Mardi 25 juin 2019

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de Mme Virginie Duvat, professeure de géographie à l'Université de La Rochelle, MM. Raphaël Billé, coordonnateur, Jean-Baptiste Marre, coordonnateur adjoint du projet RESCCUE (Résilience des écosystèmes et des sociétés face au changement climatique), et Olivier Auguin, conseiller en planification, au secrétariat de la Communauté du Pacifique (CPS)

M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues. Sur proposition de notre collègue Jérôme Bignon dont je salue la présence parmi nous, se tient cet après-midi une audition autour du projet RESCCUE qui signifie résilience des écosystèmes et des sociétés face au changement climatique. Ce projet avait fait l'objet d'une présentation lors des tables rondes Biodiversité que notre délégation a organisées le 7 décembre 2017, en collaboration avec l'Agence française pour la biodiversité (AFB).

Mis en oeuvre par la Communauté du Pacifique (CPS), ce projet vise à rendre les territoires moins vulnérables au changement climatique en favorisant la résilience des écosystèmes terrestres et marins des petits États et territoires insulaires du Pacifique.

Je vous rappelle que la Délégation sénatoriale aux outre-mer poursuit cette année son étude sur les risques naturels majeurs outre-mer, avec un second rapport consacré précisément à la reconstruction et à la résilience des territoires.

Guillaume Arnell est notre rapporteur coordonnateur pour l'ensemble des deux études. Nous avons désigné un binôme de rapporteurs sur ce second volet, Messieurs Abdallah Hassani, sénateur de Mayotte, et Jean-François Rapin, sénateur du Pas-de-Calais et président de l'association nationale des élus du littoral. Dans le cadre de nos travaux préparatoires, le programme RESCCUE a toute sa place et je remercie notre collègue Jérôme Bignon pour son excellente initiative.

Le rapport que nous préparons concerne particulièrement les îles du Nord qui ont subi en 2017 un épisode cyclonique particulièrement violent et inédit, dont l'ouragan Irma, et ceux qui ont suivi, qui les ont totalement dévastées. C'est là que s'illustre le mieux la problématique de la reconstruction postérieure aux risques majeurs. Pour autant, il s'attache à prendre en compte l'ensemble des risques naturels présents outre-mer, mais aussi l'intégralité des collectivités ultramarines. Les collectivités du Pacifique sont fortement concernées par différents risques naturels. L'enjeu de la résilience face à un possible accroissement des risques dû au changement climatique les concerne au premier chef.

Nous avons ainsi reçu la semaine dernière une délégation de Polynésie française conduite par son Président Edouard Fritch et également composée du Président de l'Assemblée, Gaston Tong Sang, et du ministre de l'économie verte, Tearii Alpha. Je suis particulièrement heureux d'accueillir Madame Virginie Duvat, professeure de géographie à l'Université de La Rochelle, qui nous fera un exposé sur la préservation du milieu naturel comme rempart face aux risques majeurs ainsi que Messieurs Raphaël Billé, coordonnateur du projet RESCCUE et Jean-Baptiste Marre, coordonnateur adjoint au secrétariat de la Communauté du Pacifique (CPS) basé à Nouméa, qui en dressera le bilan.

Compte tenu du sujet, nous avons souhaité élargir cette audition aux membres du groupe d'amitié France-Vanuatu-Îles du Pacifique que je salue, et en particulier sa présidente, Mme Catherine Procaccia, membre de notre délégation.

Je vous laisse sans plus tarder la parole pour votre exposé liminaire. À titre personnel, je suis particulièrement sensible à ce que vous allez nous dire, puisque j'ai été pendant trente-cinq ans professeur des sciences de la vie et de la Terre et passionné par tout ce qui concerne ce sujet.

Mme Virginie Duvat, professeure de géographie à l'Université de La Rochelle. - Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs. Je vous propose un état des connaissances sur le service de protection côtière rendu par les écosystèmes tropicaux et sur son efficacité potentielle face au changement climatique. En tant que géographe et chercheuse, je travaille sur les changements environnementaux et les facteurs qui les contrôlent ainsi que les politiques susceptibles d'être mises en place face à ces changements environnementaux dans les trois océans tropicaux, ceci depuis une vingtaine d'années. Je suis très investie dans la Caraïbe, suite aux événements de septembre 2017. Notre équipe de huit laboratoires est financée sur trois ans pour travailler sur le relèvement, ce qui inclut le rôle que les écosystèmes tropicaux peuvent jouer dans la reconstruction des territoires.

Les écosystèmes tropicaux rendent aux communautés locales des services multiples, dont le service de protection côtière. Il tient à leurs capacités à protéger les régions côtières, pour la plupart aménagées et urbanisées, des impacts des phénomènes naturels extrêmes et de l'élévation du niveau de la mer. En d'autres termes, ces écosystèmes réduisent les risques d'érosion côtière et de submersion marine et rendent également d'autres services aux sociétés humaines pour le maintien de la biodiversité, laquelle s'est réduite de 25 à 50 % selon les habitats au cours des cinquante dernières années. Ces services portent aussi sur l'approvisionnement en matériaux et en ressources alimentaires ainsi que le recyclage et la séquestration du carbone. 50 % du CO2 piégé dans les sédiments marins est stocké par les herbiers, vasières, mangroves et macro-algues des habitats côtiers. Enfin, ils rendent des services récréatifs et éducatifs.

Il est aujourd'hui démontré que le service de protection côtière rendu par les écosystèmes tropicaux est efficace face aux impacts dévastateurs des aléas marins d'origine météorologique et tectonique tels que les cyclones et les tsunamis, mais aussi face aux effets de l'élévation du niveau de la mer. Les pressions océaniques et climatiques croissantes exercées sur les côtes renforcent les risques de submersion marine et d'érosion côtière. Ces risques renforcent à leur tour les risques de salinisation des sols et des aquifères.

Protéger et renforcer ce service de protection devient de plus en plus stratégique pour réduire les impacts du changement climatique. En outre, il semble d'autant plus crucial d'y prendre appui que les solutions conventionnelles d'ingénierie technique de « la défense lourde » rencontrent certaines limites. Au cours des trois dernières années, celles-ci ont été de mieux en mieux mises en évidence par les études scientifiques. Certes, elles sont bien maîtrisées dans les pays développés où elles permettent d'assurer une certaine protection des hommes et des biens face aux phénomènes naturels extrêmes, mais elles n'assurent pas une protection totale. De nombreux cas l'illustrent, tels que Katerina en 2005 aux États-Unis ou Fukushima en 2011. De plus, elles renforcent à terme la vulnérabilité des territoires en encourageant la poursuite de l'urbanisation et du développement dans des zones à risques, dans lesquelles populations et acteurs réduisent leur vigilance.

