Mercredi 7 février 2018

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 50.

Projet de loi autorisant la ratification de l'amendement au protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Hugues Saury, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'amendement « dit de Kigali » au protocole de Montréal de 1987 relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone.

Le protocole de Montréal, entré en vigueur en 1989, est un accord multilatéral qui complète la convention de Vienne de 1985 sur la protection de la couche d'ozone. Il fait l'objet d'une ratification quasi universelle et compte 197 parties dont l'Union européenne. En 1985, les scientifiques ont mis en évidence l'existence d'un trou saisonnier dans la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique dû notamment à l'utilisation des chlorofluorocarbures (CFC), des hydrochlorofluorocarbures (HCFC) ou du tétrachlorure de carbone, des substances utilisées dans les secteurs de la réfrigération et de la climatisation, des aérosols, de la protection contre l'incendie et des mousses isolantes. Ces dégâts dans la couche d'ozone entraînent une exposition excessive aux rayons ultraviolets solaires et de graves dommages pour l'environnement et la santé humaine. Le protocole de Montréal vise donc à éliminer progressivement les substances appauvrissant la couche d'ozone (SAO). Très efficace, il a permis d'éliminer 98 % des substances qu'il réglemente et la couche d'ozone devrait se reconstituer en 2050 hors Antarctique et en 2065 au-dessus de l'Antarctique. Au total entre les premières constatations dans les années 1950 et la reconstitution de la couche d'ozone, il aura fallu un bon siècle. Ce protocole a fait l'objet de plusieurs amendements, tous ratifiés par les parties, dont le cinquième et dernier en date que nous examinons aujourd'hui.

L'amendement dit « de Kigali », adopté en 2016, après sept ans de négociation vise à éliminer progressivement les hydrofluorocarbures (HFC) qui ont été créés et utilisés comme solutions de remplacement de substances qui appauvrissent la couche d'ozone car ils sont de puissants gaz à effet de serre dotés d'un fort potentiel de réchauffement global (PRG). La grande majorité des HFC est produite en Chine et en Inde - principaux consommateurs - ainsi qu'au Brésil. La France ne compte qu'une seule entreprise productrice dont 95 % de la production sont exportés, mais il y a plus de 600 importateurs qui assurent l'approvisionnement d'opérateurs chargés de 3,7 millions d'équipements, hors climatisation des véhicules. La réduction progressive de la production et de la consommation de HFC devrait permettre d'éviter plus de 70 milliards de tonnes équivalent CO2 d'ici 2050 - soit deux ans d'émissions de gaz à effet de serre au titre de la production d'énergie sous toutes ses formes - et d'obtenir une baisse de 0,5° C de réchauffement d'ici la fin du siècle, ce qui va dans le sens de l'Accord de Paris.

Cet instrument vise à intégrer les HFC - 18 pour être précis - dans la liste des substances contrôlées par le protocole de Montréal. Il met en place plusieurs calendriers obligatoires et différenciés de réduction de la production et de la consommation des HFC, sans toutefois prévoir une élimination totale. Pour les pays développés, la réduction est calculée en prenant comme niveaux de référence la moyenne de leur production et de leur consommation durant la période 2011-2013 augmentée de 15 %. La réduction exigée est de 10 % en 2019 pour atteindre par paliers 85 % en 2036. Des aménagements sous la forme d'un rythme de réduction plus lent et d'un niveau de référence plus favorable sont octroyés à la Biélorussie, au Kazakhstan, à l'Ouzbékistan et au Tadjikistan. Pour les pays en développement, les niveaux de référence retenus sont la moyenne de la production et de la consommation en 2020-2022 augmentée de 65 %. Leur consommation et production de HFC devront être gelées à 100 % du niveau de référence en 2024, puis réduites de 10 % en 2029 pour atteindre 80 % en 2045. Des aménagements sont prévus pour Bahreïn, l'Arabie Saoudite, l'Inde, l'Irak, l'Iran, Oman, le Pakistan et le Qatar qui gèleront leur consommation et leur production de HFC seulement en 2028 en prenant un niveau de référence calculé selon une formule identique mais sur la période 2024-2026. Pour ce sous-groupe, la première baisse de 10 % interviendra en 2032 pour atteindre 85 % en 2047. L'amendement de Kigali précise que le mécanisme de financement du Protocole de Montréal en faveur des pays en développement est modifié pour inclure les obligations relatives aux HFC. Le Fonds multilatéral (FM), qui est reconstitué tous les 3 ans, est financé par les pays développés selon un barème établi sur la base du barème des quotes-parts en vigueur à l'ONU. Le montant de la reconstitution pour 2015-2017 était de 500 millions de dollars et passe à 540 millions de dollars pour 2018-2020. La France, 4ème contributeur avait versé 33 millions de dollars sur le triennium précédent pour une quote-part de 7,75 % et devrait verser à l'avenir 34 millions de dollars alors même que sa quote-part diminue à 7,35 %. Comme le Fonds ne dispose pas d'une enveloppe dédiée à l'élimination des HFC, il est difficile d'estimer la part qui y sera consacrée - en restant prudent on peut dire que c'est de l'ordre de 30 %. Enfin, ce texte interdit le commerce de ces substances réglementées entre Etats parties et non parties au protocole et prévoit la destruction à partir de 2020 du HFC23, un coproduit synthétisé lors de la fabrication de certains HFC et HCFC doté d'un très fort potentiel de réchauffement global. La mise en oeuvre de l'amendement de Kigali reste souple. Sont ainsi prévues une dérogation pour températures ambiantes élevées ainsi que l'étude d'éventuelles dérogations temporaires lors de la réunion des Parties en 2029. Une évaluation périodique de l'efficacité des mesures à partir des données communiquées est organisée ainsi qu'une revue périodique des alternatives aux HFC en 2022, puis tous les cinq ans par le groupe d'évaluation technique et économique (GETE). L'amendement de Kigali entrera en vigueur le 1er janvier 2019 dans la mesure où la condition de ratification d'au moins 20 parties est déjà remplie. 24 pays ont à ce jour ratifié l'amendement de Kigali dont 6 pays membres de l'Union Européenne (Finlande, Royaume-Uni, Allemagne, Luxembourg, Slovaquie et Suède).

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. L'amendement de Kigali n'emportera aucune contrainte supplémentaire pour les entreprises françaises du secteur car le règlement européen de 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés, d'application directe dans les Etats membres depuis le 1er janvier 2015, prévoit déjà des exigences supérieures avec un programme contraignant de réduction de 79 % des HFC mises sur le marché d'ici 2030. De fait, des fluides de substitution des HFC existent déjà avec des coûts de production peu élevés mais leur méconnaissance par les détenteurs d'équipement est pour l'instant un frein à leur développement.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 15 février 2018, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Projet de loi autorisant l'approbation du protocole additionnel à l'accord du 9 octobre 1997 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à la coopération dans leurs zones frontalières entre les autorités de police et les autorités douanières concernant l'emploi transfrontalier d'aéronefs - Examen du rapport et du texte de la commission

M. René Danesi, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un protocole additionnel à l'accord du 9 octobre 1997 conclu à Mondorf entre la France et l'Allemagne. Cet accord est relatif à la coopération transfrontalière entre les autorités de police et les autorités douanières allemandes et françaises.

Ce protocole additionnel met en oeuvre l'article 17 de l'accord de Mondorf de 1997. C'est le premier engagement bilatéral de la France avec pour objet spécifique l'utilisation transfrontalière d'aéronefs. La première question que l'on peut se poser, c'est pourquoi a-t-il fallu près de 20 ans pour rédiger ce protocole additionnel ?

Principalement à cause des restrictions de circulation des aéronefs d'Etat prévues par la convention de Chicago de 1944 relative à l'aviation civile internationale. Or les aéronefs de la police et de la douane sont des aéronefs d'Etat.

On s'est bien sûr également heurté à l'attachement de chaque Etat, à ses pouvoirs régaliens et à sa souveraineté dans son espace aérien.

