Jeudi 14 juin 2018

- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -

Audition de M. Alain Richard sur le rapport « Refonte de la fiscalité locale »

M. Jean-Marie Bockel, président. - Notre délégation a la chance de compter parmi ses membres Alain Richard, auquel le Premier ministre a confié, ainsi qu'au préfet honoraire Dominique Bur, une mission sur la refonte de la fiscalité locale, sujet complexe.

Chaque décision que nous prenons a des conséquences, voire des effets pervers, et nous marchons sur un chemin étroit dans un contexte de réduction des dotations et de complaintes des élus locaux - parfois légitimes. J'ai participé, dans le cadre d'associations d'élus, à des conférences de remise à plat de ce sujet, où parfois il était avancé qu'un bon impôt était un vieil impôt...

M. Alain Richard, auteur du Rapport sur la refonte de la fiscalité locale. - À un certain moment, cela devient moins vrai !

M. Jean-Marie Bockel, président. - Vos travaux ont été rythmés par ceux de la Conférence nationale des territoires, lancée il y a un an au Sénat, dont une réunion s'est tenue à Cahors, et la suivante se tiendra au mois de juillet. Entretemps, je me suis rendu à une instance de dialogue à Matignon avec Mathieu Darnaud et Françoise Gatel, lors de laquelle la question fiscale a été évoquée. Le Comité des finances locales et l'Association des maires de France ont également émis des propositions.

Le moment est donc adéquat pour entendre M. Richard.

M. Alain Richard. - Je présenterai les points principaux de notre réflexion, qui s'inscrit dans la préparation des réformes du Gouvernement. La décision politique de supprimer la taxe d'habitation n'est plus en débat - malgré les souhaits de certains. Deux enjeux en découlent : comment est établi un produit fiscal de remplacement pour les collectivités territoriales bénéficiaires ? Quelles sont les autres transformations que le Gouvernement souhaite préconiser pour le dispositif fiscal local ?

En 2020, la recette totale de la taxe d'habitation devrait atteindre environ 26 milliards d'euros. Un peu plus de 2,5 milliards d'euros proviennent de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires. Le Président de la République a fait le choix politique de supprimer la taxe d'habitation uniquement sur les résidences principales. Il n'y a aucun motif fiscal ni social de le faire sur les résidences secondaires, et peu de personnes le contestent jusqu'à présent.

Ces dernières années s'est greffé sur l'imposition des résidences secondaires un dispositif de majoration voulu par le Gouvernement - et accepté bien volontiers par les communes - pénalisant le maintien des résidences secondaires dans des zones urbaines où la demande de logement est forte. Il représente une somme modeste : 300 millions d'euros. Nous proposons de mettre de l'ordre dans tout cela. Il y a trois dispositifs différents, dont un est actionné par l'État et non par les collectivités. Deux catégories de communes sont en zones tendues. Dans une catégorie, il y a 1 000 communes, dans l'autre, 4 000 communes. Nous recommandons d'évaluer ce dispositif de majoration, de limiter le montant de la majoration, qui atteint parfois 60 %, notamment à Paris ou à Nice, 50 % à Bordeaux. Cela produit un effet sur la mise sur le marché des logements. Il faudrait plutôt concentrer le dispositif là où les logements manquent : par exemple, Saint-Nazaire, qui n'est pas une ville en forte croissance démographique, se voit appliquer cette majoration, qui sert davantage d'effet d'aubaine pour la commune que de réelle politique en faveur du logement.

Pour remplacer la taxe d'habitation sur les résidences principales, il y a seulement deux solutions. On peut la remplacer par l'attribution d'une part d'un impôt national aux communes et aux intercommunalités, actuelles bénéficiaires de la taxe d'habitation - 69 % du produit revient aux communes et 31 % aux intercommunalités - en partant du produit de la taxe d'habitation en 2020 : ainsi, on attribuerait à chaque commune ou intercommunalité une part de TVA nationale, à l'euro près. Comme pour les départements et les régions, le montant évolue chaque année, si le même pourcentage est appliqué et que les recettes de la TVA augmentent. Il y aurait donc une sorte d'intéressement des collectivités à la croissance nationale.

Autre variante : on pourrait prélever une part de la taxe foncière des départements - qui représente 40 % du total de cette taxe - et l'attribuer aux communes et aux intercommunalités. On arriverait à un total de 15,3 milliards d'euros, qui serait complété par une part de la TVA. D'aucuns prétendent que cette solution pourrait être retenue, je n'y crois pas. Si l'on prend comme postulat la suppression de la taxe d'habitation, il n'y a pas de troisième scénario.

