dans les domaines de la défense, de la zone euro ou de l'harmonisation fiscale...

S'agissant du Conseil européen qui arrêtera les orientations pour la négociation avec le Royaume-Uni, tout dépendra du calendrier britannique. L'idéal serait de pouvoir adosser ce Conseil européen à vingt-sept Etats membres au Conseil européen de mars. Cela permettrait de lever les incertitudes le plus rapidement possible et d'engager la négociation. Ce calendrier serait également cohérent pour l'Union européenne - il s'agit d'une coïncidence - car la période de deux ans permettrait d'aboutir encore avant les élections européennes de 2019, le renouvellement des institutions, et la mise en oeuvre du prochain cadre financier pluriannuel. Il serait logique que le Royaume-Uni soit déjà sorti à cette date.

Si le Royaume-Uni devait repousser la notification à la fin du mois de mars, un sommet extraordinaire des vingt-sept Etats membres serait alors nécessaire. Le compte à rebours débutant au jour de la notification, il serait difficile d'attendre plusieurs mois avant d'engager les négociations. Il faudra donc tenir ce sommet dans les trois à quatre semaines qui suivent. C'est pourquoi nous nous y préparons d'ores et déjà, de façon à minimiser le délai entre la notification et la réunion du Conseil européen.

S'agissant de l'article 50, le gouvernement britannique risque de devoir retarder la notification s'il doit obtenir l'accord du Parlement et procéder par la voie législative. On peut penser que le gouvernement britannique s'efforcerait de se limiter à un texte simple, mais la discussion parlementaire peut l'être moins.

Notre analyse est que la Chambre des communes sera sans doute encline à suivre plus directement le résultat du référendum, la majorité du peuple britannique s'étant exprimée. La Chambre des Lords ne serait pas nécessairement dans les mêmes dispositions. Elle ne pourrait pas bloquer l'adoption du texte in fine, mais peut la retarder.

M. Richard Yung. - Elle y est majoritairement défavorable.

M. Philippe Léglise-Costa. - La Chambre des Communes était hostile à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, mais le référendum est intervenu entretemps. La Chambre des Lords y était sans doute encore plus opposée. Pour ce qui est du Président des États-Unis, ainsi que l'a dit le Président de la République, l'élection de M. Trump aura amené l'Europe à répondre d'abord, à partir de ses valeurs et de ses intérêts, aux enjeux globaux et transatlantiques créés par l'arrivée de la nouvelle administration. Il faut à la fois nous organiser, défendre nos intérêts, et maintenir la coopération là où elle nous paraît indispensable, en matière de sécurité, de commerce, ou sur le climat.

Il peut également y avoir un impact sur les opinions publiques. Il faut que l'Europe réponde aux préoccupations des citoyens. La société américaine est différente, à bien des égards, des sociétés européennes, mais il peut y avoir des résonances. Cela doit amener l'Europe à renforcer encore ce qu'elle se préparait à faire, souvent à notre initiative, avec l'Allemagne, et qui doit pouvoir se traduire ces prochaines années.

Nous devrons également compter, dans les semaines qui viennent, sur des échéances politiques en Europe. Je pense ici à l'Italie, où doit avoir lieu, le 4 décembre, un référendum dont les sondages disent aujourd'hui que M. Matteo Renzi le perdrait, ce qui peut créer une incertitude, même si bien sûr l'Italie est un pays solide et engagé en Europe.

M. Simon Sutour. - Cela sauverait le Sénat !

M. Philippe Léglise-Costa. - En effet, ainsi que le bicaméralisme italien. Dans un premier temps nous devrons être attentifs à un éventuel impact financier, sachant que la zone euro est désormais beaucoup mieux préparée à prévenir d'éventuelles difficultés. Il y aura par ailleurs des élections présidentielles en Autriche le même jour. Certes, elles ont moins d'impact, le président n'ayant pas des pouvoirs étendus, mais le symbole peut être fort si le candidat d'extrême-droite l'emportait.

Des élections législatives sont également prévues le 15 mars aux Pays-Bas.

M. Jean Bizet, président. - Je pense que l'on peut prendre la position de principe de se rencontrer régulièrement.

Je vous remercie par ailleurs de nous transmettre des fiches sectorielles.

La réunion est close à 9 heures 15.

- Présidence de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et de M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de Paris Europlace

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense. - Monsieur le président, nous sommes heureux de vous retrouver pour cette audition du groupe commun à la commission des affaires européennes et à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Nous avons décidé de mettre sur pied un groupe de suivi du Brexit afin d'en percevoir les tendances, avec une inquiétude de fond qui porte sur la déconstruction de l'Europe, tout en ne perdant pas de vue les liens très importants que nous avons avec le Royaume-Uni, pays que vous connaissez particulièrement bien.

Parmi tous ces liens à redéfinir, la question de la réorientation des activités financières et du rôle de la place de Paris est essentielle. C'est principalement sur ce sujet que je voudrais connaître votre point de vue.

On voit bien que le cadre des relations avec le Royaume-Uni ne peut, à l'avenir, être aussi favorable qu'il le fut. S'il est en effet plus favorable, nous allons vers la déconstruction de l'Europe. Il nous faut néanmoins reconstruire cette relation, tout en espérant tirer parti pour le continent d'un certain nombre de phénomènes nouveaux. Dans ce domaine, la place de Paris présente une attractivité et des compétences, a réuni des réseaux, et bénéficie d'une reconnaissance internationale. On voit en effet la considération qu'un certain nombre de pays émergents portent à la place de Paris.

Dans ce contexte, où se situent nos contraintes et nos opportunités ?

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Je joins mes propos de bienvenue à ceux qu'a tenus le président Raffarin. Nous sommes ravis de vous accueillir ici.

Nous sommes très interrogatifs quant à l'avenir de la place de Paris à la suite du référendum britannique et du désir de nos amis anglais de quitter l'Union européenne. C'est un véritable choc pour la cohésion de l'ensemble de l'Europe.

J'ai lu avec intérêt vos propos dans un grand quotidien économique en date du 27 juin, dont je me fais l'écho. Vous avez déjà commencé à répondre à un certain nombre de questions.

Peut-on assister à un recentrage des activités financières vers les places situées dans la zone euro ? Quel sera le sort des chambres de compensation localisées à Londres ? Quels sont les atouts de la place de Paris ? Comment les fait-elle valoir ?

Vous avez la parole.

M. Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace. - Merci de m'avoir invité à m'exprimer devant vous.

Je le ferai partiellement, s'agissant des conséquences du Brexit, en tant que président d'Engie - groupe international très européen, présent en Grande-Bretagne avec dix-sept mille salariés, soit plus que la plus grande banque étrangère de ce pays - et en tant que président de Paris Europlace, la place de Paris réfléchissant depuis le référendum pour tenter d'en tirer les conséquences sur plusieurs plans.

Je le ferai aussi en tant que citoyen français et très européen. J'ai été formé à la fois à l'école de Jacques Delors, d'Étienne Davignon, de Pascal Lamy, avec qui j'ai beaucoup travaillé. Nous avons essayé de construire un groupe profondément européen, français, belge, britannique, puisque nous avons fusionné avec des groupes étrangers, tous européens.

Je tire, avec ces différentes casquettes, un constat unique sur les enjeux vitaux de l'Union européenne d'aujourd'hui : stabilité, compétitivité, sécurité. Nous avons, nous, acteurs européens, un besoin impératif de visibilité, après la décision du peuple britannique.

Le Brexit est évidemment une triste nouvelle pour les Européens, qui avaient vu la construction européenne comme un édifice bâti par briques et extensions successives. C'est la première fois qu'on assiste à l'extraction d'une brique - et pas d'une petite.

Est-ce le début de la déconstruction de l'Europe ou l'Europe à vingt-sept membres va-t-elle au contraire opérer un sursaut ? Je suis un peu sceptique sur la possibilité de rebondir à vingt-sept membres, étant donné qu'on se demande si certains pays, comme la Pologne ou la Hongrie, sont encore très européens. La façon dont se fera le Brexit va conditionner leur attitude.

Une prime au sortant compliquera la vie de l'ensemble des autres pays européens, qui vont avoir face à eux des pays qui vont essayer de négocier leur maintien ou leur sortie. Le Brexit donnera quoi qu'il en soit le La de l'Europe de demain - en tout cas à vingt-sept. Raison de plus à notre sens pour réagir vite et fort, en s'appuyant sur quelques lignes clés.

Premièrement, le processus de sortie, on le sait, est forcément complexe. Personne n'a intérêt à une négociation longue. Traîner ne ferait qu'accroître inutilement le sentiment d'incertitude, de fébrilité de la démarche européenne elle-même. Ce sentiment d'indécision serait mauvais - peut-être même désastreux pour les Européens et pour les investisseurs, qui détestent plus que tout l'incertitude.

Deuxièmement, je crois que nous n'avons pas le choix : il faut être extrêmement ferme avec les Britanniques. La place de Paris avait décidé avec Valérie Pécresse, avant le référendum, de tenir une grande réunion de tous les acteurs financiers à La Défense pour dire aux Britanniques de rester, en leur expliquant que tout continuerait comme avant mais que, dans l'hypothèse où ils décideraient de partir, la place de Paris disposait d'atouts. En tant qu'entreprise, avec quelques autres, nous avions acheté des placards dans la presse britannique pour demander aux Anglais de rester avec nous.

Le peuple a tranché en sens contraire. Il ne s'agit pas de punir qui que ce soit, mais il faut être extrêmement ferme : le Royaume-Uni est désormais un pays tiers ! Je ne sais où conduira la négociation, mais la décision du Royaume-Uni de sortir de l'Union européenne semble irréversible. Il faut être clair sur ce point.

La City a pourtant essayé de semer le doute en assurant que les Anglais avaient arrêté un choix, mais que si on les consultait à nouveau, ils feraient le choix contraire et que tout ceci pouvait encore s'inverser. Entretenir le doute, pour la City, c'est essayer de retarder les décisions de traverser la Manche des grandes institutions non-britanniques implantées à Londres. C'est l'un des points clés pour la place de Paris.

Ne pas donner de prime aux sortants signifie, sur le plan économique, la fin du passeport financier européen. Ceci doit être clair : il ne doit même pas y avoir de discussions. Il existe, au sein de l'Union européenne, une notion de passeport financier européen : si vous vous installez dans un point quelconque de l'Union européenne - Paris, Francfort, ou Milan - vous pouvez à partir de là opérer et vendre des services financiers dans toute l'Europe.

Un certain nombre de grandes banques américaines, chinoises, ou japonaises, se sont installées à Londres pour opérer dans toute l'Europe, où la clientèle est considérable et constitue le plus grand marché du monde pour les banques internationales. Certaines des banques chinoises qui voulaient attaquer le marché européen se sont installées dans la capitale britannique pour des raisons de facilité et d'attractivité.

Les banques américaines, qui étaient présentes dans beaucoup de pays d'Europe, du fait du passeport financier européen, ont concentré leurs activités sur Londres. Une banque comme JP Morgan, qui est présente depuis cinquante ans en France, n'a plus ici que quatre cents personnes et emploie quinze mille personnes à Londres pour attaquer tout le marché européen grâce au passeport financier européen.