Par ailleurs, elles s'avèrent de moins en moins rentables à l'heure où il faut rehausser et renforcer les ouvrages pour faire face respectivement à l'élévation du niveau de la mer et à l'intensification des tempêtes, ces coûts n'ayant pas été anticipés. La « défense lourde » soulève de nombreuses autres questions relatives à la justice sociale (qui paye pour qui ?) et s'avère inadaptée dans certains contextes, notamment les milieux ruraux qui manquent généralement de moyens ainsi que les atolls où elle trouve de sérieuses limites techniques. Enfin, elle contribue à la perte de biodiversité en renforçant l'artificialisation des côtes et en faisant obstacle à la migration naturelle des écosystèmes vers l'intérieur des terres sous l'effet de l'élévation du niveau de la mer. Étant l'une des solutions d'adaptation des écosystèmes les plus mobilisées, elle aura pour effet à terme de les condamner.

Les services de protection côtière rendus par les écosystèmes jouent un rôle central dans le maintien de certains territoires comme les atolls, seuls territoires à la surface de la planète qui ont été construits par des animaux lilliputiens, les coraux, et qui sont occupés et exploités par des communautés humaines. La France en possède un certain nombre. 77 font partie de l'archipel des Tuamotu en Polynésie française, qui constitue le plus grand groupe d'atolls au monde et abrite près de 17 000 habitants.

Les surfaces des atolls, intégralement constituées de sables et de débris coralliens, sont dépendantes de l'avenir des récifs pour se maintenir. La mort des récifs coralliens se solderait à terme par leur disparition, ce qui constitue un argument fort en faveur de la protection des récifs. À l'inverse, le maintien du bon état de santé des récifs coralliens, lesquels sont florissants dans les Tuamotu à la différence de la Grande barrière de corail en Australie ou de la région antillaise, permettrait le maintien d'une grande partie de ces îles au moins jusqu'à 2070, et peut-être 2100 selon le scénario de réchauffement climatique considéré. En effet, les coraux en bon état de santé ont la capacité de compenser par leur croissance verticale l'élévation du niveau de la mer tant que celle-ci reste modérée, donc de continuer à assurer leurs deux fonctions, l'alimentation des îles en sédiments et l'amortissement des vagues de tempêtes. En réduisant les pressions entropiques directes qui s'exercent sur les récifs coralliens, l'on peut prolonger leur durée de vie.

Enfin, préserver le service de protection rendu par les écosystèmes se justifie par le caractère très océanique des territoires dans lesquels les enjeux humains - hommes, activités, infrastructures - se concentrent sur les côtes et dont les modes de vie sont fortement dépendants des écosystèmes marins et côtiers. Il s'agit d'une différence fondamentale entre ces modes de vie et les modes de vie continentaux.

Comment se définit ce service de protection côtière ? Il tient à la capacité, non pas d'un écosystème, mais d'un continuum d'écosystèmes marins et côtiers, à amortir les vagues de tempête et à capturer les sédiments issus du récif corallien ou des milieux terrestres en général. Cela a pour effet de réduire les risques d'érosion et de submersion marine et permet aussi aux écosystèmes, sous certaines conditions, un bon état écologique et une disponibilité suffisante en sédiments, de suivre le niveau d'élévation du niveau de la mer et continuer à assurer cette fonction de protection à travers le temps. Ces écosystèmes marins et côtiers sont influencés par les milieux terrestres. Pour les préserver, il faut prendre en compte les bassins versants. Ils sont aussi interdépendants entre eux. Par exemple, la mangrove protège le récif corallien des dégradations humaines en fixant les nutriments issus des eaux usées ainsi que les sédiments en provenance des terres, lesquels étoufferaient sinon les récifs. Quant aux récifs coralliens, en interceptant les vagues, ils créent un milieu suffisamment abrité pour que la mangrove puisse se développer. Chacun de ces écosystèmes assure un service de protection qui bénéficie donc aussi aux autres écosystèmes. Les services de protection rendus par ces différents écosystèmes se cumulent finalement au bénéfice des communautés locales.

Les récifs coralliens, les plus efficaces, réduisent l'énergie des vagues de 97 % en moyenne, ce qui est colossal, en provoquant leur déferlement sur le front récifal et leur amortissement sur le platier récifal. Cet amortissement est de l'ordre de 50 % sur les 150 premiers mètres de platier. En leur absence, à l'échelle mondiale, les dégâts dus aux tempêtes seraient deux fois plus élevés. Les zones submergées augmenteraient de 69 % et les populations affectées de 81 %. Les premiers pays bénéficiaires de ce service sont des pays insulaires tropicaux, tout particulièrement les Philippines, Haïti, Cuba, le Sri Lanka et Singapour. Les outre-mer français, qui ne constituent pas des États indépendants et sont moins peuplés, n'apparaissent pas dans ce classement, mais ils bénéficient tout autant de ce service. En 2100, le risque de submersion qui va augmenter sous l'effet de l'élévation du niveau de la mer et l'intensification des tempêtes sera deux fois plus élevé si ce service de protection disparaît.

Les mangroves réduisent, quant à elles, de 31 % l'énergie et la hauteur des vagues. Elles ont donc un potentiel élevé, mais bien que moins que les récifs coralliens. Elles ont une forte efficacité sur les cent premiers mètres, mais elles sont encore plus efficaces sur quelques kilomètres de largeur. Elles ont une efficacité maximale face aux tempêtes de faible à moyenne intensité, les plus fréquentes, et une efficacité plus réduite face aux événements extrêmes qui tendent à les détruire, comme à Saint-Martin et Saint-Barthélemy en septembre 2017. Elles ont aussi pour effet d'intercepter les projectiles déplacés par les vagues de tempête, qu'il s'agisse de débris d'origine naturelle ou entropique. Là où leur fonctionnement est peu ou pas perturbé, elles ont également une excellente capacité à s'ajuster au niveau de la mer et à se développer vers le large sous l'effet de la fixation des sédiments en suspension, qu'elles capturent à 80 %. Les herbiers marins, moins bien connus ont une efficacité finalement supérieure, semble-t-il, à celle des mangroves. Ils amortissent en moyenne 36 % de l'énergie libérée par les vagues.

