Mardi 17 janvier 2017

- Présidence de M. Jean-Claude Requier, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30

Audition de S. Exc. M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d'Allemagne en France

M. Jean-Claude Requier, président. - Mes chers collègues, notre commission d'enquête a exprimé le souhait d'entendre les ambassadeurs de plusieurs États membres de l'Union européenne confrontés aux conséquences de la crise migratoire. Nous avons déjà auditionné les ambassadeurs de Hongrie et d'Espagne en France. Aujourd'hui, nous avons la chance et l'honneur d'accueillir M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d'Allemagne depuis 2015 et qui a auparavant occupé des fonctions éminentes à la Chancellerie fédérale.

Quelle est la position de l'Allemagne sur le fonctionnement de l'espace Schengen ? Nous le savons, l'Allemagne a été particulièrement concernée par la crise migratoire. Plusieurs milliers de migrants y sont arrivés chaque jour pendant plusieurs mois et votre pays a fait l'objet de demandes d'asile sans précédent. L'accord conclu entre l'Union européenne et la Turquie a tari les flux migratoires depuis la Grèce, mais des inquiétudes demeurent sur les côtes italiennes via la Libye.

Par ailleurs, la position de l'Allemagne a évolué. Alors que la Chancelière a d'abord manifesté une grande ouverture à l'égard des migrants accueillis dans son pays, au contraire de bien d'autres États européens, elle semble avoir amendé son discours. Il est vrai que la gestion de la crise migratoire a suscité d'intenses débats au sein de la société allemande. En outre, des interrogations y sont apparues sur le degré de sécurité des frontières extérieures de l'espace Schengen - je pense bien sûr à l'odieux attentat perpétré sur un marché de Noël à Berlin, le 19 décembre dernier, et à la cavale transfrontières de son auteur présumé.

Plus généralement, pourriez-vous nous exposer la position de votre pays dans les négociations au Conseil sur les mesures préconisées, et pour certaines d'entre elles déjà entrées en application, pour améliorer le fonctionnement de l'espace Schengen ? Telles sont quelques-unes des questions qui intéressent notre commission d'enquête.

Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire de dix à quinze minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions. Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.

J'insiste auprès de mes collègues : nous devons impérativement avoir terminé cette audition à 14 heures 30, heure à laquelle la séance publique entamera l'examen du projet de loi relatif à l'outre-mer. Vous avez la parole, Monsieur l'Ambassadeur.

M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d'Allemagne en France. - Monsieur le Président, je vous remercie de votre invitation. En introduction, je souhaiterais revenir sur trois questions générales avant d'aborder les points de détail. Premièrement, il est important de noter que, pour nous, Schengen est un système qui comporte plusieurs éléments. Le débat public en Allemagne décrit souvent Schengen comme étant simplement un espace sans contrôles des personnes aux frontières intérieures. Mais Schengen comporte en fait beaucoup plus d'éléments, comme l'harmonisation et le renforcement de la protection des frontières extérieures, la coopération policière transfrontière, la coopération et l'entraide judiciaire, le système d'information Schengen qui permet des recherches automatisées, les bases d'une politique commune en matière de visas et d'asile et, depuis peu, une harmonisation de la législation sur l'acquisition, et la possession d'armes. Il s'agit donc d'un ensemble de législations, faites pour protéger les citoyens et qui, si elles sont bien appliquées, rendent les contrôles aux frontières intérieures inutiles. Mais il faut mettre en oeuvre l'ensemble de ces éléments.

Deuxièmement, on constate un recul net du nombre de personnes arrivées en Allemagne en 2016 par rapport à 2015 : après neutralisation des double-comptes, nous avons enregistré 890 000 réfugiés entrés en Allemagne et 476 000 demandes d'asile en 2015. En 2016, le nombre d'entrées enregistré en Allemagne n'est plus que de 280 000 personnes. En revanche, le nombre de demandeurs d'asile a augmenté pour s'élever à 745 000 car un certain nombre de personnes arrivées à l'automne 2015 n'ont déposé leur demande que l'année suivante. Nous n'avons pas encore résorbé l'ensemble des demandes d'asile dues à l'afflux observé en 2015.

Pourquoi constate-t-on ce net recul d'arrivées de réfugiés ? Cela s'explique à la fois par les mesures prises aux niveaux national, européen et international. Nous avons réintroduit des contrôles aux frontières intérieures, essentiellement à la frontière avec l'Autriche. Ceci a conduit à une quasi fermeture de la route des Balkans, même si au cours de l'année 2016 un certain nombre de demandeurs sont arrivés en Allemagne par cette route. D'ailleurs, la plus grande part de ces personnes sont arrivées en passant par la Hongrie malgré la mise en place d'une clôture prétendument « étanche ». Vous avez mentionné l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. Des législations nationales ont également été adoptées en Allemagne : elles ont entraîné des modifications du droit d'asile dans son application - et non dans son principe - et ont contribué à la réduction du nombre d'arrivées. Tout d'abord, nous avons déclaré certains États tiers comme pays d'origine sûrs : l'Albanie, le Kosovo et la Macédoine. Le nombre de personnes venues de ces pays a beaucoup chuté. La possibilité de traiter ces demandes et de renvoyer les personnes concernées beaucoup plus rapidement a dissuadé les départs. Nous avons aussi accéléré la procédure de demande d'asile et essayé de lever un certain nombre d'obstacles à la reconduction des demandeurs déboutés. De plus, nous avons suspendu le réunification familiale pour les réfugiés qui se sont vus accorder une protection subsidiaire mais pas le droit d'asile ; ceci concerne les personnes que l'on ne peut renvoyer dans leur pays car la situation ne l'autorise pas. Enfin, nous avons réduit les aides dont bénéficient les demandeurs d'asile durant la période de traitement de leur dossier. Auparavant, ces aides étaient principalement versées en numéraire et aujourd'hui une partie est accordée en nature (logement, nourriture, vêtements), ce qui rend la situation moins attractive pour les demandeurs qui savent par avance qu'ils seront déboutés. Toutes ces mesures, prises au niveau national, ont joué un rôle important.

Pour nous, le vrai problème ne vient pas de la convention de Schengen, mais de sa mise en oeuvre défaillante par différents États membres, en particulier en matière de protection des frontières extérieures. Je pense qu'il est important de souligner où se situe la responsabilité afin d'identifier ce qui doit être fait.

Troisièmement, l'année passée, sous l'impulsion des ministres de l'Intérieur français et allemand, un progrès important a été réalisé avec de nouvelles décisions et propositions pour améliorer l'ensemble du système Schengen. Il y a une proposition de réforme du régime d'asile européen commun, actuellement en cours d'examen au Conseil de l'Union européenne, une proposition de révision du règlement de Dublin, une refonte d'Eurodac... Nous sommes également en train de créer un système d'enregistrement des entrées et sorties des ressortissants des pays tiers et un système d'autorisation et d'information pour les voyageurs exemptés de visa (ETIAS). Compte tenu de l'expérience positive de ce type de procédure d'enregistrement dans d'autres pays, c'est une proposition que nous approuvons. Nous avons vu, en octobre 2016, l'entrée en vigueur du règlement créant l'agence européenne de garde-frontières, « Frontex bis » en quelque sorte. Nous avons enfin vu aboutir la directive sur l'utilisation des données des dossiers passagers (PNR). Le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) a également été renforcé. Sur un grand nombre de sujets, nous avons donc observé en un an des progrès plus importants que ceux réalisés au cours des dix années précédentes. Cela ne signifie pas que nous soyons au bout des réformes car un certain nombre de dossiers sont encore sur la table. Mais nous nous félicitons de cette accélération et des premiers résultats obtenus. Je vous propose maintenant de répondre à vos questions et de vous remettre par écrit les éléments de réponse chiffrés.

M. Jean-Claude Requier, président. - Je vous remercie de privilégier l'interactivité. Je vais donc donner la parole au rapporteur, François-Noël Buffet.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Il y a quelques temps, l'Allemagne a demandé à ce que les accords de Dublin s'appliquent de nouveau entièrement à compter du 15 mars prochain, alors qu'ils avaient été suspendus dans certains pays sous l'effet de la crise migratoire. Pourriez-vous nous donner des informations sur ce point ? Comment l'Europe va-t-elle devoir aider la Grèce et l'Italie pour traiter les personnes déboutées du droit d'asile qui doivent être reconduites dans leurs pays d'origine ?

M. Nikolaus Meyer-Landrut. - L'Allemagne applique le règlement de Dublin avec les autres pays  à une seule exception : la Grèce, où nous avons suspendu l'application de Dublin depuis la décision de la Cour de justice européenne de 2011. Vous trouverez les chiffres concernant les demandes adressées par l'Allemagne à d'autres pays et celles qui lui ont été transmises, le taux d'acceptation et les suites données dans les réponses écrites. Il est important que les règles de Dublin fonctionnent et soient appliquées.