Si le protocole additionnel a néanmoins été rédigé, c'est parce qu'il s'inscrit dans une relation franco-allemande intense, lancée par le traité de l'Élysée, dont on vient de fêter le 55ème anniversaire. Il y a surtout le contexte d'une coopération transfrontalière policière et douanière exemplaire le long des 450 km de frontière commune. Côté français, cela concerne les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.

Cette coopération a un caractère opérationnel très marqué, avec des patrouilles mixtes, des centres de commandement communs, la coordination du déploiement des forces, des informations réciproques en matière de recherche et deux centres de coopération policière et douanière (CCPD), l'un situé à Kehl et l'autre au Luxembourg. S'y ajoutent de multiples actions de formation et d'échanges de bonnes pratiques.

Après avoir planté le décor, voyons le contenu du protocole additionnel. Cet instrument a pour objet d'autoriser l'utilisation d'aéronefs au-dessus du territoire voisin par les autorités de police et de douane françaises et allemandes. Cette autorisation facilitera l'exécution de leurs missions de police administrative et judiciaire, de police aux frontières ou de leurs missions douanières. Ces missions incluent les enquêtes judiciaires et douanières, l'observation et la poursuite transfrontalières, la gestion de l'ordre public et de la sécurité publique lors d'événements transfrontaliers de grande envergure - on connait depuis une quarantaine d'années des manifestations importantes devant la centrale nucléaire de Fessenheim auxquelles participent de nombreux manifestants allemands et suisses - le transport de matières nucléaires, les opérations de recherche et de secours aux personnes, ainsi que les exercices communs et les activités de formation.

Le protocole additionnel couvre deux types de situations au titre desquelles des aéronefs d'un État peuvent se trouver dans l'espace aérien ou sur le territoire de l'autre État.

Dans le premier cas, Il s'agit de la prolongation des interventions qui ont débuté sur le territoire d'un État mais qui doivent devenir transfrontalières pour que l'action policière soit efficace. C'est la logique de poursuite de l'action nationale sur le territoire de l'Etat voisin, mais dans le respect de sa souveraineté.

Dans le second cas, il s'agit de l'assistance mutuelle pour la réalisation, dans l'espace aérien ou sur le territoire de l'autre État, des interventions que les moyens aériens de ce dernier ne sont pas en mesure d'effectuer, soit parce qu'ils excédent ses capacités nationales, soit parce qu'ils nécessitent, par nature, la mobilisation conjointe des moyens aériens des deux États. C'est la logique de complémentarité ou de subsidiarité entre partenaires.

Ce protocole met donc en place un régime de circulation aérienne transfrontalière des aéronefs de police et douane, adapté aux contraintes opérationnelles, en vue de garantir la sécurité juridique et physique des vols. Il maintient le principe de respect du droit de chaque Etat au-dessus de son territoire et assimile les équipages des aéronefs voisins aux agents nationaux.

Relativement souple, ce régime ne soumet pas les vols effectués de jour au dépôt d'un plan de vol. Il est en effet difficile d'indiquer à l'avance la durée et le trajet des vols d'aéronefs utilisés dans le cadre de missions de police et de douane.

Ce protocole prévoit en outre que les centres communs de coopération policière et douanière de Kehl et de Luxembourg seront informés des opérations en cours avant le franchissement de la frontière, afin de favoriser la coordination des actions des services opérationnels.

Sur le plan pratique, le présent protocole permettra également aux autorités de police et de douane des deux Etats de disposer de moyens aériens plus importants. Ce qui optimisera le niveau global d'emploi des aéronefs de chaque Etat. C'est un premier pas vers une future mutualisation des moyens, mutualisation qui a commencé sur le Rhin, fleuve international, entre les autorités de police et de douane françaises et allemandes.

Côté français, le groupement des forces aériennes de la gendarmerie de l'Est dispose de cinq hélicoptères, sachant que la brigade de police aéronautique de la direction zonale Est de la police aux frontières loue deux avions CESSNA-172. Côté allemand, les différents services de police disposent de neuf hélicoptères. Cette flotte n'est pas appelée à évoluer à court terme.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Ce protocole additionnel vient parfaire le cadre juridique de la coopération policière et douanière franco-allemande. Il apportera sans conteste d'importants bénéfices opérationnels et aura des conséquences positives sur la sécurité des populations concernées. Ce protocole additionnel ne nécessite pas de modification du droit interne. Enfin, la partie allemande a notifié, en mai 2017, l'achèvement de sa procédure nationale requise pour l'entrée en vigueur du protocole.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 15 février 2018, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

M. Jean-Marie Bockel. - Je voulais souligner que, sur ce rapport somme toute technique, nous avons eu une présentation remarquable d'un ensemble d'enjeux européens qui nous touchent tous très concrètement.

M. Olivier Cadic. - Il est effectivement bien de souligner que l'Europe progresse. C'est un pas supplémentaire dans le rapprochement entre Etats et cela mérite une mention toute particulière.

M. Ladislas Poniatowski. - Je souhaiterais savoir jusqu'où peuvent aller les aéronefs d'un Etat dans l'espace aérien de l'autre Etat pour ces missions transfrontalières.

M. René Danesi, rapporteur. - Le protocole ne prévoit pas de kilométrage précisant l'avancée autorisée au-dessus du territoire de l'autre Etat. Les missions transfrontalières résultent d'une coopération entre les forces de police et/ou douanières de la France et de l'Allemagne situées dans la zone frontalière. Il y a lieu de souligner que les centres communs de coopération policière et douanière (CCPD) doivent être prévenus des opérations en cours avant le franchissement de la frontière. Il semble logique que les autorisations nécessaires soient données dans leur zone territoriale de compétence.

M. Ladislas Poniatowski. - Un aéronef d'Etat allemand pourrait venir jusqu'à Paris avec l'accord des autorités françaises ...

M. René Danesi, rapporteur. - Non, comme le titre du protocole l'indique, il s'agit d'un emploi transfrontalier de moyens aériens dans le cadre de la coopération des autorités de police et de douane de la France et de l'Allemagne compétentes dans la zone transfrontalière. Il s'agit principalement d'autoriser ces vols d'aéronefs pour des opérations qui présentent une certaine urgence, dans un souci d'efficacité.

M. Christian Cambon, président. - Je pense que c'est à dessein que le protocole ne mentionne pas de kilométrage car à partir du moment où l'autre Etat est informé, il ne devrait pas y avoir de difficultés. Je vais maintenant mettre aux voix ce rapport et ce projet de loi.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat et de coopération renforcée entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République du Kazakhstan, d'autre part - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Nous examinons à présent le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat et de coopération renforcé entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République du Kazakhstan, d'autre part.

Ce nouvel accord est destiné à se substituer au premier accord signé en 1995. Il permettra d'améliorer et de moderniser le cadre de la coopération, en intégrant les grandes orientations données par la stratégie de l'Union européenne pour l'Asie centrale, et en mentionnant explicitement le respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce dont le Kazakhstan est membre depuis novembre 2015.

L'objectif principal de l'accord est d'harmoniser les dispositions réglementaires dans plusieurs secteurs, et de renforcer la coopération sur les sujets internationaux.

Il comprend près de trois cents articles au total, répartis de manière thématique. Je présenterai brièvement les principaux volets.

Le premier volet aborde la question du respect des valeurs démocratiques et celle de l'État de droit, sur lesquelles insistent le préambule et le titre premier. L'Union européenne souhaite obtenir une amélioration de la situation politique au Kazakhstan en contrepartie du renforcement des relations contractuelles. Il faut noter à cet égard les efforts entrepris par le pays, notamment à travers la réforme constitutionnelle adoptée l'an dernier par le parlement kazakh, qui réduit les prérogatives présidentielles au profit des députés et du gouvernement.

Cet accord encourage les progrès dans ce domaine et les accompagne. À ce titre, l'Union européenne a instauré un dialogue annuel en matière de droits de l'Homme avec le Kazakhstan, et lancé une initiative pour l'État de droit en Asie centrale coordonnée par la France et l'Allemagne.

Le deuxième volet de l'accord est consacré au renforcement de la coopération dans les domaines de la politique étrangère et de la sécurité.