La dernière ligne de défense avant les aménagements humains est constituée par les systèmes côtiers, c'est-à-dire les plages et les dunes. Là où elles sont larges et fortement végétalisées, elles sont aussi efficaces que les ouvrages d'ingénierie. La végétation joue un rôle clé en amortissant vagues et sédiments et en contribuant par le captage des sédiments à l'exhaussement de ces systèmes, c'est-à-dire un gain d'altitude des régions côtières particulièrement précieux face à une accélération de l'élévation du niveau de la mer.

Le rôle de protection des écosystèmes peut être illustré par deux exemples de cyclones de catégorie 5 qui ont généré des vagues de douze mètres au large et de sept mètres à la côte et ont produit des vents soufflant à plus de 340 kilomètres/heure en rafales. Ces deux cyclones sont les plus intenses qui ont jamais été enregistrés dans leur bassin océanique. En avril 2016, le cyclone Fantala a frappé un atoll quasi inhabité aux Seychelles, dans l'océan Indien. En septembre 2017, le cyclone Irma a généré des impacts que nous avons tous en tête.

Ces cyclones ont engendré un recul du trait de côte en balayant sur une certaine largeur de bande côtière la végétation et les constructions humaines. Au-delà, les cyclones ont d'autres effets qui en général ne sont pas mentionnés. Les photographies de terrain et les images satellites montrent qu'ils ont aussi, dans ces deux cas, alimenté les côtes en sables et en débris coralliens. Sur l'atoll de Farquhar, quasi intégralement naturel, les remontées de sédiments vers les plages ont engendré la multiplication par cinq à dix de leur largeur et de leur surface, selon les lieux. La végétation côtière a intercepté les sédiments partiellement enfouis sous ces apports de sable, ce qui a engendré un gain d'altitude de la crête de plage compris entre 30 et 60 centimètres selon les portions de linéaire côtier.

Après le passage des cyclones de septembre 2017, les plages de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ont été considérablement engraissées par les apports en provenance du récif corallien, qu'il s'agisse de débris coralliens ou de l'interception de sables et de débris coralliens par la végétation côtière dense. Le gain d'altitude s'est inscrit dans une fourchette d'un à deux mètres sur les sites qui en ont le plus bénéficié. En revanche, là où la ceinture végétale originelle avait été défrichée ou remplacée par les espèces introduites comme les cocoteraies, ce qui est le cas dans la baie orientale de Saint-Martin, la destruction de la végétation par le vent et les vagues cycloniques a été quasiment totale. La végétation n'a pas empêché l'érosion ni réduit la submersion, laquelle a pénétré sur plus de 300 mètres à l'intérieur des terres. Les impacts érosifs des vagues cycloniques dans des zones aménagées ou modifiées par l'homme se traduisent notamment par l'ouverture de tranchées d'une vingtaine de mètres de long sur un à deux mètres de profondeur à travers la zone côtière. À La Réunion, frappée par le cyclone Bejisa de catégorie 3 en fin d'année 2014 et début d'année 2015, partout nous avons pu constater le caractère exacerbé des dégâts causés aux constructions humaines, aux routes littorales ainsi qu'au bâti résidentiel ou touristique aménagé au plus près de la mer, dans des zones où les plages et les dunes avaient préalablement été détruites ou considérablement contractées par l'empiètement des aménagements humains.

Les apports sédimentaires dus aux cyclones se produisent également dans les zones aménagées, où ils posent problème aux exploitants touristiques comme à La Réunion ou aux résidents côtiers à Saint-Martin. Ces dépôts sédimentaires très importants empêchent les habitants de sortir de chez eux, recouvrent les piscines et les terrains de golf. Ils sont généralement enlevés à l'initiative des résidents eux-mêmes sans attendre l'action des pouvoirs publics. Or ces apports sont pourtant cruciaux pour permettre au système côtier de s'exhausser et de faire face au phénomène d'élévation du niveau de la mer.

Dans de telles conditions, il semble important de renforcer la protection des écosystèmes qui se sont maintenus et sont toujours fonctionnels, mais également de restaurer ceux qui peuvent l'être. Les études démontrent que des habitats restaurés remplissent ce rôle de protection côtière. Même si cela n'est pas toujours à la hauteur d'habitats naturels, la restauration est néanmoins efficace. Les résultats des opérations de restauration déjà réalisées dans les régions tropicales sur la base de l'analyse d'une centaine de projets montrent que les récifs artificiels faits de structures sur lesquelles on bouture du corail protègent efficacement, dès leur installation, les côtes de la submersion marine et, dans certains cas, de l'érosion. Par exemple, une opération de restauration récente en République dominicaine a ainsi témoigné que de tels récifs pouvaient résister à deux cyclones successifs et réduire considérablement les dommages causés aux biens matériels.

Bien que l'on n'ait encore peu d'éléments sur les coûts comparés des récifs artificiels et des ouvrages d'ingénierie traditionnelle comme les brise-lames ou les digues, les premières études indiquent que ces structures sont généralement moins coûteuses que les ouvrages lourds dans les îles tropicales, tout particulièrement dans les atolls. Aux Maldives, restaurer un récif coûte trois fois moins cher que la construction d'un brise-lames. En raison de ses dimensions nécessairement réduites, un récif artificiel ne peut pas pour autant se substituer à un récif naturel. La restauration d'un récif corallien peut avoir un impact négatif sur les écosystèmes en place selon le contexte. Cette restauration requiert un engagement fort des secteurs et des populations locales et l'on ignore quelle sera son efficacité sur le long terme.

Les mangroves restaurées sont efficaces face à la submersion engendrée par des vagues de tempête modérée et à l'érosion, bien que ce rôle varie selon les conditions locales. Par rapport à « la défense lourde », la plantation de palétuviers est peu coûteuse et techniquement simple. Toutefois, son efficacité est différée de quelques années à quelques décennies ce qui correspond à la durée nécessaire pour que les palétuviers se développent. Par ailleurs, elle requiert des conditions très spécifiques. Il faut en particulier que les profondeurs sur l'avant-côte soient faibles et que l'espace soit suffisant, ce qui est rarement le cas dans les zones fortement aménagées. Enfin, la restauration de mangroves peut avoir des conséquences négatives sur la santé humaine en favorisant la propagation des moustiques transmetteurs de maladies, comme l'ont montré les opérations de restauration récentes en Asie.

Comme le montre l'opération de restauration de la dune initiée à Saint-Barthélemy sur le site de la Grande Saline après le passage des cyclones de septembre 2017, la restauration des systèmes plage-dune est efficace contre la submersion marine à condition que les systèmes restaurés aient une attitude et une largeur suffisantes. Dans ce cas, les systèmes plage-dune sont aussi efficaces que les solutions d'ingénierie lourde. Une plage large et grasse réduit l'érosion de la dune et permet sa recharge rapide après un événement tempétueux. Restaurer un système plage-dune peut être plus efficace à terme que la construction d'une digue.

