Mardi 10 septembre 2019

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire - Audition de Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire

M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, je dois malheureusement commencer cette première réunion de commission en évoquant la disparition de notre collègue Philippe Madrelle, qui nous a quittés le 27 août dernier. Sénateur depuis 1980, il faisait partie de notre commission et a, chacun le sait, effectué une longue et brillante carrière politique. Avant de rejoindre la Haute Assemblée, il a siégé à l'Assemblée nationale. De plus, il a présidé le département de la Gironde pendant plus de 25 ans.

Je vous propose donc de commencer cette réunion par une minute de silence.

(Mmes les sénatrices et MM. les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence.)

Nous avons le plaisir de recevoir, en cette rentrée, Brune Poirson, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, qui vient nous présenter le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, qu'elle porte au nom du Gouvernement. Cette audition se déroule en présence des membres du groupe d'études « Économie circulaire », présidé par notre collègue Didier Mandelli.

Nous examinerons le projet de loi en commission le mardi 17 septembre prochain. C'est bien sûr au cours de cette réunion que notre rapporteur, Marta de Cidrac, vous présentera son rapport et les propositions qu'elle formule.

Ce projet de loi a évolué dans sa dimension politique, à l'origine assez réduite, puisqu'il prévoyait, outre la mise en oeuvre de la feuille de route pour l'économie circulaire, la transposition de directives européennes.

Ce texte devait initialement consister, pour l'essentiel, à des renvois à des ordonnances, ce dont nous nous étions émus, Didier Mandelli et moi-même. Puis, l'actualité politique aidant, ce projet de loi est devenu beaucoup plus politique, s'inscrivant parmi les priorités du Gouvernement. Le Premier ministre a vu dans ce projet de loi un premier pas en direction de « l'accélération écologique. » Vous-même avez exprimé le souhait, madame la secrétaire d'État, que ce texte permette la mise en oeuvre d'une « transition profonde et irréversible des modèles de production et de consommation ».

Nous sommes, au sein de cette commission, conscients de l'importance de ce texte et partageons vos préoccupations quant au gaspillage des ressources, aux continents de déchets, à la surconsommation de plastique et à l'obsolescence programmée des produits. Tout cela nous appelle bien sûr collectivement à changer de modèle.

Je voudrais seulement exprimer quelques réserves. La première porte sur la méthodologie. Nous sommes un peu surpris, pour ne pas dire chagrinés, qu'un comité de pilotage réfléchisse, concomitamment à notre examen de ce texte, à la mise en oeuvre d'une mesure phare de ce texte, la consigne. La date à laquelle ce comité de pilotage fera connaître les conclusions de ses travaux est assez confuse.

Dans le même temps, sans que l'on perçoive forcément le lien entre les deux, il y a le travail qu'effectue M. Jacques Vernier ; ce choix de méthodologie nous étonne quelque peu.

La deuxième réserve porte sur le fond : nous déplorons le peu d'éléments dont nous disposons pour examiner ce texte en termes d'étude d'impact, notamment sur la consigne, ce qui explique d'ailleurs que les chiffres les plus farfelus circulent sur le sujet. Le seul document communiqué par les services de l'État est assez paradoxalement une note qui provient des industriels regroupés sous le collectif « Boissons » ! Que notre seule source vienne de professionnels n'est pas forcément de nature à nous rassurer sur la conformité de ces informations à l'intérêt général. Nous relevons quelque contradiction par rapport au fait que le Gouvernement se dise très attaché à limiter l'importance de l'intervention des lobbies dans notre pays...

Les ultimes réserves concernent la responsabilité élargie du producteur, car ce texte aurait pu envisager de revoir leur gouvernance, très souvent sujette à critiques. Quant au renforcement des sanctions, il est renvoyé à des ordonnances, nombreuses, pour ne pas dire beaucoup trop nombreuses dans ce projet de loi.

Voilà, madame la secrétaire d'État, quelques éléments que je voulais évoquer avant de vous donner la parole.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. - Monsieur le président, cher Hervé Maurey, madame la rapporteure, chère Marta de Cidrac, monsieur le président du groupe d'études d'économie circulaire, cher Didier Mandelli, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est pour moi un véritable honneur que de vous présenter ce projet de loi. En effet, la transition écologique, c'est notre grand défi, un défi vertigineux, celui du siècle qui s'ouvre. J'en suis convaincue, ce projet de loi peut constituer une brique très importante pour répondre, dans notre quotidien, sur nos territoires, à l'échelle nationale, aux préoccupations des Français et à cette nécessité de changer les fondements de notre économie.

J'en ai conscience, le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire arrive après un moment politique et social particulier, celui d'une crise née notamment du rejet d'une fiscalité écologique trop lourdement ressentie par les ménages, en particulier les plus modestes d'entre eux. Nous vivons dans le même temps une mobilisation sans précédent de la jeunesse en faveur du climat, tandis que toutes les couches de la société expriment une sensibilité très forte aux enjeux écologiques. L'un des messages des « gilets jaunes » était « non à la taxe carbone, mais oui à la transition écologique ».

Conscients de l'urgence écologique qui les affecte dans leur vie quotidienne, les Français, qui vivent des canicules et des incendies sans précédent, exigent des moyens pour agir dans leur vie de tous les jours contre le gaspillage des ressources de la planète. Ils exigent aussi que chacun dans la société, quel qu'il soit, de l'État jusqu'à eux en passant par les associations et les entreprises, fasse le maximum pour lutter contre le réchauffement climatique. Ils demandent la recherche de nouveaux modes de production et de consommation, notamment sous l'angle de l'alimentation. Cela nécessite de lutter profondément et avec détermination contre des lobbies qui souhaitent que nous restions au XXe siècle.

C'est donc bien le sens et la finalité d'un capitalisme de surconsommation vorace que nos concitoyens interrogent aujourd'hui. Pour répondre à cette attente sans précédent, nous souhaitons nous attaquer à la réduction de toutes les formes de gaspillage, et en premier lieu à la poubelle des Français. En France, nous produisons cinq tonnes de déchets par an et par personne, dont 600 kilos de déchets ménagers, soit à peu près 12 %, et 700 kilos de déchets des entreprises, environ 14 %. Le seul secteur du bâtiment en produit autant, 700 kilos. Quant au secteur des travaux publics, il produit 2,7 tonnes de déchets.

Aujourd'hui encore, 200 millions de bouteilles en plastique sont jetées dans la nature, et seuls 26 % de nos déchets plastiques sont recyclés. Près de trente ans après la dernière grande loi sur les déchets, on continue à envoyer les déchets dans des décharges saturées, pire, à les déverser parfois dans la nature, sous forme de dépôts sauvages, voire à les envoyer dans des pays en développement, comme si ceux-ci pouvaient tolérer longtemps de servir d'exutoire à nos propres excès !

Notre rapport aux déchets en dit long sur notre rapport à la nature et à l'économie. Les Français ne le supportent plus et nous demandent d'agir pour passer d'une société du tout jetable à une société économe de ses ressources et respectueuse de l'environnement. Cela suppose de produire en économisant les ressources naturelles, de supprimer les emballages inutiles, de privilégier le réemploi et d'avoir recours au recyclage. C'est cela que l'on appelle l'économie circulaire. Cette économie du XXIe siècle, qui va redonner un sens au capitalisme, est aussi une réponse à ceux qui voudraient nous faire choisir entre deux options mortifères : la croissance et la décroissance.

Oui, cette loi, déjà attaquée, pourrait marquer un vrai tournant. Elle installe un cadre pour transformer le pacte productif et donner aux Français les moyens de consommer autrement.

C'est cette réconciliation entre le social et l'écologie, entre le développement économique et la protection de l'environnement que nous demandent les Français, les Françaises et leurs enfants. La lutte contre le changement climatique, ce n'est pas l'affaire des générations futures, c'est la nôtre, dès aujourd'hui. Les impacts environnementaux sont importants. En favorisant le réemploi, la longévité des produits et le recyclage, on réduit la consommation de ressources, ainsi que notre dépendance à l'égard de matières parfois extraites dans des conditions environnementales et sociales déplorables dans des pays lointains, dont les intérêts divergent parfois des nôtres.

En recyclant le plastique, on évite l'importation de pétrole, qui creuse le déficit de notre balance commerciale, et on réduit les émissions de CO2. Et les impacts sont positifs en termes d'emplois et de développement économique. On estime qu'il existe un gisement de 300 000 emplois locaux supplémentaires, qui couvre toute la palette de qualifications dans les domaines de l'écoconception, de la réparation, du réemploi, du recyclage des ressources et dans les nouveaux services liés à l'économie de la fonctionnalité.

Si ce nouveau modèle nécessite une transformation industrielle profonde, car les besoins d'investissements sont estimés à environ 4,5 milliards d'euros, il va aussi renforcer les atouts du Made in France et nous aider à nous rendre plus indépendants, notamment à l'égard des pays asiatiques.

Je m'exprime donc devant vous avec autant d'ambition que d'humilité : de l'ambition, parce qu'il en faut beaucoup pour relever ce défi, et je sais que vous serez au rendez-vous, mais aussi beaucoup d'humilité, car je sais que ce combat a été commencé depuis près de trente ans et que mes prédécesseurs, quelle que soit leur sensibilité politique, ont tous déployé des efforts importants. Je le sais aussi, les députés et les sénateurs, en particulier, sont engagés depuis de nombreuses années sur ces sujets. Les maires et les élus locaux se battent tous les jours, parfois au péril de leur vie, pour gérer les déchets de leur territoire. J'ai évidemment une pensée, ici, pour Jean-Michel Mathieu, le maire de Signes, dont la mort nous place collectivement face à nos responsabilités.

Je m'inscris humblement dans la continuité de cet héritage. Je veux rendre hommage à tous ceux qui ont participé à cette grande aventure, celle de la responsabilité élargie des producteurs, inscrite dans le droit français dès 1975, celle du bac jaune, celle de l'éducation au geste de tri, celle des centres de collecte et de recyclage, celle des initiatives innovantes qui servent, chaque jour, l'intérêt général et le mieux-vivre sur nos territoires. Grâce à ces trente années de politique publique, la France est aujourd'hui reconnue. Mon approche ne peut donc qu'être humble et nous devons aller encore plus loin ensemble.

Ce projet de loi est avant tout le fruit d'une concertation de dix-huit mois avec l'ensemble des acteurs et avec de nombreux groupes de travail thématiques. Plus d'une centaine de réunions ont eu lieu avec des élus, dont certains sont ici, des chefs d'entreprises, des ONG, des associations, et je veux à nouveau remercier les sénateurs de leur travail tout au long de cette concertation. Depuis avril 2018, il y a donc plus d'un an, ils m'ont entendue parler et commencer à dessiner certaines mesures phares de ce projet de loi - la REP sur le secteur du bâtiment, la consigne, l'élargissement des filières... Nous avons construit ensemble un vrai château ou un immeuble, déposant les briques les unes après les autres. Il nous reste à terminer la tâche.

Sur certaines parties du texte, par exemple la mise en oeuvre de la consigne, la concertation va se poursuivre dans les prochains mois. Certaines mesures sont tellement importantes que le principe même a été discuté collectivement et que les modalités ne peuvent être définies qu'ensemble, dans les mois à venir. Telle est la méthode que j'ai choisie, celle qui me semble être la plus rassembleuse de tous les acteurs.

Alors que le débat s'engagera dans une semaine au Sénat, il me semble évident et logique que votre assemblée soit saisie, en première lecture, de ce projet de loi. Les déchets, ressources territoriales par excellence, sont évidemment l'un des très grands champs d'action publique des élus locaux, que vous représentez. Je veux, à cet égard, partager avec vous un constat sur le renforcement des pouvoirs de police du maire pour lutter contre les dépôts sauvages. Lorsque nous créons des filières REP, nous rééquilibrons la charge entre les collectivités et les filières économiques. Le coût pour les collectivités territoriales de la gestion des déchets du bâtiment, hors dépôts sauvages, est de 453 millions d'euros. Ces transferts, ce sont les collectivités territoriales qui en seront bénéficiaires, et nous souhaitons que les industriels prennent ces coûts à leur charge.

Notre préoccupation est la même lorsque nous luttons contre les dépôts sauvages, qui coûtent entre 340 et 420 millions d'euros par an aux collectivités et qui entretiennent une perception d'impuissance de l'action publique.

Enfin, de manière plus structurelle encore, le développement de l'économie circulaire doit permettre d'assurer sur tous les territoires la croissance économique, la réindustrialisation et la création d'emplois durables parce que non délocalisables. À elles seules, les couches pour bébé génèrent en France 350 000 tonnes de déchets ! Le recyclage nécessiterait la création pérenne de plusieurs dizaines d'usines de recyclage sur tous les territoires. Quelle activité économique peut se prévaloir d'un potentiel comparable à celui de l'économie circulaire aujourd'hui ?

Ce projet, nous l'avons bâti au plus proche de l'intérêt des collectivités locales et des élus, qui sont porteurs de l'intérêt général au service de leurs concitoyens. Ce texte se décline en quatre titres : au sein du titre Ier, les articles 1 à 4 sont consacrés à l'information du consommateur. Inscrit dans la feuille de route de l'économie circulaire, l'article 1er entend définir les modalités de l'information donnée aux consommateurs sur les qualités et l'impact environnemental des produits.

L'article 2 est aussi une composante essentielle de l'information du consommateur. En effet, il prévoit l'instauration d'un indice de réparabilité des produits électriques et électroniques.

L'article 3 vise à établir une signalétique claire sur l'ensemble des produits soumis à un principe de REP, ainsi qu'un marquage du bon geste de tri pour le produit concerné. Il est aujourd'hui manifeste que nos concitoyens sont de plus en plus sensibilisés à la nécessité d'avoir le bon geste de tri : à nous de leur offrir tous les éléments nécessaires pour qu'ils le réalisent !

L'article 4 a pour objet d'imposer l'affichage de la disponibilité ou de la non-disponibilité des pièces détachées nécessaires à la réparation des équipements électriques, électroniques et des meubles. Désormais, les vendeurs devront, s'ils ne fournissent pas les pièces nécessaires à la réparation de leurs produits, clairement l'indiquer à leurs acheteurs. Il est également prévu de diviser par deux, et même un peu plus, le délai de livraison des pièces de rechange par les fournisseurs. L'article 4 favorise l'utilisation de pièces issues de l'économie circulaire.

Le deuxième titre du projet de loi, consacré à la lutte contre le gaspillage, s'articule autour de deux mesures fortes,

L'article 5 interdit l'élimination des invendus de produits non alimentaires. Le principe que devront suivre les invendus en magasin ou sur les plateformes de vente en ligne sera réemploi, réutilisation, recyclage. C'est une première dans le monde !