Le ministre de l'Intérieur allemand a annoncé que Dublin serait à nouveau appliqué avec la Grèce à partir du 15 mars 2017. Ceci ne remet pas en cause la mise en oeuvre des 160 000 transferts de personnes réparties entre États membres il y a un an et demi. Et d'ailleurs, si l'on regarde les chiffres, la France et l'Allemagne sont les deux États qui font le plus en la matière. Lorsque des personnes doivent être reconduites dans leur pays d'origine, nous le faisons directement. Par exemple, nous n'avons pas repoussé vers l'Autriche les Albanais ou les Kosovars, mais nous les avons transférés par avion ou autre moyen de transport directement vers leur pays. Ce que nous faisons avec méthode depuis un certain temps est de repousser les personnes se présentant à la frontière allemande qui ne demandent pas asile et ne sont pas en possession des documents justifiant leur entrée sur le territoire allemand. Cela concerne un nombre considérable de personnes s'étant présentées à la frontière avec l'Autriche au cours de l'année 2016.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'objet de la commission d'enquête du Sénat est d'évaluer le fonctionnement de l'espace Schengen et de déterminer quels ont été, face à la crise migratoire mais pas seulement, ses points forts et ses points de faiblesse. À partir des auditions que nous avons réalisées jusqu'à maintenant, il semble que l'échange d'information entre les pays membres de cet espace n'est pas aussi large que l'on pourrait le souhaiter et qu'il existe des difficultés de communication et de partage des données. Avez-vous pu constater ceci en Allemagne ?

M. Nikolaus Meyer-Landrut. - Premièrement, nous avons publiquement déploré que dans certains pays, essentiellement la Grèce et l'Italie, l'enregistrement des personnes arrivées sur leurs côtes n'a pas été effectué pendant des années ou du moins a été fait dans de très faibles proportions. Par conséquent, nous avons sur le territoire européen des personnes dont il n'existe aucune trace dans les systèmes d'information. La situation s'est beaucoup améliorée, mais ce n'est pas encore complétement satisfaisant. Une fois que ces données sont enregistrées, nous avons au niveau européen le même phénomène que celui observé au niveau national : l'existence de silos d'information indépendants. Il faut recouper les informations pour que les services de renseignement puissent extraire les informations pertinentes à temps. Nous pensons qu'il y a une marge de progrès importante dans l'utilisation des systèmes SIS, Eurodac, PNR, etc., afin de recouper les informations suffisamment tôt pour réagir. Par exemple, si quelqu'un est dans le système SIS, on ne sait pas nécessairement s'il a commis un crime dans un autre pays. Or c'est important de le savoir et non d'avoir seulement des empreintes digitales. Souvent, nous avons l'information, mais elle n'est pas mobilisable suffisamment tôt par les différents services compétents. C'est ce que nous avons malheureusement constaté en Allemagne lors de l'attentat du 19 décembre 2016.

M. Jean-Yves Leconte. - Jusqu'à présent, les travaux ont porté essentiellement sur la meilleure surveillance des frontières et la capacité de renvoyer les personnes en Italie et en Grèce, sans voir de résultat concernant la répartition solidaire entre États membres des réfugiés. Ne croyez-vous pas que, à partir d'un certain moment, l'Italie et la Grèce ne pourront plus supporter cette situation ? S'agissant du règlement de Dublin, vous indiquez l'intention de l'Allemagne de l'appliquer avec la Grèce, mais l'avez-vous vraiment mis en oeuvre avec la Hongrie ? Beaucoup des personnes ayant demandé l'asile en Allemagne avaient auparavant déposé une demande en Hongrie. Compte tenu de la situation politique interne en Turquie, l'accord entre l'Union européenne et la Turquie est-il encore robuste ?

Enfin, nous avons eu cet automne en France un débat sur le fichier des titres électroniques sécurisés (TES) et sur la mise en place d'un fichier des cartes nationales d'identité qui s'intégrerait au fichier des passeports, avec une base biométrique. En Allemagne, vous n'avez pas de base d'information de ce type. Cela n'est-il pas une difficulté lorsque l'on souhaite renforcer la capacité d'identification des personnes vivant dans l'espace Schengen ? L'Allemagne, la France et l'ensemble des pays de l'espace Schengen ne devraient-ils pas s'échanger les certificats de sécurité permettant, par exemple, à une borne située à Roissy de lire les identités biométriques figurant sur un passeport allemand ?

M. Nikolaus Meyer-Landrut. - Concernant la Grèce et l'Italie, nous sommes tout à fait conscients qu'il faut faire évoluer le système et trouver une réponse à l'ensemble des questions. La décision prise en 2015 de répartir les personnes arrivées dans ces deux pays en fait partie. Nous avons également compris que sans ce type de décision, il est difficile d'imposer à la Grèce et à l'Italie de respecter leurs obligations, mais il s'agit quand même de leurs obligations. Ils ne peuvent pas s'en décharger.

Nous avons actuellement un débat au Conseil autour de la question d'une « solidarité flexible ». Je ne suis pas encore très au clair de ce que cela signifie. Mais pour l'Allemagne, une solidarité en matière d'accueil doit être réelle et ne doit pas pouvoir se « racheter » par d'autres moyens, même si les quotas ne sont pas nécessairement fixes. Il s'agit d'une des questions sur lesquelles le débat à Bruxelles achoppe. Il n'y a pas de solution à cette question mais il s'agit pour nous d'un élément important du dispositif. D'autant plus qu'il faut aussi essayer de rapprocher au maximum les règles de traitement des demandeurs d'asile pour éviter l'asylum shopping. Aussi bien la refonte du règlement de Dublin que la réforme du système d'asile font partie des sujets à régler.

Concernant la Hongrie, vous avez raison : dans une petite mesure, nous avons pris la décision, au niveau national, conformément à l'article 17 alinéa 1 du règlement de Dublin, de ne pas renvoyer les Syriens en mesure de prouver leur entrée en Allemagne entre le 4 septembre et le 21 octobre 2015. Mais il s'agit d'une décision concernant une période très courte et des personnes d'une certains nationalité, provenant d'un État spécifique ; cela ne concerne ni l'ensemble des Syriens, ni l'ensemble des personnes venant de Hongrie. Que faire des personnes venues via la Grèce, en Hongrie, sans y avoir été enregistrées ? Vous pouvez avoir là un long débat philosophique... Si nous voulons de la clarté, il faut que tous les ressortissants d'États tiers soient enregistrés aux frontières extérieures. Sinon on aboutit à une situation de confusion.

Je m'abstiendrai à ce stade de faire tout commentaire sur la politique intérieure ou extérieure de la Turquie. Je partage les inquiétudes concernant les droits de la presse et des minorités mais nous voyons, du moins à ce stade, que l'accord entre l'Union et la Turquie concernant les réfugiés est respecté par la partie turque, qui y voit un intérêt car nous versons un soutien financier aux organisations non gouvernementales turques s'occupant des camps syriens. La Turquie a vu en 2015 un déferlement de réfugiés sur son territoire, avec tout ce que cela produit comme désordres. De notre point de vue, la plus grande difficulté dans l'application de cet accord est la lenteur des procédures de renvois de la Grèce. Pour le moment, la Grèce a renvoyé en Turquie uniquement des personnes n'ayant pas demandé l'asile ou provenant de pays autres que la Syrie et l'Irak, et ce en nombre limité. Jusqu'ici, nous avons accepté en Allemagne et en Europe beaucoup plus de personnes que la Grèce n'en a renvoyées. Le système un pour un ne fonctionne pas à cause de la Grèce.

M. Jean-Yves Leconte. - Ce système ne sera-t-il pas de plus en plus difficile à appliquer si la situation intérieure se dégrade en Turquie ?

M. Nikolaus Meyer-Landrut. - Ce problème ne touche aujourd'hui pas les réfugiés syriens et irakiens ; il y a un problème avec les Kurdes, les médias, le mouvement Gülen, mais nous ne pouvons pas, à ce stade, constater que la Turquie maltraiterait des réfugiés présents sur son sol ou renvoyés.

Nous avons même récemment renvoyé d'Allemagne des personnes directement en Afghanistan. Il y a eu un débat important en Allemagne sur cette question. Le ministre de l'Intérieur a répondu positivement car, premièrement, il y a encore des soldats allemands présents en Afghanistan pour essayer de stabiliser le pays - il est donc difficile de dire que l'on peut y envoyer nos troupes, mais pas un Afghan. Deuxièmement, nous avons aussi renvoyé en Afghanistan des personnes condamnées en Allemagne pour des méfaits.

Concernant l'identification des réfugiés, il y a eu d'énormes progrès en Allemagne l'année dernière grâce à l'introduction d'une carte personnelle pour chaque réfugié, ouvrant l'accès aux différentes aides et valable dans tous les Länder. Tous les services des régions et de l'État fédéral ont ainsi accès à l'identité des demandeurs d'asile arrivés chez nous.

La question des données biométriques de tous les ressortissants nationaux n'est pour l'instant pas soulevée en Allemagne. Je pense que cela suscitera un énorme débat concernant la protection des données personnelles ; mon sentiment est que la constitution d'un tel fichier ne pourrait aboutir, à ce stade, en Allemagne.

M. André Gattolin. - Je vous félicite, monsieur l'Ambassadeur, pour la qualité de vos réponses. J'ai quelques questions concernant les conséquences internes du flux de migrants arrivés en Allemagne. L'Allemagne a une forte communauté turque, mais aussi une communauté kurde. Aujourd'hui, comme cela se passe-t-il avec l'arrivée de nouveaux migrants ? Les relations entre les différents groupes sont-elles bonnes ? Par ailleurs, au regard de la forte attractivité de l'Allemagne, avez-vous connaissance de cas de personnes ayant obtenu l'asile dans d'autres pays européens, par exemple en Suède, et qui demanderaient ensuite à rejoindre l'Allemagne ? Enfin, a-t-on une idée de la proportion de réfugiés régularisés et ayant trouvé un emploi en Allemagne et des effets sur le dynamisme économique de votre pays ?