Cependant, l'efficacité d'une dune restaurée est différée dans le temps par la croissance de la végétation qui la stabilise et nécessite de disposer de suffisamment d'espace sur le littoral, en l'occurrence dans la zone rétro-littorale. Cette condition est rarement remplie dans les zones urbanisées. Enfin, il faut souligner qu'une plage s'érode naturellement, puisque son budget sédimentaire est négatif. Elle continuera une fois restaurée à perdre des sédiments. Il sera donc nécessaire de la recharger régulièrement, ce qui crée des coûts récurrents.

Au regard de ces connaissances scientifiques, il est recommandé d'évaluer site par site les solutions les plus pertinentes, leur faisabilité technique et financière et leurs conditions de mise en oeuvre. Une solution donnée doit être spécifiquement conçue et calibrée pour le site qu'elle traite. Une solution testée sur un site ne peut pas être répliquée en l'état sur un autre site. Il est donc recommandé de privilégier les opérations dites « pilotes », c'est-à-dire des opérations d'ampleur relativement modérée permettant un test en grandeur réelle et la création d'un contexte propice à son déploiement. Il est essentiel de sensibiliser et mobiliser les acteurs concernés sans lesquels une solution n'aurait qu'une durée de vie limitée. Il faut également prévoir dès le départ d'évaluer l'efficacité de ces mesures, sur un temps suffisamment long. La plupart des projets évaluent les résultats obtenus sur six mois, un an voire deux ans, ce qui ne permet aucunement de se prononcer sur leur efficacité. Enfin, les projets intégrés de restauration, au lieu de cibler un écosystème spécifique, s'occupent de restaurer l'ensemble des écosystèmes dégradés sur un site fortement exposé à l'érosion ou à la submersion.

Je travaille sur un projet financé par le Fonds pour l'adaptation et déployé au nord-ouest de l'île Maurice, dans une zone urbanisée et touristique comprenant une vaste plage publique. Sa partie méridionale est concernée par une érosion relativement rapide, essentiellement due à la forte dégradation des écosystèmes marins et côtiers, qu'il s'agisse des herbiers marins envahis par des algues parasites ou du récif corallien qui blanchit à chaque épisode de réchauffement des eaux. Celui-ci se trouve complètement érodé sur la majeure partie du site. Son rôle est donc extrêmement faible. Le projet, à hauteur de 2 millions de dollars, a pour but de mettre fin à l'érosion qui concerne 450 mètres de plage. Il englobe la création d'un récif artificiel, la restauration d'un herbier marin et celle du système plage-dune. La végétation actuelle, qui est une végétation introduite, mais inefficace sur la stabilisation des sédiments et l'amortissement des vagues de tempête, va être remplacée par des espèces indigènes. Je vous remercie pour votre attention.

M. Raphaël Billé, coordonnateur de projet au secrétariat de la Communauté du Pacifique (CPS). - Monsieur le président, Mesdames et messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs. Je propose de vous présenter quelques résultats du projet RESCCUE, avec mon collègue Jean-Baptiste Marre, coordonnateur adjoint.

Lorsqu'il est question du changement climatique dans le Pacifique, il faut se remettre en mémoire ce qu'il signifie pour les pays territoires insulaires océaniens. Chacun pense bien sûr à l'élévation du niveau de la mer, aux cyclones et à la salinisation. Quels que soient les scénarios relatifs aux gaz à effet de serre au cours du XXIe siècle, les conséquences vont y être sévères pour les territoires océaniens. En outre, l'Accord de Paris conclu dans le cadre de la COP 21 en 2015, et dont les négociations ont été saluées comme un succès, consigne des contributions déterminées au niveau national qui correspondent à une trajectoire d'environ + 3 C° d'ici la fin du siècle. Celle-ci est catastrophique pour les pays et territoires insulaires du Pacifique. Travaillant pour la Communauté du Pacifique, je me permets de le rappeler.

Comme le montrent les dégâts occasionnés par le cyclone tropical Pam en mars 2015, les populations insulaires océaniennes vivent déjà les effets du changement climatique. Il y a une quinzaine d'années, Kenneth Langow a créé le réseau de gestion environnemental taci valnoea, ce qui signifie « terre-mer » en bichelamar, l'idiome de Vanuatu. Il se bat pour accroître la résilience des communautés.

Le projet RESCCUE montre que l'on n'apprend pas aux populations insulaires océaniennes à comprendre le changement climatique ni à être résilientes. En revanche, nous pouvons leur apporter les moyens dont elles ont besoin tout en restant extrêmement humbles en matière d'assistance technique. Ce projet mis en oeuvre par la Communauté du Pacifique, ne vise pas à produire de la connaissance, même si ce besoin est régulièrement nécessaire au cours d'un projet. Il s'agit d'un projet régional et opérationnel destiné à générer du changement et à résoudre des problèmes concrets pour les populations locales bénéficiaires et à renforcer la résilience des écosystèmes et des sociétés face au changement climatique. Son financement de 13 millions d'euros s'est réparti avec 6,5 millions d'euros issus de l'Agence française de développement (AFD) et 2 millions d'euros accordés par le Fonds français pour l'environnement mondial (FFEM). Ce premier projet, neutre en carbone pour la CPS et pour l'AFD, s'achève ces jours-ci.

Nous avons réduit au maximum nos émissions de gaz à effet de serre. Quand cela n'était pas envisageable, nous avons compensé les émissions résiduelles du fait des voyages en avion, un enjeu d'autant plus important dans le cadre d'un projet visant à augmenter la résilience des populations océaniennes. Nous avons retenu deux sites pilotes dans les provinces Nord et Sud de Nouvelle-Calédonie ainsi que deux sites pilotes en Polynésie française, à Moorea et dans l'archipel des îles Gambier, mais également un site pilote au Vanuatu, au nord de l'île d'Éfaté et deux aux îles Fidji. L'approche consistait à protéger les écosystèmes contre les pressions non climatiques afin d'accroître leur résilience face au changement climatique. Celles-ci se divisent en quatre catégories, les espèces exotiques envahissantes, la destruction mécanique des habitats, la pollution et la surexploitation des ressources renouvelables. Le projet a reposé sur l'hypothèse selon laquelle les écosystèmes en meilleure santé sont plus résilients lorsque la température augmente et que les cyclones s'intensifient. Si les écosystèmes sont plus résilients, la résilience des populations qui dépendent directement de ces écosystèmes se renforce.

