Mercredi 7 mars 2018

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 8 h 55.

Nomination de rapporteurs

Mme Catherine Troendlé est nommée rapporteur sur le projet de loi n° 334 (2017-2018) ratifiant l'ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017 étendant et adaptant à la Polynésie française certaines dispositions du livre IV du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence.

M. Philippe Bas, président. - En application de l'article 47 ter du Règlement du Sénat, je compte demander à la Conférence des Présidents de décider l'examen de ce projet de loi selon la procédure de législation en commission.

Mme Agnès Canayer est nommée rapporteur sur la proposition de loi n° 276 (2017-2018) relative à l'élection des conseillers métropolitains, présentée par Mme Mireille Jouve et plusieurs de ses collègues.

M. Christophe-André Frassa est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 675 (A.N. XVe lég.) portant transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites (sous réserve de sa transmission).

Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense - Échange de vues sur une éventuelle saisine pour avis et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission des lois demande à être saisie pour avis du projet de loi n° 659 (A. N. XVe lég.) relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, et nomme M. Philippe Bonnecarrère rapporteur pour avis sur ce projet de loi, sous réserve de sa transmission.

Proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi - Examen des amendements au texte de la commission

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article additionnel avant l'article 1er A

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°  9 reprend, dans une formulation un peu différente, un amendement déjà écarté en commission. Nous en demandons le retrait.

La commission demande le retrait de l'amendement n°  9 et, à défaut, y sera défavorable.

Articles additionnels après l'article 1er A

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°  8 rectifié tend à obliger le Gouvernement à établir une étude d'impact sur ses amendements apportant des modifications substantielles à un texte. Pour intéressant que soit cet amendement, qui correspond en partie à une préconisation du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, il relève d'une autre considération que la proposition de loi, qui traite des études d'impact des projets de loi. L'adopter pourrait brouiller la position convergente du Sénat sur le relèvement du niveau d'exigence des études d'impact des projets de loi, qui est le sujet de ce texte. En outre, la commission a déjà écarté des amendements similaires, en constatant leur irrecevabilité en tant que « cavaliers organiques » : cet amendement est pris sur le fondement de l'article 44 de la Constitution, relatif aux conditions d'exercice du droit d'amendement, et pas sur celui de l'article 39, relatif aux conditions de présentation des projets de loi et donc aux études d'impact. Pour cette raison, cet amendement est irrecevable, au titre de l'article 45 de la Constitution.

L'amendement n°  6, similaire à l'amendement n° 8 rectifié, est également irrecevable, pour les mêmes raisons.

M. Pierre-Yves Collombat. - Hier dans cette même salle, nous avons écouté l'ancien Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, exposer les bienfaits de la révision constitutionnelle de 2008. Il nous a notamment été dit que, parmi les progrès considérables apportés par cette révision, figurait le rôle des commissions dans l'établissement des textes des projets et des propositions de loi. Je constate qu'il n'y a pas eu de progrès, mais une régression ! Nous en avons eu plusieurs exemples récemment, notamment avec la proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires. Une fois le texte passé en commission, il ne reste plus rien dedans... On a l'impression que le rôle du rapporteur est de vider les propositions de loi de leur substance. Même si ces propositions de loi ne plaisent pas, nous devons pouvoir en discuter !

Cet amendement constitue la traduction d'une proposition de bon sens du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle. Et nous protestons souvent car le Gouvernement dépose des amendements modifiant substantiellement les textes. Pourquoi passer du temps à argumenter sur ces références juridiques ? Le rôle du rapporteur est de nous permettre de discuter des choses essentielles. Si nous sommes là pour parler des études d'impact prévues par la Constitution, c'est qu'elles posent quelques problèmes, quant à leur nature et à leur qualité.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je comprends notre collègue, mais le même argument constitutionnel vaut. L'article 44 de la Constitution est relatif aux conditions d'exercice du droit d'amendement et l'article 39 aux conditions de présentation des projets de loi et donc aux études d'impact. Il faut donc que l'amendement relève de l'article 39 et non l'article 44, dès lors que le principal objet de cette proposition de loi est de réformer l'article 8 de la loi organique sur les études d'impact, pour qu'il y ait une évaluation des études d'impact par un organisme indépendant. Sur le fond, cet amendement voudrait dire qu'à chaque fois que le Gouvernement déposera un amendement modifiant substantiellement le texte, il faudra attendre plusieurs semaines avant que l'organisme évalue l'impact de l'amendement. Le mieux serait naturellement que le Gouvernement ne dépose pas de tels amendements.

La commission déclare les amendements nos  8 rectifié et 6 irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution.

La commission adopte les avis suivants :

Auteur

Avis de la commission

Article additionnel avant l'article 1er A

Mme LAMURE

9

Demande de retrait

Articles additionnels après l'article 1er A

M. REQUIER

8 rect.

Irrecevable article 45

M. COLLOMBAT

6

Irrecevable article 45

Article 1er (Supprimé)

M. MONTAUGÉ

1

Défavorable

Article 1er ter

Mme LAMURE

10

Demande de retrait

Article 2

M. COLLOMBAT

7

Défavorable

M. MONTAUGÉ

2

Défavorable

M. MONTAUGÉ

3

Défavorable

Articles additionnels après l'article 2

M. GRAND

4

Défavorable

M. GRAND

5

Défavorable

Proposition de loi de simplification, de clarification et d'actualisation du code de commerce - Examen des amendements au texte de la commission

M. André Reichardt. - Je vous rappelle que cette proposition de loi, déposée en août 2014, a été examinée le 1er juin 2016 en commission. Depuis lors, un certain nombre de ses dispositions ont été intégrées dans d'autres textes, en particulier la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 ». Nous devons donc procédé à un important toilettage.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Sort de l'amendement

Article 1er

M. REICHARDT

36

Adopté

Article 5

M. REICHARDT

37

Adopté

Article 7

M. REICHARDT

38

Adopté

Article 9

M. REICHARDT

39

Adopté

Article additionnel après l'article 10

M. REICHARDT

40

Adopté

Article 14

M. REICHARDT

41

Adopté

Article 16

M. REICHARDT

42

Adopté

Article 18

M. REICHARDT

43

Adopté

Article 19

M. REICHARDT

44

Adopté

Article 20

M. REICHARDT

45

Adopté

Article additionnel après l'article 21

M. REICHARDT

46

Adopté

Article 22

M. REICHARDT

47

Adopté

Article 22 bis

M. REICHARDT

48

Adopté

Article 25

M. REICHARDT

49

Adopté

Article 26

M. REICHARDT

50

Adopté

Article 27

M. REICHARDT

51

Adopté

Article 29 bis

M. REICHARDT

52

Adopté

Article 30

M. REICHARDT

53

Adopté

Article 31

M. REICHARDT

54

Adopté

Article 33

M. REICHARDT

55

Adopté

Article 34

M. REICHARDT

56

Adopté

Article 35

M. REICHARDT

57

Adopté

Article 36

M. REICHARDT

58

Adopté

Article 40

M. REICHARDT

59

Adopté

Article 44

M. REICHARDT

60

Adopté

Article 51

M. REICHARDT

61

Adopté

Article 53 bis

M. REICHARDT

62

Adopté

Article 57

M. REICHARDT

63

Adopté

Article 58

M. REICHARDT

64

Adopté

Article 60

M. REICHARDT

65

Adopté

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

La commission adopte les avis suivants :

Auteur

Avis de la commission

Article 1er

Mme ASSASSI

4

Demande de retrait

Articles additionnels après l'article 11 (Supprimé)

M. MOHAMED SOILIHI

1

Favorable

Mme ASSASSI

16

Défavorable

Article 16

Mme ASSASSI

5

Favorable

Article 19

Mme ASSASSI

6

Favorable

M. REQUIER

26

Favorable

Article 20

Mme ASSASSI

7

Favorable

Article 21

Mme ASSASSI

8

Défavorable

Article 22

Mme ASSASSI

9

Favorable

Article 22 bis

Mme ASSASSI

10

Favorable

Article 23

Mme ASSASSI

11

Demande de retrait

M. MOHAMED SOILIHI

3

Favorable

Article 26

Mme ASSASSI

12

Défavorable

Article 27

Mme ASSASSI

13

Défavorable

Article 29

Mme ASSASSI

14

Défavorable

Article 29 bis

M. REQUIER

29

Défavorable

Article 33

Mme ASSASSI

15

Défavorable

Article 33 bis

Mme ASSASSI

17

Défavorable

M. MOHAMED SOILIHI

24

Favorable

Article 35

Mme ASSASSI

18

Défavorable

Article 36

Mme ASSASSI

19

Défavorable

Article 40

Mme ASSASSI

20

Défavorable

Article 41

M. MOHAMED SOILIHI

25

Favorable

Article 53

M. REQUIER

32

Demande de retrait

Article 57

Mme ASSASSI

21

Favorable

Article 58

M. REQUIER

33

Demande de retrait

Article 59 bis

Mme ASSASSI

22

Défavorable

Article 60

Mme ASSASSI

23

Favorable

La réunion est close à 9 h 40.

- Présidence conjointe de M. Philippe Bas, président de la commission des lois et de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Attractivité et compétitivité juridiques du marché de l'art français - Table ronde avec des représentants des professionnels

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous accueillons, pour cette matinée d'étude consacrée à l'attractivité et la compétitivité juridiques du marché de l'art français, MM. Gérard Sousi, président de l'institut Art et Droit et Jacques Fingerhut, administrateur ; Me Nicolas Moretton, président, et Me Agnès Carlier, vice-présidente de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires (CNCPJ) ; Mme Marion Papillon, vice-présidente du Comité professionnel des galeries d'art et Mme Laurène Henry, responsable des affaires juridiques et fiscales ; MM. Mathias Ary Jan, président, François Belfort, directeur général et Fabien Mathivet, président de la commission « marché de l'art » du syndicat national des antiquaires (SNA) ; Me Jean-Pierre Osenat, président du syndicat national des maisons de ventes volontaires (Symev) et Mme Stéphanie Ibanez, chargée de mission.

La réputation artistique de la France n'est plus à faire, sa créativité artistique et culturelle demeure incontestée au niveau mondial. Pourtant, la situation de son marché de l'art n'est pas à la hauteur de cette réputation. Le recul de la France sur la scène internationale est manifeste : la part de notre pays, qui dominait le marché jusque dans les années 1970, s'est peu à peu réduite pour atteindre 4 % en 2016.