Après le Brexit, il ne doit plus être possible de vendre des services financiers dans toute l'Union européenne à partir d'une base extérieure à celle-ci. Et si ces grandes institutions américaines, japonaises, asiatiques, moyen-orientales, veulent comme elles le souhaitent avoir des clients dans l'Union européenne, il faudra qu'elles s'y installent.

La question est double pour elles : il ne s'agit pas de savoir si elles doivent transférer certaines activités hors de Grande-Bretagne, mais quand et où s'installer.

Pendant un certain temps, et du fait du doute instillé par la City, qui avait laissé entendre que le système était réversible, elles ont envisagé d'attendre l'activation de l'article 50 puis les deux années de négociation, ce qui repoussait assez loin les décisions.

Mme May a dit qu'elle allait activer l'article 50 avant la fin mars de l'année prochaine. Cela signifie que le processus, du point de vue du gouvernement britannique, est clairement irréversible. Les banques ont donc estimé qu'il fallait maintenant prendre la décision. Elles sont en train de réfléchir, et ce sont des milliers d'emplois qui doivent quitter Londres.

Il est certain qu'il existe une compétition entre Paris, Francfort, Amsterdam, Luxembourg et Dublin pour recevoir des implantations dans l'Union européenne, et il faut évidemment que Paris défende son rang et cherche à capter le maximum d'activités. C'est là le premier principe.

Le second principe réside dans une égalité dans les règles de concurrence. Après le Brexit, la Grande-Bretagne devient un pays tiers, sauf s'il existe des accords particuliers nécessitant l'application stricte du principe de réciprocité dans l'accès au marché intérieur, mais aussi à la libre circulation.

La Grande-Bretagne ne peut simplement demander l'accès à tous les marchés, même en mettant en avant le principe de réciprocité pour ce qui concerne les produits et les services, et être restrictive sur le plan de la libre circulation des personnes.

Enfin, le contrôle de la monnaie et des marchés est un point très important. L'Union européenne, sans la Grande-Bretagne, ne peut être dépendante de Londres. Il faut bien entendu contrôler les activités de compensation. On ne peut accepter que ces activités soient situées en dehors de l'Union européenne.

J'ajoute que le projet de fusion entre la Bourse de Francfort et celle de Londres crée une situation assez baroque. La place de Paris cherche donc à s'opposer à cette opération, née avant le Brexit, à un moment où personne ne pensait que le référendum aurait cette issue. Cette opération n'aurait jamais vu le jour si elle n'avait été lancée avant. Le problème vient du fait qu'elle a, sur le plan des marchés et dans les conseils d'administration, un aspect irréversible. Il n'y a plus que l'Union européenne qui puisse la bloquer aujourd'hui. C'est ce que nous souhaitons.

40 % des transactions sur l'euro ont aujourd'hui lieu à Londres. Ce n'est plus acceptable. Il faut retrouver le contrôle de la monnaie et des infrastructures monétaires et financières à l'intérieur de la zone euro. La place de Paris a des atouts. Elle s'est mobilisée, et je voudrais le souligner.

La place de Paris tient son rang par rapport à Londres, Francfort ou aux autres places européennes. Londres est en tête sur beaucoup de marchés, mais pas sur tous. Sur d'autres, Paris est en tête, et nous sommes en deuxième position sur beaucoup de segments. Au total, on peut dire que Paris est le numéro deux. Une fois Londres sortie de l'Union européenne, Paris a la première position sur les places financières.

Nous avons cinq banques françaises dans le top vingt européen, alors que l'Allemagne n'en compte qu'une, en mauvaise santé, la Deutsche Bank. Dans le domaine des émissions obligataires, Paris faits trois fois ce que fait l'Allemagne. Dans le domaine de l'Asset management - la gestion d'actifs, métier dans lequel Paris vient juste après New York - les activités de Paris représentent deux fois les activités allemandes.

Dans le domaine des green bonds, ces obligations environnementales, les activités se développent beaucoup et la place de Paris veut prendre une position de leader de la finance verte. Nous avons lancé, avec Arnaud de Bresson, délégué général de Paris Europlace, une initiative en matière de finance verte et durable, où Paris a beaucoup d'atouts. Paris a pris de l'avance et fait presque jeu égal avec New York pour les émissions de green bonds. Je signale qu'Engie a émis le plus gros green bonds jamais créé par une société dans le monde - 1,5 milliard d'euros - il y a un an et demi, grâce aux acteurs de la place de Paris.

Paris a aussi des handicaps économiques en matière de compétitivité et d'attractivité, comme de fiscalité ou de marché du travail.

Avec Arnaud de Bresson, nous avons fait le tour d'un certain nombre de grandes banques. L'activité bancaire est très cyclique. Quand les marchés vont bien, les banques de marché se développent beaucoup et les effectifs augmentent. Quand ils vont moins bien, les effectifs doivent pouvoir rétrécir. Or, en France, il existe des contraintes. On n'a pas assez de facilités de ce point de vue.

Sur le plan de la fiscalité, nous disons souvent qu'il faut remettre celle de l'épargne à l'endroit. En France, celle-ci favorise plutôt l'épargne liquide et sans risque plutôt que l'épargne à long terme et à risques, c'est-à-dire les actions. Il faudrait en France une fiscalité qui favorise ce marché.

La taxe sur les salaires handicape principalement les activités financières, qui ne sont pas soumises à TVA. Bien qu'en France l'industrie financière génère 1,2 million d'emplois et finance l'économie, elle est pénalisée. Au moment de la localisation des activités, la taxe sur les salaires va constituer un problème et un handicap.

Néanmoins, immédiatement après le Brexit, l'ensemble des acteurs de la place ont réagi très positivement. Il se trouve que, quinze jours après le référendum, Paris Europlace organisait sa réunion annuelle au Pavillon d'Armenonville. C'est le lieu où le ministre des finances, qui vient régulièrement, trouve une tribune pour délivrer un message à toute la finance française et internationale.

Cette année, le Premier ministre, Mme Anne Hidalgo et Mme Valérie Pécresse sont venus dans une sorte d'union sacrée, tout le monde tenant le même discours et partageant le même objectif : faire de Paris la première place financière d'Europe et développer ses atouts.

Les éléments sur la table concernaient l'amélioration du régime des impatriés éléments très positifs, ce qui signifie que les Français qui sont aujourd'hui à Londres depuis plus de cinq ans pourront revenir et bénéficier d'un régime fiscal personnel favorable pendant huit ans. J'ajoute que cette disposition a été votée dans la loi de finances initiale par l'Assemblée nationale, droite et gauche réunies.

Deuxièmement, le Premier ministre a à nouveau confirmé que le taux d'impôt sur les sociétés passerait à 28 %. C'est dans la loi. On se rapproche de la moyenne européenne.

Troisièmement, un nouveau lycée international verra le jour, avec l'aide de la région Île-de-France et de l'État.

Enfin un guichet unique a été inauguré il y a quinze jours pour les entreprises qui veulent s'installer à Paris. Les administrations, la ville de Paris, la région Île-de-France et l'État ont réagi extrêmement vite.

Cette union sacrée jouit cependant d'une image un peu fragile. Elle a beaucoup marqué tous les interlocuteurs de la finance. Certains gardaient des images caricaturales du rapport à la finance.

Ce qui a été annoncé en juillet a été mis en oeuvre, le guichet unique a été inauguré en quelques mois, les dispositions sur les impatriés votées à l'Assemblée nationale. Cela a eu énormément d'effets.

En revanche, je le dis très clairement, ce qui a fait mauvais effet, ce sont les initiatives prises par le Parlement sur les trois points que sont les actions gratuites, la taxe sur les transactions financières et la taxe intraday.

La disposition relative aux actions gratuites a été réintroduite dans la loi Macron. C'est à peu près le seul dispositif d'incitation à long terme qui subsiste, le reste ayant été supprimé ou n'ayant plus d'intérêt. Or, c'est absolument indispensable. Ce dispositif était dans la loi au moment où ont eu lieu les assemblées générales du printemps. Des entreprises cotées, comme Engie, ont utilisé ces dispositions pour voter la distribution d'actions à sept mille personnes. On envisage d'ailleurs une autre cession pour en donner un peu à tout le monde. C'est ce que l'on faisait dans le passé avec les dispositifs qui existaient.

Or cette disposition a été remise en cause lors de l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale.

Alors que les autres villes concurrentes de Paris sont en train de s'observer, on offre à Francfort et au Luxembourg l'argument de l'incertitude juridique et fiscale sur un plateau !

La taxe sur les transactions financières, dès qu'on en élèvera le taux, va faire fuir ces dernières. Or, il n'y a rien de plus volatile qu'une transaction financière. Ce n'est pas le moment de créer un handicap. Le faire maintenant est incompréhensible.

Enfin, on a créé une nouvelle taxe sur les transactions journalières qui affecte l'intraday, ces transactions qui ont lieu plusieurs fois dans la même journée.

Cela n'a rien à voir avec les transactions à haute fréquence, dans lesquelles on essaye de devancer le marché d'une microseconde grâce aux ordinateurs, et de profiter d'une information qu'on apprend juste avant qu'elle ne soit diffusée.

Ce n'est pas le cas dans l'exemple présent : les transactions s'opèrent naturellement dans la même journée, le matin, l'après-midi. Il se peut qu'elles aient lieu plusieurs fois dans la même journée. Il n'y a aucune raison de considérer qu'il s'agit de spéculation. C'est un signal inutile envoyé à un moment où il faut au contraire envoyer des messages dans l'autre sens.

J'abuse de votre invitation pour dire que le projet de loi de finances va revenir en deuxième lecture. Ses dispositions pourraient ne pas être examinées par le Sénat, mais je connais votre influence. Cette initiative est très regrettable.

La place de Paris est très mobilisée pour défendre ses intérêts. Nous avons des atouts. Les premières analyses ont été très positives. Il ne faut donc pas les gâcher, mais cela ne suffit pas. Il faut prendre des mesures encore plus générales.

Paris Europlace est en train de rédiger un Livre blanc assez court sur les mesures que nous aimerions pouvoir présenter aux différents candidats à l'élection présidentielle.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Messieurs les présidents, vous avez mis en place un groupe de travail sur le Brexit, et j'ai souhaité, avec le rapporteur général de la commission des finances, être associée à vos travaux dès lors qu'ils ont quelque chose à voir avec la finance.

La commission des finances a toujours accordé une grande importance à la place de Paris - le président Marini l'a maintes fois rappelé. Nous allons d'ailleurs mener des travaux approfondis en ce sens dans les jours qui viennent.

J'ai eu la chance de vous entendre hier soir, Monsieur Mestrallet, avec quelques collègues parlementaires, dans un autre lieu. Vous avez souligné les points encourageants de l'union sacrée, dont vous dites qu'elle est indispensable. Vous avez raison, et les parlementaires doivent en faire partie. C'est ce que nous ferons pour ce qui nous concerne.