Durant notre mission, nous nous sommes interrogés sur la manière de rétablir un lien fiscal entre les citoyens et les communes. Il y a deux options, se heurtant à quelques réalités sociales et surtout au principe constitutionnel de respect des facultés contributives des citoyens. Le système le plus simple serait une redevance pour services locaux rendus, unique pour tout le monde - comme la redevance audiovisuelle - mais qui se heurte à ce principe constitutionnel, et pourrait être perçu comme injuste.

Autre option : on peut choisir une assiette corrélée au revenu fiscal de référence, avec un abattement minimum pour les revenus les plus faibles. Il serait alors possible d'appliquer un taux sur cette assiette fiscale revue. Effet indésirable : le produit est directement corrélé au niveau moyen de revenu de la commune, s'éloignant alors de la cible recherchée, les communes les moins favorisées recueillant le moins d'impôt.

Le Président de la République a estimé en fin de compte qu'il n'était pas opportun de créer un nouvel impôt local. La taxe d'habitation sera donc soit remplacée intégralement par une part de TVA, soit par la taxe foncière départementale complétée par une part de TVA.

Je suis réservé sur le choix de la taxe foncière départementale. La taxe foncière voit son produit distribué entre les communes et les départements, avec de fortes inégalités. Dans les endroits où la taxe d'habitation était prélevée avec un taux faible auparavant et où les départements ont fortement augmenté le taux d'imposition de la taxe foncière, il y aura une surcompensation. Ainsi, serait prélevé sur 20 000 communes un surcoût redistribué à 10 000 communes à qui il manque des recettes. Dans certains cas - comme ma propre commune, Saint-Ouen L'Aumône, qui bénéficie d'un vaste parc industriel - les recettes de taxe foncière sont élevées. La commune se ferait alors prélever 4 millions d'euros de dépassement de compensation la première année. Comment faire évoluer cette somme, chaque année ? Selon le modèle choisi pour la réforme de la taxe professionnelle, ce montant resterait fixe, à 4 millions d'euros. La commune prélevée bénéficierait donc de la croissance des bases, et d'un enrichissement sans cause assez élevé par rapport à ses voisins, sous-compensés par rapport à cette évolution. Nous aurions alors des discussions de marchands de tapis pour déterminer l'indexation à choisir pour les sommes compensées. Nous devrons donc recourir à une attribution de TVA.

L'autonomie financière est une garantie constitutionnelle des collectivités depuis la réforme constitutionnelle de 2003 et la loi organique qui l'a suivie, pour plus de protection et de sécurité des collectivités. C'est l'addition des recettes propres de fonctionnement, de la fiscalité à caractère local et de la part d'impôts nationaux garantis par la loi. Cette part d'impôts nationaux représente 40 milliards d'euros sur les 140 milliards d'euros de recettes fiscales des collectivités - qui comprennent aussi la taxe sur les conventions d'assurance, l'attribution d'une part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les départements et les régions, de 4 milliards d'euros de TVA aux régions et de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), répartie entre les collectivités, sans règle nationale mais en fonction des bases économiques locales. Il n'y a jamais eu de litige entre l'État et les collectivités sur la taxe sur les conventions d'assurance, la part de TVA pour les régions et la part de TICPE, qui ont offert une garantie de stabilité et de croissance partagée avec l'État, et qui répondent bien à l'objectif d'autonomie financière.

Lors du débat sur la révision constitutionnelle, vous entendrez des tentatives multiples et sonores de demande d'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Comme il n'y aura pas de nouvel impôt local, le niveau d'autonomie fiscale sera d'environ la moitié de l'autonomie financière - de 20 à 30 % pour tous les niveaux de collectivité, hormis les régions qui sont à 0 %. Si l'on retirait aux départements la part de taxe foncière départementale, l'autonomie fiscale des départements serait proche de zéro. Seul resterait la part de droits de mutation - mais tous les départements atteignent le plafond... Attention à ce débat.

À chaque fois que l'on regarde l'imposition sur long terme, on constate des inégalités qui ont fâcheusement tendance à être cumulatives et à s'accentuer dans le temps. Malgré ses défauts, l'attribution d'une part d'impôt national cesse de creuser les inégalités. Je comprendrais les choix des présidents de conseils départementaux qui préfèreraient garder soit la taxe foncière et les droits de mutation, soit une part de TVA ou de contribution sociale généralisée (CSG). Surtout, une révision des bases imposables à la taxe foncière ferait disparaître les coefficients nationaux de revalorisation annuelle. Chacun serait à son compte, avec la valeur du marché lié à son territoire, sans être assuré d'une croissance. Aux collègues élus qui seraient tentés par une véritable autonomie fiscale, je dis : chiche ! Mais étudiez bien toutes les conséquences avant.

