COMMISSIONS MIXTES PARITAIRES

Mercredi 3 avril 2019

- Présidence de Mme Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale -

La réunion est ouverte à 16 heures 30.

Commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires s'est réunie à l'Assemblée nationale le mercredi 3 avril 2019.

La commission mixte paritaire procède à la désignation de son bureau, ainsi constitué : Mme Barbara Pompili, présidente, M. Hervé Maurey, vice-président, Mme Yolaine de Courson, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale, M. Louis-Jean de Nicolaÿ, sénateur, rapporteur pour le Sénat.

Mme Barbara Pompili, députée, présidente. - Mes chers collègues, je souhaite la bienvenue à nos collègues sénateurs pour cette commission mixte paritaire sur les dispositions de la proposition de loi portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires qui restent en discussion.

Je voudrais d'emblée saluer le travail mené par les députés et les sénateurs sur ce texte dont nous mesurons tous l'importance, et qui est très attendu sur les territoires. Notre Assemblée a adopté une attitude constructive et dénuée d'approche partisane car nous sommes tous soucieux d'offrir aux territoires de réelles perspectives de développement durable, en particulier à ceux qui présentent des fragilités ou sont confrontés à des difficultés que nous connaissons bien : l'éloignement des centres de décision, la fragilité du tissu économique et social, le maquis administratif dans lequel se perdent les élus qui cherchent à construire un projet de territoire porteur d'une véritable vision.

C'est donc naturellement que nous avons souscrit à la philosophie du texte qui nous était présenté. Nous avons retenu de nombreux apports du Sénat à la proposition de loi initiale, et nous avons ajouté des compléments utiles pour garantir à la nouvelle agence qu'elle disposera de moyens adéquats pour mener ses missions.

L'esprit initial du texte me semble avoir été préservé. Notre objectif a bien été de mettre à la disposition des territoires un nouvel outil pour leur permettre de mener à bien leurs projets, grâce à un guichet unique qui facilitera leur accès à l'ingénierie, tout en respectant les structures locales déjà mises en place dans ce domaine.

Nous nous sommes aussi ralliés à la position du Sénat qui a souhaité prévoir la coordination des différents intervenants au niveau local, rien n'étant pire qu'un fonctionnement « en silos » dont on connaît les effets pervers. Au terme des débats à l'Assemblée, il me semble donc que nous avons adopté un texte qui peut sans doute être amélioré à la marge, mais qui constitue un point d'équilibre.

Le désaccord majeur porte, à ce stade de la navette, sur la question de la gouvernance de la future agence, traitée par l'article 3 de la proposition de loi.

Les sénateurs ont souhaité établir la parité au conseil d'administration de l'agence entre les représentants de l'État et du personnel de l'agence d'une part, et les élus locaux et nationaux d'autre part. Pour notre part, nous avons estimé que l'État devait avoir la majorité dans cette instance car l'agence sera une institution nationale publique, dont je rappelle qu'elle sera issue de la fusion de plusieurs services ou établissements nationaux.

Nos assemblées ont adopté deux logiques différentes sur ce point, et nous sommes réunis aujourd'hui pour voir si un rapprochement est possible pour aboutir à un texte commun.

Je vous rappelle à tous qu'il n'y a pas d'accord partiel en CMP. Dix articles de la proposition de loi restent en discussion.

Je vais bien entendu laisser M. le Président Hervé Maurey s'exprimer et les deux rapporteurs exposer les points encore en discussion, afin que nous puissions apprécier si les divergences peuvent être surmontées. Chacun pourra par la suite s'exprimer. Au-delà de nos différences d'opinion, je souhaite que cette commission mixte paritaire soit un espace de dialogue franc, respectueux et constructif, qui permette d'identifier les points d'accord ou de désaccord, et que nous en tirions tous sereinement les conséquences.

M. Hervé Maurey,nateur, vice-président. - Je vous remercie de votre accueil et d'avoir souligné la qualité du travail du Sénat. Nous avons le souhait de parvenir à un accord, comme nous y étions parvenus précédemment pour d'autres textes.

Vous l'avez dit, le Sénat a beaucoup travaillé sur la présente proposition de loi, d'initiative sénatoriale puisque son auteur est M. Jean-Claude Requier qui l'avait déposée au nom du groupe RDSE.