Vous avez dit ce que vous pensiez du Brexit, qui constitue un sujet d'inquiétude pour tous. C'est peut-être une chance, tout comme l'arrivée de nouveaux dirigeants de l'autre côté de l'Atlantique. La loi Dodd-Frank sera-t-elle remise en cause ? Les régulations adoptées aux États-Unis peuvent-elles être un sujet de difficultés supplémentaires ? Quid de la place de New York par rapport à Londres ?

Soyez sûr de la disponibilité de la commission des finances à propos de ce sujet. Sachez que toutes les travées de notre assemblée accordent de l'importance à la place de Paris.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Je m'associe aux remerciements de la présidente s'agissant d'un sujet qui intéresse particulièrement la commission des finances, et sur lequel nous allons travailler dans les prochaines semaines.

Merci tout d'abord, monsieur Mestrallet, d'avoir souligné l'union sacrée qui se manifeste à travers ce guichet unique, mais aussi certaines contradictions, comme le régime des impatriés. On est peut-être passé à côté d'une catastrophe.

S'agissant de la taxe sur les transactions financières, la position du Sénat, même si elle ne s'exprime pas cette année dans la loi de finances, est connue. C'est en effet un sujet récurrent. Nous avons rejeté l'extension de la taxe l'année dernière. Nous avons d'ailleurs les plus grands doutes sur la constitutionnalité du dispositif qui pourrait être voté.

Ce sera un sujet dont nous serons, je pense, amenés à reparler. Il est en effet contradictoire d'afficher la volonté d'être compétitif par rapport à d'autres places et d'émettre en même temps des signaux défavorables qui ne pourront qu'être exploités par les concurrents de la place de Paris.

S'agissant du passeport financier européen, on a bien compris que le principal risque, pour les entreprises financières installées dans la City, était de perdre leur passeport financier européen, mais certains analystes estiment qu'il pourrait y avoir des accords bilatéraux permettant d'en contourner l'absence. Quelle est analyse de ce point de vue ?

Ma deuxième question porte sur les atouts et les faiblesses des places concurrentes de Paris : Francfort, Luxembourg, Dublin, Singapour, Hong-Kong. Quelles sont les places qui ont le plus d'atouts ?

New-York ne présente-t-il pas un nouvel avantage, Donald Trump ayant annoncé sa volonté de mettre fin au « Dodd-Frank Act », ce qui conférerait un regain de souplesse aux États-Unis ?

Quel pays, en dehors de la France, risque d'être le plus attractif pour les entreprises amenées à quitter Londres ?

M. Christian Cambon. - Monsieur le président, vous avez exposé toutes les actions que mène Paris Europlace, l'Île-de-France mais aussi d'autres capitales européennes pour attirer des investissements, des sièges d'entreprises, notamment financières, qui quitteraient Londres. J'en suis le témoin, en tant que parlementaire d'Île-de-France, et j'essaie, avec nombre de mes collègues, d'en être aussi l'acteur.

Néanmoins, lorsque nous nous sommes rendus à Londres avec le président Raffarin, quelques jours avant le Brexit, nous avons rencontré un certain nombre d'interlocuteurs, qui nous ont conseillé de ne pas nous y tromper, que la Grande-Bretagne se redresserait et deviendrait à terme le Singapour et le Hongkong de l'Europe, après s'être débarrassée de toutes les réglementations européennes, et qu'elle aura à nouveau conclu des accords avec les grandes puissances, qui n'attendent que cela.

La Grande-Bretagne, après avoir absorbé ce premier choc et vécu une baisse de la livre, ne va-t-elle pas remonter la pente et apparaître dans deux ou trois ans comme un acteur économique particulièrement vigoureux ? Ne peut-on avoir face à nous un Royaume-Uni décomplexé qui, grâce à des baisses fiscales, attire à nouveau des entreprises vers Londres ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Monsieur le président, je vous félicite pour votre initiative de juillet, lorsque vous avez réuni le Premier ministre, ainsi que Mmes Hidalgo et Pécresse. Je suis heureux que trois des quatre décisions qui ont été prises aient été mises en place - même si je suis plus sceptique sur la diminution de deux points de la pression fiscale sur les entreprises, qui ne va guère nous rendre plus compétitifs. Il s'agit d'un effort de la part du Gouvernement.

S'agissant du passeport financier européen, certaines banques londoniennes affirment qu'elles créeront des antennes en Europe et pourront ainsi continuer à fonctionner comme avant. Je ne sais si cet argument est valable, mais je le cite.

Nous venons d'avoir un débat sur le statut de Paris au Sénat. La ville de Paris s'enferme dans une logique de deux millions d'habitants. Or, Paris est un ensemble, c'est le Grand Paris. J'en veux pour exemple le département des Hauts-de-Seine qui, avec La Défense, compte trois millions de mètres carrés de bureaux, ou celui de Seine-Saint-Denis, qui devient une grande puissance économique dotée de 1,6 million de mètres carrés de bureaux, avec Le Bourget, plus grand aéroport européen, et Roissy. C'est pourquoi je pense qu'il manquait à votre réunion de juillet les deux présidents de conseil général qui participent à cette dynamique.

J'ai dit à Jean-Louis Missika, qui n'a pas voulu me croire, qu'il commettait une erreur en interdisant les bureaux dans l'ouest de Paris au profit de l'est de la capitale. Paris est une très belle ville, et je suis convaincu que, sans notre environnement fiscal, nous n'aurions pas eu de concurrence avec Londres. Les gens seraient en effet plus volontiers venus à Paris plutôt qu'à Londres, mais nous avons un problème de plan local d'urbanisme. Ceux qui vivent à Londres préfèrent venir dans des quartiers réputés chics - VIIe arrondissement, VIIIe arrondissement, XVIe arrondissement, ou dans le centre - plutôt que d'aller dans l'est parisien, bien qu'un gros travail y ait été fait.

Il est vrai qu'on a aussi un problème avec l'image de Paris. Les attentats nous ont coûté très cher. L'économie principale de Paris, c'est le tourisme. L'activité financière vient en second. Il s'est greffé des éléments négatifs sur cette question, comme les problèmes de sécurité. L'image de Paris se dégrade. Vous êtes très écouté : peut-être faudrait-il avoir une action au sein du Gouvernement, quel qu'il soit, des instances de la mairie et des conseils généraux, car je pense que c'est un des éléments qui n'est pas très positif pour l'image de la place de Paris.

Il y en a peut-être d'autres, mais je ne veux pas m'opposer à Anne Hidalgo en évoquant les problèmes de circulation...

M. Éric Bocquet. - Cette audition fort intéressante nous situe au coeur de l'un des sujets principaux du Brexit. Je partage le constat de notre collègue Christian Cambon à propos d'un Royaume-Uni décomplexé qui, demain, redressera la tête, cela ne fait aucun doute. Je pense même que le processus est déjà enclenché.

Pour autant, je ne rejoindrai pas l'union sacrée pour défendre à toute force la place financière de Paris, non que j'éprouve une phobie de la finance, mais je me méfie d'une certaine finance, qui génère les dégâts que l'on sait.

La machine compétitive est déjà en marche dans le monde, et pas seulement à l'échelle européenne : l'une des premières annonces de M. Trump a été de s'engager à diminuer l'impôt sur les sociétés de 35 % à 15 % et d'alléger la régulation du secteur bancaire.

Il s'agit de deux décisions majeures, alors que beaucoup d'observateurs économiques nous disent que les ingrédients d'une nouvelle crise financière sont réunis aujourd'hui, et que ceci pose question.

Les groupes du numérique sont déjà en train d'investir au Royaume-Uni, indépendamment du Brexit. Cela ne nuit en rien selon moi à la compétitivité fiscale et juridique du Royaume-Uni. Mme May vient d'annoncer elle aussi une diminution de l'impôt sur les sociétés, qui sera à 17 % pour 2020, avant de passer à 15 % à terme. Facebook vient de décider de construire un nouveau siège à Londres, entraînant dès à présent la création de cinq cents emplois et de quinze cents à terme. Google fait la même chose avec un milliard de livres d'investissement, un quartier général installé également à Londres dans l'ancienne centrale thermique de Battersea et mille quatre cents employés. Tout cela n'est donc pas fini, au contraire.

La place de Paris est effectivement en concurrence avec Dublin, Francfort, et Amsterdam à l'échelle mondiale. Je crains que l'on trouve là les ingrédients d'un dumping fiscal effréné pour attirer les activités de l'industrie financière, ainsi qu'un dumping réglementaire. Est-ce bien le moment, alors que l'Union européenne essaye de mettre en place l'union bancaire et monétaire afin de tirer les leçons de 2008 ? C'est un peu timide, mais il y a au moins là un affichage.

On met en cause les décisions contre-productives que le Parlement prend à propos de la taxe intraday, des transactions financières, et des actions gratuites : il en a le droit, que je sache ! On peut ne pas être d'accord, mais cela va dans le sens d'une régulation nécessaire de l'industrie financière qui nous a coûté très cher ces dernières années !

Moins de 2 % des transactions financières qui ont lieu dans le monde ont un rapport avec l'économie réelle et la production de biens et de services pour les citoyens ! C'est un vrai sujet : peut-on continuer à procéder ainsi ?

Ce sont là mes interrogations profondes sur le sujet.

M. Richard Yung. - L'une des questions qu'on peut se poser porte sur la relation avec l'Allemagne. Avez-vous des contacts avec les grandes banques, les banques moyennes et les financiers de l'autre côté du Rhin, voire avec le Gouvernement ? Y a-t-il un espoir d'avoir une action commune, même si celle-ci est rendue plus difficile du fait de l'union entre Deutsche Börse et London Stock Exchange ?

Par ailleurs, selon M. Léglise-Costa, secrétaire général des affaires européennes, que nous avons auditionné ce matin, l'hypothèse d'une sortie sèche, sans aucun accord avec la Grande-Bretagne, n'est pas complètement à écarter. C'est un choc pour moi, car je pensais qu'il était de l'intérêt de tout le monde de trouver un accord avec les Anglais.

Comment voyez-vous ce point ? Cela serait-il une bonne chose ou le redoutez-vous ?

Mme Fabienne Keller. - Monsieur Mestrallet, vous avez dit que dès lors que l'article 50 était déclenché, il ne serait plus possible pour le Royaume-Uni de bénéficier du passeport financier européen.

Je me permets d'insister après mes collègues : ne peut-on imaginer que les transactions continuent à être londoniennes et que, compte tenu de l'accord entre la Bourse de Francfort et la City, celles-ci passent par Francfort ? On est frappé par le pragmatisme de la City. Je n'exclus pas qu'ils travaillent sur ce sujet.

Par ailleurs, l'économie britannique bénéficie d'une dévaluation monétaire et presque d'une stratégie de dévaluation fiscale ou de dumping fiscal. Des annonces assez fortes ont été faites à ce sujet. Quelle est votre analyse ? Quelle pourrait être la réponse française ? Doit-on envisager la stabilité ou l'abaissement des taux ? Faut-il aller plus loin ?

