Mardi 13 novembre 2018

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 18 heures.

Projet de loi de finances pour 2019 - Audition de M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir parmi nous M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement, qui vient nous présenter le budget 2019 concernant les crédits du logement et de la politique de la ville. Cette audition sera également l'occasion de l'interroger plus généralement sur la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement en matière de logement et de politique de la ville.

Les crédits du projet de loi de finances pour 2019 concernant les trois programmes relatifs au logement diminuent pour atteindre 15,2 milliards d'euros.

Parmi ces trois programmes, le programme le plus important sur le plan budgétaire est le programme 109 qui concerne les aides personnalisées au logement (APL). 13 milliards d'euros y sont consacrés, en baisse pour la deuxième année consécutive.

2018 a été la première année d'application de la réduction de loyer de solidarité (RLS) dans le parc social. Vous nous présenterez la situation actuelle. Vous nous expliquerez où en est le dialogue avec les bailleurs sociaux et la fameuse clause de revoyure. Vous nous indiquerez quelles mesures conduiront à réduire de nouveau la contribution de l'État au Fonds national d'aide au logement.

En matière d'hébergement d'urgence, les crédits du programme 177 diminuent en raison d'une modification de périmètre mais augmentent à périmètre constant. Vous nous présenterez les grandes lignes budgétaires du programme 177 et les modifications apportées par l'Assemblée nationale.

En matière d'aide à la construction et à la rénovation, l'État ne contribuera plus au fonds national des aides à la pierre (FNAP) à partir de 2019. Vous nous expliquerez les raisons de ce choix et vous nous rappellerez les grandes lignes de votre stratégie en matière de rénovation de logement et de lutte contre l'habitat indigne. Je ne doute pas que mes collègues vous interrogeront plus précisément sur les mesures que vous comptez prendre après les effondrements d'immeubles survenus à Marseille.

Vous nous présenterez le nouveau dispositif fiscal d'investissement locatif qui doit inciter à la rénovation de logements anciens que vient d'adopter l'Assemblée nationale.

Enfin, vous deviez remettre en septembre dernier au Parlement les rapports d'évaluation des zonages pour le dispositif d'investissement locatif Pinel et le prêt à taux zéro (PTZ). Quelles en sont les conclusions ?

En matière de politique de la ville, les crédits augmentent fortement. Le rapport de Jean-Louis Borloo a eu le mérite de rappeler l'importance de la politique de la ville. Vous nous expliquerez le fléchage de ces nouveaux crédits ainsi que le plan d'actions que vous proposez de mettre en oeuvre.

M. Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement. - Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les sénateurs, c'est avec plaisir que je me retrouve devant vous. La dernière fois que nous nous sommes vus, c'était lors de l'examen du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), lequel avait été marqué par la Conférence de consensus, voulue par le Président Gérard Larcher et Jacques Mézard. Il s'agissait d'un processus singulier, nouveau mais qui, en tout état de cause, a permis, je le crois, d'enrichir significativement la loi ELAN.

Je ne saurai commencer mes propos sans évoquer Marseille, où nous avons vécu il y a dix jours, un drame important. J'ai tenu à me rendre sur place dans les toutes premières heures. J'y ai rencontré les marins pompiers qui ont fait un travail incroyable, dans des conditions de sécurité très difficiles - à ce moment-là, le troisième bâtiment ne s'était pas encore effondré. Le bilan est très lourd : huit personnes sont décédées. Il nous rappelle à quel point il est urgent d'agir, avec beaucoup de détermination, pour lutter contre le logement insalubre et le logement indécent, et le logement en péril qui est une prérogative des collectivités locales. L'État doit, sur ce sujet, apporter le soutien nécessaire à chacune des collectivités. J'étais d'ailleurs, il y a quelques minutes encore, avec le maire de Marseille, M. Gaudin, pour apporter l'aide de l'État dans cette lutte contre les logements soit insalubres, soit en péril. C'est d'ailleurs une politique forte que j'avais annoncée, ironie de l'histoire, à Marseille au début du mois d'octobre, avec un plan ambitieux de lutte contre les copropriétés dégradées de trois milliards d'euros. Les élus locaux, que nous avons beaucoup associés à cette politique, ont d'ailleurs qualifié ce plan de grande première : c'est en effet la première fois qu'est mise en place une politique publique au sens propre du terme, c'est-à-dire une vision, des ambitions, des moyens consacrés à cet accompagnement des collectivités territoriales. Outre ce budget de 3 milliards d'euros, nous souhaitons également une accélération des procédures. Je me rappelle d'ailleurs, Madame la présidente, et Madame le rapporteur Dominique Estrosi Sassone, des débats que nous avons eu lors de l'examen du projet de loi ELAN, par exemple sur les architectes des bâtiments de France, et leur rôle vis-à-vis du logement insalubre, mais aussi sur l'habilitation à légiférer par ordonnance afin de mettre de l'ordre dans les polices de l'habitat indigne. En effet, il existe aujourd'hui 13 polices différentes pour lutter contre le logement insalubre. Enfin, nous menons, avec beaucoup de détermination, une lutte contre les marchands de sommeil. La loi ELAN permet, dans ce domaine également, de mettre en oeuvre des mesures inédites et très fortes.

Le budget que je vous présente aujourd'hui, et vous l'avez souligné, Madame la Présidente, est un budget qui présente différents volets : la politique de la ville, le logement social, la lutte contre l'habitat indigne, mais aussi l'hébergement d'urgence. Le budget est en baisse. La principale raison en est la mise en place d'une nouvelle mesure qui diminue les crédits dédiés aux aides personnalisées au logement : la « contemporanéité des ressources ». Derrière ce mot incompréhensible se cache la volonté que les aides au logement soient attribuées non pas en fonction d'un revenu datant de deux ans - ce qui est une aberration - mais en fonction de vos revenus actuels. C'est l'équivalent, en quelque sorte, de la réforme du prélèvement de l'impôt à la source. Il s'avère que cette mesure va permettre de faire des économies. En effet, dans sa globalité, et je suis bien conscient que ce n'est pas vrai au cas par cas, à l'échelle du pays, nous connaissons actuellement une croissance économique et le nombre de chômeurs a diminué. Cette contemporanéité a donc une économie. C'est en outre une mesure plus juste, car elle permet de donner à chacun ce dont il a besoin.

Comme vous le savez, le budget 2018 a été marqué par une profonde réforme du logement social, avec la mise en place du mécanisme de la réduction de loyer de solidarité (RLS). À travers ce mécanisme compliqué, nous avons demandé un effort aux bailleurs sociaux. Nous les avons également accompagnés avec des mesures de soutien, notamment délivrées par la Caisse des dépôts et consignations. Nous sommes aujourd'hui dans un processus de revoyure afin d'étudier les impacts de la réforme de 2018 vis-à-vis des bailleurs. Nous avons un calendrier très précis. J'ai annoncé lors du congrès HLM de l'Union sociale pour l'habitat - auquel Madame le rapporteur assistait - que ce calendrier devait permettre de nous réunir avec les bailleurs sociaux aux mois de décembre, janvier et février, afin d'identifier les voies et moyens nécessaires pour atteindre les efforts demandés, notamment en 2020, et de répondre à leurs inquiétudes.

On constate - bien qu'il soit très difficile de commenter les chiffres de la construction en cours d'année - qu'il y a une tendance à la contraction des mises en chantier ou du nombre de permis de construire. Il est donc nécessaire de mettre en place une politique de soutien, au moment où nous abordons une période de préélections municipales qui n'est jamais une période propice à la délivrance des permis de construire. La politique du logement doit également répondre aux besoins, en fonction des territoires. Je souhaite insister sur ce point. En effet, la politique du logement est aujourd'hui insuffisamment territorialisée. Cette territorialisation de la politique du logement signifie que dans certains cas, en fonction des territoires, il faut soutenir la construction ; dans d'autres cas il faut soutenir la rénovation. Il faut pouvoir donner plus de liberté aux territoires de déterminer les politiques à mettre en place dans leurs villes.

En appui à la construction, nous avons donné aux acteurs de la visibilité sur les dispositifs fiscaux. Je m'étais engagé à ne pas y toucher ; c'est chose faite. En matière de réhabilitation, nous proposons un nouveau mécanisme de soutien à la rénovation. Ce mécanisme est au final assez proche du dispositif dit « Pinel » dans l'ancien, dans son esprit, mais profondément différent dans ses caractéristiques. Il s'agit d'un mécanisme de soutien à la rénovation dans les territoires où cette dernière est nécessaire. Je pense notamment aux villes qualifiées dans le cadre du plan « Action coeur de ville » et aux villes signataires d'une convention d'opération de revitalisation du territoire (ORT). Les opérations de revitalisation de territoire peuvent être mises en place dans n'importe quelle commune - et j'insiste sur ce point. C'est également une façon de répondre, Madame la présidente, à la question que vous posiez sur le zonage. Lorsque vous devenez ministre du logement, la première chose qu'on vous donne, c'est une carte avec des zones A bis, B, B2, et à partir de cette dernière on vous demande de mener une politique du logement intelligente. J'ai l'humilité de penser que c'est très compliqué de faire aujourd'hui la même politique de logement dans une même zone, par exemple la zone B2. Je connais certaines communes dans la zone B2 où le marché est très tendu, tandis que dans d'autres il est totalement détendu. Or, on a la même politique, les mêmes aides, notamment fiscales. Dans ce nouveau dispositif d'aide à la rénovation, nous avons décidé de partir non pas des zonages, mais des projets de territoire : toute ville qui aura conclu une ORT - et n'importe quelle ville peut le faire - pourra disposer de ce nouveau dispositif. Le dispositif permettra à l'investisseur de bénéficier d'une réduction d'impôt, selon les mêmes caractéristiques que les réductions d'impôt du dispositif dit Pinel. Il faudra simplement qu'il y ait au moins 25 % de l'investissement dans des travaux d'amélioration. Cela permet un soutien au bâti ancien, à la réhabilitation, et en même temps, d'offrir de nouvelles possibilités sur des territoires qui en ont besoin.

S'agissant de l'hébergement d'urgence, vous l'avez dit, Madame la Présidente, facialement, et pour des raisons comptables, le budget est en baisse. En fait, il ne l'est pas ; bien au contraire le budget augmente. En effet, des crédits du programme ont été transférés dans une mission gérée par le ministère de l'Intérieur. Si vous enlevez de ce périmètre ces crédits, les crédits, les crédits dédiés à l'hébergement d'urgence augmentent de manière significative. Il s'agit de répondre aujourd'hui à des besoins importants. Je ne m'en félicite pas, c'est un constat factuel : on n'a jamais fait autant d'efforts budgétaires ou en terme d'ouverture de places, mais c'est parce que le besoin est aujourd'hui très fort. Nous avons encore des milliers de personnes qui dorment dans la rue. Il faut faire cet effort d'accompagnement, mais également disposer de financements pour faire des opérations nouvelles. Je pense aux maraudes, mais aussi aux sorties d'hôtel pour accompagner les familles qui sont à l'hôtel depuis très longtemps. Donner un abri, c'est très bien, mais si vous voulez vous réinsérer, il faut avoir un toit, une adresse, un chez soi. À l'échelle du quinquennat, nous mettons 500 millions d'euros sur cette politique du logement d'abord.

Le dernier volet concerne la politique de la ville. J'avais pris l'engagement de sanctuariser ces crédits sur la durée du quinquennat. Non seulement, je respecte cet engagement, mais, qui plus est, nous augmentons de plus de 80 millions d'euros les crédits de ce budget. Là aussi c'est une priorité, car la fracture territoriale est incroyablement forte. En outre, à la suite des travaux réalisés par Jean-Louis Borloo, et des groupes de travail dans le cadre du comité national des villes, ou d'autres instances, nous avons pris des engagements très forts vis-à-vis du soutien à l'éducation. J'ai annoncé il y a dix jours, avec Jean-Michel Blanquer, la création de cités éducatives. Notre engagement porte également sur l'accompagnement des politiques publiques dans ces territoires, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Cet effort significatif de 80 millions d'euros témoigne, je le crois, de notre volonté d'avoir un budget capable de répondre aux fractures territoriales que nous ne pouvons que trop constater sur un bon nombre de territoires.

Voici les grandes lignes de présentation de ce budget, avec le souhait profond qu'il soit territorialisé et qu'il réponde, à chaque fois, aux besoins, avec des mesures et des outils différents. Nous assumons le fait de dire qu'il faut arrêter de tout piloter avec une position parfois trop dogmatique consistant à vouloir apporter la même réponse dans telle ou telle zone. Lorsque l'on essaye d'appliquer les mêmes solutions partout sur le territoire, vous le savez mieux que quiconque, cela ne fonctionne pas, ou pas très bien.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Sur le programme 177, vous avez indiqué que 1a pression sur le parc de l'hébergement d'urgence demeure importante et de nombreuses personnes demeurent sans solution d'hébergement. Confirmez-vous que vous souhaitez engager la réduction du nombre de places en hébergement d'urgence à partir de 2019 avec l'objectif de supprimer 10 000 places à l'horizon 2022 ?

Sur les effets de la tarification sociale appliquée aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), ne craignez-vous pas que l'accompagnement des personnes hébergées dans ces centres soit in fine sacrifié ? Or, on sait combien il est important qu'il puisse y avoir un accompagnement social extrêmement poussé vis-à-vis de ces personnes qui sont aujourd'hui dans de situations extrêmement difficiles.

Par ailleurs, les bailleurs sociaux - vous l'avez rappelé, et nous l'avions indiqué l'année dernière sur tous les bancs de l'hémicycle - ont été durement mis à contribution avec la RLS l'an dernier. Ils seront les principaux financeurs du FNAP, l'État ayant décidé de ne plus financer d'aides à la pierre. Ils contribuent également au nouveau programme de renouvellement urbain à hauteur de 2 milliards d'euros. Quel est l'impact de ces mesures en termes de construction et de réhabilitation des logements sociaux pour 2018 et surtout 2019 ? Il ne faut pas qu'un parc à deux vitesses voit le jour. Il est ainsi important que les bailleurs sociaux disposent des moyens pour rénover leurs parcs souvent anciens.

L'année dernière, nous avions relevé le taux de TVA pour certaines opérations de logement social, en complément d'une économie d'APL de 800 millions d'euros. Quel est le rendement de cette mesure pour 2019 ? S'il s'avérait que les rentrées de TVA en 2019 soient plus importantes, quelle mesure comptez-vous prendre pour que l'économie pour l'État, constituée à la fois par la RLS et ce taux de TVA, ne soit que d'1,5 milliard d'euros en 2019 conformément aux engagements du Gouvernement l'an dernier ?

Les missions de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) augmentent (plan en matière de copropriété, 75 000 logements pour Habiter Mieux, augmentation du nombre des logements accessibles). Sur le plan des ressources, le Gouvernement plafonne les recettes issues des quotas carbone et relève dans le même temps le montant de la taxe sur les logements vacants. On ne comprend pas très bien la logique. Comment l'ANAH peut-elle mener correctement ses missions si elle n'a pas de visibilité sur plusieurs années de ses recettes ? Pourquoi ne pas utiliser les recettes supplémentaires des quotas carbone pour mettre un coup d'accélérateur sur la rénovation énergétique des logements ?

Vous avez fait référence au drame de Marseille. Quelles mesures comptez-vous prendre ? Avez-vous lancé une inspection ou interrogé les préfets pour identifier les immeubles qui menacent de s'écrouler ? Sur votre stratégie en matière de copropriété, la liste des 14 sites identifiés est-elle fermée ? Faute d'outil pour identifier avec précision les copropriétés en difficultés, la liste que vous avez établie repose sur des remontées préfectorales, ou sur des informations relayées par des collectivités territoriales, des tiers, des locataires ou des propriétaires. Envisagez-vous de créer un outil d'analyse ?

Quel est le coût du nouveau dispositif d'investissement locatif ? Quelle sera la durée de la réduction fiscale ? Y aura-t-il des plafonds en matière de loyer ? Dans quelle zone le dispositif va-t-il s'appliquer ? Pour protéger les investisseurs, tiendrez-vous compte de l'existence d'un marché locatif pour déterminer les communes dans lesquelles le dispositif pourra s'appliquer ?

Enfin, nous nous étions battus l'année dernière pour le maintien de l'APL accession, dont le coût était modeste (50 millions d'euros). Il nous semblait que cette économie n'était pas à la mesure de l'importance du maintien de l'accession à la propriété. Par un amendement, le gouvernement souhaite le rétablir, mais uniquement pour les territoires d'outre-mer. Pourquoi ne pas le rétablir également en métropole ? C'est un dispositif essentiel pour faire fonctionner le parcours résidentiel.

Mme Annie Guillemot, rapporteure. - Il est vrai, il y a une augmentation sensible du budget de la politique de la ville pour 2019. Mais, comme un certain nombre d'acteurs, je m'interroge sur sa portée réelle. En effet, de nombreux projets fonctionnent par cofinancement : souvent, un complément de 50 à 60 % doit être apporté.

J'ai plusieurs questions concernant le programme 147 « Politique de la ville ».

En ce qui concerne les adultes-relais, 20 millions d'euros de plus sont inscrits au budget. N'avez-vous pas surbudgétisé ce dispositif ? Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour recruter 1 000 adultes-relais supplémentaires ? Qui va payer les 40 ou 50 % de reste à charge ? Cela ne peut pas être les associations qui, à l'heure actuelle, sont plutôt en défaut de paiement.

Quelle est la valeur ajoutée des cités éducatives par rapport au programme de réussite éducative (PRE)? On augmente les crédits dédiés au programme de réussite éducative de 68 millions d'euros à 80 millions d'euros. N'y a-t-il pas un risque de superposition, avec une cité éducative qui coordonne les autres structures, alors que le PRE devrait déjà le faire ?

En matière d'emplois, les emplois francs ne marchent pas très bien. On avait, fin septembre, 1 980 emplois francs créés sur 25 000 budgétés. Envisagez-vous d'étendre la liste des territoires éligibles ? Avez-vous analysé les causes ? Envisagez-vous d'étendre ces emplois aux emplois d'apprentissage, aux contrats de professionnalisation et aux missions d'intérim ? Dans les QPV, vous le savez, le taux de chômage des jeunes a augmenté.

Les contrats aidés sont en forte diminution. De même, les PEC (parcours emploi compétences) ne sont pas très développés. Je constate que tous les préfets n'ont pas systématiquement modulé les aides pour les contrats aidés qui bénéficieraient aux habitants des QPV, comme cela est possible. Comment l'expliquez-vous ?

Le projet de loi de finances prévoit une nouvelle réforme de la dotation de la politique de la ville. Cette dernière va augmenter le nombre de communes bénéficiaires, sans toutefois augmenter le montant global de la dotation. Comment expliquer cette baisse de dotation ?

Enfin, j'ai des questions plus ciblées sur la cohérence de la politique de logement et la politique de la ville. L'EPARECA va être absorbé par la nouvelle agence de cohésion des territoires. Cet établissement a fait ses preuves. Son intégration peut retarder le déploiement du NPNRU dans les quartiers qui devront faire appel à cet établissement. Aucune étude d'impact n'a accompagné la proposition de loi créant l'agence. Ne risque-t-on pas de mettre en place une usine à gaz, puisqu'il faudra coordonner le CEREMA, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'agence du numérique ? Beaucoup s'interrogent à ce sujet.

On nous dit que les contrats de ville seraient prolongés de deux ans. Pouvez-vous expliquer ce choix qui va en effet à rebours du choix opéré en 2014 d'aligner la durée de ces contrats sur la durée du mandat municipal ?

Je m'interroge également sur l'impact de la RLS et de la restructuration du secteur social, sur la mise en oeuvre du NPNRU. Beaucoup de personnes auditionnées laissent entendre que les bailleurs sociaux pourraient lisser leurs engagements - certains l'ont d'ailleurs annoncé dans leurs conseil d'administration -, et réduire leurs engagements en matière de services, notamment d'entretien, et en matière de réhabilitation. Avez-vous évalué cet impact ? N'est-on pas en train de créer des quartiers qui seront traités dans le prochain programme de renouvellement urbain - le PNRU 3 ?

Enfin, avec Valérie Létard, nous avions recommandé au Gouvernement d'identifier des quartiers en extrême difficulté, dans lesquels les politiques publiques sont en échec, afin d'y mettre en place un dispositif de traitement global des difficultés. Je n'ai pas vu de propositions en la matière. Même si le budget a augmenté, est-on à la hauteur des enjeux de la fracture sociale ? Les politiques de droit commun ressortent peu. Or, je crois que la Cour des comptes a demandé que l'on puisse avoir un indicateur pour mesurer l'impact des crédits de droit commun. Il n'y a pas non plus d'actions de lutte contre les discriminations ou le phénomène de radicalisation, - Gilles Kepel vient de parler de la salafisation accrue des quartiers il y a deux jours -, ni d'actions sur les politiques de peuplement. Les emplois francs, les adultes relais, même le dédoublement des classes ; toutes ces politiques sont-elles à la hauteur, quand on regarde la contribution de l'État au NPNRU - 185 millions d'euros en autorisation d'engagement, mais seulement 25 millions d'euros en crédit de paiement ? On nous répond que l'on n'est pas prêt. Il est vrai, on a perdu 18 mois. Aujourd'hui, le règlement du NPNRU a été modifié pour faciliter le financement des opérations. Beaucoup de maires saluent cette réforme. Mais ne peut-on pas mettre en place un plan d'urgence à l'image de ce que Gérard Collomb, ex-ministre de l'Intérieur, disait hier à Lyon ? Il indiquait que la ghettoïsation progressait, que la France était au pied du mur, et qu'il fallait agir avec des réformes extrêmement rapides et des mesures conséquentes dans les quartiers. Il y a eu par le passé des plans d'urgence ciblés qui bousculaient les procédures. Dans le domaine de l'école, des équipements sportifs, des projets sont prêts. On pourrait les faire démarrer, avec un financement plus important du NPNRU.