L'article 6 vise la mise en place d'un diagnostic déchets dans les opérations de déconstruction du bâtiment, en vue de déterminer quels sont les matériaux et déchets réutilisables ou valorisables sur d'autres chantiers.

Le titre III est véritablement le coeur du projet de loi. En cinq articles, il propose de refonder le principe de responsabilité élargie du producteur pour lui donner un second souffle, en adéquation avec les nouvelles attentes sociétales sur les impacts environnementaux des produits tout au long de leur cycle de vie.

L'article 7 fixe ainsi le cadre général de la réglementation des produits générateurs de déchets. Il prévoit la possibilité d'imposer des taux minimaux d'incorporation de matières recyclées et renforce les moyens donnés à l'État pour assurer le suivi, le contrôle des filières.

L'article 8 réécrit l'ensemble d'une section du code de l'environnement pour construire un nouveau cadre de fonctionnement des filières REP. Il contient un certain nombre de mesures très techniques et d'autres beaucoup plus populaires, telle la mise en place d'une consigne sur certains produits.

L'article 9 est principalement un article d'harmonisation des dispositions nouvelles et de celles qui existent déjà dans le code de l'environnement, comme l'avancement de la date d'harmonisation au niveau national de la couleur des poubelles de la fin 2025 à la fin 2022 ou la fin 2023.

L'article 10 transpose une disposition de la directive du 5 juin 2019 qui étend l'interdiction des plastiques au plastique oxodégradable.

L'article 11 est un article de coordination des diverses dispositions du texte.

Enfin, le titre IV contient deux articles.

L'article 12 vous soumet une série d'habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance. Son champ comprend diverses transpositions de directives communautaires relatives aux déchets, ainsi que les propositions de la feuille de route pour l'économie circulaire qui s'y rattachent directement. Je sais les réticences qui sont celles de votre assemblée sur la méthode des ordonnances et je puis les comprendre. La discussion sur les sujets qui concernent très directement nos concitoyens est à cet égard ouverte. Je pense notamment au renforcement des pouvoirs de police délégués aux maires.

Le dernier article précise les modalités d'entrée en vigueur du texte.

À l'issue de ce catalogue un peu fastidieux, je voudrais revenir sur deux dispositions du texte qui ont fait l'objet de débats ces dernières semaines.

Il s'agit, tout d'abord, de la mise en place d'une filière REP pour le bâtiment et la construction. Le secteur du bâtiment génère 42 millions de tonnes de déchets, autant de matériaux pouvant alimenter des décharges et des dépôts sauvages, qui sont des fléaux écologiques et économiques pour les collectivités. L'enlèvement et le nettoyage de ces décharges représentent un coût pour les communes et donc pour les contribuables, estimé entre 340 et 420 millions d'euros par an. À la suite de la mort du maire de Signes, j'avais annoncé que je réunirais les acteurs de la filière du bâtiment et de la construction, ainsi que les associations d'élus, pour développer des pistes concrètes. La réunion qui s'est tenue le 5 septembre dernier nous a permis de créer un consensus autour du principe de la reprise gratuite des déchets du bâtiment dès lors que ceux-ci ont été triés au préalable au 1er janvier 2022.

L'étude de préfiguration a commencé la semaine dernière sous l'égide de l'Ademe. Nous nous sommes collectivement mis d'accord sur un système de traçabilité permettant de mieux identifier les déchets, leur parcours et leur destination. Un observatoire national de la gestion des déchets sera aussi mis en place très rapidement pour consolider l'ensemble des chiffres par territoire. Un travail en commun sera mené pour planifier la localisation de nouveaux points de collecte des déchets pour les professionnels, afin d'augmenter le maillage territorial existant, ce qui correspond à une demande forte. Enfin, une mesure d'exonération de TGAP pour les collectivités résorbant leurs décharges sauvages est prévue.

Ce consensus, obtenu dans le cadre d'une concertation responsable, nous permettra de changer durablement la donne pour résoudre une difficulté mise de côté depuis des dizaines d'années.

Vous serez certainement d'accord avec moi, il faut à tout texte de loi son objet transitionnel, son symbole. Pour ce projet, ce sera peut-être la consigne. Elle nous rappelle à la fois des jours anciens, quand l'on rapportait les bouteilles en verre au magasin, et les pratiques d'autres contrées, comme l'Allemagne ou les pays nordiques, dans lesquelles ce dispositif ancien et performant a fait ses preuves. C'est la consigne qui leur a permis d'atteindre le taux de 90 % de collecte du plastique exigé par l'Union européenne. Mais, plus encore, elle est devenue l'outil important, presque indispensable, pour qu'aucune bouteille ne se retrouve dans la nature ou dans la mer, pour réduire la quantité produite de plastique vierge, pour changer notre consommation de plastique à usage unique. Par ailleurs, la consigne est un outil formidable pour accélérer les dynamiques de réemploi sur le territoire, pour permettre à chacun d'entre nous de réinterroger ses modes de consommation et pour conduire à une transformation des modes de production.

La consigne ne sera jamais le projet des industriels, dont le modèle économique serait en danger face au risque d'interdiction pure et simple du plastique. Rappelons quelques faits : rien n'interdit dans le droit actuel la mise en place de consignes ; aucun élu local ne peut donc s'opposer au déploiement de la consigne. Certains acteurs de la grande distribution ne s'y sont pas trompés : ils étudient la possibilité de déployer un système de consigne dans leur coin. On observe déjà l'émergence sur nos territoires d'infrastructures de reprise financée de certains emballages parallèles au bac jaune, que ce soit par la grande distribution ou par certaines autres entreprises, et ce sans concertation et sans se soucier de l'impact éventuel sur le service public de gestion des déchets.

C'est pour cette raison que le Gouvernement a souhaité prendre les devants pour cadrer et pour coconstruire la mise en oeuvre d'un tel dispositif plutôt que de le subir. Notre volonté est bien d'agir comme garant de l'intérêt général contre les lobbys, afin de s'assurer que les conditions de mise en oeuvre d'une consigne généralisée sur le territoire répondent bien à une ambition environnementale, à une rationalité économique et aux priorités des collectivités locales. Si la consigne devait être déployée, elle le serait de manière complémentaire à notre outil de collecte et de tri organisé depuis des années par les collectivités, qui font un travail absolument remarquable sur les territoires, et par les recycleurs, qui jouent un rôle clé dans le système.

C'est pour cette raison que j'ai lancé le 19 juin dernier, après des mois de concertation, un comité de pilotage particulièrement centré sur la consigne. Ce comité est présidé par Jacques Vernier, qui rendra prochainement, à ma demande, un prérapport fondé sur des dizaines de consultations avec l'ensemble des acteurs. D'ores et déjà, je voudrais partager avec vous les chiffres des services du ministère de la transition écologique et solidaire : seuls les pays qui utilisent un dispositif de consigne atteignent une performance de collecte d'au moins 90 % - notre propre système n'a pas été pensé pour atteindre ce niveau de performance.

Certains nous expliquent qu'il serait possible d'atteindre ce taux dès 2022 sans la consigne, puisque le taux de collecte serait déjà à 70 %. Au-delà du fait qu'ils n'expliquent pas de manière concrète comment combler la différence de 20 % en deux ans, ces hypothèses ne prennent pas en compte l'ensemble de la consommation nomade et les poubelles de rue. De plus, les metteurs sur le marché, via leurs éco-organismes, devront continuer à financer 80 % des coûts nets optimisés du bac jaune collecte et tri. Je sais que cela a suscité certaines interrogations, mais nous sommes prêts à le réaffirmer dans la loi.

Une autre critique du modèle actuel porte sur l'application concrète de ce taux de 80 %. Sur ce sujet des coûts dits optimisés, nous sommes prêts à ouvrir des discussions dans le cadre des débats parlementaires.

Le système de consigne ne déséquilibrera pas les contributions à l'éco-organisme des emballages non consignés.

La consigne pour seul recyclage ne répond pas à tous les enjeux. À ce titre, la consigne pour réemploi présente des atouts économiques et environnementaux indéniables, notamment pour se passer de l'usage unique. Il faut accélérer la mise en oeuvre des pratiques volontaires, formidable vecteur de dynamique locale. C'est une chance pour tous de revoir nos modèles de consommation.

Un nouveau comité de pilotage sera mobilisé dans les prochains jours, pour que chacun puisse réagir à ce prérapport, que nous partagerons bien sûr largement avec vous. Notre objectif sera de poursuivre la concertation afin d'évaluer la performance de différents scénarios en vue d'une mise en oeuvre de la consigne en 2022 ou à partir de 2020. L'enjeu central de nos débats ne sera pas de nous enfermer dans des postures manichéennes entre « pro » et « anti », alors que les Français y sont favorables. Je rappelle que 82 % d'entre eux répondent massivement oui à la question : « Êtes-vous prêt à rapporter des bouteilles en plastique à un endroit pour qu'elle soit déconsignée ? ». Selon un sondage publié le 3 septembre dernier, plus de 90 % des Français souhaitent davantage de moyens pour trier et que la lutte contre la pollution plastique soit renforcée. Bien sûr, il nous faut ensemble déterminer les garde-fous ou les mécanismes de sécurisation nécessaires à une mise en oeuvre optimale pour l'ensemble des parties prenantes.

Deux pistes peuvent déjà être esquissées.

La première, c'est d'associer étroitement les territoires au déploiement du système de consigne, afin que celui-ci n'épouse pas les déséquilibres territoriaux, mais permette au contraire de les atténuer. Laisser la main libre aux industriels ou aux acteurs de la grande distribution, c'est prendre le risque d'une consigne cantonnée aux grandes surfaces à la périphérie des villes. Personne ne veut de ce modèle. Permettre aux élus locaux de contribuer à la planification doit au contraire favoriser l'intégration des dispositifs dans les centres-bourgs et les coeurs de ville et participer ainsi pleinement à leur revitalisation.

La seconde piste, c'est de travailler ensemble à la pérennité du modèle économique des centres de tri et des centres de collecte dans lesquels un certain nombre de collectivités ont investi. Il y aura toujours des flux - plastiques, métaux ou autres - dans le bac jaune, même avec une consigne.

L'objectif de la loi est d'éviter les suremballages, de développer le réemploi, de tendre vers le zéro déchet. Pendant la période de transition, les centres de tri et de collecte doivent rester plus que jamais au centre du jeu. Nous devons donc travailler sur les synergies possibles entre les dispositifs de tri, que ce soit ceux du bac jaune ou de la consigne. Il nous appartient donc de réfléchir, y compris, mais pas exclusivement par voie législative ou réglementaire, à la façon dont le système pourrait être organisé pour mobiliser les capacités déjà existantes des centres de tri et de collecte et favoriser la modernisation de ceux-ci quand cela est nécessaire.

Je veux pour conclure dire combien ce projet de loi constitue la première brique de ce nouveau modèle de société que nous devons inventer ensemble et que les Français appellent de leurs voeux chaque jour un peu plus fort : un modèle qui valorise un rapport différent, plus sain à notre environnement et aux objets qui peuplent notre quotidien, une société capable de produire de la richesse à partir de la richesse déjà produite et non simplement en creusant toujours plus profondément dans les ressources d'une terre qui exprime chaque jour son épuisement, une société qui crée des emplois pour tous, des emplois qui aient du sens, une société écologique qui partage les responsabilités pour ne pas faire peser sur quelques-uns seulement la charge des excès de tous les autres.

Nous aurons bien sûr des discussions sur les détails et parfois, je le sais, des désaccords. Mais il nous appartient ici, au-delà des habitudes et parfois des rentes, de ne pas perdre de vue cette grande ambition. C'est cela que les Français nous demandent. Je me réjouis d'avance du travail collectif qui s'ouvre.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Je vous remercie de la présentation de ce projet de loi sur lequel un travail important a déjà été mené au Sénat. Nous avons auditionné plus d'une centaine d'acteurs. Malgré cela, nous avons encore des questions sur un certain nombre de sujets, sur lesquels je n'ai pas obtenu de réponse de la part de votre cabinet.

Vous avez longuement évoqué la consigne. Le projet de loi que vous défendez comprend des dispositions très générales sur cette question et laisse une très grande marge de manoeuvre. Je ne porte pas de jugement à cette étape ! Ni le projet de loi ni l'étude d'impact qui l'accompagne n'apportent en réalité de précisions sur l'objectif réel recherché par le Gouvernement : est-il environnemental ou économique ? J'ai constaté au cours des auditions que certaines perspectives offertes par ce dispositif soulevaient de très vives interrogations, voire des incompréhensions. Vous nous avez précisé certains éléments aujourd'hui, mais il faudrait sans doute aller plus loin. Confirmez-vous que votre priorité est de mettre en place une consigne pour recyclage et non pour réemploi, sur les bouteilles en plastique ?

La prise en charge et le financement de la collecte des déchets du bâtiment, ainsi que leur traitement, constituent un sujet majeur pour les territoires. Le projet de loi prévoit l'instauration d'une filière de responsabilité élargie pour ce secteur du bâtiment. Il tend également à préciser qu'un système équivalent ou interprofessionnel pourrait être mis en place. Comment s'assurer que ce dispositif garantisse et finance une reprise gratuite des déchets triés en tout point du territoire, ainsi qu'un maillage territorial aux points de collecte ?

J'en viens à la prévention. Lors des auditions, de nombreux acteurs ont souligné que le projet de loi s'intéressait plus à l'aval, c'est-à-dire à la fin de vie des produits et à leur recyclage, qu'à l'amont, à savoir la prévention de la production des déchets. Nous sommes tous d'accord ici, et les Français partageront avec nous cet avis, pour dire qu'au fond c'est peut-être la production même des déchets qui pose question. Les objectifs de diminution de l'empreinte carbone et de réduction de l'impact environnemental ne justifient-ils pas de se concentrer plus encore sur la prévention ?

Je terminerai par une remarque d'ordre général. Vous avez évoqué les habilitations. Effectivement, en tant que parlementaires, il est pour nous important que nous puissions débattre d'un certain nombre de sujets. J'apporterai ma pierre à l'édifice sur cette question. Il est nécessaire que nous puissions avoir un débat parlementaire sur l'ensemble des habilitations.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Madame la rapporteure, concernant les habilitations et les ordonnances, je me suis déjà prononcée sur cette question. Il me semble légitime que vous souhaitiez vous saisir des nombreuses questions faisant l'objet des ordonnances.

La prévention est un axe absolument central de ce projet de loi, puisque l'objectif est non pas d'améliorer simplement le système à la marge, mais bien de changer nos modes de production et de consommation. Il faut sortir du tout-jetable et tendre vers une société du zéro déchet, ce qui suppose de passer par un certain nombre d'étapes, à commencer par la prévention.

Dans les filières REP - nous en créons beaucoup de nouvelles, par exemple pour les articles de sport, de bricolage, les jouets, les lingettes -, l'objectif sera le réemploi.