Elle prolonge le travail du Sénat sur ce sujet, car nous avons toujours eu à coeur de renouveler le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. Dans un rapport conjoint avec M. Louis-Jean de Nicolaÿ, nous avions ainsi plaidé en 2017 pour un plus fort volontarisme des politiques en matière de cohésion des territoires. Le Président du Sénat avait également déclaré qu'il était favorable à la création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires.

Je rappellerai en outre que ce texte s'inscrit dans la continuité d'autres initiatives issues de nos deux assemblées : une proposition de loi de M. Philippe Vigier à l'Assemblée nationale, et une proposition de loi de MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud au Sénat. Le Gouvernement avait également tenté, lors de l'examen du projet de loi dit « ELAN », de faire passer son projet de création d'une agence par la voie d'un amendement l'habilitant à légiférer par ordonnance, mais le choix de cette méthode n'avait pas permis d'aboutir. C'est ce qui a conduit au dépôt de la proposition de loi de M. Jean-Claude Requier. Elle reprend, pour l'essentiel, ce que nous avions pu adopter précédemment au Sénat.

Je me réjouis que le Conseil d'État ait été saisi par le Président du Sénat pour recueillir son avis : cette initiative a permis d'améliorer le texte. Nous avons également souhaité compléter ce dispositif par une proposition de loi organique car il nous paraissait indispensable que le futur directeur de l'agence ne soit nommé qu'après avoir été entendu par les commissions compétentes des deux assemblées au titre de l'article 13 de la Constitution.

Le Sénat a amélioré le dispositif de la proposition de loi sur le plan juridique, notamment en codifiant ses dispositions dans le code général des collectivités territoriales. Nous avons aussi eu à coeur d'associer les élus au fonctionnement de l'agence et en particulier à sa gouvernance.

Si l'Assemblée et le Sénat ont pu avancer sur le texte sans grande divergence, il reste néanmoins un point de blocage concernant la composition du conseil d'administration. C'est en effet parce que nous avons prévu la parité au sein de ce conseil que la proposition a pu être adoptée par le Sénat. Nous comprenons les réticences actuelles et entendons le souhait de parvenir à un accord. Mais ce dernier ne peut pas se faire à n'importe quel prix. C'est pourquoi j'espère que nous parviendrons à un compromis satisfaisant durant cette réunion.

Mme Yolaine de Courson, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je souhaite avant tout rappeler l'importance de l'Agence nationale de la cohésion des territoires pour nos territoires, et en particulier pour les plus fragiles. Nos deux assemblées ont avancé de manière remarquable sur ce texte. Nous avons conservé un certain nombre d'acquis du Sénat, comme les comités locaux de cohésion territoriale. Sur le reste, l'Assemblée a fait des avancées pour compléter, dans le bon sens à mon avis, ce texte.

Nous sommes d'accord à 99 %, mais nous conservons un point de désaccord sur l'article 3 relatif au conseil d'administration qui sera présidé, je le rappelle, par un élu local. Introduire la possibilité d'une nouvelle délibération dans l'élaboration des décisions de ce conseil, possibilité rare dans les agences de l'État, donnerait aux représentants des collectivités territoriales un droit de parole, une possibilité de se faire entendre, et transformerait ce qui aurait pu être vu comme une chambre d'enregistrement en un espace de dialogue et de recherche de solutions communes au service de nos territoires.

Je souhaite que nous trouvions aujourd'hui une voie médiane, responsable et raisonnable pour concilier les impératifs de l'État et de son agence et la prise en compte de la voix des collectivités territoriales. En ces temps de crise, je pense qu'une entente raisonnable sur un outil pour les territoires en difficulté serait un bon signe, car ce qui compte, ce sont eux : ils ont besoin d'outils, d'ingénierie, de financements, et cette agence sera là pour cela. Les territoires n'ont pas besoin de notre mésentente.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - La création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires n'a de sens que si elle permet d'apporter une réelle plus-value en termes d'efficacité de la politique d'aménagement du territoire et en termes de dialogue avec les élus locaux, qui sont échaudés par des années de baisse des dotations. L'ambition du texte qui nous a été soumis se situait très en-deçà des ambitions affichées par M. le préfet Serge Morvan dans son rapport de préfiguration. La question de la rationalisation des interventions territoriales de l'État demeure donc, de même que celle des ressources de la future agence.