Quelle est la cohérence du plan de pauvreté avec la politique du logement et le renouvellement urbain ?

Enfin, Monsieur le Ministre, la Commission européenne invitait l'ensemble des pays à prendre en compte la crise du logement et à relancer massivement l'investissement public. Or, on assiste en France à un désengagement public de l'État. En Allemagne, Angela Merkel a annoncé un plan de 6 milliards d'euros pour le logement abordable ; au Royaume-Uni, Theresa May a annoncé un plan de 2 milliards de livres par an. La France ne va-t-elle pas à rebours du sens de l'Europe et de l'Histoire ?

M. Jean-Marie Morisset. - Monsieur le Ministre, j'interviens sur le programme 177 au titre de la commission des affaires sociales. Votre synthèse était de dire que c'était un budget en augmentation. Je dirai en faible augmentation : 35 millions d'euros sur 1,8 milliard d'euros.

On peut constater depuis quatre ans une plus grande sincérité budgétaire. Autrefois, il fallait des décrets d'avance de 220-250 millions d'euros. L'année dernière, pour une fois, on avait abouti à une plus grande sincérité budgétaire.

Par ailleurs, il y a une meilleure lisibilité du programme. En effet, on a exclu les centres d'accueil et d'orientation (CAO), puis les centres d'hébergement de migrants - ce qui représente 118 millions d'euros pour 2019. Mais les déboutés du droit d'asile vont de nouveau être pris en charge par le programme 177. On a recensé 18 000 à 20 000 personnes. Il serait bien que le programme 303 « immigration et asile » soit mieux utilisé, pour éviter ces transferts du programme 303 au programme 177.

Je vous fais part des inquiétudes et interrogations des associations que j'ai auditionnées. La première concerne les nuitées d'hôtel. On a dit qu'il fallait un plan pour les diminuer. Beaucoup nous demandent désormais un autre plan. En effet, il y a toujours 45 000 nuitées d'hôtel pour lesquelles on n'a pas trouvé de solution. Il faut adopter une autre approche et développer des centres d'hébergement d'urgence. Or, vous fragilisez les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Les CHRS connaissent une diminution de 50 millions d'euros en 2018, et 20 millions d'euros cette année. Ce n'est pas une bonne approche, car cela signifie une baisse de l'accompagnement et une sélection des publics à l'entrée de ces centres. Ce n'est pas une bonne démarche, même si on nous a expliqué l'année dernière que cette mesure avait pour but d'éviter des décrets d'avance.

J'insiste également sur le logement adapté, les pensions de famille, les résidences d'accueil, l'intermédiation locative. Ils sont nécessaires mais il faut augmenter les budgets. Ces derniers n'ont pas augmenté depuis 10 ans. Comment voulez-vous qu'une association arrive à répondre à un appel à projet, sans augmentation des budgets - tant pour les résidences d'accueil que pour les pensions de famille ?

C'est bien d'augmenter le nombre de logements adaptés, mais on s'aperçoit ensuite qu'il n'y a pas d'accompagnement social, qu'il n'y a pas de budget. De nombreuses structures et associations m'ont indiqué qu'il s'agissait du minimum, si on veut écouter ces personnes au bord de la route. Il faut donner des moyens aux associations. C'est un constat général, que ce soient pour les nuitées d'hôtel ou l'accompagnement social pour les CHRS. Nos associations sont fragiles financièrement. Elles sont obligées d'aller voir les banques en début d'année, car les délégations de crédits viennent très tard. Il faut agir.

L'annonce du plan pauvreté et celle du plan en faveur du logement adapté ont séduit les associations. En ce qui concerne le plan pauvreté, pouvez-vous nous indiquer l'affectation des 125 millions d'euros annoncés ? On parle de 7 500 places en 2019. Le plan en faveur du logement adapté est une bonne chose : on a annoncé 10 000 places en logement de famille, 40 000 places en intermédiation locative. Combien de ces places sont prévues dans le programme 177 cette année ? Pour pouvoir évaluer à la fin de l'année 2019 si ce plan relatif au logement adapté est une réussite, il faut donner les règles du jeu dès le départ.

L'objectif est que les personnes hébergées à l'hôtel puissent bénéficier d'un logement autonome. La question du logement autonome m'amène à évoquer le PLAI (Prêt locatif aidé d'intégration). On sait qu'il faut un certain temps pour les mettre en place. Vous annoncez 40 000 PLAI en 2019, je pense que tous ne seront pas réalisés. Il faudra deux ou trois ans. Vous le savez, nos bailleurs sociaux, qui ont été fortement mis à contribution l'année dernière, ont quelques peines à boucler les plans de financement.

M. Daniel Laurent. - Monsieur le Ministre, l'an dernier nous vous faisions part des vives préoccupations des organismes d'habitation à loyer modéré quant à la baisse des APL compensée par les baisses de loyer équivalentes dans les logements sociaux. Comme il fallait s'y attendre, avec des marges de manoeuvre amoindries, l'Union sociale de l'habitat évoque une baisse d'au moins 5 % de la construction de logements. Les prêts à taux zéro et le dispositif dit PINEL étant concentrés sur les zones très urbaines, le reste du territoire est beaucoup plus pénalisé. Les chiffres du troisième trimestre 2018 sont également inquiétants : -10 % pour les permis de construire ; - 7,9 % pour les mises en chantier. C'est un mauvais signal pour le secteur du bâtiment, de l'artisanat et de l'emploi. Vous nous imposez vos mesures - souvent sans concertation préalable - et vous les faites financer par les autres. La liste commence à être longue : la baisse des APL ou encore la réforme de la taxe d'habitation.

Mon deuxième point porte sur le plan « Action coeur de ville ». Il a pour ambition d'améliorer les conditions de vie des habitants et de conforter le rôle de moteur de développement du territoire. Vous avez déposé un amendement visant à renforcer le dispositif de rénovation, notamment dans certains secteurs urbains où l'habitat est dégradé. Pouvez-vous nous apporter des précisions ? Quelles villes seront concernées : celles ayant signées des conventions d'opérations de revitalisation, ou uniquement les 222 communes du plan « Action coeur de ville » ? Quelle part des travaux sera défiscalisée ? Le dispositif semble concerner les seuls futurs acquéreurs qui mettront leur logement en location entre 2019 et 2021, alors que le plan « Action coeur de ville » est quinquennal. Quid des actuels propriétaires ou locataires qui n'entrent pas dans les mesures d'accompagnement via les banques des territoires et l'ANAH ?

Par ailleurs, envisagez-vous d'étendre le plan « Action coeur de ville » aux centres-bourgs ruraux ? La ruralité, c'est important. Pour l'heure, seules les villes de plus de 10 000 habitants sont concernées.

Enfin, je souhaite vous entendre sur la suppression du fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC). C'est un outil essentiel pour le maintien de nos commerces et qui permettrait d'aider les services de proximité, qui vont disparaître.

M. Jean-Marie Janssens. - Le 14 juin dernier, le Sénat a adopté en première lecture la proposition de loi portant pacte national de revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs. Il s'agit d'un texte fondamental à bien des égards, lorsque l'on mesure l'état du centre bourg dans la plupart de nos communes rurales. La disparition progressive des services publics de proximité, la désertification médicale alarmante sont autant de coups portés au dynamisme et à l'activité rurale. Dans ce contexte s'inscrit la décision de supprimer la taxe d'habitation, pourtant levier et ressource majeurs des communes. Le Gouvernement promet de la compenser à l'euro près. Si cette promesse est respectée, n'est-ce pas l'occasion de financer efficacement et sur le long terme la revitalisation des centres-bourgs, notamment par un programme ambitieux de soutien aux commerces et aux travaux ? Ce serait là un signe fort lancé aux communes rurales qui sont de plus en plus isolées et peu prises en considération par l'État.

M. Jean-Claude Tissot. - Je souhaite revenir sur l'amendement que le Gouvernement a déposé sur la rénovation de l'habitat ancien. Vous avez parlé de zonage. Comment ce dernier va-t-il être défini ? Est-ce le préfet de département qui va le faire ? Vous avez également indiqué que ce dispositif ne sera pas réservé aux villes entrant dans le périmètre « Action coeur de ville », mais qu'il pourrait être utilisé par les bourgs ruraux, pour peu qu'il y ait un programme de revitalisation. Ainsi, si un propriétaire bailleur veut émarger à cette aide, et si la commune concernée n'est pas dans un programme de rénovation, ce propriétaire y aura-t-il droit ?

On évoque une condition de 25 % du coût total de l'opération. Sur quelle assiette est calculé ce taux ?

Mme Sylviane Noël. - Monsieur le Ministre, vous parliez de la nécessité de territorialiser les politiques de logement. Cela me fait réagir sur la situation de certaines communes qui connaissent une progression démesurée de leurs résidences secondaires. Cette croissance met à mal les équilibres démographiques de ces communes, engendre une pression foncière forte, et donc un coût du logement qui devient insupportable pour les populations locales qui n'ont alors d'autres choix que de fuir ces communes. Je vais prendre un exemple : la commune de Chamonix a 90 % de ses nouvelles constructions qui sont transformées en « lits froids ». Envisagez-vous des mesures pour tenter d'enrayer ce phénomène inquiétant ?

Mme Cécile Cukierman. - Une étude de la Caisse des dépôts et consignations montre comment les baisses de crédits et le changement de modèle du secteur HLM vont conduire à sortir de terre de moins en moins de logements sociaux. On l'évalue ainsi à -38 % d'ici à vingt ans. Comment entendez-vous, dans les années à venir, garantir ce droit au logement, alors que l'on sait qu'en 2017 les expulsions locatives ont augmenté ? En outre, nous savons depuis la semaine dernière et le rapport présenté par le Secours catholique que la pauvreté ne cesse d'augmenter dans notre pays. Nous n'allons pas rouvrir les débats que nous avons eus dans le cadre de la loi ELAN. Comment allez-vous sécuriser ce modèle du logement social à la française, que d'ailleurs beaucoup de pays d'Europe sont en train de découvrir et de vouloir mettre en place ?

Vous avez évoqué l'évolution du dispositif dit Pinel. Je vous ai interpellé il y a deux semaines sur la situation du zonage, et notamment des communes au sein de la métropole stéphanoise. J'entends ce que vous dites sur le zonage. Vous avez acté de la nécessité de retravailler ces problématiques. Quelles réponses pouvez-vous apporter pour des territoires, effectivement en zones détendues, urbaines ou périurbaines, sur l'intervention de l'État, afin de permettre la rénovation et la construction de logements et ainsi assurer une égalité dans l'aménagement du territoire de notre pays ?

M. Martial Bourquin. - Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est la mise en place de la contemporanéité des ressources en matière d'aides au logement ? Le mot est grandiloquent. J'ai vu que cela représentait une économie de plus de 900 millions d'euros pour l'État. Au moment où il y a plus de pauvreté - le Secours catholique vient de sortir un rapport alarmant sur les locataires, indiquant qu'il y avait un appauvrissement de ces derniers - vous vous préparez à faire des économies. Je pense qu'il y a un vrai problème.

Le deuxième sujet qui me tient à coeur est la fiscalisation des assurances des contrats emprunteurs. Ne pensez-vous pas que vous exagérez sur ce point ? Nous sommes quelques-uns à avoir fait en sorte que l'assurance emprunteur ne soit plus un lobby des banques. Il y avait des commissions de 50 %. Nous sommes arrivés à faire que, chaque année, comme toute assurance, il y ait une possibilité de renégocier le contrat. Or, dans ce projet de budget, vous fiscalisez 9 % de ces nouveaux contrats. Que vous ont fait les familles ? Pourquoi voulez-vous vous en prendre systématiquement au pouvoir d'achat de ces dernières ?

J'ai rencontré des personnes travaillant dans le secteur du bâtiment. Ils sont très inquiets de ce qui est en train de se passer. Nous venons de perdre 5 à 10 % de construction. Je pense que l'on va vers de très graves problèmes économiques et sociaux avec le bâtiment parce que la pauvreté grandit et vous êtes en train de l'aggraver.

M. Daniel Dubois. - Je rejoins les propos de notre collègue Martial Bourquin. Je ne voudrais pas jouer les Cassandres, mais je suis très inquiet sur les années qui arrivent, en termes de constructions de logement en France. Monsieur le Ministre, vous avez pris des précautions en indiquant que les statistiques ne seront connues qu'en fin d'année. Toutes les tendances aujourd'hui, en termes de construction, d'agrément, de permis de construire sont à la baisse. La CAPEB commence à monter au créneau pour exprimer son inquiétude.

La commission des affaires économiques du Sénat m'a fait le grand honneur de me désigner en tant que membre du FNAP. Nous avons été réunis quelques temps, à l'époque du précédent Gouvernement. Depuis l'arrivée du président Emmanuel Macron, le FNAP n'existe plus. Tout d'abord son président a démissionné, tout simplement parce que vous avez diminué les crédits de l'État fléchés vers le FNAP sans même l'informer. C'est ce qu'il nous a fait savoir très clairement. Depuis - et je souhaite que tous nos collègues le sachent -, nous n'avons plus eu aucune réunion et nous sommes « réunis » au travers d'échanges de mail. On nous demande de voter par voie électronique. Je refuse de le faire. Aussi, Monsieur le Ministre, je vous pose très clairement cette question : est-ce que le FNAP existe encore ? En effet, non seulement l'État ne donne plus d'argent à la construction - ce sont les organismes HLM et Action logement qui financent le FNAP -, mais en plus de cela le FNAP a repris 1,9 milliard de crédits de paiement du Gouvernement. Cela signifie que les aides de l'État sont négatives en termes de logement.

M. François Calvet. - Depuis des années, en tant qu'élu local, je me suis occupé de la réhabilitation des quartiers anciens, avec l'ANRU et l'ANAH. Je constate, au final, qu'en trente ans mon bilan à Perpignan est pauvre. En effet, nous réhabilitons des immeubles qui n'ont pas de fondation, et qui finissent ainsi par s'écrouler. Je pense que les réglementations que l'on doit mettre en place pour faire une réhabilitation doivent prévoir que l'immeuble tienne debout. Nous avons des immeubles qui se sont effondrés par le passé à Perpignan. Les architectes des bâtiments de France nous expliquent qu'il y a la trame moyenâgeuse. On fait ainsi des opérations sur des bâtiments, mais cela ne fonctionne pas.

Par ailleurs, je pense qu'il faut qu'il y ait une réglementation claire. On ne peut pas, d'un côté, continuer à réhabiliter des immeubles qui n'ont pas de fondation, et, de l'autre, demander des permis de construire avec des fondations, - ce qui est normal. Il faut de la cohérence.

À Perpignan, nous avons fait un diagnostic thermographique des logements sur l'ensemble de la communauté urbaine. Celui-ci nous permet de savoir comment il faut intervenir. C'est important, à un moment où les salaires n'augmentent plus, de pouvoir concentrer les aides sur les quartiers connaissant des problèmes de déperdition d'énergie importante, souvent pour des familles plutôt pauvres. Il serait intéressant de pouvoir leur faire profiter du « salaire urbain », c'est-à-dire des économies d'énergies de 500 euros par an leur permettant de retrouver un peu de pouvoir d'achat.

Mme Anne-Marie Bertrand. - Vous l'avez dernièrement souligné, l'existence du logement insalubre ne concerne pas que Marseille. On a vécu ce drame d'une façon terrible. Près de 450 000 logements sont considérés comme indignes en France, et 15 % des immeubles en copropriété seraient potentiellement dangereux, selon l'Agence nationale de l'habitat. Vous le savez, les difficultés ne sont pas seulement financières. Les marchands de sommeil qui vivent de cette misère sont difficiles à repérer, puisque leurs victimes en sont dépendantes. En outre, lorsqu'ils le sont, les procédures sont trop longues. Quelles sont vos pistes concrètes afin d'accélérer les procédures judiciaires ?

Mme Valérie Létard. - Beaucoup de choses très justes ont déjà été dites. Je souhaite rajouter quelques points. En ce qui concerne l'ANAH, certains d'entre vous ont rappelé qu'il était dommage de ne pas utiliser les quotas carbone pour augmenter et accélérer les moyens de l'ANAH pour atteindre les objectifs qui se multiplient. Il faut accompagner la requalification de l'habitat ancien privé, l'habitat indigne qui montre que l'on a besoin de développer les moyens. On va avoir des opérations dans le cadre du plan « Action coeur de ville ». Nous avons une série de dispositions à mettre en place pour accompagner de façon renforcée le programme « Habiter mieux ». Chaque année est proposée la possibilité de mettre en place un fonds de réserve, permettant lorsque les quotas de carbone ont été excédentaires - plutôt que de remettre l'argent dans un pot commun - de sécuriser une enveloppe permettant de lisser les ressources de l'agence et ainsi de ne pas avoir de bonnes et de mauvaises années. Il serait important, Monsieur le Ministre, que l'on puisse enfin, dans ce domaine, avoir un financement qui permet d'assurer cette régularité et d'avoir des moyens permettant une prise en charge massive de la rénovation des logements. Il y avait l'idée que le produit de la vente des logements sociaux devait servir à construire ou rénover de l'habitat en bloc, mais en aucun cas à financer ce type d'actions.

Comment envisagez-vous les relations entre l'agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), l'ANAH et l'ANRU, et quelle part des enveloppes va être décidée - et par qui - pour mener les politiques décidées dans différents programmes comme « Action coeur de ville » ? Pourrai-je attirer votre attention sur la nécessité de ne pas avoir de trou dans la raquette ? En effet, quand on a décidé de cibler des communes du plan « Action coeur de ville », on a pris les villes chefs-lieux des arrondissements. Il y a des villes intermédiaires qui ne sont pas non plus des villages, des villes de 7 000, 8 000, 12 000 habitants, qui pour certaines vont très mal mais qui ne sont dans aucun périmètre.

Enfin, sur la politique de la ville, je n'ai rien à retirer à ce qu'a dit notre collègue Annie Guillemot. J'appelle à la plus grande vigilance lorsque l'on met en place des cofinancements. En le faisant, on s'assure que le dispositif ne fonctionnera pas car les associations sont exsangues.

M. Xavier Iacovelli. - Ma première question porte sur la RLS, pour laquelle l'économie attendue par l'État est de 800 millions d'euros en 2018 puis 870 en 2019, et 1,5 milliard d'euros en 2020. Une étude récente de la Banque des territoires et de la Caisse des dépôts et consignations relève que « malgré des mesures qui affectent le secteur, la situation financière dans sa globalité résisterait sur l'ensemble de la période de prévision, au prix d'un repli substantiel de la production de logement à moyen terme, et d'importants efforts des bailleurs sur les charges d'exploitation ». La capacité du secteur a absorbé la montée en charge de la RLS d'ici 2020, avec un quasi doublement de la ponction opérée sur les ressources des bailleurs - c'est-à-dire 1,5 milliard d'euros - suscite de vives inquiétudes. Lors du congrès HLM de Marseille, vous avez annoncé vouloir enclencher la clause de revoyure de la RLS début 2019, dans le but de déterminer les voies et moyens de financer la baisse des dépenses de l'État en matière d'APL. Si les organismes HLM semblent avoir intégré la baisse de leurs ressources en 2018, seront-ils capables de supporter la baisse d'1,5 milliard en 2020 ?

Ma deuxième question concerne l'inquiétude sur les CHRS. On comprend la volonté d'harmonisation. Mais ces centres s'inquiètent. L'augmentation budgétaire est fléchée sur les places d'urgence et les nuitées hôtelières et ne va pas bénéficier aux CHRS qui assurent l'hébergement d'insertion. Ils n'ont d'ailleurs pas alerté sur le plan d'économies de 57 millions d'euros prévus sur quatre ans dès cette année. Cette économie résulte de la mise en place de tarifs plafonds qui ont vocation à assurer une plus grande égalité de financement entre les différentes structures. Elle pourrait conduire rapidement à la fermeture des places d'hébergement et à la suppression des postes d'intervenants sociaux. Pouvez-vous nous renseigner sur les intentions du Gouvernement vis-à-vis des CHRS ?

Ma dernière question porte sur la politique de la ville, et notamment sur le dispositif expérimental d'emplois francs que vous avez mis en place dans le cadre de la loi de finances pour 2018, pour encourager l'embauche des habitants dans les QPV, en raison de la suppression d'une partie des emplois aidés. Depuis le 1er avril 2018, une expérimentation a été lancée sur sept territoires, regroupant 25 % des demandeurs d'emploi résidant en QPV. Pôle Emploi est le principal opérateur chargé de cette mesure. Au 1er septembre 2018, moins de 2 000 emplois francs ont été conclus. C'est très inférieur aux prévisions puisque l'objectif du Gouvernement était fixé pour 2018 à 5 000 emplois francs. Pouvez-vous, Monsieur le Ministre, nous expliquer les causes de cet écart entre l'objectif du Gouvernement et les résultats, et nous faire un retour d'expérience sur ce point ?