Dans le domaine du BTP, nous voulons passer d'une logique de démolition à une logique de déconstruction. Un bâtiment contient de nombreuses ressources qui doivent être impérativement réutilisées. C'est la meilleure façon de prévenir la surconsommation.

L'article 5 vise à lutter contre la surproduction, puisque le but est d'interdire l'élimination des articles invendus. Je rappelle qu'entre 800 et 900 millions d'euros de produits invendus sont détruits par an.

Nous voulons aussi promouvoir la consigne pour réemploi. Le Gouvernement a d'ailleurs annoncé que les consommateurs pourraient apporter leurs propres emballages dans les commerces.

Concernant la REP bâtiment, le travail conjoint mené depuis l'été 2018 par les quatorze fédérations professionnelles ne peut être que salué. C'est la première fois que l'ensemble des représentants de la filière du bâtiment travaillent de concert. Le cadre du fonctionnement des filières existe, il est clair et éprouvé. L'interprofession proposée par les fédérations comprend encore des limites et soulève des interrogations, notamment en termes de contrôle, de transparence des activités, de gouvernance et de fonctionnement. Les modalités de financement, qui reposent sur l'équivalent d'une taxe affectée, peuvent également susciter des questions. Ces sujets font l'objet d'une étude de préfiguration menée par l'Ademe pour déterminer la piste à favoriser : interprofession ou éco-organisme. Je suis sûre que vous serez également très attentifs à ce que le secteur du bâtiment soit en mesure de rendre des comptes sur la façon dont il gère les déchets. Le drame de cet été doit nous rappeler à quel point la lutte contre les dépôts sauvages doit être une priorité.

L'objectif de la consigne est multiple : d'abord, nous nous retrouvons dans une situation dans laquelle certains industriels agissent dans leur coin pour déployer des dispositifs de consignes sans informer les collectivités, qui n'ont pas leur mot à dire. Par ailleurs, l'Union européenne fixe des objectifs très ambitieux de 90 % de recyclage des bouteilles en plastique d'ici à 2029. Nous devons aussi changer notre rapport à la consommation, à la production et à la gestion de nos déchets. La consigne pourrait être un moyen de développer le réemploi, la réutilisation des emballages et des produits en France. C'est une façon d'accélérer la sortie de la société du tout-jetable. Je rappelle que chaque année plus de 100 millions de bouteilles en plastique finissent dans la nature.

L'objectif est avant tout écologique, mais aussi sociétal, pour aller le plus rapidement possible vers le réemploi et la réutilisation.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Vous évoquez le réemploi et le recyclage. Ma question était très précise : s'agissant des bouteilles en plastique, est-ce l'un ou l'autre ? N'y a-t-il pas une petite confusion entre l'objectif, que nous partageons tous, et l'outil que l'on pourrait mettre en place pour y parvenir ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Les études montrent que, pour les bouteilles en plastique, le réemploi, c'est-à-dire la réutilisation après lavage des bouteilles, a peu de sens écologique et économique. En revanche, pour les bouteilles en verre, les études de l'Ademe montrent que dans un périmètre d'environ 200 kilomètres le réemploi fait sens écologiquement et économiquement.

J'ai demandé des études complémentaires à l'Ademe pour garder la possibilité de mettre en place un système de consigne pour réemploi.

Pour les bouteilles en plastique, on parle de recyclage, mais cela n'empêche pas de travailler dès aujourd'hui, de façon concomitante, à un système de réemploi et de réutilisation. Nous devons étendre ce système à d'autres emballages, notamment ménagers, ou à d'autres produits, comme les piles.

M. Didier Mandelli, président du groupe d'études « Économie circulaire ». -J'ai participé à quelques réunions du comité de pilotage de la feuille de route et j'y ai ressenti un véritable engagement de l'ensemble des acteurs de l'économie circulaire, qu'il s'agisse des ONG, des collectivités locales et de leurs représentants. Des positions consensuelles ont été adoptées ou acceptées : je pense notamment à l'élargissement des REP. Ce projet de loi comprend donc de nombreux points positifs, au moins dans ses intentions, et vous le défendez, madame la secrétaire d'État, plutôt bien, avec enthousiasme et engagement.

Cela dit, je ressens une forme de frustration chez les différents acteurs de l'économie circulaire. Ce projet de loi manque d'ambition. Il y manque des incitations en termes de commande publique et des obligations pour un certain nombre d'institutions, parmi lesquelles les ministères. Les aides de l'État, notamment dans la construction, pourraient par exemple devenir conditionnelles.

Par ailleurs, la redevance incitative n'est pas assez étendue, puisqu'elle ne concerne que 5 millions de nos concitoyens. Son extension pourrait sembler coercitive, mais je suis convaincu que c'est nécessaire si l'on veut une économie réellement circulaire.

Enfin, je ne suis pas certain que la mesure de la consigne, très médiatique, contribue véritablement à atteindre les objectifs fixés, et je pense qu'elle dessert le projet de loi dans son intégralité. Elle est à ce projet de loi ce que les 80 kilomètres/heure ont été à la LOM.

J'espère que les débats nous permettront d'approfondir un certain nombre de sujets. Ce projet de loi manque de souffle. Si l'on veut changer de modèle, il faut aller beaucoup plus loin. 

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Je suis ravie de vous entendre dire qu'il faut aller plus loin. Si je partage tout à fait votre vision des choses, dans mes rêves les plus fous je n'ose imaginer que l'État oblige les collectivités locales à mettre en oeuvre la redevance incitative... L'Ademe soutient des projets de redevance incitative, par exemple à Besançon.

L'économie circulaire étant par définition systémique, elle suppose qu'un ensemble de mesures soit pris et que les différents acteurs fassent un pas dans la même direction au même moment.

Je partage également votre vision sur l'importance de la commande publique.

Je regrette que l'on dise parfois que ce projet de loi est le projet de loi sur la consigne. Son objectif premier est de lutter contre la surproduction, contre la surconsommation et contre le gaspillage. Nous voulons redonner leur valeur aux choses et la consigne n'est qu'une mesure de ce projet enthousiasmant.

M. Hervé Maurey, président. - Notre commission donne l'exemple, puisque nous buvons dans les gobelets en carton !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Il serait encore mieux d'avoir des mugs !

M. Pierre Médevielle, rapporteur pour avis. - Ce projet de loi s'inscrit dans le cadre européen du paquet « économie circulaire » adopté au printemps 2018 et complété en juin 2019. Globalement, ce texte va dans le bon sens. Comme mon collègue Didier Mandelli, j'espère qu'il constituera un symbole majeur.

Le paquet « économie circulaire » fixe des objectifs a minima de recyclage des déchets d'emballages et de certaines matières spécifiques, mais laisse souvent aux États membres le soin de prendre des mesures appropriées. Il apparaît donc difficile de considérer qu'il y aurait de véritables surtranspositions dans le projet de loi.

Pour autant, il convient de déterminer si les obligations prévues en matière d'information des consommateurs, de financement de certains coûts de nettoyage ou de prévention ou encore les obligations de reprise des produits usagés faisant l'objet d'une filière REP ne sont pas de nature à introduire des distorsions de concurrence. En effet, elles ne s'appliquent qu'aux producteurs et aux distributeurs établis en France. Pouvez-vous m'éclairer sur ce point, en particulier préciser quelles obligations pèseront sur les fabricants ou distributeurs non établis en France de manière générale, ou lorsqu'ils commercialisent leurs produits en France, ou encore si les producteurs et distributeurs établis en France seront soumis à ces obligations pour les produits qu'ils commercialisent dans l'UE ou hors de celle-ci ?

Plus spécifiquement, la commission des affaires européennes a observé que les obligations d'incorporation de matières recyclées dans les produits obligeront à la modification des chaînes de production en France. Le coût pour les producteurs français, le risque de distorsion de concurrence et les délais nécessaires de mise en conformité ont-ils été évalués ? Qu'en est-il également des coûts pour les filières REP ?

Enfin, l'ordonnance relative à l'interdiction de compostage des biodéchets avec d'autres déchets biodégradables cristallise les inquiétudes.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Une étude d'impact détaillée a été réalisée. Nous voulons que la transition écologique apporte un avantage compétitif aux entreprises françaises.

Nombreux sont les consommateurs qui souhaitent des produits plus respectueux de l'environnement. Beaucoup d'entreprises ont besoin d'incorporer plus de matières recyclées dans leurs produits, mais peinent à en trouver.

Le pacte national sur les emballages plastiques visait à agir avant même la discussion de ce texte. Il contient des objectifs de lutte contre le suremballage et la prolifération du plastique et un objectif d'incorporation visant à atteindre 100 % de plastique recyclé dans les produits commercialisés d'ici à 2025. Mais, pour relever l'enjeu d'acceptabilité sociale, il faut aussi créer des filières et une dynamique, afin, par exemple, de ne pas être obligé d'importer des matières plastiques d'Arabie saoudite pour atteindre nos objectifs d'incorporation.

Les filières REP visent tous les producteurs, qu'ils soient établis en France ou à l'étranger, afin d'éviter les distorsions de concurrence. Ce modèle, conçu en France, a été repris dans un certain nombre de pays européens, et nous allons encore en améliorer la gouvernance, pour le rendre encore plus efficace et plus transparent.

Mme Angèle Préville. - Si je partage votre volonté de revoir notre mode de consommation, je ne vois pas de mesure qui permettrait une réduction drastique des suremballages dans ce texte.

Par ailleurs, je souhaite attirer votre attention sur le tissu polaire, qui est fait à partir de matières plastiques. Le lavage de ce tissu entraîne le relargage de matières plastiques qui s'accumulent dans les organismes, notamment humains, et qui véhiculent tous types de micro-organismes.

Enfin, en matière de réemploi, que faire des mégots qui contiennent des centaines de produits chimiques, notamment des métaux ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Ce n'est pas au contribuable, mais aux industriels qu'il incombe de prendre en charge les recherches nécessaires en matière de réemploi des mégots et la lutte contre la pollution qu'ils causent. C'est pourquoi nous allons créer une filière REP sur le tabac.

Nous travaillons à l'amélioration de la gouvernance des filières REP, afin de mieux les sanctionner. L'écoconception figurera dans le cahier des charges des filières REP, notamment la REP des producteurs de textile.

Par ailleurs, nous allons mettre en place un système de bonus-malus sur l'éco-contribution. Les entreprises dont les produits sont les moins vertueux, notamment en matière de suremballage, seront sanctionnées par une pénalité pouvant aller jusqu'à 20 % du prix de vente du produit hors taxe. Ces pénalités seront reversées sous forme de bonus aux entreprises les plus vertueuses.

M. Frédéric Marchand. - Le secteur du BTP est actuellement le principal producteur de déchets en France. Le projet de loi prévoit la création d'une filière REP pour le bâtiment, mais il n'aborde pas la question de l'écoconception des bâtiments, qui permet la réduction de leur impact environnemental au travers de leur approvisionnement durable, de l'analyse de leur cycle de vie et de l'anticipation des changements d'usage. Comment pensez-vous traiter cet aspect des choses ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Comme je l'ai dit, nous souhaitons passer d'une logique de démolition à une logique de déconstruction. Un bâtiment, c'est une banque de matériaux.

Par ailleurs, en matière d'écoconception, la filière REP du bâtiment appliquera elle aussi la modulation de l'éco-contribution.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - J'attire votre attention sur les difficultés soulevées par les entreprises d'emballage alimentaire concernant le taux minimal d'incorporation de matières recyclées dans les produits et matériaux et l'obligation d'afficher le triman et d'enlever le logo point vert.

Ces entreprises souhaiteraient que les taux d'intégration de matières recyclées dans les emballages alimentaires soient établis en concertation avec les réglementations européennes d'aptitude au contact alimentaire, et que l'affichage bonus-malus que vous prévoyez sous un an ne puisse se faire qu'une fois l'utilisation de matières issues du recyclage confirmée par les autorités compétentes.

Par ailleurs, il serait bon que le logo point vert puisse être apposé sur les emballages multilingues, car de nombreux pays européens continuent à en faire obligation.

Quelle est votre position sur ces sujets ?

J'ajoute que 70 entreprises d'emballage alimentaire des Pays de la Loire, inquiètes des mesures prévues dans ce projet de loi, se sont regroupées au sein de l'association Ligépack.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - En 2018, le taux d'incorporation de plastique recyclé a augmenté de 12 % sur la base du volontariat. Les taux d'incorporation feront l'objet de concertations filière par filière. Je rappelle toutefois que la directive Sup européenne fixe un objectif minimal d'incorporation. La REP emballages prévoit déjà des bonus pour les entreprises vertueuses.

Je crois qu'il est très important de sincériser l'affichage environnemental. Plus de 90 % de Français pensent que le logo point vert signifie que le produit est recyclable ou recyclé. Certains placent ces produits dans le bac jaune, ce qui entraîne un coût de 40 millions d'euros par an pour les collectivités locales.

Le vrai logo est le triman. À l'article 3, nous proposons de le généraliser à tous les emballages qui font l'objet d'une consigne de tri spécifique.

Il y a deux solutions pour sortir du point vert : prévoir un malus pour les produits sur l'emballage desquels il est apposé ou inscrire son interdiction dans la loi.

Mme Michèle Vullien. - On sent que vous avez la foi dans ce que vous êtes en train d'entreprendre, et je me réjouis que cette loi soit prochainement discutée au Sénat.

Si l'interdiction de la destruction des invendus me semble être une mesure importante, je m'interroge sur sa mise en oeuvre, car les commerces travaillent en flux tendu et les stocks peuvent se trouver à l'étranger.

Par ailleurs, j'ai été alertée sur la question du polystyrène expansé utilisé dans les emballages alimentaires par des représentants de filière. Si j'ai bien compris, vous souhaitez que ce matériau ne soit plus utilisé. Or les représentants de filière m'ont affirmé qu'il pouvait être recyclé, par exemple en Belgique. Je souhaiterais connaître votre point de vue sur cette question qui est aussi une question de sécurité alimentaire.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Concernant les invendus, la loi contre le gaspillage alimentaire a montré que les entreprises étaient capables de mieux gérer leurs stocks. Je n'ai pas la main sur ce qui se passe dans les autres pays, mais nous avons commencé à travailler avec certains pays et certaines entreprises internationales qui ont beaucoup d'impact, par exemple dans le cadre du pacte sur le textile qui a été lancé à l'occasion du G7. À défaut d'entente large à l'échelon international, nous travaillons avec les volontaires.

S'agissant du polystyrène, son interdiction figure dans la directive européenne sur le plastique à usage unique. De grandes quantités de polystyrène expansé sont utilisées en consommation nomade et ne sont pas recyclées.

Mme Michèle Vullien. - C'est pourtant un matériau recyclable !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Nous sommes tenus par la directive européenne.

Enfin, un groupe de travail du Conseil national de l'alimentation va spécifiquement travailler sur la question de l'impact sanitaire que vous avez souligné.

