Jeudi 19 avril 2018

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture -

Audition de Mme Sylvie Pierre-Brossolette, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel sur le bilan et les perspectives de l'action du CSA sur les droits des femmes

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - C'est la première fois depuis cette nouvelle mandature que la commission de la culture et la délégation aux droits des femmes se réunissent ensemble, pour entendre Mme Sylvie Pierre-Brossolette. Membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), elle travaille activement sur la place des femmes dans les médias et l'audiovisuel et a récemment rendu un rapport sur La représentation des femmes à la télévision et à la radio.

La commission de la culture est tenue de contrôler l'action des autorités administratives indépendantes, qui nous font part de leurs travaux notamment lorsqu'ils sont réalisés en application de la loi. L'article 1er de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteure, oblige, à la suite d'une demande du Sénat, les chaînes de l'audiovisuel public à représenter la diversité française. Cela suppose une représentation juste et équilibrée des femmes et des hommes. Nous sommes dans notre rôle en vous entendant sur votre action.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. - C'est avec grand plaisir que nous organisons une audition conjointe avec la commission de la culture, pour évoquer l'action du CSA sur les droits des femmes. La délégation et la commission ont déjà eu l'occasion de s'associer pour organiser la projection de l'excellent documentaire de Frédérique Bedos, Des femmes et des hommes, à l'occasion du 8 mars 2016, sur la proposition de Catherine Morin-Desailly, et alors que Chantal Jouanno présidait notre délégation. Plusieurs de nos membres - à commencer par moi - ont la double appartenance à la délégation et à la commission ; cela facilite les rapprochements !

Notre délégation est toujours heureuse de s'associer aux commissions permanentes ou aux autres délégations pour travailler sur des sujets d'intérêt commun. Ainsi, nous avons récemment organisé une audition conjointe avec la délégation sénatoriale à l'outre-mer, qui a été un grand succès, avec une forte participation.

Le sujet qui nous concerne aujourd'hui tient particulièrement à coeur à la délégation. Plusieurs de nos membres, de la majorité comme de l'opposition, ont souhaité, dès notre renouvellement, mettre à notre agenda une audition du CSA.

Je salue à mon tour et remercie de sa présence Mme Sylvie Pierre-Brossolette, membre du CSA, que j'ai rencontrée au Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE-fh).

Les médias, qu'il s'agisse de la télévision ou de la radio, ont un rôle de sensibilisation à l'égalité qui est précieux vis-à-vis de tous les publics, plus particulièrement les jeunes. Le CSA a une mission importante de promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes. Il est primordial d'agir en amont pour faire reculer les représentations sexistes des femmes que les médias peuvent véhiculer, sans oublier le rôle de la publicité. À cet égard, nous écouterons avec intérêt les constats des rapports du CSA relatifs à la représentation des femmes à la télévision et à la radio, et dans les publicités télévisées.

Comment le CSA s'est-il emparé de ses missions au titre des droits des femmes ? Quelle stratégie et quels moyens d'action met-il en oeuvre pour traiter les inégalités à la source ? Pourriez-vous nous donner des éléments d'information sur les réclamations des téléspectateurs contre des programmes ou émissions jugées sexistes ?

Lors de son discours du 25 novembre 2017, le président de la République a annoncé que les pouvoirs du CSA seraient étendus, dès cette année, pour qu'il régule les contenus sexistes sur Internet et dans les jeux vidéo. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce chantier ? Comment envisagez-vous de vous approprier cette nouvelle compétence ?

J'ajoute, mes chers collègues, que cette réunion fait l'objet d'une captation vidéo.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). - C'est un honneur et un grand plaisir pour moi d'être là. Il est normal d'échanger avec les parlementaires sur ce que fait le CSA. Je travaille énergiquement depuis cinq ans et vous présenterai les origines, les progrès et les limites de mon action : la loi peut beaucoup de choses - le CSA aussi - mais ne peut pas tout.

L'amorce d'une réflexion sur ce sujet date effectivement de 2009. Les chaînes ont ensuite tenté de s'engager volontairement pour faire progresser les choses, à l'instigation notamment des rapports de Brigitte Grésy...

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - ... ou de Michèle Reiser...

Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - ...et de plusieurs collègues du CSA. Il y a eu de nombreux contacts.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Une commission avait également été mise en place à l'initiative de notre collègue Valérie Létard, alors secrétaire d'État aux droits des femmes. C'est important de le rappeler.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - Mais même avec toute la bonne volonté du monde, des chartes d'engagement, les choses évoluaient peu. J'ai intégré le CSA en 2013, ce qui correspond au débat sur la loi relative à l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, promulguée symboliquement le 4 août 2014. Dès ma première année au CSA, j'ai demandé à l'Institut national de l'audiovisuel (Ina) de dresser un état des lieux des inégalités et de la représentation quantitative des femmes à l'antenne. Le résultat était accablant : elles ne représentaient que 13 à 17 % des experts ! J'ai aussi demandé aux services du CSA trois études sur les stéréotypes dans la fiction, la télé-réalité et les dessins animés. Évidemment, il en restait beaucoup.

La loi de 2014 est une formidable avancée mais son application est prévue « en concertation avec les chaînes ». Je ne peux donc rien imposer. Il a fallu dix-huit réunions pour leur arracher la délibération que nous avions adoptée en février 2015, à la demande du Parlement, pour que les chaînes remettent un rapport tant qualitatif que quantitatif sur la présence des femmes. Il s'agit donc d'autodéclaration et d'autoévaluation, réalisées à partir de questionnaires élaborés en commun. Dans un souci de pragmatisme, j'ai demandé qu'on dénombre les programmes mettant en valeur des femmes pour valoriser ceux qui n'étaient pas empreints de stéréotypes. À cela s'ajoutent des chiffres comme le nombre de présentatrices, d'animatrices, et d'expertes invitées.

La première année de suivi de ce questionnaire a été difficile. Mais dès la deuxième année, en 2017, nous avons obtenu un vrai décompte, avec des tableaux détaillés remis à temps. Nous observons de vrais progrès : le nombre d'expertes est passé d'environ 15 % en 2014 à 35 % en 2017. Nous ne sommes pas encore au bout du chemin, mais à force d'obliger les chaînes à déclarer et à comptabiliser, j'étais devenue leur mauvaise conscience ; les expertes sont symboliquement des « sachantes ». Le chiffre d'animatrices ou de présentatrices frôle désormais les 50 %. Il faut s'attacher non seulement au quantitatif, mais aussi au qualitatif : quelles sont les expertes qui interviennent, sur quel sujet, à quelle heure, et pendant combien de temps ?

En tant que journaliste, j'avais pris l'habitude avec le temps de comportements aussi mal élevés que ceux des hommes pour réussir à parler... Il faut être conscient que la prise de parole à l'antenne n'est pas toujours facile pour les femmes. On ne coupe pas la parole, on laisse parler les autres... L'année prochaine, après mon départ, il faudra davantage préciser ces études.

Certaines animatrices sont soucieuses de faire venir des femmes, y compris où on les attend le moins, comme les sujets régaliens. Ainsi, Caroline Roux a fait venir, sur le thème de la Syrie, trois expertes sur quatre présents. Elle a hérité de l'émission d'Yves Calvi où il n'y avait jamais de femmes, et ce changement a fonctionné : elle fait de meilleures audiences. Grâce au service public, qui compte 41 % d'expertes - contre 25 % sur les chaînes privées - la situation a progressé. Le service public a pris des engagements : France Télévisions s'est engagée, dans son contrat d'objectifs et de moyens, à atteindre le seuil de 50 % d'expertes d'ici la fin du mandat de Delphine Ernotte, en 2020. France Info s'engage à une progression de 0,5 % par an sur son propre chiffre - ils partaient de loin - tandis que France Médias Monde a inscrit dans son contrat d'objectifs et de moyens le chiffre de 33 % d'expertes d'ici 2020, et de 40 % de femmes en général. Il a fallu se battre à chaque instant.

Néanmoins, je vous invite à vous emparer d'un sujet : le nombre de femmes politiques présentes à l'antenne et à la radio s'est effondré en 2016-2017, année électorale, alors que l'Assemblée nationale compte plus de 38 % de députées. Vous n'êtes plus que 27 % de femmes politiques invitées en 2017. C'est un scandale ! Aidez-moi et interpellez la ministre de la culture et de la communication et la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Le CSA peut prendre des sanctions en cas de dégradation des résultats. Je ne l'ai pas fait pour cette première année où nous avons reçu des rapports détaillés, mais nous pourrions en prendre l'année prochaine. Nous avons besoin de l'aide de tous.