Faut-il apporter d'autres changements à la distribution des recettes fiscales des collectivités ? Les collectivités perçoivent quinze recettes différentes pour 140 milliards d'euros. Cela représente tout de même 6 % du PIB ! La taxe foncière demeurera et constituera l'essentiel de ces recettes. En complément, la taxe sur les ordures ménagères et la contribution foncière des entreprises (CFE) assise sur les bases foncières des entreprises rapporteront 45 milliards d'euros. On ne peut pas prétendre faire une refonte de la fiscalité locale en conservant la taxe foncière et ses annexes fondées sur des valeurs fictives. Un jour, un contribuable mécontent fera constater devant le Conseil constitutionnel qu'il n'y a plus aucun rapport entre l'assiette de la taxe foncière de sa commune et les bases réelles. C'est le principal impôt sur le capital des ménages. Les propriétaires paient 18 à 19 milliards d'euros d'impôt sur le capital de leur logement, soit dix-huit fois plus que l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), et ce sans aucun lien avec les valeurs réelles. Les services du ministère des Finances estiment pouvoir réviser les bases d'ici 2023. Ils l'ont fait pour les locaux professionnels, processus soigneusement délimité et étalé dans le temps, limité en ampleur, et neutralisé pour éviter tout déséquilibre avec les valeurs imposables des logements. Une fois ce processus opéré, on sait maintenir à jour la révision des bases locatives. Il est prévu des critères plus fins pour localiser et caractériser les logements, afin de constituer une base de données massive et représentative de la valeur des biens, afin de fixer les nouvelles valeurs imposables. Cela nous paraît être une mesure d'équité et de réalisme élémentaire. Faut-il choisir la valeur vénale ou locative ? Cela n'a pas beaucoup d'impact, mieux vaut choisir celle pour laquelle on a les meilleures informations.

Deuxième réforme importante : il faudrait ne pas maintenir comme impôt local les droits de mutation des départements, même s'il s'agit d'une des recettes les plus importantes des départements, à hauteur de 11 milliards d'euros. C'est un mauvais impôt sur la mobilité, qui porte surtout sur les jeunes primo-acquéreurs. Nous sommes le seul pays développé où ces droits s'élèvent à 6 % de la valeur d'achat du bien. Ils pèsent sur les contribuables et sur l'économie. Une étude du Conseil d'analyse économique démontre que c'est un frein à la mobilité. Les droits de mutation sont un mauvais impôt pour alimenter les recettes des départements car ces recettes sont très cycliques. Leur produit a augmenté de plus de 50 % ces quatre dernières années ; cela ne va pas durer éternellement ! Personne n'est inquiet, mais dès que le mouvement s'inversera, de nombreux départements trouveront que ce n'est pas un si bon système et se tourneront vers l'État, réassureur final. De plus, la répartition entre les départements est extrêmement inégale : 15 départements sont d'assez gros bénéficiaires, tandis que 40 n'en tirent quasiment rien - 30 départements touchent moins de 30 millions d'euros de droits de mutation. Si l'on additionne tous ces impôts, la solution n'est pas idéale pour constituer une part substantielle des recettes départements.

Il n'y a pas de formule miracle. Tout pourrait revenir à l'État puis être remplacé par une part de CSG dont une partie est adaptée aux missions des départements. Il y a un débat à la fois constitutionnel et politique sur l'attribution d'une partie de la CSG aux collectivités territoriales. Selon moi, le Conseil constitutionnel a tranché en 2010, en estimant que rien ne s'opposait à l'attribution d'une part de la CSG à la Caisse nationale de solidarité. Certes, c'est un débat politique : une partie du monde salarié ou syndical estime que la CSG doit financer la sécurité sociale, et ne voit pas pourquoi elle serait orientée vers les collectivités. On pourrait alors envisager qu'une partie des prestations sociales des départements, comme le revenu de solidarité active (RSA) et l'aide personnalisée d'autonomie (APA), soient compartimentés dans les budgets départementaux pour garantir aux contribuables qu'ils financent bien des aides sociales.

La CVAE a opéré un remplacement acceptable de la taxe professionnelle - malgré les critiques, personne ne rétablira celle-ci. La CVAE répond à un schéma économique assez vertueux, en ne taxant pas en fonction de l'existence de l'entreprise mais de son volume d'activité. Elle a un taux uniforme nationalement, mais la répartition entre collectivités nécessite un réexamen, notamment pour encourager les communes ayant une forte activité économique, au prorata des effectifs employés et des valeurs foncières des entreprises. Le produit est alors redistribué aux communes auparavant avantagées par la taxe professionnelle.