Mme Viviane Artigalas. - Le Gouvernement a lancé sa stratégie nationale d'intervention sur les copropriétés sous la forme d'un plan de près de trois milliards d'euros sur 10 ans. Intervenir sur les copropriétés dégradées est une urgence sociale, mais prévenir la dégradation des copropriétés l'est tout autant. Nous regrettons qu'aucune mesure de prévention n'ait pu être adoptée dans la loi ELAN, afin d'éviter la dégradation des copropriétés, notamment suite aux ventes HLM. Nous avions déposé plusieurs amendements en ce sens. Comment allez-vous protéger les copropriétés issues des logements sociaux ?

La RLS va permettre à l'État de réduire sa dépense budgétaire en matière d'APL de 870 millions d'euros en 2019. L'économie attendue pour 2019 du relèvement de 5,5 % à 10 % de la TVA est estimé à 850 millions d'euros. Le rendement budgétaire des deux mesures atteindrait 1,72 milliard d'euros pour 2019, et dépasserait ainsi de 220 millions d'euros le montant attendu. Nous avons déposé un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour permettre de réajuster par voie réglementaire les paramètres qui jouent sur le rendement de la RLS pour en rester à 1,5 milliard d'euros. Notre amendement ne pourra pas être examiné pour des questions de procédure. Quelle est votre position, Monsieur le Ministre, sur ce point ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Je souhaite ajouter une remarque. Vous avez indiqué, Monsieur le Ministre, que la construction se rétractait, et vous avez lié ce fait immédiatement à l'approche des élections municipales. Toute personne ici qui a fait partie d'un exécutif d'une collectivité locale sait qu'un projet de construction nécessite 4 à 5 ans d'efforts. Ce n'est pas à 18 mois des élections que l'on arrête de faire ce que l'on a fait pendant les trois premières années. Je voudrais vous sensibiliser sur la suppression de la taxe d'habitation : c'est un point qui contracte les maires. Ils ne savent pas de quelle manière sera prise en compte la progression de leurs bases dans la compensation faite par l'État. Je pense que la raison est plutôt à chercher de ce côté.

Enfin, la contraction des financements disponibles pour les bailleurs sociaux fait que la construction de logements privés diminue également. Nous essayons de plus en plus de faire des programmes mixtes bailleurs sociaux-privés. Quand l'un ne fait plus, l'autre ne fait plus non plus.

M. Julien Denormandie, ministre. - Je vais commencer par répondre aux questions de la présidente, car cela me permet de compléter mes propos. Je n'ai pas lié les deux. J'ai indiqué que nous étions dans la phase qui précédait les élections municipales, et que celle-ci - on le voit tous - n'est pas la phase la plus à même de relancer la construction. Cela ne veut pas dire que l'un est lié directement à l'autre. Mais l'un n'est pas favorable à l'autre.

Si on analyse la situation actuelle de la construction, on note que les chiffres des ventes actuelles diminuent. Ils sont liés à des constructions qui ont commencé dès 2017. La première rétraction qui apparaît est liée à la décision d'arrêter tous les dispositifs fiscaux fin 2017 : le PTZ, le dispositif dit Pinel. Tous les opérateurs et les promoteurs n'avaient pas de lisibilité sur les dispositifs qui s'appliqueraient au moment de la vente de logements. C'est la raison pour laquelle, la première chose que j'ai faite lors du projet de loi de finances de l'année dernière, a été de reconduire ces aides sur la durée. On recentre le dispositif dit Pinel sur les zones tendues. Les logements du dispositif dit Pinel en zone B2 et C représentent 6 000 logements sur 144 000 logements que l'on soutient. Ainsi, pour les 138 000 autres logements, les aides sont reconduites sur la durée pour la plupart d'entre elles sur quatre ans - ce qui n'avait jamais été fait.

Au-delà des débats budgétaires que l'on a aujourd'hui sur les aides, le Fonds national d'aide à la pierre, ou sur d'autres dispositifs, je veux souligner que nous portons beaucoup de politiques publiques avec énormément de conviction. L'ANRU a été évoquée : il y a eu un doublement des financements de l'État et des opérateurs. L'Union sociale de l'habitat, Action Logement et les municipalités se sont engagés. Nous avons fléché cinq milliards d'euros pour le plan « Action coeur de ville » sur le quinquennat. Ces 5 milliards d'euros, c'est de l'« argent nouveau », notamment porté par Action logement à hauteur d'1,5 milliard d'euros, et pour un milliard d'euros par la Caisse des dépôts et consignations. Pour les copropriétés dégradées, nous consacrons également trois milliards d'euros d'« argent nouveau ». Pour le soutien aux bailleurs sociaux, il est prévu dix milliards d'euros de la Caisse des dépôts et consignations. L'ensemble de ces sommes représente 28 milliards d'euros. C'est de l'argent apporté en partie par nos partenaires, et en partie par l'État, en complément des budgets. Il serait trop facile de ne voir le budget logement qu'à l'aune des documents budgétaires, sans prendre en compte ces politiques publiques. Je dépense beaucoup d'énergie à mettre en oeuvre les politiques publiques établies. Pour chacune d'entre elles, j'ai des chefs de projets, des indicateurs, des remontées mensuelles, des réunions tous les premiers lundis de chaque mois pour savoir où en est la mise en oeuvre de toutes les politiques publiques. Je vous donnerai un seul exemple avec l'ANRU. Vous l'avez tous vécu : cette agence était à l'arrêt. Entre mai 2017 et mai 2018, l'ANRU a engagé zéro euro. On a passé un an à déterminer où étaient les cailloux dans les rouages, les points de blocage. Depuis mai 2018, 2,5 milliards d'euros de projets nouveaux ont été engagés.

En ce qui concerne les 5 milliards d'euros annoncés pour les 222 villes du plan « Action coeur de ville », ce sont plus de 201 conventions qui ont été signées. Pour les copropriétés dégradées, j'ai annoncé 3 milliards d'euros le 10 octobre. Depuis, j'ai lancé des opérations ainsi que des comités de pilotage sur Marseille et sur Grigny. J'étais ce matin à Mulhouse. Tout cela vient en plus du budget du logement. Lorsque l'un d'entre vous évoquait les sommes mises en place par l'Allemagne ou le Royaume-Uni, je souhaite indiquer que dans mon plan, ce sont 28 milliards d'euros qui sont prévus ; et avec une détermination totale pour que cela débloque les situations sur le terrain. Débloquer les sujets de l'ANRU, signer toutes les actions du plan « Action coeur de ville », faire en sorte que la Caisse des dépôts et consignations modifie ses pratiques, c'est compliqué. Le plus grand scandale du logement social de ces dernières années c'est que pendant que tous les bailleurs sociaux des différents pays européens pouvaient avoir accès à des liquidités à très faibles coûts, nos bailleurs sociaux étaient obligés d'avoir une liquidité très chère. Au final, les loyers pour les personnes qui vivaient dans ces logements étaient élevés. C'est la raison pour laquelle on a cherché à faire évoluer les choses avec la Caisse des dépôts et consignations. Et je suis convaincu que d'autres évolutions sont possibles.

Mme Estrosi Sassone, vous avez évoqué l'hébergement d'urgence et la question de savoir s'il y avait une réduction de 10 000 places. Je souhaite vous dire de manière très claire qu'il n'y a pas de réduction de places prévue. Au contraire, il y a une augmentation du budget de l'hébergement d'urgence. Il y a 135 000 places d'hébergement d'urgence que l'on finance, soit 5 000 places de plus que l'année dernière. Dans le cadre du plan hivernal, on va monter jusqu'à 14 000 places en plus, en fonction des températures et des besoins. Nous souhaitons mettre en oeuvre une politique la plus anticipée et la plus égalitaire possible. À titre d'exemple, il faut arrêter en Ile-de-France de loger toutes les personnes qui sont sans domicile fixe en Seine-Saint-Denis, il faut aussi en loger au coeur de Paris. C'est la raison pour laquelle nous avons identifié, avec tous les ministères - je pense à un site du ministère de la Défense - des centres que l'État peut réquisitionner et qui lui permettront d'ouvrir un nombre important de places.

Vous avez été plusieurs à mentionner les CHRS. Aujourd'hui, on a des CHRS qui font, à mes yeux, le travail le plus important : l'accompagnement. Dès que vous parlez de personnes sans abri, cet accompagnement est essentiel. Or, on a des centres dont les coûts de gestion sont très différents, pouvant aller du simple au double. On a donc fixé une cible. On a fait des économies de 20 millions d'euros et on projette une économie de 13 millions dans le budget pour 2019. Il s'avère qu'en faisant cette opération, on a mis en difficulté un certain nombre de CHRS, notamment ceux dont l'accompagnement représente une part importante de leur travail. J'ai pris l'engagement, dans le cadre du plan pauvreté, de dédier une partie des crédits pour accompagner les CHRS qui font cet accompagnement spécifique en direction des femmes isolées et des familles.

Vous avez évoqué, Madame le rapporteur, les contributions des bailleurs sociaux aux politiques publiques. Vous avez raison. Vous m'interrogez sur le rendement de l'augmentation de la TVA. Je ne le connais pas. Intuitivement, je pense qu'il sera un peu supérieur à 800 millions d'euros. Je vous donnerai le chiffre en toute transparence. Beaucoup de bailleurs sociaux sont inquiets pour 2020, car il n'y a plus ce système de TVA et que l'économie liée à la RLS double. Je me suis engagé à faire un point de revoyure avec les bailleurs sociaux afin de déterminer les voies et moyens pour atteindre cet effort, tout en étant compatible avec leurs possibilités. En outre, je souhaite mettre carte sur table et regarder si les mesures de soutien de la Caisse des dépôts et consignations sont ou non suffisantes. Si l'on constate qu'elles ne sont pas suffisantes, il faudra trouver d'autres solutions. Ces mesures de soutien sont à la fois de l'aide à la construction, la limitation de la hausse du taux du livret A. Elles permettent de diminuer les coûts de financement. Les travaux ont été lancés pour cette revoyure. Des réunions techniques ont eu lieu. J'ai trois réunions prévues avec les bailleurs sociaux en décembre, janvier et février, pour une conclusion au mois de février. L'objectif est de déterminer si des mesures correctives sont nécessaires.

Nous avons fixé des objectifs ambitieux à l'ANAH et elle dispose pour cela de moyens très conséquents : 110 millions d'euros dans le cadre du grand plan d'investissement, ainsi que les ressources issues des quotas carbone. J'étais avec les 400 représentants de l'ANAH en région la semaine dernière. On leur a fixé deux objectifs principaux : faire 50 % de plus sur le programme « Habiter mieux », et passer de 50 000 logements à 75 000 logements ; et faire 100 % de plus sur les logements dits adaptés : 15 000 sont faits cette année ; on vise en 2019 l'adaptation de 30 000 logements à la perte d'autonomie.

Aujourd'hui, les financements que l'on a dédiés à l'ANAH permettent d'atteindre les objectifs. La présidente de l'ANAH a d'ailleurs reconnu qu'un réel effort budgétaire avait été fait. Vous êtes plusieurs à avoir posé la question du financement via les quotas carbone. En fait, la visibilité des financements de l'ANAH est beaucoup plus assurée par d'autres mécanismes que par le mécanisme des quotas carbone. Si cette année les quotas sont hauts, je rappelle que pendant de nombreuses années ces quotas étaient en chute libre. Les crédits de l'ANAH étaient alors en grande difficulté. C'est la raison pour laquelle un financement diversifié est nécessaire. Nous avons plafonné le financement de l'ANAH par les quotas carbone. Pour 2019, on va atteindre le plafond, et c'est ce dont l'ANAH a besoin pour fonctionner. Cette année l'ANAH a atteint son taquet, et il s'avère que l'on a mis plus de 200 millions d'euros en réserve, qui vont permettre de financer en partie le plan copropriété. Les ressources de l'ANAH sont prévues de telle façon qu'elles lui permettent d'atteindre des objectifs ambitieux. Le fait de permettre un financement par la taxe sur les logements vacants, et pas seulement par les quotas carbone, est un gage de lisibilité des financements sur la durée pour l'ANAH.

Vous m'interrogez, Madame le rapporteur, sur les suites données après le drame de Marseille. Je l'ai redit à M. Gaudin tout à l'heure, l'État est là pour accompagner la collectivité. Je n'ai pas attendu ce drame pour porter cette politique publique de lutte contre l'habitat indigne et insalubre. L'État a fait « une offre de services » à la collectivité, pour lui apporter tout le soutien dont elle a besoin pour lutter avec efficacité contre les immeubles en péril. Très concrètement, cela signifie apporter un soutien en termes d'ingénieurs. Nous disposons en effet au ministère d'équipes très compétentes. Je pense au centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Il s'agit de mettre en oeuvre tous les nouveaux outils apportés par le plan relatif aux copropriétés dégradées ou par les dispositions de la loi ELAN pour accélérer les procédures et la lutte contre les marchands de sommeil. Il faut faire en sorte que, localement, les actions des services de l'État, des services de la municipalité, parfois du pouvoir judiciaire et du procureur de la République puissent s'accélérer sur le terrain. Vous avez raison de pointer la longueur de ces dernières. C'est la raison pour laquelle nous proposons l'aide des équipes du CSTB en appui de la collectivité. En outre, des moyens importants ont été dédiés, via l'ANAH, à la rénovation. Il y a quelques grandes copropriétés sur le territoire qui sont concernées : Marseille, Grigny, ou encore Mulhouse, où ce matin je mettais en oeuvre cette politique publique de lutte contre les copropriétés dégradées. Nous souhaitons ainsi accélérer cette politique publique, par des actions fortes, dans le plein respect des prérogatives de chacun, et avec un État qui est là pour accompagner la collectivité dans l'identification des copropriétés et la mise en oeuvre de leur résorption.

Sur le dispositif de rénovation de l'habitat dégradé, vous m'avez interrogé sur les personnes concernées par ce dispositif et notamment sur le zonage. On sait qu'un certain nombre de bâtiments dégradés doivent être rénovés. L'une des manières de le faire est d'inciter des investisseurs privés à acheter un logement et le louer ensuite - c'est la façon dont fonctionne le dispositif dit Pinel pour le logement neuf. Les zones concernées sont évidemment celles où l'habitat est dégradé. La question était alors de savoir si on prenait l'intégralité et uniquement les zones C et B2, avec les problèmes de zonage que j'évoquais précédemment, ou si l'on essayait de trouver une solution plus intelligente en se basant sur les besoins locaux. Nous avons décidé de suivre cette deuxième voie. Comme je l'ai déjà dit, il est impossible de faire une politique du logement en se fondant uniquement sur le zonage. On a indiqué qu'il s'agissait à minima des 222 communes du projet « Action coeur de ville », car elles ont déjà fait l'objet d'une identification. Deuxièmement peuvent également être éligibles toutes les villes qui bénéficieront d'ORT. Aujourd'hui, n'importe quelle ville peut le faire. Nous avons beaucoup débattu sur ce point dans le cadre de la loi ELAN. Demain, dans toute ville bénéficiant d'un dispositif d'ORT, les propriétaires de logements anciens pourront bénéficier de ce dispositif de réhabilitation. Dans certains territoires le marché locatif est tel que si vous incitez à ces réhabilitations, vous aurez des investisseurs, mais ces derniers ne trouveront ensuite pas de locataire ; et tout le monde est perdant. En revanche, lorsqu'il y a un projet de territoire et que des élus locaux pensent que cela va fonctionner dans leur territoire, à ce moment-là, on met en place une ORT, et de facto le dispositif de réhabilitation sera possible sur ce territoire. Enfin, pour être éligibles au dispositif, les travaux doivent représenter 25 % de la somme totale, acquisition plus travaux. Ce dispositif ne concerne que les acquisitions. Les réhabilitations sans acquisition se font par le programme « Habiter mieux ».

Comme le dispositif dit Pinel aujourd'hui, les loyers sont capés. Lorsque vous vous engagez à louer pendant six ans en respectant un loyer maximum, vous avez droit à 12 % de réduction d'impôt sur le montant du loyer recouvré, et lorsque vous vous engagez sur 9 ans, le pourcentage de réduction d'impôt est de 18 %.

En ce qui concerne l'APL-accession, ce dispositif a été réintroduit dans son volet rénovation, à la fois sur les territoires ultramarins, mais aussi sur certaines parties du territoire métropolitain. Cette aide a été réintroduite pour l'outre-mer, car l'APL-accession est liée dans tous les territoires ultramarins à la lutte contre le logement insalubre. On propose ainsi de réintroduire, pour une somme totale de 17 millions d'euros, cette aide qu'on pourrait appeler APL de rénovation.

Les adultes-relais ont été évoqués. Nous avons sur ce point deux objectifs. Le premier est de répondre aux besoins des associations de petite taille. S'il ne faut pas tomber dans une logique de multiplication des associations, je suis persuadé que trop souvent nos politiques publiques se sont tournées vers les associations de grande taille, alors qu'il existe beaucoup d'associations de petite taille qui sont de véritables relais. Je me suis rendu à Garges-lès-Gonesse et j'ai été très surpris de constater que les associations les plus sollicitées par les familles étaient des associations qui étaient en fait inconnues de mes services. Ce sont souvent des associations nouvelles, avec des personnes jeunes, et beaucoup de bénévoles. Il n'y a pas beaucoup de personnes à temps plein, et donc il faut les accompagner. Je souhaite que les associations de petite taille puissent plus facilement bénéficier des postes d'adultes-relais, sachant que l'État intervient à hauteur de 18 000 euros par an - charge ensuite à ceux qui le souhaitent, collectivités ou associations, de compléter le dispositif.

Vous m'interrogez ensuite sur la complémentarité entre les programmes de réussite éducative et les cités éducatives. Ces dernières vont englober les programmes de réussite éducative. Ces cités fonctionnent déjà sur certains territoires, comme à Grigny où un projet analogue a déjà été mis en place. L'idée est que le projet éducatif ne s'arrête pas aux murs de l'école, mais qu'il doit comporter un volet culturel, un volet sportif, un volet parentalité. Pour le projet éducatif, nous avons ainsi besoin de mettre tout le monde autour de la table : le monde de l'enseignement, mais aussi les associations et les élus locaux. En s'inspirant de ce qui a été mis en place à Grigny et en le complétant, nous avons annoncé à Nîmes avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation, la semaine dernière la mise en place de ce dispositif. L'objectif est de créer plusieurs dizaines de cités éducatives. Il s'agissait d'ailleurs d'une des recommandations de Jean-Louis Borloo dans son rapport. Les financements seront augmentés à hauteur de 20 millions d'euros.

Vous êtes plusieurs à avoir évoqué les emplois francs. Ces derniers ne fonctionnent pas aujourd'hui aussi bien que nous l'espérions. C'est la raison pour laquelle, avec la ministre du Travail, nous avons envoyé une circulaire, il y a quelques jours à peine, à tous les préfets pour les relancer. Les emplois francs présentent en effet l'immense avantage d'être pour la plupart des CDI. En outre, les employeurs reçoivent trois fois une aide de 5 000 euros dès qu'ils embauchent en CDI un jeune venant d'un des quartiers concernés. Aujourd'hui, il y a sept territoires qui expérimentent ce dispositif. Nous nous intéressons de près à ce dossier. Je pense que cela passe beaucoup par les relations entre d'un côté Pôle Emploi et de l'autre les entreprises, les jeunes en question et les associations d'inclusion. Les missions locales, en fonction des quartiers, peuvent également intervenir.

Les contrats aidés ont-ils été suffisamment soutenus dans les quartiers prioritaires de la ville ? Je dirai que cela dépend des territoires. Dans certains départements, le soutien a été important, et dans d'autres moindre. Nous n'arrêtons pas les contrats aidés, mais on les diminue pour les concentrer sur les territoires les plus ruraux, sur les territoires ultramarins et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Je ne cherche pas à me cacher derrière mon petit doigt. La difficulté réside dans les clauses d'accompagnement en termes de formation professionnelle. Dans les faits, la quotité de financement diminue. Mais on a donné la possibilité aux préfets d'être plus ou moins souples sur ce point. Vous le savez, sur certains territoires, cela fonctionne très bien, tandis que sur d'autres territoires, c'est plus compliqué.

Enfin, vous m'interrogez sur l'implication et l'impact que pourrait avoir l'ANCT qui intègre l'EPARECA vis-à-vis de l'ANRU. Objectivement, je ne pense pas qu'il y aura des conséquences négatives. L'ANCT est conçue pour apporter une aide aux élus locaux, en fonction de leurs besoins et en se fondant sur leurs projets. Le lien entre l'EPARECA et l'ANRU sera identique, mais s'inscrira dans une approche de réponse aux élus locaux et de mobilisation autour d'un projet.

Vous évoquez la question extrêmement importante des contrats de ville. Effectivement, ces derniers doivent aujourd'hui s'arrêter en 2020. J'ai la conviction qu'il faut les prolonger jusqu'en 2022. J'ai consulté beaucoup d'associations d'élus, et ce sentiment est partagé. Il me paraît en effet étrange que le projet de ville soit figé juste avant les élections municipales. Je trouverai logique que les équipes municipales nouvellement élues définissent le contrat de ville sur lequel l'État et les équipes de la commune concernée vont s'engager. En outre, on va revoir et compléter ces contrats de ville au regard des priorités de la politique de la ville, des moyens supplémentaires dégagés et des grands axes d'action annoncés en juillet dernier. Certaines communes ou agglomérations - plus de 80 - ont signé le pacte de Dijon. Elles s'engagent par ce pacte dans une dynamique nouvelle sur la politique de la ville. Nous souhaitons courant 2019 étayer les contrats de ville au regard des nouveaux engagements de l'État sur la politique de la ville et les proroger jusqu'en 2022. Les nouveaux contrats de ville seront conclus.