M. Nikolaus Meyer-Landrut. - La France et l'Allemagne vivent des situations assez différentes. Contrairement à la France, l'Allemagne n'a pas connu une pression migratoire constante, provenant en particulier de l'Afrique subsaharienne. En revanche, l'Allemagne a connu un pic très fort de demandeurs d'asile réfugiés de guerre en un temps très restreint. Cela entraîne des situations et des débats différents dans chaque pays. On a tendance a oublié qu'au milieu des années 1990, l'Allemagne a accueilli en deux ans 1 million de réfugiés de la Bosnie. Déjà, à cette époque, l'Allemagne se posait la question de l'intégration. C'est là le coeur de votre question...

M. André Gattolin. - Et celle des éventuelles tensions intercommunautaires...

M. Nikolaus Meyer-Landrut. - Aujourd'hui, ce qui pose problème ou débat n'est pas l'accueil de ceux qui arrivent mais la capacité d'intégration. Je n'ai pas entendu parler de conflits entre les personnes issues de l'immigration déjà présentes en Allemagne et les nouveaux réfugiés. En revanche, chaque tension au sein de la société turque se répercute dans la communauté turque en Allemagne : il y a des écoles Gülen, des Kurdes, des kémalistes, des laïcs, des croyants... tout le spectre des sensibilités existant en Turquie est présent. Le jour du putsch raté en Turquie, des centaines de personnes se sont regroupées devant des consulats turcs en Allemagne. Nous n'avons pas su pourquoi. Le sujet est donc plutôt la répercussion des tensions turques chez nous qu'un conflit entre Turcs et Syriens en Allemagne.

Nous ne voyons pas de retours de réfugiés ayant obtenu le statut de demandeur d'asile en Suède mais un peu en Pologne. Cela dépend des conditions d'accueil et des perspectives. On observe d'ailleurs le même problème à l'intérieur de l'Allemagne. Nous essayons d'assigner les réfugiés dans certaines villes ou régions. Il existe en Allemagne un système de répartition entre les Länder en matière financière (Königssteiner Schlüssel) ; celui-ci est aussi utilisé pour la répartition des réfugiés. Mais si tout le monde se rend ensuite à Berlin, Munich ou Hambourg, il y a un problème. Nous avons donc introduit dans notre législation une possibilité d'assignation à résidence ou une conditionnalité des aides au respect d'un critère de résidence. Par ailleurs, il y a eu des réfugiés qui se sont rendu des pays baltes en Allemagne. Quant à la Suède, elle applique désormais elle aussi le règlement de Dublin et essaye de procéder à des réadmissions vers l'Allemagne.

Le coût pour la société de l'accueil des réfugiés est difficile à calculer. Pour le budget fédéral, en 2016-2017, la dépense prévue est d'environ 10 milliards d'euros pour l'accueil et la gestion des réfugiés, à laquelle il faut ajouter les dépenses des communes et des Länder. Une partie des dépenses fédérales sert toutefois à « récompenser » les Länder pour leurs dépenses. Il s'agit néanmoins d'un effort important.

Cet été, l'Allemagne a adopté une loi sur l'intégration qui comporte un volet relatif au soutien des étrangers accueillis en Allemagne et un volet énonçant les exigences de la société vis-à-vis de ces personnes (cours d'intégration, respect des normes....). Il s'agit de la première loi de cette nature dans notre pays. Nous commençons à la mettre en oeuvre. Il est très important de comprendre que l'intégration fonctionne dans les deux sens : il faut que la personne soit prête à s'intégrer et que la société soit prête à l'accueillir. Si l'un des deux éléments fait défaut, cela ne peut pas fonctionner.

Concernant l'emploi, on estime aujourd'hui qu'environ 10 % des personnes venues en Allemagne ont trouvé un emploi. Ce n'est pas beaucoup car ils doivent d'abord passer par une formation linguistique, puis une formation professionnelle. La perspective d'intégration dans le marché du travail des réfugiés est donc, en règle générale, de quatre à six ans. Mais nous avons fait coopérer très étroitement l'équivalent en Allemagne de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et Pôle emploi, qui ont été présidés par la même personne pendant un an.

M. Didier Marie. - Monsieur lAambassadeur, qu'est-ce-que le Gouvernement allemand peut répondre au futur président des États-Unis lorsqu'il invective la Chancelière à propos de l'accueil massif de réfugiés, qui aurait été, selon lui, une gravissime erreur ? A contrario, quels sont les avantages que voit l'Allemagne dans l'accueil de ces réfugiés ?

Ma deuxième question a trait à la politique des retours : quelles sont les modalités d'accompagnement des déboutés du droit d'asile renvoyés vers leur pays d'origine ? Quelles politiques de co-développement mettez-vous en oeuvre et quels sont les accords mutli- ou bilatéraux avec des pays tiers ?

Enfin, quelle est la participation de l'Allemagne au corps de garde-frontières et de garde-côtes européen et aux opérations Poséidon et Triton ?

M. Jean-Pierre Vial. - L'analyse selon laquelle la Grèce et l'Italie n'ont pas entièrement assumé leurs responsabilités est assez largement répandue, soit parce qu'elles ont été laxistes, soit parce qu'elles n'ont pas eu les moyens suffisants, soit parce que ce système les conduirait à accepter une charge croissante pour l'Europe dans son ensemble. Aujourd'hui, une solution provisoire a été trouvée avec l'accord entre l'UE et la Turquie, mais il y a de plus en plus de traversées par la Méditerranée, alimentées par des réseaux de passeurs. Certains ne craignent pas aujourd'hui de dire que les pays européens limitrophes sont, par certains aspects, devenus complices de ces passeurs. L'Europe ne devrait-elle pas adapter ses règles pour limiter ce phénomène ? Quelle est la position de l'Allemagne ?

M. Nikolaus Meyer-Landrut. - En ce qui concerne monsieur Trump, nous sommes tout à fait calmes, en accord avec nous-mêmes et avec le respect des droits fondamentaux tels qu'ils sont inscrits dans la Constitution allemande et qui tiennent compte de l'histoire allemande. Le droit d'asile tel qu'il est inscrit dans notre Constitution est aussi une réponse à la période nazie. Il est important que l'Allemagne l'honore, y compris dans les situations difficiles. Monsieur Trump viendra peut-être un jour en Europe et verra la complexité et l'histoire de notre continent. On pourrait même lui souhaiter d'aller voir quelques cimetières de guerre, y compris américains, pour se rendre compte pourquoi la coopération européenne est si importante.

Honorer les droits fondamentaux figurant dans nos textes ne signifie pas que nous devions être naïfs et accepter toute demande d'asile sans rigueur. Toutefois, le principe du droit d'asile ne sera pas remis en cause par l'Allemagne. La difficulté est l'abus de ce droit par des personnes venant pour d'autres motifs. Pour protéger le droit d'asile et le droit des réfugiés, il faut que nos États soient capables de différencier entre ces personnes et de renvoyer ceux qui ne relèvent pas du droit d'asile. Cette question des retours est absolument cruciale. Grâce à l'ensemble des mesures nationales et à la coopération avec les pays concernés, nous avons, il me semble, réussi le pari sur les Balkans. Les pays des Balkans acceptent ainsi désormais de réintégrer des ressortissants sur la base de documents européens, ce qui supprime un obstacle important à la reconduite.

Nous sommes dans une situation différente concernant la Syrie : aujourd'hui, plus de 90 % des demandeurs d'asile ou de protection provenant de ce pays obtiennent un titre de séjour ou une protection en Allemagne. Mais nous pensons qu'un grand nombre d'entre eux souhaiteront retourner en Syrie dès qu'ils le pourront pour reconstruire leur pays. La situation est plus difficile avec le Maghreb. Nous avons des difficultés à renvoyer des personnes vers cette zone. L'Allemagne réfléchit à sa politique vis-à-vis de ces pays. Il faut être plus clair dans la mise en oeuvre des accords de réadmission européens. Les partenariats migratoires que l'Union européenne est en train de mettre en place avec un certain nombre de pays africains sont très importants à cet égard. Ce que l'Allemagne a compris est qu'il y a, certes, la question des réfugiés de Syrie et d'Irak, mais que l'Europe doit aussi traiter la question de la migration subsaharienne en travaillant avec les pays d'origine et de transit. La situation en Libye est préoccupante. Après, sommes-nous des complices des passeurs ? Le nombre de morts observé en Méditerranée est déjà presque insupportable. Si l'Union européenne retirait ses bateaux de façon importante, le nombre de morts augmenterait fortement et nous aurions beaucoup de mal à le supporter humainement et politiquement. Il faut évidemment essayer de travailler avec les autorités libyennes pour créer les conditions d'un retour mais, pour le moment, ceci n'est pas possible. Ce n'est pas un problème allemand mais un problème commun.

Je ne porte pas de jugement sur la politique italienne en la matière mais nous avons constaté, par le passé, lors de contrôles aléatoires en gares de Munich que certains étrangers en situation irrégulière étaient manifestement mis dans ces trains par les autorités d'un pays voisin ami, qui ne s'étaient pas donné beaucoup de mal pour dissimuler leur opération. À partir de ce moment-là, il y a donc une responsabilité, même si nous sommes les premiers à admettre qu'il faut des mesures exceptionnelles en cas d'afflux majeur. Mais ceci doit rester l'exception pour revenir à un système de Dublin qui fonctionne.

M. Jean-Claude Requier, président. - Je vous remercie Monsieur l'Ambassadeur. Je rappelle qu'avant d'être Ambassadeur en France, vous avez été directeur à la Chancellerie fédérale et vous avez travaillé à la représentation permanente de l'Allemagne auprès de l'Union européenne.