Sur le long terme, il faut réexaminer la situation pour qu'une part de la CVAE, notamment intercommunale, soit redistribuée entre ceux qui avaient des activités économiques importantes et ceux n'en ayant pas ou plus.

Parmi nos quinze impôts locaux, la moitié bénéficie à deux ou trois niveaux de collectivités. C'est beaucoup. Sans aller jusqu'à la spécialisation fiscale, il faudrait avoir un panier de recettes compactes - de deux à quatre impôts par collectivité - et éviter d'avoir deux ou trois niveaux de collectivités prélevant un même impôt. Sinon, certaines risquent de jouer les « passagers clandestins » : pour un impôt fortement identifié à une collectivité - comme la taxe foncière en ce qui concerne les communes -, une autre collectivité, le département, peut fortement augmenter son taux sans subir de critiques... Essayons de moins distribuer les impôts et de davantage les concentrer.

La taxe foncière est un impôt assez lourd. Il existait auparavant un élément de modération : la liaison des taux avec la taxe d'habitation. Sans taxe d'habitation, il n'y a plus de lien. Il faudrait pouvoir adapter l'augmentation des taux à la situation. Deux solutions se présentent : soit limiter légalement l'augmentation des taux à terme de cinq ou six ans, soit instaurer un plafonnement global des taux de taxe foncière - il existe déjà mais à 2,5 fois le taux national, qui est de 35,5 %, soit 92 % de la valeur imposable. La libre administration n'exclut pas un encadrement des taux, avec un plafonnement des hausses de taxe foncière plus robuste que l'actuel.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci pour cet exposé très clair sur un sujet extrêmement technique. Nous avons l'impression d'être plus intelligents après avoir entendu vos paroles. Qui plus est, vous êtes le mieux placé pour nous présenter la situation actuelle, y compris la perception par l'exécutif de la réforme et des options envisagées.

M. Charles Guené. - Nous nous acheminons vers un transfert de la taxe foncière au bloc communal, mais vous n'avez pas évoqué une éventuelle répartition de ce transfert au sein du bloc. Soit il est réalisé au prorata des recettes, comme cela a été fait pour la taxe professionnelle, soit seules les communes en bénéficient, les intercommunalités recevant de la TVA. Ceux qui préconisent cette solution ont l'impression de privilégier les communes ayant une autonomie fiscale mais, selon moi, cela comporte aussi de nombreux risques. Les collectivités seront seules face aux contribuables, et en cas de révision des bases, l'impact sera important. Qu'en pensez-vous ?

Je partage votre analyse sur l'autonomie fiscale, qui est un leurre pour la moitié du territoire. C'est une philosophie de nantis. Que vont faire de leur autonomie fiscale les collectivités qui perdent leur base fiscale ? Tout le poids pèserait le contribuable ; cela nécessiterait une péréquation horizontale. L'attribution d'une part d'impôt n'est pas une si mauvaise idée.

La révision des valeurs locatives est une vieille lune. Elle est indispensable si l'on veut rétablir l'équité dans le système. Cela a été testé dans cinq départements et ne marche pas si mal que cela. Pourquoi ne pas imaginer un système beaucoup plus simple ? Il y aurait six ou sept espaces en France, à l'intérieur desquels seraient définis six ou sept types d'habitation, avec donc une cinquantaine de zones, où les valeurs varieraient entre 0,8 à 1,2. Cela aurait le mérite de la simplicité. L'usine à gaz de la révision des valeurs locatives n'aboutira probablement pas à des écarts très éloignés de ce système aussi simple. Cette révision, qui s'appliquerait sur dix ans, ne changerait pas grand-chose.

On sent bien que l'on ne nous a pas demandé une vraie réforme mais simplement une compensation de la suppression de la taxe d'habitation. Monsieur Richard, avez-vous senti que le Gouvernement avait l'intention de s'attaquer à cette réforme globale que tout le monde souhaite ? Quand ? En 2020 ? En 2021 ?

Une vraie réforme ne s'attacherait pas seulement aux ressources mais aussi aux charges réelles des territoires. La richesse est si inégalement répartie que les charges ne sont plus toujours proportionnelles au nombre d'habitants. Pourquoi ne pas évaluer la mise en place de standards de charges, comme les Italiens ? On s'approcherait ainsi des réalités.

M. Christian Manable. - Ancien président de conseil général, je m'inquiète de l'avenir des départements. Avec la suppression de la taxe foncière et des droits de mutation, qui engendrent une baisse des recettes, et des charges sociales exponentielles, ils subissent le supplice du garrot - comme depuis 2008 - et risquent de mourir de leur belle mort.