Y a-t-il une nécessité d'avoir un plan d'urgence sur la politique de la ville ? Je pense sincèrement que celui-ci sera nécessaire tant que les fractures territoriales que l'on connaît aujourd'hui perdurent. Vous êtes beaucoup à les constater au quotidien. En tant que père de quatre enfants, je suis sensible aux interpellations sur l'absence de pédiatre dans certains territoires - qu'ils soient ruraux ou dans certains quartiers de ville. Ce plan d'urgence a été annoncé en juillet dernier. Désormais, il est essentiel de le mettre en oeuvre.

Monsieur le sénateur Morisset, vous saluez la sincérité budgétaire du programme 177. Je vous en remercie, car nous avons fait un vrai effort de sincérité budgétaire, avec notamment la bascule d'une partie du programme 177 vers le programme 303. C'était essentiel, car ces missions bien que différentes étaient entremêlées. Aujourd'hui, dans les centres d'hébergement d'urgence, il y a bien évidemment des demandeurs d'asile ou des personnes dites migrantes. Notre effort a été de sincériser ces comptes, avec un transfert d'un certain nombre de centres gérés dans les faits par le programme 303, et pas par le programme 177. Faut-il aller plus loin ? Nous avons déjà fait un premier pas important.

Vous avez raison, la nuitée d'hôtel - et je ne porte pas de jugement sur le travail de mes prédécesseurs, - a été un moyen de répondre à l'urgence. Mais, je constate que dans ces hôtels, certaines familles résident depuis 6, 8 voire 10 ans. Le vrai sujet est de les en faire sortir. Pour cela, j'ai annoncé il y a quelques jours un plan de 5 millions d'euros pour faire de l'accompagnement dans la sortie d'hôtel. C'est un plan nouveau que nous sommes en train de définir avec les associations et les collectivités. Il est essentiel de lancer cette dynamique. En effet, certaines personnes sont depuis longtemps dans ces hôtels, sans aucune perspective d'en sortir.

En ce qui concerne la fragilisation des CHRS, j'ai conscience de ce problème. Une partie du plan pauvreté sera dédiée à cette question. En matière d'intermédiations locatives et de pensions de famille, nous avons pris des engagements très forts : 40 000 intermédiations locatives, 10 000 pensions de famille, que nous avons réparties région par région, avec des objectifs clairs. Nous faisons également un travail important et parfois compliqué avec les associations : il faut à la fois trouver les financements et les lieux - et c'est de la responsabilité des collectivités locales -, et permettre aux opérateurs de gérer autant d'intermédiations locatives ou de pensions de famille que l'on souhaite. Nous voulons faire en sorte que celles et ceux qui peuvent en gérer plus puissent le faire. En matière d'intermédiations locatives, j'appelle tous les propriétaires - j'ai écrit des tribunes, nous avons financé des campagnes d'information en ce sens - à se manifester. Il y a aujourd'hui en France un fléau des logements vacants. Officiellement, des chiffres de millions de logements vacants circulent. Ils ne veulent rien dire car ils intègrent également les logements en vente. Ce qui est sûr c'est que sur le territoire, il y a dans les zones tendues des centaines de logements vacants, car pendant des années on a opposé propriétaires et locataires. Certains journaux adorent faire leurs grands titres sur les propriétaires nantis, tandis que d'autres font leurs unes en expliquant qu'un locataire aurait comme principal hobby de dégrader le bien du propriétaire. Nous avons pour objectif de renouer la confiance entre locataires et propriétaires. Quand vous êtes un propriétaire et que vous n'avez pas confiance dans votre locataire, je me dis que si vous êtes un propriétaire citoyen, vous êtes invité à donner les clés de votre appartement à une association, car avec l'intermédiation locative vous avez une assurance de loyers - en outre ce loyer est défiscalisé, - une assurance de remise en état du bien et la même protection que celle dont bénéficient les baux classiques relevant de la loi de 1989. Il n'y a donc aucune raison de laisser le logement vacant. Si on arrive à convaincre un certain nombre de propriétaires de remettre leurs biens sur le marché, cela représentera une avancée majeure pour la politique du logement.

Mme Annie Guillemot, rapporteure. - il faut l'enlever de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI).

M. Julien Denormandie, ministre. - Je pense qu'une personne propriétaire d'un logement vacant et payant l'IFI et qui refuse de le mettre en location pour cette raison n'a pas un raisonnement économique qui tient la route. En effet, la rentabilité de son investissement est nulle, car il ne profite même pas de la location du bien en question.

Vous avez également évoqué l'accompagnement. Nous renforçons les maraudes - 5 millions d'euros supplémentaires. En outre, comme je l'ai indiqué, nous renforçons l'accompagnement à la sortie de l'hôtel.

En ce qui concerne la délégation des crédits aux associations, nous devons faire mieux. Je vais vous raconter une anecdote. Il y a un mois, mes services sont venus me voir et se sont félicités du niveau historiquement haut des crédits alloués aux associations - les deux tiers ont été distribués. C'est à la fois une avancée, car un véritable effort a été fait, mais, en même temps, lorsque vous êtes une association et que vous obtenez vos crédits seulement en fin d'année, il est très difficile de mener vos projets.

Parmi 125 millions d'euros du plan pauvreté, 20 millions d'euros seront consacrés aux CHRS et à la sortie des hôtels.

Vous m'interrogez sur l'atteinte de l'objectif de 40 000 PLAI en 2019. Nous ne connaissons les engagements en PLAI qu'en fin d'année. Je ne sais pas si on atteindra cet objectif. Mais là où il y a des baisses de logements sociaux, nous arrivons à maintenir le nombre de PLAI. Je suis donc plutôt confiant sur ce point. Toutefois, cela ne veut pas dire que ce sera la même chose sur les PLUS (Prêt Locatif à Usage Social) et les PLS (prêt locatif social).

Le PTZ n'est pas concentré sur les zones urbaines. Je souhaite insister sur ce point. Tel qu'il a été voté, il a été reconduit pour 4 ans dans l'ancien dans les zones B2 et C et pour 2 ans pour les logements neufs dans les zones B2 et C.

En matière de réforme de la taxe d'habitation, le fondement est la confiance entre le Parlement et le Gouvernement, entre les élus locaux et l'exécutif. J'étais au premier jour de la décision sur la taxe d'habitation. Je me souviens des discussions que nous avions à l'époque avec Jacques Mézard et Gérard Collomb, en disant à Emmanuel Macron, alors candidat à l'élection présidentielle, que la réforme de la taxe d'habitation ne se ferait que s'il s'agit d'un dégrèvement et non d'une compensation. En outre, ce dégrèvement doit être intégral pour les élus locaux. Aujourd'hui, beaucoup d'élus locaux doutent de cet engagement. L'engagement de l'État est total pour faire en sorte que ce dégrèvement de la taxe d'habitation soit total. J'entends les inquiétudes. On peut nous reprocher beaucoup de choses, mais généralement, on a toujours fait ce qu'on a dit que l'on allait faire. Il s'agira d'un dégrèvement, contrairement à une compensation.

Mme Sophie Primas, présidente. - Mais le dégrèvement ne durera pas. Un dégrèvement signifie en effet que les compensations de l'État vont progresser chaque année en fonction des bases et des taux. Je crois en votre sincérité, mais on connaît tous Bercy. Les dégrèvements deviennent des dotations et les dotations sont ensuite diminuées.

M. Julien Denormandie, ministre. - L'engagement de l'État est un dégrèvement entièrement compensé. Je suis persuadé qu'un certain nombre d'élus locaux hésitent à signer un certain nombre de permis, en raison de l'absence de visibilité sur la taxe d'habitation.

Aujourd'hui, il y a un engagement du Gouvernement, du Président de la République de faire ce dégrèvement intégral. Je vous mets au défi de trouver une déclaration allant dans le sens inverse. Nous avons parlé de dégrèvement dès la campagne présidentielle. Dans le cadre de la refonte de la fiscalité locale, vous aurez la possibilité de discuter dans le cadre du collectif budgétaire qui vous sera présenté au premier semestre 2019.

Vous évoquiez également les sujets sur le dispositif de rénovation dans l'ancien. J'ai répondu sur les villes, la part de défiscalisation possible - 25 %. Je rappelle que cela ne concerne pas que les villes du plan « Action coeur de ville », mais aussi toutes les villes bénéficiant d'une ORT.

Vous m'interrogez sur les politiques relatives aux centres bourgs. Il y a eu - et j'en prends ma part de responsabilité, car nous n'avons pas fait assez de pédagogie - le sentiment que, parce que l'on faisait une action coeur de ville sur 222 villes, on abandonnait les centres bourgs. Il n'en est rien. Je vous invite à regarder la loi ELAN. Les dispositions relatives aux ORT s'appliquent sur l'ensemble du territoire, et certaines seront plus utiles pour les centres bourgs que pour les villes moyennes.

En ce qui concerne les résidences secondaires, il s'agit d'un sujet très compliqué : en effet, nous n'avons pas encore trouvé la bonne solution. Chamonix, mais également d'autres villes, sont pleinement frappées par ce sujet. En effet, souvent le choix a été fait d'augmenter les taxes d'habitation sur la résidence secondaire, afin que cela soit plus simple d'avoir des résidences principales ; ou alors il a été décidé de réserver des emplacements uniquement pour les résidences principales. Or, la difficulté est que l'on peut passer très rapidement du statut de résidence secondaire à celui de résidence principale : il suffit d'y domicilier quelqu'un. Nous devons continuer à travailler sur ce sujet.

Le modèle du logement social à la française a été évoqué. Je suis ravi d'entendre les propos d'Angela Merkel ou de Theresa May qui montrent que le modèle du logement aidé social à la française est le bon. Je suis parfois étonné que certains d'entre vous soulignent les six milliards d'euros que Mme Merkel mettrait à disposition sur plusieurs années en faveur du logement social. Je souhaite mettre ce montant au regard des politiques publiques que j'ai mises en place avec Jacques Mézard puis Jacqueline Gourault, qui représentent au final 28 milliards d'euros. En outre, l'un des principaux gestionnaires de logements sociaux en Allemagne est coté en bourse. J'entends des voix louant le modèle du logement social à l'allemande. Pendant la loi ELAN, je me suis opposé à tous les amendements qui visaient à changer le statut des bailleurs sociaux. Il y avait des amendements - plus à l'Assemblée nationale qu'au Sénat d'ailleurs - qui visaient à le faire. Pour moi, il est essentiel que la rémunération du capital soit capée, pour que l'argent du logement social reste dans le logement social. En outre, il est nécessaire d'améliorer les conditions de financement des bailleurs sociaux, notamment dans une période où on leur a demandé un véritable effort. Enfin, dans le cadre de la loi ELAN, vous avez voté la possibilité pour les bailleurs sociaux d'intervenir dans des périmètres d'action plus larges. C'était une demande de longue date de leur part. Cette réforme s'est faite dans un contexte difficile, car l'effort demandé aux bailleurs sociaux pour mener une réforme des APL sans impacter les locataires est significatif.

Sur la question du zonage, je souhaite que nous arrivions à faire une expérimentation sur un premier territoire, pour voir ce qu'il est possible de faire en termes de politique du logement territorialisé, de manière plus habile que ce qui existe aujourd'hui.

Aujourd'hui, lorsque vous calculez vos allocations logement, les données dont dispose la CNAF datent de deux ans. Dans le cadre de la réforme de l'administration et de la mise en place de la déclaration sociale nominative, nous souhaitons avoir des données plus actualisées. Comment faire pour octroyer le bon montant des allocations en fonction des besoins ? Jusqu'à présent, on prenait les revenus d'il y a deux ans ; parfois - mais pas toujours - on y intégrait des éléments correctifs. Ainsi, une femme avec deux enfants qui travaillait il y a deux ans à temps plein, mais qui était passée depuis à un temps partiel voyait son montant d'APL calculé en fonction d'un temps plein. Il en était de même dans le cas inverse. La contemporanéité est avant tout une réforme compliquée à mettre en oeuvre techniquement, mais qui va dans le sens de l'histoire. Personne ne peut comprendre que le calcul des allocations se fonde sur des données d'il y a deux ans. Le chiffrage de l'économie réalisée ne vient pas de moi, mais de la CNAF. Je souhaite insister sur le fait qu'en période de croissance - je schématise, même si derrière cette simplification il y a six millions d'hommes et de femmes, avec autant de cas de figures différents -, il y a une augmentation de la création de richesses et un chômage qui diminue. De facto, plus de personnes sortent du dispositif que de personnes qui y rentrent. Vous faites donc des économies. En outre, vous n'avez plus à gérer les indus. Inversement, si demain on se retrouve dans une situation économique qui se dégrade, la contemporanéité entraînera une augmentation de la dépense. Cette variation fonctionne dans les deux sens. Ainsi, si comme en 2008, on connaît un retournement de cycle économique, le nombre de personnes aidées augmentera. Ce sont des politiques publiques compliquées à mettre en oeuvre, car derrière ces volontés de réforme, il y a des millions de personnes. Il faut donc être sûr qu'il n'y ait aucun problème sur les bases de données le jour de la bascule.

C'est par souci des familles que nous avons mené cette politique sur la taxe d'habitation. Il s'agissait de mettre fin à cet impôt injuste.

La fiscalisation des assurances emprunteurs doit permettre de compenser les pertes que connaît Action Logement, estimées à 300 millions d'euros.

En ce qui concerne le FNAP, je tiens à rappeler que la présidence n'est pas déterminée par l'État, mais par des associations d'élus. Un délai d'un an a été nécessaire pour obtenir un nouveau président. Je ne peux pas être responsable de tout.

M. Calvet, vous souhaitez qu'une réglementation soit faite pour que tout immeuble n'ayant pas de fondations fasse l'objet de travaux. Je ne suis pas favorable à l'ajout de normes, sauf des normes de sécurité. La question doit être réglée au cas par cas. Lorsqu'il n'y a pas de fondation, mais que vous êtes sur un terrain ne connaissant pas de problème de structure, cela n'est pas embêtant. En revanche, si ce problème existe dans un terrain meuble ou qui est assujetti à de grandes inondations, cela devient compliqué.

En matière de logements insalubres, notre politique n'est pas uniquement concentrée sur Marseille. D'autres territoires appellent toute mon attention. Il faut effectivement accélérer les procédures judiciaires.

Mme Létard, j'ai répondu à vos questions sur la sécurisation des financements de l'ANAH. Les financements tels qu'on les a définis, apparaissent à la présidente de l'ANAH comme bien calibrés et capables de financer le programme ambitieux qu'on leur a fixé.

Vous avez eu l'occasion de discuter des relations entre l'ANCT, l'ANRU et l'ANAH, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi sur ce sujet adoptée la semaine dernière. L'idée est que l'ANCT soit une structure de projets et non pas de procédures, au bénéfice des élus locaux. Lorsque ces derniers auront besoin de l'aide de l'ANRU ou de l'ANAH, ils pourront passer par l'ANCT pour pouvoir en disposer. Il y aura donc une contractualisation du modus operandi entre l'ANCT, l'ANRU et l'ANAH, comme il en existe dans d'autres domaines.

Dans la loi ELAN, nous avons pris des mesures vis-à-vis des copropriétés dégradées. Aujourd'hui, il faut les mettre en oeuvre. Cela nécessite une implication de tous, y compris de la justice. Je voyais Madame la Garde des Sceaux en ce début de semaine sur ce sujet.

Enfin, il faut examiner la question des personnes bénéficiant de la RLS qui ne bénéficient pas des APL. Cela sera un des sujets du point de revoyure sur lequel nous travaillons aujourd'hui. Il doit se terminer en février.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie Monsieur le Ministre pour vos réponses. Nous aurons des sujets de discussion dans l'hémicycle sur des points budgétaires pour lesquels nos craintes ne sont peut-être pas tout à fait dissipées.

La réunion est close à 20 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 14 novembre 2018

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Économie » - Examen du rapport pour avis

Mme Sophie Primas, présidente. - Sur la mission « Économie », nous écoutons successivement nos trois rapporteurs pour avis Élisabeth Lamure, Anne-Catherine Loisier et Martial Bourquin.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - Selon les documents budgétaires, la mission « Économie » affiche, à périmètre constant, un montant de crédits de paiement en augmentation cette année de 6,09 % par rapport à 2018, mais cela n'est dû qu'aux crédits déployés pour la mise en oeuvre des réseaux d'initiative publique, dans le cadre du programme « France très haut débit ». Si l'on excepte cet effort ponctuel - effectivement important - le reste des crédits baisse de 7,3 %, à la faveur, comme l'indiquent pudiquement les documents budgétaires, « d'une rationalisation des aides aux entreprises ». Comme c'est bien dit ! Ce mouvement s'accompagne d'une baisse du plafond d'emplois de 325 équivalents temps plein travaillé (ETPT), pour s'établir à 11 693 ETPT pour 2019.

Par rapport à l'année passée, le suivi budgétaire du programme 134 « Développement des entreprises et régulation » est d'ailleurs rendu très malaisé par le regroupement de diverses actions. L'administration explique cette évolution par un souci de lisibilité et de rationalisation de présentation, compte tenu notamment de la faible dotation de certaines actions. Au total, le programme connaît une baisse de 13,2 % de ses autorisations d'engagement, et de 7,8 % de ses crédits de paiement. Mais, si elles avaient été conservées, ces actions auraient montré une baisse considérable du montant de leurs autorisations d'engagement depuis 2013 : - 86 % pour l'action n° 2 « Commerce, artisanat, services », -76 % pour l'action n° 3 « Entreprises industrielles » et - 90 % pour l'action n° 21 « Tourisme »...

Au final, le budget de la mission - et plus particulièrement son programme 134 - témoigne, incontestablement, d'un désengagement financier de l'État dans son rôle d'appui aux acteurs économiques, sur lequel je reviendrai. Je souligne néanmoins dès maintenant qu'il est concomitant au désengagement forcé d'autres acteurs de l'accompagnement des entreprises que sont les chambres de commerce et d'industrie (CCI), auxquelles est assignée une nouvelle trajectoire de baisse 400 millions d'euros sur quatre ans, alors que le montant de la taxe affecté a diminué de 46 % depuis 2012 et que l'an dernier, après une nouvelle baisse de 150 millions d'euros, le Gouvernement s'était engagé à garantir la stabilité des ressources des CCI en 2019-2022... C'est une promesse non tenue. Il est certes indispensable que le réseau consulaire évolue, mais il faut lui laisser le temps de se réorganiser. Or, cette trajectoire financière n'est pas compatible avec cette réorganisation : une baisse de 100 millions d'euros implique en effet des suppressions d'emplois à hauteur de 1 000 ETPT qui, elles-mêmes, génèrent 100 millions d'indemnités qui devront être intégralement prises en charge par les CCI... En outre, elle remet en cause les projets très pertinents, et pourtant soutenus par l'État, en matière d'appui à l'export et de mutualisation avec Business France. Faut-il penser que l'objectif du Gouvernement est purement et simplement de faire disparaître le réseau ?

J'entends déposer un amendement à titre personnel, puisqu'il s'agit d'une disposition relevant de la première partie du PLF - mais vos signatures restent bienvenues - établissant un moratoire d'un an sur la baisse annoncée du plafond de la taxe pour frais de chambre.

Au total, les dépenses d'intervention du programme 134 s'élèvent à 289,3 millions d'euros en crédits de paiement et 278,7 millions en autorisations d'engagement, soit une baisse respective de 17,8 % et 21,2 %. Ces dépenses sont concentrées sur deux mesures qui représentent à elles seules 72 % du total : la compensation au titre de la mission de service public de transport postal pour 103,8 millions d'euros et la compensation carbone au profit des entreprises électro-intensives pour 106,7 millions d'euros.

Les autres dépenses sont très émiettées et diverses : 6,1 millions d'euros pour le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), 7,6 millions pour l'Association française de normalisation (Afnor), 8,9 millions pour les centres techniques industriels, 14 millions pour les pôles de compétitivité, 8,3 millions pour des actions en faveur du numérique...

Le programme 220 « Statistiques et études économiques », qui assure le financement exclusif de l'Insee, voit ses autorisations d'engagement baisser de 4,3 % et ses crédits de paiement de 2,7 %. Les crédits du programme 305 « Stratégie économique et fiscale » baissent de 2 % en crédits de paiements et en autorisations d'engagement. Enfin, le programme temporaire 343 « Plan France très haut débit » dispose pour la première fois de crédits de paiement à hauteur de 175,8 millions d'euros, ce qui permet de financer effectivement les réseaux d'initiative publique déjà validés, mais les autorisations d'engagement tombent à 5 millions d'euros.

J'en viens maintenant à l'examen de trois points particuliers. Après des années de baisse, le projet de loi pour 2019 sonne le glas du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), placé en « gestion extinctive ». Ce fonds serait uniquement doté de crédits de paiement pour un montant de 6,10 millions d'euros, cette somme ayant pour seule ambition d'assurer le paiement d'opérations territoriales ayant fait déjà l'objet de décisions d'octroi de subvention. Mais il n'y aura pas de financement de nouveaux projets en 2019.