M. Éric Gold. - Les collectivités territoriales ont exprimé leur inquiétude sur le projet de création de consigne pour les bouteilles en plastique. Le plastique a une valeur marchande de 350 euros la tonne lorsqu'il est vendu aux industriels. Cela peut attirer des convoitises, notamment de la part de la grande distribution, qui pourrait en tirer un argument commercial supplémentaire pour attirer sa clientèle. Je crains que cela ne pénalise le commerce de centre-ville. Vous avez indiqué ne pas vouloir subir des orientations de la grande distribution. C'est aussi le souhait des collectivités territoriales, qui ont investi depuis longtemps dans la collecte des déchets plastiques.

Je souhaiterais que vous puissiez rassurer les collectivités territoriales sur ce projet. Ne serait-il pas envisageable de s'appuyer principalement sur leur savoir-faire pour développer le système de consigne sur l'ensemble du territoire national ?

M. Hervé Maurey, président. - Je crois d'ailleurs que dans votre feuille de route initiale, il était proposé que la consigne se développe sur la base du volontariat des collectivités locales. Sur ce point, la position du Gouvernement a un peu évolué.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Monsieur le président, nous avons parlé à un moment de consignes solidaires et nous avons lancé un appel à manifestation d'intérêt avec Citeo et l'Ademe. Nous nous appuierons sur les collectivités volontaires.

Monsieur le sénateur, nous avons utilisé les mêmes mots, et je partage votre souhait. Voilà pourquoi nous voulons inscrire le mot « consigne » dans la loi. C'est aussi pour cette raison que l'État n'est pas arrivé avec un projet de consigne clé en main. Les collectivités ont fait un travail remarquable pendant des années. Nombre d'entre elles, même si toutes n'ont pas été vertueuses, ont beaucoup investi en matière de gestion des déchets : elles doivent se retrouver au centre des discussions, et c'est au tour d'elles que la consigne doit être organisée. J'ai grandi en zone rurale et j'y ai été élue. Je ne souhaite pas que nous nous retrouvions avec des machines à consigne sur les parkings des grandes surfaces. C'est le contraire même de cette économie du XXIe siècle que j'appelle de mes voeux.

Pour ce faire, les collectivités doivent s'asseoir avec nous autour de la table, faute de quoi elles regarderont passivement les choses se faire et les industriels abîmer le système qu'elles ont construit pendant des années. Nous devons donc collectivement passer au niveau supérieur. Cela signifie, comme je l'ai souligné en introduction, que les centres de tri doivent être ceux des collectivités. Soit nous subissons, soit nous prenons l'offensive. Je suis évidemment prête à inscrire dans la loi toutes les garanties nécessaires pour encadrer le système de consigne. Celui qui est présenté dans le texte n'est ni exhaustif ni suffisant. Mais il était important de prévoir une accroche sur la consigne pour que les sénateurs, représentants des collectivités locales, puissent la compléter afin de ne pas détruire le travail réalisé depuis des décennies par les élus de terrain. Ce projet de loi est destiné à ceux qui sont dans l'action.

M. Hervé Maurey, président. - Nous souhaitons collectivement une définition législative du champ d'application de cette consigne. Si vous étiez arrivée avec un projet entièrement ficelé, votre texte aurait été soumis au débat législatif. Ce qui me gêne, c'est que le dispositif renvoie au décret qui, par définition, échappe au Parlement. Pour nous, législateur, ce n'est pas acceptable. Nous souhaitons que les débats législatifs permettent de définir un périmètre de consigne déterminé par la voie parlementaire.

M. Guillaume Gontard. - Je salue un projet de loi important et attendu. L'impact des déchets plastiques sur l'environnement est fort. Or les chiffres ne baissent pas et sont toujours en augmentation.

Je regrette le manque d'ambition de ce texte en matière de réduction des déchets. Nous déposerons des amendements sur la réduction des emballages, le gaspillage, la durée de vie des systèmes informatiques. Ce que vous appelez la consigne n'est à mes yeux qu'une autre forme de collecte. Y aura-t-il ou non réutilisation ? Comme l'a souligné Éric Gold, les collectivités sont très inquiètes pour l'équilibre de leurs finances. Quid de la gestion des fonds collectés ? Sera-t-elle confiée à la grande distribution ? Avec 7 milliards de bouteilles vendues par an, la consigne représentera beaucoup d'argent. Comment sera géré ce fonds ? Entre 10 % et 15 % de personnes ne ramèneront pas leurs bouteilles à la consigne. A-t-on prévu de reverser quelque chose aux collectivités ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Le réemploi est l'objectif numéro un de la loi. Le recyclage n'est pas une fin en soi. Je me réjouis de constater que l'interdiction de l'élimination des produits invendus est maintenant devenue une évidence. Il y a aussi la création de nouvelles filières REP sur les jouets, sur les articles de bricolage, sur les articles de sport, sur les deux roues. Rendez-vous compte : près de 1 million de vélos sont mis à la benne chaque année ! Ce ne sera bientôt plus possible grâce à ce texte. C'est pourquoi les filières REP auront aussi pour responsabilité de soutenir l'économie sociale et solidaire. Ainsi, émergeront sur les territoires des ressourceries et des recycleries. Il y aura également des objectifs d'éco-conception et un article sur la lutte contre l'obsolescence programmée.

Ce texte met aussi l'accent sur la réparabilité. Je pense, notamment, à l'obligation de fournir des informations sur la disponibilité des pièces détachées ou non issues de l'économie circulaire. La consigne doit ouvrir la porte au réemploi. La réutilisation est donc bien au coeur de ce projet. À défaut, ce serait parfaitement incohérent. Je suis même prête à aller encore plus loin sur le réemploi.

Il est fondamental que les débats parlementaires nous permettent collectivement de prévoir des garde-fous au sujet de la consigne. Aujourd'hui, aucun scénario n'est abouti. C'est tous ensemble qu'il nous faudra le construire. Il est important que le Sénat soit moteur sur ces questions, puisqu'il est le représentant des collectivités locales.

Citeo finance 80 % des coûts nets, après la revente de la matière, du système de collecte et de tri sélectif des collectivités. Ce n'est certes pas parfait, mais financer un dispositif complémentaire reviendrait plus cher à Citeo. Le budget de Citeo est d'environ 650 millions d'euros par an. Cela ne bougera pas : nous pouvons l'inscrire noir sur blanc !

Il est également important de relativiser le gain que constitue la vente de matière PET. En 2018, selon l'Ademe, 194 000 tonnes de PET ont été triées. Sachant que le prix moyen d'une tonne de PET trié avoisine à peu près 158 euros, cela correspond chaque année à 30,6 millions d'euros. D'après les projections, ce montant s'élèvera à 60 millions d'euros en 2022. Ce chiffre doit être mis au regard du soutien de Citeo, qui assume 80 % des coûts nets, et surtout des plus de 10 milliards d'euros qui sont prélevés par le système de gestion des déchets en France ! Sans parler des économies parfois réalisées par les collectivités en termes de logistique, de gestion des déchets, etc.

M. Alain Fouché. - En ce qui concerne le gaspillage alimentaire, comment fonctionne le dispositif prévu pour les grandes surfaces ? Qu'avez-vous prévu pour assurer le contrôle de la qualité des produits ? Disposez-vous de suffisamment d'équipes ? Quel pourcentage d'économies cela représente-t-il pour les ménages ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Les pertes et gaspillages alimentaires s'élèvent à 10 millions de tonnes par an. La lutte contre le gaspillage alimentaire est une priorité inscrite dans nos politiques. La loi Égalim est allée encore plus loin en obligeant l'ensemble de la restauration collective à mettre en place des actions de lutte contre le gaspillage. Elle oblige aussi la grande distribution et certains opérateurs de l'agroalimentaire et de la restauration collective à signer une convention de don avec des associations d'aide alimentaire. Premièrement, les dispositions sur le don alimentaire, associées aux mesures de réduction d'impôts, ont permis d'accroître les dons aux associations. Deuxièmement, le commerce et la distribution représentent plus de 40 % de la dépense fiscale, soit 930 millions d'euros. Une vigilance particulière sera portée à l'organisation et à l'amélioration de la qualité du don.

Mme Nicole Bonnefoy. - Je vous ai interrogée à plusieurs reprises sur la réutilisation du matériel de santé d'occasion stocké dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Ce serait une source importante de matériel pour les personnes qui ne disposent pas des moyens suffisants pour s'équiper. Ce serait également une source d'économies pour la sécurité sociale. Vous avez à plusieurs reprises approuvé cette idée, mais je ne vois rien dans le texte contre ce type de gaspillage. Je déposerai bien évidemment des amendements en ce sens. J'espère qu'ils seront acceptés !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Madame la sénatrice, j'ai toujours dit combien il était important de laisser les parlementaires défendre certains amendements. J'ai évoqué la question que vous soulevez avec la ministre de la santé. J'ai préféré laisser le champ libre aux parlementaires pour qu'ils inscrivent cette belle et importante mesure dans le texte.

M. Guillaume Chevrollier. - Notre modèle économique repose effectivement sur le triptyque : acheter, consommer, jeter. Ce n'est plus soutenable. Il importe donc de travailler au recyclage et au développement d'une économie circulaire. Les filières REP ont été mises en place. Vous n'avez pas évoqué dans votre propos liminaire l'économie sociale et solidaire. Comment l'encourager davantage ? Vous envisagez de créer de nouvelles filières REP. Dans le cadre de la feuille de route pour l'économie circulaire et du rapport Vernier, un rééquilibrage du fonctionnement des filières REP était envisagé. Or rien de tel n'est prévu ici.

Quelle action de l'État prévoyez-vous pour lutter contre les metteurs en marché qui ne déclarent pas et qui ne paient pas leur éco-contribution, notamment quand ceux-ci sont localisés hors de France ?

Enfin, vous avez annoncé la création d'un Observatoire national des déchets pour suivre l'application de votre loi. Quel lien y aura-t-il entre cet observatoire et les nombreuses organisations qui existent déjà dans ce domaine. Je pense au Conseil national des déchets, à la Commission d'harmonisation et de médiation des filières, à la Commission consultative d'agrément ou au Comité opérationnel de filière ? Une fusion est-elle envisagée à terme ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - L'un des objectifs de ce projet de loi est de développer l'économie sociale et solidaire. Ce secteur représente déjà 10 % de notre économie. Nous voulons aller plus loin, car il s'agit d'emplois locaux et non délocalisables. C'est pourquoi les filières REP comprendront un objectif spécifique sur l'emploi d'insertion. Nous voulons également encourager la réparation.

Un des objectifs majeurs de cette loi est de transformer la gouvernance des filières REP. Nous savons tous que certaines collectivités sont peu satisfaites - c'est un euphémisme ! - des relations qu'elles entretiennent avec les éco-organismes. Nous appelons donc à davantage de transparence sur les données relatives aux déchets. Nous créerons également un Conseil national de l'économie circulaire, afin de rationaliser les différentes commissions s'occupant des déchets. Elles seront toutes fusionnées pour remettre l'intérêt général au coeur des discussions.

M. Jean-François Longeot. - Les maires ruraux éprouvent un sentiment d'impuissance face aux dépôts sauvages - vous avez rendu hommage à l'un d'entre eux tué cet été - et à l'impossibilité de sanctionner les auteurs de ces infractions.

Ces dépôts peuvent être sanctionnés sur le plan pénal après un premier constat prenant la forme d'un procès-verbal adressé au procureur de la République, lequel décidera d'engager ou non des poursuites. Or, dans les faits, le procureur classe souvent sans suite la grande majorité des procès-verbaux. Il existe bien une autre possibilité de sanctionner de telles infractions sur le plan administratif, mais la procédure est complexe et décourage nombre de maires, ce qui rend la sanction administrative caduque et renforce le sentiment d'impuissance des élus face à une procédure kafkaïenne. Que proposez-vous pour simplifier drastiquement cette procédure ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Il s'agit effectivement d'une vraie priorité. Nous avons réduit le délai de mise en demeure pour l'application des sanctions administratives, qui est passé d'un mois à dix jours. Par ailleurs, il sera possible d'utiliser la vidéoprotection. De plus, le projet de loi vise à renforcer les pouvoirs de police des agents territoriaux. Il sera également possible de transférer la compétence de la police déchets du maire à l'EPCI en charge de la collecte pour mutualiser les moyens et les compétences. Enfin, la commune aura accès au système d'immatriculation des véhicules pour faciliter les enquêtes en vue de sanctionner les auteurs de dépôts illégaux.

Par ailleurs, nous demandons à la filière du bâtiment de s'organiser pour accepter la reprise gratuite des déchets préalablement triés et densifier le maillage territorial des déchetteries.

M. Alain Chatillon. - J'évoquerai les entreprises du plastique, notamment celles qui font les couverts pour les aérodromes. On a voté une interdiction en France au 1er janvier 2020, alors qu'elle s'appliquera en Europe au 1er janvier 2021. Nous avions introduit un amendement à l'article 7 de la loi Pacte, article qui a été censuré comme « cavalier » par le Conseil constitutionnel. Depuis lors, rien n'a été fait. Or les 32 entreprises du secteur, qui emploient 3 200 salariés, se trouvent en grosse difficulté, notamment parce que les marchés sont pris par les Allemands. Que fait le Gouvernement ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Vous l'avez dit, il y a dans la loi Pacte un cavalier...

M. Alain Chatillon. - Oui, c'est nous qui l'y avons mis !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Un décret est en cours d'élaboration, comme vous le savez...

M. Alain Chatillon. - C'est un peu tard !

M. Joël Bigot. - Nous ne pouvons que partager vos objectifs, qu'il s'agisse de l'information du consommateur, de la réparabilité des produits ou de l'interdiction de détruire les invendus alimentaires.

Ce que vous appelez la consigne est une confusion sémantique, car la consigne induit pour moi le réemploi. Pour l'instant, les communes captent plus de 57 % des PET. Les collectivités locales, que l'on avait invitées à se moderniser, vont se retrouver avec des équipements surdimensionnés et devront faire face à des pertes de recettes pouvant aller jusqu'à 15 %. Comment compenserez-vous un tel préjudice ?

Par ailleurs, cette mesure environnementale induira une augmentation des prix, avec pour corollaire une certaine exigence environnementale. Si ces deux exigences ne sont pas conjuguées, comment expliquer à nos concitoyens qu'ils ne paieront pas moins cher avec la consigne ? Cela ne risque-t-il pas de relâcher le geste de tri ? De plus, à deux jours du dépôt des amendements, nous n'avons toujours pas le rapport Vernier. Où en est-il ?