L'approche retenue est la gestion intégrée des zones côtières (GIZC). Elle vise notamment à développer dans ces milieux insulaires une gestion des politiques publiques traitant de ces enjeux depuis le sommet des montagnes jusqu'au tombant des récifs. Ceci est extrêmement important car la gestion administrative a eu tendance à séparer la gestion de la mer et celle de la terre, ce qui pour les océaniens est souvent une aberration. Nous nous sommes efforcés d'accroître l'utilisation de l'analyse économique par les décideurs afin de rationaliser leurs décisions et développer des mécanismes économiques et financiers dits « innovants » qui permettent de générer des financements additionnels puisque nous manquons toujours cruellement de moyens financiers pour faire face aux effets du changement climatique.

Une vidéo sur le travail de terrain réalisé aux îles Fidji est présentée en séance.

M. Jean-Baptiste Marre, coordonnateur-adjoint au secrétariat de la Communauté du Pacifique (CPS). - Bonjour à tous. La raison d'être du projet RESCCUE consistait à apporter des changements sur le terrain à l'échelle des sites pilotes, voire à l'échelle nationale. Ceux-ci peuvent être classés en trois catégories.

En ce qui concerne les politiques et les règles, il a contribué au développement de stratégies avec les pouvoirs publics. Dans la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, nous avons travaillé au développement d'une stratégie pour son réseau d'aires protégées d'ici à 2025. Le projet a également permis la construction commune de plans de gestion variés dans six des sept sites pilotes, notamment les plans de gestion intégrés des zones côtières, selon un statut et une applicabilité variés. À Fidji, ces plans inscrits dans le cadre réglementaire ont été adoptés à l'échelle provinciale, puis nationale. En Polynésie française, aux îles Gambier, le plan de gestion a été adopté au niveau local, mais n'est pas inscrit sur le plan réglementaire et n'a donc aucune conséquence de cet ordre au plan national.

Le projet RESCCUE a également entraîné la mise en oeuvre de plans de gestion vis-à-vis d'enjeux prioritaires comme la gestion des déchets ou la gestion du lagon de Moorea dans le cadre de la révision du plan de gestion de l'espace maritime.

Enfin, ce projet a également suscité la création d'aires protégées, traduites par des modifications des règles. Au sein de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, celles du Parc provincial de la Côte oubliée couvrent une très large surface d'écosystèmes exceptionnels, à la fois terrestres et marins. Citons encore la création du plus grand parc marin à Fidji, sur la zone de Vatu-i-Ra.

Le deuxième type de changement concerne les pratiques et les comportements par le biais de mécanismes économiques et financiers innovants. Au Vanuatu et à Fidji, le projet a permis la création de fonds fiduciaires locaux à petite échelle destinés à financer diverses actions de conservation et de restauration écologique comme celles de mangroves ou de récifs coralliens au travers des contributions du secteur du tourisme. Le projet a également renforcé les pratiques communautaires du suivi du milieu des ressources marines, notamment à Fidji et au Vanuatu. Une « boîte à outils » a été adoptée à l'échelle nationale par le département des Pêches du gouvernement du Vanuatu.

Le projet s'est également attaqué à la gestion des pressions sectorielles et a contribué à mieux gérer certains types de pressions. En province Nord de Nouvelle-Calédonie, le projet a oeuvré à une meilleure organisation et une meilleure efficacité de la filière chasse aux espèces envahissantes que sont les cerfs ou les cochons qui provoquent des dégâts considérables sur les bassins versants et les bassins de captage d'eau potable. Le projet a permis d'accroître l'efficacité de la chasse en milieu coutumier, mais également de mieux gérer la question de la commercialisation locale de la viande de brousse en Nouvelle-Calédonie.

Enfin, le dernier type de changement concerne l'état des écosystèmes et le bien-être des populations qui est en quelque sorte le « graal » recherché. Le projet RESCCUE a atteint cet objectif, en particulier grâce aux actions de restauration écologique conduites dans la province Nord de la Nouvelle-Calédonie sur des bassins versants autour de zones de captage d'eau ainsi qu'aux îles Fidji autour de la restauration de mangroves. Par ailleurs, la lutte contre l'érosion côtière s'est traduite par des actions de restauration et de revégétalisation de plages. Enfin, le projet a pris en compte la problématique des espèces envahissantes, qui pèse sur les écosystèmes et les populations des îles du Pacifique. Les actions d'éradication ont permis de libérer temporairement des îlots certaines espèces envahissantes comme le rat, la fourmi folle jaune ou le crapaud-buffle. Cependant, la mise en place de plans de sécurité est nécessaire pour qu'elles ne reviennent pas sur les îlots.

M. Raphaël Billé. - En guise de conclusion, le projet RESCCUE est financé au titre de la contribution française à la lutte contre le changement climatique et à son effort de solidarité internationale en la matière. Certes, quand on parle de l'éradication du crapaud-buffle sur un îlot des îles Gambier ou la participation à la gestion des déchets ménagers au Vanuatu, on nous pose la question du lien de ces actions avec l'adaptation au changement climatique. Au début du projet, les partenaires avaient parfois l'impression que le projet consistait à appliquer un vernis de modernité à des initiatives déjà prises de longue date. Cette question est essentielle, car nous avons un devoir de redevabilité vis-à-vis des citoyens, mais aussi des populations locales bénéficiaires. La question est importante en termes de communication et de capitalisation des expériences.

Le projet RESCCUE possède des caractéristiques comparables à celles de nombreux autres projets mis en oeuvre dans le Pacifique et ayant recours aux solutions fondées sur la nature. Chaque action, telle que la création du parc provincial de la Côte oubliée dans la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, n'est pas une action d'adaptation au changement climatique. Cependant, toutes les actions vont dans un sens qui aide à favoriser la résilience et l'adaptation des populations face au changement climatique. Chaque action aide à s'y préparer. Nous avons mis en oeuvre des processus de planification intégrée, notamment des plans de gestion intégrée. Par ailleurs, nous avons privilégié des actions « sans regret », c'est-à-dire positives, que nous soyons ou non confrontés au changement climatique, telles que l'éradication d'espèces envahissantes, la restauration de mangroves ou celles de forêts en bordure de rivière. Ces actions sont également robustes et génèrent des bénéfices. Enfin, nous avons favorisé des stratégies réversibles. Les solutions fondées sur la nature permettent de prendre plus facilement en compte de nouvelles connaissances et de nouvelles expériences que d'importants moyens d'ingénierie technique et de « défense lourde ».