Cette extinction est d'autant moins compréhensible qu'elle intervient alors que le Gouvernement a diffusé le 30 mai 2018 un nouvel appel à projets pour bénéficier des sommes du fonds et qu'il présentait jusqu'alors le Fisac comme l'un des instruments financiers au soutien de son plan « Action coeur de ville ».

Certes, en 2019, des crédits non utilisés, initialement affectés à d'anciennes opérations dont le financement s'est finalement avéré moins élevé que prévu, seront mobilisés, ce qui fait qu'au total, les montants réellement disponibles en 2019 pour financer les actions engagées préalablement devraient être de l'ordre de 16 à 18 millions d'euros.

Mais cet arrêt définitif du Fisac est d'autant moins acceptable que le Sénat avait au contraire souhaité en faire l'un des éléments de la reconquête commerciale des centres villes. La proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres villes et centres bourgs, adoptée le 14 juin dernier - à l'unanimité - prévoyait en effet d'élargir l'objet du fonds tout en fléchant prioritairement ses crédits vers les communes ayant adhéré à une opération de revitalisation locale.

Certes, la compétence économique des régions fait de ces dernières les premiers acteurs du développement local et, le cas échéant, de la redynamisation artisanale ou commerciale. Mais l'État ne doit pas pour autant se priver d'un outil d'intervention qui peut permettre d'assurer des aides ponctuelles et ciblées dans un objectif de complémentarité, voire de rééquilibrage, d'une action locale défaillante faute de crédits disponibles.

Lors de leur audition, les représentants de la direction générale des entreprises ont soutenu que l'extinction du Fisac ne remettrait pas en cause le bon achèvement du plan « Action coeur de ville », qui compte 5 milliards d'euros mobilisés sur 5 ans. C'est évident. Cependant, par nature, l'opération « Action coeur de ville » ne bénéficiera pas à l'ensemble des villes moyennes ni surtout aux centres bourgs qui peuvent être dans une situation de dévitalisation commerciale avancée.

C'est donc pour ces territoires fragiles, où le maintien parfois d'un unique commerce permet d'assurer l'animation du bourg ou du village, que le Fisac s'avère un instrument essentiel. Il est d'autant plus important qu'il puisse être maintenu qu'il n'est pas acquis que les collectivités territoriales concernées puissent compenser la suppression des crédits de ce fonds par une augmentation à due concurrence de leurs propres subventions.

Dans ces conditions, je vous proposerai un amendement afin d'ouvrir des crédits d'engagement pour 2019, destiné à assurer la pérennité du Fisac en le dotant de 30 millions d'euros, tant en crédits de paiement qu'en autorisation d'engagement - amendement identique à celui que la commission des finances a adopté la semaine dernière. Il prélève les sommes nécessaires à égalité sur les programmes 220 « Statistiques et études économiques » et 305 « Stratégie économique et fiscale », en fléchant 5 millions d'euros pour les petites stations-services.

M. Martial Bourquin. - Très bien !

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - Deuxième point, l'évolution des missions économiques des directions régionales des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). Le projet annuel de performance indique que leurs « missions de développement économique seront recentrées en 2019 sur un nombre plus ciblé de priorités, en cohérence avec les compétences exercées par les régions. » Il s'agirait de : l'accompagnement des difficultés des entreprises ; l'accompagnement des filières stratégiques, notamment dans la mise en oeuvre des contrats de filière ; la participation à la politique d'innovation par le suivi en particulier des pôles de compétitivités, des sociétés d'accélération de transfert de technologie (SATT) et des instituts de recherche technologique (IRT) ; l'information stratégique et la sécurité économique ; et la médiation aux entreprises et l'information sur l'investissement.

Le personnel des Direccte affecté aux missions économiques devrait donc être considérablement réduit. Lors de son audition, Bruno Le Maire a ainsi évoqué une baisse des effectifs du ministère dans ces directions régionales de 400 ETPT à 120 ETPT, pour parvenir ainsi à une dizaine d'ETPT par région seulement.

Une évolution du rôle économique des Direccte est effectivement devenue nécessaire du fait de trois évolutions récentes majeures : la montée en puissance de la compétence économique des régions, matérialisée par l'édiction des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), le rôle joué par les opérateurs spécialisés de l'État, à commencer par Bpifrance et Business France, et la forte baisse au cours des dernières années des moyens humains et financiers de l'État dans les territoires.

Pour autant, il est important que cette évolution n'aboutisse pas à un abandon pur et simple de toute action micro-économique de la part de l'État ; il faut au contraire qu'elle assure un recentrage de l'action de l'État fondé sur des principes de subsidiarité et de garantie des équilibres économiques nationaux, car l'État est seul à même d'avoir une vision du développement économique qui dépasse l'échelle régionale. Sur ce point, je rejoins d'ailleurs les préconisations formulées dans le rapport de nos collègues Martial Bourquin et Alain Chatillon à l'occasion de la mission d'information du Sénat sur Alstom et la stratégie industrielle du pays, en élargissant le propos au-delà du seul secteur de l'industrie.

Il faut donc d'abord que ce recentrage permette véritablement à l'État déconcentré de jouer le rôle de coordinateur des acteurs publics et parapublics dans la mise en oeuvre d'une stratégie d'équilibre économique des territoires, en favorisant les synergies entre les acteurs. Dans ce cadre, les services déconcentrés doivent renforcer leur capacité d'initiative ou d'animation afin de relayer les priorités nationales, dans le respect des compétences des différents intervenants de la politique économique dans les territoires régionaux.

Les services déconcentrés de l'État doivent également favoriser l'information et le cas échéant, l'accès des entrepreneurs locaux aux offres émanant des acteurs privés d'aide à la création et d'accompagnement d'entreprises : entre autres, l'association pour le droit à l'initiative économique (Adie), les Boutiques de gestion, Positive planète, France active, Initiative France, Fondation Entreprendre, Association 100 000 entrepreneurs, Association Tous repreneurs, Réseau Groupement de créateurs...

Ce rôle apparaît d'autant plus important que le Gouvernement a décidé l'absorption au 1er janvier 2019 de l'Agence France entrepreneur (AFE) par Bpifrance et le recentrage de ses missions - jusqu'alors généralistes - aux seules créations d'entreprises dans les quartiers, comme on dit. Les Direccte doivent donc assurer une interface au niveau local, le cas échéant en lien avec les services compétents des régions, avec les entrepreneurs des territoires qui ne seraient pas dans les quartiers ou territoires fragiles.

Ensuite, malgré ce recentrage, il faut conserver des capacités d'intervention ponctuelles ciblées, complémentaires de celles des autres acteurs. Dans ce cadre, il est donc souhaitable que, dans l'évolution envisagée par le Gouvernement, l'administration centrale s'appuie davantage sur ces services pour impulser des actions efficaces et ciblées en faveur des entreprises.

Parmi ces actions, outre le Fisac, le programme 134 prévoyait jusqu'alors des actions collectives, en particulier dans le domaine de l'industrie, d'un montant fort réduit avec 3,3 millions d'euros en autorisations d'engagement et 4,4 millions en crédits de paiement en 2018, visant à favoriser la compétitivité des entreprises. Pourtant, à l'instar du Fisac, ces actions collectives sont mises en extinction. On ne peut que déplorer cette suppression d'un instrument d'un coût budgétaire modique, qui peut pourtant s'avérer efficace pour assurer des actions d'accompagnement ponctuelles des entreprises, complémentaires à celles pouvant être menées par les autres acteurs publics et parapublics.

Plus largement, il est indispensable de réallouer les moyens financiers aux besoins des politiques d'équilibre des territoires. Lors de son audition devant la commission, le ministre de l'économie et des finances a évoqué l'inutilité du « saupoudrage » des crédits. On peut en prendre acte. Mais cela ne doit pas conduire à tout supprimer, mais plutôt à les cibler sur des projets et vers les territoires où elles peuvent s'avérer les plus efficaces.

Troisième sujet : l'organisation des acteurs du monde consumériste, que j'avais déjà abordée lors du projet de loi de finances pour 2018. Après avoir diminué de l'ordre de 5 % par rapport à 2017, les crédits d'intervention destinés aux acteurs du monde de la consommation - associations de consommateurs, institut national de la consommation, notamment - baissent à nouveau de 10,8 % en 2019 par rapport à 2018 pour s'établir à 7,5 millions d'euros.

Dans le même temps, le projet annuel de performance annonce une évolution de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui « permettra un recentrage sur les missions les plus stratégiques - la protection des consommateurs et des entreprises vertueuses - et une organisation territoriale plus fluide et plus efficiente ».

Dans ce cadre, la DGCCRF entend concentrer sa mission de contrôle sur les enquêtes les plus complexes, de niveau national ou exercées sur plaintes. Parallèlement, une réflexion serait en cours pour faire externaliser les contrôles dits à faible valeur ajoutée, tels que ceux effectués, notamment dans les restaurants, sur les produits en remise directe. Cette réflexion est le corollaire, sinon la conséquence, du redimensionnement des effectifs de la DGCCRF depuis plusieurs années, qui devrait se poursuivre en 2019 du fait d'une nouvelle réduction du plafond d'emplois de 45 ETPT.

Du point de vue de l'organisation territoriale, la DGCCRF explore la piste de l'interdépartementalité afin de mutualiser les compétences présentes dans les départements, dès lors que certains d'entre eux disposent déjà de moins de dix agents. Une adaptation des modèles d'organisation au sein des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations est également à l'étude, afin de renforcer les synergies avec les personnels relevant d'autres administrations et de les adapter aux besoins des territoires.

La modicité et la réduction constante des moyens financiers mis en oeuvre par l'État en faveur de la protection du consommateur doivent incontestablement conduire à une réflexion d'ensemble sur l'architecture du système de protection des consommateurs. Je regrette que, plutôt que de s'engager dans une telle voie, le Gouvernement ait retenu une politique de rabot continu qui paralyse progressivement l'action des acteurs sans les engager dans un modèle d'organisation alternatif.

Or cette réflexion devrait porter sur deux axes ; d'abord sur une clarification des rôles respectifs des acteurs. Trois catégories d'acteurs sont aujourd'hui en charge de l'information et de la protection des consommateurs : la DGCCRF, l'Institut national de la consommation (INC) et les treize centres techniques régionaux de la consommation (CTRC), ainsi que les quinze associations de consommateurs agréées. Or la complémentarité des actions de la DGCCRF et de l'INC suscite aujourd'hui des interrogations, notamment en matière d'information générale des consommateurs. Face à la raréfaction des moyens budgétaires, le temps n'est plus à l'émiettement des actions de communication publique. À ce stade, deux schémas alternatifs peuvent être envisagés : le premier consisterait en un recentrage de la mission d'information générale des consommateurs sur l'INC, mission première de l'établissement, afin que la DGCCRF ne conserve elle-même qu'une mission de communication de crise, corollaire indispensable de ses missions régaliennes ; le second schéma conduirait à l'inverse à soustraire à l'INC sa mission d'information générale, pour laisser à la DGCCRF le soin d'exercer seule cette mission, ce qui conduirait alors à s'interroger sur le maintien même de l'INC.

Quelle que soit la solution retenue, l'écosystème de la consommation devra au moins trouver des synergies plus efficaces, d'abord entre les services de l'administration. L'affaire Lactalis a montré que les contrôles en matière de sécurité des consommateurs dans le domaine alimentaire devaient être renforcés, et que la dispersion des responsabilités dans la chaîne de contrôle entre diverses administrations est préjudiciable à l'efficacité des contrôles et peut créer des difficultés de communication à l'occasion notamment de la mise en oeuvre des procédures de retrait et de rappel des produits.

Ensuite, il faut renforcer les synergies entre la DGCCRF et l'INC. Au cours de son audition, l'INC a souligné l'absence en 2018 de lettre de mission du ministre chargé de la consommation, et le fait que les discussions en vue de la conclusion d'un nouveau contrat d'objectif et de performance pour 2019 n'avaient toujours pas été engagées avec la DGCCRF... Cette situation illustre un certain dysfonctionnement dans la gouvernance de l'écosystème consumériste et dans les relations entre ses principaux acteurs. Il faudrait trouver des synergies également entre l'INC - et le réseau des treize centres techniques régionaux de la consommation qu'il est chargé d'animer - et les associations de consommateurs agréées.

En tout état de cause, il faut fortifier l'intervention des acteurs. Pour ce faire, il est essentiel qu'un financement suffisant soit garanti aux opérateurs publics pour qu'ils exercent convenablement leur mission. Par ailleurs, si l'on souhaite que les associations de consommateurs renforcent dans les territoires leur rôle de relais pour l'information et l'aide individuelles aux consommateurs, il leur faut un financement public effectif. Dans ce cadre, une plus grande modulation de la subvention versée aux associations peut être une piste de réflexion, à la condition qu'elle repose sur des critères clairs et objectifs, en ayant pour but premier d'appuyer des associations disposant d'un maillage dans les territoires à même de fournir aux consommateurs l'information nécessaire sur l'exercice de leurs droits.

En outre, même s'il est important de maintenir et de favoriser le pluralisme associatif, il y a lieu de s'interroger sur la viabilité des plus petites associations qui dépendent très fortement des subventions publiques ou qui disposent d'un faible maillage local. Il faut donc examiner dans quelle mesure des alliances ou des regroupements peuvent intervenir entre certaines des associations agréées. Sur ce point, au cours des auditions a d'ailleurs été évoquée une volonté de regroupement de trois petites associations agréées, qui devrait intervenir dans les prochains mois.

Vous le voyez, une réflexion globale est essentielle mais le Gouvernement ne semble pas encore enclin à s'y prêter. Dans ces conditions, je suggère que notre commission se saisisse de cette question, en entamant des travaux d'auditions plus larges afin de réfléchir au positionnement des différents acteurs et de proposer des pistes d'évolution.

Dans l'attente de nos conclusions, je vous propose de maintenir les crédits d'intervention au monde de la consommation à leur niveau actuel, soit 8,5 millions d'euros. Je vous soumets en conséquence un amendement abondant l'action n° 24 de 1 million d'euros en autorisations d'engagement et en moyens de paiement, prélevés sur le programme 305.

Je pensais dans un premier temps qu'il fallait rejeter les crédits de la mission. Mais si nous adoptons les amendements qui nous font revenir à plus de raison, je vous suggère que nous donnions un avis favorable.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 29 - Etat B

Mme Sophie Primas, présidente. - Examinons maintenant vos deux amendements.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - L'amendement AFFECO.1 abonde les crédits du FISAC de 30 millions d'euros en autorisations d'engagement, dont 5 seraient fléchés vers les stations-services de proximité.

M. Franck Montaugé. - Je ne conteste pas le bien-fondé de votre amendement : le Fisac a bien besoin de ces crédits. Mais quelles en seraient les conséquences pour les programmes où vous effectuez les prélèvements, « Statistiques et études économiques » et « Stratégie économique et fiscale ». Ce sont des sujets éminemment importants... Je pense à la stratégie industrielle par exemple.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - Les crédits sont prélevés pour moitié sur les crédits de l'Insee et du Trésor, donc jamais sur des dépenses d'intervention. Cela n'a rien à voir en tout cas avec la stratégie industrielle.

M. Franck Montaugé. - L'Insee produit des statistiques de très grande qualité et de manière plutôt indépendante...

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - Certes, mais si nous voulons abonder le Fisac, il faut faire des choix...

Mme Cécile Cukierman. - Comme toujours, les amendements budgétaires sont un exercice difficile, puisqu'ils consistent à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Nous voterons les amendements : il faut envoyer un signal fort sur le Fisac. On peut toujours discuter du choix du gage, l'Insee produit certainement des statiques utiles, y compris pour les décisions locales, mais y aurait-il d'autres gages disponibles ?

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - Le budget de l'Insee est de 463 millions d'euros, c'est conséquent. Nous en prélevons 15 millions.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous lui demanderions donc un effort de 3 %.

M. Robert Navarro. - Je voterai contre. Comme l'a dit Cécile Cukierman, il est toujours difficile de déshabiller Paul pour habiller Jacques. Je sais que l'Insee et le Fisac font du bon travail. Mais il y a en France 1 224 agences qui nous coutent 15 milliards d'euros de fonctionnement. Certains organismes, utiles autrefois, le sont moins ; d'autres auraient besoin de plus de crédits aujourd'hui. La commission pourrait mener un travail sur ce sujet.

Mme Valérie Létard. - Je rejoins les collègues qui alertent sur l'extinction du Fisac, qui, même réduit, reste utile. Il est toujours compliqué d'aller chercher des crédits sur d'autres programmes... mais il s'agit ici d'alerter le Gouvernement.

L'un des rôles majeurs du Fisac pour le plan « Action coeur de ville » était l'ingénierie, l'aide au démarrage, bref des dépenses de fonctionnement. On ne fait pas tout cela avec des prêts de la Caisse des dépôts et consignation. Attention aux fausses bonnes idées ! Il faut marcher sur deux jambes, l'investissement et le fonctionnement.

Mme Anne Chain-Larché. - Je n'ai pas apprécié que le Gouvernement se défausse sur les collectivités, et en particulier sur les régions, lorsqu'il a voulu éteindre le Fisac. Il faut bien entendu le maintenir.

M. Laurent Duplomb. - Non seulement le Fisac aide les petits commerces en milieu rural, mais il permet surtout d'obtenir des financements européens Leader (Liaison entre actions de développement de l'économie rurale). Ces aides avaient un effet de levier considérable.

L'amendement n° AFFECO.1 est adopté.

Mme Élisabeth Lamure. - L'amendement AFFECO.2 prélève un million d'euros sur le Trésor au bénéfice du programme « Développement des entreprises et régulation. » pour maintenir le niveau des crédits d'intervention en faveur du monde de la consommation.

L'amendement n° AFFECO.2 est adopté.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - Je commenterai, pour ma part, le volet « Numérique et postes » de la mission « Économie », en commençant par les crédits « Numérique et postes » du programme 134.

Comme l'année dernière, les modalités de définition de la dotation versée par l'État à la Poste pour compenser sa mission de transport de la presse restent discutables. L'État et la Poste ont défini une trajectoire d'évolution de cette dotation à la baisse dans le contrat d'entreprise de la Poste pour la période 2018 à 2022 sans associer les représentants de la presse, contrairement à la méthode adoptée entre 2008 et 2015. Par ailleurs, cette dotation de compensation trouverait davantage sa place au sein du programme 180, qui traite des aides à la presse. C'est, au demeurant, ce que souhaitent les professionnels.

La subvention versée à l'Agence nationale des fréquences (ANFr) augmente pour absorber une nouvelle mission et compenser la suppression d'une taxe affectée. A champ constant, elle augmente légèrement pour atteindre 32,2 millions d'euros. A ce montant s'ajoutent d'abord 5 millions d'euros de crédits de paiement en vue d'assurer sa nouvelle mission de gestion de la diffusion du temps légal français à partir du site d'Allouis, mission qui lui est confiée par le projet de loi dite ELAN.

S'y ajoutent également 2,5 millions d'euros qui viennent compenser la suppression de la taxe additionnelle à l'IFER « mobile » par le présent projet de loi de finances. Cette recette était affectée au financement du dispositif national de surveillance et de mesure de l'exposition aux ondes créé par la loi « Grenelle » de 2009. Le remplacement de cette recette fiscale dynamique par des crédits budgétaires induit des risques pour le financement de ce dispositif, qui permet à chacun d'obtenir une mesure des ondes auxquelles chaque demandeur est exposé. Si, à ce jour, ce dispositif est très largement financé, on ne peut totalement écarter l'hypothèse d'une hausse du nombre de saisines, avec le déploiement du compteur Linky et de la 5G. Il conviendra donc d'être vigilant à l'avenir.

Plus globalement, sur le sujet de l'exposition aux ondes, il me semble qu'un travail renforcé de pédagogie à destination du grand public serait utile, au-delà des six bonnes pratiques déjà identifiées par l'État dans le cadre d'une campagne de sensibilisation effectuée en novembre 2017.

Le financement de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), à hauteur de 22,6 millions d'euros en crédits de paiement, apparaît satisfaisant, mais celle-ci se voit régulièrement confier de nouvelles missions. Il convient de souligner que les efforts effectués par l'Autorité pour contenir l'évolution de sa masse salariale ont été salués par la Cour des comptes en décembre dernier.

J'en viens maintenant au programme 343, qui est depuis 2015 le véhicule budgétaire du plan « France très haut débit ». L'année 2018 se distingue par une accélération des déploiements en fibre optique sur l'ensemble du territoire, de l'ordre de 50 % d'augmentation pour les réseaux d'initiative publique. En conséquence, le budget 2019 prévoit, pour la première fois, l'ouverture de crédits de paiement pour financer les engagements de financement pris par l'État auprès des collectivités locales.

En zone moins dense d'initiative privée, l'État est parvenu cette année à obtenir de nouveaux engagements de déploiement de la part d'Orange et de SFR. Ce sont de bonnes nouvelles. Il convient néanmoins de ne pas s'en satisfaire car, afin d'atteindre l'objectif de 80 % de la population éligibles à la fibre optique en 2022, il faudra accélérer le rythme des déploiements : celui-ci serait d'environ 3 millions de prises en 2018, il devra être de l'ordre de 3,5 à 4 millions pour atteindre les objectifs. Ces futures prises étant principalement situées dans les zones à moindre densité de population, il convient de ne pas sous-estimer le défi à relever.