Grâce à vous, qui avez accordé une nouvelle compétence au CSA en 2017 en matière de publicité - sans toutefois lui transférer le pouvoir réglementaire, resté au ministère de la culture - j'ai demandé une étude, dont le constat est largement partagé par les annonceurs et les agences. Ses résultats sont catastrophiques : dans les publicités, 80 % des experts sont des hommes. Cela ne coûterait pas plus de choisir des femmes ! Il y a une sexualisation des rôles par produit : 90 % des publicités sur l'automobile sont présentées par des hommes au volant...

Mme Laure Darcos. - ...ou bien des femmes très sexy !

Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - Les femmes sont sur le capot et à moitié nues ! La publicité des montres Breitling en dit long : un homme, ravi, conduit un avion, sur le capot duquel est allongée langoureusement une femme. C'est récurrent et l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) laisse passer : ils craignent que cela bride la liberté de création. Lors des dix-huit réunions avec les chaînes, Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), et Thomas Anargyros, président de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA), m'ont soutenue, car les auteurs avaient peur qu'on limite leur créativité. J'ai organisé des séances chez eux.

Dans le secteur publicitaire, Jean-Luc Chétrit, directeur général de l'Union des annonceurs (UDA), m'a beaucoup aidée, allant à l'encontre de ses annonceurs. Une fois le constat partagé, j'ai réussi à leur arracher un accord en décembre 2017 pour réaliser une charte partagée d'auto-engagement. J'ai le pouvoir de sanctionner au coup par coup une publicité sexiste ou dégradante mais ne peux faire de travail de long terme sur des publicités présentant toujours des femmes faisant leurs courses... Cette charte, dévoilée le 8 mars, engage les professionnels à réduire le nombre de publicités sexistes ou enfermant les femmes dans des stéréotypes. Ils s'obligent à montrer les femmes autrement que dans un rôle domestique et à rééquilibrer le nombre d'experts femmes et hommes. Nous avons réalisé tout ce travail en un an.

Le président de la République envisage de confier au CSA des compétences supplémentaires dans le numérique, secteur où l'on peut voir les pires horreurs - pornographie, vulgarité, sexisme, violences - alors que demeure une certaine retenue à la télévision, même si certaines émissions de divertissement commencent à diffuser des séquences de vidéo Internet - il faut bien rire... J'envisage de prendre des sanctions. J'ai besoin de votre aide car on nous accuse de n'avoir aucun humour et d'être les gendarmes des bonnes moeurs et du bon goût. J'ai besoin de la représentation nationale, car j'applique la loi : il y a des limites à l'humour. Le collège me soutient, ainsi que beaucoup de journalistes, alors que certains animateurs se sont plaints.

Grâce à la loi, nous avons pu sanctionner. Je l'ai fait très progressivement, en écrivant plusieurs fois des avertissements, en adressant une mise en demeure, pour laisser possible une autorégulation... À la deuxième mise en demeure intervient le rapporteur indépendant, qui propose une sanction. Nous avons mené dix-neuf interventions en quatre ans, quatre en 2017 dont deux avec des sanctions financières, pour une émission de Cauet sur une radio privée et pour une émission de Cyril Hanouna sur une télévision privée. Depuis, ces animateurs n'ont plus dérapé. Merci de nous avoir donné ce pouvoir, nous l'utilisons jusqu'au bout. Nous devons continuer, pour montrer que la loi et le CSA servent à quelque chose.

Nous devons faire le même constat dans le numérique, mais cela demande des moyens importants, pour embaucher quatre personnes. J'ai demandé la mise à disposition de personnel du ministère de la culture et, plus particulièrement, du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), sans succès. Nous essaierons de réaliser l'étude avec nos petits moyens, pour ensuite rencontrer la profession.