M. Bernard Delcros. - Je partage votre avis sur l'autonomie fiscale. L'impôt localisé est source d'inégalités. Plus on le localise, plus on fragilise les territoires les moins riches et plus on pose le problème délicat de la péréquation. Je suis donc favorable à l'attribution d'une part d'impôt national, facteur de solidarité. Confirmez-vous préférer l'attribution d'une part d'impôt national au transfert du foncier bâti ? La réforme sera-t-elle mise en application en 2020 ?

M. Pascal Savoldelli. - Merci, Monsieur Richard, de votre présentation. Quelle articulation entre cette réforme - puisque, Charles Guené, c'est une réforme - et les contrats État-Collectivités ? D'ici le 30 juin, 322 collectivités, qui représentent deux tiers du budget des collectivités territoriales, signeront avec l'État un contrat ne tenant compte ni des recettes, ni de l'inflation, qui est de 1,4 %, ni des charges nettes. Quelles réparations aux dommages causés par plusieurs exécutifs nationaux aux départements, à l'occasion du transfert des trois allocations nationales de solidarité ? Avez-vous évalué la situation des départements selon qu'ils appartiennent ou non dans une métropole ? Les choses, évidemment, sont différentes selon la réponse.

J'ai toujours été intéressé par le principe de subsidiarité. Des dispositifs innovants, créatifs ont toujours été créés à la base avant d'être repris par les départements, les régions, voire l'État. Quelles sont les incitations en ce sens pour les communes ? Les maires sont les plus proches des besoins.

J'entends beaucoup parler des inégalités entre collectivités territoriales. Il y en a. Mais n'en arrivons pas à une unicité des politiques publiques ni à une forme d'étatisation des collectivités territoriales. Notre démocratie doit être vivante. Étudions bien les compétences générales et obligatoires.

Mme Françoise Gatel. - Merci de cette présentation extrêmement pédagogique et claire. Il existe un chemin de crête entre l'autonomie des collectivités locales et une nécessaire solidarité.

Je suis très attachée au lien entre le citoyen et sa collectivité et à la notion de responsabilité. Les collectivités sont des prestataires de services aux habitants. Il existe naturellement une forme de solidarité due à la prise en charge par l'impôt, mais il faut absolument que nos concitoyens apportent leur contribution, faute de quoi on accélérera le développement d'un comportement de consommateurs. De plus en plus, les parents inscrivent leurs enfants au centre de loisirs pour s'assurer une place puis annulent trois jours avant.

Pour ce qui est du standard de charges, nous devons être capables d'identifier ce que la charge des services représente pour un habitant. Cela existe déjà de façon hypocrite puisqu'il y a un écart très significatif entre les montants de dotation globale de fonctionnement (DGF) selon la catégorie d'intercommunalité.

Interrogeons-nous sur la nature des missions des collectivités. Ces dernières sont-elles autonomes quant à la nature et au dimensionnement de leurs missions ? Actuellement, les départements exécutent des fonctions confiées par l'État, qui décide du niveau de dépenses. Dès lors que l'État impose à une collectivité l'exécution de missions de solidarité qui lui reviennent, ne devrait-il pas fournir une compensation financière ?

Mme Sonia de la Provôté. - Je pense aussi que la subsidiarité est un élément important.

L'absence de transparence, ou de visibilité, des critères de péréquation est un problème. Plus de simplicité et d'évidence seraient utiles aux collectivités.

Il existe de grandes différences d'une collectivité territoriale à une autre. Le projet de territoire est forcément adapté à la typologie des habitants et au potentiel économique de la collectivité. L'autonomie, ce n'est pas seulement le droit à l'expérimentation, c'est aussi l'adaptation à l'évolution d'un territoire.

Les propositions formulées ce matin ne me donnent pas le sentiment qu'à l'avenir les collectivités pourront réagir aussi finement qu'actuellement lorsque des besoins apparaîtront sur leur territoire. Les contraintes seront plus grandes.

Alors que l'objectif était une compensation à l'euro près, on peut craindre une baisse de l'autonomie et de la liberté des collectivités territoriales. À terme, une réflexion sera nécessaire sur le rôle que l'État veut faire jouer à chacune des collectivités.

Mme Catherine Troendlé. - Merci, Monsieur Richard, de votre présentation très claire. Vous avez dit qu'une réflexion serait menée sur la taxe sur les conventions d'assurances qui est reversée aux départements.

M. Alain Richard. - J'ai dit que c'était un très bon système qu'il ne fallait pas changer.

Mme Catherine Troendlé. - Vous avez dit que certains menaient une réflexion. Je les mets en garde contre cette tentation. Actuellement, cette taxe est entièrement fléchée vers les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Si nous voulons un système de sécurité civile qui fonctionne correctement, il ne faut absolument pas y toucher.