La réunion est close à 14 h 30

Mercredi 18 janvier 2017

- Présidence de M. Jean-Claude Requier, président -

La réunion est ouverte à 15 h 10.

Audition de MM. Pierre-Antoine Molina, directeur général, Benoît Brocart, directeur de l'immigration, Raphaël Sodini, directeur de l'asile, de la direction générale des étrangers en France au ministère de l'Intérieur

M. Jean-Claude Requier, président. - Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de MM. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France, Benoît Brocart, directeur de l'immigration, et Raphaël Sodini, directeur de l'asile, au ministère de l'intérieur.

La direction générale des étrangers en France (DGEF) traite de l'ensemble des questions relatives aux ressortissants étrangers. Elle agit dans de nombreux domaines qui couvrent l'intégralité du parcours du migrant. Parmi ses domaines de compétences qui intéressent notre commission d'enquête, je peux plus particulièrement citer la réglementation en matière de visas, les règles générales en matière d'entrée et de séjour en France des ressortissants étrangers, la lutte contre l'immigration irrégulière et la fraude documentaire ou encore l'asile.

La DGEF est constituée de plusieurs directions, dont celle de l'immigration et de l'asile, dont les directeurs respectifs accompagnent M. Molina.

La direction de l'immigration est plus particulièrement chargée de la conception et de la mise en oeuvre des politiques publiques concernant l'entrée et le séjour des ressortissants étrangers et la lutte contre l'immigration irrégulière. Elle participe à la réglementation des visas. Elle contribue à l'élaboration et à la négociation des normes européennes en matière migratoire. Une de ses trois sous-directions élabore, dans un cadre communautaire contraignant, les dispositions relatives aux contrôles aux frontières et à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Quant à la direction de l'asile, elle est chargée des questions relatives au droit de l'asile et aux bénéficiaires de la protection internationale. Elle participe à la définition de la politique européenne de l'asile, qu'elle met également en oeuvre. Parmi ses attributions, on note notamment la mise en oeuvre et l'application des règlements européens Dublin et Eurodac ainsi que l'admission au séjour des demandeurs d'asile. Ainsi, le directeur de l'asile représente notre pays au conseil d'administration du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO), dont nous entendrons prochainement un responsable. Sans doute M. Sodini pourra-t-il nous dire comment les choses s'y passent et ce qu'il pense des projets de transformation de l'EASO en une agence européenne de l'asile.

Avec cette audition, nous poursuivons notre travail d'investigation sous un angle très opérationnel, la DGEF ayant des interlocuteurs à la fois nationaux et européens. C'est dans cet objectif que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre. En outre, la France a fait l'objet d'une récente évaluation Schengen : comment a-t-elle été conduite ? Sur quels aspects a-t-elle porté ? Comment la DGEF y a-t-elle contribué ? Quelles sont ses conclusions ?

Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, M. François-Noël Buffet, à vous poser des questions. Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Pierre-Antoine Molina, Benoît Brocart et Raphaël Sodini prêtent serment.

M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France. - À titre liminaire, je souhaitais vous indiquer que nous finalisons les réponses à votre questionnaire qui requiert un travail de coordination entre plusieurs administrations. MM. Raphaël Sodini et Benoît Brocart, qui m'accompagnent aujourd'hui devant vous, représentent notre ministère aux conseils d'administration respectivement de l'EASO et de Frontex.

Je ne reviendrai pas sur l'historique de la construction de l'espace Schengen qui a été abordé par les personnes que vous avez auditionnées. Notre direction est ainsi concernée par l'application des trois principes fondateurs de l'espace Schengen : la suppression des contrôles aux frontières intérieures, la normalisation et le renforcement des frontières extérieures et la solidarité entre les États membres. Pour mettre en oeuvre ces trois principes, s'est développé l'acquis Schengen, aux nombreux prolongements.

Les débats, lors des négociations de l'accord Schengen de 1985 puis de sa convention d'application en 1990, ont surtout porté à la criminalité transfrontière. À cette époque, la coopération policière devait compenser l'absence de contrôle aux frontières intérieures selon diverses modalités parmi lesquelles la création du système d'information Schengen (SIS).

L'acquis Schengen présente également des prolongements en matière de visas à partir d'une base harmonisée qui permet de vérifier le droit des personnes se présentant à la frontière. Il était alors nécessaire d'harmoniser les conditions de délivrance des visas. En effet, les conditions d'entrée s'avèrent distinctes de celles du séjour, car la plupart des personnes bénéficiant d'un droit d'entrée ne vont pas s'établir dans l'espace Schengen. Plus de 90 % de nos visas sont de court séjour et n'ont pas vocation à donner lieu à une installation durable. En outre, le visa Schengen représente plus de 90 % des visas que nous délivrons en tant qu'État.

L'acquis Schengen s'est développé également dans le domaine de l'asile puisque la Convention de Dublin avait été initialement négociée concomitamment avec la convention d'application des accords de Schengen. Toute défaillance de l'application de l'acquis Schengen dans les contrôles aux frontières ou dans l'accueil des personnes en besoin de protection, par un État membre de l'espace, est alors susceptible de provoquer d'importantes conséquences pour d'autres membres. Nous avons dû faire face à des difficultés de cet ordre depuis la création de l'espace Schengen, sans compter la problématique des mouvements secondaires.

Troisièmement, l'acquis Schengen s'est développé sur la problématique du retour. En effet, la directive retour est de loin postérieure à l'espace Schengen, mais une fois publiée, le lien entre ces deux problématiques a été clairement établi, notamment dans ses considérants où le chevauchement de ces deux espaces de droit est indiqué.

L'acquis Schengen s'est ainsi développé dans ces différentes directions et a donné lieu à un mécanisme de contrôle structuré en 2013 par un règlement communautaire sur la base duquel ont été conduites des évaluations, à l'instar de celles que nous avons connues ces dernières semaines.

Ainsi, l'espace Schengen est juridiquement distinct de la notion de libre circulation des personnes ; le droit de franchir les frontières diffère de la présence de contrôle à ces mêmes frontières. Si la libre circulation des personnes préexistait à l'espace Schengen, l'absence de contrôle permet de la rendre effective, tandis que le rétablissement des contrôles la fragilise.

Enfin, l'acquis Schengen s'est développé d'abord en dehors du cadre juridique de l'Union, avant d'y être intégré. Il forme aujourd'hui la matrice du chapitre 2 du Titre V de la cinquième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Sur ces bases, l'acquis Schengen est important et ses applications concrètes concernent à la fois les voyageurs et les services de police qui délivrent des visas Schengen et contrôlent les frontières, ces services étant au quotidien impliqués dans l'application de l'acquis Schengen.

Cependant, cet acquis présente un indéniable inachèvement spécifique à la plupart des politiques européennes, puisque la construction de l'Union est une oeuvre en devenir. Dès lors, certaines faiblesses ont été avivées par les récents événements. En effet, le fonctionnement de l'espace Schengen est mis à l'épreuve par deux défis : d'une part, l'augmentation des flux irréguliers à destination de cet espace - avec un premier pic entre 2010-2011, puis entre 2015-2016 - lance un défi en matière notamment de contrôle de frontières extérieures. Au-delà des insuffisances, cette crise migratoire a également engendré celle de l'asile et pose la question de l'augmentation des mouvements secondaires entre les États membres de l'espace.

Ainsi, un demandeur d'asile pourrait se voir renvoyer d'un État à un autre sans que ne soit examinée sa demande d'asile. Les Accords de Dublin ont vocation à répondre à une telle situation. Cependant, se pose un risque symétrique inverse où le demandeur d'asile pourrait être amené à déposer plusieurs demandes d'asile dans des pays successifs. C'est pourquoi l'un des objectifs de la Convention de Dublin est de garantir à un demandeur d'asile qu'un seul État membre est responsable de sa demande.

Les flux migratoires constituent un deuxième défi à l'espace Schengen quant à la politique de retour. Ainsi, la problématique d'un retour efficace - sur laquelle les parlementaires nous demandent à juste titre des comptes - se diffuse dans l'Union européenne et plusieurs de nos administrations homologues, comme en Allemagne où la sensibilité était moindre sur ses questions, se retrouvent désormais confrontées à ces difficultés qu'il convient de résoudre aux niveaux européen et national.

Les attaques terroristes, consécutives à la situation en Irak et en Syrie, ont également visé l'espace Schengen dans ses différentes composantes. Elles avivent une double difficulté de son fonctionnement : d'une part, la problématique des contrôles aux frontières extérieures et de la lutte contre la fraude documentaire, comme en témoigne le parcours des auteurs des attentats ; d'autre part, la problématique de la coopération policière et des signalements puisque les terroristes de Paris et de Bruxelles étaient des ressortissants de l'Union européenne ayant franchi des frontières intérieures et extérieures avant de perpétrer leurs actes.

Les défaillances, qui ont pu être relevées dans le fonctionnement de l'espace Schengen, ont conduit certains membres à rétablir leurs contrôles aux frontières à l'automne 2015. Cette démarche peut prendre deux formes : le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures peut être justifié sur la base des articles 28 relatif à l'urgence et 25 relatif à des conditions d'ordre public, comme en France, ou être décidés, comme en Allemagne, en Suisse, en Suède, en Norvège et au Danemark, sur recommandation du Conseil de l'Union européenne, suite aux graves défaillances de l'espace Schengen, relevées notamment en Grèce. C'est ainsi qu'au printemps et à l'automne 2016, le Conseil a fait usage de la nouvelle procédure de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures intégrée dans le droit à la suite des « printemps arabes ».