Le Kazakhstan est un acteur majeur dans sa région où il multiplie les initiatives diplomatiques en jouant un rôle modérateur ; le processus d'Astana en est l'une des illustrations. Le pays développe activement une diplomatie qu'il qualifie de « multivectorielle », consistant à trouver un certain équilibre en tissant des relations à la fois avec l'Union européenne et les grandes puissances voisines que sont la Russie, avec qui le Kazakhstan partage une histoire commune, et la Chine qui réalise des investissements importants à travers le pays dans le cadre de la nouvelle route terrestre de la soie.

Aux termes du titre II de l'accord, les parties s'engagent à coopérer pour le renforcement du rôle et de l'efficacité des organisations internationales telles que l'ONU et l'OSCE. Le titre II comprend également des engagements en matière de non-prolifération, de prévention des conflits régionaux et de lutte contre le terrorisme. L'Asie centrale est une région très fragile, et la coopération avec le Kazakhstan est importante à cet égard. L'ambassadeur du Kazakhstan, que j'ai eu l'occasion d'auditionner dans le cadre de l'examen de ce projet de loi, m'a assuré que son pays avait pris la mesure du risque terroriste en Asie centrale et que son gouvernement consacrait ses efforts à contrôler ses frontières - même si le Kazakhstan n'a pas de frontière commune avec l'Afghanistan - ainsi que les mouvements islamistes à l'intérieur du pays. Ce sujet donne lieu à des échanges très réguliers avec ses partenaires européens, dont la France, et cette coopération doit impérativement perdurer.

Le troisième volet est économique et commercial. Le Kazakhstan représente plus de la moitié du PIB de l'Asie centrale, ce qui fait de lui un point d'entrée incontournable pour le développement de l'économie de la région. Son sous-sol est riche en hydrocarbures, à tel point que le Kazakhstan est aujourd'hui notre deuxième fournisseur de pétrole, et le premier producteur mondial d'uranium, matière première nécessaire à l'exploitation de nos centrales nucléaires.

L'Union européenne est devenue son premier partenaire commercial, avec qui le Kazakhstan effectue environ le tiers de ses échanges commerciaux. L'Union européenne est également son premier investisseur étranger avec un stock de 42 milliards d'euros.

Le présent accord assure un meilleur cadre réglementaire pour les opérateurs économiques européens. Ainsi, les obstacles techniques au commerce sont réduits, l'établissement des sociétés est facilité, le droit de la propriété intellectuelle consolidé, et une transparence en matière d'accès et d'attribution des marchés publics est mise en oeuvre.

Cet accord de partenariat et de coopération renforcé n'est pas pour autant un accord de libre-échange qui supprimerait, comme c'est le cas dans les accords d'association, la quasi-totalité des droits de douanes et alignerait les réglementations économiques. En effet, l'adhésion du Kazakhstan à l'Union économique eurasiatique l'empêche, de fait, d'intégrer l'acquis communautaire. Toutefois, plusieurs dispositions faciliteront l'accès des entreprises européennes au marché kazakh, actuellement marqué par la prégnance du secteur public.

Les enjeux environnementaux ne sont pas absents des préoccupations kazakhstanaises, bien au contraire. Ces dernières années, le pays a ratifié les accords de Kyoto et de Paris et souhaite développer une économie verte grâce aux énergies alternatives. Aussi un engagement a-t-il été pris pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 15 pour cent d'ici 2050.

Enfin, le dernier grand volet, et non le moindre, concerne la coopération financière et technique. Il vise à prévenir et à lutter contre la fraude et la corruption. Le Kazakhstan souhaite se conformer aux standards européens en la matière, afin de pouvoir intégrer l'OCDE. Dans le cadre de cette coopération, le pays peut bénéficier d'une aide financière de l'Union européenne, sous forme d'aides non remboursables ou de prêts. Il n'est en revanche plus éligible à l'instrument de coopération au développement de l'Union européenne, en raison d'un PIB par habitant trop élevé.

Pour conclure, la portée de cet accord est certes symbolique en raison de son caractère peu contraignant. Il constitue malgré tout un pas important pour l'Union européenne dans sa volonté de renforcer son engagement politique et économique en Asie centrale.

En conséquence, pour l'ensemble des raisons que je viens d'exposer, je ne peux que préconiser l'adoption de ce projet de loi. L'Assemblée nationale l'a déjà adopté en décembre dernier, et dix-neuf États membres de l'Union européenne ont d'ores et déjà ratifié cet accord.

Son examen en séance publique est prévu le jeudi 15 février prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je vous propose de souscrire.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je voudrais vous féliciter pour cet excellent rapport, et soulever un point. Comme vous l'avez dit, le Kazakhstan est parfaitement conscient des menaces terroristes qui pèsent sur lui. J'ai pu l'observer à l'occasion d'un séminaire de l'assemblée parlementaire de l'OTAN qui s'est tenu dans ce pays, au cours duquel nous avons travaillé sur les questions de sécurité et de coopération en matière de lutte contre le terrorisme. Toutefois, la question des migrations n'est pas abordée dans cet accord. Le Kazakhstan est grand comme cinq fois la France et compte moins de dix-huit millions d'habitants. En matière d'accueil des réfugiés, aucun effort n'est consenti par le pays alors même qu'il a besoin de main-d'oeuvre. J'ai soulevé cette question auprès du gouvernement kazakh, et j'ai ressenti un blocage. L'Union européenne, ou le Conseil de l'Europe, devrait discuter de ce sujet avec le Kazakhstan car rien ne justifie que l'Union européenne porte seule la charge de l'accueil des réfugiés alors que nos moyens sont moindres et nous n'avons pas la superficie nécessaire.

Mme Christine Prunaud. - Je souhaiterais davantage de précisions sur la criminalité organisée et la traite des êtres humains. L'accord aborde-t-il la question des passeurs ou celle de l'immigration irrégulière comme c'est le cas dans d'autres accords de coopération ? Je considère que les efforts demandés au Kazakhstan en matière de respect des droits de l'Homme sont les bienvenus. Bien que je sois sceptique sur ce point, le fait de l'écrire dans l'accord est déjà une bonne chose. Des organisations non gouvernementales nous ont parlé de la situation de travailleurs migrants dans ce pays, qui seraient en nombre important, et dont les droits ne seraient pas respectés. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ? Votre réponse déterminera la position de vote de mon groupe.

M. Richard Yung. - Je note que l'accord contient des dispositions relatives à la propriété intellectuelle. Il est important de le souligner car nous investissons beaucoup au Kazakhstan et il faut que nous puissions protéger nos entreprises, même si je m'interroge sur le niveau de protection qui leur sera proposé. L'accord traite notamment de la question des appellations d'origine, et cela nous renforce dans la mesure où, comme vous le savez, c'est l'un des débats que nous avons avec les États-Unis, et plus généralement avec les pays anglo-saxons, dans le cadre des négociations commerciales.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Le Kazakhstan reste en effet assez fermé sur la question des réfugiés, pour des raisons culturelles mais aussi sécuritaires. L'audition de nos services diplomatiques et du ministère de l'intérieur me l'a confirmé. Il faut néanmoins reconnaitre que le Kazakhstan, contrairement à d'autres pays, a jusqu'à présent assez bien contrôlé le risque d'infiltration terroriste.

S'agissant du traitement réservé aux travailleurs migrants dans le pays, je n'ai pas d'information précise sur le sujet. Je précise cependant qu'il ne s'agit pas d'un phénomène isolé. Je suis vice-président de la commission migration de l'OSCE, et viens de passer deux jours à Bruxelles dans ce cadre-là. Je peux vous dire que la situation actuelle en Sicile, c'est-à-dire dans un pays voisin du nôtre, est également délicate de ce point de vue.

En ce qui concerne la propriété intellectuelle, le Kazakhstan souhaite évoluer et se conformer aux standards internationaux en matière commerciale. L'esprit de cet accord est de rapprocher ce pays de l'Union européenne et, comme je l'indiquais dans mon intervention, d'équilibrer ses relations avec ses voisins russes et chinois. Ce nouvel accord n'est pas un accord d'association comme l'Union européenne en a conclu dans le cadre du Partenariat oriental, mais il constitue malgré tout un pas important pour rapprocher le Kazakhstan des valeurs européennes.