Enfin comment sera mise en place la REP bâtiments et travaux publics ? Comment assurer la gratuité de la collecte des déchets ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - À l'heure actuelle, 26 % des bouteilles en plastique sont recyclées, et non 57 % ! Il est fort à parier que nous aurons du mal à atteindre les 70 % en 2022, surtout sans la dynamique d'extension des consignes de tri. Le prix des bouteilles en plastique n'augmentera pas, puisque la bouteille sera remboursée lors de sa restitution. On peut même réfléchir à un système de remboursement pour ne débiter le prix de la bouteille qu'au bout d'un certain temps, si celle-ci n'est pas rapportée. Citeo finance 80 % des coûts nets du système de collecte et de tri des collectivités. Il continuera à le faire quoi qu'il arrive, ce que nous pouvons inscrire dans la loi.

Par ailleurs, il convient de relativiser la part de PET trié, qui avoisine les 158 euros par tonne, soit environ 30,6 millions d'euros par an. Ce chiffre est à mettre au regard des plus de 10 milliards d'euros prélevés par les collectivités chaque année pour gérer les déchets. Les centres de tri doivent impérativement être ceux des collectivités. Il ne s'agit en aucun cas d'en créer de nouveaux ex nihilo. Toutes les études le montrent, la consigne a un impact positif sur le geste de tri en général. Les Français veulent faire plus pour l'environnement, mais il faut leur en donner les moyens. Aujourd'hui, le système en France est particulièrement complexe. Nos concitoyens s'en plaignent.

Le rapport Vernier est, à ce stade, une étude d'impact. C'est un prérapport, et il sera diffusé aussitôt que possible. Quant au BTP, il existe une étude de préfiguration de l'Ademe. Il faut bien que quelqu'un paye, mais pas le contribuable, d'où l'idée de créer cette filière REP pour organiser le système de financement et le maillage des déchetteries.

Le nettoyage des dépôts sauvages coûte entre 350 et 420 millions d'euros par an. Ce chiffre est à mettre au regard de ce que rapporte par exemple le PET, soit 30 millions d'euros, voire 60 millions d'euros par an si l'on projette jusqu'en 2022. Notre ambition est de proposer des solutions concrètes aux artisans, notamment la reprise gratuite des déchets préalablement triés. L'Ademe, en étroite collaboration avec l'ensemble des 14 organisations qui représentent la filière du bâtiment, travaille à une étude de préfiguration.

M. Benoît Huré. - C'est un sujet sociétal. Il s'agit de modifier des comportements. Il importe de trouver le bon tempo. Il faudra faire preuve de pédagogie, d'incitation, de coercition, mais il faudra surtout éviter la précipitation !

La concertation est essentielle, et les débats parlementaires vont être importants. Ne tombons pas dans le piège de la surtransposition. La France doit certes être exemplaire et jouer un rôle d'aiguillon, mais il convient de trouver la bonne mesure. Les surtranspositions peuvent plomber notre économie et désespérer nos concitoyens de l'Europe. Pas de surtransposition et pas d'accélération des calendriers européens : tel est notre objectif !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Vous avez raison, les Français estiment qu'il y a trop de normes dans notre pays. Certaines sont dues à la surtransposition. Le Gouvernement sera attentif à ne pas surtransposer, raison pour laquelle nous entendons passer par la voie d'ordonnances. Cela n'a pas été du goût de tous les parlementaires !

M. Hervé Maurey, président. - Madame la secrétaire d'État, quantité d'exemples montrent qu'il n'y a aucune corrélation entre ordonnances et absence de surtransposition...

M. Ronan Dantec. - Nous soutenons vos objectifs, mais, comme l'a souligné Didier Mandelli, ce texte porte davantage sur l'amont que sur l'aval. Vous voulez placer le réemploi au coeur du dispositif. Nous déposerons donc un certain nombre d'amendements en ce sens. La filière bâtiment est un bon exemple de la difficulté à appréhender ce texte. Vous dites : il y a tri, donc c'est gratuit en déchetterie. Mais avant de légiférer, connaîtrons-nous les prévisions de l'Ademe ?

Vous prévoyez un diagnostic en amont. Au-delà de la question du coût pour les collectivités, qui exercera le contrôle ? La gratuité incitera-t-elle véritablement les industriels à trier ? Ce texte est pavé de bonnes intentions, mais j'ai le sentiment qu'il recèle quelques contradictions. La gratuité n'incitera-t-elle pas, une fois que l'on aura fait le tri, à ne surtout pas aller vers la revalorisation, puisqu'il n'y aura pas de gain ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Je suis ravie de vous entendre dire que ce projet de loi contient bien autre chose que la consigne. Oui, la question des déchets est centrale, et vous comprendrez que je ne puisse vous répondre au doigt mouillé ! Il a fallu des mois de concertation pour arriver à réunir les quatorze représentants de la filière du bâtiment autour de la table, parlant d'une même voix. La chose est extrêmement rare, voire inédite. Nous sommes tous tombés d'accord sur le fait qu'il faut mettre en place un système de filière REP, mettant en commun les ressources pour mieux gérer les déchets. En somme, le sujet clé de nos politiques publiques est la redevabilité : on doit rendre des comptes.

Ces questions, je les ai posées aux représentants de ces entreprises, représentants qui se prononcent très fortement en faveur d'une interprofessionnelle. Une solution qui ne me pose pas de problème a priori, car, pour moi, les filières REP doivent avoir des objectifs de résultats plutôt que de moyens. Il faut simplement, et tel est l'objet de l'étude de préfiguration, que nous nous assurions qu'une interprofessionnelle permet le même niveau de redevabilité qu'un système d'éco-organisme. Ensuite, il s'agit de rédiger soit l'agrément, soit les termes de référence, ce qui ne relève pas du domaine législatif.

La question du contrôle me tient énormément à coeur, comme à tous les sénateurs. Le Gouvernement prévoit une instance spécifique à l'Ademe, avec des moyens humains dédiés et un financement assis sur les éco-organismes qui se montera sans doute à 0,5 % des éco-contributions. Nous voulons renforcer les sanctions et réformer le mode de gouvernance des éco-organismes pour qu'ils s'occupent beaucoup plus de l'amont, qui doit faire partie intégrante de la démarche.

La question de la prévention, du réemploi, de la réutilisation, de la réparation, tout cela est au coeur du projet de loi.

M. Olivier Jacquin. - J'apprécie moi aussi ce texte de loi, qui comporte beaucoup d'aspects positifs. Et je salue vos propos déterminés sur la suppression du point vert, ce dispositif trompeur et obsolète.

L'agriculteur que je suis se réjouit des mesures envisagées sur le gaspillage alimentaire.

Ma première question porte sur l'obsolescence programmée, élément important de la lutte contre le gaspillage, qui était très présente dans le texte de 2015. Vous avez dit, dans une envolée presque lyrique, vouloir vous battre contre la surproduction, la surconsommation, le gaspillage, tout en restant imprécise sur ce qui relève d'un risque de baisse de production des entreprises. Que vous ont dit les consommateurs, que vous avez sûrement interrogés, sur le fait de savoir s'ils veulent des produits qui durent plus longtemps ?

En réponse à une question écrite de mon député, Dominique Potier, vous avez clairement indiqué que la lutte contre l'obsolescence programmée questionnait certains modèles d'affaires, ce qui m'interroge beaucoup par rapport à votre détermination. Vous faites le choix très positif, dans le titre Ier, de l'information du consommateur, de la réparation, de la réparabilité des produits, sans aller plus loin, alors qu'il y a des choses à faire en termes d'écoconception et d'information des consommateurs sur la durée de vie...

Ma seconde question sera très courte. Je ne supporte pas les gens qui jettent des déchets dans la nature. Les bords de route sont dans un état absolument inadmissible. Avez-vous des pistes pour lutter contre ce rapport délirant à la nature ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Je partage cette intolérance à l'égard de ce geste qui en dit beaucoup de notre rapport à la nature. C'est l'une des raisons pour lesquelles je me suis intéressée aux mégots de cigarettes. Parce qu'un mégot de cigarette, c'est 500 litres d'eau pollués et 4 000 substances toxiques, j'ai souhaité que les industriels du tabac s'organisent en filière pollueur-payeur, en filière REP, pour qu'ils contribuent aussi à la prévention de ces gestes dont les conséquences peuvent être absolument dramatiques. Venant du sud de la France, je suis très sensibilisée aux incendies de forêt.

Sur l'obsolescence programmée, il serait incohérent de ne pas en parler dans la loi, qui y consacre tout un article. Pour vous répondre très précisément, les catégories d'équipements électriques et électroniques envisagées sont celles qui correspondent aux cinq sous-groupes de travail multi-parties mis en place par le ministère de la transition écologique et l'Ademe, lesquels travaillent déjà à l'élaboration d'un indice de durabilité des produits. L'objectif est d'avoir une note qui va de 1 à 10. Elle résultera de cinq critères pondérés de façon égale, soit 20 % chacun : la disponibilité de la documentation technique, l'accessibilité et la démontabilité des pièces, la disponibilité des pièces détachées, le rapport entre la pièce détachée essentielle la plus chère et le prix du produit neuf et un critère spécifique à la catégorie de produit.

En parallèle de nos travaux sur la réparabilité, nous étudions la mise en place d'un compteur d'usage.

À la suite de l'interdiction de l'obsolescence programmée, deux affaires sont en cours : une pour Apple et une pour Epson. L'augmentation de la durée de vie des produits fait aussi partie de l'éco-modulation des contributions. Cette lutte contre l'obsolescence programmée est une brique très importante du projet de loi, mais chacun voit midi à sa porte. Certains auraient voulu des REP sur tous les produits...

Mme Françoise Cartron. - Cette loi, très attendue, dans la période que nous vivons, peut être porteuse d'une vraie ambition de changement pour notre société.

Je reviendrai sur deux points. D'abord, en ce qui concerne la lutte contre le gaspillage et la surconsommation, si le premier chapitre parle de l'information du consommateur, il ne propose rien pour réguler les publicités qui envahissent nos boîtes aux lettres et sont porteuses d'un message contraire aux valeurs de cette loi.

Ensuite, vous vantez le cercle vertueux « recyclage, réemploi », auquel j'adhère, sans aborder la traçabilité du réemploi de certains matériaux ou matières. Je pense au recyclage des pneus, dont certains éléments sont utilisés dans les surfaces de jeux pour enfants et sans que nous n'ayons aucune information sur leur provenance. J'ai demandé, il y a un an, une étude de l'Anses sur le sujet, que j'attends toujours. Le problème par rapport à l'environnement est avéré par la traçabilité établie de ces résidus dans les rivières ou dans les sols.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Sur cette question de la publicité, qui est très importante et vous tient à coeur, nous avons lancé, Élisabeth Borne et moi-même, une mission. Je sais aussi, madame la sénatrice, que vous ferez preuve d'initiative en matière d'amendements !

En ce qui concerne les pneus, nous travaillons de façon étroite avec l'éco-organisme. L'engagement à nettoyer et collecter a été pris. Ils sont en train de s'organiser, pour aller récupérer les pneus souvent utilisés pour l'ensilage partout sur le territoire.

Vous le savez, nous avons relancé une étude sur les résidus de pneumatiques. Une restriction REACH est en cours.

M. Jérôme Bignon. - Je vous remercie de vos explications patientes, concrètes et précises. Nous avons certainement encore beaucoup à nous dire, mais nous le ferons à l'occasion des débats en séance. Un point me préoccupe quelque peu, mais peut-être n'ai-je pas bien compris : il s'agit de la question des emplois, en lien avec la réponse que vous avez apportée à mon collègue Guillaume Chevrollier.

Dans l'exposé des motifs, vous évoquez la création d'emplois « tant en termes de nouveaux métiers qu'en termes de nouveaux modèles économiques reposant, par exemple, sur l'économie de la fonctionnalité ou encore la réparation. Il s'agit pour l'essentiel d'emplois locaux, pérennes et non délocalisables. » Nous en prenons bonne note, car c'est ce type d'emplois que nous recherchons dans nos territoires. Quelques lignes plus loin, il est écrit qu'« en développant le réemploi et la réparation, cette loi offrira par ailleurs de nouvelles opportunités à l'économie sociale et solidaire ». Les emplois pérennes et l'économie sociale et solidaire, est-ce exactement la même chose dans votre esprit ? Sinon, pourquoi mentionner deux catégories d'emploi différentes ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - L'un des objectifs de ce projet de loi est de faire émerger sur les territoires des emplois non délocalisables, qui aient du sens et qui soient accessibles à plusieurs niveaux de qualification. L'économie sociale et solidaire (ESS), les emplois d'insertion, font partie de ce potentiel de 300 000 emplois dans le secteur de l'économie circulaire.

Nous soutiendrons les emplois de l'ESS avec des objectifs chiffrés. Ces entreprises font partie intégrante des filières REP. C'est aussi la raison pour laquelle nous créons une dizaine de nouvelles filières, en plus des quatorze existantes, afin de soutenir l'ESS sur les territoires.

De nouveaux métiers seront créés : je pense à celui de diagnostiqueur, en particulier dans le secteur du bâtiment, pour examiner comment déconstruire le bâtiment.

Ces emplois seront enthousiasmants et auront du sens. Je reçois de nombreuses entreprises, au-delà du secteur de l'ESS, qui veulent transformer peu à peu leur modèle économique pour tendre vers des modèles plus proches de celui de l'ESS, parce qu'ils veulent donner du sens à leur mission. C'est ce que recherchent les jeunes. Le projet de loi doit s'intégrer dans cette dynamique.

M. Hervé Maurey, président. - Merci, madame la secrétaire d'État, du temps que vous nous avez consacré et des réponses que vous avez apportées. Vous avez pu percevoir au cours de cette audition notre volonté d'améliorer encore le projet de loi du Gouvernement, de conforter son ambition, même si nous ne serons pas forcément en phase avec vous sur la manière d'y parvenir.

Je voudrais rappeler que la loi contre le gaspillage alimentaire est d'origine sénatoriale. Un amendement de notre ancienne collègue Chantal Jouanno, introduit dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, mais censuré par le Conseil constitutionnel, avait été repris dans une proposition de loi. Le Sénat sait être à l'avant-garde de la lutte contre le gaspillage et poursuivra cette tradition dès le 24 septembre prochain.

La réunion est close à 18 h 35.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 11 septembre 2019

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 11 heures 30.

Audition de Mme Virginie Schwarz, candidate proposée aux fonctions de présidente-directrice générale de Météo France, en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution

M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour procéder à l'audition de Mme Virginie Schwarz, directrice de l'énergie à la Direction générale de l'énergie et du climat et candidate proposée par le Président de la République pour occuper la fonction de présidente-directrice générale de Météo France, en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Comme vous le savez, cette nomination ne peut intervenir qu'après l'audition de la personne pressentie devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, auditions qui doivent être suivies d'un vote.