L'évolution du marché de l'art, marqué par une internationalisation croissante, avec en particulier l'explosion du marché asiatique, comme le poids grandissant des ventes en ligne, peuvent expliquer cette situation. Selon Artprice, la France aurait réalisé 5,3 % des ventes en valeur en 2017, dans une conjoncture mondiale de forte embellie après deux années de ralentissement. Notre pays reste loin des trois premières puissances que sont la Chine et les États-Unis, qui détiennent respectivement plus de 30 % des parts de marché, ou le Royaume-Uni, autour de 20 %.

Cette internationalisation constitue un enjeu majeur, car, au-delà même des aspects économiques, elle peut constituer une menace pour la diversité artistique. C'est pourquoi les commissions de la culture et des lois ont jugé utile de réfléchir ensemble aux moyens de reconquérir une meilleure place sur le marché mondial. Comment faire en sorte que le recul français ne soit pas inexorable ? Quels sont les obstacles auxquels vous, acteurs du marché de l'art français, vous heurtez-vous au quotidien ? Quelles évolutions législatives appelez-vous de vos voeux ?

M. Philippe Bas, président. - Merci à tous d'avoir accepté de participer à cet échange. Nous sommes préoccupés par l'évolution du marché de l'art. Il est un élément de la compétitivité française, et nous avons à regagner des parts de marché.

Renforcer l'organisation du marché de l'art aura aussi un impact positif sur la création artistique. Nous pensons aussi que les instruments de régulation des professions d'évaluation, d'expertise, d'intermédiation ont un rôle important à jouer pour le développement des marchés. À cet égard, nous sommes ouverts à toute réflexion sur l'évolution des professions, de leur organisation, et sur la mise en oeuvre des règles de régulation du marché, avec le concours plein et entier, naturellement, de ces professionnels.

Le sujet intéresse la commission des lois, je dirais au second rang par rapport à la commission de la culture. La régulation des professions, qui sont placées sous la tutelle du ministère de la justice, relève de notre compétence. S'il y a lieu de tirer de nos échanges des conséquences législatives, les deux commissions poursuivront ce travail en bonne intelligence.

M. Gérard Sousi, président de l'institut Art et Droit. - Merci de votre invitation. Nous sommes très heureux de pouvoir exprimer ici notre point de vue. L'institut Art et Droit est une plateforme de rencontres entre des juristes spécialisés en droit du marché de l'art, en droit de l'art, en propriété littéraire et artistique, et des professionnels du marché de l'art.

Nous somme un lieu de rencontres, de discussions, d'échanges, sans vocation à représenter une profession déterminée. Celles qui sont présentes ce matin sont membres de notre institut... Nous pouvons fournir des éléments juridiques aux différents membres qui nous font confiance.

Je me contenterai de faire quelques observations sur le marché de l'art français. Il faut faire confiance aux professionnels du marché de l'art, au marché de l'art lui-même : alléger le plus possible le formalisme quand il n'est pas strictement nécessaire ; privilégier la sanction a posteriori par rapport au contrôle tatillon a priori ; libérer les énergies, la créativité des artistes, la compétence des professionnels du marché de l'art, pour leur permettre de s'exprimer le plus facilement possible.

Les professionnels du marché de l'art ont aujourd'hui une culture juridique, ce qui n'était pas le cas il y a plus de vingt ans. La plupart des organisations professionnelles possèdent des chargés d'affaires juridiques. Tous les acteurs ont l'habitude du droit, sont attentifs aux règles juridiques. On peut leur faire confiance a priori.

Par ailleurs, il importe d'éviter les distorsions de concurrence à l'international. À cet égard, nous devrons être vigilants sur les conséquences du Brexit. Il ne faudrait pas que le Royaume-Uni en profite pour revoir son droit de suite, voire pour le supprimer, et pour abaisser son taux de TVA à l'importation en deçà de celui en vigueur dans les autres pays européens. Il est donc nécessaire de surveiller ce qui se passe dans les négociations entre la Commission et le Royaume-Uni de ce point de vue.

Il serait peut-être judicieux de compléter l'article 98-A de l'annexe 3 du code général des impôts (CGI) qui définit les créations artistiques bénéficiant du taux de TVA à 5,5 %, et qui date de 1995. Les installations et les oeuvres audiovisuelles ne figurent pas dans ce texte. Nous avons transmis un dossier au ministère de la culture à ce sujet voilà quelques années. C'est important pour la reconnaissance des artistes, d'abord, mais aussi pour favoriser les échanges et pour éviter que les professionnels du marché de l'art ne soient obligés de constituer de lourds dossiers pour démontrer aux douanes, par exemple, qu'une installation n'est pas simplement une installation électrique, mais l'oeuvre d'un artiste connu dans le monde entier. Il conviendrait donc que de telles oeuvres soient mentionnées à l'article 98 A.

Me Nicolas Moretton, président de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires. - Je me réjouis que la commission de la culture et la commission des lois puissent travailler ensemble. C'est un très bon signe pour tous les professionnels du marché de l'art.

Je suis président de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires. En 2000, nos professions ont été scindées en deux : les opérateurs de ventes volontaires et les commissaires-priseurs judiciaires. La distinction est assez simple. Si vous venez me voir parce que vous souhaitez vendre un tableau, c'est l'opérateur de ventes volontaires qui est concerné ; si vous agissez dans le cadre d'une mesure de protection comme la tutelle ou à la suite d'une décision de justice, c'est le commissaire-priseur judiciaire qui est compétent.

Je représente aujourd'hui 419 commissaires-priseurs judiciaires, qui, à 99 %, sont également opérateurs de ventes volontaires. Nos problématiques sont donc communes avec celles des opérateurs de ventes volontaires et celles des différents acteurs du marché de l'art. Néanmoins, je vais conserver ma casquette de président d'ordre et d'officier ministériel pour aborder plutôt les problématiques juridiques qui nous concernent.

Je m'interroge notamment sur la dichotomie qui prévaut sur certains sujets. Lorsque vous faites une vente, elle est volontaire ou judiciaire. Voilà trois ans, dans le cadre de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, les commissaires-priseurs judiciaires ont été confortés dans l'exercice d'une compétence qu'ils détenaient déjà pour la vente des biens incorporels. Il s'agit d'un marché gigantesque. Souvenez-vous du décès, voilà quelques mois, d'un chanteur très célèbre : il ne vous a pas échappé que l'expertise et la vente de ses droits d'auteur constituaient un enjeu très important. Pourtant, cette compétence est aujourd'hui ouverte aux commissaires-priseurs judiciaires mais non aux opérateurs de ventes volontaires. Cette dichotomie ne me semble pas justifiée juridiquement.

A contrario, les commissaires-priseurs judiciaires ne sont pas autorisés à faire des ventes totalement dématérialisées, alors qu'une succession importante avec une multitude de biens redondants, pourrait particulièrement s'y prêter. Seuls les opérateurs de ventes volontaires disposent de cette faculté. Là non plus, je n'arrive pas à comprendre cette dichotomie.

Enfin, s'agissant de la protection du patrimoine dans le cadre des tutelles, aujourd'hui deux articles se combinent : l'article 253 du code de procédure civile et l'article 503 du code civil, qui prévoient un inventaire sous trois mois, mais sans rendre obligatoire l'intervention d'un opérateur de ventes volontaires ou d'un commissaire-priseur judiciaire. La personne en charge de la protection du majeur peut donc elle-même réaliser l'inventaire. Quelles que soient sa bonne foi et sa volonté de bien faire, celle-ci a-t-elle la capacité à évaluer une oeuvre d'art comme une faïence de Moustiers ? Aux termes de la loi, il n'y a pas de valorisation obligatoire de cet inventaire, sauf si un bien est estimé à une valeur supérieure à 1 500 euros. Une personne sans compétence artistique est donc chargée d'intervenir auprès d'une personne en situation de faiblesse, pour dire s'il y a lieu de réaliser un inventaire et si un bien a une valeur supérieure à 1 500 euros. Je pense qu'il faut rapidement corriger ce point.

Me Agnès Carlier, vice-présidente de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires. - J'ajouterai simplement que la loi prévoit bien la régulation de notre profession, au travers tant des chambres régionales que de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires.

Mme Marion Papillon, vice-présidente du Comité professionnel des galeries d'art. - Merci de nous recevoir. Nous sommes très heureux de nous retrouver aux côtés d'autres organisations professionnelles, avec lesquelles nous collaborons très régulièrement. Nous représentons aujourd'hui 250 galeries d'art moderne et contemporain, des antiquaires aux galeries représentant des artistes vivants. Les problématiques sont bien sûr différentes entre les artistes vivants et les artistes disparus, représentés par leurs héritiers.

Je m'associe aux propos de Gérard Sousi sur la nécessité d'actualiser la définition des oeuvres d'art, qui n'a pas changé depuis près de cinquante ans. L'article 98 A de l'annexe 3 du CGI doit évoluer. Aujourd'hui, on parle d'oeuvre d'art pour une oeuvre réalisée par la main de l'artiste. Cette définition est assez réductrice.

Il ne s'agit pas seulement d'une question d'art, mais d'une question fiscale et douanière. Il y a beaucoup de transversalité. C'est pourquoi il est important, comme vous le faites, de lier culture et droit.

Notre interlocuteur privilégié est bien évidemment le ministère de la culture, mais nous nous adressons également à Bercy, dès lors qu'il s'agit de TVA et de droits de douane. Or le ministère nous renvoie souvent vers les instances européennes. Peut-être faut-il aller vers plus de simplification et de fluidité : nous avons besoin de votre appui pour y parvenir. S'agissant de création contemporaine, d'artistes vivants, il faut aller vite.

Un mot sur la question de la suppression de la TVA à l'importation pour les oeuvres d'art créées lors de séjours à l'étranger : la question de la circulation des oeuvres d'art à travers les frontières est cruciale. Le ministère de la culture s'emploie à faire connaître nos artistes à l'étranger. Or les artistes qui créent en résidence à l'étranger doivent payer une TVA à l'importation, alors que les oeuvres ne sont pas toujours terminées. C'est une disposition très pénalisante !

En matière de mécénat, différentes lois ont facilité l'acquisition des oeuvres d'art d'artistes vivants par les entreprises, mais il faudra certainement aller plus loin en favorisant l'ouverture aux professions libérales ; et peut-être réfléchir à des mécanismes d'aide pour les particuliers, comme il en existe notamment outre-Atlantique.

Il est important de soutenir et de favoriser aujourd'hui l'exportation de nos artistes vivants. Cela passe notamment par des collaborations avec les institutions et les pouvoirs publics, mais aussi, aujourd'hui, avec les fondations privées, qui, comme vous le savez, s'installent à Paris en nombre ces dernières années. C'est une bonne chose pour le dynamisme de notre marché et pour la création contemporaine.