Le Sénat a conforté l'agence dans ses missions, son champ d'intervention et son efficacité. Le texte adopté par l'Assemblée préserve les grands équilibres thématiques de ce texte et nous nous félicitons du travail qui a été conduit, ainsi que des compléments qui ont été apportés. La logique de décentralisation de la politique d'aménagement du territoire est préservée, tout comme l'information du Parlement sur l'activité de l'agence, de même que les structures de coordination et de dialogue. Nous saluons également la création du contrat de cohésion territoriale qui était évoqué dans le rapport de M. Morvan.

Il demeure toutefois un « point dur », celui de la gouvernance. À deux reprises, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de M. Philippe Bas et de l'examen de la présente proposition de loi, le Sénat a adopté un dispositif prévoyant une représentation paritaire des élus et de l'État au sein du conseil d'administration de l'agence, élément essentiel compte tenu de l'objet de celle-ci. L'Assemblée est revenue sur ce dispositif en rétablissant la majorité pour l'État au conseil d'administration. Cela n'était pas acceptable par le Sénat.

Nous avons donc fait des propositions pour tenter de trouver un accord. Nous avons d'abord proposé de revenir à la rédaction du Sénat qui prévoyait la parité entre l'État et les élus locaux, mais en introduisant un mécanisme permettant à l'État d'opposer un veto à une décision qui n'irait pas dans le sens qu'il souhaite et de demander une nouvelle délibération. Ensuite, nous avons travaillé en lien avec le Gouvernement et Mme la rapporteure pour prévoir une garantie pour les élus locaux : la possibilité d'un veto de ceux-ci si la moitié d'entre eux sont en désaccord avec une décision du conseil d'administration. Il était proposé que, dans ce cas, une nouvelle délibération ait lieu, dans les mêmes conditions de vote. Le Gouvernement a souhaité que nous retravaillions ce point pour ne pas bloquer le fonctionnement de l'agence. Nous avons alors proposé que pour toute nouvelle délibération, un blocage serait possible uniquement si les trois-quarts des élus locaux s'opposent à la décision. Il n'est pas possible d'aller au-delà pour la majorité sénatoriale qui, je le rappelle, souhaitait que la composition du conseil d'administration de l'agence soit paritaire.

Le texte a été adopté dans des conditions difficiles au Sénat, avec comme « point dur » le fait d'installer un dialogue franc, sincère et honnête entre l'État et les territoires. Nous prenons acte du fait que l'État conserve une grande méfiance à l'égard des élus locaux. Le fait que l'agence soit un établissement public de l'État et que ses fonds proviennent en grande majorité de l'État n'épuise pas le débat sur sa gouvernance.

La majorité sénatoriale estime avoir fait suffisamment de concessions pour l'adoption de ce texte. Elle a, en outre, été force de proposition pendant ces négociations. La méfiance du Gouvernement à l'égard des élus locaux est suspecte, et nous prenons acte de nos divergences fondamentales sur le rôle des élus.

Mme Nelly Tocqueville, sénatrice. - Je m'exprime au nom du groupe Socialiste et républicain du Sénat. Nous avons fait part, au cours des débats, de nos interrogations sur l'absence d'étude d'impact financier. Aucun moyen supplémentaire n'est envisagé dans le cadre de la fusion de l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA), de l'Agence du numérique et d'une partie du Commissariat général à la cohésion des territoires (CGET). Nous constatons l'absence de moyens identifiés au bénéfice des territoires prioritaires. L'agence devra donc fonctionner à enveloppe constante avec la dilution probable des moyens dédiés jusqu'à maintenant à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ou au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA).

Mon groupe s'est abstenu car nous considérons que ce texte ne permet pas de tenir les engagements pris par le Président de la République qui annonçait une approche nouvelle des relations entre l'État et les collectivités territoriales. Nous soutenons le principe de cette agence qui répond à des besoins exprimés régulièrement par les élus locaux qui ont dénoncé les difficultés à identifier le bon interlocuteur dans leurs démarches. Pour sa part, le groupe Socialiste et républicain a défendu une plus grande implication des élus dans la gouvernance et l'orientation des moyens financiers vers les territoires les plus en difficulté. La question de la faiblesse des moyens risque de créer des déceptions et de faire de l'agence une coquille vide. C'est une des raisons qui justifie notre abstention.