En outre, cette approche nous a permis de nous limiter à une utilisation minimale des sciences du climat. Au plan local, nous avons des difficultés à disposer de modélisations en descente d'échelle. Ces dispositifs sont très coûteux. Certains efforts ont été récemment effectués en Nouvelle-Calédonie, mais ils ne concernent que l'un des scénarios d'émissions de gaz à effet de serre du GIEC. Si l'approche du projet est relativement pauvre en données, nous parvenons à mener des actions utiles, indépendamment d'une utilisation fine des projections climatiques.

Enfin, si les solutions fondées sur la nature sont pauvres en ingénierie technique, elles sont très riches en lien social. Cela s'est montré décisif dans le Pacifique. Les actions de restauration de la mangrove à Fidji ne font pas appel à une entreprise de replantation, mais aux populations locales qui s'emparent du sujet, choisissent le lieu en tenant compte de leurs traditions et plantent elles-mêmes la mangrove. Cela entraîne des discussions au sein des villages et chacun sera moins enclin ultérieurement à couper cette végétation en cas de besoin de bois. Ces solutions fondées sur la nature sont également des solutions fondées sur l'Homme, l'humain. Elles possèdent donc un avantage tactique au plan local que n'ont pas les solutions plus lourdes en ingénierie technique.

Selon le rapport du GIEC publié en 2019 au sujet du scénario d'une augmentation de la température supérieure à 1,5C°, 70 à 90 % des récifs coralliens seraient condamnés dès le franchissement de ce seuil. Selon la trajectoire d'émissions de gaz à effet de serre actuellement suivie, cette situation pourrait se produire entre 2030 et 2052. Dans ce cas, nos actions seraient mises en péril par l'augmentation de la température de l'eau. Le Pacifique dépourvu de ses récifs coralliens serait en grand danger, voire en très grand danger. Une grande partie des îles seraient en très grand danger. La solution reste une réduction drastique et rapide des émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale. Le Pacifique appelle de ses voeux que nous tenions les objectifs de l'Accord de Paris, qui consistent à limiter la hausse de température entre 1,5 et 2 degrés d'ici la fin du siècle.

M. Olivier Auguin, conseiller en communication au secrétariat de la Communauté du Pacifique (CPS). - RESCCUE est un projet très innovant, voire révolutionnaire, qui a fait l'objet d'une nouvelle approche et de nouvelles méthodes. Rien ne peut être mené sans l'Homme. Pour être durable, le projet doit être centré sur l'approche sociétale. RESCCUE fait partie des projets phares de la CPS qui lui ont permis de développer une nouvelle approche de l'intégralité de ses projets, qui doivent être durables et adaptables. Nous espérons que la France continuera à soutenir des projets comparables.

M. Michel Magras, président. - Je donne la parole à M. Jérôme Bignon pour réagir à ces interventions.

M. Jérôme Bignon. - Tout d'abord, je remercie la délégation d'avoir fait droit au signalement que j'avais effectué au sujet du formidable travail engagé par la Communauté du Pacifique. Raphaël Billé m'avait convaincu de son intérêt lors de mon séjour en Nouvelle-Calédonie l'an dernier. Certes, il s'agit d'un « travail de fourmi » dans une immense zone océanique, mais nous sommes tous de petites mains modestes et nous devons avancer. Au-delà des actions de terrains, la réflexion scientifique permettant de comprendre ces enjeux est complexe.

Nous avons le privilège d'avoir ces outre-mer qui sont dispersés dans tous les océans, ce qui constitue une opportunité formidable pour cette prise de conscience. Nous devons poursuivre ces avancées dans un esprit de solidarité. La France est voisine de six pays au niveau de l'hexagone, mais dans le monde, mais elle a conclu des conventions de proximité avec 35 ou 36 pays via ses outre-mer, ce qui nous permet d'avoir une vision plus large. Nous devons poursuivre nos engagements. Si nous n'avons pas perdu, nous n'avons pas encore gagné. Nous avons l'opportunité de faire valoir le travail réalisé par la Communauté du Pacifique. Ensemble, nous pouvons convaincre la communauté nationale et européenne que ce travail accompli pour le bien général est extrêmement utile. Nous avons besoin de nous nourrir de vos travaux.

Je rappelle que j'assure, à l'Agence française pour la biodiversité, la présidence du comité d'orientation mer et littoraux. Nous pourrons y évoquer ces travaux.

M. Michel Magras, président. - Une des missions de la délégation consiste à diffuser nos informations et à rendre possible l'utilisation des propositions que vous exprimez.

Mme Catherine Procaccia. - Le groupe d'amitié France-Vanuatu-Iles du Pacifique a souhaité s'associer à cette réunion, car les actions menées par la CPS nous intéressent particulièrement et nous avons rencontrés sur place ses acteurs. Le Pacifique, en particulier les États indépendants de cette zone sont beaucoup plus fragilisés que nos territoires d'outre-mer, puisqu'ils ne disposent pas des mêmes moyens scientifiques.

Vous avez insisté sur le travail avec les hommes et les tribus. La terre leur appartient. Vous n'êtes pas présents dans tous les États du Pacifique. Or d'autres États auraient eux aussi besoin de conseils. Je souhaite donc savoir si ces expériences-pilotes au sein des îles du Pacifique ont un effet de diffusion auprès des autres États. La CPS va-t-elle en faire la promotion pour les inciter à intervenir dans d'autres régions comme à Tuvalu ? Attendez-vous plutôt un retour, ce qui semble plus compliqué ? Comment tentez-vous de faire intégrer les bonnes pratiques dans ces États où vous n'avez pas forcément d'expérience ?

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je souhaite tout d'abord exprimer toute ma fierté à exercer la mission de rapporteur coordonnateur pour ces deux volets et je remercie Monsieur le président de me l'avoir confiée. Les rapporteurs sont d'excellente qualité. Je ne doute pas que le deuxième rapport sera tout aussi intéressant.

La présence de Catherine Procaccia et Jérôme Bignon est la preuve que ce sujet passionne au-delà de notre mission sur les risques et les changements climatiques, qui font l'objet d'autres interventions de la délégation. Merci d'être venus à cette présentation.

Bien entendu, chaque fois que nous auditionnons des personnalités ou des groupes de scientifiques, je pense que nous serions passés à côté de certains aspects si nous ne les avions pas reçus. Je vous remercie donc très sincèrement pour l'éclairage et la simplicité des explications. Si vous l'acceptez, je suggère d'ailleurs de pouvoir les diffuser à plus grande échelle.