M. André Gattolin. - Il ne suffit pas de dire que l'on n'accorde pas de passeport financier européen aux Britanniques pour ne pas se retrouver dans une situation délicate.

On a, dans le cadre de l'économie numérique, une déterritorialisation de la valeur. Il est donc tout à fait possible d'installer des bureaux de quelques centaines de personnes en Europe et d'opérer un transfert des opérations vers le Royaume-Uni. Est-ce un scénario envisageable ou risqué ? Existe-t-il une contrainte légale ? Il pourrait s'agir de sociétés françaises, avec un habillage britannique...

M. Gérard Mestrallet. - Tout d'abord, une observation générale sur l'utilité de la finance. Je ne suis pas banquier, mais industriel. Pour créer de l'emploi en France et à l'étranger, nous avons besoin ici d'une finance forte, compétitive et de proximité. C'est vrai pour les entreprises, les collectivités locales, et pour les particuliers.

En tant qu'industriel, je défends la finance et la défendrai jusqu'au bout. Nous avons impérativement besoin d'une finance forte. C'était vrai avant le Brexit, ce sera vrai après.

Après le Brexit, la première place financière d'Europe restera Londres. Il ne faut pas espérer que Londres s'effondre. Certaines activités importantes viendront en Europe depuis Londres. Telle grande banque américaine considère que 30 % de ses effectifs travaillent pour le marché britannique, 70 % pour le marché européen, et ils envisagent de transférer les 70 % de l'autre côté de la Manche.

Le marché britannique est assez étroit. Le marché européen est considérable. Il existe plus de grandes entreprises françaises de classe mondiale à Paris qu'à Londres et Francfort. La clientèle est en Europe continentale, et notamment à Paris. C'est très important.

La concurrence ne viendra pas de New York, de Hongkong, de Singapour, de Tokyo ou de Shanghai. Une banque qui serait là-bas perdrait ses clients français et européens. Il faut qu'il existe une certaine proximité. Les banques ne l'envisagent donc pas.

Certains pools de marchés peuvent être internationaux, mais ce n'est pas le gros de l'activité. Ces marchés interconnectés existent déjà et existeront à nouveau demain. La vraie concurrence vient de Francfort, d'Amsterdam, du Luxembourg ou de Dublin.

Nous avons des atouts. Le premier, c'est Paris et sa région. Du point de vue de la qualité de la vie, des infrastructures, de l'agrément, de l'attractivité globale, Paris est la seule ville qui puisse rivaliser avec Londres en Europe. Certaines de nos infrastructures sont même meilleures que celles de Londres, et par rapport à toutes les autres villes européennes, l'activité de Paris est bien supérieure.

Du point de vue des activités financières, Paris est aujourd'hui la première place d'Europe, et le demeurera après le Brexit, mais il s'agit d'une simple photographie, qui peut évoluer très vite. Il faut donc demeurer vigilant et toujours avancer.

L'immobilier, par la taille, est également à l'avantage de Paris pour une banque qui voudrait installer sept mille personnes sur une même place d'Europe continentale. Il n'y a la place ni au Luxembourg ni à Dublin. Tout le monde ne pourra pas non plus aller à Amsterdam...

M. Yves Pozzo di Borgo. - Vous parlez de Paris et du Grand Paris !

M. Gérard Mestrallet. - Bien sûr ! Quand on évoque Londres, c'est du Grand Londres qu'il s'agit. Quand on parle d'Amsterdam, c'est la même chose. C'est très important. On parle là de volumes de transfert très significatifs.

Y aura-t-il des moyens de contourner le passeport financier européen ? Cela dépend de nous ! Ce qu'a dit M. Léglise-Costa est très intéressant : sans accord, on se dirigera vers une sortie sèche, et la position doit être très simple : on ne trouvera un accord que s'il est meilleur pour nous.

Considérons que l'Angleterre est sortie, que s'il n'y a pas d'accord, elle s'en va et que tous les avantages dont elle bénéficiait du fait de son appartenance à l'Union européenne tombent.

L'Angleterre va se tourner vers l'Europe et demander des avantages. Si elle en demande plus qu'elle n'en donne, il faut refuser, et envisager une sortie sèche. Cela dépend de nos négociateurs. La Grande-Bretagne a plus à perdre que nous, puisqu'elle perd d'un seul coup tout le marché européen. Nous perdons la part que représente le marché britannique, bien plus faible en valeur relative, - un contre à sept ou huit.

Il conviendra cependant d'être très attentif. Cela ne dépend que de nous.

Les marchés s'internationalisent, c'est un fait, mais la supervision bancaire a été considérablement renforcée depuis la crise financière. Certes, il existe différents types de réglementation. La réglementation spécifique de l'Union européenne a renforcé considérablement les exigences de capital des banques. Il faut aujourd'hui deux fois plus de capital pour arriver au même niveau de crédit qu'avant la crise. On a réduit la rentabilité des banques.

M. Richard Yung. - C'est une garantie pour la suite.

M. Gérard Mestrallet. - Et cela protège le budget des États.

Il existe des réglementations d'États. En Europe, ce sont les réglementations européenne et américaine qui s'appliquent, mais on trouve aussi des réglementations mondiales, comme Bâle I, Bâle II, Bâle III, qui concernent le monde entier, les États-Unis comme l'Europe.

Je vous concède que les Américains ont été assez habiles après la crise pour imposer des accords très contraignants à tout le monde et en retarder l'application dans leur propre périmètre.

Bien que la crise ait eu pour origine les États-Unis et la finance américaine, quatre ans après, cette dernière en sort renforcée, grandie, et la finance européenne un peu affaiblie, sauf les banques françaises, qui n'ont pas eu besoin de l'argent de l'État. Aujourd'hui, les quatre grandes banques françaises font partie des très grandes banques européennes et mondiales.

Nous avons donc de très grands établissements. Axa, dans le domaine des assurances, est pratiquement la première compagnie mondiale.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense. - Merci. Cela vaut la peine, pour la grande majorité d'entre nous, de se battre et de se mobiliser pour cet objectif.

Il s'agit d'un rapport de forces, et l'on voit bien que les autres, tout autour, jouent cette carte. Il ne faudra donc pas être naïf.

Audition de MM. Nicolas Baverez, essayiste, et Benoît Potier, président-directeur général d'Air Liquide et président de la table ronde des industriels européens

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense. - Merci de contribuer à ce groupe de suivi sur les conséquences du Brexit et la refondation de l'Union européenne. Comment éviter que la prise de position du peuple britannique ne conduise à une déconstruction des solidarités continentales, finalement assez récentes ?

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Notre groupe de suivi porte sur la refondation de l'Union européenne à la suite du Brexit. Quelle est votre analyse de la décision britannique ? Quelles sont ses conséquences économiques ? Beaucoup d'entreprises ont investi chez notre voisin : comment appréhendez-vous cette nouvelle situation ? Comment l'Union européenne peut-elle relever le défi de la compétitivité ? Comment peut-elle s'affirmer dans le contexte de la globalisation en défendant ses intérêts, elle qui est la première puissance commerciale mondiale - ce qu'on a souvent trop tendance à oublier ?

M. Nicolas Baverez, essayiste. - Ce que vous indiquez est exact : le Brexit est un changement de donne majeur, une disruption, c'est-à-dire un événement à la fois peu prévisible, assez irréversible par ses conséquences, et extrême.

Il s'agit d'un événement qu'il convient de mettre en rapport avec l'élection de Donald Trump, autre rupture majeure qui a aussi des conséquences très importantes pour l'Europe. En effet, si les positions néo-isolationnistes de Barack Obama devaient se confirmer, ceci aurait des conséquences en matière de commerce, d'alliances et de fonctionnement de l'OTAN.

On voit derrière ceci un changement de cycle fondamental. Même si Donald Trump ne met pas en route toutes ses mesures protectionnistes, on est dans un cycle placé sous le signe de la démondialisation. Il ne faut toutefois pas confondre ce qu'on souhaite et ce qu'on constate. Je défends plutôt la mondialisation, mais il faut regarder ce qui se passe froidement et ne pas confondre ce qu'on souhaite avec ce qui est.

Un écart croissant va se creuser entre l'Europe et les États-Unis, qui ne veulent plus assurer ni la croissance ni le développement ni la sécurité ni la stabilité du continent de manière inconditionnelle. Il s'agit d'une forme de remise en question de ce qu'on a pu appeler l'« Occident ».

Ce choc populiste est important pour l'Europe. Comme vous le savez, les élections à venir sont nombreuses - Autriche, Italie, Pays-Bas, France, puis Allemagne.

Un coup d'arrêt peut être donné à un certain nombre de ces évolutions, mais elles peuvent également connaître une accélération spectaculaire - et ce qui se passe en France est évidemment très important de ce point de vue.

Le Brexit est un élément à la fois irréversible et introuvable, irréversible parce que le vote du peuple britannique ne peut être renversé et qu'il va peser jusque sur les membres de la Chambre des communes s'ils doivent s'exprimer, introuvable parce que, contrairement à ce qui avait été dit, cela va être long et compliqué.

La décision de la Haute Cour de Londres concernant l'article 50 est très claire. Elle sera selon moi confirmée en appel. Le gouvernement britannique n'a en effet pas de véritable argument pour dire qu'il s'agit d'une compétence de la Couronne. En revanche, il existe bel et bien une symétrie des formes par rapport à 1972. Des pans entiers de la loi nationale britannique ont été modifiés.

Enfin, comme tout traité, celui-ci a vocation, dans la plus ancienne démocratie parlementaire du monde, à relever de la compétence du Parlement. Cela va donc prendre du temps et susciter sans doute pas mal d'avatars.

Au plan interne, Mme May n'a pour l'instant ni mandat des électeurs ni du Parlement ni même de son parti pour conduire un changement politique très important en Europe et dans son pays.

Cela va également prendre du temps pour l'Europe. Si l'on veut conduire les choses comme il faut, le cycle prendra une dizaine d'années. Ce sera donc beaucoup plus compliqué que cela a été dit.

Pour le Royaume-Uni, paradoxalement, cela ne change rien à court terme. Un peu comme à la suite de l'élection de Donald Trump, une sorte d'euphorie prévaut. En effet, la livre a été dévaluée de 15 %, le tourisme français connaît d'énormes problèmes. Toute une série de choses font que, cette année, les Britanniques vont avoir une croissance de 2,2 % ou 2,4 %, confirmant le plein-emploi. L'inflation commence à monter mais rien n'est véritablement inquiétant.

Pour les dix années à venir, c'est beaucoup plus compliqué. Depuis l'indépendance de l'Irlande du Nord, au début du XXe siècle, le Royaume-Uni n'a jamais connu de crise institutionnelle de cette nature. Il existe un vrai problème de compétences entre le gouvernement et le Parlement, ainsi qu'une crise des partis. Le seul à ne pas la subir, c'est Ukip. Tous les autres sont divisés et connaissent des difficultés de leadership et de ligne politique.

Pour ce qui est de l'économie, Mme May a amorcé la sortie de l'ère Thatcher - mais on ne sait si elle aura réellement les moyens politiques de le faire. On va entrer dans un système dévaluation-inflation-déficit.