M. Jean-Claude Requier, sénateur. - Je souhaite m'exprimer au sujet de l'article 2 dans la rédaction de l'Assemblée, qui utilise des termes peu opérationnels. L'agence avait été conçue comme un véritable porteur d'ingénierie au profit des collectivités territoriales, notamment celles qui sont dépourvues de personnel. Elle devait « mobiliser » cette ingénierie. Dans la rédaction de l'Assemblée, l'agence est simplement « facilitatrice », c'est-à-dire un « passe-plats ».

S'agissant des compétences, il est prévu que l'agence s'appuie sur les préfets de département. Or le texte adopté par l'Assemblée étend l'action de l'agence aux subventions européennes gérées par les régions, sans que cette action soit pleinement effective puisqu'il s'agit d'une mission d'orientation. La répartition des compétences n'est pas claire, et je rappelle que les aides européennes sont massivement sous-consommées - celles du programme Leader n'ont par exemple été consommées qu'à 13 %.

Il faut que les préfets impulsent des politiques, plutôt que passer leur temps à contrôler les collectivités territoriales.

M. Joël Bigot, sénateur. - Le groupe Socialiste et républicain du Sénat a toujours soutenu le principe de la création de l'ANCT, en tant qu'interlocuteur unique des collectivités. Mais nous avons aussi des réserves, notamment quant à l'absorption de l'EPARECA et de l'Agence du numérique qui sont des structures identifiées et fonctionnent bien. Par ailleurs, mobiliser les crédits de l'ANRU et de l'ADEME au profit de l'agence, c'est « déshabiller Pierre pour habiller Paul ». Nous aurions préféré la mobilisation de moyens nouveaux. Ce sont les raisons pour lesquelles le groupe Socialiste et républicain s'est abstenu : ce texte n'apporte pas de réponse aux préoccupations des collectivités locales.

M. Christophe Euzet, député. En tant que rapporteur pour avis de la commission des lois, je me réjouis de la volonté de dialogue constructif exprimée par les sénateurs. Nos différences sont en fait très légères et nous pouvons nous féliciter des rapprochements effectués sur de nombreux points, s'agissant notamment du comité local de cohésion territoriale, du travail ascendant des collectivités vers les préfets ou de la présence des collectivités locales au conseil d'administration, et même de la présidence qui leur en est attribuée.

Il nous reste à examiner la proposition de Mme la rapporteure pour l'Assemblée nationale, portant sur la possibilité d'une nouvelle délibération à l'initiative des collectivités locales représentées au conseil d'administration. Si nous voulons donner l'image d'une commission mixte paritaire efficace, il faut nous accorder sur ce texte, qui fera consensus.

Mme Françoise Cartron, sénatrice. - En tant que représentante du groupe La République en Marche du Sénat, je rappelle que l'idée d'une agence émanait de toutes les associations d'élus - et donc de la base. Elle résulte d'une annonce du Président de la République de juillet 2018.

Nous sommes parvenus à un consensus sur 97 % ou 98 % des articles de la proposition de loi, y compris s'agissant du champ d'action de l'agence. Nous butons sur les modalités de gouvernance. Je rappelle que la présidence du conseil d'administration sera assurée par un élu local. Or, on sait bien que le président a une capacité d'action et une faculté d'impulsion et de dialogue importantes.

Nous avons déjà des difficultés à faire comprendre pourquoi il nous faut autant de temps pour légiférer. Si nous ne tombons pas d'accord sur ce point, nous retarderons encore la création de l'ANCT, au détriment des territoires.

M. Vincent Descoeur, député. Les députés Les Républicains de l'Assemblée ont été très actifs sur ce texte. Nous avons eu des points de débat, s'agissant notamment du périmètre et des moyens de l'agence, ou encore de la composition de son conseil d'administration pour lequel nous proposions que les élus locaux soient majoritaires. À l'issue du débat, nous avons constaté que des zones d'ombre demeuraient. Nous nous sommes en particulier interrogés sur l'efficience réelle de cette l'agence, et avons regretté que la question de ses moyens soit renvoyée à des projets de loi de finances ultérieurs. Tout ceci a justifié notre abstention finale.

M. Martial Saddier, député. Les discussions à l'Assemblée et au Sénat ont montré des points de débat sur le périmètre de l'agence et ses moyens financiers. Elles ont aussi très clairement montré un désaccord sur la gouvernance, que nous considérons déséquilibrée en l'état. Ce dernier point avait empêché l'adoption à l'unanimité du texte. Les députés LR de l'Assemblée souhaitent aboutir à un accord, mais il doit tenir compte d'un rééquilibrage au profit des collectivités territoriales. Il appartient à la majorité et au Gouvernement d'être lucides sur ce point de désaccord et d'entendre cette demande.