Les droits de mutation sont susceptibles d'être retirés aux départements. Politiquement, vers quoi veut-on aller ? J'ai entendu « encadrement », « transfert », autant de termes qui ne tendent pas vers l'autonomie des communes. Veut-on supprimer les départements et les communes pour ne conserver que les strates des régions et des métropoles ? On a l'impression qu'insidieusement, c'est ce vers quoi on tend.

M. Marc Daunis. - Merci de cette présentation. Sur ce débat, abandonnons toute posture.

Mme Catherine Troendlé. - Ce n'est pas une posture.

M. Marc Daunis. - Je n'attaque personne. À vouloir, les uns et les autres, marier les contraires, je crains que l'on ne s'en sorte pas.

La question de la fiscalité est étroitement liée à des objectifs centraux. Notre fiscalité est vieillissante et le monde a bougé. Nous devons répondre à trois problématiques : la disparité des territoires ; le besoin de favoriser leur dynamisme contre le repli individualiste des populations ; le lien collectivité-citoyen. Les réponses apportées par M. Alain Richard me paraissent très intéressantes.

Comment garantir le lien collectivité-citoyen si l'on part du principe que l'autonomie fiscale n'est plus qu'un slogan ? Comment maintenir une autonomie qui réponde à la nécessité de ce lien ? Sur quels critères asseoir la redistribution ? Bon courage, si l'on veut à la fois supprimer les disparités et favoriser le dynamisme des communes.

M. Michel Dagbert. - Merci pour cet exposé. Ancien président de conseil départemental, je suis évidemment solidaire des propos de Christian Manable.

Ce sujet d'importance n'est pas nouveau. Gouvernement après gouvernement, chacun a promis de s'atteler à ce chantier avant de le repousser au lendemain, d'où ma satisfaction de le voir enfin s'ouvrir, même s'il promet d'être complexe.

Il existe un vrai problème de démocratie et de revigoration de la République dans les territoires. Disposer d'un vrai levier fiscal et en être responsable vis-à-vis du citoyen me paraît intéressant, même si l'on a constaté ces dernières années que les inégalités territoriales n'avaient pas pour autant été endiguées, loin s'en faut. Si la renationalisation apporte des réponses, d'accord. Mais soyons conscients qu'après des décennies de décentralisation, nous allons, texte après texte, vers une recentralisation de beaucoup de politiques publiques.

En tant qu'ancien élu local, j'estime qu'il nous faut nous montrer inventifs et trouver dans les charges et les missions des collectivités de quoi asseoir le lien : identifions un socle de services qui puisse faire l'objet d'une redevance citoyenne locale dans laquelle les citoyens se reconnaissent, afin qu'ils sachent à quoi ils contribuent. Que l'on renvoie ensuite à l'échelon national divers impôts pour une redistribution plus équitable, d'accord.

La difficulté, pour les départements, réside dans leur absence de maîtrise des missions de solidarité que l'État leur a confiées - APA, RSA, prestation de compensation du handicap (PCH). Parfois, le reste à charge des départements est très préoccupant. J'ai défendu sans grand succès une proposition à l'Assemblée des départements de France (ADF) sur le reste à charge du RSA. Mes camarades non concernés par le sujet regardaient par la fenêtre ! J'ai retravaillé ma proposition pour inclure les trois allocations individuelles de solidarité afin de concerner le plus grand nombre. Ainsi, nous avons trouvé un consensus sur un mécanisme vertueux. Les départements ont dû participer à la mise en oeuvre de cette politique de solidarité ; il faut maintenant que l'État corrige la situation du reste à charge.

M. Charles Guené. - Mardi dernier, lors d'une réunion de travail du Comité des finances locales, André Laignel nous a raconté le songe qu'il avait fait : plutôt que de transférer des ressources, pourquoi l'État ne compenserait-il pas intégralement la taxe d'habitation ? L'ensemble du groupe n'a pas trouvé de loup. Pourquoi ne pas aller dans cette direction ?

M. Mathieu Darnaud. - Merci à M. Alain Richard. C'est la première fois que l'on nous présente une architecture globale grâce à laquelle nous comprenons les différents mécanismes et l'incidence des décisions.

Je fais volontiers miens les propos de M. Dagbert.

L'autonomie fiscale, M. Daunis l'a rappelé, est un véritable sujet.

La question des départements a été largement soulevée lors de la Conférence nationale des territoires. Cette réforme fiscale ne doit-elle pas nécessairement s'accompagner de décisions, même si nous avons redit hier encore qu'il n'était pas judicieux de réfléchir à un nouveau big bang territorial ? Il faudra sûrement aller plus loin, qu'il s'agisse des métropoles ou de la DGF des intercommunalités.