Un dernier mot pour vous dire que nous avons la chance d'avoir à Paris un ambassadeur du Kazakhstan aussi francophone que francophile, qui fait montre d'une véritable volonté d'améliorer nos relations bilatérales.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Projet de loi autorisant l'approbation du protocole annexe à la convention générale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire sur la sécurité sociale du 1er octobre 1980 relatif aux soins de santé programmés dispensés en France aux ressortissants algériens assurés sociaux et démunis non assurés sociaux résidant en Algérie - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Alain Cazabonne, rapporteur. - Nous examinons à présent le projet de loi autorisant l'approbation du protocole annexe relatif au transfert en France de patients algériens dans le cadre de soins programmés.

En clair, il s'agit de fusionner les deux voies de transfert existantes, l'une légale, l'autre contractuelle, au sein d'un même dispositif, sécurisé sur le plan juridique comme financier.

En effet, ce nouveau protocole a d'ores et déjà permis d'obtenir le règlement d'une grande partie des dettes hospitalières algériennes, et assurera à l'avenir un paiement régulier de leurs dépenses de santé.

Il concernerait quelque huit cents patients algériens chaque année, un chiffre qui n'a pas vocation à augmenter dans les prochaines années.

Par ailleurs, cet accueil de patients étrangers est souhaité par nos hôpitaux dans une perspective de rayonnement international, et de valorisation de leurs équipes médicales.

Je vais maintenant vous présenter le contexte dans lequel cet accord a été conclu, ainsi que ses principaux points forts.

La France et l'Algérie sont liées par ce dispositif depuis plus de trente-six ans. Très peu utilisé depuis le début des années 2000 en raison, notamment, du caractère limitatif de son champ d'application personnel, ce dispositif a progressivement été abandonné au profit de relations contractuelles directes entre la caisse algérienne de sécurité sociale, la CNAS, et les établissements de santé français, en particulier parisiens, c'est-à-dire l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Mal encadrées sur les plans juridique et financier, ces relations contractuelles ont engendré de nombreuses complications et des contestations de la CNAS portant sur le montant de ses dettes. Face à ces difficultés, plusieurs hôpitaux ont cessé d'admettre les patients pris en charge par cette caisse. Seuls les hôpitaux parisiens ont continué de soigner des patients algériens dans ce cadre, mais l'AP-HP a déploré à son tour des problèmes de recouvrement de ses créances.

Au 31 août 2017, le montant des créances étrangères de l'AP-HP s'élevait à plus de 115 millions d'euros, soit peu ou prou l'équivalent du montant qu'elle facture chaque année à des patients résidant à l'étranger. Ce stock de créances, certes important, doit toutefois être mis en regard des 92 milliards d'euros de soins délivrés chaque année par les établissements publics et privés français ; la pérennité financière de notre système de santé n'est donc pas du tout menacée. Il n'en demeure pas moins que cette situation doit nous préoccuper, et que des mesures doivent être engagées pour recouvrer ces créances au plus vite, tout en évitant qu'elles n'augmentent davantage à l'avenir.

L'Algérie est le pays dont la dette hospitalière est la plus importante puisqu'elle représentait l'an dernier le quart des créances étrangères de l'AP-HP, soit un peu moins de 29 millions d'euros pour les seuls hôpitaux parisiens. Parmi les dix débiteurs les plus importants, nous retrouvons trois autres pays d'Afrique, un pays du Golfe, quatre États membres de l'Union européenne, et les États-Unis en troisième position. La question du recouvrement est donc loin de ne concerner que l'Algérie.

S'agissant de la dette algérienne, au 31 mars dernier, elle s'élevait au plan national à près de 39 millions d'euros. Il convient à cet égard de distinguer deux types de dettes qui obéissent à des logiques différentes.

Il y a tout d'abord la dette privée, c'est-à-dire celle contractée par les ressortissants algériens titulaires d'un visa touristique qui se rendent directement dans nos hôpitaux. Elle représente les trois quarts de la dette globale. Pour l'essentiel, les soins prodigués à ces particuliers ne peuvent pas être pris en charge par les assurances privées souscrites en vue de l'obtention de leur visa, puisque les pathologies faisant l'objet de ces soins sont souvent préexistantes à leur entrée sur notre territoire. Pour des raisons déontologiques, voire humanitaires, ces patients sont malgré tout soignés en France en dépit du risque d'impayés. Des mesures ont néanmoins été prises par les hôpitaux afin de recouvrer ces créances. À titre d'exemple, les établissements de santé exigent désormais de régler à l'avance l'intégralité du devis avant de dispenser des soins. Les hôpitaux signalent également les impayés aux ambassades françaises, qui conditionnent l'octroi de nouveaux visas au règlement des impayés. Ces mesures sont efficaces puisqu'elles ont permis de faire baisser le stock de créances de 17 % en l'espace d'un an, ce qui représente un montant de 6 millions d'euros environ.

La dette publique, ou « institutionnelle », correspond quant à elle aux dettes contractées par l'État vis-à-vis de nos hôpitaux par le biais de son ambassade ou de son système d'assurance maladie. La résorption de la dette publique algérienne était au coeur des négociations du présent protocole annexe. Sa signature a été rendue possible grâce à un accord trouvé avec la CNAS sur l'apurement de ses dettes qui ont, depuis, sensiblement diminué. Aujourd'hui, toutes les dettes antérieures à 2016 ont été réglées, ainsi que la majeure partie des dettes contractées cette année-là. Les remboursements sont désormais effectués dans un délai de trois mois, sur la base d'un décompte semestriel des créances, et la partie algérienne respecte cet engagement.

Le nouveau dispositif que nous examinons ce matin permettra d'éviter les écueils rencontrés par le passé. Quatre nouvelles dispositions méritent d'être soulignées.

Premièrement, son champ d'application a été élargi pour permettre aux ayants droit des bénéficiaires actuels, à savoir les salariés et les fonctionnaires, d'être soignés en France dans le cadre du nouveau dispositif, tout comme les démunis non assurés sociaux. Cela permettra à l'avenir d'orienter l'ensemble des bénéficiaires de soins programmés vers ce nouveau cadre réglementaire sécurisé, sans pour autant accroître leur nombre.

Deuxièmement, pour limiter le risque de contentieux, le nouveau protocole annexe instaure une procédure administrative claire pour la prise en charge du patient et, le cas échéant, pour la poursuite ou la modification des soins qui lui sont apportés. Le protocole prévoit ainsi l'établissement d'un devis et la proposition d'une date pour la réalisation des actes thérapeutiques, permettant alors à nos hôpitaux d'anticiper au mieux l'arrivée du patient. Je précise à cet égard que l'accueil de patients étrangers ne retarde en rien la prise en charge des patients résidant en France, étant donné que les patients étrangers sont accueillis suivant la disponibilité des places dans nos unités de soins.

Troisièmement, s'agissant des remboursements, le nouveau protocole met en place un dispositif simplifié et déjà éprouvé, destiné à sécuriser les créances françaises. À ce titre, il impose le versement annuel d'une avance fixée à 35 % du montant des créances soldées l'année précédente afin d'éviter que les dettes ne s'accumulent pour la partie algérienne. En cas de contestation sur la nature ou le montant des prestations, la CNAS pourra faire appel à une expertise médicale dont les conclusions s'imposeront aux deux parties.

Enfin quatrièmement, pour assurer la protection des données échangées, le nouveau protocole annexe prévoit la création de canaux d'information sécurisés, tant pour la facturation que l'échange de données médicales, et l'élaboration d'un arrangement technique qui sera soumis à la CNIL pour agrément.

Ainsi, le nouveau dispositif a vocation à se substituer aux deux voies de transfert existantes : la voie légale d'une part, c'est-à-dire le protocole en vigueur, et la voie contractuelle d'autre part. Il permet également d'aplanir une situation qui fut difficile pendant de nombreuses années que ni la France, ni l'Algérie, ne souhaitent voir se reproduire.

Ce nouveau cadre juridique permettra chaque année à quelques centaines de patients algériens, mille tout au plus, de bénéficier d'actes médicaux qui ne sont pas dispensés dans leur pays. Ce nombre devrait décroître à mesure que l'offre médicale algérienne se développe. En effet, cinq hôpitaux sont actuellement en cours de construction ; un consortium franco-autrichien, auquel participe notamment l'AP-HP, a d'ailleurs été retenu pour la construction d'un centre hospitalier universitaire de cinq cents lits à Constantine.

Pour les hôpitaux français, ce protocole représente près de 17 millions d'euros de créances annuelles, dont le recouvrement est désormais sécurisé. Il constitue également pour eux l'occasion de valoriser leur expertise et leurs savoir-faire. À l'heure où notre pays souhaite développer l'attractivité de ses établissements de santé et s'assurer une place de choix au sein du marché international de l'offre de soins - autrement appelé « tourisme médical » -, estimé aujourd'hui à plus de 60 milliards d'euros, les instruments juridiques, administratifs et financiers proposés dans ce nouveau dispositif sont les bienvenus.

En conséquence, pour l'ensemble de ces raisons, et compte tenu de l'importance que représente ce protocole pour la coopération franco-algérienne, mais aussi pour le rayonnement international de nos établissements de santé, je ne peux que préconiser l'adoption de ce projet de loi, approuvé à l'unanimité par l'Assemblée nationale en décembre dernier.

Son examen en séance publique au Sénat est prévu le jeudi 15 février prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

M. Joël Guerriau. - Je voudrais revenir sur la question du remboursement de la dette. J'ai compris que 115 millions d'euros de créances n'avaient toujours pas été remboursés. En quoi ce nouveau protocole permettra-t-il de recouvrer cette somme ?

M. Ladislas Poniatowski. - A-t-on des statistiques précises sur le nombre de ressortissants algériens, titulaires d'un visa touristique, qui viennent se faire soigner dans nos hôpitaux, quelle que soit leur situation au regard de l'assurance maladie ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Tout d'abord, je souhaiterais vous féliciter pour la qualité de ce rapport et de sa présentation. Je voudrais faire deux observations. La première concerne le tourisme médical, qui est pratiqué dans bon nombre de pays. Cette pratique nécessite toutefois que les patients payent au préalable les prestations reçues, sinon cela ne présente aucun intérêt pour le pays. Par ailleurs, ce rapport me laisse à penser que nous devons revoir notre coopération. Le rapporteur a soulevé un point très important à mes yeux. Nous avons vocation à soutenir un certain nombre de pays en matière de formation et d'équipements. Il y a en Algérie, entre autres, de très bons médecins qui peuvent se spécialiser et atteindre un niveau d'excellence équivalent à celui que nous pouvons rencontrer en France, mais encore faut-il que nous fassions l'effort de les y aider par le biais de la formation et des échanges. Plusieurs centres hospitaliers universitaires français travaillent aujourd'hui, de manière bilatérale, avec leurs homologues algériens. Je pense que nous avons tout intérêt à repenser notre aide publique au développement ainsi que notre coopération avec ces pays. Ce rapport met à juste titre le doigt sur ce point.

M. Alain Cazabonne, rapporteur. - Pour répondre à Ladislas Poniatowski, environ 2 400 patients ont été pris en charge par l'AP-HP en 2014.

S'agissant des créances, les 115 millions d'euros que vous évoquez correspondent au montant des créances pour l'ensemble des pays. Pour ce qui est de l'Algérie, comme je l'indiquais, toutes les dettes antérieures à 2016 ont été réglées, ainsi que la majeure partie des dettes contractées cette année-là. Le protocole est utilisé pour certains actes médicaux qui ne sont pas dispensés en Algérie, et prévoit d'accueillir des patients algériens après accord de la CNAS sur le montant du devis. Par ailleurs, la CNAS verse chaque année une avance pour les frais médicaux à venir. Sur le plan pratique, les remboursements seront effectués auprès de la Caisse primaire d'assurance maladie française, qui supportera les dettes à la place de nos hôpitaux. Les particuliers algériens soignés dans les hôpitaux franciliens en dehors du dispositif doivent, quant à eux, payer l'intégralité des soins par avance. Il y a donc très peu de risques de rencontrer les mêmes difficultés que par le passé.

Enfin, dans le cadre de la construction du CHU de Constantine, l'AP-HP est en charge de l'organisation médicale et contribue au développement des programmes de formation et de recherche.

Le nombre de patients ne devrait pas augmenter à l'avenir dans la mesure où l'offre médicale se développe en Algérie, et que les hôpitaux signalent aux ambassades les impayés, ce qui conditionne l'octroi de nouveaux visas.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Nomination de rapporteurs

La commission nomme rapporteurs :

- M. Yannick Vaugrenard sur le projet de loi n° 249 (2017-2018) autorisant la ratification de l'accord instituant la Fondation internationale UE-ALC ;

- M. Hugues Saury sur le projet de loi n° 510 (AN-XVe législature) autorisant la ratification du protocole n° 16 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (sous réserve de sa transmission) ;

- M. Philippe Paul sur le projet de loi n° 582 (2016-2017) autorisant la ratification de la convention internationale sur les normes de formation du personnel des navires de pêche, de délivrance des brevets et de veille (STCW-F).

Syrie - Audition de M. Jérôme Bonnafont, directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère de l'Europe et des affaires étrangères

M. Christian Cambon, président. - Nous accueillons aujourd'hui Monsieur Jérôme Bonnafont, directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, pour faire le point sur la situation en Syrie.

L'intervention russe en Syrie à compter d'octobre 2015 a permis d'inverser le rapport de force sur le terrain et de sauver le régime syrien d'une défaite imminente. Après 2016, qui a vu la reconquête par Damas, appuyé par ses alliés russe et iranien, de la « Syrie utile », l'année 2017 a été marquée par un recul significatif de Daech (reprise de Raqqa en octobre par les forces démocratiques syriennes avec l'appui de la coalition internationale, reprise de Der Eizzor et Mayadin par les forces pro-régime) et par une baisse relative de l'intensité des combats (mise en place de « zones de désescalade » sur la base d'un accord conclu en mai 2017 à Astana entre Moscou, Téhéran et Ankara).

Cependant, on est encore bien loin d'une sortie de crise. Sur le plan politique tout d'abord, le processus onusien de Genève/Vienne est toujours paralysé par l'obstruction du régime syrien. Les initiatives russes (pourparlers d'Astana, Congrès de Sotchi), qui cherchent à prendre de vitesse les négociations de Genève pour imposer un fait accompli sur le terrain politique, ne sont, pour l'instant, pas davantage couronnées de succès.

En outre, la guerre n'est pas terminée : Les combats contre Daech se poursuivent dans la vallée de l'Euphrate. Parmi les zones de désescalade, seule celle du sud-ouest (Deraa) connaît une réelle accalmie. Les atteintes au droit humanitaire sont permanentes dans la Ghouta orientale, assiégée par les forces pro-régime. Le régime a, en outre, lancé récemment une offensive dans la zone d'Idlib -sous surveillance turque-, où se concentrent les rebelles de Fatah-Al-Cham.

Les tensions montent entre les puissances extérieures intéressées au conflit : les États-Unis, les pays arabes et Israël s'inquiètent du maintien de la présence iranienne sur le territoire syrien. La Turquie, préoccupée par l'émergence possible d'une entité autonome kurde dans le nord-est du pays, à proximité immédiate de ses frontières, est de nouveau entrée en Syrie le 20 janvier dernier avec l'opération « Rameau d'olivier » dans le canton d'Afrin.

Dès lors, dans ces conditions, que peut-on attendre des mois à venir ? Quand la Russie, maître du jeu, voudra-t-elle sortir de la crise ? Le coût de la guerre -même si celle-ci est bénéfique aux ventes d'armes-, l'aspiration du président Poutine à obtenir des succès diplomatiques et à se poser, pour sa fin de mandat, en « pacificateur », seront-ils des leviers pour la paix ? La Russie a-t-elle la capacité de faire céder le régime syrien, alors que celui-ci est fermement soutenu par l'Iran, qui se méfie de la Russie et s'oppose à toute concession aux pays occidentaux, notamment au départ de Bachar-el-Assad ? Si oui, de quels leviers la Russie dispose-t-elle ? Quelle est votre analyse sur le projet russe de constitution pour la Syrie ? Comment l'articuler avec Genève ?

Se pose, par ailleurs, la question de la possibilité du maintien d'une zone sous influence occidentale en Syrie à la fin de la guerre : le souhait des Etats-Unis est, semble-t-il, de rester dans le pays après la défaite de Daech, principalement dans l'entité kurde-arabe du nord-est, jusqu'à l'élection présidentielle prévue en 2021, afin de peser sur la transition politique. La Russie et le régime syrien peuvent-ils accepter cette perspective ?

Enfin, quels sont les objectifs et les marges de manoeuvre de la diplomatie française ? En particulier, quel est l'effet attendu du « groupe de contact » rassemblant P5 et grands acteurs régionaux promu par la France et dont le « small group » qui se met en place semble une préfiguration ? Ce format peut-il obtenir le soutien de la Russie qui craint sans doute une dilution de son influence ?

M. Jérôme Bonnafont. - Le Président de la République et le Ministre des affaires étrangères ont rappelé que la priorité reste aujourd'hui la lutte contre Daech et contre le terrorisme. Dès lors, l'essentiel des énergies militaires et politiques y est consacré, avec un certain succès en Irak puis en Syrie. Daech ne contrôle plus aujourd'hui de portions significatives des territoires irakien et syrien. Aussi, même si Daech dispose toujours des moyens pour mener une guerre asymétrique, les prétentions au califat sont mortes. Daech est devenu, pour ainsi dire, un groupe terroriste disséminé à travers le monde comme les autres, qui reste certes très dangereux, mais qui ne menace plus de créer un nouvel État islamiste au coeur du Moyen-Orient, comme c'était le cas il y a quelques années. En Syrie, ce succès n'est pas dû au régime syrien, mais aux Forces Démocratiques Syriennes, composées de Kurdes et de leurs alliés arabes, avec l'aide de la coalition internationale, notamment les États-Unis et la France, qui ont permis de reconquérir Raqqa et une partie de la vallée de l'Euphrate. Toutefois, la reconquête n'est pas achevée. Elle est même ralentie du fait de l'offensive du régime syrien dans la zone d'Idlib qui a détourné certaines forces militaires, et a ainsi permis à Daech de se réimplanter près de l'Euphrate et dans la poche d'Idlib. Notre préoccupation principale reste l'élimination de Daech de tout ce théâtre, ainsi que de l'Irak et de la Libye.

Notre deuxième préoccupation concerne la situation humanitaire en Syrie, en raison des bombardements et de l'utilisation d'armes chimiques. Selon des indications convergentes mais qui demandent encore à être vérifiées, le régime continuerait à utiliser de telles armes, notamment du chlore voire du sarin, dans la banlieue de Damas. Pour lui, la reprise de cette banlieue est essentielle à l'achèvement de la reconquête de la Syrie utile. Cette utilisation est contraire au droit humanitaire et aux traités internationaux et terrifie les populations. En outre, cela démontre que la Syrie et la Russie ne respectent pas leurs engagements. Enfin, certaines villes ou quartiers sont toujours assiégés, avec des centaines de milliers de personnes concernées.

La situation militaire demeure donc préoccupante dans la zone d'Idlib et dans la Ghouta. L'ONU a appelé à une trêve. Pour rappel, à Astana, les différents participants s'étaient engagés à une désescalade. Or, la Russie et l'Iran appuient les deux offensives précédentes, et la Turquie a lancé une attaque, dans la région d'Afrin arguant de préoccupations frontalières. Pour nous, cette offensive ne doit pas aboutir à détourner de la lutte contre Daech, ni constituer une tentative de contrôle d'une partie du territoire syrien.

Sur le plan diplomatique, la conférence d'Astana n'a eu que de faibles retombées. Aucun progrès n'a été fait sur la libération des prisonniers, et les zones de désescalades ne sont pas respectées, à l'exception de celle dans le Sud-Ouest du pays. Cette exception s'explique par une conversation directe entre la Russie, les États-Unis et la Jordanie, permettant de maintenir un état de non-belligérance à peu près convenable. Il y a en outre un impératif dans cette zone pour les Etats-Unis et Israël : c'est l'absence de forces contrôlées par l'Iran, afin d'éviter un positionnement de ce dernier aux portes d'Israël. Enfin, les négociations sur les mesures de confiance n'ont pas abouti.

La conférence de Sotchi a été globalement stérile. Il y avait peu de participants, et le texte proposé a été hué par une partie de l'assemblée. Tant le régime que l'opposition ont refusé d'y participer. Il en a été de même pour les pays occidentaux qui refusaient de cautionner ce processus tant qu'aucune des garanties pré-requises qu'ils avaient demandées n'avait été acceptée. Il aurait fallu que la conférence de Sotchi s'inscrive dans le cadre et sous le contrôle de l'ONU. Les négociations de Genève n'ont également abouti, pour l'heure, à aucun résultat, le régime refusant de négocier avec le groupe d'opposants présents car il estimait qu'ils n'avaient aucune légitimité, et affirmait ne pouvoir commencer à discuter tant que la question terroriste ne serait pas résolue.

L'opposition, pour sa part, se réfère à la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l'de l'ONU, laquelle prévoit la mise en place d'un gouvernement de transition dans un environnement neutre pour les négociations. Elle veut en outre que le sort de Bachar El Assad soit scellé. Faute que ces préconditions aient le moindre espoir d'être remplies, la France, avec les Etats-Unis, les Saoudiens et d'autres partenaires, engagent désormais l'opposition à accepter que les négociations se fassent sur une base nouvelle mais toujours dans le cadre de la résolution 2254.

Sur quoi doivent porter les négociations ? Le « small group » que vous avez évoqué, qui n'est pas une instance officielle, souhaite relancer une initiative politique avec un groupe restreint. Il a adopté un texte destiné à l'ONU, à l'opposition et à la Russie qui énonce les principes d'une négociation authentique. Il comporte trois parties. La première traite de la méthode de travail, la deuxième de la substance, et la troisième de l'environnement neutre.

Ce groupe a donc proposé une méthode de travail pour Genève, insistant sur la nécessité de sessions quasi-permanentes dans lesquelles les groupes d'opposition et le régime se feront face, sous forme de groupes de travail, discutant sur des points précis écrits, sous la responsabilité de l'envoyé spécial de l'ONU.

En ce qui concerne la substance de l'accord à trouver, deux aspects sont primordiaux pour le small group : une nouvelle constitution et l'organisation d'élections. Ce n'est pas à nous d'écrire cette constitution, mais nous pouvons aider les parties à identifier les grandes questions qui doivent être traitées par la Constitution pour permettre une réconciliation nationale, comme par exemple la séparation des pouvoirs et la répartition de ces derniers entre les différentes branches de l'exécutif et du législatif, mais aussi l'organisation territoriale et les droits fondamentaux, pour que les droits des minorités et des citoyens soient pleinement respectés. Il s'agit également de réfléchir à la manière dont des élections libres et transparentes pourront être organisées, et à quelle date. Pour cela, la présence d'observateurs internationaux sera indispensable. La question du corps électoral, alors que la moitié des Syriens ne sont plus chez eux, est également fondamentale. Actuellement, Assad veut une loi électorale par laquelle ne pourraient voter que les Syriens qui résident chez eux, ou sont régulièrement inscrits dans un consulat. Cela signifie que la moitié des Syriens ne pourraient pas voter. En effet, 6,5 millions d'entre eux sont déplacés, au sein de la Syrie, et 5,5 millions sont réfugiés dans un pays tiers. Au total, ce sont près de 12 millions de personnes qui ne pourraient pas voter si les conditions actuelles de vote s'appliquaient.

Enfin, un environnement neutre doit être mis en place, avec l'adoption de mesures de confiance telles que le cessez-le-feu ou la libération des prisonniers, entre autres.