M. Bruno Millienne, député. Le groupe Modem s'est beaucoup investi dans la discussion de ce texte car il répond à une réelle demande des territoires et représente un effort de déconcentration important des services de l'État. Nous avions la volonté de moins détailler le contenu des deux premiers articles car nous souhaitons laisser davantage de liberté aux élus locaux, ce qui suppose de moins prioriser les missions de l'agence. Mais nous avons voté le texte car il améliore l'existant et repose sur le principe ascendant décrit précédemment.

Nous sommes en accord avec la composition du conseil d'administration dans la mesure où il s'agit d'une agence de l'État : il est donc logique que la majorité des sièges lui revienne. Nous espérons un dénouement positif car l'agence est attendue par les territoires. Nous étions récemment en Guyane avec Mme la Présidente Barbara Pompili. Ce territoire pourrait constituer un formidable terrain d'expérimentation pour la nouvelle loi.

Mme Marta de Cidrac, sénatrice. - Je souhaite que nous parvenions à un accord. Sans revenir sur les questions de budget et d'efficience de l'agence, la principale difficulté réside dans la gouvernance envisagée qui ne permet pas une représentation satisfaisante des élus locaux, alors même que la philosophie du texte réside dans le mouvement ascendant des collectivités territoriales vers l'État. Je partage donc les réserves du rapporteur pour le Sénat et je souhaite que nous puissions parvenir à d'autres propositions.

Mme Célia de Lavergne, députée. Je souhaite remercier les rapporteurs pour le chemin parcouru entre le Sénat et l'Assemblée. Ce n'est pas un petit pas qui reste à faire, mais un pas important. Nous sommes tous attentifs aux intérêts des territoires et nous avons veillé, dans la discussion, à la représentation des collectivités au sein du conseil d'administration de l'agence, y compris vis-à-vis du Gouvernement. Nous devons à présent parvenir à un accord car il ne serait pas entendable que nous n'y soyons pas parvenus.

Mme Yolaine de Courson, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. Nous vivons actuellement une crise de la démocratie représentative. Nous sommes tous des parlementaires engagés pour la défense des territoires. Il est donc important que nous puissions trouver un terrain d'entente. Si la majorité du conseil d'administration revient à l'État, sa présidence est dévolue à un représentant de collectivité locale et nous avons également la proposition de double délibération, qui constitue un levier important. Il est donc souhaitable de parvenir à un accord pour que l'agence vienne rapidement répondre aux projets ascendants des territoires.

M. Hervé Maurey, sénateur, vice-président. - Je suis d'accord avec l'idée qu'un accord est souhaitable, mais pas à n'importe quelles conditions. Avec treize élus sur quarante au sein du conseil d'administration, on ne peut pas dire que les collectivités y soient massivement représentées !

M. Jean-Charles Colas-Roy, député. Dix-sept élus et non pas treize !

M. Hervé Maurey, sénateur, vice-président. - En réponse à Mme Françoise Cartron, pour qui il importe d'aller vite, je rappelle que le Gouvernement avait la possibilité d'inscrire le texte de la proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dès juin 2018.

Nous avons fait de nombreuses propositions dans les dernières heures. Nous ne pouvons pas accepter que la minorité de blocage ne trouve à s'exercer qu'une seule fois : il suffirait de convoquer une nouvelle réunion la semaine d'après pour passer outre... Notre proposition a substantiellement évolué : nous avons d'abord proposé la parité au conseil d'administration, puis que la moitié des élus locaux ait une minorité de blocage, puis de porter cette minorité aux deux-tiers et enfin aux trois-quarts. Nous avons donc fait beaucoup d'efforts. Si cela ne convient pas, nous ne voyons pas ce que nous pouvons proposer de supplémentaire.

Une minorité de blocage des trois-quarts, cela implique de réunir onze voix sur treize. Il suffit donc de l'accord de trois élus locaux pour que le texte soit adopté. Par ailleurs, je précise qu'il existe des établissements publics de l'État où les élus ont la majorité, notamment les établissements publics fonciers ou l'établissement public d'aménagement de Paris-Saclay. Il ne s'agit donc pas d'une invention juridique du Sénat.