Ces difficultés ont appelé une réponse vigoureuse de la part des États membres et des institutions de l'Union. Face à l'urgence de la crise, les contrôles aux frontières extérieures ont été renforcés. Les opérations de Frontex ont été développées : Triton, au large de l'Italie, a connu le triplement de ses moyens en avril 2015, et les opérations Poséidon, puis Rabit, ont été lancées en septembre 2015, lorsque les flux se sont accélérés en Grèce. Une seconde réponse a consisté en la mise en oeuvre de la relocalisation et des hot spots au sujet desquels j'ai pu lire, dans le compte rendu de vos auditions, des appréciations plus ou moins mitigées. De telles mesures ont été mises en oeuvre afin de remédier à un dysfonctionnement lié à un manque de ressources mobilisé par un pays de transit pour contrôler ses frontières extérieures, dès lors que les migrants poursuivaient leur route. L'ancien Président du Conseil italien avait d'ailleurs évoqué ce point de manière très nette entre 2010 et 2011. La relocalisation est une dérogation aux règles de Dublin destinée à contrer certains calculs des pays d'arrivée. Garantir à ces pays qu'ils ne sont pas appelés à assumer une part disproportionnée de l'effort d'accueil implique la contrepartie du renforcement du contrôle aux frontières extérieures.

Si ce premier volet a été mis en place de manière plus modeste que ne le prévoyaient les textes européens, les contrôles aux frontières extérieures ont été sérieusement renforcés et ont changé les choses. Si l'on se replace à l'automne 2015, la très grande majorité des migrants arrivant dans l'espace Schengen, que ce soit par l'Italie ou la Grèce, n'étaient ni enregistrés ni soumis à des contrôles. Aujourd'hui, la mise en oeuvre des hot spots a modifié radicalement cette situation : la quasi-totalité des migrants qui arrivent en Grèce, ainsi que la grande majorité de ceux qui arrivent en Italie, font désormais l'objet de contrôles sécuritaires. En outre, l'accord entre l'Union européenne et la Turquie a permis de renforcer les contrôles aux frontières extérieures.

Au-delà de cette réponse opérationnelle à l'urgence, plusieurs actions structurelles ont été mises en oeuvre : d'une part, suite à une initiative conjointe de MM. Bernard Cazeneuve et Thomas de Maizières, un « paquet frontières » a été présenté par la Commission à la fin de 2015, proposant la révision du code frontières ainsi qu'un nouveau texte visant la transformation de Frontex en agence des garde-côtes et des garde-frontières européens.

Sur la révision du code frontières, un accord a été trouvé entre le Parlement et le Conseil. Cet accord a pour effet de systématiser le contrôle aux frontières extérieures s'exerçant sur les ressortissants de l'Union européenne et met ainsi fin à la différenciation avec les personnes non ressortissantes, qui prévalait jusqu'alors. En effet, les ressortissants de l'Union européenne faisaient l'objet d'une procédure simplifiée où seule la validité des titres était rapidement contrôlée et les fichiers Schengen consultés de manière aléatoire. Désormais, dès l'entrée en vigueur de la révision du code frontières, les États membres auront l'obligation d'opérer un contrôle systématique sur les ressortissants de l'Union européenne, afin notamment de contrer la menace des personnes qui reviennent des théâtres d'opération terroriste.

Le deuxième texte procède à la transformation de Frontex en agence des gardes-frontières et des garde-côtes. Ses moyens opérationnels sont à nouveau renforcés par la création d'une réserve permanente de 1 500 hommes qui peuvent être déployés dans les États membres. Au-delà, Frontex voit son autonomie d'action et ses prérogatives juridiques nettement renforcées. Lui est ainsi attribuée la capacité de conduire des analyses de vulnérabilité des États membres et d'adresser des recommandations, lesquelles, si elles ne sont pas suivies d'effets, impliquent la possibilité de saisir le Conseil de l'Union européenne et de contraindre un État membre à accueillir un déploiement d'experts Frontex sur son territoire.

Au-delà du « paquet frontières », des réponses de plus long terme ont été mises en chantier : le développement du système entrées-sorties visant à développer les contrôles aux frontières extérieures dans le cadre du programme des frontières intelligentes ; le renforcement du SIS, de manière à faciliter son alimentation et son interrogation au plan biométrique ; la constitution d'un groupe à haut niveau sur l'interopérabilité des systèmes d'information suite à la publication par la Commission d'une feuille de route en mars 2016 visant à rendre plus interopérables les bases de données comme le système EURODAC. Cette démarche vise ainsi à rendre disponible un plus grand nombre de données, tant numériques qu'alphanumériques, de les décloisonner et de permettre une utilisation plus aisée dans le cadre de la lutte contre l'immigration irrégulière, en cas d'interpellation ou pour prévenir les infractions. Enfin, elle prévoit l'instauration du système ETIAS, dans lequel les ressortissants de pays tiers, jusqu'alors non soumis à l'obtention d'un visa, devront s'enregistrer et faire l'objet de contrôle préalable avant de pénétrer dans l'Union.

Des réponses structurelles ont également été mises en chantier dans le domaine de l'asile, afin de transformer EASO en véritable agence et de lui confier un rôle quelque peu symétrique de celui de Frontex pour les frontières. Il s'agit ainsi de prévenir les crises et de rendre le système asilaire plus résilient. Dans le même esprit, le « paquet frontières » entend favoriser la convergence entre les systèmes d'asile, de manière à prévenir les mouvements secondaires issus de ces disparités. La révision de Dublin est d'ailleurs intervenue pour rendre ce règlement plus efficace. Enfin, dans le domaine des retours, ce sujet a été abordé à haut niveau par l'Union européenne dans ses relations avec les pays tiers.

Sur un plan très concret, le budget de Frontex a quadruplé pour atteindre plus de 300 millions d'euros en 2017, contre 83 millions d'euros en 2013, tandis que ceux d'EASO et des systèmes d'information de la JAI doublent entre 2016-2017.

Quelles sont les conditions d'un retour à la normale dans l'espace Schengen ? Il s'agit d'abord de concrétiser les mesures adoptées dans le cadre du renforcement des contrôles aux frontières extérieures. Il faut également rendre plus flexible le système face aux crises. C'est d'ailleurs l'objet de la nouvelle révision du code frontières que nous appelons de nos voeux. Celle-ci devrait ainsi favoriser le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures par les États membres lorsque ceux-ci sont confrontés à une menace grave et persistante. Il est ainsi manifeste que certaines règles sont inadaptées, comme celles qui enserrent dans un délai de six mois le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures.

Il importe également de clarifier les conditions dans lesquelles les États membres peuvent effectuer des contrôles aux frontières intérieures en dehors des périodes de rétablissement. En zone frontalière, hors période de rétablissement, prévaut une relative incertitude sur ce qu'il est possible de faire. Plusieurs États membres ont d'ailleurs été confrontés à une telle situation. Ainsi, avant même les attentats du 13 novembre 2015, les contrôles de police dans la zone frontalière avec l'Italie avaient été renforcés. Nous avions cherché à exploiter pleinement les marges de manoeuvre que laisse le code frontières. Nous pourrions cependant être plus performants si les limites qui nous sont imparties étaient plus clairement posées.

À plus long terme, le bon fonctionnement de l'espace Schengen implique de chercher à réduire au moins deux sources de déséquilibre. Ainsi, nous sommes dans un espace sans frontières intérieures dans lequel les appareils étatiques opérationnels restent très largement nationaux. La conduite d'activités criminelles tire ainsi parti des discontinuités entre les appareils administratifs, opérationnels et répressifs des États membres. Il faut répondre à cela par une meilleure coopération entre polices. Mais ce n'est pas là le coeur des compétences de la DGEF.

Les systèmes d'informations soulèvent les problèmes de l'interopérabilité et de la couverture des ressortissants de l'Union européenne. Le droit à la libre circulation concerne les mouvements à l'intérieur de l'espace et n'autorise pas à se soustraire aux contrôles à l'entrée de ce territoire. C'est la raison pour laquelle la France a défendu la systématisation des contrôles des ressortissants européens à l'entrée de l'Union européenne. C'est également pourquoi la France estime que les contrôles qui sont effectués, y compris sur les ressortissants européens aux frontières extérieures, devraient être enregistrés. Une telle démarche bénéficierait aux enquêtes, à l'instar de ce qui prévaut pour les ressortissants de pays tiers.

Enfin, la différenciation entre les États des droits de séjour et de circulation représente une autre difficulté structurelle pour l'espace Schengen. Ainsi, les ressortissants européens et ceux des pays tiers n'ont pas les mêmes droits en matière de libre circulation, le droit à la libre circulation n'étant pas absolu. Or, l'absence de contrôle aux frontières intérieures implique de s'assurer du respect des garanties qui accompagnent, tant pour les ressortissants européens que des pays extérieurs, le droit à la libre circulation. Une partie de la réponse tient au contrôle aux frontières intérieures et une autre partie à la nécessité d'obtenir des règles plus convergentes se prêtant moins à l'abus, dans le cadre de l'acquis communautaire.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Nous ne disposons pas à ce stade de la dernière évaluation du système Schengen pour la France. Nous vous en serions gré de nous en communiquer les conclusions. Par ailleurs, nous avons, depuis quelque temps, le sentiment que l'échange d'informations entre les différents États est relativement foisonnant, alors même qu'il serait opportun de le canaliser pour mieux appréhender l'entrée des étrangers extra-communautaires et de contribuer à la lutte contre le terrorisme. Comment percevez-vous son évolution ? Ma troisième question porte sur l'asile en tant que tel : est-il possible que la politique d'asile devienne une politique partagée au sein de l'espace Schengen ? Quelle devrait être l'évolution du rôle de Frontex, au regard de l'application du principe de subsidiarité alors que les pouvoirs de police restent dévolus aux États ? En outre, où en est la mise en oeuvre du PNR dont les principes ont pourtant été votés ? Enfin, l'ambassadeur d'Allemagne, que nous avons auditionné hier après-midi, nous a indiqué qu'à compter du 15 mars prochain, le dispositif exonératoire du Règlement de Dublin ne devrait plus s'appliquer à la Grèce. Cette dernière dispose-t-elle des moyens de l'appliquer ?