Il ne faut jamais oublier que le Royaume-Uni vit des services qu'il rend au reste du continent européen et qu'il connaît un déficit de sa balance courante de 5,2 points de PIB. Il faut donc faire rentrer des capitaux. Comment y parvenir dans un pays dont la monnaie se déprécie, qui peut par ailleurs avoir des difficultés d'accès à l'Union européenne ?

De ce point de vue, au moins deux secteurs sont critiques, le secteur financier et le secteur du numérique. Il existe aussi des effets ambigus : le numérique américain est en train d'investir massivement le pays, comptant échapper aux régulations européennes. Toutefois, se mettre en dehors du marché européen constituera à terme une vraie difficulté.

Quant à l'industrie, Mme May a passé avec Nissan un accord dont ni les Britanniques ni l'Union européenne ne parviennent à savoir ce qu'il contient, mais qui fait l'objet de demandes reconventionnelles de la part de différentes industries, comme la pharmacie, par exemple.

Enfin, la crise nationale est pendante avec l'Écosse.

L'Union européenne, par ailleurs, est confrontée à deux chocs : gérer le Brexit et adopter une stratégie de négociation qui va être longue, difficile et très conflictuelle. Les Britanniques ont beau avoir la meilleure diplomatie du monde, ils ne peuvent avoir de meilleurs accords que celui dont ils disposaient : ils étaient dans le grand marché, en opt out sur Schengen et sur l'euro. Ils détenaient tout le marché de l'euro, géraient les fonds de l'enseignement supérieur et de la recherche, avaient pris le pouvoir politique et intellectuel et ne payaient que la moitié de la cotisation au club, puisqu'ils versaient 16 milliards d'euros et qu'on leur rendait 8 milliards d'euros.

Ils ne pourront jamais retrouver l'équivalent. La négociation sera donc compliquée et longue. Cela signifie qu'il faut que l'Union européenne se prépare à la conduire. L'objectif de la diplomatie britannique sera assez simple : il consistera à partager les pays entre l'industrie, la banque, etc., et de dire aux industriels allemands qu'ils doivent continuer à vendre au Royaume-Uni, en essayant d'opposer les uns aux autres.

La seule stratégie est donc de refuser le saucissonnage de la négociation et d'éviter la fragmentation des vingt-sept membres de l'Union européenne face aux Britanniques. Si on tient sur la durée, ils sont normalement dans une position plutôt fragile.

Se pose ensuite la question de l'avenir de l'Union européenne. C'est un choc majeur. Depuis les années 1950 et le lancement de ce processus, on n'avait jamais connu de sortie, a fortiori dans des pays majeurs de cet ensemble - et le Royaume-Uni en est assurément un.

Selon moi, il convient en premier lieu de stabiliser l'Union européenne dans son périmètre et dans ses missions. L'idée d'un ensemble qui s'étend de manière permanente est de ce point de vue déraisonnable et crée le populisme.

Un pays pose un problème majeur, c'est la Turquie. Cette candidature est une folie, compte tenu de l'évolution du régime turc. Il faut être très clair : il va falloir nouer des partenariats stratégiques avec le Royaume-Uni, la Russie, la Turquie, mais on ne peut aujourd'hui discuter avec ce pays tel qu'il est. La poursuite de négociations sur une entrée de la Turquie dans l'Union européenne relève de l'aberration si l'on veut être aimable, et de la forfaiture si l'on veut parler vrai.

Par ailleurs, je pense que l'idée qui prévalait selon laquelle on devait aller toujours plus loin dans l'intégration est mauvaise. L'Union européenne doit être forte dans les secteurs où elle est décisive, quand il s'agit de discuter avec les autres géants de la mondialisation. On n'ira pas très loin si l'on veut négocier individuellement des traités commerciaux avec la Chine ou les États-Unis. Les Britanniques vont d'ailleurs s'en rendre compte.

Il en va de même du changement climatique, d'un certain nombre de dispositions sur la sécurité vis-à-vis de la Russie ou de la Turquie, et de la lutte contre le terrorisme. L'Europe est absolument pertinente dans la gestion des risques globaux du XXIe siècle. En revanche, elle est allée bien trop loin dans toute une série de domaines, qui présente une valeur plutôt retranchée.

Pour ce qui est de l'euro, il va falloir renforcer les mécanismes fondamentaux et prévoir des convergences fiscales et sociales, avec des sortes de « serpents », comme pour la monnaie.

Il va également falloir régler le problème des banques. Une des grandes différences avec les États-Unis réside dans le fait que les banques européennes ne sont ni restructurées ni recapitalisées. Elles n'ont même pas une législation fiable. Le Dodd-Frank Act présente l'intérêt d'avoir été voté en 2009. Depuis, les banques américaines connaissent leur environnement et se sont reconstruites. Elles sont à présent en train de liquider nos banques, que rackette le régulateur américain.

Pour ce qui est du grand marché, il faut être clair si l'on doit basculer dans un monde protectionniste. Je suis libre-échangiste, mais de même qu'il est absurde d'être protectionniste dans un monde libre-échangiste parce qu'on perd de la croissance et de l'emploi, si l'on veut continuer à être libre-échangiste dans un monde protectionniste, on va au suicide. Si cela doit basculer, même si ce n'est pas souhaitable dans l'absolu, il faudra protéger le grand marché.

Il faut également absolument agir sur les infrastructures, notamment numériques et éducatives. C'est d'ailleurs dommage, car c'est un domaine, avec Erasmus, où l'Europe fonctionne très bien : on dispose d'acquis considérables dont peu de gens parlent. L'éducation est fondamentale. En effet, si l'on veut essayer d'acclimater cette révolution technologique très forte, les secousses du capitalisme, la crise des classes moyenne, la lutte contre le populisme, l'éducation est un point de passage obligé.

Enfin, une Union européenne de la sécurité est également nécessaire, avec trois missions : lutter contre le terrorisme, protéger les infrastructures essentielles et contrôler les frontières extérieures de l'Union européenne. C'est fondamental. Frontex ne peut seulement être une agence de moyens : il faut en faire une vraie police des frontières extérieures de l'Union européenne.

La condition repose sur un couple franco-allemand qui fonctionne. Pour ce faire, il faut que la France cesse de décrocher sur le plan économique et social.

Pour notre pays, c'est une occasion inespérée - et pas seulement sur le plan économique. Il faut qu'on la saisisse.

Sur le plan économique, il est clair que l'on va assister au départ du Royaume-Uni de banques, de compagnies d'assurance, d'entreprises technologiques, voire industrielles. Cela va porter sur plusieurs dizaines de milliers d'emplois. C'est un véritable enjeu pour nous.

Aujourd'hui, Paris n'est absolument pas sur le radar, contrairement à Dublin, Amsterdam, Francfort et, à la marge, pour certains fonds, à Genève ou, pour d'autres, qui n'ont pas un besoin vital de l'euro, à New York. Le Luxembourg, quant à lui, est à peu près à saturation, et Francfort n'est pas une ville très internationale.

Paris n'est pas sur le radar pour des raisons de compétitivité, d'instabilité réglementaire et fiscale, et de sécurité. Il faut s'attacher sérieusement à régler ceci. J'ai une suggestion modeste et pragmatique à vous faire : de même qu'il existe un statut d'impatrié pour les personnes physiques, il faudrait créer un statut d'impatrié pour les entreprises sur une durée limitée. Il faut aller vite. Les entreprises sont en train de choisir aujourd'hui ce qu'elles vont faire dans trois ou quatre ans. Je pense que l'on peut constitutionnellement créer un statut d'impatrié pour des personnes morales.

Enfin, pour notre pays, il s'agit d'un repositionnement stratégique et diplomatique extrêmement important. Après le Brexit, nous serons en effet le seul pays membre permanent du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies, seule puissance nucléaire de l'Europe à vingt-sept membres, capable de conduire des opérations militaires, d'entrer sur des théâtres d'opération, avec des possibilités de projection et de commandement d'opérations complexes. Cela donne une capacité d'entraînement importante. Il faut que nous nous en saisissions.

Il faut faire avec cet événement qui, en soi, est extrêmement dommageable pour le Royaume-Uni comme pour l'Europe. Pour la France, il existe une manière de l'utiliser au service de notre redressement. Paradoxalement, notre pays, qui a été depuis plusieurs décennies la nation malade de l'Europe et des pays développés, présente aujourd'hui un intérêt particulier. Les choses s'inversent et nous pouvons contribuer à donner un coup d'arrêt à la vague populiste.

On doit pouvoir mener des stratégies de long terme. C'est l'intérêt de votre assemblée. Il faut évidemment une opposition et une majorité, mais on doit selon moi essayer de rechercher un certain nombre d'axes directeurs pendant une durée suffisamment longue pour obtenir des effets utiles dans l'ordre économique comme dans l'ordre stratégique.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Merci.

Monsieur Potier, vous êtes président de l'ERT, l'European Round Table of Industrialists - la table ronde des industriels européens -. Nous avons examiné vos différentes déclarations, notamment celle du 28 septembre 2016, où beaucoup de points ont été clairement évoqués.

M. Benoît Potier, président-directeur général d'Air Liquide et président de la table ronde des industriels européens. - Un mot sur l'ERT. Il ne s'agit pas d'une organisation de lobbyistes, mais de présidents ou de directeurs généraux représentant une cinquante d'entreprises européennes. L'ERT a été fondée en 1983 parce que l'Europe allait mal. Un certain nombre d'industriels se sont alors proposés pour travailler ensemble et essayer de faire des propositions.

Cet esprit existe toujours et l'organisation comprend aujourd'hui entre cinquante et cinquante-cinq membres issus de secteurs extrêmement différents, qui tentent d'avancer sur le sujet de l'Europe.

En ce qui concerne la France, on y trouve actuellement Cap Gemini, Engie, Lafarge, L'Oréal, Orange, Saint-Gobain, Total et Air Liquide. Nous comptons également de grandes entreprises européennes de tous les secteurs, regroupées au sein de sept groupes de travail.

Le premier concerne le marché unique du numérique. Ce groupe de travail a été créé il y a deux ans et a donné lieu à une série de réunions maintenant devenues récurrentes, avec la Chancelière allemande Angela Merkel, le Président de la République française et le président de la Commission européenne qui, tous les six mois, nous demandent de leur dire ce que nous pensons sur l'avancée de la construction du marché unique numérique. C'est donc une excellente opportunité qui nous a été donnée là. Nous essayons de témoigner, et je puis vous dire que les questions sont précises. La Chancelière nous a par exemple demandé ce que nous pensions des bandes de 700 mégahertz. La liste des sujets est longue - norme 5G, norme RAMI - Reference Architectural Model Industry -, etc. C'est dire si nous descendons dans le détail.

Le deuxième groupe de travail touche à tout ce qui relève du commerce. Nous sommes très préoccupés par le TTIP, le Transatlantic Trade and Investment Partnership, dont nous avons été les promoteurs. On peut le considérer comme mort-né, du fait de la disparition du TPP, le Trans-Pacific Partnership.