Mme Barbara Pompili, députée, présidente. Nous avons une convergence de vues sur l'essentiel du texte. Il reste l'article 3, qui pose la question du poids des collectivités territoriales pour influer sur des votes au sein du conseil d'administration. Nous nous accordons pour que l'État soit majoritaire dès lors que les collectivités aient une minorité de blocage. Ce qui nous distingue est le caractère temporaire ou définitif de cette capacité de blocage. Sommes-nous si éloignés ? Je précise toutefois qu'à ce stade, aucune rédaction alternative n'est proposée. Prenons-nous le temps pour tenter d'y parvenir ? Peut-être faut-il envisager une capacité de blocage à plusieurs reprises mais avec des limites ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Notre position est très simple. Il s'agit de créer une Agence nationale de la cohésion des territoires. J'insiste sur ces derniers mots. On ne saurait y considérer les représentants des collectivités uniquement comme des personnes à consulter mais qui ne décident jamais. Nous avons évolué sur la minorité de blocage, en passant de la moitié, aux deux-tiers et enfin aux trois-quarts. Il me semble que onze représentants sur treize n'est pas un point d'arrêt déraisonnable. On ne peut pas accepter que l'État décide seul. Nous écartons ce danger avec une minorité de blocage aux trois-quarts car le président aura alors intérêt à négocier pour améliorer son projet de décision.

M. Christophe Euzet, député. Il faut que nous imaginions une situation de blocage. En cas d'opposition entre l'État et les représentants des collectivités territoriales, l'essentiel me semble acquis : la discussion devra s'engager dans la perspective d'une nouvelle délibération. On peut éventuellement imaginer une seconde faculté de blocage, mais il faudra bien, à un moment, dépasser cette situation de conflit. Nous devons faire prévaloir la continuité de l'État sur une opposition éventuelle entre État et collectivités.

Mme Barbara Pompili, députée, présidente. Dans la discussion que nous avons, nous sommes d'accord sur l'existence d'une minorité de blocage au profit des collectivités locales. Si nous ne parvenons pas à un texte commun, cet acquis pourrait être remis en cause. Éventuellement, ne pourrait-on pas prévoir que cette faculté puisse s'exercer à deux reprises, à la majorité simple ? Cela éviterait d'inscrire dans la loi la possibilité d'un blocage perpétuel car, en cas de crise et d'opposition, il faudra, dans tous les cas, parvenir à un accord.

Mme Célia de Lavergne, députée. Je n'imagine pas que l'ANCT, conçue pour être un outil au service des collectivités territoriales, puisse être bloquée de manière indéfinie. Le fait qu'il y ait par deux fois un blocage aurait une profonde résonnance politique et médiatique. Adopter la solution proposée par Mme la Présidente Barbara Pompili, c'est donc défendre les collectivités territoriales et je considère que sa proposition est une porte de sortie raisonnable.

M. Hervé Maurey, sénateur, vice-président. - Je considère - et je pense pouvoir m'exprimer au nom de la majorité sénatoriale - qu'il n'y a pas de minorité de blocage si celle-ci n'est que temporaire. On peut avoir dix réunions de suite : si on sait qu'au final, l'État peut imposer ce qu'il veut, cette minorité est virtuelle. Si, comme l'a dit Mme Célia de Lavergne, une situation de blocage au sein de l'ANCT est inenvisageable, pourquoi s'opposer à la proposition du Sénat ? Notre proposition a l'avantage d'être totalement rassurante pour les élus locaux. Par ailleurs, cette solution n'est pas excessive : il faudrait le désaccord de onze élus sur treize pour susciter un blocage sur une délibération et il suffirait que trois élus soient d'accord pour éviter un tel blocage.

M. Jean-Charles Colas-Roy, député. Je suis quelque peu choqué par les propos de M. le Président Hervé Maurey qui indique qu'il n'y aura dans l'ANCT que treize élus, en faisant référence aux représentants des collectivités territoriales. Je considère que les députés et les sénateurs, qui sont au nombre de quatre, sont eux aussi en capacité de représenter les territoires, même s'ils sont élus de la Nation. Je suis particulièrement surpris que l'on puisse considérer que même les sénateurs ne sont pas des élus des territoires !

De plus, je rappelle que des avancées ont été faites : il a été proposé que le siège dévolu à la Banque des territoires soit intégré dans le collège des représentants de l'État.