M. Pierre-Antoine Molina. - L'évaluation Schengen comporte plusieurs volets et implique plusieurs étapes. Les États doivent faire valoir des observations sur les rapports d'évaluation avant que les institutions européennes ne soient sollicitées. Aujourd'hui, nous ne disposons pas encore de l'ensemble des rapports d'évaluation faisant suite aux différentes inspections dont nous avons fait l'objet.

Deux catégories d'informations sont concernées par les échanges d'informations. Je ne m'aventurai pas sur le terrain de la coopération policière et des services de renseignements, pas plus que sur celui du PNR, ceux-ci ne relevant pas de ma direction.

En revanche, le SIS a une vocation mixte : c'est un fichier de police judiciaire et administrative, cette dernière dimension étant renforcée par la réforme du système Schengen qui vise à enregistrer l'ensemble des décisions de retour. En effet, les décisions de retour ou de refus d'entrée qui figurent dans le SIS doivent être motivées par des menaces à l'ordre public. De sorte que, si un étranger est interpellé en situation irrégulière et que nous interrogeons le SIS, nous ne pouvons savoir si cette personne a déjà fait l'objet d'une mesure de retour de la part d'un autre État. Cette lacune que nous avions soulignée est ainsi en passe d'être comblée.

Puisque les disparités provoquent des mouvements secondaires, la convergence des systèmes d'asile nationaux nous paraît souhaitable, à la condition qu'elle soit progressive, en raison de la diversité des organisations et des pratiques nationales. Si la France a une très longue histoire en matière d'asile, en accueillant pendant longtemps le plus grand nombre de demandeurs dans le monde, la majorité des pays membres de l'Union européenne ne reçoit que des flux très limités de demandeurs d'asile. Une transition est ainsi nécessaire pour mettre l'ensemble des pays à niveau.

S'agissant de Frontex, la répartition des compétences est une question de fond pour l'équilibre de l'espace Schengen, dont nous sommes tous titulaires et qui représente un acquis communautarisé. Cependant, l'exercice des contrôles aux frontières extérieures reste de la compétence des États membres. Tout l'enjeu de la révision du règlement Frontex a consisté à renforcer l'européanisation des contrôles aux frontières extérieures, non pas pour que l'Union européenne se substitue aux États membres, mais dans la perspective du déploiement d'une opération Frontex, y compris contre la volonté d'un membre défaillant, afin d'amener celui-ci à prendre davantage ses responsabilités.

M. Benoît Brocart, directeur de l'immigration. - Je compléterai le propos de M. Pierre-Antoine Molina sur deux points. Les évaluations Schengen de l'automne dernier ont porté, de notre point de vue, sur la politique de retour, la protection des données, ainsi que sur le champ de la politique des visas, avec un audit des postes consulaires de Hanoï et de Shanghai. Le système de contrôle aux frontières a lui aussi été inspecté, tout comme le système d'information Schengen. Sur l'ensemble de ces points, la transmission des projets de rapport de ces évaluateurs est en cours. Nous sommes invités à nous prononcer sur ces projets dans le cadre d'une procédure contradictoire juste engagée à ce jour.

Le renforcement de Frontex est d'abord conséquent en termes de moyens, avec un budget primitif de plus de 300 millions d'euros, alors qu'il était encore de 89 millions d'euros début 2014. Ce renforcement budgétaire s'accompagne de celui des effectifs qui devraient doubler et atteindre 880 emplois d'ici à 2020. Cet effort budgétaire vise d'abord à augmenter la capacité opérationnelle de l'agence. Ce qui est budgété pour les opérations sur les frontières représente un peu plus de 140 millions d'euros en 2017, auxquels s'ajoutent quelque soixante millions d'euros pour les opérations retour, tandis qu'en 2014, ces dernières n'étaient abondées qu'à hauteur de 8 millions d'euros. Cette augmentation substantielle démontre la volonté de l'Union européenne de se doter d'un outil beaucoup plus puissant que par le passé. Frontex est aussi au service des missions nouvelles rendues possible par son nouveau règlement : l'agence devrait ainsi s'impliquer davantage dans la mise en oeuvre des opérations de retour qui s'avèrent délicates aux niveaux juridiques et logistiques. Les évaluations de la vulnérabilité de chacun des États, qui étaient jusqu'alors pluriannuelles - la France étant évaluée en 2009 puis en 2016 -, vont devenir permanentes, via la mise en oeuvre d'indicateurs. La gestion et la maîtrise des frontières vont ainsi être contrôlées par Frontex de manière quasi-continue, avec la possibilité ensuite de tirer les conséquences qui s'imposent, au regard des nouvelles procédures permises par le règlement Frontex. Ainsi, au vue d'une évaluation révélant les difficultés à gérer une frontière extérieure, sera-t-il permis de demander à l'État concerné de prendre les mesures de rétablissement d'une situation normale et, en l'absence d'action suffisante de cet État, de préparer une intervention mise en oeuvre, sans sa demande expresse le cas échéant. À défaut d'effet suffisant de son intervention, il serait alors possible de mettre en oeuvre la procédure prévue à l'article 29 permettant, en cas de difficultés systémiques, le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures des autres États. Cette évolution, significative en termes de moyens et de missions, marque un progrès conséquent.

M. Raphaël Sodini, directeur de l'asile. - La politique de l'asile est-elle partagée équitablement ? Deux règlements et trois directives européens régissent cette politique, avec des mécanismes de contrôle suivis par la Commission. Cette politique n'est donc pas la moindre des politiques européanisées. Ces cinq textes devraient d'ailleurs être refondus et complétés par deux nouveaux textes, comme celui sur l'EASO, qui sont aujourd'hui en débat.

La convergence des systèmes d'asile est réelle et le mouvement est plutôt rapide tout en prenant en compte la diversité initiale des systèmes européens. Si l'on évoque le partage des demandeurs d'asile, en termes de burden sharing, comment faire en sorte que cette répartition soit plus directive et ainsi garantir l'efficacité du règlement de Dublin, tout en évitant que certains États assument une charge déraisonnable, en raison de leur position géographique les amenant à capter l'essentiel des demandeurs d'asile ? Cette question fait aujourd'hui l'objet d'un débat nourri dans lequel la Commission européenne a fait une proposition très audacieuse.

La Grèce a été écartée du système de Dublin du fait de la défaillance systémique de son système d'asile. Depuis la crise migratoire, et grâce au soutien de l'EASO et à la volonté de ses autorités nationales, le système d'asile grec est devenu plus performant, ce qui rend possible la reprise des transferts Dublin vers la Grèce qui n'est plus en défaillance systémique. La position des autorités françaises demeure prudente, eu égard à la charge que représente, pour Athènes, la gestion de la crise migratoire. À cet égard, une mission, à laquelle participaient des membres de ma direction, a audité le système asilaire grec et a conclu à la nécessité que la maîtrise des transferts aille de pair avec un soutien accru de l'Union européenne et de la France.

M. Jean-Yves Leconte. - Un consulat de France a-t-il accès au fichier SIS lorsqu'il examine une demande de visa ? Si le droit d'accès à ce fichier SIS relève de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), qu'en est-il du fichier Visa Information System (VIS) ? Sur la question de l'asile, il importe, me semble-t-il, de séparer l'instruction de la demande par l'État compétent de l'absence de liberté de celui qui a obtenu une protection de circuler dans l'espace Schengen. Sur ce second aspect des choses, les droits au sein de l'Union européenne sont-ils harmonisés ? S'il s'agit de déterminer si la personne ayant droit à une protection peut systématiquement bénéficier du droit de liberté d'installation et de circulation à l'égal de n'importe quel citoyen européen, on a déjà franchi une étape. Cette question de l'harmonisation des droits est importante. En effet, elle recoupe celle d'identifier qui prend la charge de l'instruction de la demande d'asile et implique l'éventualité de son pilotage et de son financement par l'Union européenne. Enfin, comment la France va-t-elle devoir gérer ses territoires d'outremer qui ne relèvent pas de l'espace Schengen, alors que la gouvernance de ce dernier connaît actuellement une profonde évolution ?

M. Didier Marie. - Si Frontex est habilitée à organiser des retours, cette démarche est-elle conduite uniquement à la demande du pays d'accueil ou peut-elle relever de sa propre autorité ? Par ailleurs, l'ambassadeur d'Allemagne nous a indiqué que la réserve ne bénéficiait pas des mêmes prérogatives que celles des services de police des pays où elle est déployée. Quelle est la position de la France sur cette question et faut-il faire évoluer les prérogatives des agents de Frontex ? En outre, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a indiqué que la France avait examiné 85 000 demandes d'asile en 2016, avec une évolution des pays d'origine des personnes, en particulier du Soudan et de l'Albanie, cette dernière était pourtant considérée comme un pays sûr. Quelle position votre direction prend-elle par rapport à cette évolution ? Enfin, je partage le point de vue selon lequel la Grèce n'est manifestement pas en capacité de répondre aux exigences des accords de Dublin.