J'ai commencé une étude sur le pluralisme et les fake news - le CSA pourrait avoir une nouvelle compétence sur les fake news et les sites qui les propagent - et j'ai rencontré trois des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), qui sont prêts à collaborer. Ils s'engageront d'autant plus lorsqu'on leur présentera le constat de la situation. Je souhaite réaliser une étude sur les vidéoclips qu'on trouve sur Internet pour rendre la loi plus contraignante.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Merci pour cette présentation sur un thème qui nous passionne. Réguler le numérique n'est pas si simple dans le contexte de la mondialisation. Nous y réfléchissons dans le cadre de l'examen de la loi sur les fake news.

M. Jean-Pierre Leleux. - Merci de votre travail pour atteindre un équilibre raisonnable de la présence des hommes et des femmes. Mais vous avez oublié un point de fierté, l'équilibre hommes-femmes dans les présidences des chaînes publiques audiovisuelles.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - Vous avez remarqué ce progrès ! Bientôt, vous réclamerez un droit pour les hommes...

M. Jean-Pierre Leleux. - Ce n'est pas improbable !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Je me réjouis que Marie-Christine Saragosse ait été reconduite à la tête de France Médias Monde.

Mme Maryvonne Blondin. - Merci de votre persévérance et de votre ténacité pour que la place des femmes soit reconnue dans ce milieu relativement machiste - même si cela s'améliore. Je partage un statut privilégié avec Françoise Laborde et Annick Billon puisque je suis membre à la fois de la commission de la culture et de la délégation aux droits des femmes.

Permettez-moi de rappeler les travaux que nous avons réalisés dans un domaine qui concerne cette réunion. En 2006, Reine Prat a publié un rapport, resté sur un coin de table pendant plusieurs années, et qui a été repris par notre délégation lorsque Brigitte Gonthier-Maurin a réalisé son rapport La place des femmes dans l'art et la culture : le temps est venu de passer aux actes, en juin 2013. En septembre de la même année, j'ai été rapporteure pour avis, au nom de la commission de la culture, de la loi du 4 août 2014. Nous avions rappelé l'urgence de nouvelles mesures. Nous demandions notamment aux acteurs culturels une charte pour l'égalité pour plus de vigilance sur les stéréotypes. Il reste du travail à faire ! Soit les femmes sont présentées au foyer, soit elles sont victimes ou prostituées.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - C'est la maman ou la putain !

Mme Maryvonne Blondin. - Tout à fait. Veillons à une responsabilisation équilibrée dans les organigrammes entre les hommes et les femmes. Reine Prat établissait un seuil de 33 % à partir duquel un groupe minoritaire n'est plus perçu comme tel. Les résultats sont encourageants à partir de 30 %. Or, selon le rapport de la SACD pour 2012-2017, les directions de structures ou de centres nationaux comptent souvent moins de 25 % de femmes... Aucun orchestre national n'atteint le seuil de 30 %. L'Opéra de Lille est le seul à atteindre ce seuil. Mais il y a eu une avancée dans les postes de direction et de commission, grâce à votre travail et aux lois votées. Les réalisatrices de films sortis en 2012-2015 n'atteignent pas atteint le seuil de 30 %. Je me réjouis que, cette année, le jury du festival de Cannes soit très féminin, plus que paritaire ! Il reste à mettre en place des objectifs chiffrés dans les politiques, notamment celui d'augmentation de 5 % de femmes, et rendre obligatoire la parité dans les jurys et comités d'experts dépendant du ministère de la culture. Nous l'avions déjà écrit en 2013 : où sont les femmes ? Attendons le prochain bilan pour voir si les chiffres s'améliorent. Il a fallu attendre longtemps pour atteindre ces quelques progrès

M. Olivier Paccaud. - Plus d'expertes, moins de femmes objets... Ne tombons pas dans la caricature ! Je vous rassure, je n'ai pas de Breitling, ni même de montre. La femme en décolleté qui astique la voiture appartient au passé, et les publicités automobiles mettent en avant la dimension familiale. La société a progressé. Veillons à ne pas imposer trop de contraintes. Je suis très sensible aux « fesses cascadantes » de Rimbaud et aux Demoiselles d'Avignon de Picasso. Manet aurait-il encore le droit de peindre le Déjeuner sur l'herbe, dans notre société ? La publicité porte un aspect créatif. À trop vouloir contraindre, on risque de graves désillusions...