Il me semble Madame Duval que vous avez fait un travail particulièrement remarquable à Saint-Martin. Vos écrits peuvent servir de référence et de moyen de persuasion vis-à-vis de la population alors même que des discussions sont engagées au sujet de la carte PPRN, qui pose d'énormes problèmes. Si nous sommes capables d'expliquer ces enjeux en termes simples à la population, celle-ci peut les comprendre et se comporter en citoyens responsables. Je vous remercie très sincèrement encore pour cet ajout indispensable par rapport aux travaux que nous menons et je vous félicite pour ces présentations.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Ce volet nature viendra compléter notre rapport qui sera riche, puisque nous avons réalisé beaucoup d'auditions.

Dans le cadre des expérimentations ultramarines, un certain nombre d'outils permettent de gérer la complexité dans l'hexagone et sur le littoral hexagonal. Vous avez présenté des méthodes que j'appellerais « boosters de la nature ». Celles-ci concernent notamment les supports artificiels de coraux et la plantation de mangroves. Avez-vous listé d'autres « boosters » ? Il serait intéressant d'en avoir connaissance, puisque chaque région possède ses spécificités géographiques et météorologiques. Enfin, comment parvenez-vous à faire passer vos messages auprès de la population locale ? Est-elle très sensibilisée à ces enjeux ? Les actions présentées dans le film sont-elles une exception ? Quels sont vos outils pédagogiques de communication ? Sont-ils adaptés à chaque cas ?

M. Abdallah Hassani, rapporteur. - Votre exposé est très clair. Cependant, plus nous avançons dans l'identification de solutions, plus je me pose des questions. Cette problématique est mondiale. Il n'est donc pas envisageable de tenter d'identifier des solutions dans une région et d'oublier les autres régions. Mais dans certains pays, la population survit, doit manger et se chauffer. Comment la dissuader de ne pas couper la forêt et de ne pas détruire les coraux ?

M. Michel Magras, président. - Avant de vous donner la parole, je souhaite vous faire part de quelques observations. Le sujet que vous avez abordé, particulièrement vaste, concerne le changement climatique, qui n'est plus un risque, mais une réalité. Nous devons essayer de l'inclure dans la problématique que nous traitons, qui concerne les risques.

Vous avez parlé de la reconstruction du corail. Je suis moi-même agréablement surpris de la vitesse à laquelle il est possible de le faire repousser par rapport à ce que l'on nous enseignait par le passé. Par ailleurs, la reconstruction des coraux permet de créer une barrière qui permet de protéger la terre. Vous avez donné l'exemple de la reconstruction d'une dune à Saint-Barthélemy. Cependant, celles-ci sont reconstruites à plusieurs mètres du niveau zéro. Sur nos territoires, le risque doit être intégré dans le processus de développement des îles. La gestion des coraux et celle des plages doivent être permanentes et intégrées dans le processus économique.

Par ailleurs, vous n'avez pas évoqué le troisième volet, qui concerne l'action de l'homme sur la terre dans les sites en contact avec la mer. Le développement humain accélère le ruissellement et entraîne les sédiments dans le milieu marin. Nous devons également mettre en oeuvre des politiques dans ce domaine.

Enfin, vous avez indiqué qu'un cyclone engraisse les plages. Cependant, je ne suis pas certain qu'il n'en détruise pas beaucoup plus qu'il n'en engraisse.

Dans les territoires ultramarins, nous devons vivre avec les risques et être capables d'y faire face, mais aussi reconstruire ce qui a été détruit par un cyclone. Nous devons continuer à vivre normalement sur les territoires tout en évitant que la destruction prenne progressivement le pas sur la reconstruction.

M. Raphaël Billé. - En ce qui concerne la reproduction des projets menés sur les sites pilotes, notre première préoccupation consiste à faire perdurer les activités au-delà de l'arrêt du financement de ces projets. Nous avons travaillé sur ces difficultés avec acharnement pour obtenir certaines garanties. Le deuxième enjeu est de changer d'échelle à l'intérieur du pays, ce qui implique une appropriation de ces problématiques par les autorités nationales afin que les résultats du projet soient intégrés aux politiques publiques. Je peux donner l'exemple des actions que nous avons menées en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Mme Catherine Procaccia. - La France n'a pas la même approche que celle des autres États du Pacifique.

M. Raphaël Billé. - La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie font l'objet de politiques publiques fortes. Je vous accorde que la situation est différente au Vanuatu, dont le ministère de l'Environnement ne comprend qu'une dizaine de personnes. En tout cas, nous nous impliquons pour que le pays bénéficie des apports des actions menées au sein des sites pilotes. Vous avez raison d'évoquer tous les autres pays qui pourraient bénéficier des avancées du projet. En l'occurrence, il n'y a pas de recette miracle. Nous devons réaliser d'importants efforts d'échanges d'expériences, de communication et de diffusion des résultats. Nous avons également effectué cette présentation à la CPS de Nouméa. Nous avons le même projet à Fidji. Nous utilisons également nos relais locaux. Nous avons invité des représentants de Micronésie à certains ateliers. Hors des quatre sites pilotes dans quatre pays et territoires, nous nous efforçons de porter la parole plus loin. La CPS et le PROE le Programme régional océanien de l'environnement, son organisation soeur en matière d'environnement, ont d'autres projets que RESCCUE qui concernent d'autres géographies.

En matière de communication, nous utilisons des canaux auxquels les populations ont recours. Nous diffusons des vidéos sur facebook. Ces actions ont beaucoup d'écho en Polynésie française, au Vanuatu, où les populations sont de plus en plus équipées de téléphones portables. Bien sûr, nous les menons dans les langues locales, y compris en tahitien ou mangarévien, la langue des îles Gambier. Au Vanuatu, nous avons travaillé avec une troupe de théâtre qui a monté une pièce intitulée One small bag. À notre demande, cette troupe est passée dans les villages afin de présenter cette pièce sur l'île d'Éfaté sur le sujet des déchets plastiques, dans un contexte où le gouvernement de ce pays a mis en oeuvre l'interdiction d'un certain nombre de plastiques à usage unique. Enfin, nous avons recours au système des champions locaux. Dans la plupart des tribus ou villages avec lesquels nous avons travaillé, certaines personnes s'autodésignent ou sont désignées par leur communauté en tant que « champions » de la question environnementale ou du changement climatique, même si elles ne nous ont pas attendues pour mener des actions dans ce domaine.