Enfin, je tiens à souligner un fait : nos collègues sénateurs sont prêts à faire achopper la commission mixte paritaire, à retarder l'application de ce texte et à assumer la responsabilité que la rédaction adoptée à l'issue du processus législatif soit bien en retrait par rapport à leurs souhaits et ne comporte même pas la solution de compromis présentée par Mme la Présidente Barbara Pompili ! Pourtant, nos collègues sénateurs savent au fond d'eux-mêmes qu'il est normal qu'au conseil d'administration d'une agence d'État dont les personnels relèvent de l'État, la majorité revienne à l'État.

M. Bruno Millienne, député. Je trouve que la proposition de Mme la Présidente Barbara Pompili est une bonne proposition. En effet, sur le terrain, on fait confiance à l'intelligence collective des élus, quelle que soit leur appartenance politique. Adopter la proposition sénatoriale, qui fait courir le risque que l'ANCT se retrouve dans une situation de blocage perpétuel, n'est pas un bon signal. Après deux délibérations, l'État devra forcément trouver une solution qui fasse consensus. Par ailleurs, si nous ne trouvons pas d'accord sur ce sujet aujourd'hui, le texte adopté à la fin du processus législatif risque d'être moins ambitieux et les collectivités territoriales risquent de ne pas bénéficier de cette minorité de blocage. C'est pourquoi je préférerais que nous parvenions à une solution d'entente et je pense que la proposition de Mme la Présidente Barbara Pompili est une bonne solution pour les collectivités. Je vous livre ici mon sentiment personnel, qui est celui d'un centriste acharné.

M. Didier Martin, député. En tant que rapporteur pour avis au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale, je dois vous dire que si les membres de cette délégation ont accueilli très favorablement la proposition de loi adoptée par le Sénat, ils ont eu le sentiment qu'il était encore nécessaire de convaincre la plupart des élus de sa pertinence, qu'ils soient élus locaux ou parlementaires. Nous avons fait des progrès sur ce point dans nos deux assemblées. La ministre a même déclaré que, dans le cadre du projet de loi de finances, il serait possible d'envisager un fonds d'amorçage pour l'ANCT. Aujourd'hui, après une longue préparation, nous avons la possibilité d'apporter un point final au processus de création de cette agence. Elle sera une agence d'État dans le cadre de laquelle les collectivités territoriales auront voix au chapitre et pourront se faire entendre fortement au niveau national. Les initiatives locales seront prises en compte et orchestrées au niveau des comités locaux. Je fais confiance au futur conseil d'administration de l'agence, qui sera présidé par un élu local. C'est pourquoi je considère qu'il peut être souhaitable de mettre en place une minorité de blocage, mais que le blocage ne doit pas se perpétuer.

Mme Marta de Cidrac, sénatrice. - En tant que sénatrice, je ne peux rester sans réaction face aux propos de notre collègue M. Jean-Charles Colas-Roy. Il ne faut pas nous renvoyer mutuellement la responsabilité de l'échec. La vraie question qui se pose est celle de la confiance. La proposition faite par l'Assemblée est un message de défiance envoyé aux élus locaux. La proposition du Sénat est loin d'être farfelue : elle vise à rééquilibrer le dispositif sur un point précis.

Mme Françoise Cartron, sénatrice. - Je suis favorable à la proposition de Mme la Présidente Barbara Pompili. Je n'imagine pas que l'État ou qu'un préfet puisse s'enferrer dans des propositions qui seraient refusées par les élus locaux. Si malgré tout tel était le cas, le dispositif proposé par Mme la Présidente conduirait à l'élaboration d'une nouvelle proposition par l'État - et ce, deux fois de suite -, ce qui ne peut que débloquer la situation.

Par ailleurs, je considère que les députés et les sénateurs ont tous un rapport étroit à leur territoire et qu'ils sont insusceptibles de porter des intérêts divergents de ceux du territoire.

Il me semble que l'Assemblée nationale et le Sénat devraient pouvoir s'entendre. Si ce n'est pas le cas, je souhaite vous mettre en garde contre deux écueils. Tout d'abord, l'échec de la commission mixte paritaire renforcerait le décalage entre les institutions et les citoyens, notamment dû à la longueur du processus législatif. Par ailleurs, si la commission mixte paritaire échoue, l'Assemblée nationale aura le dernier mot. Soit elle n'introduit pas la minorité de blocage et toutes ces avancées sont perdues, soit elle reprend ce principe et ce sera elle, et non le Sénat, qui sera considérée comme une force de proposition.