Aujourd'hui, la question militaire revient au premier plan, avec la reprise de l'offensive militaire et l'utilisation d'armes chimiques. Il faut relancer, avec les Russes, la négociation politique.

Enfin, il importe de souligner, pour répondre à votre observation sur la question d'une éventuelle partition, que la France juge cette perspective très négative. La population est tellement mélangée qu'une partition sur une base ethnique ou confessionnelle serait impossible. Au Nord-Est, les Kurdes ont établi leur contrôle sur une partie du territoire, y compris dans des zones arabes. Nous ne soutenons pas une séparation de ce territoire. En revanche, il faut que les libertés de chacun soient garanties. Nous ne disons pas aux Kurdes que nous les soutiendrions en vue d'une quelconque partition du pays. Mais, nous sommes à leurs côtés dans la lutte contre Daech, et nous serons à leurs côtés dans la négociation politique, pour que leurs droits fondamentaux soient garantis dans la Syrie de demain.

En conclusion, je souhaite souligner que le Président de la République et le Ministre des affaires étrangères multiplient les contacts avec leurs homologues américains, russes, européens et arabes, afin de faire avancer cette solution politique qui est la seule possible.

M. Christian Cambon, président. - La question du Kurdistan dépasse largement les frontières de la Syrie : une partie de celui-ci se situe en effet en Irak, en Iran et en Turquie. Les puissances occidentales ne peuvent pas être mises à l'écart, car il faudra reconstruire le pays et la Russie ne pourra pas s'en charger seule.

Mme Gisèle Jourda. - En décembre dernier, Vladimir Poutine annonçait un retrait d'une partie des troupes russes. Est-ce le signal d'un repli russe, est-ce une diversion ? Moscou aidera-t-il le régime à reconquérir l'ensemble du pays ? Enfin, quelle est la position de l'OTAN par rapport à l'offensive turque en territoire syrien ?

M. Pascal Allizard. -Quel est le rôle des différents services, et notamment des services syriens au Liban ? Quel est le lien avec le Hezbollah ? En outre quel intérêt peut avoir Israël à la chute de Bachar El Assad ? Les emprises russes sur le territoire syrien ont-elles vocation à prendre un caractère définitif ? Enfin, quel est le nombre de djihadistes Français présents en Syrie ?

Mme Christine Prunaud. - Vous nous avez indiqué que le Gouvernement souhaite une Syrie une et indivisible. Quel est la part réelle de soutien français aux Kurdes qui ont vaincu Daech ? Vous dites que la France est aux côtés des Kurdes face à Daech. L'est-elle également face à Erdogan ?

Mme Hélène Conway-Mouret. -Depuis 2011, le régime syrien est régulièrement accusé d'utiliser des armes chimiques, notamment le chlore et du gaz. Les Etats-Unis disent détenir des preuves. Quelles sont les accusations ? Quelles sont les sanctions envisagées ? Une commission d'enquête de l'Onu s'est saisie de l'affaire. Quelle est la position de la France sur l'avenir de la Syrie ?

M. Ladislas Poniatowski. - Jusqu'où peut et veut aller la Turquie ? Elle veut, à Afrin, lutter contre l'émanation du PKK, les YPG. On sait aussi que c'est une réaction à la création d'une force américaine de 30 000 hommes dans le Kurdistan irakien. L'armée turque connaît déjà ses premiers revers, a connu ses premiers morts.

M. André Vallini. - Si Barack Obama n'avait pas fait preuve d'autant de pusillanimité en 2013, la situation serait peut-être tout autre. François Hollande voulait frapper la Syrie, dès que l'on avait la certitude de l'utilisation d'armes chimiques. Aujourd'hui, la ligne dite « Fabius » a été abandonnée par le gouvernement actuel, il n'est plus question d'un départ de Bachar El Assad.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Y a-t-il eu une opposition syrienne démocratique ? Quelle a été sa relation avec les organisations djihadistes contre le régime syrien ? Quelle est la représentativité de l'armée syrienne libre. Enfin, il me semble qu'il y a un revirement par rapport aux Kurdes.

M. Joël Guerriau. - Je partage votre point de vue sur un refus d'une partition de la Syrie. En Inde, où vous avez été ambassadeur, elle a causé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale plus d'un million de morts au moment de la partition avec le Pakistan. Existe-t-il vraiment un risque de partition ? D'où viendrait-il ? Qui en aurait intérêt?

M. Jean-Marie Bockel. - La ligne dite « Fabius » a été jugée irréaliste à l'époque. Aujourd'hui, en vous écoutant, on a l'impression que la France est dans le jeu. Êtes-vous optimiste ou pessimiste sur la suite des opérations ?

M. Ronan Le Gleut. - Vous avez cité les acteurs de la victoire contre Daech. Quel rôle ont joué le régime syrien et la Russie dans la lutte contre Daech et la reprise de la ville de Palmyre ?

M. Olivier Cadic. - Vous avez mis en lumière les 5 millions de déplacés et les 6 millions de réfugiés. Quel sont leurs perspectives en 2018 ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - La Syrie est un pays très francophone et francophile. Que faire pour y maintenir la position du français et notre culture ? Quelle est la situation du lycée de Damas, qui n'est plus couvert par l'AEFE, mais qui continue à jouer un rôle important ? J'ai entendu dire hier que des obus y étaient tombés. Les parents sont très inquiets.

M. Robert del Picchia. - Les Syriens ne semblent plus avoir confiance dans le médiateur de l'ONU. Qu'en est-il du Gouvernement français ?

M. Jérôme Bonnafont. - Le retrait des forces russes présenté par Vladimir Poutine s'est révélé être, en fait, pour l'essentiel, une relève des effectifs. Sans doute espérait-il alléger la pression militaire. Mais personne n'imaginait qu'il s'agissait d'un vrai retrait. Assad a besoin de la Russie et de l'Iran pour rester au pouvoir. Il s'appuie sur environ 80 000 miliciens financés par l'Iran et sur 5 000 soldats russes, qui tiennent la Syrie. En outre, la Russie contrôle l'espace aérien syrien, ainsi que le renseignement et la capacité d'identification des cibles. Sans ces deux bras armés, Assad n'existe plus. D'ailleurs, ce sont les Iraniens qui ont été à Moscou pour supplier les Russes d'intervenir en septembre 2015, car ils ne tenaient plus et que le régime syrien menaçait de s'effondrer.

Écraser la rébellion et vaincre les djihadistes ne permettra pas, à soi seul, de ramener la paix. Il faut, a minima, rétablir un pacte civil dans le pays, sans lequel aucune solution ne sera viable. Aujourd'hui, la question qui se pose à la Russie est de savoir si elle exercera une pression sur Assad pour que le régime entre dans le jeu des négociations et qu'il accepte une réforme du pouvoir.

Staffan de Mistura a le soutien de l'ONU et de la France, car l'ONU est le seul médiateur envisageable. Mais il faut qu'une pression internationale collective s'exerce sur l'ensemble des parties pour permettre au médiateur de faire avancer les positions de négociation. Il faut que les puissances s'engagent. Aujourd'hui, on prend acte du rapport de force tel qu'il est, mais également du fait qu'il n'y aura pas de paix sans négociations. Il faut aussi convaincre les États-Unis de revenir dans le jeu politique et de ne pas se contenter de la seule lutte contre Daech. En effet cela laisserait trop d'influence à l'Iran, ce qui ne serait pas accepté par les 75% de sunnites qui peuplent la Syrie.

Nous comprenons les préoccupations légitimes de la Turquie en matière de sécurité. En effet, le PKK se sert d'une partie du Nord-Est syrien pour mener ses opérations. Toutefois, nous ne sommes pas d'accord avec l'idée que la Turquie puisse prendre le contrôle d'une partie du territoire syrien. D'ailleurs, Erdogan affirme que ce n'est pas son intention. Par ailleurs, nous distinguons les Kurdes syriens et les combattants du PKK, groupe terroriste reconnu comme tel par nous-mêmes et les Européens. Il faut reconnaitre que les Kurdes syriens ont éliminé Daech de cette partie du territoire, avec notre soutien. Nous les soutenons pour qu'ils voient leurs droits respectés dans la Syrie de demain. A force de les attaquer, la Turquie risque d'envoyer le PYD dans les bras d'Assad. C'est la raison pour laquelle, il est important de délier la question kurde syrienne de la question kurde turque.