M. Pierre-Antoine Molina. - Lorsque nos consulats sont saisis d'une demande de visa, ils ont accès au SIS sur un mode indirect. Ils peuvent en effet savoir si la personne demandeuse figure dans le SIS, mais doivent saisir d'autres services pour connaître le motif de ce signalement.

S'agissant du VIS, un démembrement national - le NVIS est placé sous le contrôle de la CNIL. On dispose ainsi en France de deux bases de données : le NVIS, utilisé pour la délivrance de visas Schengen de court séjour, et le système VISABIO pour les visas français hors Schengen. Ces deux bases de données sont très importantes pour le contrôle aux frontières et sur le territoire car elles permettent d'identifier une personne à partir de ses empreintes digitales. En cas d'interpellation, il nous est possible de constater, à partir de la base VISABIO, que l'identité déclarée par la personne interpellée, si elle y figure, n'est pas celle sur le fondement de laquelle elle a demandé un visa et que, par exemple, sa date de naissance diffère, ce qui permet notamment de constater que cette personne n'est pas mineure. Cependant, parmi les étrangers en situation irrégulière interpellés sur notre territoire, seule une minorité s'avère porteuse d'une demande de visa.

La consultation du VIS est obligatoire lors du contrôle aux frontières, pour les étrangers soumis à l'obligation d'un visa pour entrer sur le territoire. Lorsqu'une interpellation se déroule sur le territoire, le service interpellateur peut, par le biais de l'interface CHEOPS, accéder aux informations contenues dans le VIS ou VISABIO. Il me paraît que ces consultations sont soumises au contrôle de la CNIL.

M. Jean-Yves Leconte. - J'ai le cas d'un citoyen français dont on soupçonne qu'il est dans le fichier VIS, mais il est impossible de le vérifier, faute d'un droit d'accès contrôlé par la CNIL.

M. Pierre-Antoine Molina. - Je vais vérifier ce point, mais je ne comprends pas pourquoi un ressortissant français serait enregistré dans le VIS. Pourquoi la CNIL ne pourrait alors exercer le contrôle du droit d'accès ? Quelle peut alors être l'autorité compétente ? Si vous me le permettez, Monsieur le Sénateur, nous poursuivrons plus avant l'examen de ce cas d'espèce et reviendrons vers vous.

L'application du Règlement de Dublin ne préjuge pas des règles relatives à l'attribution de la protection et au droit qui s'y rattache. Il s'agit de désigner le pays responsable de l'examen de la demande d'asile, bien en amont de la protection. C'est la raison pour laquelle l'application du Règlement Dublin ne préjuge pas du besoin de protection, car il s'applique aux pays offrant des garanties procédurales suffisantes. D'ailleurs, il m'arrive parfois d'éprouver une certaine forme d'incompréhension face à certaines sensibilités se faisant jour dans l'opinion quant à l'application de ce règlement. Le fait de dire que l'examen d'une demande d'asile doit être conduit par un autre État membre ne porte pas une atteinte analogue à celle du retour au pays d'origine.

S'agissant du droit à la libre circulation des réfugiés, il n'y a pas de reconnaissance mutuelle immédiate du statut de réfugié accordé par un État membre dans les autres États membres. Ainsi, une personne qui se voit accorder le statut de réfugié ou une protection subsidiaire dans un État membre dispose de la possibilité de circuler à l'intérieur de l'espace Schengen pour des séjours de moins de trois mois. Cette personne ne disposera d'un droit de libre circulation analogue à celui des ressortissants européens qu'à l'issue de cinq ans du bénéfice de sa protection.

L'acquis Schengen ne s'applique pas aux outremer, voire aux territoires qui sont des régions ultrapériphériques soumises à des règles particulières. Ainsi, lorsqu'un ressortissant de pays tiers veut se rendre en outremer où l'acquis Schengen ne s'applique pas, il lui faut un visa spécifique. Mais je ne vois pas comment les évolutions actuelles pourraient impliquer une déconnection plus importante encore vis-à-vis des territoires d'outremer.

M. Benoit Brocart. - Sur la situation de l'outremer et sa relative autonomie par rapport au système Schengen, en termes de contrôle et de délivrance des visas, il faut néanmoins noter la mise en oeuvre de la biométrie qui reste un élément de sécurisation et de contrôle indispensable. Ensuite, les situations varient selon les territoires en question et les pays d'origine des ressortissants qui aspirent à y rentrer. Pour preuve, on a souhaité alléger les procédures des ressortissants indiens et chinois à destination de la Réunion ou de la Polynésie, alors qu'a contrario, ces mêmes ressortissants, pour leurs déplacements en métropole, sont soumis à des obligations de visa sans exception possible.

Dans le système antérieur, Frontex intervenait en qualité de re-financeur d'opérations intégralement organisées par les États membres, dans la limite de ses moyens. Avec le nouveau règlement et les nouveaux moyens financiers et humains dont elle dispose, l'agence se voit dotée d'une capacité à opérer elle-même ce type d'opérations en cas de nécessité. Il lui est ainsi possible d'affréter des moyens de transports et de fournir des personnels pour mettre en oeuvre l'opération de retour. Pour autant, il ne s'agit pas d'une autonomie totale, mais l'agence met ses capacités renforcées au service des États qui éprouvent le besoin de telles opérations. En d'autres termes, on ne reconnaît pas à Frontex la possibilité de décider de l'éloignement d'un ressortissant étranger vers un pays tiers. En ce qui concerne l'évolution des pouvoirs reconnus aux agents intervenant sous son égide, plusieurs évolutions sont à souligner. Contrairement aux systèmes précédents et suite aux difficultés éprouvées en Grèce, les agents de Frontex vont pouvoir accéder aux bases nationales de l'État hôte de l'opération qui les accueillent. Le règlement de Frontex, dans la limite de ce qu'acceptent les systèmes juridiques nationaux concernés, accorde aux experts Frontex une capacité autonome pour les contrôles et les escortes, hors supervision d'un officier local. Pour autant, il importe de mettre en oeuvre ces nouvelles prérogatives en tenant compte des législations et de la souveraineté des États hôtes. Ainsi, en France, une telle habilitation ne permettrait pas d'aller au-delà d'un contrôle de première ligne, au risque de heurter la souveraineté nationale.

M. Olivier Cigolotti- Vous avez distingué les demandes d'asile des personnes en besoin de protection et les migrants dits économiques. Comment s'organisent ces obligations de retour ? Quelle est la proportion d'obligation de retour qui est exécutée et au vu de l'évolution des missions de Frontex, quelles sont les perspectives d'ores et déjà déterminées, à l'échelle nationale et de l'Union européenne, pour améliorer la mise en oeuvre de ces obligations de retour ou d'éloignement du territoire français ?

M. Pierre-Antoine Molina. - Au terme de l'examen d'une demande d'asile, soit une protection en qualité de réfugié ou une protection subsidiaire est accordée, soit la personne est déboutée. Celle-ci n'a pas, en principe, de droit au séjour, sauf si elle est malade ou si l'éloignement porterait une atteinte manifeste à son droit à mener une vie familiale normale. En dehors de ces cas, un demandeur d'asile débouté a vocation à quitter le territoire. C'est là un objectif pour les autorités nationales et l'évolution du débat dans les différents pays de l'Union va en ce sens, compte tenu du nombre de personnes déboutées proportionnel aux flux migratoires enregistrés ces dernières années. Ainsi, plusieurs dizaines de milliers de personnes, au terme de l'examen de leur demande d'asile en Allemagne, ont vocation à quitter conjointement ce pays et le territoire de l'Union. J'insiste sur ce point : lorsqu'une décision de retour à la frontière est prise par un État membre, son exécution implique de quitter l'Union. Dans la plupart des cas, le retour est effectué de manière contrainte, faute de la coopération des personnes déboutées, ce qui pose la question de leur privation de liberté sous le contrôle précis du juge. La coopération avec le pays de retour pose aussi problème, puisque la plupart des personnes faisant l'objet de ces mesures de retour ne disposent pas des documents leur permettant d'être réadmises par leur pays d'origine. Il faut donc demander à ceux-ci de les documenter via la délivrance d'un laissez-passer consulaire. Votre rapporteur avait relevé que le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) n'excédait pas 20 %. Cet indicateur me paraît toutefois devoir être considéré avec prudence, en raison de sa sensibilité au nombre de décisions prises par les préfectures et non aux activités opérationnelles des services de lutte contre l'immigration irrégulière. La grande majorité de ces OQTF est ainsi décidée, non à l'issue d'une interpellation, mais à la suite du refus d'une demande de titre de séjour d'une personne qui, conformément à la directive retour, doit faire l'objet d'une mesure de retour. En l'absence de localisation des personnes concernées, il est pratiquement difficile de la mettre en oeuvre. Un autre élément me conduit à relativiser la portée de cet indicateur : une OQTF peut être conduite de manière contrainte, aidée ou spontanée, ce qui n'a pas la même signification.

L'amélioration de l'exécution des OQTF représente un effort constant demandé à la fois au service des préfectures et aux services opérationnels, ce qui implique une meilleure sécurisation juridique des procédures, de façon à éviter que les mesures d'éloignement ne soient annulées ou privées d'effet devant les juridictions. Cette démarche nous a également conduits à améliorer la coopération avec les États tiers de manière à obtenir davantage de laissez-passer consulaires. Cette action est, du reste, relayée au niveau européen, avec des réussites contrastées, comme en témoigne le dernier épisode avec les autorités maliennes. Mais nous ne nous résignons pas.