Cette audition est publique et ouverte à la presse. À son issue, nous procéderons à un vote, puis au dépouillement simultané de ce scrutin avec celui de l'Assemblée nationale. Je vous rappelle que, en application de l'article 13 de la Constitution, il ne pourrait être procédé à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Madame Schwarz, si vous me le permettez, je reviendrai brièvement sur votre parcours. C'est l'usage, et cela permettra à nos collègues de mieux comprendre l'intérêt de votre candidature.

Votre parcours professionnel s'est principalement effectué dans le domaine de l'énergie. Vous avez été, notamment, cheffe du service de l'électricité, puis sous-directrice du système électrique à la Direction générale de l'énergie et des matières premières. Vous avez passé une dizaine d'années à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, (Ademe). Vous avez eu aussi une expérience internationale, puisque vous avez été conseillère au sein du groupe Énergie et environnement du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Enfin, depuis septembre 2014, vous êtes directrice générale de l'énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire.

J'en viens aux questions que je souhaite vous poser.

Tout d'abord, qu'est-ce qui fait que vous êtes aujourd'hui pressentie pour ce poste ? Autrement dit, quel est le lien entre votre parcours et les fonctions auxquelles vous aspirez ?

Ensuite, nous aimerions que vous nous donniez votre vision de Météo France. Quelle mission doit remplir cette structure aujourd'hui, mais aussi demain, sachant que les défis du changement climatique vont renforcer son rôle ? Comment envisagez-vous son évolution ? En effet, on observe à la fois que la prévision est de plus en plus nécessaire, notamment à cause des phénomènes climatiques que je viens d'évoquer, et, malheureusement, que des contraintes budgétaires préoccupantes pèsent sur cet établissement, comme l'avait d'ailleurs souligné devant nous votre prédécesseur. Dans le cadre de la démarche Action publique 2022 et du projet d'établissement, une forte réduction du nombre de postes est prévue : quelque 475 suppressions d'emplois auront lieu dans les cinq années qui viennent, ce qui représente une baisse des effectifs de 15 %.

Enfin, je souhaite vous interpeller sur la question de l'amélioration des systèmes d'alerte, sur laquelle nous avons déjà eu l'occasion de travailler au sein de notre commission. En effet, nous avons pu observer à plusieurs reprises que ces alertes n'étaient pas toujours suffisamment précises. Ce fut le cas notamment lors des inondations qui se sont produites dans le sud-est de la France en 2011, causant, je le rappelle, la mort de vingt personnes et plus de 650 millions d'euros de dégâts. Les élus interrogés par la mission d'information du Sénat, que présidait Louis Nègre et qui s'était rendue sur place, ont alors souligné qu'ils avaient reçu de nombreuses alertes météorologiques, mais que celles-ci n'avaient pas toujours la précision nécessaire pour estimer la dangerosité réelle des événements en cours.

Voilà quelques points sur lesquels nous souhaiterions vous entendre. Je vous laisse la parole, Madame, puis mes collègues, à leur tour, vous poseront un certain nombre de questions.

Mme Virginie Schwarz, candidate proposée par le Président de la République à la fonction de présidente-directrice générale de Météo France. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse d'être parmi vous aujourd'hui pour vous présenter la vision que j'ai, à ce stade, de Météo France, et pour répondre à vos questions.

Je voudrais tout d'abord vous dire quelques mots sur mon parcours et sur les raisons pour lesquelles il m'a préparée à cette fonction. J'ai commencé ma carrière en tant qu'ingénieure des mines au ministère de l'industrie, au sein d'une direction régionale, dans le domaine du développement économique et de l'aide aux PME. Je me suis ensuite tournée vers l'énergie, comme sous-directrice chargée de ce secteur au ministère de l'industrie.

Pendant une dizaine d'années, j'ai occupé différents postes de direction au sein de l'Ademe. J'y ai créé une direction chargée de l'expertise, qui avait pour mission d'apporter un conseil aux pouvoirs publics et de développer des outils de mise en oeuvre des politiques, d'abord dans les secteurs de l'énergie, du climat, de l'air et du bruit, puis dans l'ensemble des domaines techniques de l'agence, y compris les déchets, les sols et la consommation. Dans ce cadre, j'ai notamment participé à l'élaboration du plan Climat de 2004, le premier d'une longue série pour moi, ainsi que du premier plan national d'adaptation au changement climatique, en 2011.

Au milieu de cette période passée à l'Ademe, j'ai quitté pendant quelques années la France pour rejoindre le PNUD et y travailler sur le changement climatique. J'ai notamment contribué à monter un programme d'appui aux régions des pays en développement, afin de les aider à définir leurs stratégies d'atténuation et d'adaptation au changement climatique, ce que, en France, l'on qualifierait de plan « énergie-air-climat ».

À la fin de mes années passées à l'Ademe, j'étais directrice générale déléguée aux côtés des présidents successifs : François Loos, puis Bruno Léchevin. Au-delà des responsabilités de management que j'ai exercées tout au long de ma carrière, j'ai acquis l'expérience de gestion d'un établissement public présentant de nombreuses similarités avec Météo France : porteur d'enjeux majeurs pour la société, avec un niveau d'expertise élevé, et associant des activités de recherche et des missions opérationnelles, le tout dans un contexte de réorganisation et même de réduction d'effectifs.

Enfin, depuis cinq ans, je suis chargée, en tant que directrice de l'énergie au ministère de la transition écologique et solidaire, de l'élaboration et de la mise en oeuvre des politiques de l'État concernant la production, le transport, la distribution et la vente de l'ensemble des formes d'énergies. Cela va du soutien aux énergies renouvelables à la tutelle des entreprises publiques du secteur, en passant par la sécurité d'approvisionnement. En particulier, je me suis fortement engagée dans l'élaboration de la nouvelle stratégie française pour l'énergie et le climat, au travers de la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Grâce à tous ces postes, je dispose d'une bonne connaissance de la sphère publique, au sens large, et d'une pratique du dialogue avec les territoires et les élus. J'ai également une bonne expérience des processus européens et internationaux, qu'il s'agisse des négociations européennes, notamment le dernier paquet « climat-énergie », à l'élaboration duquel j'ai participé, des processus onusiens, au travers de mon passage au PNUD, des organisations internationales, via l'Agence internationale de l'énergie, dont je suis aujourd'hui vice-présidente, ou des multiples coopérations bilatérales dont je me suis occupée dans quasiment tous mes postes.

Si votre commission et celle de l'Assemblée nationale ne s'opposent pas à ma nomination, je serai heureuse de mettre ces expériences au service de Météo France.

Tout d'abord, parce que je suis convaincue que Météo France porte des enjeux majeurs pour la société française, et pas seulement pour elle, par son rôle en matière de sécurité publique et de vigilance et par l'appui quotidien que l'établissement offre à la sécurité civile, à nos forces armées, à l'aviation civile ou aux services sanitaires et environnementaux. Sa capacité à anticiper, à prévenir et à mobiliser lors de l'arrivée de phénomènes dangereux est un atout majeur pour notre pays.

Plus largement, les données et les services de l'établissement sont essentiels pour de nombreux secteurs d'activité météo-sensibles, à commencer par l'énergie, que je connais bien, mais aussi bien sûr l'agriculture, l'aviation ou encore le tourisme. Enfin, chacun de nous sait la place que l'information météorologique peut jouer dans la vie quotidienne.

Météo France joue également un rôle majeur dans le domaine du climat, contribuant à développer la connaissance et la compréhension des phénomènes au niveau mondial, à informer et à sensibiliser pour mieux prévenir les risques et à mettre en place les politiques d'adaptation désormais nécessaires. Par exemple, j'ai pu mesurer à quel point la production par Météo France de scénarios et de simulations régionalisées en France, en fonction des travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), était importante pour la construction des politiques d'adaptation sur le terrain.

Météo France est aussi un établissement internationalement reconnu pour l'excellence de ses travaux scientifiques et techniques. Ses chercheurs sont à l'origine des modèles de prévision numérique du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT), qui est situé au Royaume-Uni, modèles qu'ils continuent d'enrichir et d'améliorer. Ils sont aussi pleinement reconnus dans le domaine climatique, notamment via leur contribution au sein du GIEC. Si vous émettez un avis favorable à ma nomination, ma première priorité sera donc de maintenir et de renforcer la qualité du service rendu aux pouvoirs publics et aux Français par Météo France, ainsi que les actions de recherche et d'observation qui le sous-tendent, notamment en matière de connaissance et d'anticipation des phénomènes extrêmes et de leurs impacts, dans un contexte de changement climatique.

Monsieur le président, pour répondre plus particulièrement à votre question sur l'amélioration de la vigilance, c'est-à-dire sur notre capacité à détecter des événements extrêmes, je dirai que cette dernière repose sur plusieurs éléments : le perfectionnement des modèles au travers de la recherche, l'amélioration des sources de données et les nouveaux moyens de calcul, en particulier le supercalculateur dont Météo France va se doter. Pour que la chaîne de gestion de la vigilance fonctionne, il est également important qu'il y ait une bonne coordination entre Météo France, qui produit les éléments de vigilance et qui prévient, et les autorités publiques, qui, elles, mettent en place les moyens nécessaires pour réagir, le cas échéant, à ces situations.

S'agissant de l'amélioration de la chaîne de vigilance, des travaux sont actuellement en cours, en liaison avec les différents ministères concernés. Météo France y participe bien évidemment, et je veillerai à ce que cela se poursuive à l'avenir. Dans ce domaine, l'établissement peut renforcer la communication sur les vigilances, par exemple en assurant une diffusion plus automatique de ces informations. Typiquement, la nouvelle application mobile de Météo France pourrait permettre à chacun de s'inscrire pour recevoir des SMS en cas d'alerte.

Plus généralement, l'établissement peut contribuer à la prise de conscience du changement climatique et de ses effets, en capitalisant sur la base importante de données dont il dispose. Enfin, l'objectif doit être de continuer à élargir les horizons de temps sur lesquels porte l'analyse, donc d'aller progressivement vers davantage d'anticipation dans les prévisions.

Dans ce domaine, je n'oublie pas les enjeux posés par nos départements d'outre-mer et nos territoires ultramarins, qui sont marqués par des risques spécifiques en matière de météorologie et de climat et où Météo France joue un rôle particulier, pour le compte de la communauté internationale, en ce qui concerne un certain nombre de sujets, comme la veille cyclonique dans l'océan Indien.

Pour l'ensemble de ces raisons, je me réjouis qu'un financement ait pu être sécurisé afin de créer un nouveau supercalculateur, qui permettra de multiplier par cinq la puissance de calcul utile aux prévisions. Météo France pourra ainsi améliorer la capacité d'anticipation de la vigilance à des échelles infra-départementales, donc mieux informer les populations. Les épisodes de grêle au début de l'été dernier nous ont rappelé l'importance de cet enjeu. Cette puissance de calcul supplémentaire permettra également d'affiner les analyses et les prévisions climatiques. Le contrat de moyens signé entre l'établissement, le ministère de la transition écologique et solidaire et le ministère de l'action et des comptes publics permet de garantir le financement nécessaire au moins jusqu'en 2022 et apporte par ailleurs des allégements de gestion qui sont tout à fait bienvenus.

Ce supercalculateur est un investissement public majeur, et le futur P-DG de Météo France devra porter une vigilance toute particulière sur ce projet, dont le bon aboutissement constituera un enjeu phare pour l'établissement au cours des prochaines années.

Les enjeux de développement du numérique vont cependant au-delà. Les techniques du big data et de l'intelligence artificielle vont révolutionner la manière d'observer et de prévoir le temps et, plus généralement, démultiplier les services d'information environnementale, dont la météorologie fait partie. La masse de données météorologiques, issues d'observations ou de prévisions numériques, est déjà considérable. Ce sont ainsi près de 30 millions d'observations qui alimentent chaque jour les modèles de prévision de Météo France. À cela s'ajoute la possibilité de récolter de nouvelles données d'origines diverses et totalement originales, par exemple, demain, via les essuie-glaces de nos voitures. Météo France devrait être à la pointe de l'utilisation de ces nouveaux outils, notamment pour améliorer les dispositifs d'avertissement en cas de vigilance.

En complément de la mobilisation des compétences internes, les partenariats avec d'autres types d'acteurs publics ou privés, y compris dans le monde des start-ups, doivent permettre d'offrir de nouveaux services. Dans ce contexte, je suis convaincue que le développement de services marchands, dans le strict respect de la concurrence et là où Météo France peut apporter une valeur ajoutée, constitue une source de richesse pour l'entreprise, non seulement en termes financiers, mais aussi pour la stimulation que cette pratique apporte. La politique de l'open data va d'ailleurs imposer à l'établissement de se repositionner sur ces questions et de réinterroger en partie son modèle économique.

Néanmoins, tous ces moyens techniques et toutes ces innovations ne font de Météo France un acteur reconnu sur le plan mondial que parce que l'établissement peut s'appuyer sur la compétence et l'engagement de ses agents, auxquels je veux ici rendre hommage.

Les transformations que je viens d'évoquer induisent une évolution du rôle de l'expertise humaine qui peut être source d'opportunités et de revalorisation des tâches, mais qui nécessite un accompagnement approfondi pour les agents, dont le métier se transforme beaucoup, notamment dans les centres régionaux et départementaux.

Les évolutions des outils et des modes de travail, combinées aux nécessaires efforts de maîtrise des dépenses, ont conduit les pouvoirs publics à valider pour Météo France le contrat d'objectifs 2017-2021 et une feuille de route dans le cadre du programme de transformation Action Publique 2022, qui s'est ensuite traduite dans un projet d'entreprise. Ces éléments fixent des objectifs en matière de restructuration, de modernisation, d'amélioration de la qualité du service et de contribution à la baisse des dépenses publiques par une réforme en profondeur des méthodes de travail, de l'organisation et des implantations de l'établissement : réduction du nombre d'implantations en métropole, évolution des métiers, possibilité offerte à de nombreux agents de changer de qualification et déploiement à grande échelle des possibilités de travail à distance.

De nombreux agents de Météo France ont vu et continueront à voir leur métier et leur environnement de travail se transformer. Si ma nomination est confirmée, j'aurais une attention particulière, dans la mise en oeuvre de cette feuille de route, pour les territoires dans lesquels l'établissement est implanté et pour le dialogue avec les collectivités territoriales concernées, mais aussi, et surtout, pour l'accompagnement individuel et collectif des agents. Face à une telle transformation de l'établissement, il est encore plus indispensable d'entretenir un dialogue social de qualité avec les représentants du personnel.

Un autre sujet stratégique que j'aimerais approfondir - cela ne vous surprendra guère, compte tenu de mon parcours - est celui du changement climatique. Les vagues de chaleur intervenues fin juin et fin juillet derniers ont de nouveau montré quelles pourraient être les conséquences de ce dérèglement du climat.