M. Hervé Maurey, sénateur, vice-président. - Pour répondre à M. Jean-Charles Colas-Roy, dont les propos ont été inutilement agressifs, rappelons qu'en droit, les députés et sénateurs sont des élus de la Nation entière.

S'agissant de la minorité de blocage, puisque l'Assemblée nationale y semble très attachée, il lui appartiendra d'introduire ce système en nouvelle lecture. Je me refuse à croire que les députés y renonceront parce que les sénateurs ne se seraient pas ralliés à l'option qu'ils proposent.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Peut-être avez-vous interrogé les associations représentant les différentes collectivités territoriales. Nous avons constaté que les positions diffèrent entre l'ADF (Assemblée des départements de France), l'AMF (Association des maires de France) et Régions de France. C'est la raison pour laquelle le compromis proposé par le Sénat qui consiste à porter le seuil de blocage aux trois-quarts des élus locaux facilite le travail de l'État. En prenant en compte les souhaits des uns et des autres, il peut faire passer les décisions qu'il souhaite dès la deuxième délibération. La conclusion est plus rapide qu'en cas de succession de délibérations jusqu'à l'atteinte de la majorité simple. Notre solution offre en même temps une sécurité aux collectivités territoriales qui auraient ainsi réellement un rôle à jouer dans cette agence. Nous pensons avoir trouvé le point d'équilibre qui répond aux attentes de tout le monde. Mais si vous tenez à un système de majorité simple, prenez vos responsabilités.

Mme Yolaine de Courson, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. Notre position tient compte du fait qu'il s'agit d'une agence de l'État ; elle vise aussi à préserver le rôle d'arbitre de l'État. Nous savons bien que des rivalités, parfois de nature politique, peuvent exister au sein d'un collège de représentants des collectivités territoriales ; l'État vient souvent calmer le jeu.

Par ailleurs, notre système offre un garde-fou car s'il est important d'écouter, entendre, dialoguer, trouver des solutions ensemble, il faut aussi qu'à un moment donné, les décisions soient prises. Votre solution impose tout de même d'attendre la troisième délibération si le blocage perdure. À quelle étape trouveriez-vous légitime d'arrêter ce processus ? Il faudrait l'encadrer.

Mme Barbara Pompili, députée, présidente. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, mes chers collègues, il ressort de notre discussion générale et de nos échanges sur l'article 3 de la proposition de loi que cet article, relatif au conseil d'administration de l'agence, constitue un point de divergence majeur entre nos deux assemblées.

Je sais que nos deux rapporteurs ont tenté, au cours des derniers jours, et même des dernières heures, de rapprocher les positions, et je tiens sincèrement à les remercier pour leurs efforts en ce sens.

Je dois malheureusement constater que nos positions respectives ne semblent pas conciliables. Dans ces conditions, il ne me semble pas opportun de passer à la discussion des articles de la proposition de loi. Je pense raisonnable, à ce stade, de constater l'échec de notre commission mixte paritaire à parvenir à une rédaction commune.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires.

- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale -

Commission mixte paritaire sur la proposition de loi organique relative à la nomination du directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires et modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique relative à la nomination du directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires s'est réunie à l'Assemblée nationale le mercredi 3 avril 2019.

Elle a procédé à la désignation de son bureau qui a été ainsi constitué : Mme Yaël Braun-Pivet, députée, présidente, M. Hervé Maurey, sénateur, vice-président, M. Christophe Euzet, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale, M. Louis-Jean de Nicolaÿ, sénateur, rapporteur pour le Sénat.

Mme Yaël Braun-Pivet, députée, présidente. - Je rappelle que ce texte tire les conséquences de la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires par la proposition de loi ordinaire, examinée au fond par les commissions du développement durable des deux assemblées et sur laquelle une commission mixte paritaire vient de se réunir, sans parvenir à adopter un texte commun. J'invite les rapporteurs à se prononcer sur la seule disposition de la proposition de loi organique restant en discussion, à savoir son titre.

TITRE

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, sénateur, rapporteur pour le Sénat - Nous vous proposons d'adopter l'intitulé de cette proposition de loi organique dans la rédaction du Sénat.

M. Christophe Euzet, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous sommes d'accord. La modification introduite à l'Assemblée nationale n'avait pour objet que de maintenir ce texte en navette de manière à se conformer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La commission mixte paritaire adopte le texte issu de ses délibérations.

La réunion est close à 17 heures 45.