Le troisième groupe de travail porte sur l'énergie et les changements climatiques. Beaucoup de choses sont réalisées en Europe sur ces sujets.

Les directeurs financiers des grandes sociétés se retrouvent dans le quatrième groupe de travail, qui traite de tout ce qui est normatif, comme les normes IFRS (International Financial Reporting Standards) mais également des nouvelles normes ou régulations des banques, des assurances, ou des obligations de publication financières des entreprises. Nous essayons d'orienter les organismes européens dans le bon sens.

Le cinquième groupe de travail a pour thème la concurrence. Ceci est extrêmement important, car les règles de concurrence en Europe sont des règles du XXe siècle. Si l'on veut vraiment rendre l'Europe compétitive, il faut se préoccuper à nouveau des règles de concurrence. La Commission européenne fait un bon travail, au sens où les équipes sont excellentes. Elles sont d'ailleurs parmi les meilleures parce que ce sont celles qui ont le plus de pouvoirs et qui les exercent.

Cela étant, la façon dont sont aujourd'hui appliquées les règles au bénéfice de la défense du consommateur et au détriment d'une politique industrielle européenne est un vrai sujet de réflexion. Nous avons fort heureusement réussi, grâce à la Chancelière allemande, à travailler avec les services de la commissaire Vestager. Nous avons eu, il y a huit jours, une réunion plénière à Stockholm, où elle était invitée. Nous avons déjà suivi trois séances de travail avec elle sur la modernisation de l'application des règles de concurrence en Europe.

La compétitivité est fondamentale. Nous nous proposons d'ailleurs de réfléchir à la façon de rendre cette notion plus vivante, et éventuellement de publier une sorte d'indicateur de confiance des industriels européens par rapport à l'environnement européen.

Nous le vivons en effet tous les jours. La stabilité est un des facteurs clés de l'Europe. Le manque de stabilité est un frein colossal au développement de l'économie. On n'embauche pas et on n'investit pas quand on ne sait pas si les règles en vigueur seront maintenues.

Enfin, une réflexion importante est menée sur les changements sociétaux et les questions de diversité dans les conseils ou les managements, mais également sur l'impact du numérique et de l'automatisation sur l'emploi.

Je crains personnellement que tous les bénéfices du numérique soient un jour totalement bloqués par une assimilation entre ce secteur et la globalisation. Ce jour-là, on aura tué une partie de notre croissance future.

C'est un élément de réflexion que nous menons, nous, entreprises européennes. Nous sommes au début de nos réflexions.

La table ronde des industriels européens a connu un certain nombre de présidents, dont un Français en vingt-cinq ans, Jérôme Monod, qui a rempli un mandat de quatre ans. J'ai l'honneur d'en être le président actuel. J'ai déjà fait plus de la moitié de la totalité de mes mandats. Un nouveau président sera élu en 2018. Il s'agit d'une présidence tournante, et nous sommes très attachés à ce système.

Je voudrais revenir sur le numérique et l'énergie et le climat, avant d'aborder ensuite le Brexit et ses conséquences pour les entreprises.

Le numérique, c'est l'opportunité de créer d'emblée un marché européen...

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Malgré les Américains ?

M. Benoît Potier. - Bien sûr. Il s'agit d'un marché déjà fort au niveau européen.

Nous nous battons en fait pour réaliser l'union dans le domaine des capitaux, de l'énergie, de la monnaie. Or, il n'existe pas encore de décloisonnement du marché du numérique. Le pire serait de laisser faire chaque pays et d'avoir des réglementations qui se mettent en place pour se retrouver dans cinq ans dans l'obligation de réaliser l'union du numérique.

C'est un combat essentiel : si nous voulons gagner les batailles du futur, il faut d'emblée positionner le numérique au niveau européen. Nous avons l'oreille très favorable des chefs d'État.

On en vient ensuite à la phase de mise en oeuvre. La France a, l'année dernière, voté une loi numérique qui permet de se raccorder avec une future législation européenne. Mon sentiment est que l'on aurait été mieux inspiré de s'entendre avec les Allemands pour réaliser immédiatement un travail en commun afin d'obtenir une loi identique pour les deux pays. Le jour où il existera des initiatives sensées franco-allemandes, on entraînera très facilement tous les autres pays d'Europe. C'est donc un vrai combat que l'on mène.

Dans le domaine du numérique, le diable est dans les détails. Il faut probablement mener avant tout un combat sur les normes. Ceux qui vont définir les normes seront gagnants parce que toutes les entreprises du périmètre se caleront instantanément sur celles-ci.

Parmi les normes figurent celles de la 5G, qui constitue le futur en matière de communication. C'est un peu l'infrastructure physique et logicielle du système. Cela concerne aussi les normes dites API, ces normes relatives à l'Application Programming Interface, qui concernent les interfaces de programmation des applications, et permettent à n'importe quelle start-up qui a écrit un petit programme pour smartphone de communiquer avec la plateforme Apple ou Samsung. Cela existe depuis vingt-cinq ans. Une telle norme européenne serait extrêmement puissante. On a ainsi identifié moins d'une dizaine de normes structurantes.

Parmi les autres normes très importantes pour l'industrie se trouvent les normes RAMI, qui touchent l'industrie 4.0. Ce sont des normes qui permettant à tous les objets industriels de communiquer entre eux. Si on avait imaginé la voiture autonome et tous les objets connectés de demain, si l'Europe se dotait d'un jeu de règles définies non par Bruxelles mais en collaboration avec l'industrie, sous contrôle de l'Union européenne, on aurait là quelque chose de très puissant.

Le troisième message que je voudrais véhiculer, c'est que le numérique en soi n'est pas à déconnecter de l'innovation. Beaucoup d'innovations, dans n'importe quel domaine, sont liées au digital. Ce que nous essayons de faire comprendre aux chefs d'État et à la Commission européenne, c'est que le succès des Américains réside essentiellement dans la construction de quelques écosystèmes extrêmement puissants - Silicon Valley, Boston, New York ou Chicago. Il en existe quatre aux États-Unis, et on en dénombre neuf au total dans le monde. On en trouve en Asie, à Pékin et à Shanghai, deux en Israël et un seul en Europe, à Londres.

Qu'est-ce qu'un écosystème puissant ? C'est un écosystème dans lequel on retrouve les financiers, l'innovation - les start-up - les grandes entreprises, le monde académique, et les centres de recherche. Ce sont ces ensembles qu'il faut absolument développer. Cela s'est fait presque naturellement aux États-Unis, et c'est ce qui fait leur force aujourd'hui encore.

Qu'est-ce qui nous empêcherait, en Europe, de créer quatre, cinq, six écosystèmes ? Il en existe un naturel en France, qui est Paris-Saclay. Il faudrait pousser en ce sens. On a là à peu près tout ce qu'il nous faut, à condition qu'on y prévoit des logements, le transport et toutes les infrastructures nécessaires - ce qui n'exclut pas les autres écosystèmes dans les pays en question. On en a également à Lyon, à Toulouse, dans un certain nombre de villes de France, mais les gros écosystèmes sont les plus importants. Il faut garder à l'esprit l'image de la Silicon Valley.

En Allemagne, on peut certainement citer Munich. Berlin est plus dynamique, mais Munich est plus technologique. Stockholm est incontestablement un très gros écosystème. Que va devenir l'écosystème de Londres une fois que le Brexit sera effectif, et quelle doit être la stratégie de l'Europe à vingt-sept membres ? Si on se projette après le Brexit, doit-on ou non favoriser le développement de cet écosystème ? Il en existe également quelques autres ailleurs. On ne peut en dresser toute la liste, mais les industriels européens ont une assez bonne idée de ce qui pourrait être fait.

Je me rends régulièrement aux États-Unis, dans la Silicon Valley et sur la côte Est. Récemment, j'ai découvert le mouvement des makers, ces gens qui fabriquent des objets liés au monde moderne.

Aujourd'hui, aux États-Unis, on regroupe des artisans qui savent former les autres autour d'imprimantes 3D à découpe laser dans des sortes d'entrepôts. Cela existe également à Shenzhen, mais aussi en France, chez Leroy-Merlin, à Ivry. Il s'agit du concept des « techno shops ». On réunit en un même lieu des personnes qui ont le savoir, les machines les plus modernes, des entrepreneurs et des gens sans emploi qui, pour 20 à 50 euros par mois, peuvent suivre des cours pour fabriquer des objets, réparer, avoir des idées, tout en bénéficiant de compétences autour d'eux, et peuvent créer des micro-entreprises qui leur permettent de se repositionner dans la société.

J'ai rencontré aux États-Unis des gens qui le font. Voilà une initiative extrêmement intéressante, qu'on pourrait très bien développer en Europe. J'ai cherché à savoir si les écosystèmes européens disposaient ou non de ce type de graines. Nous les avons, mais les choses ne sont toutefois pas organisées. Cela peut être pris en charge par l'industrie, si les États donnent les moyens et la visibilité nécessaires pour ce faire, et mettent leur poids dans la balance. Il existe en Europe un terrain pour que ce continent devienne l'un des plus compétitifs. Aujourd'hui, nous n'en avons malheureusement pas encore pris toute la mesure. Voilà le type d'actions que mène l'ERT.

Dans le domaine de l'énergie, nous étudions la situation du mix énergétique européen. Il y a beaucoup à dire à ce sujet, notamment au sujet de la transition : on se retrouve avec un charbon si peu cher aux États-Unis qu'il est exporté vers l'Europe, où l'on fait tourner les centrales au charbon et où l'on arrête des centrales au gaz, alors que c'est une aberration en termes de CO2.

On a un vrai problème de stratégie européenne en matière énergétique. Même si les choix des pays ont été différents et que la souveraineté nationale s'exerce dans ce domaine, je pense qu'on sous-optimise considérablement l'aspect énergétique.

Celui-ci ne peut être découplé de l'aspect environnemental. Tout ce qui a été fait en matière d'environnement en Europe ne permet pas aujourd'hui d'aller de l'avant. L'Emission Trading system, le système ETS, ne fonctionne pas. Un carbone à 5 euros la tonne n'est pas incitatif, et la proposition de la Commission européenne consistant à retirer des quotas pour faire monter le prix du carbone tue immédiat l'industrie de la sidérurgie.

Il s'agit d'une industrie lourde, de relativement haute valeur ajoutée, mais qui est en concurrence avec la Chine, en surcapacité. Il faut bien réfléchir à la façon dont on va organiser l'environnement et les règles dans ce domaine en Europe.

J'en viens au Brexit. La première réaction des industriels européens vis-à-vis du Brexit a été la consternation, suivie d'une extrême prudence sur la position à prendre. Nous avons tenu une conference call deux jours après avec l'ensemble des pays représentés à l'ERT. Chacun estimait qu'il fallait faire très attention aux réactions. Les industriels craignaient un risque de contagion européen.