Mme Françoise Laborde. - Je vous remercie pour le travail que vous menez. Vous savez lancer une dynamique et vous êtes très pédagogue. Vous avez rendu visite à des étudiants de Master 2, à Toulouse, à l'occasion d'une journée sur la place des femmes dans les médias, je vous en remercie. Vous vous êtes aussi rendue à l'ONU. Partout, vous défendez l'égalité entre les hommes et les femmes.

Le récent mouvement de dénonciation du harcèlement sexuel au cinéma a brisé un tabou. En a-t-il été de même dans l'audiovisuel ? Dans la publicité, l'image de la femme oscille entre la pornographie, le chic, le vulgaire ou la nunuche. L'application des lois existantes suffit-elle pour changer la situation ? Ou faudra-t-il consolider les mesures dans la future loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ?

Mme Marta de Cidrac. - Dès qu'il s'agit d'égalité entre les hommes et les femmes, les études et les constats sont très importants. C'est de là qu'on part. Pourtant, sans même disposer des chiffres, nous sommes tous d'accord sur le fait que le numérique véhicule une image des femmes pour le moins inquiétante. Pourquoi faudrait-il une étude chiffrée pour constater ce qui est évident pour tout le monde ? Ras-le-bol des études ! L'inégalité est réelle. Ne pensez-vous pas que cette démarche cache une certaine hypocrisie ?

La cause n'avance pas assez vite. Quand les jeunes femmes seront-elles enfin considérées au même niveau que les hommes dans les médias ? La classe politique s'est féminisée, et pourtant, comme vous le disiez, les femmes politiques sont encore peu invitées sur les plateaux de télévision.

Le collectif Jamais sans elles organise le boycott de toutes les réunions d'expertise où les femmes ne sont pas invitées. Que pensez-vous de ce genre d'initiative ?

Mme Laurence Rossignol. - Ce que vous faites représente la parfaite rencontre entre la loi - celle de 2014 et celle de 2017 - et la personne qui la porte. Vous êtes pour ainsi dire « the right person at the right place ». Votre personnalité n'est pas étrangère aux résultats que vous obtenez. Quels seraient les besoins législatifs pour encore mieux défendre la cause que vous portez ?

À Marta de Cidrac, j'objecterais que les études sont indispensables, même si notre ressenti est clair. Il n'est qu'à voir la place réservée aux femmes dans les milieux d'expertise pour mesurer combien la tâche reste grande. Lorsqu'on traite par exemple dans les médias d'un sujet comme les inondations, on voit les hommes agir ; les femmes ne font que témoigner ou écoper en arrière-plan. Les études objectivent le ressenti. Nous n'en aurons jamais assez, car à chaque fois qu'on soulève un pan du voile de la misogynie, on en trouve un autre.

À Olivier Paccaud, je répondrais que la loi enclenche des dynamiques, et n'est en rien un obstacle à la créativité. Des mouvements inédits ont vu le jour dans le monde des communicants professionnels, avec par exemple la création du prix « No more cliché », récompensant les meilleures publicités non sexistes. Les mentalités évoluent aussi, puisque les communicants ont constaté que les publicités non sexistes n'étaient pas moins vendeuses que les publicités sexistes. Il y a des gisements de créativité, soyons-en conscients, dans ces nouvelles exigences non sexistes.

Nous devons rester mobilisés et vigilants.

Mme Sonia de la Provôté. - Pour défaire « l'image partiale et partielle » de la femme, la question qualitative est fondamentale. Les diagnostics restent trop superficiels. Les médias ont construit la réalité sociale en modelant l'inconscient collectif. Il faudra du temps pour la faire évoluer. Qu'elles soient expertes ou élues, la représentation des femmes dans les médias reste la même. Il faut aussi rappeler que les adolescentes ont un rapport au corps particulier. Il devient de plus en plus problématique au fur et à mesure que les réseaux sociaux se développent. Certaines publicités mettent en scène des femmes dont le corps n'a pas été retouché : il faut défendre cette tendance ! La femme n'a pas besoin de passer par le bistouri, qu'il soit réel ou virtuel.

On nous donne en exemple les pays du Nord, en particulier l'Islande. Y développe-t-on des méthodes particulières dont nous devrions nous inspirer ?