M. Jean-Marie Bockel, président. - La qualité des interventions de chacun montre notre niveau d'attente mais aussi de compréhension des risques pour les territoires et les citoyens.

M. Alain Richard. - C'est une réforme. Les inquiétudes et les oppositions s'expriment, ce qui est normal et souhaitable en démocratie. L'une des solutions consiste à ne pas mener cette réforme. Les propos habiles en ce sens seront le bruit de fond dominant au Sénat.

Pour ce qui est des départements, parlons clairement : dans toute l'Europe, il n'y a pas de taxe d'habitation et il y a de la décentralisation. Il faut arrêter de pleurnicher en disant qu'une collectivité n'existe pas sans prélever l'impôt. Les régions n'ont pas de pouvoir fiscal. Se pose-t-on la question de leur disparition ? Soyons sérieux.

La montée des charges sociales s'est interrompue, notamment parce que le montant du RSA n'augmente plus. En outre, si la croissance et la compétitivité de ce pays s'améliorent, le budget consacré au RSA baissera. L'APA est corrélée rigoureusement à la classe d'âge des personnes de 85 ans et plus. Or celle-ci est creuse, pour dix ans. Il est inexact de penser que les départements sont condamnés à une croissance perpétuelle de leurs dépenses sociales. L'année 2018 est, dans les deux tiers du territoire, une année d'amélioration significative des équilibres financiers des départements.

M. Christian Manable. - Mais environ 30 % des personnes éligibles au RSA ne le demandent pas aujourd'hui...

M. Alain Richard. - C'est possible. C'est pourquoi nous aborderons une réforme des aides sociales.

Je ne plaiderai pas pour la suppression de la taxe foncière des départements, mais je sais que les associations d'élus municipaux pèsent plus lourd que l'ADF et se feront entendre.

Ce n'est pas parce que les départements, comme les régions aujourd'hui, percevraient des ressources significatives et sécurisantes, car indexées, de TVA et de CSG qu'ils cesseraient d'être des collectivités majeures. Je voudrais que nous sortions des apparences et que nous cessions de considérer que l'avenir institutionnel des départements est lié à cette réforme fiscale. Charles Guené demandait à l'instant pourquoi ne pas privilégier les dotations. Mais qui voterait sérieusement pour un remplacement de la taxe d'habitation par une dotation ? La décision des pouvoirs publics est prise : la taxe d'habitation sera remplacée par le reversement d'un impôt. La question est : l'impôt doit-il être localisé ou comporter une part nationale ? Toute l'Europe fonctionne avec des parts d'impôts nationaux. En France, il n'y a aucun conflit sur les parts nationales que nous avons, pour les départements et les régions, depuis quinze ans. Aspirons-nous à distribuer du pouvoir fiscal à l'échelon local pour justifier son sentiment d'autonomie politique, ou cette autonomie réelle peut-elle trouver à s'exercer avec des recettes solidaires de la croissance nationale ?

Nous avons eu de la chance, puisqu'on ne nous a pas demandé de nous occuper de la péréquation... Personnellement, je pense qu'il est nécessaire de réviser le mécanisme de la DGF des intercommunalités, qui a été conçue comme une carotte devant un âne : plus l'intégration est forte, plus vous toucherez de « pognon », selon l'expression bien connue. Je ne pense pas qu'il soit soutenable à terme de ne pas tenir compte de la richesse locale. C'est tout sauf de la péréquation. En revanche, pour la péréquation entre les communes, bon courage.

Si, à partir de 2021, il y a une redistribution et une attribution claire des ressources entre les collectivités territoriales de base - commune et intercommunalité - et si ce panier de recettes est assuré d'une croissance moyenne proche de la croissance nationale, il sera moins difficile pour celles qui ont les situations comparativement les plus avantageuses de renoncer à une fraction de croissance. J'aime me remémorer la définition de Charles Guené : la péréquation consiste à aller rechercher dans la poche des gens des recettes qu'ils ont déjà perçues.

J'exprime une impuissance intellectuelle sur les critères de péréquation. Je ne crois pas qu'il soit sérieusement possible de l'indexer sur les coefficients de charge. Cela fait vingt-cinq ans que l'on essaie. J'ai été très fier d'avoir contribué, en tant que rapporteur du budget, à la construction du premier indice de la dotation de solidarité urbaine (DSU). Beaucoup de gens pleins de talent et de volonté réformatrice ont travaillé sur la DGF au cours de la dernière législature et ont échoué à s'accorder sur les coefficients de charge des collectivités urbaines. Mesurer ce que des services urbains de niveau supérieur représentent, quand de surcroît ils sont financés en partie par les communes et en partie par les intercommunalités, s'est révélé impossible.