Nous avons eu plusieurs discussions entre nous et lors des réunions franco-allemandes d'Évian, en septembre, qui accueillaient cette année la Chancelière et le Président de la République à l'occasion de nos vingt-cinq ans. Nous avons donc eu une autre occasion de parler du Brexit. Nous avons également partagé un dîner fin septembre réunissant les mêmes participants et le Président de la Commission européenne.

Il est ressorti des discussions que les Britanniques vont jouer la carte de la division. Celle-ci s'exprimera par des négociations sectorielles. Les Britanniques vont chercher à tirer leur épingle du jeu, en particulier dans le secteur de l'énergie. Ils estiment en effet qu'EDF a tout intérêt à discuter avec eux du fait de ses investissements. Dans le secteur de l'automobile, ils vont aller voir Nissan et Renault pour tenter un deal.

Le danger qui guette les Européens, ce sont la séparation et les négociations sectorielles, mais aussi, c'est le dogmatisme. Si les Britanniques négocient - et ils le font en général fort bien - ils vont se montrer très pragmatiques.

La meilleure tactique consiste-t-elle à opposer le dogmatisme au pragmatisme ? Je n'en suis pas sûr. En tant que négociateur, dans mon domaine, je poserai la question de savoir si l'Europe n'a pas intérêt à demeurer pragmatique et à trouver comment régler les différents sujets.

Les Britanniques ne vont avoir de cesse de discuter de façon pragmatique. C'est ce qui ressort des discussions. Les États nous mettent en garde, nous, industriels, contre des négociations trop sectorielles et contre le fait que l'on soit embarqué dans des situations à notre avantage qui nous fassent oublier l'intérêt général.

C'est ce qui ressort des discussions que nous avons ensemble et avec le monde politique.

En matière d'économie, on n'a encore rien vu. Aucune décision n'est prise par les industriels. Quand des centaines de millions sont investis au Royaume-Uni, la priorité n'est pas de s'en aller, mais de savoir comment on va gérer les choses. Il va donc y avoir des effets à moyen terme, voire à long terme.

Je n'attends pas beaucoup d'effets à court terme. En volume, on ne voit rien se passer pour l'instant. Ceci étant, nos interlocuteurs sont consternés, avec une hétérogénéité dans les positions, que ce soit entre les partis ou même entre les industriels, le monde de la finance, etc. C'est la désunion interne, et je pense qu'il faut en jouer, sans opposer au pragmatisme britannique un dogmatisme trop fort.

Enfin, je pense qu'on réalise assez mal le nombre de projets en cours qui ont été inscrits dans l'agenda des sociétés dans le domaine de l'énergie et du climat. Nous sommes tous engagés dans des programmes. L'Europe va-t-elle se faire sans les Britanniques ? À ce moment-là, ce n'est plus du tout pareil. C'est vrai dans la défense, mais aussi dans le numérique.

Faut-il considérer que Londres est encore un écosystème à privilégier, ou au contraire bâtir à grande vitesse les écosystèmes français, allemand et d'Europe du Nord ? C'est une des questions que l'on se pose. Arrête-t-on tous les projets de recherche et développement et démarre-t-on des projets sur le continent ?

En termes d'éducation aussi, ce qui se passe est assez dramatique. Les Britanniques vivaient sur un modèle de business. L'éducation constituait un revenu. On attirait les étudiants pour engranger des revenus dans les universités. On m'a parlé de baisses de volumes de 20 % à 30 % sur les inscriptions. Ce sont des volumes assez significatifs. C'est un vrai sujet.

Il en va de même dans le domaine de la santé et, bien sûr, de la finance. J'ai interrogé les banques américaines que j'ai pu rencontrer depuis, pour savoir s'ils avaient ou non l'intention de rester. Mon sentiment est qu'il n'y aura pas de fermetures de positions importantes en Angleterre, mais des ouvertures de positions sur le continent, que ce soit à Francfort, à Paris ou ailleurs. Il y aura ensuite un principe de vases communicants. À partir du moment où on a ouvert des bureaux, il est assez facile de pouvoir communiquer.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - La seule exception porte sur les chambres de compensation. Le clearing pourrait entièrement basculer dans l'Union européenne. On ne sait pas où, mais cela représente quand même quatre-vingt mille emplois. C'est un gros enjeu.

M. Benoît Potier. - L'Europe devra donc choisir si elle veut avoir une finance globalement gérée à partir de Londres, dans un pays qui n'est plus dans l'Union européenne. C'est un problème stratégique majeur.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Merci à l'un et à l'autre.

Au-delà de toutes les informations que vous avez pu nous livrer, je voudrais rebondir sur un sujet sur lequel cette assemblée s'est penchée, celui de l'Autorité de la concurrence. Dans le domaine agro-alimentaire, nous sommes entrés en relation quelque peu conflictuelle avec son président Bruno Lasserre il y a quatre ou cinq ans, à travers un certain nombre de rapports dont j'étais le rapporteur.

L'Autorité de la concurrence, dont l'origine remonte à il y a un peu plus d'une cinquantaine d'années, est aujourd'hui totalement impropre au domaine économique qui, en l'espace d'un demi-siècle, a complètement changé.

Je veux malgré tout être relativement optimiste face aux dernières conclusions du groupe d'experts agroalimentaires, la task force qui, en la matière, est revenue sur un certain nombre de points en demandant de protéger désormais également le producteur.

Si on pouvait aller plus loin encore et dépasser la sphère purement alimentaire, je pense qu'on aurait à redéfinir une autorité de la concurrence, qui reste une compétence exclusive de l'Union européenne, avec des déclinaisons nationales. En Allemagne, on a tout de suite vu que le pragmatisme l'avait emporté sur le dogmatisme en la matière.

En ce qui concerne le numérique, l'ambassadeur d'Allemagne en France, M. Meyer-Landrut, souhaite que le Sénat et le Bundesrat puissent aller plus loin dans l'écriture d'une feuille de route commune sur le numérique.

Je pensais qu'il n'y avait pas de souci du côté des États-Unis. Votre audition a été de ce point de vue pertinente. L'International Code of Area Nomenclature, l'ICAN, avait déjà fixé un certain nombre de normes. Peut-on imaginer des stakeholders sur vingt-sept ou vingt-huit États membres en matière numérique ?

M. Benoît Potier. - Si on arrivait à recréer ce qui s'est passé pour le GSM et à attirer tous les développeurs, tous les industriels, toutes les start-up autour de normes communes, on réaliserait un progrès colossal en matière numérique en Europe. C'est plus compliqué aujourd'hui qu'hier, mais cela constitue un enjeu. En l'absence de définition européenne, tout se calera de facto sur les normes américaines. Le jour où on a laissé faire, on a conféré à toutes les start-up des États-Unis un avantage concurrentiel phénoménal.

Les Européens sont très malins, mais ils vont utiliser les normes américaines et migrer là-bas pour se développer. C'est ce qu'on souhaiterait éviter.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - L'esprit du TTIP n'est pas complètement mort, puisqu'un de ses objectifs majeurs reposait sur la définition de normes dans les pays développés par rapport au continent asiatique.

La parole est aux commissaires.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Valéry Giscard d'Estaing a estimé qu'il existe actuellement une confusion entre les instances européennes et la présidence française, qui considèrent que c'est la Commission européenne qui doit négocier. Les statuts européens sont très clairs à ce sujet : ce sont les chefs d'État qui négocient.

Qu'on utilise la Commission européenne comme conseil est tout à fait normal, mais je regrette que le Président de la République considère que c'est à la Commission européenne de négocier. C'est totalement faux.

Je regrette d'ailleurs que le Conseil européen n'ait nommé qu'un simple fonctionnaire pour se charger de ce dossier. Les chefs d'État européens des pays les plus importants auraient dû prendre l'initiative de nommer une personnalité puissante et forte pour négocier le Brexit.

La négociation est actuellement menée par MM. Juncker et Barnier, mais les textes sont nets : si l'on n'arrive à rien au bout de deux ans, les Britanniques s'en iront. Je me demande si ce n'est pas la meilleure négociation !

Ceux qui créent les emplois sont les chefs d'entreprise et non les politiques. Je regrette donc que vous ne preniez pas davantage d'initiatives. Vous avez abordé le problème des normes dans le domaine du numérique et indiqué que Mme Merkel vous avait posé des questions sur la 5G. Je crois qu'il faut que les entreprises prennent plus d'initiatives. Les politiques ont besoin de vous et de lobbying, pour savoir ce que proposent les entreprises.

Si je puis me permettre, il faut dire ce que vous voulez. Vous avez suffisamment de moyens pour vous offrir les services de lobbyistes pour produire des textes et faire des propositions. C'est ensuite aux politiques de juger ce que vous proposez.

Par ailleurs, j'ai fait partie du cabinet d'Edmond Alphandéry lorsqu'il était ministre de l'économie. Nous nous rencontrons encore régulièrement, et nous avons récemment discuté de l'élection de Donald Trump. Cela rejoint ce que disait M. Baverez. Les excès de langage de Donald Trump sont moins inquiétants que la fermeture des frontières. Il me rappelait qu'en 1929, après la crise financière, tous les pays ont fermé leurs frontières, et la Seconde Guerre mondiale est survenue. L'arrivée de Donald Trump, les sanctions contre la Russie, la crainte que l'on éprouve à l'égard des réfugiés dans tous les pays du monde ne comportent-elles pas un risque si l'on fait un parallèle avec 1929 ?

Enfin, 75 % de la défense européenne de l'OTAN est payée par les États-Unis. 80 % des achats des Européens liés à la défense ont lieu aux États-Unis. On l'a encore vu avec l'affaire des hélicoptères polonais. Les industriels constituent un élément important dans ce domaine. La base industrielle européenne devrait pousser pour aller vers une défense européenne. Il n'est pas acceptable que celle-ci se fasse au détriment de l'économie et de l'industrie européenne.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Je rebondis sur les contacts privilégiés que l'entreprise doit partager avec le Parlement. J'ai essayé de donner cette connotation à la commission des affaires européennes, en restant extrêmement attentif aux messages que l'on peut recevoir. Ce n'est pas dans la culture française, alors que cela fait partie de la culture anglo-saxonne. Il est absolument indispensable de corriger cela. Quand on élabore des textes de loi, on est quelquefois à cent mille lieues de votre sensibilité et de vos projets.

Je souhaiterais donc, à l'occasion de la refondation de l'Union européenne, que l'on puisse, dans un pays comme la France, qui dispose de nombreuses richesses, instaurer de nouveaux rapports entre le monde législatif et les acteurs économiques, en dépassant la suspicion permanente qui existe à l'égard des lobbies.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam- Je voulais sur ce point féliciter notre président d'inviter des industriels et des économistes, besoin que l'on ressent fortement. Cela rejoint ce que vient dire Yves Pozzo di Borgo.

Monsieur Baverez, vous avez évoqué le statut de l'impatrié, qui est extrêmement important et qui me paraît une urgence absolue. Je crois toutefois que nous devrions éviter le terme d' « impatrié », qui est intraduisible. Cela m'ennuie énormément vis-à-vis des entreprises étrangères. Le mot passe assez mal. Il est très franco-français. Le terme de « patrie » gêne beaucoup les Anglo-saxons. C'est un point de détail, mais j'aimerais savoir comment avancer rapidement sur ce sujet.