Météo France doit rester une source de connaissances de référence pour les institutions scientifiques comme le GIEC, pour les pouvoirs publics et pour les territoires. Mais, j'en suis convaincue, l'établissement pourrait encore renforcer son action pour faire connaître les effets constatés et prévisibles des changements climatiques, au bénéfice d'une meilleure prise de conscience des enjeux par nos concitoyens.

Météo France devrait également constituer une référence en interne pour sa propre empreinte en matière de gaz à effet de serre, et, plus largement, pour son bilan environnemental. De même, en matière de responsabilité sociale, l'établissement s'est déjà doté d'un certain nombre d'objectifs qui sont suivis étroitement. La question de l'égalité professionnelle hommes-femmes, à laquelle j'ai toujours accordé beaucoup d'attention, me mobilisera également.

Enfin, Météo France doit rester une référence dans la météorologie mondiale, qui est marquée à la fois par le nécessaire appui aux pays en développement, qui souhaitent développer des services météorologiques adaptés à leur situation, et par la croissance des besoins de calcul et des nouvelles technologies, qui pousse à s'interroger sur les mutualisations et regroupements possibles. Dans le domaine de la navigation aérienne, Météo France devrait pouvoir être l'un des vingt centres régionaux d'avertissement sur les phénomènes météorologiques dangereux, qui remplaceront progressivement les 200 centres existant aujourd'hui. En s'appuyant sur l'excellence de Météo France, j'espère également que la France pourra accueillir les services du programme européen Copernicus dans le domaine de la météo et du climat, services qui devraient quitter le Royaume-Uni après le Brexit.

C'est donc avec conscience des défis qui attendent Météo France, mais aussi des forces de cet établissement, que je me présente devant vous. Les prochaines années ne seront pas faciles, mais elles doivent permettre de renforcer cette structure, en la rendant encore plus performante au service de tous. Si vous ne vous opposez pas à ma nomination, je serai heureuse de porter ce projet, avec l'ensemble des équipes de Météo France.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur budgétaire du programme « Météorologie ». - Madame Schwarz, vous souhaitez que Météo France soit une référence internationale. Il est vrai que la France s'est particulièrement engagée sur les questions du dérèglement climatique, notamment avec l'accord de Paris ; nous devons donc être performants en la matière.

Souhaitez-vous développer une politique de services tous azimuts, tant envers les institutionnels que les acteurs économiques, comme le prévoit le projet d'établissement 2018-2022 ? Quelles sont, d'après vous, les priorités à établir ? Comment ces services doivent-ils évoluer, qu'ils relèvent d'une prestation de service public ou qu'ils aient une vocation commerciale ?

Ces dernières années, nous avons observé une baisse significative - moins 24 % - des recettes commerciales, ce qui sous-entend qu'il existe un problème de compétitivité face à la concurrence. Or il devrait s'agir d'un levier de recettes, qui permettrait d'investir et d'être encore plus performant, par exemple en finançant le nécessaire supercalculateur. Quelle est votre perception de ce problème, sachant que la situation financière de l'établissement peut paraître préoccupante ?

Par ailleurs, quelle est votre philosophie en matière d'implantation territoriale de l'établissement ? D'ici à 2022, quelque 40 % des effectifs territoriaux auront disparu. La suppression des délégations territoriales ne se fait-elle pas au détriment des missions de Météo France ?

Mme Virginie Schwarz. - En ce qui concerne les services, je suis convaincue que Météo France va continuer à développer son activité en la matière. Je l'ai dit, il s'agit d'un enjeu financier, mais aussi d'une question d'ouverture et d'excellence. Se frotter à la concurrence, c'est aussi se soumettre à des exigences supplémentaires et améliorer son propre fonctionnement, y compris dans des domaines qui ne relèvent pas directement du service concerné. Bien sûr, il faut le faire en respectant le droit de la concurrence et certaines conditions, mais Météo France a vraiment toute sa place dans certains secteurs, où l'établissement peut apporter une valeur ajoutée. Il doit faire la preuve de son excellence.

Vis-à-vis des pouvoirs publics, la question se pose quelque peu différemment. Il existe un certain nombre de missions auxquelles l'établissement doit savoir répondre ; je pense, par exemple, aux sollicitations dont il a fait l'objet aux Antilles pour mettre en place un service de détection des sargasses, qui a fait l'objet d'une convention avec le ministère l'année dernière. Il faut sécuriser dans le temps la mise en place de ce genre de services, mais Météo France doit bien sûr être présent pour répondre aux sollicitations et aux préoccupations des pouvoirs publics.

En ce qui concerne les investissements, la capacité de l'établissement à maintenir et à développer ses systèmes d'observation et de prévision est essentielle. Pour améliorer la vigilance, il faut pouvoir investir dans la recherche et les outils. J'observe que le niveau des investissements a été maintenu depuis 2012, représentant de 18 à 20 millions d'euros chaque année. En 2019, il atteindra 27 millions d'euros avec le financement du supercalculateur. Une attention particulière a manifestement été portée sur cette question, à laquelle je serai moi aussi particulièrement sensible. Les budgets investis depuis 2012 et ceux qui sont prévus dans le cadre du contrat pluriannuel signé avec le ministère de l'action et des comptes publics permettront de nombreuses réalisations au service de l'établissement.

D'ores et déjà, près de cinq cents stations de mesure ont fait l'objet d'un rajeunissement. L'automatisation du réseau de radiosondage a été achevée. Les radars hydrométéorologiques ont été renouvelés à raison de deux par an depuis 2011.

Cette capacité d'investissement doit bien sûr être préservée dans le cadre d'un budget qui est tendu, mais équilibré. En particulier, je serai attentive à la maintenance des équipements, car ces investissements entraînent des coûts importants en la matière. Par exemple, un radar constitue une dépense de l'ordre de deux millions d'euros par an, mais son fonctionnement représente par la suite un coût annuel d'environ 150 000 euros. Il faut donc sécuriser ces budgets.

En ce qui concerne les territoires, Météo France va continuer à transformer ses implantations, poursuivant un mouvement engagé depuis plusieurs années. L'établissement restera néanmoins présent dans 33 sites en métropole et conservera la totalité de ses implantations actuelles outre-mer. Cette restructuration est fondée sur l'ambition de tirer le meilleur parti de ce que peuvent offrir les outils numériques et sur la recherche d'une organisation plus efficace. Elle doit apporter une qualité de service identique et même, si possible, supérieure.

Dans ce cadre, l'un des principaux points de vigilance pour moi sera la qualité de la relation avec les élus locaux. Il faut que chacun continue à disposer d'un interlocuteur bien identifié pour traiter les sujets qui ont besoin de l'être. Par ailleurs, la qualité de la relation entre Météo France et les autorités publiques en général ne doit pas être dégradée par cette réforme. Il s'agit d'un enjeu très pratique et tout à fait opérationnel.

Mme Nicole Bonnefoy. - Depuis plusieurs années, Météo France subit des coupes importantes dans ses effectifs. Récemment, nous avons été alertés par les représentants des personnels sur les risques que cette trajectoire fait peser sur la capacité de l'établissement public à assurer correctement ses missions, qui relèvent pourtant du domaine régalien, alors même que le rôle de Météo France, comme vous l'avez rappelé, ne peut qu'être amené à croître, notamment avec la multiplication et l'intensification des catastrophes naturelles. J'ai été rapporteure de la mission d'information du Sénat sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation, dont Michel Vaspart était président. Notre rapport, adopté à l'unanimité par le Sénat le 3 juillet dernier, constatait que les politiques de prévention et d'indemnisation des catastrophes naturelles n'étaient pas à la hauteur du défi climatique. Nous avons formulé une cinquantaine de recommandations concrètes. Météo France doit prendre pleinement sa part dans ces efforts, non seulement au titre de sa fonction de prévision des phénomènes météorologiques, mais aussi en raison de sa contribution technique, déterminante pour évaluer les événements extrêmes et pour les qualifier, ou non, de catastrophes naturelles. Cette qualification permet aux sinistrés de bénéficier d'indemnisations de la part des compagnies d'assurance. Il nous semble donc important, si vous étiez nommée présidente, que vous préserviez les moyens de Météo France dans le cadre des futures négociations budgétaires avec les ministères de tutelle, mais aussi que vous teniez compte de l'immense - le mot est faible - incompréhension des sinistrés quant à la contribution de votre établissement au dispositif de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, qui conduit bien souvent à exclure des sinistrés et à en laisser beaucoup dans une situation épouvantable, sans indemnisation, en dépit de dommages considérables. Pourriez-vous donc nous indiquer quelles seront vos priorités au regard des contraintes budgétaires qui, malheureusement, risquent de continuer à peser sur votre établissement ?

Mme Virginie Schwarz. - Le rôle que joue Météo France dans le dispositif de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle est mal connu et mal compris. Je crois que le premier objectif pour l'établissement devrait être d'accroître la transparence et d'améliorer la communication sur la place qu'il occupe dans ce dispositif : il fournit un diagnostic sur l'état des sols aux autorités et à la commission interministérielle catastrophes naturelles qui procède au classement. Nous devons expliquer comment nous le faisons, car, en l'absence d'un réseau de mesure de l'humidité du sol, Météo France procède par modélisation. Plus de transparence sur ces modélisations, leurs conséquences et, peut-être, leurs limites pourrait être utile. Météo France doit aussi continuer à améliorer ses outils de modélisation de façon à pouvoir fournir le diagnostic le plus précis possible. Toutefois, ce diagnostic ne pourra continuer à porter que sur l'état d'humidité du sol, et non sur les dommages, car on n'a pas établi de corrélation évidente entre les deux. Par conséquent, Météo France ne sait pas apprécier les dommages.

Votre rapport souligne aussi les retards en matière d'élaboration et de mise en oeuvre des plans communaux de sauvegarde. Or, dans ces domaines, Predict, filiale de Météo France, peut accompagner les collectivités locales.

Plus globalement, il sera fondamental de maintenir et d'améliorer notre contribution au dispositif de vigilance, en renforçant l'anticipation et la précision géographique des alertes, grâce à des investissements en matière de recherche et de formation. Nous devons aussi parallèlement continuer à développer les modèles sur le changement climatique et accroître la sensibilisation et l'information des populations sur ces sujets. Il faut aussi continuer à renforcer les partenariats de Météo France, au niveau tant national qu'international, à la fois sur la partie recherche et sur la partie opérationnelle, et continuer à porter la voix de la France dans les différentes organisations internationales dans lesquelles Météo France est présente.

M. Éric Gold. - Je voudrais insister sur la gestion de la crise et la perception que beaucoup d'élus locaux peuvent en avoir au travers, notamment, des alertes reçues lors d'aléas climatiques. Si le niveau technique de précision est bon, comme le niveau d'alerte et de vigilance reste celui du département, les élus sont souvent submergés d'informations lors d'événements météorologiques et ont souvent l'impression que les messages de vigilance ne sont pas toujours en adéquation avec les situations vécues. Comment améliorer les dispositifs d'alerte afin d'éviter de banaliser l'information et de pouvoir mieux prendre en compte les situations climatiques lorsqu'elles sont exceptionnelles ?

Mme Virginie Schwarz. - L'augmentation des moyens de calcul permettra de descendre à une échelle territoriale plus fine, infradépartementale, et de mieux cibler les messages d'alerte. L'autre volet de votre question concerne les fausses alertes ou, au contraire, les absences d'alerte. Météo France réalise chaque année un bilan de son dispositif de vigilance pour vérifier l'adéquation entre les prévisions et ce qui a été réellement observé sur le terrain. En 2018, on a constaté que dans 10 % des cas où des alertes vigilance ont été émises les événements signalés ne se sont pas produits. Inversement, le taux de non-détection s'élève à 2 %. Ces deux indicateurs se sont améliorés ; il faut continuer dans cette voie. Je comprends bien l'exaspération, parfois, dans les territoires, à l'égard de ce qui peut apparaître comme un excès de vigilance ou des messages anxiogènes. Mais il ne faudrait pas non plus, en voulant trop réduire le nombre d'alertes, augmenter les cas de non-détection de situations potentiellement dangereuses.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je voudrais d'abord rappeler que c'est à l'initiative d'Urbain Le Verrier, un Normand originaire de la Manche, qu'a été créé en 1857 un service météorologique fondé sur l'observation et la transmission synchronisée d'informations.

M. Hervé Maurey, président. - Précision utile !

M. Jean-Michel Houllegatte. - En 2008, Météo France possédait 108 implantations territoriales, 55 en 2017 et l'objectif pour 2022 s'établit à 33 sites. Je comprends tout à fait que nous soyons déjà passés à l'ère de l'automatisation de la mesure, et qu'avec l'intelligence artificielle on puisse envisager l'automatisation de l'interprétation et de la prévision. Mais, en m'appuyant sur mon expérience de maire, je voudrais insister sur la nécessité de la relation humaine. Le délégué départemental de Météo France était un partenaire de la vie locale extrêmement précieux, capable de nous aider à prendre des décisions concernant l'organisation de manifestations, notamment le maintien ou l'annulation de manifestations sous chapiteau - même si je ne voudrais pas laisser à penser que nous avons une météo capricieuse à Cherbourg. Comment maintenir cette relation locale avec les différents acteurs territoriaux ? On voit aussi les limites de l'automatisation et de la modélisation en cas de catastrophe naturelle : pourquoi inclure ou exclure telle commune plutôt que telle autre ? En définitive, on se fie aux critères produits par le calcul froid d'un calculateur.

Mme Virginie Schwarz. - Je partage votre préoccupation de maintenir la relation entre les acteurs du territoire et des acteurs bien identifiés chez Météo France. Cela constituera pour moi un point d'attention opérationnel. Je crois que cela est tout à fait possible dans le cadre de la réforme qui est envisagée. Je ne voudrais pas non plus donner l'impression que la réforme conduira à une automatisation généralisée à tel point que l'homme n'aura plus sa place dans l'élaboration des prévisions. Si la production de données est davantage automatisée, le rôle des agents et des prévisionnistes de Météo France dans l'analyse de ces données, leur traitement et leur diffusion demeurera essentiel. La réforme entraînera d'ailleurs la requalification d'un certain nombre de personnels, de techniciens, qui réalisent aujourd'hui de la production de données, vers des métiers à plus haute valeur ajoutée, comme les métiers d'ingénieur. La réforme offre donc plutôt une opportunité de revalorisation de la place des agents dans la chaîne de production et n'implique donc pas du tout une disparition du rôle de l'humain.