La contractualisation est une première tentative de management solidaire de la dépense publique entre collectivités territoriales et État. Je me sens esseulé au Sénat parce que je n'entends que la thématique d'opposition entre les collectivités territoriales et l'État. Nous sommes un ensemble solidaire, et dénoncer l'État en toutes circonstances est un message extrêmement pernicieux et pourtant quasi-unanime. Nous sommes sortis de la procédure européenne de déficit excessif dont l'unité de mesure est le total de la dépense publique, en prenant l'engagement d'une croissance des dépenses publiques de 1,2 % tout compris. Il faudra affiner, dans le dialogue avec les collectivités territoriales, mais in fine, 1,2 % est mieux que 2 %, car les collectivités représentent 20 % de la dépense publique. La contractualisation est imparfaite ; elle doit progresser. Il est sûr que certaines mesures de la dépense publique appliquées aux collectivités territoriales présentent un caractère irrationnel, notamment lorsqu'il y a prime à la dépense. Par exemple, quand on dépense de l'argent pour une crèche, on touche d'un organisme de protection sociale une prime égale à 55 % de la dépense. Cela devrait être défalqué. En tout cas, dans la première phase, ce n'était pas responsable de la part du Gouvernement d'afficher deux façons de compter, une pour l'État et une autre pour les collectivités territoriales. L'évolution de la contractualisation devra tenir compte, à terme, de systèmes plus fins. Là, il sera intéressant de disposer, en fonctionnement, de standards de charge. En France, nous ne disposons pour l'instant d'aucun outil. La confection des budgets locaux repose sur un outil assez rudimentaire en matière d'analyse de coûts, il y a donc du travail avant d'être capable de normer les coûts des services publics à l'échelon national, transposables à l'échelon local.

Je suis entré dans ce débat en pensant qu'il fallait une nouvelle imposition locale. Or soit elle est injuste parce qu'unitaire, soit elle est problématique territorialement parce qu'elle creuse les différences. La seule solution concevable serait une imposition locale sur le revenu fiscal de référence par ménage, dont le taux serait plafonné par la loi et qui serait instantanément redistribuée. Si Neuilly-sur-Seine reçoit le produit de sa taxe locale sur le revenu et Aubervilliers le sien, nous aurons fait un travail de gribouille. Certes, le conseil local fixerait un taux, mais celui-ci ne s'appliquerait pas au contribuable. Est-ce vraiment une piste ? Toutefois, la boîte à idées est ouverte.

Je rejoins les propos de M. Dagbert : il existe des marges permettant aux collectivités de facturer les services effectifs plutôt que de les financer par un impôt indiscriminé. Pour ma modeste part, à Saint-Ouen L'Aumône, j'ai instauré la redevance sur les ordures ménagères depuis quinze ans, et je pense que les citoyens comprennent mieux ce qui se passe que si elle était incluse dans la taxe foncière. Pour responsabiliser les citoyens, la redevance locale sur les services rendus offre plus de perspectives que l'impôt sur le revenu local.

Pour ce qui est des dates, je crois avoir compris que le Président de la République ne voulait pas traîner. Nous recommandons au Gouvernement de déposer ce projet sous la forme d'un projet de loi de finances rectificative début 2019. En effet, il ne me paraît pas réaliste d'inscrire une réforme fiscale de cette ampleur dans une loi de finances initiale ; on manquerait de temps. Quand j'étais à la section des finances du Conseil d'État, il y a eu un travail rectificatif massif après l'adoption de réformes fiscales majeures, telles que celle de la taxe professionnelle, au sein de lois de finances initiales.

Doit-on tout appliquer en 2020 ? En tant qu'ami du Gouvernement, je lui conseille d'avoir soldé l'affaire pour l'année budgétaire 2020 afin de ne pas offrir ce prétexte aux oppositions lors de la campagne des élections municipales. En revanche, je reconnais qu'une seule année n'est pas suffisante. La part qui concerne les départements peut attendre 2021 et, puisque l'on va supprimer la taxe d'habitation sur la résidence principale des 20 % de ménages aux revenus supérieurs, la suppression pour les 80 % autres étant en trois ans, il ne me paraît pas irrationnel d'étaler la suppression sur 2020 et 2021. En 2020, les 20 % de contribuables les mieux rémunérés paieraient la moitié de leur taxe d'habitation à l'État, pour compenser le coût de la réforme. La suppression intégrale de la taxe d'habitation sur la résidence principale surviendrait en 2021. Mais je n'ai pas la moindre idée des options du Gouvernement.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci beaucoup pour cet exposé clair et très intéressant. Nous sommes au coeur des décisions en préparation. Merci, Alain, de nous avoir parlé avec franchise et sans langue de bois.