À Malte, par exemple, les progrès de l'économie sont considérables grâce à une politique d'attractivité en direction des entreprises, de manière extrêmement pragmatique, bien que parfois discutable, parce qu'en liaison avec la citoyenneté : on attire des entrepreneurs venant de l'extérieur de l'Europe en leur offrant la citoyenneté maltaise, qui leur permet d'aller ensuite partout dans l'Union européenne. On devrait y réfléchir et adapter ce dispositif chez nous. Il faut cesser de faire preuve de bons sentiments et être plus pragmatique.

S'agissant des écosystèmes et des normes, vous avez entièrement raison : il nous faut absolument avancer dans ce sens. Comment pourrions-nous faire ? Comment créer ces canaux de transmission et de concertation entre les entreprises et nous ?

On se souvient de la réaction négative des entreprises vis-à-vis du système de volontariat international en entreprise, le VIE. Je n'étais pas encore parlementaire, mais j'avais à l'époque organisé une réunion à Londres sur ce sujet. Les entrepreneurs nous avaient demandé d'où venait ce texte, qui comportait d'énormes erreurs qui les pénalisaient, faute de concertation en amont.

Enfin, les Britanniques sont évidemment catastrophés par le Brexit, mais je m'interroge sur la réaction et les raisons d'agir de Lord Bamford, patron de JCB, qui nous a fait énormément de tort en envoyant une lettre à ses cent mille employés pour leur dire qu'il fallait surtout voter en faveur du Brexit, et qui a fait publier ce document dans tous les grands journaux britanniques. Avez-vous des informations à ce sujet ? Quelle est sa réaction aujourd'hui et pourquoi ? J'imagine qu'il s'agissait pour lui d'exporter davantage de machines.

Mme Éliane Giraud. - Je suis Grenobloise et j'ai travaillé avec beaucoup d'élus sur ce qu'on appelle l'écosystème grenoblois, qui a beaucoup essaimé, en partie à la demande du Président de la République, qui avait été très étonné de ce qui a été mis en place autour des entreprises liées à l'innovation.

J'ai cependant l'impression, au-delà des questions politiques, qu'il existe un problème d'organisation générale. Aujourd'hui, les régions sont compétentes en matière d'économie et peinent à trouver une stratégie hors les murs en termes de développement économique. Certes, les changements politiques et les problèmes de majorité comptent, mais la vision de ce que pourrait apporter une région à la compétitivité internationale fait défaut.

On pourrait, à Crolles ou à Grenoble, par exemple, mener une politique européenne très importante et éviter les catastrophes.

Les entreprises, les universités, certains pôles publics ont réalisé un excellent travail, mais on a le sentiment que la « mayonnaise » ne prend pas sur le plan territorial. Or, sans ces acteurs, on ne peut développer l'économie. Percevez-vous la même chose ? J'ai l'impression qu'on manque de cette culture et de cette ambition.

On est dans l'attente des négociations internationales, mais on ne libère pas les énergies, ce qui est selon moi absolument nécessaire pour l'économie et pour le moral. Un certain nombre de gens ont envie de se lancer. Votre exemple des makers est extrêmement intéressant. J'ai vu que quelque-chose avait été fait dans cet esprit à Paris, autour du design. Ces zones développent l'esprit d'innovation et favorisent une nouvelle culture.

M. Nicolas Baverez. - Tout d'abord, la crise de 1929 provient d'un krach boursier survenu aux États-Unis, à la suite du gonflement d'une bulle spéculative.

La Réserve fédérale des États-Unis, la FED, se trompe, monte les taux et transforme ce choc boursier en une énorme récession. Aux États-Unis, plus de cinq mille banques font faillite. Les États-Unis rapatrient les avoirs qu'ils détiennent en Europe et dans le reste du monde, entraînant le krach du Kredit Anstalt, en 1931. Entre-temps, en 1930, les États-Unis ont lancé le premier grand test protectionniste avec la loi Hawley-Smoot, qui fixe des droits très élevés sur la plupart des produits industriels.

La deuxième vague de protectionnisme intervient après l'échec de la conférence de Londres, en 1933, à cause de la Banque de France qui défend l'étalon-or de manière complètement absurde. Roosevelt lance le New Deal, et ne veut plus entendre parler des banquiers internationaux. C'est à ce moment qu'est lancée la vague des dévaluations compétitives. Le dollar est dévalué de 33 %. Au total, sur la décennie, commerce et échanges mondiaux subissent une récession de 75 %.

La gestion du krach de 2008 n'a certainement pas été parfaite, mais ce n'est pas la même chose. Les chocs ont été très importants, et je ne mésestime pas les dégâts sociaux, mais les pays du G20 ont su éviter l'emballement du protectionnisme.

La grande question est de savoir si Donald Trump va recourir à une loi équivalente à la loi Hawley-Smoot. Si c'est le cas, le commerce international, qui est une des grandes sources de la croissance mondiale, va être fortement atteint, entraînant une baisse très forte de la croissance potentielle dans le monde. Historiquement, le fait de fermer un système économique a toujours entraîné, à terme, moins de croissance, moins d'emplois et plus d'inflation. On peut en discuter...

Votre question sur la région est très pertinente, madame, mais à l'échelle du monde, les choses sont en train de se restructurer autour des métropoles, sans qu'il s'agisse forcément de capitales.

Votre région est très intéressante. Grenoble a été le coeur de l'industrie électrique et d'une partie du développement industriel du XIXe siècle. Des villes comme Saint-Étienne ou Grenoble sont en train de se reconstituer autour de Lyon, en lien avec l'Italie du Nord et Genève. Cela pose cependant de vrais problèmes. Ainsi, Toulouse, qui est une vraie métropole, bénéficie d'une mono-industrie qui a dévoré tout son hinterland. Cela ne se passe pas ainsi pour l'instant à Lyon.

Il faut donc raisonner sur les métropoles, tout en gérant leurs rapports avec le territoire environnant, mais c'est autour que l'on peut rassembler des universités, des centres de recherche, des entreprises, des start-up, des pouvoirs publics, des infrastructures, et avoir ainsi une masse critique suffisante. C'est ce qui se passe à Lyon dans le domaine de la santé. À Grenoble, cela concerne un certain nombre de secteurs liés à l'électricité ou à d'autres domaines. C'est ce qu'il faut viser.

Paris, pour l'instant, est à la peine. Tous les atouts sont là, mais il n'existe pas de dynamique. De ce point de vue, Paris pourrait étudier ce qui se passe dans certaines villes de province. Nous ne sommes plus dans la situation de « Paris et le désert français », mais on ne peut se passer d'une tête de pont de dimension internationale comme Paris - quels que soient les succès des uns et des autres par ailleurs.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Paris et le Grand Paris !

M. Benoît Potier. - Fernand Braudel utilisait le concept de ville monde. On passait de Gênes à Séville, Amsterdam, Londres, et New York. Aujourd'hui, on est face à un réseau de villes mondiales. Il est vital pour nous d'en posséder une et de replacer Paris sur le radar, ce qui n'est pas le cas actuellement, tout comme il est vital pour l'Europe de disposer de deux ou trois de ces villes mondiales. Londres était clairement dedans. Que va-t-elle devenir ? C'est le problème des Britanniques ! Il nous faut nous organiser pour en avoir deux ou trois sur le territoire européen et, en tant que Français, faire en sorte que Paris soit dedans, ce qui n'est aujourd'hui pas le cas, je le répète.

M. Yves Pozzo di Borgo- C'est le débat qu'on a eu au Conseil de Paris.

M. Benoît Potier. - Nous croyons à Grenoble. Nous y sommes depuis longtemps. On y développe les technologiques hydrogènes et la pile à combustible. On y a fait venir Toyota. La présidente sud-coréenne est venue à Sassenage visiter le centre d'Air Liquide. Le sujet ne porte pas sur le dynamisme. Il s'agit simplement de créer quelques grands écosystèmes et d'opérer leur connexion.

J'ai fait la proposition, qui n'a pas été retenue pour l'instant, que ces écosystèmes fonctionnent en réseaux, et de créer une sorte de statut pour que des personnes qui travaillent à Grenoble se considèrent chez elles à Munich, Stockholm, Lund, Londres ou ailleurs, de façon que la start-up française de dix personnes puisse envoyer un travailleur à Munich sans devoir créer une société.

Connectons tout de suite ces écosystèmes. Le jour où on en aura pris conscience, on aura fait un grand pas en avant. On reconnaîtra alors que Crolles existe.

Que fait-on dans l'industrie des semi-conducteurs en Europe ? Laisse-t-on Crolles mourir ou la rapproche-t-on de Catane, en Sicile ? Ce qui manque en Europe, c'est une vision stratégique.

On peut aller jusqu'à créer des statuts extraterritoriaux, des règles d'emploi, des règles fiscales, des règles de création d'entreprises qui sont les mêmes. Le numérique permet de le faire. Il y a là une véritable réflexion à mener, qui constitue une des réponses à ce que vous avez évoqué.

Pour ce qui est de la concurrence, je suis tout à fait d'accord avec vous : ce sont des règles qu'il faut complètement dépoussiérer. On a ouvert la brèche. On est en train de faire des propositions : définition de marchés pertinents, aides d'État, coopération en matière de recherche entre industries du même secteur, consolidation.

Si sept ou huit opérateurs téléphoniques se faisaient concurrence sur l'ensemble de l'Europe, le consommateur serait bien protégé. Aujourd'hui, on en a vingt-huit. Les Américains en ont trois. C'est aussi simple que cela.

M. Nicolas Baverez. - Un des paradoxes du grand marché réside dans la surveillance de la concurrence pays par pays. En avoir 90 % au Luxembourg ne constitue peut-être pas une menace pour la concurrence en Europe.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - On a souligné cette incohérence il y a plusieurs années.

M. Benoît Potier. - Pour ce qui est de la coopération franco-allemande, j'en suis tout à fait partisan. La proposition de l'ambassadeur est donc tout à fait bienvenue.

Nous y travaillons. Il est relativement facile de prendre des initiatives compatibles avec l'Europe. C'est peut-être un peu long, mais nous sommes déjà bien plus avancés qu'autrefois.

Ce que vous avez dit sur la façon dont on oeuvre avec le Parlement est parfaitement exact : nous ne travaillons pas comme nous le devrions. Tous les autres pays d'Europe collaborent intelligemment dans ce domaine. Si la France basculait seule dans le bon sens, toute l'Europe ferait de même. Nous constituons aujourd'hui le seul point de blocage.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - La commission des affaires européennes, qui n'est pas une commission législative, mais une commission transversale, nourrit des rapports extrêmement étroits avec les autres commissions. N'hésitez donc pas à nous faire passer des messages. Nous sommes demandeurs.

Si on veut faire aimer le Parlement, les parlementaires et l'Europe à nos concitoyens, c'est par cette voie qu'il faut passer. Nous devons rendre notre rapport fin février : vous pouvez donc encore nous communiquer vos informations.

La réunion est close à 17 heures 10.