M. Mathias Ary Jan, président du Syndicat national des antiquaires. - Nous sommes conscients des enjeux actuels, que vous avez très justement rappelés ; le marché français semble en décroissance, face à un marché mondial en progression.

Nous représentons environ 320 galeries d'antiquités et marchands d'art, et avons pour vocation de défendre et valoriser le patrimoine. Notre activité est également créatrice d'emplois, puisque nous faisons appel à des transporteurs, des restaurateurs, des assureurs, des organisateurs de salons. Malheureusement, nous subissons quelquefois des blocages.

Notre problème principal concerne les certificats et passeports à l'exportation, dont les délais de délivrance de l'ordre de trois à cinq mois sont trop longs. Il s'agit d'un frein au commerce par rapport à nos concurrents. Par ailleurs, pour exporter un bien hors de l'Union européenne, il faut non seulement obtenir un certificat d'exportation, mais aussi une licence d'importation, qu'il faut solliciter dans un second temps. Il faudrait que les deux procédures soient liées pour plus de fluidité.

Le livre de police destiné à assurer la traçabilité des objets est une chose extrêmement positive, mais seule la France met en oeuvre un tel système. Il faudrait donc une harmonisation européenne en la matière.

M. Fabien Mathivet, président de la commission « marché de l'art » du Syndicat national des antiquaires. - Les certificats de biens culturels constituent la difficulté principale car il faut de trois à cinq mois pour les obtenir, ce qui est très pénalisant pour les exportations. Pour les manuscrits de l'antiquité, tout bien est concerné, à partir du premier euro.

Les conservateurs de musée sont saisis de milliers de demandes de certificat pour, finalement, ne déclarer qu'à peine dix trésors nationaux par an. Il faut vraiment travailler sur cette question si l'on veut pouvoir présenter des oeuvres lors des salons à l'étranger. Une solution serait qu'après six semaines de silence, l'accord pour exporter soit réputé tacitement acquis.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous entendrons tout à l'heure sur ce sujet l'ancienne directrice des musées de France.

M. François Belfort, directeur général du Syndicat national des antiquaires. - Il existe en France un dispositif assez particulier, celui de la période de garantie dans l'extinction de la prescription. Aujourd'hui, en France, selon l'opérateur auquel vous vous adressez, les délais de prescription varient du simple au quadruple, c'est-à-dire de cinq ans à vingt ans, pour se retourner contre le vendeur. Cela nuit à notre compétitivité en Europe.

Il serait souhaitable pour tous de disposer de règles uniformisées se rapprochant des dispositions européennes. Nous recommandons que la période de prescription s'établisse à cinq années, ce qui apporterait une garantie à l'ensemble des opérateurs des marchés et n'affecterait pas notre compétitivité à l'international.

M. Mathias Ary Jan, président du Syndicat national des antiquaires. - Nous ne serions pas hostile à la création d'un code d'activité principale exercée (APE) pour le secteur des antiquaires, des galeristes et des brocanteurs. Cela donnerait une meilleure vision du secteur et de ses pratiques.

Me Jean-Pierre Osenat, président du Syndicat national des maisons de ventes volontaires. - Le déclin du marché de l'art, pour moi, n'est pas inéluctable. Effectivement, nous sommes passés de 60 % à 6 % de parts de marché, mais, pour siéger à la Fédération européenne des commissaires-priseurs, je puis vous assurer que les commissaires-priseurs français ont tout à fait les compétences pour relever le défi et redynamiser le marché de l'art. Encore faut-il leur offrir les conditions d'une nouvelle attractivité et d'une nouvelle compétitivité.

Or nos systèmes de régulation constituent des freins. Faites donc confiance aux professionnels ! Le système de tutelle sur les sommes placées, mis en place depuis 2001, est totalement archaïque ; il pénalise notre compétitivité et notre attractivité.

Il y a une bonne et une mauvaise régulation. Nous ne sommes pas partisans d'un libéralisme effréné, d'une absence de cadre, nous souhaitons simplement une autorégulation. Il faut redonner aux professionnels la possibilité de défendre leur métier et de défendre le marché de l'art français. Plusieurs problèmes, qui nuisent à l'image du marché de l'art, ne sont pas réglés par le système actuel d'autorégulation. C'est notamment le cas des faux objets qui circulent sur le marché de l'art.

Je suis président d'un syndicat qui a été créé en 2001, au moment de la réforme des commissaires-priseurs. Nous avons 150 adhérents environ, dont les cotisations sont volontaires ; elles s'ajoutent à celles qui sont dues au Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères. Nous représentons 73 % du marché de l'art, puisque nous comptons parmi nos adhérents les plus grands (Sotheby's, Christie's, Artcurial, Tajan, Cornette de Saint-Cyr, etc), comme des commissaires-priseurs en région dont le chiffre d'affaires est bien moindre. Notre représentativité est donc réelle.

L'image de la France est meilleure à l'étranger. Le moment est propice pour que les commissaires-priseurs français fassent entendre une voix plus forte sur la scène internationale. Ils commencent déjà à faire venir des objets et des collections de l'extérieur. Il n'est pas inéluctable, à mes yeux, que 70 % à 80 % des oeuvres d'art quittent la France, qui est un véritable grenier, alors que nous n'importons en France qu'un nombre extrêmement limité d'objets.

Le marché de l'art français est tout à fait capable de défendre sa place, mais le Conseil des ventes volontaires, qui a eu sa justification en 2001 lors de sa création, est devenu pour nous un régulateur obsolète. Cela a déjà été souligné, voilà deux ans, dans le rapport fait part MM. Herbillon et Travert, au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, qui préconisait une réforme de la régulation.

L'existence de ce Conseil des ventes volontaires n'apporte aucune garantie de plus au marché de l'art français par rapport à New York ou à Londres. Si les acheteurs ont aujourd'hui besoin de garanties, c'est aux commissaires-priseurs de les leur donner. Nous ne pouvons plus laisser se développer des scandales tels que ceux qui ont été étalés ces derniers temps sur la place publique. Nous devons créer notre propre système d'autorégulation pour faire en sorte que des objets contestables ne puissent plus avoir accès au marché français. Le Conseil des ventes volontaires, lui, ne doit s'occuper que des infractions au quotidien, qui sont du reste minimes, mais qui portent atteinte à notre image.

Les commissaires-priseurs ont changé ; le monde a changé. Nos concurrents d'aujourd'hui sont non plus les huissiers, mais les sites Internet sur lesquels on vend des objets grâce à un simple téléphone mobile. Il est temps de redonner ses lettres de noblesse à la vente aux enchères, en y apportant plus de transparence. La formation doit également changer. Peut-être faut-il passer plus de temps à apprendre aux jeunes la bande dessinée ou les arts d'Asie, qui ont aujourd'hui la part belle dans les ventes aux enchères. Nous avons l'énergie et la capacité pour mener ce travail.

Par ailleurs, les cotisations versées aux divers organismes sont aujourd'hui trop importantes. Le « trésor de guerre » du Conseil des ventes volontaires s'élève, je crois, à plusieurs millions d'euros. Il est temps que cela change. Nous-mêmes, les syndicats, devons évoluer, voire disparaître. Il s'agirait de garder une seule structure légère pour l'information, les commissions mixtes paritaires et la représentation en général. C'est le cas dans tous les autres pays.

Je ne plaide pas pour la suppression totale d'un contrôle par le Conseil des ventes volontaires. Mais tout le monde s'accorde à considérer qu'il faut le faire évoluer.

Faites-nous confiance, nous sommes des entrepreneurs très bien formés. Animés par notre passion pour le marché de l'art, nous pouvons le développer au-delà du seuil de 6 % atteint ces dernières années.

Mme Stéphanie Ibanez, chargée de mission au Syndicat national des maisons de ventes volontaires. - Je rappellerai brièvement les principaux enjeux d'une régulation. L'idée, c'est de rétablir puis de maintenir effectivement la compétitivité et l'attractivité du marché de l'art français face non seulement à l'internationalisation et au risque que représente le Brexit, mais aussi à de nouveaux marchés qu'Internet ouvre.

Il faut donner tous les outils, via la formation, aux jeunes gens qui se destinent à notre profession. Il faut organiser une instance disciplinaire professionnelle, à l'instar de ce qui existe aujourd'hui pour les commissaires-priseurs judiciaires. On nous a rappelé que 99 % d'entre eux sont également opérateurs de ventes volontaires, et ce système fonctionne très bien. Il importe de promouvoir notre profession pour que l'on arrête de la dénigrer en permanence. Les commissaires-priseurs ne sont pas des gens irresponsables et incapables.

Nous devons enfin être aptes à saisir en urgence les autorités judiciaires de manière à agir avec efficacité face à toute situation susceptible de porter atteinte à la profession. C'est le cas notamment lorsque des objets suspects ou contestables sont présentés sur le marché.

Mme Laure Darcos. - Comment un scandale comme Aristophil a-t-il pu se produire ? Je ne vous mets pas en cause personnellement, mais comment se fait-il que ce trafic ait pu perdurer des années, ruinant de nombreux petits épargnants, sans que personne n'ait rien vu ? Je ne suis pas spécialiste du marché des manuscrits et des films, mais j'imagine que vous avez dû voir passer des choses suspectes. C'est un scandale dont on ne parle pas assez et qui ternit la réputation du marché de l'art.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je vous prie d'avance de bien vouloir excuser la naïveté de ma question : la chute du marché français de l'art ne s'explique-t-elle pas tout simplement par le fait qu'il est devenu de plus en plus spéculatif ? Autrement dit, le marché n'est-il pas naturellement plus dynamique dans les endroits où la spéculation fonctionne le mieux, c'est-à-dire aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Chine ?

M. André Gattolin. - J'ai deux questions, qui ne sont d'ailleurs pas totalement déconnectées l'une de l'autre. Dans l'évolution globale du marché de l'art au cours des vingt dernières années, on a assisté à une explosion des lots mis en vente, mais aussi à une explosion des recettes. En même temps, on a pu noter le doublement des taux d'invendus.

Est-ce à cause de l'augmentation des taux d'invendus que l'on remonte les frais acheteur sur les ventes ou est-ce l'augmentation des frais acheteur qui a provoqué une hausse des invendus ?

Mon autre interrogation porte sur les ventes directes en ligne, sur les plateformes. C'est proprement scandaleux, puisque elles ne font l'objet d'aucune déclaration fiscale. Je rappelle que la commission des finances du Sénat, donc j'étais membre jusqu'à l'an passé, a déposé une proposition de loi unanime, sous la houlette de son rapporteur général, Albéric de Montgolfier, et avec l'accord de tous les représentants des parties concernées, précisément pour parvenir à une taxation systématique des revenus au-delà de 3 000 euros par an.

Ce n'est peut-être pas la plus noble partie du marché, mais, à voir l'évolution des ventes en ligne et du nombre des antiquaires, c'est-à-dire des gens qui sont déclarés, qui ont un établissement, qui payent des charges, il n'est pas douteux que d'anciens antiquaires et brocanteurs opèrent maintenant sur ces marchés parallèles pour liquider leurs stocks sans avoir à payer de charges. J'aimerais connaître votre réflexion à ce sujet.

M. François Bonhomme. - Sur une longue période, le déclin du marché de l'art français a été très fort. Vous évoquez une part de marché mondial de 6 % ; moi j'avais entendu le pourcentage de 3 %... En 50 ans, on serait donc passé de 60 % à 3 %. Je suis effaré de constater que la France, avec tous les atouts dont elle dispose, en particulier l'excellence de son patrimoine, se trouve aujourd'hui à la traîne. Toutes les places, tous les acheteurs sont partis depuis bien longtemps ; la qualité a décliné ; les invendus ont augmenté. Toute l'activité s'est déplacée vers Londres, New York et Hong-Kong. Marc Fumaroli avait bien vu, il y a quelques années, le mouvement de fond qui était en cours et qui se poursuit encore aujourd'hui.

Le symbole le plus flagrant de ce déclin, c'est quand même la destinée de la maison Drouot, qui n'a pas été épargnée par les scandales, mais je suis frappé parfois que cela serve aussi de cache-misère. On invoque les scandales, alors que le problème est beaucoup plus profond. J'ai l'impression que les institutions, à commencer par le ministère de la culture, n'ont pas pris la mesure de la situation. Je n'ai pas de martingale, pas de solution miracle, mais je me désole quand je vois le classement des artistes français contemporains. On les cherche dans les profondeurs du classement... La France se rassure toujours avec Pierre Soulages, 97 ans. Ce n'est pas faire injure à son talent que de le souligner, mais cela montre qu'il nous manque quelque chose d'essentiel pour de nouveau bien figurer sur le marché mondial de l'art.

Mme Colette Mélot. - La France a connu un recul sur le marché de l'art mondial, c'est une évidence, et vous avez pointé les freins qui nuisent à son attractivité. Pourtant, les outils juridiques existent et il convient d'en faire des leviers d'action et non pas un handicap. Vous avez dit aussi que la régulation devait être modernisée. C'est indubitable.

Je voudrais vous interroger sur le droit de suite, qui désigne le droit pour l'auteur d'une oeuvre de percevoir un pourcentage lors des reventes successives de ladite oeuvre. Ce droit ne s'applique pas aux oeuvres revendues à un prix inférieur à 10 000 euros et son montant est plafonné à 12 500 euros.

La loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine prévoit la possibilité de transmettre le droit de suite par legs, modifiant ainsi un article du code de la propriété intellectuelle. Quel est votre avis sur le sujet ?

Enfin, je veux aussi mentionner le mécénat : nous avons beaucoup de travail à faire sur ce sujet...

M. Alain Marc. - À entendre les intervenants, il semblerait que cette baisse considérable du marché de l'art au niveau national serait due à la régulation. Pourtant, même si l'on règle ce problème, notamment en mettant en avant l'autorégulation, je ne pense pas que nous retrouverons notre place au niveau mondial.

Au-delà des intérêts des professions que vous représentez, quelles sont selon vous les vraies causes de ce déclin ? On entend un peu parler de la maison Drouot, mais beaucoup plus de Sotheby's et de Christie's. Il est clair que nous n'avons pas en France de maisons à la hauteur des institutions britanniques ou américaines.

Ma seconde question est la suivante : lorsque ces maisons d'origine étrangère font des affaires en France, est-ce comptabilisé dans les 6 % ?

Mme Sonia de la Provôté. - On cherche sans cesse le nouveau Jeff Koons, ce qui montre que la dimension spéculative a pris le dessus - c'est flagrant - avec des engouements aussi brusques qu'excessifs pour un art souvent banalisé et reproductif. Ce sont des effets de mode, qui apparaissent comme des accès de rage passagers.

Comment pouvez-vous utiliser votre connaissance de l'art pour dépister non pas la poule aux oeufs d'or, mais l'artiste ou les artistes qui font l'effervescence de la culture française ? Comment voyez-vous votre rôle dans la diplomatie culturelle, pour faciliter l'exportation des artistes français de qualité ?

Mme Brigitte Lherbier. - Je m'interroge sur la confiance que nous pouvons porter au commerce de l'art. Vous avez évoqué le repli du marché français : est-il dû à un recul général des transactions ou se limite-t-il aux ventes générées par les circuits organisés ? Lorsque la formation des professionnels est organisée, encadrée et réglementée, idéalement à l'échelle européenne, la confiance est facilitée. J'évoquerai, à travers mon expérience universitaire, la formation des commissaires-priseurs, qui mêle histoire de l'art, droit, gestion et déontologie. Ce diplôme, plus que particulier, est difficile d'accès de par la multitude des compétences requises. Son excellence et son encadrement ne peuvent être mis en doute. Pourtant, cette profession, comme d'autres dans le domaine du commerce de l'art, s'est laissé déborder. Est-ce la conséquence d'un abandon de l'encadrement professionnel ? L'Europe, peut-être insuffisamment impliquée en la matière, n'en est-elle pas également responsable ? Je partage la réflexion de notre collègue François Bonhomme : il y a tant d'objets d'art à vendre et à échanger en France, qu'il est fort dommage d'arriver au constat que vous avez unanimement dressé !

Mme Annick Billon. - S'agissant des certificats d'exportation, sont-ils autant difficiles à obtenir pour le territoire européen qu'à l'international ? Il me semble, au regard de du témoignage qui m'a été donné par une entreprise vendéenne, que cela varie.

L'art est, en France, de qualité, ce qui ne l'empêche pas de souffrir d'un dommageable déficit d'image. Les Français portent un regard désuet sur les ventes aux enchères, qui en outre pâtissent de scandales comme celui de Drouot. Le marché de l'art gagnerait à communiquer de façon plus offensive.

Cette première table ronde réunit tant d'intervenants qu'il est malaisé de comprendre quel est l'interlocuteur concerné en fonction des problématiques évoquées. Partagez-vous un objectif commun ? Cette multiplication des instances représente un mal très français, qui, en l'espèce, donne l'impression que l'art ne se démocratise pas aisément, qu'il demeure un domaine réservé, où règne un entre soi très éloigné du grand public.

Mme Nicole Duranton. - Les ventes d'art sur Internet paraissent jouir d'une grande liberté. Comment est-il envisageable de les réguler afin, notamment, de garantir aux acheteurs l'authenticité des oeuvres proposées ?

M. Laurent Lafon. - Les taux de 60 % et de 6 %, que vous avez évoqués concernant la place du marché français de l'art à l'échelle internationale, frappent par leur ampleur. Quelle signification revêt, selon vous, cette chute vertigineuse ? À quel niveau le marché français pourrait-il raisonnablement se situer ? Que représente, par ailleurs, la part des ventes réalisées sur Internet en volume et en tendance ? Vos interventions m'ont donné l'impression d'une confrontation entre professionnels et régulateurs du marché de l'art. Existe-t-il néanmoins, entre vous, un dialogue constructif ?

Mme Marion Papillon. - Il convient de modérer les craintes s'agissant des ventes d'oeuvres d'art en ligne : si la communication des plateformes dédiées est offensive et si le phénomène risque de se développer dans les années à venir, les chiffres sont encore modestes.

J'ai été quelque peu étonnée de vous entendre réduire le marché de l'art à la spéculation et aux ventes record. C'est regrettable ! Loin des records, le marché de l'art rassemble les artistes et les professionnels qui les représentent. La particularité du travail, souvent solitaire et toujours original, des artistes explique qu'un grand nombre de professionnels oeuvrent à leur côté pour les faire connaître et commercialiser leurs oeuvres. Nos problématiques sont bien différentes de celles d'une grande industrie, qui vend des produits peu différenciés.

Le recul observé depuis les années 1970 a plusieurs causes, en particulier l'internationalisation du marché de l'art et l'émergence de nouvelles places, à l'instar de la Chine. Mais cessons de seriner ce constat, réfléchissons plutôt aux solutions ! Le marché français mérite d'être dynamisé !

M. François Belfort. - Monsieur Gattolin, les ventes sur Internet sont effectivement un sujet de préoccupation majeur. Elles engendrent une concurrence déloyale à l'égard d'entreprises qui paient des impôts et garantissent l'authenticité des oeuvres. Notre syndicat est donc éminemment favorable au dispositif imaginé par M. de Mongolfier. Je serais en revanche plus dubitatif concernant vos propos relatifs à certaines pratiques de commercialisation des antiquaires en fin de carrière : il me semble que, si elles étaient avérées, elles ne concerneraient qu'une minorité de professionnels.

S'agissant du droit de suite évoqué par Mme Mélot et régi par l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle, il est prévu qu'il soit à la charge du vendeur. Or, à plusieurs reprises, Christie's l'a attribué à l'acheteur, ce qui pourrait conduire les intéressés, en cas de revente, à devoir s'en acquitter à deux reprises. Nous avons en conséquence introduit une action en justice. La procédure, lancée il y a une dizaine d'années, est actuellement au stade de la deuxième cassation. Il me semble à cet égard que la loi, sujette à interprétation, mériterait d'être clarifiée. La volonté du législateur doit être réaffirmée.

Madame Billon, les certificats d'exportation s'appliquent identiquement pour l'Europe et pour les autres pays étrangers. Leur nombre élevé rend leur gestion dans des délais raisonnables difficile pour le service concerné, alors que les trésors nationaux qui se voient refuser un certificat sont à peine plus de dix chaque année. Le système gagnerait à être assoupli, soit en augmentant les seuils de prix à partir desquels un certificat est nécessaire, soit en rendant son attribution automatique au-delà d'un délai de six semaines. Je vous répondrai enfin que le grand nombre d'intervenants présents à cette table ronde reflète richement une diversité d'opinion. En réalité, nous travaillons ensemble sans guère de divergences et siégeons ensemble dans certaines instances. Vous auriez pu inviter aussi les représentants des experts. Chacun peut l'être aujourd'hui et il paraît indispensable de mieux encadrer cette profession, peut-être en créant un label qui serait attribué par les syndicats d'experts. Notre organisation entretient également d'excellentes relations avec les instances de régulation : nous devons oeuvrer de concert pour défendre notre métier d'antiquaire et conserver la confiance des consommateurs.

M. Fabien Mathivet. - Le marché de l'art souffre de l'appauvrissement des classes supérieures françaises, autrefois assidues dans les salles de vente. Les professions libérales, qui représentaient une part importante du marché de l'art, ne disposent plus des moyens d'y investir. De fait, les antiquaires ont presque disparu des villes de province.

M. Philippe Bas, président. - La santé du marché de l'art est effectivement fonction également du cadre fiscal, même si des dispositions spécifiques, régulièrement critiquées, s'y appliquent.

M. Fabien Mathivet. - Je rejoins également les propos de Marion Papillon : le marché de l'art ne se résume pas à Pierre Soulages et aux ventes record. Il est aussi fait de la multitude de ventes plus modestes réalisées par un grand nombre de marchands. Nous souhaitons la création d'un code APE propre à notre profession pour disposer à cet égard de chiffres précis.

M. Gérard Sousi. - Bien sûr, la séance artistique ne se résume pas à Pierre Soulages et quelques têtes d'affiche des classements de l'art contemporain, mais les artistes français, sur lesquels repose en réalité le marché, demeurent en nombre insuffisant. Les organisations professionnelles ne sont nullement responsables de la création ! L'État, au travers notamment de l'Éducation nationale, doit y sensibiliser les jeunes générations. De nouveaux artistes doivent émerger ! Plus ils seront nombreux, plus les chances qu'ils existent avec succès sur le marché international augmenteront.

Vous avez évoqué, madame Lherbier, votre expérience universitaire. La mienne date un peu, mais je puis vous assurer qu'il n'y a jamais eu, depuis vingt ans, tant de formations destinées aux professionnels du marché de l'art. Celle des commissaires-priseurs évolue ; il existe désormais une préparation à l'examen d'entrée. Je n'aime guère le terme d'« encadrement », qui suppose un contrôle extérieur, mais je vous assure que les professionnels sont extrêmement bien formés.

M. David Assouline. - Pour qu'il y ait davantage d'artistes, comme l'appelle de ses voeux Gérard Sousi, il faut une politique culturelle publique ambitieuse. Plus de 70 % des artistes peintres plasticiens vivent en France sous le seuil de pauvreté. La précarité de leur statut constitue un bien mauvais signal pour le marché de l'art ! L'appauvrissement des classes supérieures est donc loin, monsieur Mathivet, de représenter la principale cause de son repli... En réalité, lorsque, par exemple, l'investissement immobilier devient plus lucratif, il est préféré à l'art. En intéressant la population, dans son ensemble et dès le plus jeune âge, à l'art, nous rendrons le marché de l'art plus dynamique, non parce qu'il sera spéculatif, mais parce qu'il sera synonyme d'envie et de plaisir. Nous devons également porter l'exigence d'un statut social digne et d'une meilleure reconnaissance des artistes.

Mme Marion Papillon. - Nous travaillons fréquemment avec des artistes vivants. La galerie représente pour eux à la fois un partenaire et un outil. Notre organisation rencontre régulièrement les syndicats d'artistes, avec lesquels nous partageons une même préoccupation : le développement de la création contemporaine. Certes, nous vous avons présenté ce matin les aspects techniques d'un métier très réglementé, mais sa raison d'être et sa priorité sont bien de défendre et de soutenir les artistes. Nous sommes nombreux à souhaiter, depuis de longues années, la création d'un Conseil national des arts visuels pour agir plus efficacement en la matière. Il faut aussi former de jeunes générations, pour leur apprendre que collectionner n'est pas que spéculer, mais soutenir les artistes et le patrimoine.

M. Jean-Pierre Osenat. - L'affaire Aristophil ne se serait jamais produite s'il avait existé un conseil des ventes constitué uniquement de commissaires-priseurs tel que nous l'appelons de nos voeux. Lorsqu'un scandale éclate, l'ensemble du marché de l'art est éclaboussé ! Je me souviens d'un homme brandissant une pancarte, devant les locaux de Sotheby's à New York, qui accusait la société de l'avoir trompé : il obtint rapidement une entrevue pour ne pas nuire davantage à l'image de l'entreprise. La confiance est essentielle et nous souhaitons une instance susceptible de se porter garante de la qualité et de défendre l'image du marché de l'art.

Dans les années 1960, la plus grande société américaine de vente aux enchères d'art, Parke-Bernet, était à vendre. Drouot, faute de maîtriser l'anglais, renonça à l'acquérir. Sotheby's l'acheta en 1964. Cette acquisition, couplée à une attitude plus commerçante et à une vision plus internationale, explique la position dominante des sociétés anglo-saxonnes sur le marché de l'art.

Les jeunes hésitent désormais à s'engager dans la profession de commissaire-priseur, dont ils jugent l'exercice excessivement régulé. Ils préfèrent un statut salarié dans une grande maison de vente. Il faut leur redonner confiance !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - En 2011, notre commission de la culture a commis, sous l'égide de notre ancien collègue Jean-Pierre Plancade, un rapport d'information relatif à l'art contemporain. Ses observations sur le décrochage de la France comme ses propositions portant sur la sensibilisation de tous à l'art et sur la fiscalité demeurent d'actualité. Le président Bas et moi vous remercions d'être venus nous entretenir de ces problématiques au combien intéressantes.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Attractivité et compétitivité juridiques du marché de l'art français - Table ronde avec des représentants des instances de régulation et de contrôle

M. Philippe Bas, président. - Nous sommes heureux d'accueillir maintenant les représentants des instances de régulation et de contrôle. Nos deux commissions travaillent ensemble sur les enjeux du marché de l'art, qui soulèvent des questions tout autant juridiques que culturelles. Nous espérons, à l'issue de la matinée, disposer des éléments qui nous permettraient d'apprécier l'utilité, le cas échéant, d'intervenir au plan législatif pour améliorer la compétitivité du marché de l'art français et de ses acteurs.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Cette seconde table ronde nous permettra effectivement d'approfondir notre réflexion. Notre commission de la culture s'intéresse de longue date au marché de l'art, comme en témoigne le rapport d'information de Jean-Pierre Plancade en 2011.

Je vous propose d'évoquer, dans vos propos liminaires, les raisons du décrochage de la France et les moyens d'améliorer la présence française, essentielle pour la diversité culturelle, sur le marché de l'art international. Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour féliciter Mme Marie-Christine Labourdette pour sa récente nomination au poste de présidente de la Cité de l'architecture et du patrimoine.

M. Philippe Bas, président. - Je me joins à ces félicitations.

Mme Marie-Christine Labourdette, ancienne directrice des musées de France au ministère de la culture, présidente de la Cité de l'architecture et du patrimoine. - Le développement du marché de l'art suppose une stabilité de son environnement fiscal et juridique. Le ministère de la culture a, à cet égard, pris bonne note des conclusions pertinentes du rapport de Stéphane Travert faisant suite à la mission d'information présidée par Michel Herbillon, au sein de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. Il est notamment essentiel, pour les galeries et les antiquaires, de disposer d'une provision réglementée, pour faciliter l'accroissement de leurs stocks, renforcer leur trésorerie et fluidifier leur fonctionnement, ainsi que le prône la proposition n° 24 du rapport.

Il est également important de maintenir, s'agissant de la taxe forfaitaire sur la vente ou l'exportation d'oeuvres d'art, un niveau inférieur pour l'Union européenne par rapport aux autres pays étrangers, afin de favoriser les transactions au sein de l'espace européen et de ne pas offrir, à l'heure du Brexit, un avantage concurrentiel au Royaume-Uni, qui pourrait renoncer, à la faveur de sa sortie de l'Union européenne, à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les importations d'objets d'art ou au droit de suite. Il convient également de se garder de toute augmentation de son taux, comme de toute velléité d'inclure les oeuvres d'art dans l'imposition sur la fortune. Le remplacement de l'impôt sur la fortune par un impôt limité aux biens immobiliers semble avoir éloigné ce risque. Le débat reste néanmoins vif et se rejoue chaque année lors des discussions relatives au projet de loi de finances, au risque d'inquiéter les collectionneurs français ou étrangers résidant sur notre territoire. Je vous remercie à cet égard de votre indéfectible soutien.

De récentes affaires (Aristophil, Bouvier, Drouot, Wildenstein, faux mobiliers du dix-huitième siècle, etc.) ont entaché la réputation du marché de l'art et entamé la confiance des acheteurs. Pour autant, le secteur bénéficie en France d'une régulation plus contraignante qu'ailleurs (tenue obligatoire du livre de police, règles strictes en matière de transparence et de protection des consommateurs sous l'égide du Conseil des ventes volontaires), d'une formation de qualité des professionnels, d'un haut niveau d'expertise, d'une grande richesse patrimoniale et artistique et d'une excellence reconnue des métiers d'art. La lutte contre le trafic des biens culturels, bien souvent lié au financement des activités terroristes lorsque les objets incriminés proviennent du Moyen-Orient, y est également particulièrement efficace. La vente de biens contrefaits ou issus d'un trafic est le plus souvent évitée. Le ministère de la culture a d'ailleurs récemment renforcé son expertise en la matière, en particulier lors des acquisitions par les musées nationaux. La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine a, en outre, complété l'arsenal juridique afférent : instauration de contrôles douaniers systématiques à l'importation, de façon à appliquer plus efficacement la convention de l'Unesco de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, interdiction de circulation et de commerce de biens culturels ayant quitté illicitement un pays concerné par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, annulation de l'entrée dans le domaine public des biens acquis de bonne foi qui s'avéreraient issus d'un trafic et interdiction d'exposer dans un musée national un bien saisi en douane pour sortie illicite d'un État non membre de l'Union européenne. En 2018, le ministère de la culture a prévu de travailler sur la dématérialisation du livre de police et du registre des biens mobiliers et d'y intégrer des photographies des biens pour améliorer leur identification. Par ailleurs, est toujours en discussion un projet de règlement européen relatif au contrôle des importations de biens culturels.

Pour ce qui concerne le contrôle des exportations, les professionnels estiment trop long le délai d'obtention des certificats. Pour autant, le système préserve efficacement le patrimoine français. Outre que les oeuvres présentes depuis moins de cinquante ans sur le territoire national obtiennent automatiquement un certificat, à peine une dizaine de biens, considérés comme des trésors nationaux, se le voient refuser sur un total de 9 000 à 10 000 certificats délivrés chaque année. Il faut maintenir un juste équilibre entre le dynamisme du marché de l'art et la préservation du patrimoine.

Mme Régine Hatchondo, directrice générale de la création artistique au ministère de la culture. - Dans les années 1950, la France représentait 60 % du marché de l'art international, dont elle constituait une place forte. Désormais, cette proportion, s'agissant de l'art contemporain, s'établit à 4 %, contre 43 % pour les États-Unis, 21 % pour la Grande-Bretagne et 19 % pour la Chine. Le chiffre d'affaires français atteint 2,8 milliards d'euros, dont 0,5 milliard d'euros pour l'art contemporain, réparti entre les galeries (45 %) et les ventes volontaires (55 %). Ce recul s'explique à la fois par la mondialisation du commerce de l'art, par l'affaiblissement des galeries, dont l'activité devient de moins en moins rentable (à peine 0,5 %), et, surtout, par le déplacement des fortunes, qui pour partie investissent dans l'art pour des raisons spéculatives, vers New York, Hong-Kong, Shanghai ou Pékin. Selon une récente étude de Nathalie Moureau, le niveau croissant des charges pèse sur la rentabilité des galeries. Il est désormais extrêmement coûteux de défendre un artiste à la foire internationale de l'art contemporain (FIAC) ou à Art Basel, ce qui conduit les galeries à limiter les prises de risque, d'autant qu'en France, les relations entre artiste et galerie ne sont pas contractualisées et, partant, ne comprennent aucune obligation de fidélité. Les galeries souffrent enfin de la concurrence des ventes en ligne même si elle demeure, en France, moins agressive que dans les pays anglo-saxons. En conséquence, nous ne disposons, à l'exception notable de Perrotin, d'aucune galerie d'envergure internationale en art contemporain ; beaucoup sont de taille moyenne, fragiles et peu rentables malgré leur dynamisme. Ce constat explique, en partie, le fait que sur les cent premiers artistes contemporains en termes de notoriété ne figurent que sept Français : Marcel Duchamp, Louise Bourgeois, Henri Matisse, François Morellet, Christian Boltanski, Daniel Buren et Pierre Huyghe. Beaucoup sont morts et Pierre Huyghe, le plus jeune, est né en 1962...

M. André Gattolin. - Cela en ferait un jeune sénateur !

M. Philippe Bas, président. - Notre moyenne d'âge n'est pas si élevée qu'on le prétend... Elle l'est en tout cas moins que celle du panel qui vient de nous être cité !

Mme Régine Hatchondo. - Que faire ? Nous mettons en oeuvre des mesures de soutien pour renforcer l'écosystème du marché de l'art contemporain. Ainsi, nous avons récemment développé un fonds d'avances remboursables pour les galeries d'art ; le Centre national d'art plastique (CNAP), notre établissement public en charge de l'art contemporain, offre une aide au premier catalogue et aux premières expositions, et des avances remboursables pour la production d'oeuvres. Nous soutenons également les foires étrangères à hauteur de 250 000 à 300 000 euros par an - montant que le rapport de Stéphane Travert, en 2016, préconisait d'accroître. Plus largement, le système de la commande publique soutient les musées, à travers le CNAP et les fonds régionaux d'art contemporain (FRAC), qui disposent d'environ 2,8 millions d'euros par an, et permettent l'acquisition d'oeuvres d'artistes émergents ou confirmés.

Nous venons de développer, avec la société Emerige, un partenariat public-privé intitulé « Un immeuble, une oeuvre », qui encourage les promoteurs immobiliers à commander des oeuvres auprès d'artistes labellisés par l'État, ce qui est rassurant pour eux - et ne nous coûte rien. En dix-huit mois, plus d'une centaine d'oeuvres ont été commandées. Il y a trois ans, nous avons lancé un appel à projets à l'échelle nationale sur le Street Art, qui fait partie des domaines artistiques dont le chiffre d'affaires progresse le plus dans le monde. Nous cherchons à encourager les nouvelles esthétiques d'art contemporain et celles qui sont motrices dans certains pays. Concernant le monde du travail, nous finançons une quinzaine de résidences choisies par des directeurs d'entreprises afin de permettre à leurs salariés de se familiariser avec l'art. Nous venons d'achever un rapport sur les artothèques et souhaitons les inciter à être beaucoup plus présentes, comme dans le monde anglo-saxon, où chaque campus universitaire dispose d'une artothèque, dans laquelle les jeunes peuvent emprunter gratuitement une oeuvre d'art. Nous lancerons donc, pour 2018 et 2019, un grand plan de soutien aux artothèques. L'une des plus dynamiques est située dans le Limousin ; une autre est à Caen. Sur leur modèle, nous allons développer des artothèques dans nos campus. Nous proposerons un partenariat à La Poste pour investir les bureaux de poste, et ferons levier sur la commande publique.

Nous nous efforçons de sensibiliser nos institutions, nos musées, nos FRAC : même si ceux-ci doivent rester totalement libres de leur programmation, nous les incitons à rendre plus visible la scène française, ce que les Allemands font très naturellement. Ainsi, lors de la FIAC, quand près de 8 000 professionnels étrangers viennent à Paris, nos musées ne présentent pas toujours des expositions d'artistes français - je veux dire d'artistes vivant en France : il ne s'agit pas de tenir un discours de fermeture protectionniste mais de donner à voir ce que la scène française a créé, y compris dans son accueil de grands artistes étrangers et dans la mixité qui est la sienne.

Nous soutenons le prix Marcel Duchamp de l'association pour la diffusion internationale de l'art français (Adiaf), qui valorise aussi la scène française. Nous avons développé pour la première fois l'an dernier un tout petit fonds, avec le comité des galeries d'art, pour financer les monographies d'artistes ; car c'est souvent autour des monographies que la notoriété se fait. Nous travaillons aussi, avec la Fondation Ricard, sur le développement de la notoriété par les réseaux sociaux à l'international et dans les places fortes de marchés que sont la Chine, Hong-Kong et les États-Unis. Nous publions sur les blogs de personnalités repérés dans les scènes étrangères des traductions de critiques d'art étrangères sur des artistes français.

Je considère aussi qu'il est fondamental de disposer d'un cadre fiscal sûr et rassurant pour les collectionneurs ; sont bienvenues toutes les mesures fiscales qui pourraient inciter à l'acquisition. Nous devons être très prudents sur le Brexit, qui pourrait faire de l'Angleterre le pays fort de l'Europe si nous ne sommes pas vigilants sur les taxes d'importation et la TVA. Nous sommes préoccupés par la question de l'amortissement des stocks d'acquisition d'oeuvres d'art par les galeries. Enfin, nous pensons qu'on aurait pu aller plus loin dans la déduction fiscale, qui est plafonnée à 0,5 % du chiffre d'affaires, lorsque les entreprises acquièrent une oeuvre d'un artiste contemporain vivant : on aurait pu aller jusqu'à 1 %.

M. François Connault, sous-directeur des professions judiciaires et juridiques au ministère de la justice. - Le thème de cette audition est l'attractivité et la compétitivité juridiques du marché de l'art français. Nous y avons été conviés car nous avons une influence sur ce marché, mais uniquement via la régulation des ventes aux enchères, qui ne sont elles-mêmes qu'une des modalités de circulation des oeuvres. Inversement, cette régulation des ventes porte sur d'autres domaines que l'art, en particulier les chevaux et les véhicules.

Sous l'impulsion du droit européen, dans un contexte général de mondialisation du marché de l'art et de baisse de l'activité et de l'attractivité du marché de l'art français, les ventes aux enchères publiques ont connu deux réformes de grande ampleur, avec les lois de 2000 et de 2011. L'objectif de ces deux réformes successives a été de conjuguer la sécurité juridique pour l'ensemble des consommateurs - acheteurs et vendeurs - avec l'amélioration de l'attractivité économique en dynamisant et en rendant plus attractif le marché des ventes volontaires aux enchères publiques.

La loi du 10 juillet 2000 a mis fin au monopole des commissaires-priseurs en établissant une distinction entre les ventes judiciaires - prescrites par la loi ou par une décision de justice - qui relèvent désormais exclusivement des officiers publics et ministériels que sont les commissaires-priseurs judiciaires, et les ventes volontaires, ouvertes à toute personne dûment qualifiée, commissaire-priseur judiciaire ou autre. Pour favoriser la concurrence et participer à ces ventes volontaires ont été créées des sociétés de ventes volontaires, qui étaient soumises à l'agrément et au contrôle disciplinaire du Conseil des ventes volontaires (CVV), ainsi qu'à certaines conditions d'accès et d'exercice prévues par la loi.

La loi du 20 juillet 2011 est allée plus loin : elle a procédé à un assouplissement de l'encadrement de l'activité, en prévoyant notamment la faculté pour les sociétés de ventes volontaires devenues des opérateurs de ventes volontaires d'exercer sous la forme juridique de leur choix et en substituant à l'agrément préalable par le CVV une simple déclaration auprès de celui-ci. Elle a étendu le champ des activités des opérateurs, tant dans le domaine des ventes, désormais ouvertes, que dans tout autre domaine complémentaire : stockage, transport, édition... Elle a enfin diversifié les modes d'intervention, avec la faculté de recourir aux ventes de gré à gré.

La succession de ces deux réformes d'envergure montre que, depuis une quinzaine d'années, le législateur a donné aux professionnels tous les outils juridiques pour défendre leur position sur un marché de l'art de plus en plus mondialisé et concurrentiel.

D'autres assouplissements ont été effectués : libéralisation des frais de vente volontaire, qu'ils soient à la charge de l'acheteur ou du vendeur, autorisation de la technique du prix garanti, autorisation de consentir au vendeur une avance sur le prix d'acquisition du bien, autorisation sous conditions de la vente de gré à gré de biens déclarés non adjugés, responsabilisation poussée des commissaires-priseurs judiciaires et des experts, et réduction de la durée de prescription des demandes, qui est passée de 30 ans à 10 ans.

La place de Paris, après une phase de déclin, semble reprendre des couleurs sous l'effet de divers éléments qui ont été mis en relief par le rapport d'information de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, dit rapport Herbillon, de novembre 2016. D'autres indicateurs montrent que le marché reste concentré entre quelques grandes maisons qui, à elles seules, ont une activité supérieure à celle des quelque 400 autres maisons de ventes françaises - ce qui traduit une concentration sans doute insuffisante des opérateurs, sans parler des galeristes. Les conclusions du rapport Herbillon sont claires : la déstructuration de l'offre par éclatement entre de très nombreux opérateurs et l'internationalisation de la demande, avec le déplacement des fortunes vers la Chine et les pays anglo-saxons, ainsi que les règles de fiscalité, sont les principaux facteurs explicatifs du recul de la position de la France.

Nous restons cependant attentifs aux éventuels freins juridiques qui pourraient subsister dans la réglementation actuelle, même si jusqu'à présent nous n'avons pas été sensibilisés à l'existence de telles difficultés. Nous avons des échanges réguliers et constructifs avec le CVV ainsi qu'avec certains syndicats, comme le Symev. Ce syndicat nous a transmis des propositions. La réglementation des ventes volontaires ne semble pas être considérée par les professionnels comme un frein au développement du marché de l'art, bien au contraire. Ceux-ci y voient en effet un gage de qualité des prestations des opérateurs de ventes volontaires qui offrent, grâce à cet encadrement, une formation, une déontologie, une discipline, des assurances professionnelles, des garanties financières de représentation des fonds, ce qui constitue un avantage compétitif qui doit être mis en avant au niveau international. Les professionnels n'ont pas non plus fait part de difficultés ou de souhaits particulier sur les modes d'exercice auxquels ils pourraient recourir. Certains souhaitent l'extension du champ d'application des ventes volontaires aux biens incorporels. Cette piste nécessite une expertise complémentaire par la chancellerie.

Les principales critiques que les professionnels ont formulées avaient trait au fonctionnement du CVV, sans que son existence soit contestée. L'idée était plutôt de réclamer une modification de sa composition, de manière à en faire une autorité d'autorégulation qui serait composée uniquement de professionnels ; la présence d'un commissaire du Gouvernement resterait bienvenue afin d'éviter l'impression d'entre-soi. Des réflexions sont en cours sur cette question ancienne.

Certaines critiques portaient aussi sur le montant des cotisations affectées au CVV mais, celui-ci étant conscient de ce que la bonne santé de certaines maisons avait contribué à ce que les cotisations qui étaient assises sur leur activité génèrent des fonds propres et des réserves importants, nous avons pris un arrêté qui a réduit pour les trois années à venir le taux de ces cotisations, ce qui va conduire à solliciter les réserves du CVV.

Mme Catherine Chadelat, présidente du Conseil des ventes volontaires. - Je précise que l'initiative de la baisse des cotisations est venue du CVV : nous avons conscience que les petites structures de province sont dans une situation difficile.

Les deux maîtres mots sont libéralisation et régulation. Ils ne s'opposent absolument pas. Nous sommes dans un marché libéralisé, c'est-à-dire qu'en France on peut faire très exactement son métier de commissaire-priseur comme un auctioneer à New York ou à Londres : pas de barrière à l'entrée, honoraires libres, toutes les techniques sont possibles, y compris les plus spéculatives.

Il n'y a donc aucun frein lié à l'encadrement législatif. Il y a des freins, mais administratifs.

Nous sommes dans un marché décloisonné, c'est-à-dire que chacun peut exercer des activités complémentaires : un commissaire-priseur peut avoir une galerie, un antiquaire peut être opérateur de vente. Ce marché a intégré la mondialisation : la clientèle, surtout dans les ventes de prestige, est essentiellement une clientèle étrangère. Les étrangers effectuent plus de 75 % des achats chez Sotheby's, Christie's ou Artcurial. Le marché a fait sa révolution numérique de l'Internet, puisque 80 % des commissaires-priseurs utilisent cet instrument de travail. La forme juridique des acteurs varie entre grosse structure, société anonyme et exercice individuel. Enfin, le marché a compris que, pour progresser, il faut se concentrer : les vingt plus grosses sociétés représentent presque 70 % du marché des ventes aux enchères.

Dans ce marché libéralisé, nous intervenons comme autorité de régulation. Nous vérifions que cette technique très particulière que constitue la vente aux enchères fonctionne bien. C'est une opération à trois personnages où l'intermédiaire, le commissaire-priseur, a un rôle un peu schizophrénique, puisqu'il doit défendre les intérêts du vendeur et, en même temps, être l'arbitre d'un panel d'adjudicataires possibles. Il lui faut donc une déontologie propre.

Aussi nous faut-il vérifier les mécanismes, dans l'intérêt public, puisqu'une vente publique est un baromètre de prix. Le consommateur doit s'y retrouver, qu'il s'agisse du vendeur, mais aussi des acheteurs, qui sont très demandeurs, notamment dans les ventes électroniques - et je regrette que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), avec qui nous dialoguons régulièrement sur le contrôle des ventes électroniques, ne soit pas présente ce matin.

Nous travaillons en dialogue avec la profession, sans antagonisme. D'abord, la profession est représentée dans le conseil des ventes volontaires, qui compte six membres professionnels. Pas une recommandation n'est rédigée sans l'avis des professionnels. Et ceux-ci sont partie prenante à la formation.

Nous devons assumer les dangers que comporte le marché de l'art, qui est le troisième marché mondial en termes de blanchiment. Nous sommes le correspondant Tracfin sur la question, nous intervenons régulièrement avec l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) - mais ce n'est pas notre rôle de détecter les faux.

Nous sommes surtout le correspondant de l'Unesco. J'avertis régulièrement les pays qui sont en danger que nous pouvons, et jusqu'au dernier moment, suspendre une vente, si on nous apporte la preuve qu'un bien a été volé. Pour tout cela, l'autorégulation ne suffit pas.

Le marché français ne se porte pas si mal que ça : il progresse depuis dix ans, et a enregistré en 2017 une croissance de 5,7 %, soit plus qu'en 2016. Certes, l'art contemporain ne progresse pas aussi vite chez nous, alors que c'est lui qui fait le marché mondial. Ne rêvons pas : nous ne reviendrons pas aux années 1950, quand Paris était la première place de marché mondiale. Mais nous pouvons améliorer les choses, en attirant plus encore de clientèle étrangère.

Avec l'amendement « Artcurial » à la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, le Sénat avait souhaité favoriser la relocalisation des ventes en France en obligeant le propriétaire qui vendrait son bien dans l'année qui suit la délivrance d'un certificat d'exportation à réaliser la vente en France. Cette idée n'avait pas été retenue. En-deçà de la normativité, il y a plusieurs mesures à prendre. Et d'abord, le Brexit doit être l'occasion pour les pouvoirs publics de monter en première ligne à Bruxelles. En effet, le marché des enchères n'existe que dans deux pays en Europe : le Royaume-Uni et la France. Avec le Brexit, la France reste seule. Si elle ne joue pas à Bruxelles le jeu d'un marché porteur, ne nous faisons pas d'illusions : le droit de suite, la taxe à l'importation, tout sautera.

Or les ventes aux enchères ne sont pas identifiées comme telles à Bruxelles, où elles sont purement et simplement assimilées au droit de la consommation. Résultat : les directives sur les ventes électroniques aux enchères introduisent un droit de rétractation, ce qui est absurde ! Heureusement, le législateur français n'a pas transposé telle quelle cette disposition dans la loi « Hamon ». Mais nous n'avons pas de correspondant attitré officiel et nous ne parvenons pas à nouer le dialogue sur ce point. Quant au recel, nous avons un énorme problème puisque c'est une infraction continue en France : vous prenez le Thalys, c'est une infraction instantanée et trois ans après, vous ressortez les marchandises !

La multiplicité des interlocuteurs - Bercy, la Culture, l'Intérieur... - et l'empilement des lois - sept régimes différents pour l'ivoire ! - constituent de sérieux obstacles, surtout pour les plus petites structures. Il y a des interlocuteurs uniques, comme la Maison des artistes, et nous avons réussi à passer un accord amiable sur les droits de reproduction. Il faut simplifier, accélérer, rendre plus efficace, notamment grâce au droit souple - et là, la profession a un rôle à jouer. Nous avons déjà édité deux guides pratiques. La médiation fonctionne bien : pour plus de 300 réclamations par an, nous avons sept ou huit sanctions disciplinaires. Hélas, les professionnels ne veulent pas se regrouper. Drouot réalise un chiffre d'affaires de 300 millions d'euros mais avec 74 sociétés de ventes ; Christie's, de 200 millions d'euros ; Sotheby's, de 150 millions d'euros. S'ils s'alliaient, Drouot serait devant ! Mais cette profession est très individualiste. Or il lui faudrait se concentrer autour d'un soutien financier conséquent.

M. Gilles Andréani, président de l'Observatoire du marché de l'art et du mouvement des biens culturels. - L'Observatoire n'a aucune existence légale ou réglementaire, c'est une réunion mensuelle informelle entre les représentants des principaux organismes collectifs du marché de l'art - galeristes, commissaires-priseurs, experts - et les représentants des administrations principalement culturelles, mais également de l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) et des douanes. Il a été créé au moment de la libéralisation du marché de l'art sous l'effet du marché unique, en 1992-1993, et il avait pour objectif de s'assurer que cette libéralisation ne se traduisait pas par une hémorragie des biens culturels français. Depuis la Révolution française, on vide les châteaux et les greniers et c'est l'un des grands ressorts du marché de l'art. On craignait que le phénomène ne s'aggrave à l'occasion de cette libéralisation.

En effet, le marché de l'art en France est un marché de sortie : on sort des biens. Les statistiques n'incluent pas les transactions intra-européennes mais on pense que le rapport est de trois sorties pour une entrée. À l'inverse, les trois quarts des achats supérieurs à 50 000 euros sont le fait d'acheteurs étrangers. Et n'entrent en France pour y être vendus que de très rares objets ou collections représentant environ 5 % du total.

Le marché de l'art est polarisé : sa dimension financière lui est conférée par les oeuvres multimillionnaires, qui font l'objet d'une compétition féroce auprès des vendeurs, qui ont la clé de ce marché. Où vont-ils pour vendre ces oeuvres ? Mis à part le marché chinois, qui est un sujet en lui-même, ils vont à New York : la position dominante du marché new-yorkais s'est affirmée sous l'effet de la globalisation. En 2017, il y a eu 50 enchères millionnaires en euros en France et à peu près autant d'enchères supérieures à 50 millions d'euros à New York.

En somme, il y a deux marchés. D'une part, un marché de l'objet exceptionnel, hors norme, qui s'évalue en dizaines de millions de dollars ou d'euros ; ce marché-là est un marché en soi, qui a sa place dans les galeries, dans les grandes foires et dans les ventes aux enchères, principalement new-yorkaises. La France ne fait pas partie de ce jeu-là et, à ma connaissance, ne connaît pas d'enchères à 50 millions d'euros. Ce marché transite par Sotheby's et Christie's, autour d'un réseau de très gros acheteurs, de fondations, de musées internationaux - souvent américains - et de prescripteurs.

D'autre part, la France est un marché qui se porte bien dans sa catégorie, parce qu'il est soutenu par une classe d'amateurs tout à fait importante : des acheteurs, des fondations, qui acquièrent en général de l'art contemporain, par un intérêt public pour l'art - dont notre réunion même témoigne - et parce que des maisons de ventes ont su développer des niches dans le marché international, où la France est reconnue.

Après cinq ans, ma conclusion est que les facteurs juridiques, qu'ils soient fiscaux ou qu'ils tiennent à la régulation du marché, ne sont décisifs ni dans un sens, ni dans l'autre, pour expliquer la situation de la France. Des améliorations à la marge peuvent être faites. Le rapport de MM. Herbillon et Travert en avait dressé la liste. En ce qui concerne les fondamentaux, à la fois fiscaux et juridiques, du marché de l'art français, les facteurs défavorables sont largement équilibrés par les facteurs favorables.

Parmi ces derniers, notre régime de mécénat et notre régime juridique de création et de surveillance des fondations comptent parmi les plus libéraux au monde et contribuent à l'enrichissement de notre patrimoine artistique et des collections des musées, puisque les fondations qui recourent à ces facilités juridiques et à ce mécénat constituent des collections qui finiront bien un jour dans les collections publiques - après avoir animé le marché de l'art. Deuxième atout : le régime des plus-values en ce qui concerne les ventes d'objets est extrêmement favorable, plus encore que le régime américain. Le régime de la TVA en marge pour les galeries et les antiquaires est également un régime favorable sur le plan fiscal.

Deux régimes sont moins avantageux, mais nous les partageons avec l'Union européenne : la TVA à l'importation et le droit de suite. Le droit de suite ne me paraît pas un handicap très significatif pour le marché français. Quant à la TVA à l'importation, en tant que citoyen, je ne la comprends pas : il me semble que c'est plutôt une bonne chose que d'importer des oeuvres d'art !

Y a-t-il des régimes qui nous singularisent ? Le régime des ventes publiques me paraît neutre du point de vue de l'attractivité. Le CVV, dont je suis membre, fait bien son travail. Le régime de responsabilité et le régime relatif à l'authenticité des oeuvres et aux possibilités d'action de recours contre le vendeur sont en France plus rigoureux que dans un certain nombre de pays étrangers. Est-ce un inconvénient ou un avantage ? Le vendeur ou l'acheteur sont mieux sécurisés en France du point de vue juridique, parce que la prescription est plus longue, en tout cas pour les galeries, et que la jurisprudence française est plus exigeante sur l'authenticité. Inversement, l'action en nullité pour erreur sur la substance peut faire peser une ombre sur des transactions parfois anciennes et donc nuire à la sécurité de la transaction au cas où une oeuvre changerait d'attribution.

Les régimes de protection en termes d'importation et d'exportation ne sont ni particulièrement sévères ni handicapants pour le marché de l'art français. Le dispositif des trésors nationaux, rarement utilisé, est coûteux pour la collectivité puisqu'il la met devant le dilemme d'avoir soit à acheter, soit à laisser partir l'objet dans un certain délai. Il n'est pas à la mesure de l'exode d'oeuvres importantes de notre pays.

Bref, les limitations du marché français dans son exposition mondiale ne tiennent pas à des facteurs principalement législatifs ou fiscaux.

M. Alain Schmitz. - Vous nous avez informés et, pour ma part, je suis convaincu. Madame la présidente du CVV, j'ai été très séduit par votre plaidoyer pro domo. Le président du Symev considère, lui, que cette structure unique en Europe et dans le monde était à la charge du marché et risquait, dans un souci de sécurisation bien compréhensible, d'hypothéquer sa nécessaire libéralisation. Or le marché est mondial et, par conséquent, il nous faut à la fois sécuriser entièrement les acheteurs et fluidifier la circulation des objets mis en vente. Comment articuler libéralisation et sécurisation ? Si la maison Artcurial a occupé une place importante en France et notamment sur la place de Paris, c'est qu'elle était assise sur les capitaux de la famille Dassault.

Comment vivez-vous le caractère exceptionnel du CVV ?

M. François Bonhomme. - Je me réjouis que M. Andréani nous dise que le problème n'est ni fiscal ni juridique. Je pense à la création : vous avez énuméré vos actions de soutien. Mais vous avez cité Bourgeois, Duchamp, Matisse, Buren... Tous sont nés avant 1945 ! Cela donne la mesure du déclassement de la création française, qui semble vivre sous des références un peu écrasantes. La politique d'achat des FRAC - et même des musées nationaux - serait un sujet à part entière. Les musées français, par exemple, ont raté un artiste aussi essentiel que Lucian Freud, quand les Anglo-saxons ne s'y sont pas trompés. Le marché des ventes volontaires s'est peut-être redressé de 5 % en 2017 mais, depuis cinquante ans, il connaît un déclassement régulier et continu. C'est dire la difficulté de la tâche qui nous attend, si nous voulons relever le marché de l'art et les artistes français.

M. Olivier Paccaud. - Nous n'avons pas parlé de la démocratisation de l'art, non plus que de l'éducation artistique. Le rapport de Jean-Pierre Plancade insistait sur la nécessité d'encourager la présence d'artistes dans les établissements scolaires. En effet, les artistes de demain, les collectionneurs de demain, ce sont les élèves d'aujourd'hui.

Vice-président de mon département, en charge de l'éducation et de la jeunesse, j'ai fait transformer dans de très nombreux collèges des salles vides en galeries d'exposition. Nous avions une convention avec la DRAC de Picardie et les crédits liés à cette convention n'étaient guère utilisés. J'ai souhaité en orienter une partie vers l'aménagement de ces salles afin qu'elles soient ouvertes, pas seulement en temps scolaire, et que la population puisse y venir. Je me suis heurté, à mon grand étonnement, à un refus. Pourtant, n'y a-t-il pas là quelque chose à jouer ?

M. Jean-Pierre Leleux. - L'introduction du concept de fonds de dotation par la loi de modernisation de l'économie en 2008 a-t-elle eu un effet ? Les fonds de dotation sont-ils devenus un levier ? À défaut, que faire pour qu'ils le deviennent ?

Mme Catherine Chadelat. - Il n'y pas antinomie mais complémentarité entre sécurisation et libéralisation. La publicité de la vente diffère du marché de gré à gré, où l'on utilise la technique classique du contrat de vente ; pour donner confiance à des acheteurs potentiels, il faut d'une part de l'autorégulation mais aussi un regard extérieur, voire plusieurs regards extérieurs, à condition que chacun soit dans son rôle. Par exemple, en cas de difficultés sur la distinction entre le marché des enchères électroniques régulées et non régulées, c'est l'administration qui doit intervenir.

Si le CVV a été créé en 2000, c'est parce que nous partions d'un statut d'officier public et ministériel pour passer au statut de commerçant, comme dans les pays anglo-saxons - alors qu'un commissaire-priseur n'est pas un commerçant, c'est un intermédiaire. Cela a paru au législateur un grand écart difficile à assumer. Une autre manière d'agir est la manière anglo-saxonne, plus brutale : lorsqu'une maison a des problèmes, elle essaye de les régler en son sein ; si on le sait un peu trop, c'est l'élimination du marché.

Depuis 2000 nous contrôlons l'activité maison par maison : nos chiffres sur la progression du marché montrent une croissance constante depuis dix ans - même si la situation n'a rien à voir avec les années 1950, en effet. Mais l'écart se creuse entre les dix ou vingt plus gros et les plus petits intervenants.

Mme Régine Hatchondo. - La politique d'acquisition est évidemment la cible de nombreuses critiques. On entend souvent que la France, héritière de Duchamp, a développé des acquisitions et des expositions valorisant l'art conceptuel au détriment de l'art pictural. Dans un marché qui devient très spéculatif, l'art pictural est plus facile à acquérir. En effet, Jean Clair dénonce cette tendance. Mais les commissions d'acquisition sont très ouvertes : experts aux profils variés, critiques d'art, directeurs d'institution, directeurs de musée, artistes eux-mêmes...

M. François Bonhomme. - Artistes ? En politique, on parlerait de conflit d'intérêts...

Mme Régine Hatchondo. - Il faut laisser les spécialistes d'art entre eux, sous la vigilance de la tutelle, dont l'exercice porte plus sur la ligne éditoriale que sur le choix des oeuvres. Il est bien difficile d'inventer un système parfait de sélection...

Je vais interroger la DRAC de Picardie, car j'estime qu'il faut pouvoir jouer de la souplesse des lignes budgétaires, surtout lorsqu'elles ne sont pas entièrement consommées ! Votre idée de transformer des salles d'écoles en galeries rejoint notre projet d'artothèques, dont la finalité est de permettre à tous de vivre au milieu d'oeuvres d'art. En Belgique, il y a de nombreux petits collectionneurs, qui aiment acquérir pour de petits montants des oeuvres d'artistes belges qu'ils exposent chez eux. En France, nous avons plutôt de très gros collectionneurs, qui ont de très grosses fondations - grâce au mécénat. L'un de nos groupes de travail réfléchit à ce sujet de l'art au quotidien.

Mme Marie-Christine Labourdette. - Les commissions d'acquisition des musées fonctionnent comme des processus collégiaux à plusieurs niveaux. Seul, on se trompe ; à plusieurs, aussi, mais peut-être moins. Le Musée national d'art moderne est en charge de la veille - avec le CNAP, qui se spécialise sur le marché de l'art contemporain. Ils disposent de commissions d'acquisition extrêmement structurées et collégiales, qui veillent à tracer le maximum de piste dans l'art contemporain, tout en préservant le foisonnement, voire l'éclectisme, qui caractérisent la création.

Le CNAP, les FRAC et le musée national d'art moderne, sans se répartir le marché, essaient de développer chacun des axes de travail culturel et scientifique qui soient complémentaires et permettent d'éviter de reproduire le drame qu'a été le fait d'avoir raté les impressionnistes, ou Lucian Freud - mais ce dernier renvoie à un mode de regard que le marché de l'art français n'avait pas à ce moment-là...

Les fonds de dotation sont liés à la gestion de sommes très importantes permettant de se projeter dans un autre usage culturel - ainsi, celui du Louvre a recueilli des fonds du Louvre Abu Dhabi pour les gérer en faveur des fonds français, notamment à Liévin. Ce sont souvent des outils de gestion de fortune plus que des instruments de projection d'une politique culturelle ou d'intervention sur le marché de l'art.

M. Philippe Bas, président. - Merci.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 45.