Dans le même temps, la question de l'après 2022 se pose d'ores et déjà, alors que l'Europe a fixé un objectif commun aux États membres de « société du gigabit » d'ici 2025. À ce jour, le guichet « France très haut débit » est suspendu, dans l'attente des résultats des appels à manifestation d'engagement locaux (Amel). Cette dernière initiative lancée par le Gouvernement fin 2017 afin de confier aux opérateurs privés la charge de déployer sur leurs fonds propres dans des zones d'initiative publique est mitigée, et traîne en longueur. Afin de donner de la visibilité à l'ensemble des acteurs des infrastructures numériques, il convient de solder ce processus dès 2019 pour de premières orientations sur le financement des réseaux d'initiative publique après 2022.

Parallèlement au déploiement de la fibre, le réseau en cuivre de l'opérateur historique ne doit pas être oublié. C'est pourquoi la mise en demeure adressée par l'Arcep à l'opérateur historique afin qu'il respecte ses obligations de qualité de service en tant qu'opérateur du service universel est bienvenue.

Désormais, les technologies alternatives à la fibre seront accompagnées par l'État selon des modalités améliorées dans le cadre du « guichet cohésion numérique » en cours de mise en place. Ce guichet vise à permettre à deux millions de locaux de bénéficier d'un « bon haut débit » (8 mégabits par seconde) en 2020. Au-delà de 2020, ces technologies alternatives, c'est-à-dire le hertzien terrestre et spatial, devraient être mobilisées sur 15 % des locaux de la zone moins dense d'initiative publique en 2022 (30 mégabits par seconde).

Ayant plaidé pour une prise en compte améliorée de ces solutions, et notamment du satellite, je me réjouis de la mise en place de ce guichet. Afin de renforcer son efficacité, il conviendrait que l'aide financière de 150 euros soit articulée avec les aides octroyées par les collectivités territoriales et que ces dernières fassent l'objet d'une forme d'harmonisation au niveau national.

Après ce bref exposé d'analyse des crédits, je vous proposerai d'émettre un avis favorable sur le volet « Numérique et postes » des crédits de la mission économie pour 2019.

J'en viens maintenant aux considérations d'ordre fiscal, qui me permettront d'évoquer avec vous le New Deal mobile conclu entre l'État et les opérateurs au début de cette année, qui vise à accélérer substantiellement le déploiement des infrastructures de téléphonie et d'internet mobiles sur le territoire. Dans ce cadre, l'État renonce à percevoir des ressources financières importantes lors de l'attribution des ressources rares que constituent les fréquences et, en contrepartie, les opérateurs voient leurs obligations de déploiement substantiellement renforcées. Ces derniers se sont ainsi engagés à déployer 5 000 nouveaux sites 4G dans le cadre d'un dispositif de couverture ciblée, sur des zones identifiées au niveau local en lien avec les collectivités, à généraliser la couverture en 4G en équipant tous leurs sites existants et tous les nouveaux sites, et à renforcer la couverture des axes routiers et ferroviaires et, enfin, à généraliser la couverture téléphonique à l'intérieur des bâtiments, à travers la voix sur wifi.

En contrepartie, le Gouvernement s'était engagé à procéder à des simplifications normatives. Le volet législatif de cet engagement a été mis en oeuvre dans la loi dite ELAN et substantiellement renforcé par le Sénat. Le Gouvernement se serait également engagé à mettre en place une fiscalité incitative aux déploiements, en exonérant d'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER) mobile les déploiements mis en place dans le cadre du New Deal. C'est finalement à travers un amendement du rapporteur général que l'Assemblée nationale devrait exonérer d'IFER mobile les déploiements effectués dans le cadre du dispositif de couverture ciblée, qui concerne les 5 000 nouveaux sites par opérateur. Cette disposition paraît bienvenue car de nature à accompagner l'accélération des déploiements à laquelle les opérateurs se sont engagés.

Il m'a paru intéressant de procéder à un rapide zoom sur l'agence du numérique, qui doit être absorbée par la nouvelle agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) - puisque le Gouvernement n'a pas jugé utile de procéder à une évaluation. Créée en 2015, elle réunit trois services créés entre 2003 et 2013, avec trois missions différentes. Il s'agit d'abord de son coeur de métier, c'est-à-dire la gestion du plan France Très haut débit, ensuite, de la coordination des divers dispositifs de soutien aux jeunes pousses rassemblés derrière la marque « la French Tech », enfin, d'une mission « société numérique » qui oeuvre pour l'inclusion numérique en France.

Globalement, on peut estimer que l'agence a su mener à bien des missions très diverses et particulièrement évolutives. Si les synergies entre les missions sont difficiles à estimer, les méthodes de chaque pôle sont proches : il s'agit de missions à dominante opérationnelle en soutien à des écosystèmes locaux.

J'insisterai ici plus particulièrement sur les actions de l'agence en matière d'inclusion numérique. Le pôle de l'agence en charge de l'inclusion numérique vise à développer la culture numérique de tous les citoyens et leur capacité d'agir dans la société numérique. Malheureusement, il ne dispose pas des moyens de ses ambitions. Constitué de cinq personnes, il est doté de crédits budgétaires de l'ordre de 400 000 euros chaque année. Créé en novembre 2016, ce pôle a d'abord connu une activité relativement modeste. Il est dorénavant en charge du pilotage opérationnel du plan national pour un numérique inclusif présenté en septembre dernier, et qui résulte très largement des constats d'une phase de réflexion organisée depuis décembre 2017 par le pôle.

Ce plan peu ambitieux comprend des mesures disparates et, pour l'essentiel, déjà mises en oeuvre. Deux mesures apparaissent plus significatives et tendent à démontrer que l'État s'intéresse à ce sujet et est prêt à y attribuer des moyens plus substantiels.

Ces deux mesures se situent dans la lignée des actions amorcées par l'Agence du numérique depuis deux ans. Il s'agit, d'abord, de généraliser le « pass numérique », en mobilisant 10 millions d'euros de financements publics. Ce « pass », expérimenté depuis plusieurs années avec l'aide de l'Agence du numérique, est un instrument permettant de financer des actions d'accompagnement et de formation de la population au numérique dans des lieux labellisés. Les 10 millions d'euros en provenance de l'État ont vocation à mobiliser 40 millions d'euros complémentaires.

La deuxième mesure consiste à tenter de structurer les instances de la médiation numérique en région en une dizaine de hubs, en s'appuyant sur cinq millions d'euros mobilisés par la Caisse des dépôts et consignations. Il s'agit d'une énième tentative de structuration du secteur depuis les années 2000. Rappelez-vous les « espaces publics numériques », qui se sont développés à partir de 1999 !

Malgré ces financements supplémentaires, qui démontrent que le Gouvernement fait un effort en matière d'inclusion numérique, je reste dubitative quant à la capacité de ces dispositifs à véritablement sensibiliser au numérique les personnes qui en sont éloignées et ne ressentent pas la nécessité de s'y intéresser.

S'agissant de l'intégration de l'agence du numérique à l'ANCT, je rappelle le schéma retenu : les pôles en charge de la gestion du plan France Très haut débit et de l'inclusion numérique seraient transférés, avec le personnel, à l'ANCT. Seul le pôle « French Tech » resterait à Bercy. La plus-value à attendre de cette intégration reste à démontrer. On peut imaginer que l'ANCT pourra donner plus de visibilité et permettra d'affecter davantage de moyens humains au plan France Très haut débit et à l'inclusion numérique.

Néanmoins, j'identifie plusieurs points de vigilance : l'agence du numérique disposait de très petites équipes (35 personnes en tout), ce qui permettait une certaine agilité et une grande réactivité - il conviendra de préserver ces qualités à l'avenir ; une cotutelle devra être organisée entre le ministère de la cohésion des territoires et les ministères économiques et financiers ; il conviendra également d'apporter le plus grand soin à la mise en oeuvre de l'intégration des équipes de l'agence à l'ANCT, afin de ne pas ralentir les actions en cours concernant le déploiement des infrastructures numériques et l'inclusion numérique. Deux écueils sont à éviter : les pertes de connaissances et la démobilisation des agents, qui seraient fort dommageables au vu de l'importance du sujet.

M. Pierre Louault. - Dans la résorption des zones blanches, les opérateurs jouent le jeu, mais ils continuent à installer de la 3G dans des territoires ruraux où il n'y a pas la trace de haut débit. Il faut leur imposer de mettre de la 4G ! L'autorité doit faire son travail avec autorité, justement. On se moque des ruraux, dans cette affaire !

M. Martial Bourquin. - Il a raison.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - C'est justement l'objectif du New Deal : les opérateurs doivent installer de nouveaux pylônes avec la 4G.

M. Pierre Louault. - Mais ils ne le font pas !

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - Le dispositif est en train d'être mis en place. Prenez contact avec les représentants de l'agence du numérique dans le département, qui sont en train d'identifier les manques. Encore faut-il que le département se saisisse de la question... La loi ELAN renforce les sanctions prononçables par l'Arcep. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase. Il ne faut pas hésiter à se saisir des nouveaux outils disponibles.

Mme Denise Saint-Pé. - Le président de l'Arcep, à qui j'ai posé cette question la semaine dernière, m'a dit : on ne peut rien exiger des opérateurs avant 2022. Devons-nous faire quelque chose pour changer cela ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Les 5 000 points sont ouverts. La discussion est ouverte entre les territoires et les opérateurs au sein d'équipes-projets organisées au niveau départemental. Il faut saisir le département, interlocuteur naturel de l'agence des points sensibles, de ceux où les opérateurs continuent à installer de la 3G...

M. Daniel Dubois. - L'Arcep menace aujourd'hui Orange d'une amende de 1,5 milliard d'euros si elle ne fait pas son travail. C'est largement grâce aux remontées des élus. Il y a un vrai changement... et donc un espoir de voir l'itinérance implantée sur notre territoire.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vous voulez parler d'itinérance téléphonique, j'imagine... (sourires) En effet. Le New Deal fournit des contreparties aux opérateurs : ils acquièrent des fréquences à bon prix ; nous avons donc le droit de leur demander d'agir.

M. Pierre Louault. - Attendre trois ans, au temps du haut débit... C'est nul !

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous en sommes tous persuadés. Il est temps maintenant de veiller à la bonne mise en oeuvre des engagements des opérateurs.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - Nous faisons tous ce constat. Mais il faut saluer le Gouvernement qui s'est lancé depuis le 1er janvier dans un nouveau partenariat qui doit maintenant se déployer. Pour cela, il faut s'approprier le dispositif. Les opérateurs doivent déployer la 4G là où l'État leur dit de la déployer.

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. - L'industrie - dont je vais vous parler - va mieux. L'année 2018 a confirmé la reprise de la production industrielle, qui avait durablement souffert des conséquences de la crise économique entre 2008 et 2013. Elle bénéficie désormais d'un « haut de cycle » favorable, portée par une demande en hausse et par le dynamisme des échanges commerciaux.

Toutefois, les entreprises industrielles françaises restent fragilisées. Si la production et l'investissement ont repris, si les taux de marges ont augmenté et que le creusement du déficit commercial semble ralentir, les chiffres ne cachent pas que l'industrie française ne tire pas autant profit que ses voisins européens de la conjoncture favorable. Il faut donc continuer à soutenir la transformation de notre industrie. Un engagement renouvelé de l'État est nécessaire, afin de permettre aux entreprises un meilleur accès au financement, à la transformation technologique et aux marchés internationaux. C'est dans cette perspective que j'ai examiné le projet de loi de finances pour l'année 2019.

À la lecture du projet de loi, le constat est tout d'abord celui d'une mission « Économie » aux moyens limités, et à vocation généraliste. Les crédits de paiement sont en légère hausse, mais les autorisations d'engagement chutent de 17 % par rapport à 2018. Près de la moitié des crédits est désormais consacrée à des dépenses de personnel, alors que moins d'un euro sur trois est réellement dédié à des dépenses d'intervention. Je crains que ces chiffres ne réduisent la capacité de l'administration et des opérateurs à mener des actions de long-terme auprès des entreprises. Il semble que le Gouvernement, avec l'amélioration de la conjoncture, soit tenté de moins intervenir.

Il me semble nécessaire de ne pas précipiter l'extinction des dispositifs nationaux, alors que la stratégie économique des régions est encore dans une phase de montée en puissance. Nous avons besoin d'un État qui intervient à côté des régions.

Par exemple, le budget de l'année 2019 éteint les actions menées par le ministère de l'Économie en administration centrale au profit des filières et des PME, bien qu'il maintienne les actions déconcentrées pilotées par les Direccte. Si le choix d'une mise en oeuvre plus territorialisée est louable, j'estime qu'il est nécessaire de conserver a minima une enveloppe globale de crédits identique. Je vous proposerai donc d'adopter un amendement visant à maintenir le niveau actuel de dotation globale pour les actions de soutien à la compétitivité des entreprises : 3,2 millions d'euros de dotation seront préservés, et alimenteront les actions à destination des pôles de compétitivité, qui tirent la langue, alors qu'on a besoin d'eux pour instiller l'innovation dans les territoires.

Le programme 134 « Développement des entreprises et régulation » de la mission « Économie », qui porte la plupart des crédits d'intervention, rassemble des actions très diverses, allant des prestations de soutien à l'export de Business France aux travaux relatifs aux normes industrielles. Pour 2019, la lisibilité de ces crédits est rendue encore plus complexe : pas moins de sept actions sont éteintes, alors que deux actions nouvelles au périmètre très large sont créées. L'ancienne « Action en faveur des entreprises industrielles » est supprimée - comme ça ! Une nouvelle action 23 « Industrie et services » rassemble désormais tous les crédits relatifs à l'industrie, à l'artisanat, au commerce, et aux divers services. Cette profonde refonte n'a pas été justifiée, et complique considérablement le travail de contrôle du Parlement. Est-ce volontaire ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Non ! (sourires)

Mme Élisabeth Lamure. - Mais c'est récurrent !

Mme Sophie Primas, présidente. - Ce ne serait pas très nouveau monde !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. - Cette refonte révèle en réalité une baisse des crédits dédiés à l'industrie et aux services, qui seront inférieurs de 19 % à la somme des actions éteintes. Les dépenses d'intervention baisseront de plus d'un tiers. Il faut s'en alarmer : quel est l'intérêt du changement de structure, si une proportion plus faible des dépenses est effectivement dirigée vers les entreprises et les collectivités ? Ce qui compte, c'est l'intervention, c'est d'avoir les moyens d'intervenir lorsqu'il y a un projet économique.

En 2019, les dépenses fiscales restent l'outil principal de conduite de la politique économique, mais l'industrie n'en bénéficie que très peu. Celles qui se rattachent à la mission « Économie » atteindront plus de 28,2 milliards d'euros, c'est-à-dire plus de trente fois le total des crédits du programme dédié au développement des entreprises. Les trois quarts de ce montant sont dédiés au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui basculera à compter de cette année sur une baisse pérenne de cotisations de charges sociales.

Le reste consiste en une multitude de micro-dépenses fiscales. Je constate donc un manque de ciblage des efforts fiscaux, qui s'assimile, hors CICE, à un saupoudrage. Par ailleurs, seul le tarif réduit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les industries électro-intensives vise spécifiquement l'industrie, qui est donc la grande absente de la stratégie fiscale du Gouvernement.

Cela étant, il y a lieu de nous féliciter de l'adoption à l'Assemblée nationale du dispositif de « suramortissement » qui permettra aux PME de déduire de leur bénéfice imposable 40 % de la valeur de leurs investissements dans des biens robotiques, informatiques ou digitaux jusqu'à fin 2020. Cette mesure avait été adoptée à l'unanimité par le Sénat puis supprimée par l'Assemblée nationale dans le projet de loi de finances pour 2018. Je me réjouis de ce revirement. Il s'agit d'une grande avancée, qui accompagnera notre tissu productif dans son virage vers l'industrie du futur.

Je regrette toutefois la dispersion des crédits relatifs à l'industrie au sein de plusieurs programmes, voire de missions. Je relève une tendance à la débudgétisation. Ainsi, dans le dernier programme d'investissements d'avenir (PIA), au titre du programme « Accélération de la modernisation des entreprises », aucune dépense n'a encore été effectuée sur certains postes, comme les actions « Grands défis » ou   « Industrie du futur ». D'autres politiques, telles que l'accompagnement et la transformation des filières, relèvent désormais du Secrétariat général pour l'investissement. Une telle multiplication des acteurs est nuisible au suivi et à l'évaluation de ces dépenses. Qui pilote la politique industrielle de notre pays ? Où sont les évaluations des premier et second PIA ? J'interrogerai le Gouvernement sur ces points.

Je note tout de même avec satisfaction que le Gouvernement prévoit une multiplication par neuf des moyens dédiés à la constitution et au développement des filières au titre du troisième PIA. La stratégie de filière sera structurante pour notre industrie.

L'effort en faveur de l'innovation reste élevé. J'avais identifié, dans l'avis budgétaire de l'année dernière, l'impact positif des projets Nouvelle France industrielle et Industrie du futur, des dispositifs successifs de suramortissement et du crédit d'impôt recherche (CIR). La France est désormais une terre attractive pour la recherche et le développement. Le projet de loi de finances pour 2019 prévoit judicieusement une réforme du régime fiscal s'appliquant aux brevets, afin de conditionner les avantages fiscaux à l'exécution de dépenses de recherche et développement sur le territoire français.

La condition sine qua non du maintien de l'emploi industriel est la modernisation de l'activité de production. C'est grâce à la transformation de l'outil industriel que les entreprises tireront profit du gain de compétitivité engendré par l'innovation. C'est tout l'enjeu de la mesure de suramortissement. Une étude récente de France Stratégie déplore d'ailleurs le retard de l'industrie française en matière d'investissement dans la machinerie, les entreprises préférant investir dans les actifs incorporels comme les logiciels. L'effort de l'État envers l'industrie doit donc bénéficier aux différents secteurs et ne pas se concentrer sur les entreprises les plus innovantes.

Cependant, l'avantage comparatif tiré de l'innovation est réduit par le poids élevé de la fiscalité. L'industrie est l'un des principaux contributeurs aux recettes fiscales de l'État et des collectivités. Alors que l'impôt sur les sociétés est en baisse, et que le désavantage de la France en termes de coût de la main-d'oeuvre est presque comblé, le véritable enjeu de compétitivité est désormais la fiscalité de production, qui pèse de façon disproportionnée sur l'industrie. La qualification de local industriel en matière foncière a un impact important sur nos entreprises industrielles. Le ministre de l'économie a souligné devant notre commission l'intérêt d'une réflexion sur l'allégement des impôts de production. Celle-ci ne saurait en aucun cas conduire à une diminution des ressources des collectivités territoriales, qui ont déjà largement été mises à contribution ces dernières années. Le débat est juste, mais biaisé pour nos collectivités.

Par ailleurs, le projet de loi de finances durcit sensiblement la fiscalité énergétique. L'enjeu est double pour les entreprises industrielles : leurs marges seront réduites, et la demande des consommateurs changera. La suppression des taux réduits de TICPE sur le gazole non routier (GNR) et la hausse du prix des carburants représententeront en 2019 2 milliards d'euros de taxes supplémentaires sur les entreprises. L'industrie extractive fera les frais de cette politique. En séance publique, je déposerai donc un amendement visant à repousser l'entrée en vigueur de cette suppression, afin de laisser aux entreprises industrielles le délai nécessaire pour adapter leurs équipements.

Enfin, le Gouvernement entend tirer parti du dynamisme des taxes affectées qui financent, entre autres, les centres techniques industriels (CTI) chargés de diffuser les progrès techniques aux PME de leurs secteurs et de les soutenir à l'export. Le projet de loi de finances pour 2019 réduit de 10 % la dotation de l'État et baisse le plafond des taxes affectées, afin de reverser à l'État les surplus. J'y suis opposé, à l'heure où le Gouvernement déclare que la transformation technologique et l'innovation sont des priorités. Les prélèvements sur les entreprises industrielles doivent continuer à financer les CTI et non abonder le budget de l'État. Je vous proposerai d'adopter un amendement visant à maintenir le niveau de dotation budgétaire actuel des CTI et, en séance publique, un amendement supprimant la baisse des plafonds des taxes affectées aux CTI.

La fiscalité pèse toujours plus sur les entreprises industrielles. Si l'on exclut l'effet de la « double année » de bascule du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), une hausse de 1,6 milliard d'euros de prélèvements sur les entreprises se dessine en 2019.

J'en viens au volet thématique de mon avis budgétaire : la transformation de la filière automobile, qui est, avec plus de 213 000 emplois directs et 2 millions d'emplois induits, le premier secteur industriel du pays. PSA et Renault génèrent près de 124 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel. Un contrat de filière a été signé le 22 mai 2018, sous l'impulsion du Conseil national de l'industrie. Au sein de cette filière, les grands constructeurs et les équipementiers de rang mondial jouent un rôle d'avant-garde innovante, consacrant en moyenne 16 % de la valeur ajoutée produite à l'investissement. Chez les équipementiers de rang 2 et 3, l'enjeu est davantage la transformation de l'outil productif.

Avec la hausse de la fiscalité énergétique et les incitations à la transition rapide vers des énergies propres, jusqu'à 30 % de la filière serait fragilisée. L'évolution technologique est donc une priorité pour tous les échelons de la chaîne de valeur.

Tout d'abord, il est essentiel que les politiques publiques respectent une neutralité technologique qui permette la diversification de l'industrie et ne bride pas l'innovation dans tous les domaines. La voiture à hydrogène, par exemple, est en pointe au Japon. Ne retombons pas dans les travers du tout-diesel avec un tout-électrique dont on ne mesure pas tous les enjeux.