Enfin, Monsieur Paccaud, je ne suis pas certaine que la femme en short et stilettos soit un modèle de créativité.

Mme Dominique Vérien. - Les femmes sont ultra-majoritaires dans certains domaines professionnels. Il n'y aura bientôt plus de juges hommes et les médecins sont surtout des femmes, sans parler des infirmières. Ces métiers ont tendance à se sexualiser. Comment encourager une réelle parité professionnelle ? C'est à partir de là qu'on pourra renouveler l'image des femmes dans les médias.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Merci pour votre engagement et votre réactivité. La France a un devoir d'exemplarité, car la femme française est très suivie à l'étranger. J'ai travaillé, dans le cadre de la délégation aux droits des femmes, sur un rapport visant à renforcer la place des femmes dans les conseils d'administration. L'idée, extraordinaire, venait de Norvège. Pourtant, la seule référence de poids pour toutes les femmes étrangères que nous avions auditionnées, c'était ce que l'on faisait en France.

À la suite des attentats de 2015, j'ai écrit au CSA au sujet de l'image des terroristes diffusée dans la presse : on voyait des jeunes hommes souriants et musclés, sur une plage. Ce genre d'image peut avoir un pouvoir d'influence très grave sur une jeunesse fragile, notamment les jeunes filles. Ce point n'est pas au coeur du thème de cette réunion, mais j'aimerais avoir votre sentiment sur cette question.

M. Maurice Antiste. - Je regrette de n'avoir pu entendre que la moitié de votre exposé. J'ai eu un problème de taxi. Le chauffeur était une femme. Bien évidemment, ce n'est pas elle qui m'a mis en retard !

Votre passion pour le sujet que vous défendez dépasse l'hexagone, puisque vous avez été vice-présidente d'un groupe de travail sur l'outre-mer en 2013 et d'un autre en 2015. Quelle photographie avez-vous faite de la situation des territoires ultra-marins ?

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Les messages publicitaires sont martelés et répétés pour créer un besoin chez les consommateurs. Si les publicités non sexistes ne sont pas moins vendeuses que les autres, pourquoi trouve-t-on encore autant de publicités sexistes ?

Il faut multiplier les études qui portent sur le numérique et l'Internet. Mère de deux adolescents, je suis tombée sur des morceaux de rap dont les textes étaient pleins d'insultes, de stéréotypes, de propos sexistes et pornographiques. Des millions de jeunes écoutent ces morceaux et regardent les clips sur YouTube. Il ne s'agit pas de censurer les artistes. Cependant, il faudrait mener une étude sur le sujet. Je suis particulièrement motivée sur cette question.

Mme Laure Darcos, présidente. - Nous sommes quand même un peu responsables : à trop victimiser les femmes, on contribue à véhiculer cette image dans les médias. Mieux vaut mettre en valeur la femme conquérante qui réussit. Les publicitaires ont un esprit poreux, sensible à l'air du temps. S'il faut bien sûr parler du harcèlement et des violences faites aux femmes, nous devons aussi valoriser l'autre versant.

Tout repose sur l'éducation, notamment celle des jeunes garçons. Il faut transformer la manière dont ils voient leur mère, leur soeur, leur copine. Le CSA doit faire passer des messages positifs à la jeune génération, en insistant par exemple sur le partage des tâches.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. - L'égalité entre les hommes et les femmes est la grande cause du quinquennat. Les réclamations que les téléspectateurs adressent au CSA ont-elles évolué ?

Je rassure M. Paccaud : nous sommes tous favorables à ce que la création s'exprime. Et nous savons aussi apprécier un beau corps d'homme. Le sujet n'est pas là, mais dans la formation des générations à venir : quelle image de la femme renvoie-t-on aux jeunes filles qui regardent la télévision ? La délégation aux droits des femmes travaille aussi sur l'éducation et la formation pour promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes.

Très peu de jeunes filles s'engagent dans des études scientifiques, alors que ce sont les élèves les plus brillantes jusqu'en terminale. Comment expliquer cela, sinon par les images que renvoient la société ?

La délégation travaille aussi sur la formation et la situation des femmes dans la société. Les inégalités entre les hommes et les femmes ont un coût pour la collectivité, en termes de santé, de justice, etc.