M. Cyril Pellevat. - J'avais interpellé dans une question orale, il y a deux mois, la ministre Emmanuelle Wargon, sur la question des bulletins météorologiques de montagne. Les représentants des guides sont inquiets des failles systématiques dans les prévisions météorologiques. Cela pose une question de sécurité publique, car les avalanches représentent un danger mortel pour les sports en montagne. La faiblesse des outils de prévision et la perspective de la fermeture de stations Météo France laisse présager une recrudescence du nombre d'accidents mortels consécutifs à une avalanche due à des phénomènes météorologiques qui n'auraient pas été prévus ou dont la diffusion préalable de la prévision aurait été insuffisante. Le budget de Météo France consacré aux prévisions est en baisse. Les professionnels de la montagne commencent déjà à préférer les prévisions de nos voisins suisses aux prévisions de Météo France. À plus long terme, se profile, de manière inquiétante, le risque de développement de sociétés météorologiques privées, qui remettrait en question l'existence et la pertinence du service public. Certaines entreprises monnaient d'ores et déjà leur expertise et la perspective que d'anciens salariés de Météo France rejoignent une société à but lucratif ne relève plus seulement de la fiction. Enfin, la menace de fermeture continue à planer sur les stations de Météo France situées à Chamonix et Bourg-Saint-Maurice. Au-delà de leur fonction de prévision météorologique, ces stations réunissent pourtant des agents qui connaissent le territoire, les zones à risques ainsi que l'évolution des conditions nivologiques en période de crise. Le choix d'une approche centralisée au détriment d'une approche de proximité, celui de la confiance accordée aux capteurs automatiques au détriment de celles accordées aux salariés formés et expérimentés, aura des conséquences. Quel est votre point de vue sur l'avenir des stations Météo France en montagne ?

Mme Virginie Schwarz. - Météo France compte quatre centres spécialisés de montagne dans les Alpes - à Bourg-Saint-Maurice, Briançon, Chamonix et Grenoble - et trois dans les Pyrénées - à Perpignan, Tarbes et Toulouse-Blagnac. L'établissement a considéré qu'une centralisation progressive des compétences de prévision pour la montagne à Grenoble et à Tarbes permettrait de renforcer l'organisation actuelle afin d'assurer les missions de sécurité des personnes et des biens, c'est-à-dire la production des bulletins d'estimation de l'état du manteau neigeux et des risques d'avalanches. L'objectif recherché était de regrouper des compétences rares et pointues pour réduire les risques de perte de compétences. Cette décision a suscité de nombreuses réactions. Une mission de réflexion sur l'organisation de Météo France dans les Alpes du Nord a ainsi été confiée au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) par le ministre. Le rapport a été présenté aux élus et aux acteurs en mars dernier. Il envisage plusieurs options pour la poursuite de l'activité dans ces zones de montagne. Météo France pourrait financer la mise en place de capacités de prévision locales des risques d'avalanche tout en bénéficiant d'un financement des collectivités lorsqu'il s'agit de répondre à des besoins spécifiques qui ne relèvent pas directement de la mission de Météo France, mais qui peuvent correspondre à des enjeux locaux sensibles. Ces capacités pourraient aussi être assurées par d'autres acteurs, mais avec un accompagnement de Météo France. Sur la base des propositions du rapport, des concertations locales ont été engagées sous l'égide des préfets concernés. Les discussions ont vocation à se poursuivre. Il convient de trouver, par le dialogue avec les élus, les territoires et les personnels, une organisation susceptible de répondre aux principaux enjeux, en veillant à organiser la transition et à éviter les ruptures dans la qualité de la prévision en matière de risques d'avalanches. Ce dossier constituera très clairement l'une de mes premières priorités si je suis nommée à la tête de cet établissement.

M. Joël Bigot. - Mes questions porteront sur les effectifs et les missions de Météo France. On nous annonce une réduction des effectifs de 15 % à l'horizon de 2022. Si l'on peut comprendre ces restructurations, en raison du développement du numérique notamment, on peut se poser aussi un certain nombre de questions sur les missions et le maintien des centres météorologiques territoriaux spécialisés, qui ont des missions spécifiques et une expertise thématique particulière en haute montagne, en moyenne montagne ou sur le littoral maritime. Assistera-t-on à une recentralisation ? Les conditions de travail des salariés, dont les astreintes et les déplacements s'accroissent, vont-elles continuer à se dégrader ? Les salariés sont, pour la plupart, opposés aux mesures qui sont proposées. Vous nous avez aussi annoncé que Météo France allait développer de nouveaux services. Comment comptez-vous conduire le dialogue social dans ces conditions ?

Mme Virginie Schwarz. - Le dialogue social constituera effectivement un élément essentiel de la réussite. Si je suis nommée à la tête de l'établissement, je rencontrerai très vite toutes les organisations syndicales pour faire un état des lieux, tant sur les sujets de fond que sur la méthode de travail et la méthode de dialogue social ; j'y passerai le temps nécessaire. Le dialogue social doit avoir lieu non seulement à Paris, mais aussi dans l'ensemble des implantations territoriales, en impliquant tout le comité de direction. Je me rendrai dans les différents sites pour rencontrer le personnel.

M. Patrick Chaize. - Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le financement du supercalculateur ? Où en est-on dans ce dossier ? Quelles seront les conséquences sur votre organisation ? Quels gains attendez-vous de ce nouvel outil ?

Je veux aussi vous interroger sur la prévision des risques d'avalanches. Une réorganisation est en cours. Entendez-vous placer votre action en continuité ou en rupture avec ce qui s'est fait jusqu'à aujourd'hui ?

Mme Virginie Schwarz. - Le budget du supercalculateur s'élève à 144 millions d'euros sur la période 2019-2025, dont 43 millions d'euros d'ici à 2022. Le financement supplémentaire est assuré principalement par des dotations de l'État, qui sont prévues dans le contrat budgétaire pluriannuel - pour un peu plus de 38 millions d'euros - et par des ressources propres de Météo France, à hauteur de cinq millions d'euros, ce qui est compatible avec le fonds de roulement et les disponibilités dont dispose l'établissement. Le supercalculateur permettra de multiplier par cinq notre puissance de calcul. On gagnera une à deux heures d'échéance sur les prévisions. La précision géographique des prévisions sera accrue, avec une résolution de 1,3 kilomètre en moyenne et une résolution allant jusqu'à 500 mètres dans les sites à plus forts enjeux, comme les grands aéroports. Donc la capacité d'anticipation est accrue, avec des prévisions plus fines dans l'espace.

En ce qui concerne le projet global de l'établissement, j'ai vocation à m'inscrire dans le cadre qui a été fixé avec les autorités de tutelle dans le contrat d'objectifs ou la feuille de route 2022. Certains sujets restent ouverts pour lesquels des choix devront être faits : c'est le cas, par exemple, des centres de montagne. Je compte poursuivre, à cet égard, la discussion avec les élus et les territoires concernés, sur la base notamment des travaux du CGEDD sur les Hautes-Alpes.

Mme Françoise Cartron. - Vous avez évoqué, dans votre présentation, l'attention particulière que vous portiez à la place des femmes dans l'entreprise. Votre nomination serait déjà, en soi, un signe très positif ! Au-delà, avez-vous une photographie aujourd'hui de la place des femmes dans l'entreprise, en particulier aux postes de responsabilité et au comité de direction. Quels sont vos objectifs pour faire évoluer la place des femmes dans l'entreprise ?

Mme Virginie Schwarz. - Le diagnostic que je peux porter sur la place des femmes à Météo France est encore très préliminaire. Je constate toutefois qu'elles sont particulièrement peu nombreuses au comité de direction, et pourtant je viens d'un secteur, l'énergie et le climat, où elles sont particulièrement peu nombreuses... La place des femmes dans les métiers techniques constitue toujours un défi, et je retrouve des similitudes avec mes précédents postes. Il importe, dès lors, de porter une attention particulière au recrutement - l'École nationale de la météorologie, qui dépend de Météo France, ne recrute pas non plus beaucoup de femmes -, aux promotions et à la sélection des candidats jusqu'au niveau de direction, mais pas seulement. Je souhaite faire connaître ces métiers aux femmes et leur faire prendre conscience qu'elles peuvent les exercer. C'est quelque chose, en effet, qui me tient à coeur.

Mme Angèle Préville. - Quand vous parlez d'« accueillir » Copernicus, voulez-vous dire que c'est Météo France qui procéderait à l'accueil ou que l'installation de ce programme européen de surveillance de la Terre en France serait bénéfique pour votre établissement ? Savez-vous déjà quelle ville serait retenue ? Combien des personnes seraient concernées ? Quelles sont les relations entre Météo France et Copernicus ?

Mme Virginie Schwarz. - La France doit avoir l'ambition de se positionner comme l'un des pays susceptibles d'accueillir Copernicus en cas de Brexit. Les équipes ne seraient pas intégrées à Météo France ; elles resteraient sous l'autorité du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme. Mais, étant financées par un programme européen, elles doivent se trouver sur le territoire de l'Union européenne.

Les collaborations entre Météo France et le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) sont anciennes et très étroites. La France a participé à la conception du modèle que cet organisme utilise. Météo France continue de l'enrichir. La venue de Copernicus en France serait bénéfique pour la visibilité de notre pays dans l'univers de la météo européenne et permettrait de renforcer les coopérations avec le Centre européen.

Dans l'avenir, il faut que la collaboration entre services météorologiques européens aille plus loin en matière de recherche et favorise la mutualisation des moyens, qui sont en croissance ; nous le voyons avec le supercalculateur. Il y a là une occasion à saisir.

M. Christophe Priou. - Lorsque le naufrage d'un navire provoque une pollution aux hydrocarbures, c'est votre établissement qui est sollicité pour savoir quand les côtes seront atteintes. Quelles sont vos responsabilités en la matière ? De quels moyens de prévision et de modélisation disposez-vous ?

Mme Virginie Schwarz. - Le modèle de prévision de dérives de polluants que Météo France a développé est utilisé pour participer aux opérations de lutte contre la pollution du milieu marin dans le cadre du plan Polmar. Nous fournissons des prévisions, nous mettons nos observations à disposition et, le cas échéant, nous participons aux cellules de crise, comme ce fut le cas à la suite du naufrage du navire américain au mois de mars dernier.

M. Charles Revet. - Vous avez une mission d'intérêt général très importante. Les bulletins météo sont probablement parmi les émissions les plus attendues par nos concitoyens, car ils permettent de prendre des dispositions préventives quand un événement grave est susceptible de survenir. Pour ma part, je les regarde tous les jours, voire plusieurs fois par jour.

Le secteur agricole, qui est lié à la nature, vit avec la météo. Les économies auxquelles il a été fait référence pour être dans les clous d'un point de vue financier nécessiteront une réorganisation et une diminution du nombre de sites. Or, nous le savons, l'éloignement des centres de réponse crée toujours des lourdeurs. La réorganisation n'aura-t-elle pas des incidences sur l'agriculture, voire sur d'autres secteurs économiques ? Un agriculteur a besoin de prévisions et d'interlocuteurs à l'échelon local pour savoir quel temps il fera, afin par exemple de décider d'entreprendre une action ou de la reporter.

M. Hervé Maurey, président. - Nous sommes tous conscients de la nécessité de réaliser des économies. Simplement, les réductions d'effectifs envisagées au sein de Météo France sont drastiques. Est-ce compatible avec vos missions, qui ont plutôt tendance à s'étendre ? Comment comptez-vous faire plus avec moins ?

Mme Virginie Schwarz. - Il y a deux dimensions dans votre question.

La première concerne la qualité des prévisions locales. Notre capacité d'en fournir s'améliore. J'en ai cité quelques exemples tout à l'heure. La seconde concerne la possibilité d'avoir un interlocuteur à l'échelon local. Les produits et les services de Météo France, ainsi que les différents canaux par lesquels nous diffusions l'information ne seront pas remis en cause par la réorganisation. Ils vont même au contraire se développer, grâce à l'apparition de nouveaux outils. Et les conventions que nous pouvons avoir avec un certain nombre de partenaires dans différents secteurs, dont le secteur agricole, ne seront pas non plus remises en cause par la restructuration.

Les modifications concerneront seulement l'organisation de Météo France dans l'observation et la prévision des phénomènes météorologiques. La qualité de la relation avec les territoires est, pour moi, un élément clé dans la mise en oeuvre de la réforme.

M. Hervé Maurey, président. - Soit. Mais, encore une fois, comment allez-vous faire plus avec moins ?

Mme Virginie Schwarz. - Nous allons nous organiser différemment. Je pense notamment aux services administratifs, qui étaient très déconcentrés ; à l'instar de nombre d'entreprises ou de structures publiques, nous avons procédé à une recentralisation des différentes fonctions administratives. Cela représente une part non négligeable des réductions de postes prévues dans la réforme. Mais il n'y aura pas d'incidence directe sur la prévision ni sur le coeur de métier de Météo France.

M. Hervé Maurey, président. - Ainsi, une baisse de 15 % des effectifs n'est pas de nature à vous inquiéter ?

Mme Virginie Schwarz. - C'est évidemment un défi immense en termes tant de qualité de service que d'accompagnement du personnel.

M. Hervé Maurey, président. - Vous sentez-vous apte à le relever ?

Mme Virginie Schwarz. - En tout cas, j'y consacrerai toutes mes compétences et mon énergie avec les équipes de Météo France.

M. Hervé Maurey, président. - Nous allons bientôt procéder au vote. Quel est, selon vous, l'élément clé pour nous convaincre que vous êtes la meilleure candidate pour le poste ?

Mme Virginie Schwarz. - J'ai eu l'expérience de la gestion d'établissements techniques et scientifiques à l'Ademe, mais également d'un établissement qui était déjà très concerné par les problématiques territoriales. J'ai une bonne connaissance de la sphère publique et du réseau des acteurs publics avec lesquels Météo France doit être en partenariat pour travailler plus efficacement. Je porte un grand intérêt aux questions de management, mais également de mise en oeuvre opérationnelle des projets. J'ai une expérience internationale ; or Météo France doit continuer à engager des coopérations avec des partenaires étrangers. Enfin, tout au long de ma carrière, j'ai eu un engagement très fort dans le service public, toujours dans le sens de l'intérêt général, sachant que l'on demande aux agents de l'État, notamment aux fonctionnaires, de répondre à des problèmes parfois compliqués.

Vote sur la proposition de nomination de Mme Virginie Schwarz aux fonctions de présidente-directrice générale de Météo France

M. Hervé Maurey, président. - Nous venons de procéder à l'audition de Mme Virginie Schwarz, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de présidente-directrice générale de Météo France.

Nous allons désormais procéder au vote.

Le vote se déroulera à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis du Règlement du Sénat, et les délégations de vote ne sont pas autorisées, en vertu de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote.

Le dépouillement se déroulera de manière simultanée avec la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale.

L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

La réunion est close à 12 h 45.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Dépouillement simultané, au sein des commissions du développement durable et de l'aménagement du territoire des assemblées, du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Virginie Schwarz aux fonctions de présidente-directrice générale de Météo France et résultat

La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Virginie Schwarz aux fonctions de présidente-directrice générale de Météo France, simultanément à celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants : 16

Bulletins blancs ou nuls : 1

Pour : 15

Contre : 0