Ensuite, la stratégie de filière et les pôles de compétitivité doivent être encouragés, afin de partager les bénéfices de l'innovation et de la compétitivité.

Par ailleurs, l'investissement dans la transformation des équipements et des outils de production doit rester la priorité. Nos entreprises industrielles ne peuvent pas manquer le virage de l'industrie du futur. Le suramortissement ou l'accompagnement par l'Alliance Industrie du Futur, par exemple, sont à cet égard essentiels.

En outre, la fiscalité pesant sur l'industrie doit être repensée, sans pour autant remettre en cause l'autonomie des collectivités territoriales. La fiscalité de production ne saurait réduire la compétitivité durement acquise en matière d'innovation ou de coût de la main-d'oeuvre.

Enfin, il faut refaire de l'industrie une fierté nationale. Celle-ci souffre d'un déficit d'image qui réduit son attractivité et contribue au manque main d'oeuvre qualifiée. Pourtant, l'industrie est notre avenir.

Pour conclure, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2019 est loin d'apporter toutes les solutions aux problèmes structurels de l'industrie française. Il met trop fortement à contribution la mission « Économie » et ne remédie pas à la dispersion des crédits de la politique industrielle, sans alléger la pression fiscale sur les entreprises industrielles. Cependant, il introduit plusieurs mesures très attendues. Nos amendements permettront, je l'espère, de corriger sensiblement l'orientation proposée par le Gouvernement.

M. Alain Chatillon. - Je voudrais souligner que l'imposition de la production est moitié moindre en Allemagne qu'en France, où elle s'élève à 83 milliards d'euros.

S'agissant des subventions, je suggère des économies en obligeant les entreprises bénéficiaires du crédit d'impôt recherche à rester en France pendant cinq ans.

Enfin, je suis attaché à la création d'un plan d'épargne en actions (PEA) défiscalisé au bout de dix ans dédié aux investissements à risque dans les PME, PMI, ETI : 1 % de l'assurance-vie, ce sont 17 milliards d'euros qui permettraient aux salariés et aux chefs d'entreprises d'investir. En Allemagne, les fondations sont totalement défiscalisées. Le ministre de l'économie et des finances y était favorable, mais les lobbies l'en ont curieusement dissuadé. Raisonnons donc différemment, au-delà du seul budget de l'État.

M. Laurent Duplomb. - Je ne sais pas si l'industrie va mieux lorsque je regarde notre balance commerciale, dont le déficit est estimé à 70 milliards d'euros en 2019, notre 24e rang européen en matière de chômage. Les experts s'attendent à un ralentissement de l'économie mondiale. Or la France souffre d'un manque de compétitivité.

Si le président de l'Alliance pour l'industrie du futur, Bruno Grandjean, reste optimiste, il constate que 16 usines ont été construites depuis 2009, quand 576 ont disparu. Il cite aussi les difficultés de recrutement rencontrées par les chefs d'entreprises, les artisans, les restaurateurs. Quand allons-nous nous saisir de cette question ?

Enfin, il souligne que le Gouvernement n'a pas pris la mesure du problème concernant la fiscalité. Nous débattons du projet de loi de finances, il faut trouver des solutions pour favoriser les usines françaises, l'emploi, la balance commerciale et l'intérêt des Français.

Mme Valérie Létard. - Je salue l'analyse de Martial Bourquin et je rejoins les considérations de notre collègue Duplomb. Évidemment, on peut toujours voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, mais il faut tout de même s'alerter sur certains sujets.

Il convient de définir une stratégie industrielle déployée dans les territoires. Les entreprises, les filières sont prêtes à s'engager, mais doivent être accompagnées, notamment dans les pôles de compétitivité.

Je voudrais citer le cas d'Ascoval, cette coentreprise détenue par Ascometal et Vallourec, qui est en difficulté. Il s'agit d'une filière d'acier spécial extrêmement compétitive, qui émet 210 kilos de CO2 par tonne, contre 1,6 tonne de CO2 par tonne chez HKM. Altifort est un repreneur solide, reconnu, après une étude commandée par le Gouvernement. Qui est autour de la table ? Quelques 12 millions d'euros sont proposés par la région, 10 millions d'euros par la communauté d'agglomération pour soutenir un projet de restructuration qui demanderait 180 millions d'euros. Ce projet est bloqué par le peu de moyens : il faut les mobiliser via la BPI, l'État et le passif social que Vallourec doit honorer.

L'État stratège doit être au rendez-vous pour actionner tous les leviers nécessaires au bouclage du cofinancement. Bruno Le Maire s'y emploie, mais il a besoin de moyens. Or le fonds de développement économique et social (FDES) diminue de 50 millions d'euros, autant de prêts en moins pour accompagner les projets de restructuration industrielle.

Pour ce qui est de la filière acier, arrêtons de tergiverser ! (Applaudissements.)

M. Daniel Dubois. - Je salue à mon tour l'engagement de Martial Bourquin. J'aimerais obtenir plus de précisions sur l'avenir des pôles de compétitivité.

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. - Je partage l'avis de Laurent Duplomb. Au moment où la production cesse de diminuer, il faut justement investir dans l'industrie. Transformer le CICE en baisses de charges ne suffit pas. Les besoins d'accompagnement à l'export et à l'innovation sont lourds pour les PME-TPE.

Les pôles de compétitivité, indispensables, sont en danger si l'État continue à se désengager. Celui de Toulouse, que nous avons visité, ne pouvait pas tenir plus de quatre ans. Nous veillons à ne pas baisser la garde sur l'industrie.

Sur Ascoval, l'État aurait dû être exemplaire : il s'agit de l'industrie du XXIe siècle. J'ai été surpris que le Gouvernement attende des investisseurs privés. Alstom a été sauvée à plusieurs reprises. L'État doit être pilote.

Mme Michelle Gréaume. - Je m'associe aux propos qui ont été tenus, notamment sur Ascoval. Si cette entreprise ferme, ce sont également des sous-traitants et des emplois qui disparaissent. Il faut sauver les entreprises innovantes. Notre pays manque d'une réelle stratégie industrielle.

M. Franck Montaugé. - Je m'interroge sur la notion d'État stratège. L'économiste Pierre-Noël Giraud a attiré notre attention sur la composition des chaînes de valeur. Les grands pays créent de la valeur, non pas tant dans la production industrielle, située pour l'essentiel dans les pays à bas coût, mais à l'aval de la filière, dans la relation avec le consommateur.

Dans un contexte de globalisation et de transports à bas coûts, quelle est la stratégie de la France en Europe, échelon indispensable quant à notre avenir industriel ? Cette question n'est pas traitée.

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. - Les start-ups sont importantes, mais aussi notre industrie traditionnelle ; il faut penser les deux. Nous avons besoin d'une vraie politique industrielle.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 39

ÉTAT B

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. - L'amendement AFFECO.3 a pour objet de maintenir le niveau actuel de l'enveloppe globale des dotations budgétaires dédiées au soutien à la compétitivité des entreprises industrielles. En 2018, ces politiques industrielles de soutien se composaient des actions pilotées par l'administration centrale et des actions pilotées de manière décentralisée par les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi (Direccte), en partenariat avec les régions. Le projet de loi de finances pour 2019 éteint les actions pilotées en centrale.

L'enjeu des pôles de compétitivité est essentiel. Cet amendement propose donc d'augmenter la dotation budgétaire consacrée aux actions pilotées de manière décentralisée du montant des autorisations d'engagement ouvertes en 2018 au titre des actions pilotées en centrale. L'enveloppe globale des actions menées restera ainsi au même niveau en 2018 et en 2019.

L'amendement AFFECO.3 est adopté.

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. - L'amendement AFFECO.4 a pour objet de maintenir le niveau actuel de dotation budgétaire des CTI et organismes assimilés.

Le projet de loi de finances pour 2019 réduit d'un million d'euros la dotation budgétaire des centres, ce qui représente une baisse de 10 % entre 2018 et 2019, et de 40 % depuis 2017. L'article 29 abaisse de surcroît les plafonds des taxes affectées sectorielles. Nous proposons de restaurer le niveau de dotation budgétaire au CTI. Cet amendement est complémentaire de celui que je proposerai sur la première partie du texte en séance, afin de supprimer la baisse des plafonds des taxes affectées aux CTI.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteure pour avis. - Je soutiens cet amendement, en indiquant que cette nouvelle baisse constitue un véritable hold-up sur les taxes affectées de la part du Gouvernement.

Mme Sophie Primas, présidente. - J'appelle même cela du vol !

L'amendement AFFECO.4 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Économie » sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Énergie » - Examen du rapport pour avis

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons à présent le rapport pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

EXAMEN DU RAPPORT

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». - L'examen des crédits « Énergie » du projet de loi de finances s'inscrit cette année dans le contexte particulier de la hausse des taxes sur l'énergie et de ses conséquences sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens et la compétitivité de nos entreprises. Si la mobilisation sur le sujet est nouvelle, je veux rappeler que nous n'avons pas attendu cette année pour tirer le signal d'alarme : depuis le vote fin 2015 du premier relèvement de la trajectoire carbone programmé pour 2017, notre commission dénonce l'absence de véritables mesures de compensation ; l'an dernier, avec la double accélération décidée par le Gouvernement, qui portait à la fois sur la taxe carbone et la convergence essence-diesel, nous avions encore alerté sur l'explosion de la fiscalité énergétique et prédit que les Français n'en mesureraient les effets que lorsque les prix de l'énergie remonteraient. Nous y sommes, et sans doute pour longtemps, car malgré les baisses de ces dernières semaines, tout indique que nous entrons dans une période durable de pétrole cher. C'est heureux pour la planète, car un pétrole cher incite à la modération, mais, avec la hausse de la taxe carbone, c'est la double peine !

Face à la colère légitime des Français, que répondent le Président de la République, le Gouvernement et la majorité ? D'abord, que ce ne serait pas la faute de l'exécutif : la hausse des prix viendrait, pour environ deux tiers, de l'évolution des cours mondiaux et pour un tiers seulement de la hausse des taxes. C'est exact, mais cela n'empêche pas d'agir sur ce tiers et je rappelle au passage que les taxes comptent déjà pour les deux tiers du prix à la pompe. Ils nous disent ensuite que tous les candidats à l'élection présidentielle de 2007 avaient accepté le principe d'une taxe carbone et que c'est le Gouvernement précédent qui, le premier, l'avait mise en oeuvre. Certes, mais ce n'était ni dans les mêmes proportions ni dans les mêmes conditions de compensation - les quatre premiers milliards de taxe carbone avaient ainsi été compensés par le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et par des taux réduits de TVA. Le Sénat lui-même avait fait adopter, dans la loi de transition énergétique, le principe d'une trajectoire carbone jusqu'en 2030, mais plus progressive et surtout conditionnée à l'exigence d'une stricte compensation par la baisse d'autres taxes.

C'est donc bien le Gouvernement actuel qui a décidé l'accélération très puissante de la trajectoire l'an dernier, et qui annonce des mesures de compensation insuffisantes, quand il ne présente pas la baisse des cotisations ou celle de la taxe d'habitation comme la contrepartie de ces hausses. Au total, selon une étude récente, la politique fiscale du Gouvernement fera au moins deux catégories de perdants : les 20 % de ménages les plus modestes et les retraités des deux derniers déciles, sans compter les classes moyennes rurales ou périurbaines dont les dépenses de carburant sont plus élevées que la moyenne, voire les fonctionnaires qui ne gagneront pas à la baisse des cotisations.

Pour mesurer l'ampleur du phénomène, on peut bien sûr évoquer les grandes masses : d'ici à 2022, ce sont 46 milliards d'euros supplémentaires de fiscalité énergétique qui seront prélevés sur la richesse nationale, soit en moyenne 9,2 milliards d'euros par an, sans compter le milliard supplémentaire lié à la suppression du taux réduit du gazole non (GNR) prévue cette année. Mais au-delà de ces chiffres toujours un peu abstraits, il y a surtout des réalités très concrètes : en 2018, 30 % des Français ont restreint leur consommation de chauffage pour limiter leurs dépenses énergétiques ; depuis le début de l'année, le tarif réglementé du gaz a progressé de 24 % pour les ménages chauffés au gaz, avec une taxe en hausse de 44 % ; le prix du fioul a augmenté dans les mêmes proportions. Pour un ménage consommant 45 litres de carburant par semaine, la hausse intervenue en deux ans équivaut à environ un Smic à l'année.

On voudrait parfois réduire l'affaire à une question de ressenti, mais les chiffres sont là. Il serait commode de n'y voir, de Paris, que le mécontentement d'une France périphérique et rurale peuplée d'adeptes forcenés du diesel, insensibles aux enjeux environnementaux ou sanitaires. Nous savons qu'il n'en est rien, car lorsqu'on leur propose des alternatives crédibles, les Français s'en saisissent : le succès massif de la prime à la conversion le prouve.

Cette fiscalité est d'autant plus perçue comme injuste que son produit n'est que partiellement destiné au financement de la transition énergétique : sur les 37 milliards de TICPE attendus en 2019, 7 milliards financeront directement les énergies renouvelables et un peu plus d'1 milliard les infrastructures de transport. Sur les plus de 7 milliards de hausse intervenus depuis 2017, 82 % iront au budget de l'État tandis que la part transférée aux collectivités locales restera globalement stable. Nous serons nombreux à soutenir la proposition, déjà adoptée par le Sénat l'an dernier, d'affecter une part de taxe carbone aux collectivités locales ; encore faudra-t-il s'assurer qu'elle est bien destinée à financer des actions de transition énergétique, pour ne pas suivre le mauvais exemple donné par l'État.

L'an dernier, le Gouvernement n'avait pas caché son « objectif de rendement budgétaire » et n'avait présenté comme mesures de compensation que le renforcement de la prime à la conversion et la généralisation du chèque énergie. Dans leur périmètre actuel, ces mesures laisseraient à la charge des Français 3,1 milliards de pression fiscale supplémentaire au titre de leurs dépenses d'énergie en 2018, et près de 5,9 milliards sur 2018 et 2019.

Cette année, le Gouvernement a d'abord revu sa communication, en insistant tantôt sur l'objectif de lutte contre le changement climatique, tantôt sur l'enjeu de santé publique, puis en rapportant ces hausses à d'autres grandes masses : parfois à l'ensemble des baisses décidées par ailleurs, d'autres fois à l'ensemble des mesures de soutien à la transition, y compris celles qui préexistaient ou dont le Gouvernement a réduit la voilure, comme le crédit d'impôt transition énergétique (CITE). Constatant que ces explications étaient sans effet sur l'opinion, l'exécutif a fini par envisager des mesures de compensation nouvelles dont le détail s'est fait attendre et dont on sait un peu plus depuis ce matin. Il est désormais question d'une surprime à la conversion de 4 000 euros pour les 20 % de Français les plus modestes, d'un élargissement de l'indemnité kilométrique aux petites cylindrées, d'une extension du chèque énergie à 2 millions de personnes supplémentaires, d'un renforcement de la prime à la conversion des chaudières fioul ou encore de défiscaliser les aides des collectivités ou d'accélérer la mise en place du forfait mobilité versé par les employeurs.

Si l'analyse méritera d'être affinée, je pense que la surprime à la conversion et l'extension du chèque énergie vont dans le bon sens, mais que ces mesures, dont le coût budgétaire annoncé est de 500 millions d'euros, restent loin de couvrir l'explosion des taxes, qui se poursuivrait du reste l'an prochain. J'ajoute que certaines des mesures annoncées consistent à faire payer par d'autres l'effet des décisions prises par l'État : ce sera le cas de la prime renforcée à la conversion des chaudières fioul, qui renvoie en fait au dispositif des coups de pouce liés aux certificats d'économies d'énergie (C2E) financés par les vendeurs d'énergie, et qui sont d'une façon ou d'autre répercutés sur les consommateurs, mais aussi des aides des collectivités ou du forfait mobilité. Quant à l'indemnité kilométrique, son effet restera modeste.

Je déborde sans doute du cadre budgétaire, mais en répondant de façon trop timide à la colère des Français, le Gouvernement prend deux risques : un risque économique - les hausses de taxes auront des conséquences sur le moral des ménages, et donc sur la croissance - et un risque politique, lié à la montée des tensions dans le pays et aux tentatives de récupération du mouvement de contestation par les extrêmes.

Les choses ne sont d'ailleurs pas aussi simples que le Gouvernement le dit sur deux points. Lorsqu'il affirme vouloir taxer la pollution plutôt que le travail, il oublie que les Français ne se déplacent pas pour le plaisir de polluer, mais, notamment, pour se rendre au travail ; avec ces taxes supplémentaires, le travail paie donc moins. En outre, le bénéfice environnemental de cette politique n'est pas avéré : se fonde-t-on sur l'analyse du coût environnemental complet du remplacement d'un véhicule déjà amorti par un nouveau, sans compter qu'un ancien diesel consomme généralement moins qu'une essence, même récente ? Compare-t-on les coûts complets du thermique et de l'électrique sur l'ensemble du cycle de vie, de la fabrication au recyclage ? Les réponses apportées par le Gouvernement me permettent d'en douter.

Que pouvons-nous faire de notre côté ? Il ne s'agit pas de revenir sur le principe même de la taxe carbone, qui est bon, mais de constater que le signal prix est déjà suffisant pour faire changer les comportements quand on dispose d'alternatives ; je rappelle d'ailleurs qu'avec la hausse accélérée appliquée cette année, le prix de la tonne de carbone est déjà en 2018, à peu de choses près, celui qui était prévu pour 2019. L'enjeu n'est donc pas de revenir sur les hausses déjà appliquées, mais de geler, compte tenu de la hausse des cours mondiaux, la fiscalité énergétique à son niveau de 2018. Sans cela, 6,5 centimes supplémentaires par litre de gazole et 2,9 centimes par litre d'essence s'appliqueront au 1er janvier prochain.

Tel est le sens de l'amendement que je présenterai en première partie, en mon nom puisque la commission n'en est pas saisie pour avis, sachant que le rapporteur général de la commission des finances devrait défendre la même position. Je proposerai aussi le maintien du taux réduit pour le GNR, car sa disparition alourdirait de près d'1 milliard les charges de secteurs tels que l'industrie extractive ou le BTP, qui n'ont à ce jour que peu ou pas d'alternative ; du reste, s'ils parviennent à les répercuter dans leurs prix, ce sont leurs clients, dont les collectivités publiques, qui en souffriront. En lien avec le poids croissant de la fiscalité énergétique, je vous proposerai aussi plusieurs mesures d'accompagnement et d'aide à la transition pour nos concitoyens, pour les secteurs économiques et les territoires les plus impactés.

J'en viens aux crédits « Énergie ». Je rappellerai d'abord que le budget n'épuise pas les sujets énergétiques. En dépit de la budgétisation de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) votée fin 2015, il reste des dispositifs extrabudgétaires, à commencer par les C2E, qui représenteront 9 milliards d'euros entre 2018 et 2020 et se retrouvent dans les prix - ils comptent déjà, par exemple, pour 3 centimes par litre de carburant. Ensuite, les outils de programmation qui déclinent les objectifs fixés par la loi ne relèvent pas du législateur et se déploient aussi au niveau local, en particulier au travers des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), voire des zones à faible émission (ZFE) que les collectivités peuvent décider de mettre en place. Le bannissement des vieilles voitures annoncé dans le Grand Paris en témoigne. Enfin, des mesures énergétiques sont disséminées au gré des textes législatifs.

En 2019, les dépenses de soutien aux énergies renouvelables (EnR) continueront de progresser fortement, avec une hausse de 7,8 %, pour atteindre environ 7,3 milliards d'euros ; 5,2 milliards seront consacrés aux EnR électriques et 1,8 milliard au remboursement de la dette de CSPE vis-à-vis d'EDF, pour financer ces énergies. Cette progression tiendra bien sûr à la poursuite du développement des filières mais aussi au poids des engagements passés : l'an dernier, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) avait calculé que les deux tiers du soutien public actuel résultaient de décisions prises avant 2011, en particulier avant le moratoire sur le photovoltaïque. Cette année, elle estime que les engagements pris jusqu'à la fin 2017 représenteront 121 milliards d'euros, en euros courants, entre 2018 et l'échéance des contrats ; sans engagements nouveaux, la charge annuelle culminera en 2025 et ne baissera significativement qu'après 2030, pour s'éteindre à l'horizon 2045.

Je veux dire un mot sur le biométhane injecté : même si les volumes sont encore modestes - moins de 1 % du gaz consommé en 2017 -, ils ont été multipliés par dix depuis 2015 et les soutiens devraient encore doubler en 2019 pour atteindre environ 130 millions d'euros. Quant aux dépenses de cogénération, elles continueront également de progresser et atteindront 725 millions d'euros en 2019, du fait de nouvelles capacités installées et des hausses de taxes sur le gaz et des prix de marché.

Il reste que, malgré les investissements consentis et le développement très significatif observé au cours des dernières années, la part des ENR dans la consommation d'énergie, passée de 9,6 % à 16 % entre 2005 et 2016, reste en deçà de la trajectoire requise pour atteindre la cible de 23 % fixée pour 2020, qui ne sera probablement pas atteinte.