Le Hezbollah fait partie des troupes qui ont apporté un appui décisif au régime. Il a acquis une capacité de combat remarquable en Syrie. Il s'est établi en force militaire majeure et a renforcé son poids politique au Liban. C'est devenu un acteur préoccupant sur le plan de la sécurité et sur le plan militaire au Liban, mais aussi dans la région, en raison de sa capacité d'expansion. Nous trouvons d'ailleurs des traces du Hezbollah en Irak et au Yémen. Il faut une dissociation réelle du Liban par rapport à la Syrie. Le Liban ne doit plus être la victime du contrecoup du conflit syrien. En outre, le Liban doit faire en sorte que le Hezbollah ne se projette plus en Syrie. Le Liban n'a pas la capacité seul de le faire. C'est pourquoi M. Le Drian a demandé le retrait de toutes les milices étrangères du territoire syrien.

Israël se rend aujourd'hui compte que le conflit syrien a amené l'Iran à ses portes. Elle s'investit désormais beaucoup plus sur le plan diplomatique et militaire.

Sur la question de l'utilisation d'armes chimiques, un mécanisme conjoint d'inspection soutenu par l'ONU avait été mis en place. Il n'a toutefois pas pu être utilisé en raison des vetos systématiques de la Russie qui ont abouti à sa dissolution. Il n'y a donc plus de mécanismes internationaux d'inspection. La Russie protège le régime syrien. Elle affirme qu'aucune arme chimique n'a été utilisée pour le régime, et que les inspections des Nations Unies sont des inspections manipulées par les Américains. Pour surmonter ce blocage, une réunion s'est tenue à Paris contre l'impunité face à l'utilisation des armes chimiques. Un plan d'action a été adopté par lequel nous reprenons l'offensive au sein du traité, des Nations Unies, et devant les juridictions, afin que ce sentiment d'impunité disparaisse. Nous ne nous résignerons pas.

Si l'on fait du départ d'Assad une précondition aux négociations, ces dernières ne verront jamais le jour. Il a toujours été reconnu que les négociations passeraient par un dialogue direct entre le régime et l'opposition. Aussi il est indispensable d'amener Assad à la table des négociations afin de définir l'avenir de la Syrie. Il faut également des garanties juridiques et internationales suffisantes de liberté, transparence et crédibilité des prochaines élections. Cela prendra du temps. La tragédie syrienne n'est pas finie. Le retour des déplacés et des réfugiés n'est pas pour le court terme. D'ailleurs, le régime syrien se complait dans cette situation, qui lui permet de disposer d'un pays moins peuplé, et avec une proportion plus faible de sunnites. Le retour des déplacés et des réfugiés doit être libre et volontaire. Il est ainsi inenvisageable de les forcer à un retour, alors qu'ils n'auraient pas la garantie de retrouver leur domicile et une vie normale. Il faut donc soutenir la Jordanie et le Liban qui sont aujourd'hui épuisés par l'effort fourni depuis plusieurs années dans l'accueil des réfugiés.

Le risque de partition existe dans les faits. Si la situation actuelle dure trop longtemps, les Kurdes vont être tentés de vivre en autonomie. Or la partition engendrera la guerre civile. Contrairement à l'ex-Yougoslavie, il n'y a pas cinq ou six nationalités réparties géographiquement à travers le pays, ni de fédération, mais un mélange de communautés très imbriquées, à l'exception de quelques zones à majorité de peuplement. Le Kosovo est aujourd'hui un fait établi, reconnu par la plupart des États. Nous ne sommes pas dans ce cas, mais plutôt dans l'hypothèse irakienne. Ce qui se passe en Irak est important pour étudier la capacité d'un pays à reconstruire un pacte social, un vivre ensemble.

S'agissant de la reconstruction, la position de l'écrasante majorité de la communauté internationale est simple : le pays a été dévasté, détruit - je vous renvoie à cet égard à un excellent travail de la Banque mondiale, qui décrit la situation de façon aussi pathétique que précise et professionnelle - mais les conditions de la reconstruction ne sont, pour l'instant, pas réunies.

Il n'existe en effet, à l'heure actuelle, aucune région contrôlée par le régime où des fonds internationaux pourraient être employés de façon transparente à une véritable reconstruction. L'aide humanitaire de l'ONU, vous le savez, est actuellement massivement détournée au profit du régime, ce que nous admettons pour qu'au moins un minimum de secours parvienne aux populations, mais nous ne sommes pas prêts à accepter que cela soit le cas lors de la reconstruction.

Enfin, concernant la francophonie en Syrie, nous n'avons absolument pas renoncé. C'est pourquoi nous avons fait en sorte que la réserve parlementaire puisse continuer à bénéficier à ce lycée et cet établissement a continué à fonctionner, même déconventionné. Il a vocation à être à nouveau conventionné, dès le retour à une situation normale.

Certains considèrent qu'il n'est pas acceptable que ce lycée accueille des enfants de responsables du régime. Nous estimons qu'il s'agit d'enfants, et qu'ils n'ont pas à être jugés au regard de la position qu'occupent leurs parents dans la société. Nous croyons que le combat pour maintenir la francophonie en Syrie doit être préservé.

Vous vous demandiez à cet égard s'il existait une opposition démocratique. Il existe, nous la connaissons bien à Paris, une opposition syrienne laïque et démocratique, de longue date, qui continue le combat pour la libération du pays, avec laquelle nous travaillons. Ce n'est pas la seule. Cette opposition a été obligée de passer des alliances avec des groupes qu'elle n'aime pas beaucoup, dont certaines positions sont trop radicales à leur goût, mais qui ne sont pas djihadistes.

Je crois qu'il faut établir une frontière entre, d'une part, les groupes djihadistes, qui sont prêts à adhérer à un agenda de terrorisme international et de propagation du djihad par les armes, ainsi qu'à un islam dévoyé et, d'autre part, les groupes politiques dont nous ne partageons pas les valeurs ni la vision de la société, mais qui sont prêts à s'inscrire dans une logique politique pluraliste, une fois la guerre terminée.

Il faut reconnaître que l'Arabie saoudite, quand elle a accueilli à Riyad la conférence de Riyad 2, a accompli un travail de « nettoyage » de l'opposition pour éliminer un certain nombre de groupes trop « radicaux » pour pouvoir être acceptables. Elle a par ailleurs tout fait pour faire accepter par l'opposition le groupe du Caire et le groupe de Moscou, que l'opposition estimait trop proches du régime de Damas et de Moscou. Nous avons cependant estimé qu'ils ont droit de cité et qu'il fallait les accueillir.

Se pose la question de l'association des Kurdes à la discussion, qui n'est pas résolue. Elle reste entière, je le reconnais. Les choses sont compliquées. Les Turcs et une bonne partie de l'opposition ne veulent pas entendre parler du PYD, trop proches du PKK pour les Turcs, du régime pour l'opposition.

La question kurde devra être réglée, et le jour où la négociation se nouera vraiment, l'une de nos demandes à M. de Mistura sera de régler le point de la représentation des Kurdes au sein de la négociation.

M. Christian Cambon, président. - Quand rouvrira-t-on une ambassade à Damas ?

Certains pays européens l'ont fermée, d'autres l'ont maintenue...

M. Jérôme Bonnafont. - Nous l'avons fermée quant à nous il y a longtemps, mais nous n'avons pas rompu les relations diplomatiques. Nous avons confié à la Roumanie la représentation de nos intérêts à Damas, et il existe un ambassadeur pour la Syrie - même s'il n'est pas en Syrie - qui est notre envoyé spécial à ce sujet.

Nous n'avons pas commencé à travailler sur la réouverture, le contexte ne s'y prêtant pas. Il appartient aux autorités politiques d'apprécier le moment opportun.

M. Christian Cambon, président. - Merci, monsieur le directeur, pour cet éclairage très précis, qui nous permet de décrypter un dossier particulièrement complexe.

La réunion est close à 11 heures 55.