M. Olivier Auguin. - Je voudrais compléter deux points. Le projet RESCCUE présente l'originalité de concerner à la fois des territoires français et d'autres pays. Il est assez rare qu'un projet soit décliné sur ces deux types de territoires. Par ailleurs, la CPS a plus de 70 ans d'existence et travaille en lien avec de nombreux petits pays. Elle a une très bonne connaissance des populations et des « champions » dans tous les domaines. Par conséquent, elle parvient à identifier assez facilement les personnes qui peuvent relayer les travaux sur le terrain et qui sont interconnectés. Mes collègues ont également pu bénéficier d'autres expériences.

Mme Virginie Duvat. - Au-delà des récifs coralliens et des mangroves, nos actions portent sur les systèmes plage-dune et les herbiers marins. Toutefois, nous n'avons aucune donnée quantifiée sur l'efficacité des systèmes plage-dune en tant que rempart face à la mer. Nous ne pouvons donc pas générer de données ayant une portée à l'échelle mondiale, contrairement au cas des récifs coralliens et des mangroves. Ces deux écosystèmes ont leurs répliques sur le territoire métropolitain. S'agissant des herbiers marins, nous pouvons penser aux forêts de laminaires de l'Atlantique ou aux dunes de l'île d'Oléron. Les acteurs de ce territoire se sont battus pour que les systèmes duniers larges et hauts soient considérés comme la priorité dans les actions de protection contre la mer et que des moyens leur soient accordés, et non seulement aux digues et aux cordons d'enrochement.

En ce qui concerne la communication auprès de la population locale, nos missions en tant que chercheurs doivent avoir une utilité pour la société, mais permettre le déploiement de projets construits avec les communautés locales. 80 % de ma réflexion est alimentée par le terrain.

Nos vecteurs de diffusion sont les médias, les organisations non gouvernementales très actives dans le Pacifique ainsi que les restitutions publiques des projets de recherche auprès de la population. En Polynésie, nous en réalisons dans les églises ou nous sommes accueillis par les congrégations religieuses. Ce moyen est souvent plus efficace que de nous adresser à la mairie.

Je travaille sur un projet mené en lien avec l'Union européenne, et qui porte sur la co-construction de services climatiques destinés à réduire les risques côtiers. En Polynésie française, ce projet a démarré par la réalisation d'entretiens semi-directifs auprès des acteurs institutionnels locaux. Nous avons interrogé trente personnes au sujet de leurs problèmes et leurs attentes. La même démarche a été appliquée au projet RESCCUE. Nous ne nous contentons plus de déverser les résultats obtenus sur des populations qui n'auraient pas été impliquées dès l'origine dans les projets. Nous nous basons sur des problématiques locales pour construire ces projets.

En ce qui concerne les cyclones des Antilles, j'ai été ravie de constater que la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) chargée de la mise en oeuvre du plan de prévention des risques littoraux à Saint-Martin avait pris connaissance de notre publication scientifique bien avant de nombreux collègues qui travaillent pourtant sur cette question. Nous avons transféré nos données à la DREAL et une série de fiches synthétiques a été réalisée sur cette base à destination de la population.

Vous avez également abordé le sujet des cyclones qui engraissent certaines plages, mais en érodent d'autres. Je ne l'ignore pas, en tant que géomorphologue. Toutefois, le fait de se borner à l'idée que les cyclones créent de l'érosion fait beaucoup de mal aux acteurs de terrain, aux résidents et aux organisations non gouvernementales. Cette idée est très présente dans la littérature scientifique et dans les esprits, puisque les populations voient le sable partir. Toutefois, elles ne mesurent pas les retours de sable qui, sous l'effet d'un cyclone, se déposent dans les petits fonds marins et réalimentent ensuite le système dans un certain nombre de cas. Les populations ne pensent pas forcément qu'ailleurs, il y a aussi du sable qui s'accumule. La réalité est donc très complexe.

Je souhaite que l'on prenne conscience que ces événements destructeurs jouent également un rôle dans la capacité des systèmes côtiers à s'armer contre le changement climatique. Sur des plages longues de plusieurs kilomètres, nous pouvons mesurer des gains d'altitude de 60 centimètres à un mètre, voire deux mètres comme à Saint-Martin. Nous devons diffuser ce message, car il n'est pas envisageable de continuer à occuper la bande côtière si nous voulons qu'elle puisse jouer un rôle de protection. Bien sûr, les cyclones érodent, mais les cyclones construisent aussi. Ces deux dimensions nous amènent à évoluer d'une vision à court terme à une vision à long terme.

Pour évaluer la résilience des plages comme nous le faisons sur cinq îles des Caraïbes, nous devons travailler sur plusieurs années, passer d'une vision de court terme à long terme. Nous mesurons les volumes à l'aide de drones afin d'expliquer aux populations quels systèmes côtiers récupèrent par eux-mêmes et quels sont les systèmes pour lesquels d'autres solutions s'imposent. Nous devons chiffrer cette variabilité pour disposer de réalités locales à très grande échelle. C'est cet effort-là que l'on fait aujourd'hui. Saint-Martin comprend trente-trois plages. Les acteurs locaux souhaiteraient trouver partout une même « recette », mais notre enjeu est plutôt de définir trois ou quatre types dominants de plages afin de leur donner des moyens de gestion effectifs.

M. Michel Magras, président. - Dans certains endroits, une plage de galets peut être transformée en une plage magnifique tandis que d'autres endroits sont totalement détruits. Les effets du cyclone Luis en 1995 n'ont jamais été réparés sur certaines plages. L'être humain doit pouvoir faire face, reconstruire et retrouver des conditions de vie agréables. J'ai enseigné pendant trente-cinq ans que la nature peut étonner même les scientifiques et ne fait pas toujours bien les choses. Heureusement, l'intelligence humaine est parfois capable de résister à ce que défait la nature. La prise de conscience actuelle peut conduire vers une meilleure maîtrise des effets négatifs de la nature, y compris ceux qui vont apparaître et dont nous sommes en partie responsables.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Le temps cyclonique peut aussi être reconstructeur de certaines plages. Nous l'avons observé dans certaines zones métropolitaines concernées par un état assez cyclique d'engraissement et de désengraissement des plages. Néanmoins, pour en avoir visité beaucoup, je suis convaincu que la multiplicité et la rapidité de recommencement des phénomènes finissent par éroder énormément les plages.

Mme Virginie Duvat. - Le fonctionnement des plages métropolitaines est très différent du fonctionnement des plages coralliennes récifales. Le récif est une usine de production de sédiments. Mes propos ne s'appliquent donc pas à la métropole, mais aux milieux tropicaux.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie pour vos interventions.