M. Philippe Kaltenbach- Je vous remercie pour vos informations. Quel bilan tirez-vous, un an après, du rétablissement du contrôle aux frontières destiné à lutter contre le terrorisme ? Cette démarche a-t-elle produit des effets sur le nombre de demandes traitées par les services de l'immigration et par les services de l'asile ? À ce sujet, lors du débat sur le droit d'asile, le raccourcissement du délai est apparu comme un objectif, de manière à favoriser le retour dans le pays d'origine des personnes déboutées. En effet, après un certain temps passé sur le territoire national, il est plus difficile d'assurer la reconduite à la frontière, et ce, davantage encore, lorsqu'est invoqué le droit à une vie familiale normale. Depuis le vote de la loi, ce délai a-t-il été raccourci et a-t-il permis d'améliorer le taux de reconduite à la frontière ? Enfin, d'importants flux d'immigration passent par Mayotte et la Guyane et quelle est ainsi la proportion des reconduites à la frontière dans ces deux départements ?

M. Pierre-Antoine Molina. - Le rétablissement du contrôle à la frontière a eu une efficacité certaine, mais non totale. Ainsi, il s'est élevé à 85 millions de contrôles en 2016 et a conduit, d'après les chiffres de la police aux frontières, à 63 000 décisions de non-admission, contre 15 000 en 2015 et 11 000 en 2014. Un tel taux peut certes s'expliquer par la pression migratoire aux frontières, notamment dans des départements comme les Alpes-Maritimes, mais il souligne également que le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures a donné à nos forces la possibilité juridique des contrôles en continu. En effet, en dehors des périodes de rétablissement du contrôle des frontières intérieures, nous n'avons pas la possibilité de le faire et l'article 78-2 du code de procédure pénale nous interdit de conduire des contrôles durant plus de six heures au même endroit dans la zone frontalière.

Cette explosion des mesures de non-admission a induit un effet balancier sur les mesures d'éloignement, en raison de la substitution des publics concernés. Ainsi, dans les Alpes-Maritimes, avant le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures, une interpellation soit au péage à la Turbie, soit dans une gare des Alpes-Maritimes, pouvait donner lieu soit à une non-admission ou à un éloignement. Le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures a conduit à l'augmentation du nombre de non-admissions, entraînant, ipso facto, une baisse des éloignements. Le fait de projeter une plus grande partie des ressources, comme vous l'a exposé M. David Skuli lors de son audition, a entraîné une certaine forme de raréfaction des forces destinées à lutter contre l'immigration irrégulière dans la profondeur du territoire.

Les instructions sont de prendre, dès la notification du rejet définitif d'une demande d'asile, une mesure de retour. La réforme de l'asile nous permet de mieux mailler ces différentes étapes de la procédure d'asile, puisque la mise en place du système d'information de l'asile devrait permettre aux préfectures de prendre connaissance, en temps réel, des décisions de rejet prises par l'OFPRA et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et ainsi de prendre, le cas échéant, des mesures de retour.

À Mayotte, avec 17 000 éloignements forcés décidés en 2016, contre 13 000 en 2015, l'intensification de la lutte contre l'immigration irrégulière se poursuit. Ce département est soumis à une pression migratoire extrêmement forte en provenance des Comores. En Guyane, 6 500 éloignements ont été mis en oeuvre, visant principalement des ressortissants haïtiens.

M. Raphaël Sodini. - 85 000 demandes d'asile ont été enregistrées par l'OFPRA. Cette évolution reflète cependant assez mal celles enregistrées en préfecture, qui ont connu une hausse de l'ordre de 20 %. Cette différence s'explique par la hausse des procédures Dublin en raison de l'afflux de demandeurs d'asile essentiellement déboutés de leur demande dans d'autres pays de l'Union européenne qui tentent une deuxième chance en France. Sur ces 85 000 demandes, les cinq premiers pays concernent respectivement l'Afghanistan, le Soudan, Haïti - en Guyane -, l'Albanie et la Syrie. Si l'on prend en compte les demandes familiales, l'Albanie devient le premier pays. La demande albanaise a ainsi augmenté plus brutalement depuis le dernier semestre 2016 et s'est concentrée sur les départements de l'Est de la France, impliquant notamment la constitution de campements et la nécessité de trouver des hébergements rapidement. L'OFPRA s'est engagée à traiter les demandes des ressortissants albanais dans un délai inférieur à deux mois, en les mutualisant à l'ensemble de ses sections. La CNDA, à la suite de la réforme de l'asile, intervient en juge unique dans un délai d'un à deux mois, ce qui permet de traiter la demande albanaise, délais de recours compris, à quatre mois.

Les délais de traitement de la demande d'asile doivent faire face à un afflux de l'ordre de 80 000 dossiers en 2015 et 2016. Les effectifs supplémentaires de l'OFRA et la réorganisation de la CNDA ont permis une baisse tendancielle de la demande qui n'est cependant pas à la hauteur des espérances des parlementaires, lors du vote de la loi sur l'asile, en raison de la hausse des demandes. Le délai moyen est encore de six mois à l'OFPRA et non de trois mois comme le parlement en avait convenu. Si la demande se stabilise en 2017, ce qui est une perspective raisonnable, les effectifs supplémentaires accordés à l'OFPRA depuis ces deux dernières années doivent lui permettre de tenir un tel délai d'ici à la fin de l'année 2017. La réalisation d'un tel objectif s'avère cependant tributaire de l'afflux de demandeurs d'asile sur lequel nous n'avons que peu de prise.

M. Pierre-Antoine Molina. - En effet, des efforts considérables ont été consacrés au renforcement des capacités de traitement de l'OFPRA, qui a connu une augmentation de ses effectifs de l'ordre de 70 %, et de la CNDA. Ces nouveaux effectifs ont ainsi permis de contenir cet afflux de demandes et de prévenir la dégradation des délais d'examen. Depuis la fin de l'année dernière, les flux sortants de l'OFPRA ont rééquilibré les flux d'entrants. La réorganisation de l'OFPRA, dont les effets se font sentir au bout d'une année, devrait ainsi conduire à une réduction des délais à la fin du premier semestre 2017.

M. Jean-Louis Tourenne. - À Mayotte, le principal problème est que près de 60 % des accouchements réalisés dans les maternités impliquent des personnes comoriennes dont les enfants sont appelés, à terme, à devenir français. Il nous faut avoir en tête ce problème. Les centres d'accueil et d'orientation ont été alimentés par le démantèlement de la « jungle » de Calais. Or, l'application des accords de Dublin suscite une certaine inquiétude chez les migrants dont la situation s'est améliorée. Leur grande crainte est ainsi de retourner dans leur premier pays d'arrivée où le traitement de leur demande d'asile, ainsi que leurs conditions d'hébergement diffèrent. Un dispositif dérogatoire est-il en cours d'élaboration afin d'éviter que ces personnes ne soient renvoyées dans leur premier pays d'entrée ?

Vous nous avez également indiqué qu'à partir d'un certain nombre d'outils à votre disposition, il vous est possible de retrouver l'état civil d'un certain nombre de migrants, voire d'obtenir leur date de naissance. Or, il se trouve qu'une grande partie des jeunes qui arrivent dans nos départements cherche à se faire passer pour mineur et ainsi à se faire prendre en charge par les départements, de telles demandes représentant, pour le seul département d'Ille-et-Vilaine, près de 90 % des demandes.

Or, les départements ne disposent pas des moyens de déterminer l'âge approximatif de ces personnes. Ce sont là des dépenses infondées pour les départements, puisque la plupart de ces personnes sont majeures.

M. Pierre-Antoine Molina. - À Mayotte, l'essentiel des activités médicales se déroule à l'hôpital, en raison de la faiblesse de la médecine de ville et ambulatoire et en raison des modalités de remboursement des soins. La suractivité de la maternité de Mayotte n'est pas simplement le fait de la population migrante comorienne dont la motivation de venir y accoucher peut répondre à diverses préoccupations, y compris d'ordre sanitaire. Les personnes qui naissent à Mayotte ne reçoivent pas ipso facto la nationalité française ; encore faut-il qu'elles demeurent en France avant que leurs parents, à l'âge de treize ans, ou qu'elles-mêmes, dès l'âge de seize ans, ne la demandent.

Sur les centres d'accueil et d'orientation (CAO), les instructions de l'application du règlement Dublin, qui ont été publiées, précisent que les personnes accueillies en CAO ne se voient pas infliger d'exécutions contraintes vers d'autres pays. L'application volontaire est en revanche recherchée. Ainsi, certaines personnes ont préféré rejoindre le premier pays où elles avaient déposé initialement des demandes d'asile et peuvent bénéficier d'une prise en charge, comme en Norvège, en Allemagne ou encore aux Pays-Bas.

Le VIS et VISABIO représentent un élément important de l'identification des personnes. Cependant, puisque les personnes dont vous parlez n'ont jamais déposé de demande de visa, on ne peut les retrouver sur ces différentes bases. Par ailleurs, des circulaires et des textes de loi permettent de vérifier si les personnes sont majeures, avec une prise en compte de différents indices, à l'issue notamment des tests osseux. Par ailleurs, s'agissant des sources dont pourraient bénéficier les conseils départementaux, une circulaire permet aux services de police de communiquer les informations requises.

M. Jean-Claude Requier, président. - Je vous remercie, Messieurs, de votre participation à cette audition fort intéressante.

La réunion est close à 16 h 40.