Quant au ressenti, j'ai pu mesurer combien il pouvait parfois ne pas correspondre à la réalité. Hier encore, je participais à une table ronde de la commission de la culture sur le rôle des Architectes des Bâtiments de France (ABF) : sur le nombre des recours contre les avis rendus par les ABF, notre ressenti était de 30 %, alors qu'il n'y en a en réalité qu' 1 % ! Ce qui importe, c'est que les études soient suivies d'actions.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette- Les professionnels admettent que l'on a dépassé les bornes dans la publicité. Je suis allée à une réunion qui rassemblait les vingt-cinq marques adhérentes à la charte contre les stéréotypes sexistes dans les publicités : elles étaient toutes représentées par des femmes, mais 90 % des créatifs sont des hommes. C'est cela que nous voulons rééquilibrer. Il ne s'agit ni de contraindre, ni de censurer.

Nous devons absolument pouvoir objectiver le problème si nous voulons tenir une position incontestable. La magistrature est très féminisée, mais le président de la Cour de cassation est un homme, celui du barreau aussi d'ailleurs. Même chose pour la profession médicale : pourtant, l'Académie de médecine reste largement masculine...

La loi est un instrument qui nous aide ; elle ne peut pas tout faire. J'ai dû négocier avec les chaînes, car je n'avais pas le pouvoir de tout leur imposer. Nous sommes parvenus à un compromis, dont certains points ne sont pas complètement satisfaisants.

En matière de stéréotypes, la téléréalité n'a pas bougé d'un pouce, malgré les alertes que j'ai lancées à des chaînes comme W9 et NRJ12. Ces programmes sont diffusés pour les jeunes, entre 17 heures et 20 heures. Pour ces petites chaînes, il est important d'attirer une telle audience... Ces émissions les font vivre. Les images sont épouvantables et consternantes. En revanche, les fictions s'améliorent peu à peu. La série Candice Renoir, diffusée en 2013 sur France 2, était très stéréotypée, avec son héroïne toujours habillée en rose, toujours en retard aux réunions à cause de ses problèmes de couple ou de garde d'enfants. Elle ne résolvait ses enquêtes que grâce à son intuition féminine, pas grâce à ses capacités de déduction ! La série était bourrée de stéréotypes.

Même chose en 2015 pour Nina, avec ses personnages d'infirmière nunuche et de médecin dragueur... En parler avec des réalisateurs et des producteurs les aide à prendre conscience de ces stéréotypes et à les éviter dans leurs oeuvres à venir.

Si le Parlement souhaite un jour imposer la parité, je serai évidemment la dernière à m'en plaindre. Dans l'immédiat, nous devons travailler avec les chaînes de télévision pour lutter contre la diffusion de stéréotypes et nous manquons de moyens pour cela. J'ai fait appel à la bonne volonté des professionnels de la publicité pour mener cette lutte et je ne fais que sanctionner les écarts au coup par coup. Quant au numérique, les études sont très utiles, car elles nous donnent des chiffres à mettre sous le nez des responsables. Avant qu'une étude soit lancée sur le sujet, personne ne se rendait compte que les femmes étaient aussi peu représentées dans les milieux d'experts. Ce qui est certain, c'est que l'étude doit déboucher sur une action.

Mme Marta de Cidrac. - Loin de moi l'idée de déclarer les études inutiles. Je voulais simplement signaler qu'elles étaient déjà très nombreuses. Il faut qu'elles soient suivies d'actions.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette- Pour répondre à M. Antiste, en ce qui concerne l'outre-mer, je soulignerai que cela a déjà été une réussite d'avoir obtenu un chiffre global de la part des télévisions. Faire des sous-décomptes par région serait intéressant, mais cela dépasse nos prérogatives.

Madame Laborde, le harcèlement n'est pas de notre ressort. Rompre le tabou sera difficile et prendra du temps.

La législation française est parmi les plus avancées du monde sur notre sujet, même si on ne peut pas en dire autant de la situation réelle. Au Canada et dans les pays du Nord, la question de la place des femmes dans la société et dans les médias se pose tellement peu qu'il n'y a pas besoin de légiférer. En revanche, les pays du Maghreb et même l'Angleterre nous envient notre législation. La Belgique avance beaucoup sur le sujet. À l'ONU, nous étions cinq à parler : la France faisait figure d'oasis par rapport aux autres pays, notamment africains. Cependant, encore une fois, nous ne sommes pas les plus en avance en ce qui concerne la situation réelle.