Sur le plan industriel, le bilan ne paraît pas non plus à la hauteur des subventions versées, comme la Cour des comptes l'a récemment souligné. Si les EnR ont des retombées économiques réelles - 21,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2016, toutes activités confondues, en incluant le soutien public -, la valeur des investissements français dans les équipements fabriqués en France n'était que de 1,4 milliard d'euros en 2016, soit 6,6 % du chiffre d'affaires total. Dans les EnR électriques, les industries françaises couvrent moins de la moitié de la valeur ajoutée des investissements et moins de 25 % de la fabrication.

En 2016, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) évaluait le nombre d'emplois directs liés aux EnR, hors biocarburants, à 79 000, dont 35 % à 45 % pour la maintenance et l'exploitation, 25 % à 30 % pour l'installation et 15 % seulement pour la fabrication et l'assemblage. Ces emplois étaient répartis à 42 % dans les EnR électriques et à 58 % dans les EnR thermiques.

Pour repositionner la France dans la chaîne de valeur, plusieurs pistes doivent à mon sens être explorées : dans les filières existantes, les soutiens publics devraient être rééquilibrés au profit des énergies renouvelables thermiques qui, outre le fait qu'elles sont globalement plus pourvoyeuses en emplois, ont de plus le mérite d'être pilotables, d'exploiter la forêt française pour le bois-énergie ou de générer des revenus complémentaires pour les agriculteurs au travers de la méthanisation. Je vous proposerai d'ailleurs d'augmenter le Fonds chaleur de l'Ademe et de réduire la TVA sur le bois-énergie de qualité. Dans les filières innovantes, la France a une carte à jouer à la fois dans les technologies de rupture, notamment en matière de stockage ou de gestion intelligente de l'énergie, et dans l'éolien flottant, même s'il importera d'en maîtriser les coûts.

Plus généralement, les critères environnementaux, tels que le bilan carbone des panneaux photovoltaïques, devraient être renforcés dans les appels d'offres, voire étendus aux arrêtés tarifaires, parce qu'ils permettent de déployer des technologies plus respectueuses de l'environnement tout en favorisant, indirectement, les industries françaises et européennes.

Pour conclure cette partie sur les EnR, je rappelle que les mécanismes actuels d'autorisation budgétaire ne permettent pas au Parlement de consentir à l'impôt de façon éclairée ; sans loi de programmation, nous en sommes réduits à approuver, sans pouvoir l'influencer, la tranche annuelle d'engagements pluriannuels qui résultent d'un décret portant programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), à l'élaboration duquel le Parlement est très peu associé.

J'en arrive aux dépenses de solidarité en direction, à la fois, des bénéficiaires du régime de l'après-mines, des zones non interconnectées (ZNI) ou des consommateurs en situation de précarité énergétique. Je ne dirai qu'un mot de l'après-mines, dont l'enveloppe, fixée à 360 millions d'euros en 2019, décline logiquement, avec une baisse de 7,8 %, à mesure de la disparition progressive des anciens mineurs et de leurs ayants droit.

Les dépenses liées à la péréquation tarifaire pour les ZNI sont très dynamiques : entre 2017 et 2019, elles devraient progresser de 11,8 % et atteindre près de 1,6 milliard d'euros, du fait de la hausse des prix des matières premières et des quotas de dioxyde de carbone (CO2), de la mise en service de nouveaux moyens de production renouvelable et d'une augmentation de la consommation dans certains territoires. En raison des investissements prévus par les PPE de ces territoires, les dépenses devraient rester durablement orientées à la hausse, d'où l'appel à la vigilance du régulateur pour éviter d'éventuelles surcapacités.

Les dépenses de protection des consommateurs précaires, après avoir connu une hausse de près de 60 % l'an dernier, liée à la généralisation du chèque énergie, se stabiliseraient à 740 millions d'euros en crédits de paiement, compte non tenu de l'extension annoncée ce matin, qu'il nous faudra chiffrer ; la revalorisation du montant moyen du chèque à hauteur de 50 euros serait compensée sur l'année par l'extinction des tarifs sociaux, même si l'évaluation des coûts est en réalité très dépendante du taux d'utilisation effectif du chèque énergie.

Ainsi, selon les hypothèses optimistes d'utilisation du chèque énergie retenues par le Gouvernement - 90 % en 2018 et 95 % en 2019, contre moins de 78 % lors de l'expérimentation -, le chèque énergie représenterait, dans son périmètre actuel, un surcoût par rapport aux tarifs sociaux de l'ordre de 60 millions d'euros en 2018 et de 260 millions en 2019, le tout pour un montant d'aides moyen supérieur, bien qu'il y ait des perdants, principalement les ménages chauffés au gaz. Le nombre de bénéficiaires supplémentaires resterait faible, même en retenant ces hypothèses favorables - 3,3 millions en 2018, soit autant que les tarifs sociaux avant leur disparition, et 3,5 millions en 2019 -, et encore ne retient-on pas le chiffre de 560 000 personnes n'encaissant pas le chèque évoqué par le ministre chargé du budget lui-même, soit un taux d'utilisation de 85 %. L'extension annoncée à 2 millions de personnes supplémentaires paraît donc plus que nécessaire...

Au-delà des difficultés d'appropriation par les ménages, le chèque énergie comporte un autre écueil, celui de ne pas aider au financement de travaux de rénovation énergétique : durant l'expérimentation, sur les 170 000 chèques distribués, moins d'une centaine avaient été utilisés à cette fin. Il est très probable qu'il en sera de même à l'échelle de tout le territoire, car le montant du chèque, même cumulable sur trois ans, reste trop faible pour déclencher, à lui seul, une opération de rénovation. C'est pourquoi je vous proposerai de doubler le montant du chèque énergie pour travaux.

Je signale par ailleurs l'absence très dommageable de deux dispositifs d'aide. Le premier, les afficheurs déportés, devrait pourtant être en vigueur depuis le 1er janvier dernier, mais aucun n'a été déployé à ce jour, faute de décision du Gouvernement sur les modalités de compensation des fournisseurs. Le second, sur lequel le Gouvernement n'a même pas remis le rapport demandé par le Sénat, vise les ménages précaires dont la chaudière ne pourra être adaptée au changement de gaz distribué dans le nord de la France ; là aussi, je vous proposerai un amendement pour y remédier.

L'année 2019 sera aussi marquée par un premier décaissement de 91 millions d'euros pour couvrir les coûts de la fermeture de Fessenheim, sur les 446 millions d'euros déjà budgétés mais non encore dépensés. Plus la fermeture sera retardée, moins l'État aura à dépenser pour compenser le manque à gagner pour EDF. Le projet de loi de finances crée par ailleurs un fonds de compensation des pertes fiscales liées aux fermetures de centrales nucléaires et thermiques, qui organise en réalité une péréquation entre collectivités ayant de telles centrales sur leur territoire. En d'autres termes, celles qui les conservent paieront pour celles qui les perdent, et aucune aide supplémentaire de l'État n'est prévue par rapport au mécanisme de perte de base actuel.

De plus, alors que les quatre dernières centrales à charbon fermeront d'ici à 2022, aucune ligne budgétaire comparable à celle prévue pour Fessenheim n'existe aujourd'hui pour indemniser et accompagner ces fermetures, alors que les projets de revitalisation industrielle des sites doivent se penser dès maintenant ; je vous proposerai donc de la créer.

Quant aux dépenses fiscales, elles devraient théoriquement refluer en 2019 pour atteindre environ 2 milliards d'euros, en raison du resserrement du CITE décidé l'an dernier. En réalité, le surcroît de commandes de fenêtres observé jusqu'à la suppression du crédit d'impôt augmentera la dépense d'au moins 400 millions d'euros en 2018 et en 2019. Quant à la transformation, promise l'an dernier, du CITE en prime, elle est désormais reportée à 2020 et, surtout, contrairement à l'engagement présidentiel, elle ne devrait concerner que les ménages les plus modestes, sans doute sous la forme d'une bonification des aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Les autres ménages devraient toujours faire l'avance des frais, le tout prenant la forme de montants forfaitaires selon les économies réalisées ; la réforme s'annonce donc bien complexe...

Pour 2019, le Gouvernement dit toujours travailler à plusieurs pistes, dont on attend toujours la concrétisation et qui n'ont pas toutes été abordées ce matin : il envisage de rendre éligibles la dépose des cuves à fioul et la main d'oeuvre pour les installations de chaleur renouvelable ou de porter à 50 % le taux du crédit d'impôt pour les audits énergétiques, le tout pour une dépense supplémentaire inférieure à 100 millions d'euros, voire de réintroduire les fenêtres dans le dispositif en cas de remplacement d'un simple vitrage, ce que le Sénat avait proposé l'an dernier et que le Gouvernement avait à l'époque refusé...

Je veux dire quelques mots pour finir des dispositifs de soutien aux industries intensives en énergie ; ceux-ci excèdent largement les seuls tarifs réduits de taxes intérieures de consommation financés par la mission à hauteur de 634 millions d'euros. Ils représenteraient près de 2,4 milliards d'aides sous des formes diverses. Je signale qu'un tarif réduit pour l'électricité consommée par les data centers a été ajouté à l'Assemblée et j'en profite pour alerter sur la situation particulière d'un secteur de niche, celui de la déshydratation de légumes, qui concerne quatre entreprises et au moins un millier d'emplois en France. Bien qu'étant intensif en énergie et exposé à un risque de fuite de carbone, ce secteur ne bénéficie aujourd'hui d'aucun tarif réduit, faute d'être inscrit sur la liste européenne des secteurs protégés. Or, sans gel de leur taxation au niveau de 2018, plusieurs des entreprises concernées sont condamnées à très brève échéance. Je déposerai donc un amendement pour les défendre.

Sous la réserve, forte, de l'adoption du gel de la fiscalité énergétique et de ces mesures de compensation supplémentaires, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.

M. Roland Courteau. - Je constate la stabilité générale des crédits et quelques légères hausses. Compte tenu de la tragédie écologique à laquelle nous commençons d'assister, on aurait pu s'attendre à un budget plus ambitieux.

La fiscalité écologique est nécessaire à la transition, mais je déplore l'insuffisance des mesures de compensation pour les ménages ne pouvant se passer de voiture ou de chauffage par énergie fossile. La transition énergétique doit être socialement inclusive. Nous déposerons un amendement tendant à instaurer une TICPE flottante pour compenser la hausse du cours du pétrole, et un amendement visant à rendre le chèque énergie plus consistant. Sous la pression des événements, le Gouvernement a proposé des mesures que le Sénat suggérait voilà quelques semaines. Cela dit, malgré ces annonces, le compte n'y est pas.

Je m'interroge sur l'utilisation des prélèvements écologiques supplémentaires. Même s'il ne s'agit pas de taxes affectées, il serait logique que ces crédits soient fléchés vers l'environnement et la transition plutôt que vers le budget général.

L'augmentation du Fonds chaleur de l'Ademe a été annoncée ; confirmez-vous cette annonce, monsieur le rapporteur ? Si c'est le cas, j'espère que cela ne se fera pas au détriment des autres fonds de l'Ademe. Pouvez-vous me rassurer à cet égard ?

La hausse des crédits relatifs à la qualité de l'air ne nous permettra pas d'atteindre nos objectifs, alors que de nombreux citoyens meurent prématurément à cause de cela.

Je regrette aussi l'inéligibilité au CITE des portes, fenêtres et volets isolants, ainsi que l'absence de transformation de ce crédit d'impôt en prime, qui aurait permis aux ménages modestes de rénover leur logement. Il y a huit millions de logements passoires aujourd'hui ; flécher les recettes de la taxation du carbone vers un CITE pour tous n'aurait été que justice.

Si l'autoconsommation se développe fortement, il faudra réformer le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE), en augmentant la part puissance et en diminuant la part énergie, faute de quoi la charge sera trop élevée pour ceux qui utiliseront uniquement l'électricité du réseau. Attention, à cet égard, à ne pas tuer la péréquation et la solidarité entre territoires, quand certains rêvent d'autarcie énergétique.

Autre déception, la diminution des soutiens publics à la recherche sur le stockage de l'électricité. Je souhaite aussi que le Parlement contrôle la mise en oeuvre des certificats d'économie d'énergie et le suivi des dépenses induites. Enfin, pourquoi ne pas inviter le Gouvernement à lancer un nouvel appel à projets de territoires à énergie positive, puisque le précédent a montré son efficacité ?

M. Joël Labbé. - La situation que nous connaissons est prévue depuis plus de vingt ans. De nombreuses personnes ont tiré la sonnette d'alarme sur le tout-voiture, le tout-diesel. Nous sommes en situation d'urgence sociétale. Je m'inquiète du mouvement de samedi prochain, de ce soulèvement populaire.

Le Gouvernement annonce d'autres mesures complémentaires. La fiscalité carbone est nécessaire et elle ne diminuera pas. La consommation des énergies fossiles doit baisser drastiquement et rapidement, c'est une nécessité vitale pour tous. Je suis effaré de la quantité de publicités pour les voitures ; pourquoi ne pas taxer ces publicités ?

Par ailleurs, il faut envoyer des signaux de justice aux gens qui souffrent. On ne parle pas du kérosène, qui concerne les déplacements des classes aisées ; toute une partie de la population ne prendra jamais l'avion, pourquoi ne pas taxer le kérosène ?

Il en va de même avec le fioul lourd des bateaux de croisière et des porte-conteneurs. On se dirige vers une relocalisation de l'économie, donc taxer le fioul lourd serait une bonne mesure. De même, la question des fenêtres touche beaucoup la population.

M. Laurent Duplomb. - Notre système purement français d'écologie punitive monte les gens les uns contre les autres, et, maintenant, on a peur que cela déborde. Il faut avoir une politique juste et de long terme. Comment expliquer que l'on taxe plus le diesel aujourd'hui alors qu'on a encouragé pendant des années à acheter des voitures diesel ? Comment expliquer qu'une si faible part des taxes perçues aille vers la transition énergétique ? Comment expliquer que la moitié des aides à la transition énergétique aient été supprimées ?

Je le rappelle : la France est responsable de 0,9 % des émissions de CO2 sur la planète, et ses émissions ont baissé de 14 % entre 1990 et 2015. La Chine émet 29,7 % du CO2 de la planète et ses émissions ont augmenté de 355 % sur la même période.

Enfin, dernier chiffre, sur le continent asiatique, on enregistre 2,58 naissances à la seconde. Alors, montons-nous les uns contre les autres, n'écoutons pas la colère des Français, et on aboutira à une situation bien pire.

Mme Anne-Catherine Loisier. - La fiscalité écologique cible toujours les mêmes et je suis d'accord avec M. Labbé sur la fiscalité du kérosène et du fioul lourd. Pourquoi les activités portuaires et aéroportuaires ne participent-elles pas à l'effort de fiscalité écologique ? Les ressources considérables induites permettraient d'aider les particuliers, en particulier pour se rendre au travail. Par ailleurs, l'indexation du prix du gaz sur le pétrole est-elle toujours pertinente ?

M. Robert Navarro. - Monsieur Duplomb, vous parlez de monter les Français les uns contre les autres, mais je vous renvoie à votre intervention d'hier dans l'hémicycle réclamant plus de crédits pour les pompiers volontaires. Vous demandez plus d'argent alors que l'on sait que le principal problème de notre pays réside dans ses finances. Je regrette que l'on demande toujours plus d'argent à tout sujet. Que l'on ait des différences d'approche, certes, mais il faut arrêter de jeter l'opprobre en affirmant que tel ou tel a complètement tort ; la vérité est toujours relative et éphémère. Nous devons construire un objectif commun pour notre pays. Je demande donc de la modération dans les interventions.

M. Fabien Gay. - Je veux réagir à ce que vient de dire M. Navarro. Pour moi, ce budget éclaire les choix politiques du Gouvernement. On ne peut pas dire que l'on manque d'argent quand on tape les familles populaires d'une fiscalité maquillée en vert. Moins de 20 % seulement de la fiscalité est consacrée à l'écologie. Je ne déconnecte pas cette mission du reste du budget, partie recettes comprise. Sous prétexte de transition énergétique - le Gouvernement se moque bien de l'écologie -, on taxe l'essence, le gaz, le fioul domestique. Je le rappelle, 13 % de personnes sont en difficulté énergétique ; augmenter le prix du gaz va les mettre encore plus dans l'embarras. Je suis d'accord, on doit taxer davantage le kérosène, les croisiéristes, Total. Ce sont des choix de société.

18 millions de citoyens vivent en zone blanche de transport public, non seulement dans les territoires ruraux mais aussi en Seine-Saint-Denis. On a fait le choix politique de ne pas développer les transports publics ; le pacte ferroviaire a conduit à la fermeture de petites gares. Certains collègues l'ont soutenu mais ont défendu dans leur territoire le maintien du guichet dans leur petite gare. Il faut être cohérent...

Mme Sophie Primas, présidente. - On doit raisonner à l'échelle européenne sur la fiscalité pour ne pas mettre la France en difficulté par rapport à ses voisins européens.

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. - Sur le Fonds chaleur de l'Ademe, je suis d'accord avec M. Courteau, il ne faut pas que l'abondement du fonds se fasse par le recyclage d'autres moyens. C'est précisément la raison pour laquelle je vous propose d'abonder le budget de l'Ademe de 100 millions d'euros supplémentaires.

Il me semble que notre commission, notamment lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, a été visionnaire sur la stratégie énergétique et sur les attentes de nos concitoyens, notamment sur la rénovation énergétique des logements.

Sur l'autoconsommation, je suis là aussi parfaitement d'accord. Si l'on s'engouffre dans cette pratique sans l'encadrer, c'est la solidarité territoriale qui sera menacée, alors qu'elle est exemplaire et précieuse - où que l'on se trouve sur le territoire, on bénéficie du même tarif - et qu'il faut la préserver. Il faudra sans doute en passer par une réforme du TURPE.

Sur l'idée consistant à relancer un appel à projets de territoires à énergie positive, soyons prudents et faisons déjà en sorte que les projets déjà engagés soient bien financés. L'an dernier, nous n'avions pas cette certitude...

Monsieur Labbé, il faut faire attention à ne pas se faire trop plaisir. On peut faire baisser le budget carbone en France mais si c'est au prix d'une explosion du carbone importé, ce sera un jeu de dupes.

Monsieur Duplomb, je suis d'accord, prenons garde à cette écologie punitive.

Madame Loisier, la question de la taxation du kérosène est stratégique mais elle ne peut être abordée qu'à l'échelon mondial. Il ne faudrait pas détourner le trafic aérien du territoire français. Ayons au moins une réflexion européenne.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Même les États-Unis taxent leur trafic intérieur.

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. - Monsieur Gay, je partage votre constat. L'énergie est un tout. Elle influe sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens et sur la performance économique du pays. Derrière le dossier énergétique, il y a la balance commerciale et l'emploi. Et je rappelle que beaucoup de personnes n'ont aujourd'hui pas d'autre choix que le véhicule individuel pour se déplacer et pour aller travailler, y compris en milieu urbain. Pensons aussi à eux.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 39

ÉTAT B

M. Daniel Gremillet rapporteur pour avis. - L'amendement AFFECO.1 propose d'augmenter de 100 millions d'euros le budget du Fonds chaleur de l'Ademe, ce qui le porterait à 315 millions en 2019.

M. Roland Courteau. - Nous voterons pour cet amendement.

L'amendement AFFECO.1 est adopté.

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. - L'amendement AFFECO.2 est relatif aux fermetures de centrales thermiques ; quatre d'entre elles fermeront très prochainement. Je propose de créer une ligne relative à l'accompagnement de ces fermetures, dotée de 40 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 2 millions d'euros en crédits de paiement pour 2019, afin d'engager la reconversion de ces sites dès maintenant.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ces crédits sont très importants ; pour l'avoir vécu, je peux dire que ces fermetures représentent des drames territoriaux.

L'amendement AFFECO.2 est adopté.

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. - L'amendement AFFECO.3 concerne le nord de la France, où les chaudières des gaz datant d'avant 1993 doivent être remplacées, car elles ne seront plus compatibles avec le gaz fourni - c'était jusqu'à présent du gaz venu des Pays-Bas qui était distribué. Je vous propose de prévoir 26 millions d'euros de crédits supplémentaires pour aider les ménages en situation de précarité énergétique à remplacer les appareils non adaptables.

L'amendement AFFECO.3 est adopté.

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. - Enfin, l'amendement AFFECO.4 entend doubler le montant du chèque énergie lorsqu'il est utilisé pour financer des travaux, ce qui, cumulé sur trois ans et sur la base de son montant moyen, le porterait à 1 200 euros. Le chèque est en effet très peu consommé aujourd'hui pour cet usage, car son montant est trop faible par rapport au coût des travaux.

M. Roland Courteau. - Nous voterons pour cet amendement. Nous proposerons un amendement procédant de la même démarche mais allant un peu plus loin. Nous pensons que le seuil d'éligibilité est trop faible ; il faut l'augmenter.

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. - Votre demande devrait être satisfaite, puisque le Gouvernement a proposé ce matin d'élargir l'accès au chèque énergie. On devrait ainsi atteindre 2 millions de bénéficiaires supplémentaires.

L'amendement AFFECO.4 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » sous réserve de l'adoption de ses amendements.

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. - Je rappelle que notre commission n'est saisie pour avis et ne peut amender que la deuxième partie du projet de loi de finances. Je déposerai des amendements sur la première partie en mon nom propre et proposerai bien entendu à ceux qui le souhaitent de les cosigner. Il s'agira en particulier du gel des taxes en 2019 et du maintien du taux réduit sur le GNR.

La réunion est close à 12 h 30.