Une fois le mouvement lancé, les chaînes de télévision sont les premières à se vanter de la place qu'elles font aux femmes.

Les saisines ont beaucoup progressé grâce au numérique (c'est plus simple d'écrire sur une plateforme que d'envoyer une lettre) et à notre réactivité. Les remarques déplacées d'un Candeloro aux Jeux Olympiques, il y a quelques années, ne seraient plus concevables. Les gens qui n'ont pas le temps de regarder la télévision seraient sans doute les plus à même de formuler des saisines, car, par définition, les adolescents qui regardent les émissions de téléréalité ou des vidéo-clips musicaux n'en font jamais. Je vais travailler sur ce secteur.

Il faut effectivement développer une approche qualitative. Les moyens nous manquent, car le budget du CSA diminue chaque année. Il faudrait pouvoir regarder chaque émission, examiner le sujet, les interventions féminines, etc. Cela prend beaucoup de temps.

Pour en revenir à la remarque de Dominique Vérien sur les professions féminisées, je considère que le fait que beaucoup de juges soient des femmes est plutôt un progrès.

Mme Dominique Vérien. - Et quand c'est 100 % ?

Mme Sylvie Pierre-BrossoletteJe préfère qu'on diffuse des images de femmes juges ou médecins plutôt que greffières ou infirmières !

Mme Dominique Vérien. - Toutes les sociétés privées qui ont réussi à introduire de la parité et de la mixité sociale dans leur conseil d'administration ont de meilleurs résultats. L'hyper féminisation de certains métiers est un problème global. Comment l'éducation a-t-elle abouti à cela ?

Mme Sylvie Pierre-Brossolette- Je préfère me battre pour qu'il y ait des femmes ingénieures, pilotes d'avion, généraux cinq étoiles. Une majorité de chirurgiens sont des hommes, et la plupart des professeurs de médecine aussi.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Il faut des femmes compétentes qui exercent aux postes où elles doivent exercer.

M. Roland Courteau. - Récemment, les statistiques de l'académie du Languedoc-Roussillon-Occitanie ont montré que la filière du secrétariat était féminine à 99 %, celle du social à 98 %, la filière sanitaire à 97 % et celle de l'habillement à 95 %. À l'inverse, la filière mécanique est masculine à 99 %, celle de l'électricité à 98 % et on recense 3 % de filles contre 97 % de garçons en bac STI. La tâche est loin d'être achevée.

Mme Sylvie Pierre-BrossoletteNous progresserons en montrant à la télévision que des femmes peuvent être ingénieures.

M. Max Brisson. - L'orientation est un vrai sujet. La répartition des élèves d'une terminale S est à peu près équilibrée entre garçons et filles, ce qui est déjà un progrès. Les classes de préparation aux grandes écoles scientifiques, en revanche, sont essentiellement masculines, alors qu'en khâgne, on ne trouve quasiment que des filles. C'est un défi majeur à relever. L'école ne peut pas tout régler. La société a un rôle à jouer.

Mme Sylvie Pierre-BrossoletteD'où l'importance de montrer des femmes expertes dans tous les domaines à la télévision, pour que les petites filles se disent : « Mais, je peux être cap ! ».

M. Max Brisson. -  Vous m'ôtez ma conclusion !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Le monde du numérique est exclusivement masculin. Très peu de femmes exercent le métier de développeur. Dans les filières informatiques de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur, il y a encore moins de filles que dans les sciences dures. C'est un sujet sur lequel nous devons travailler.

Nous veillerons à conforter la dynamique engagée depuis quelques années, dans le cadre de la future loi sur l'audiovisuel public. Il y a la législation, mais nous devons aussi travailler sur les mentalités. Merci beaucoup au CSA qui joue parfaitement son rôle.

Mme Annick Billon, présidente. - Je m'associe aux remerciements de Catherine Morin-Desailly. Cette audition est une réussite. L'essentiel n'est pas d'afficher des messages polémiques, mais de donner aux jeunes filles la possibilité de se dire : « Ça, je peux le faire ! ».

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat