Mardi 19 mai 2020

- Présidence de M. Joël Bigot, vice-président -

La téléconférence est ouverte à 16 h 30.

Audition de MM. Jean de L'Hermite, directeur juridique, et Samuel Dufay, directeur environnement, et de Mme Céline Leroux, responsable juridique, de la société Eramet (en téléconférence)

M. Joël Bigot, président. - Mes chers collègues, compte tenu de la crise sanitaire actuelle, nos auditions plénières reprennent par téléconférence. Elles sont ouvertes à la presse et font l'objet d'un enregistrement afin d'être, si la qualité de l'enregistrement le permet, mises en ligne plus tard sur le site internet du Sénat.

Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête par l'audition de représentants de la société Eramet : M. Jean de L'Hermite, directeur juridique, M. Samuel Dufay, directeur environnement, et Mme Céline Leroux, responsable juridique.

Eramet est l'une des principales entreprises minières et métallurgiques françaises. Au travers de ses filiales, elle exploite plusieurs sites miniers et de production métallurgique en France hexagonale ainsi que cinq mines de nickel en Nouvelle-Calédonie.

Madame, messieurs, cette audition devrait être l'occasion de recueillir votre éclairage sur les précautions observées par votre société dans la prévention des risques sanitaires et écologiques lorsqu'elle exploite des sites miniers sur le territoire français.

Quelles sont les principales mesures de gestion du risque que vous mettez en oeuvre, notamment s'agissant des déchets toxiques sur d'éventuels sites miniers dont vous avez cessé l'exploitation ? Quelle est votre politique en matière de dépollution des anciens sites miniers français qui étaient exploités par des sociétés que votre groupe a absorbées ? Assurez-vous directement les opérations de dépollution des sites qui ont cessé d'être exploités ou confiez-vous ces opérations à des prestataires que vous sélectionnez ? Dans ce cas, la qualité de la dépollution des sols est-elle vérifiée par les services de l'État ?

Il sera évidemment intéressant que vous nous présentiez votre politique de prévention et de gestion des risques de pollution sur les sites miniers que vous exploitez en Nouvelle-Calédonie, ainsi que votre politique de réhabilitation des sites que vous avez cessé d'exploiter. Il semble, notamment, que vous ayez entrepris une collaboration avec un laboratoire pour développer la dépollution par phytoremédiation.

Enfin, compte tenu de la dimension internationale de votre groupe, il serait intéressant que vous puissiez nous fournir quelques éléments de comparaison entre le système français de prévention des risques sanitaires et écologiques en matière d'activité minière et les précautions mises en oeuvre par d'autres pays étrangers.

Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes que vous pouvez vous répartir entre vous, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Dans le cadre de cette visioconférence, vous êtes appelés à prêter serment en laissant bien entendu votre caméra et votre micro allumés. J'invite chacun d'entre vous, dans l'ordre où je vous appellerai, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et dire : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean de L'Hermite et Samuel Dufay, ainsi que Mme Céline Leroux, prêtent serment.

M. Jean de L'Hermite, directeur juridique de la société Eramet. - Je vais me charger de l'introduction, avant de laisser la parole à mes collègues, qui pourront développer les points que vous avez mentionnés.

Je présenterai rapidement le groupe Eramet. Ce groupe a été créé par l'État, qui était au départ son unique actionnaire. Il a été créé dans les années 1970 et au début des années 1980 à partir de la Société Le Nickel (SLN). L'État y a ajouté des sociétés spécialisées dans la production d'aciers spéciaux, qui opéraient en France métropolitaine et en Suède.

Dans les années 1990, le groupe Eramet a été introduit en bourse, puis il a acquis le contrôle de la société Comilog, qui est aujourd'hui sa principale filiale. La société Comilog a été fondée au Gabon au début des années 1960 par d'autres investisseurs et a été acquise par Eramet en 1995. Comilog est l'un des principaux producteurs mondiaux de minerai de manganèse.

Dans le même temps, le groupe s'est développé dans la production des alliages de manganèse en Norvège, en France métropolitaine, aux États-Unis et en Chine. Eramet a franchi une troisième étape de son histoire en 1999, par l'apport des actifs de la famille Duval, c'est-à-dire pour l'essentiel de la société française Aubert & Duval, qui est un métallurgiste sans activité minière. Cette dernière est d'abord forge et matrice de pièces en métal utilisées pour la structure des avions, la fabrication de moteurs d'avion, de turbines terrestres, ainsi que pour les industries de la défense et du nucléaire. L'entrée de la famille Duval au capital d'Eramet en 1999 a entraîné la privatisation du groupe, l'État conservant toutefois une participation directe d'environ 30 % dans le capital, cédée pour une toute petite partie aux provinces de Nouvelle-Calédonie et pour 25 % à Areva.

En 2012, dans le contexte des difficultés traversées par Areva, l'État a racheté les 25 % du capital par l'intermédiaire du fonds stratégique d'investissement (FSI), qui est devenu Bpifrance, avant que cette participation ne soit finalement transférée directement en 2016 à l'agence des participations de l'État (APE).

En conclusion, Eramet est contrôlé à ce jour par un concert d'actionnaires, liés entre eux par un pacte. Ce concert est composé de la famille Duval, qui détient toujours 37 % du capital, et de l'État, qui en détient 25 % et qui est représenté par l'APE. Le troisième actionnaire d'Eramet est la Société territoriale calédonienne de participation industrielle, société à 100 % publique appartenant aux trois provinces de Nouvelle-Calédonie. Le reste de l'actionnariat du groupe, dit « flottant », est détenu par des investisseurs boursiers. La société est cotée à Paris et fait partie du SBF 120. Les autorités publiques locales sont actionnaires minoritaires des principales filiales minières du groupe : l'État gabonais, les provinces calédoniennes pour la SLN et l'État sénégalais, dont la filiale Grande Côte Opération (GCO) extrait des sables minéralisés au nord de Dakar.

Le groupe compte aujourd'hui environ 12 000 salariés. Il a réalisé un chiffre d'affaires de 3,6 milliards d'euros en 2019. C'est d'abord un groupe métallurgique et minoritairement minier. Il compte deux divisions.

Premièrement, la division Alliages Haute Performance, située principalement en France métropolitaine et un peu en Suède, est composée d'Aubert & Duval, qui fournit majoritairement l'aéronautique en pièces métalliques. Elle réalise un chiffre d'affaires de 847 millions d'euros. Cette division n'a aucune activité minière.

Deuxièmement, la division Mines et Métaux, dont les implantations principales sont au Gabon, en Nouvelle-Calédonie, au Sénégal, en Indonésie et en Argentine. Cette division a pour principales activités l'extraction et la transformation métallurgique sous forme d'alliages, qui sont ensuite vendus à d'autres métallurgistes, qu'il s'agisse de minerais de manganèse, de nickel, de dioxyde de titane ou de zircon. Elle réalise un chiffre d'affaires de 2,8 milliards d'euros. Le groupe a également un projet d'extraction et de transformation de lithium dans le nord de l'Argentine, actuellement au stade d'usine pilote et temporairement arrêté en raison de la conjoncture mondiale peu favorable.

En termes de taille, Eramet est un petit acteur du secteur des matières premières et de la métallurgie. Ses 12 000 salariés, dont seulement une minorité sont directement employés à une activité minière, sont peu nombreux en comparaison des grands acteurs mondiaux que sont le brésilien Vale, avec ses 134 000 salariés et un peu plus de 37 milliards de dollars de chiffre d'affaires, BHP ou Rio Tinto, tous deux employant un peu moins de 50 000 personnes et réalisant un chiffre d'affaires de plus de 40 milliards de dollars chacun.

Cela me conduit à formuler quelques observations importantes à la lecture des questions que vous avez bien voulu nous adresser avant cette réunion.

J'insiste sur le fait que le groupe Eramet n'exerce aucune activité minière en France métropolitaine où ses implantations industrielles sont essentiellement des forges et des usines de matriçage de la division Alliages Haute Performance, situées en Auvergne et dans les départements de l'Ariège, de la Loire, de la Nièvre et de l'Allier. Il existe également une usine d'alliage de manganèse à Dunkerque et une usine de production de sel de nickel à Sandouville, près du Havre. Il y a enfin un centre de recherche à Trappes.

L'ensemble de ces usines métropolitaines relève de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Concernant les pollutions des sites industriels, qui sont parfois mises au jour à la cessation d'activité partielle ou totale des installations, nous mettons en place les mesures requises par la réglementation nationale.

Les usines métallurgiques du groupe situées hors de France métropolitaine qui sont nombreuses, à commencer par celle de Nouméa, relèvent de la réglementation applicable localement, qui est plus ou moins inspirée de celle que nous connaissons en métropole. S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, ce n'est pas l'État qui exerce la compétence en matière environnementale, ce sont les provinces.

Les mines du groupe Eramet se situent soit en Nouvelle-Calédonie, soit à l'étranger dans un petit nombre de pays : le Gabon, le Sénégal et l'Indonésie - sans doute demain aussi en Argentine. Certaines des mines du groupe ont plus d'un siècle d'existence, par exemple en Nouvelle-Calédonie. Elles héritent, encore aujourd'hui, des problématiques de leur exploitation passée. Dans tous les cas, aucune des mines aujourd'hui exploitées par les sociétés du groupe n'utilise de substances polluantes ou dangereuses, que ce soit pour l'activité d'extraction - qui s'opère toujours à ciel ouvert - ou pour la concentration du minerai dans des laveries. De même, les gisements que nous exploitons ne contiennent pas de substances polluantes ou dangereuses.

Un autre point de clarification préalable doit être fait entre la notion de réhabilitation minière et celle de réhabilitation des sites industriels. Car la nature et l'impact de l'activité minière sont très différents de ceux de l'activité de transformation métallurgique que nous exerçons. L'activité minière consiste pour l'essentiel à détruire la ressource extraite non reproductible, qui est définitivement sortie du gisement. L'objectif de la réhabilitation minière consiste donc à réorganiser dans toute la mesure du possible le site de production de façon à limiter l'érosion, de rétablir le paysage et la biodiversité : réaménagement paysager, revégétalisation, refonctionnalisation des sols quand c'est possible. La réhabilitation des sites industriels est un autre processus, plus classique et plus connu, qui consiste à réaliser l'ensemble des opérations, études et travaux pour éliminer ou maîtriser les sources de pollution. Chacun de ces sujets relève d'obligations réglementaires et de contrôles de natures très différentes, quel que soit le pays d'implantation.

Sur la gestion de tous nos sites, nous exerçons une surveillance étroite et quotidienne, et nous essayons d'agir avec diligence en cas de risque, en lien permanent avec les autorités publiques compétentes.

M. Samuel Dufay, directeur environnement de la société Eramet. - Lors des auditions précédentes, vous vous êtes penchés sur le cas des anciennes mines de Salsigne et de Saint-Félix-de-Pallières, qui engendrent un certain nombre de problématiques sanitaires. Ce n'est pas le cas d'Eramet, grâce à la géologie particulière des sites sur lesquels nous travaillons. La problématique sanitaire est pour nous moins prégnante, car il n'y a pas de risque pour les populations riveraines, à notre connaissance. En Nouvelle-Calédonie, par exemple, nous travaillons des minerais oxydés : ils ne sont pas susceptibles de donner lieu aux phénomènes de drainages miniers acides. Ces minerais ne contiennent pas non plus d'éléments dits « toxiques » comme l'arsenic, le plomb ou le cadmium.

À l'inverse, en Nouvelle-Calédonie, la problématique environnementale de premier ordre est la réhabilitation des mines. Il ne s'agit pas de dépolluer le sol, puisqu'il n'est pas pollué, mais d'éviter l'érosion. Nous travaillons dans des mines à ciel ouvert, nous sommes obligés de défricher et de décaper le sol pour accéder au minerai. Dans un contexte de très forte pluviométrie, parfois cyclonique, le danger est que l'érosion des sols ait un impact sur les rivières, les criques et le lagon. C'est ce phénomène que nous cherchons à limiter avant tout. Toute notre politique environnementale est tournée vers cet objectif. Cette problématique est assez bien traduite et reprise dans le code minier calédonien revu en 2009, ainsi que dans toute la réglementation qui y est attachée.

Pour prévenir l'érosion, il faut : premièrement, avoir une gestion très active de l'eau ruisselant sur les sols ; deuxièmement, stocker les stériles dans des ouvrages très bien dimensionnés et surveillés ; troisièmement, réhabiliter et revégétaliser les sols aussi vite que possible. Nous sommes extrêmement diligents sur l'ensemble de ces mesures particulièrement bien intégrées dans la réglementation calédonienne et dans les arrêtés d'autorisation d'exploiter les sites miniers.

Mme Céline Leroux, responsable juridique de la société Eramet. - Vous nous avez demandé si la qualité de la dépollution était vérifiée par l'administration en cas de cessation d'activité. La réponse est oui. Nos processus sont d'ailleurs encadrés réglementairement, aussi bien à la cessation d'activité que pendant la vie des activités. Nous sommes contrôlés par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), notamment sur nos deux sites classés Seveso en France.

La méthodologie mise en place à la cessation d'activité et en cas de découverte de pollution est celle qui s'applique en France depuis plusieurs années. Il s'agit d'une approche par le risque, ce dernier étant déterminé en fonction de l'usage. L'approche française nous paraît être bonne. D'autres pays préfèrent dépolluer par rapport à des valeurs seuils.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je vous remercie de la clarté de vos propos. Eramet est un exploitant minier français dans nos régions ultrapériphériques et outre-mer. C'est un groupe qui a aussi une action à l'international, notamment au Sénégal.

Cette audition est l'occasion de recueillir le sentiment d'une société minière sur l'adéquation de notre législation minière aux exigences de protection de la santé et de l'environnement. Nos auditions ont jusqu'ici mis en lumière des asymétries entre le code minier et le code de l'environnement dans la prévention des risques sanitaires et écologiques. Dans quelle mesure pensez-vous que la réforme à venir du code minier peut permettre de combler certaines lacunes dans ce domaine ?

En particulier, ne faudrait-il pas transposer aux exploitants miniers en France les obligations de constitution de garanties financières qui pourraient être mobilisées par l'État en cas de défaillance de l'exploitant lorsqu'il s'agit de dépolluer les sites ? Il semble en effet que ces garanties financières ne valent, dans le domaine minier, que pour le stockage des déchets.

Ne faudrait-il pas, en outre, permettre à l'État de poursuivre les anciens exploitants miniers en responsabilité dans un délai de trente ans après la cessation d'activité, comme il peut le faire aujourd'hui contre les exploitants d'installations classées ?

Enfin, votre entreprise s'astreint-elle à la réalisation périodique de diagnostics des sols des sites qu'elle exploite afin d'évaluer le risque de pollution ? Qu'en est-il des anciens sites miniers français qui avaient été exploités par des sociétés que vous avez acquises ? Conservez-vous une responsabilité dans la mise en sécurité de ces sites ?

Si vous n'êtes pas contraints de réaliser de tels diagnostics, vos exploitations minières font-elles au moins l'objet d'inspections régulières de la part d'opérateurs de l'État, notamment le département de la prévention et de la sécurité minière du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ou les Dreal, dont vous avez parlé ?

Il s'agit d'une commission d'enquête. Notre objectif n'est pas de lancer des accusations, mais il est de faire progresser les choses dans la transparence afin d'apporter des améliorations. Quel est le process à suivre si vous découvrez une pollution des sols sur le site de l'une de vos sociétés d'exploitation ? Informez-vous directement les autorités, les riverains, les associations locales ?

Dans la gestion des sites, en Nouvelle-Calédonie ou ailleurs, prévoyez-vous déjà en amont l'après-activité ? Gérer, c'est prévoir : il faut savoir anticiper, surtout en matière de pollution !

M. Jean de L'Hermite. - Je commencerai par répondre à la question de l'articulation entre la législation minière et la législation en matière de protection de l'environnement.

Je rappelle tout d'abord qu'Eramet n'a jamais eu d'activité minière en France métropolitaine. Nous ne sommes donc pas très bien placés pour répondre à une telle question dans le cadre de la réglementation métropolitaine. En revanche, nous connaissons bien la réglementation applicable en Nouvelle-Calédonie et nous avons un avis sur la façon dont elle fonctionne. La législation calédonienne ressemble, à certains égards, à celle de la métropole, mais elle n'en est pas dérivée. Depuis que la Nouvelle-Calédonie est un territoire français, elle a toujours eu une législation minière et une législation de l'environnement spécifiques. Ce n'est pas seulement un effet du principe de spécialité législative tel qu'il découle de l'article 74 de la Constitution et maintenant du statut constitutionnel spécifique. C'est aussi une conséquence d'ordre pratique : l'autorité compétente pour légiférer et règlementer en matières minière et d'activité industrielle non minière en Nouvelle-Calédonie n'a historiquement presque jamais été l'État. Cette compétence a presque toujours été exercée par les autorités locales, sauf pendant une assez brève période, de 1969 à 1999, notamment en raison de l'extrême éloignement de ce territoire par rapport à la métropole. Par ailleurs, les substances extraites du sol n'avaient pas d'équivalent en métropole où la réglementation était à l'époque surtout conçue pour l'extraction du fer et du charbon.

La législation calédonienne est spécifique : elle repose sur un code minier et sur un schéma de mise en valeur des richesses minières, qui date de 2009 et qui a été élaboré par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie. L'application de cette législation relève des provinces.

Cette législation organise essentiellement les modalités selon lesquelles un opérateur, pourvu qu'il justifie de qualifications techniques et financières, peut être autorisé à exercer l'activité minière. Elle assure l'attribution du permis de recherche et d'exploitation. Le législateur permet à l'administration de donner à un opérateur un droit dérogatoire au droit commun de la propriété, consistant à pouvoir extraire une certaine ressource du sous-sol, et uniquement celle-là. Une fois l'extraction faite, le sous-sol et le sol superficiel n'existeront plus. Il y a donc une obligation de remise non pas en l'état initial, laquelle est absolument impossible, l'extraction étant irrémédiable, mais dans un état qu'il appartient au législateur et à l'autorité chargée du contrôle des travaux miniers - la province en l'espèce - de définir. Cette définition repose sur un certain nombre d'obligations en termes de végétalisation, de restitution de la biodiversité et de prévention de l'érosion. Le problème végétal et le problème de l'érosion, en particulier dans le contexte calédonien, sont bien les problèmes essentiels, en l'absence de l'utilisation de solutions polluantes pour l'extraction et de substances polluantes dans les matériaux manipulés.

La façon dont le contrôle s'exerce et le type de dialogue avec les autorités publiques sont très analogues à ceux qu'un industriel plus classique, qui exploite simplement une usine, a avec les services chargés d'une installation classée.

Ainsi, lorsque vous avez un permis minier, vous avez le droit d'extraire le nickel d'un gisement donné, mais vous devez au préalable obtenir une autorisation de travaux, en plus du permis minier. Cette autorisation est délivrée par le président de l'assemblée de la province calédonienne concernée, après une enquête publique et une concertation locale, sur la base d'un dossier qui ressemble fort à un dossier de demande d'autorisation au titre de la législation métropolitaine applicable aux ICPE. Sur la base de ces échanges et de cette enquête, un arrêté d'autorisation, qui ressemble là encore à un arrêté ICPE, est édicté par le président de la province. Des contrôles peuvent ensuite être effectués à tout moment, soit sur pièce, soit sur place, par les inspecteurs de la direction de l'industrie des mines et de l'énergie de la Nouvelle-Calédonie. Les éventuels écarts avec les arrêtés d'autorisation entraînent les mêmes conséquences pour l'exploitant que pour une installation classée.

Il existe donc de grandes différences de nature entre les deux activités, mais aussi de grandes analogies dans le fonctionnement concret, pour autant que les problématiques soient les mêmes.

J'ajoute qu'il existe également une législation ICPE spécifique en Nouvelle-Calédonie, différente dans chaque province, le statut de la Nouvelle-Calédonie prévoyant que le code de l'environnement est édicté par chaque province pour son propre compte. Notre usine de transformation métallurgique de Nouméa est soumise au code de l'environnement de la province Sud. Le cadre juridique est très semblable au cadre ICPE métropolitain. Nous avons l'expérience de ces deux législations, qui sont juridiquement indépendantes. En cas de litige sur les travaux miniers, on ne peut pas invoquer une disposition du code de l'environnement de la province, mais, dans les faits, pour autant qu'il y ait des points d'attache communs, les deux législations se rencontrent.

Voilà comment se passent les choses en Nouvelle-Calédonie, sans intervention de l'État, je le rappelle, ce dernier n'ayant plus aucune compétence en matière minière et d'environnement en Nouvelle-Calédonie, sauf en matière de contrôle des substances radioactives.

M. Samuel Dufay. - Le code minier de Nouvelle-Calédonie, en son article R. 142-24, rend obligatoire la constitution par les exploitants de garanties financières destinées à couvrir les opérations de réhabilitation en fin de vie minière. De telles garanties existent dans la majorité des grands pays miniers, qu'il s'agisse du Canada, de l'Afrique du Sud ou de l'Australie.

Sur la responsabilité des anciens exploitants et concernant les sites orphelins, le législateur en Nouvelle-Calédonie a tenu compte du fait qu'il existe un passif environnemental lié au passé minier. Les mines de nickel sont exploitées depuis plus d'un siècle en Nouvelle-Calédonie. Avant 1974, cette activité était peu encadrée d'un point de vue environnemental. Les opérateurs sont aujourd'hui responsables du traitement du passif environnemental à partir de 1974. Pour le passif préexistant, le territoire a constitué un fonds, le Fonds Nickel, en partie abondé par les opérateurs, qui permet d'effectuer petit à petit des opérations de réhabilitation lorsqu'elles sont nécessaires.

M. Jean de L'Hermite. - Le législateur a fixé une date arbitraire, qui correspond au moment où la législation est devenue plus exigeante, afin d'épargner à l'administration d'avoir à rechercher les héritiers des anciens exploitants. C'est un principe de responsabilité sans faute qui est prévu, de responsabilité objective. Une dégradation du site ouvre droit à une intervention du Fonds nickel.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Avez-vous des sites classés Seveso ? Respectez-vous des process, sachant que vos activités ont une influence sur l'environnement et sur la santé des populations ?

M. Samuel Dufay. - Nos activités métallurgiques peuvent avoir des impacts, plus que nos activités minières. Ce qu'il faut, c'est disposer d'une surveillance environnementale des sites la plus dense et précise possible pour détecter des anomalies pouvant nous faire suspecter une pollution des sols. Lorsque cela se produit - cela arrive de temps en temps -, il faut faire remonter l'information au plus vite à la Dreal et avoir un dialogue en bonne intelligence sur la façon de traiter ces anomalies. La difficulté en matière de pollution des sols, c'est que l'apparition d'une anomalie, par exemple la présence d'hydrocarbures ou de solvants dans la nappe phréatique, ne suffit pas pour caractériser l'étendue de la pollution et son origine. Un dialogue avec les autorités est donc nécessaire sur la marche à suivre afin d'essayer de comprendre l'origine de la pollution, de mesurer son extension, dans un processus itératif.

Une personne auditionnée par votre commission a déclaré que, pour bien réussir une opération de dépollution, il faut absolument disposer d'études robustes, qu'on ne peut acquérir que par itération. Cela rejoint assez bien notre savoir-faire de mineur. Lorsque l'on prépare une exploitation minière, c'est la même chose. Au début, on a des indices de la présence de minerai, et c'est par des sondages progressifs que l'on parvient à se faire une idée des réserves exploitables.

Nous avons récemment détecté des anomalies sur deux sites situés en Auvergne. En tant que directeur environnement du groupe, je donne pour consigne de faire preuve immédiatement de transparence et de faire remonter l'information aux Dreal afin de construire une réponse adaptée avec elles. C'est ainsi que l'on traite ces situations au mieux, cette façon de faire ayant fait ses preuves.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Existe-t-il un process défini, à l'image des plans communaux de sauvegarde, lesquels permettent aux élus de savoir précisément ce qu'ils doivent faire et quelle autorité avertir en fonction des risques ? Les choses ne fonctionnent-elles dans votre secteur que dans la négociation, au doigt mouillé ?

Vous avez parlé des études, mais on voit peu d'améliorations sur les sites en termes de pollution et de réhabilitation. Autrefois, pour régler un problème, on créait un comité ; aujourd'hui, on fait une étude ! Je suis favorable aux études, encore faut-il qu'elles débouchent sur des résultats concrets.

Mme Céline Leroux. - Quand on parle d'études, on parle en fait d'investigations. Quand on suspecte un problème environnemental quelconque, on lance d'abord des investigations : on va voir sur le terrain ce qui se passe, avant d'émettre des hypothèses. Certains sites de la division Alliages d'Eramet ont plus de cent ans. On gère différemment les pollutions historiques et les pollutions actuelles, mais on se fonde toujours sur la méthodologie qui existe en France, fondée sur des circulaires, et qui offre un cadre assez robuste. Les bureaux d'études - ils sont certifiés pour la plupart, en tous les cas ceux auxquels nous faisons appel - sont rompus à ces méthodologies.

Quand un problème surgit, nous avons des discussions avec les administrations. Nous pouvons être amenés à rencontrer les agences régionales de santé, les maires. Nous ne gérons pas les problèmes seuls dans notre coin avec les Dreal.

M. Jean de L'Hermite. - Quand un sujet prend un peu d'ampleur à l'échelon local, lorsqu'une pollution significative est découverte sur un site par exemple, on ne reste jamais en tête à tête avec la Dreal. L'affaire remonte toujours au représentant de l'État. En général, d'autres instances sont associées : le maire, parfois le conseil départemental, l'agence régionale de santé.

Si le problème est lié au passif historique, une phase d'études à plusieurs est nécessaire. En revanche, si le problème est la conséquence d'une négligence ou d'un manque de prudence ou d'attention - si un directeur d'usine laisse filer une partie de sa cuve à mazout dans la rivière par exemple -, il relève de l'autorité de police.

Vous nous avez demandé si le BRGM exerçait une activité de contrôle ou d'appui à la prévention pour nos activités minières. La réponse est non, malheureusement. Le BRGM n'intervient plus en Nouvelle-Calédonie depuis que l'État n'y exerce plus de compétence en matière de mines. Il l'a fait dans le passé, surtout dans le domaine de la recherche minière, peu dans celui de la réhabilitation. Le BRGM est aujourd'hui très en retrait sur ce sujet, en tout cas en Nouvelle-Calédonie.

M. Joël Bigot, président. - La loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a consacré le principe de préjudice écologique. Qu'en pensez-vous ? Compte tenu de la multiplication des procédures engagées à la suite de cessations d'activité, pensez-vous qu'il faille encadrer la réappropriation de la biodiversité et la réhabilitation des sols ? Quelle évolution du droit pourrait permettre la réhabilitation des sols ?

M. Jean de L'Hermite. - La question se pose dans des termes très différents selon que l'on parle de mines ou d'autres activités industrielles. Dans le cas de mines, l'objectif de réhabilitation est d'éviter l'érosion et de revégétaliser le sol. Lorsqu'on a mis fin à un phénomène d'érosion incontrôlée et retrouvé une végétation qui se renouvelle par elle-même, on peut considérer que l'exploitant minier, à condition qu'il n'ait laissé aucune substance polluante ou aucun déchet sur place, a fait son travail.

La réhabilitation de sites industriels non miniers est plus compliquée. D'un point de vue législatif, la réhabilitation s'entend pour un usage déterminé, non pour tous usages. À cet égard, la législation actuelle comprend un certain nombre de nuances et de subtilités. Un exploitant industriel peut être obligé de remettre dans un certain état les terrains qu'il a occupés.

Mme Céline Leroux. - En matière de revitalisation des anciens sites pollués, la logique est de prévoir une réhabilitation en fonction d'un usage partagé avec l'administration, le maire, l'ensemble des parties prenantes du secteur. Il me semble dangereux d'envisager de réhabiliter d'anciens sites industriels qui ont été exploités pendant des dizaines, voire des centaines d'années, pour en avoir un usage très éloigné. De nombreux projets de réhabilitation de sites industriels pour des usages dits « sensibles » - des habitations, des crèches, des écoles - ont été envisagés, mais cela a posé beaucoup de problèmes. Les changements d'usage sont assez étroitement accompagnés dans la réglementation française.

M. Jean de L'Hermite. - Un changement d'usage doit être encadré. Il ne peut pas être totalement discrétionnaire. Il est très difficile d'imaginer que n'importe quel site puisse servir à n'importe quel usage. Il faut identifier la nature des problèmes résiduels, vérifier s'il est possible ou non d'y remédier, avant de définir les usages futurs matériellement envisageables et d'évaluer le coût d'une opération pour l'exploitant, pour la collectivité ou pour l'opérateur qui reprendra le site. C'est du cas par cas. Il est très difficile de concevoir qu'un site qui a été industriel, parfois durant un siècle ou deux, voire davantage, comme certaines de nos usines en Suède, puisse radicalement changer de nature.

Si le coût de l'opération est financièrement supportable, il faut évidemment étudier la question dans la perspective d'une meilleure valorisation possible des friches industrielles. La meilleure valorisation devrait être en principe une nouvelle activité industrielle, afin d'éviter la désindustrialisation des territoires, mais c'est un idéal qui n'est pas facile à atteindre.

M. Daniel Gremillet. - Vous avez évoqué les risques énormes d'érosion quand il y a un décapage. Pouvez-vous nous indiquer le laps de temps qui s'écoule entre le moment du décapage et le début de la revégétalisation pour limiter l'érosion ?

M. Samuel Dufay. - Tout dépend du type de mine. Disons qu'il faut le faire au plus vite. Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, ce n'est pas évident : vus du ciel, ces sites miniers ont l'air immense ; en fait, quand on les exploite, on se sent un peu à l'étroit, car ils sont souvent situés en altitude. Or on a besoin de place pour des installations, comme les verses à stériles, les chantiers d'extraction sont ouverts et il reste parfois peu d'espace pour manoeuvrer : cela n'aurait pas de sens de réhabiliter tout de suite, car on risque de réutiliser assez vite le terrain.

À Grande-Côte, au Sénégal, notre mine progresse de façon continue ; au bout d'un an ou d'un an et demi, on peut déjà faire les premières opérations de lutte contre l'érosion en installant des filets brise-vent et, dès la saison humide suivante, on réhabilite. Dans le domaine minier, contrairement aux ICPE, la réglementation n'impose pas de réhabiliter en vue d'un usage donné, mais c'est quand même ce que l'on fait en pratique. Au Sénégal, au moment de revégétaliser, nous avons sélectionné les espèces replantées au terme d'un dialogue avec les communautés riveraines et dans le respect de la biodiversité.

M. Jean de L'Hermite. - La réponse à la question est effectivement très variable en fonction des mines. Au Sénégal, nous avons un cas idéal : nous exploitons une dune au niveau de la mer et l'objectif est de reconstituer la dune après le passage de la dragueuse ; le risque d'érosion est faible et nous sommes sur un cycle d'un an ou deux ans, pour un gisement qui doit être exploité en vingt ou trente ans. En Nouvelle-Calédonie, on est en montagne, à plus de 1 000 mètres d'altitude, sur des gisements exploités parfois depuis plus de cent ans, car la richesse des gisements calédoniens est exceptionnelle. On ne se pose donc pas la question de la réhabilitation de la même façon.

Pour schématiser, il y a deux sujets : la lutte contre l'érosion, d'une part, et la revégétalisation, d'autre part.

La lutte contre l'érosion est un combat permanent, avec une forme d'urgence, surtout en montagne. Si vous faites preuve de négligence dans votre exploitation, vous risquez de provoquer un phénomène d'érosion aux conséquences tout à fait dommageables pour les cours d'eau, les exploitations agricoles ou les lieux de vie en contrebas. C'est donc quotidiennement, dans l'exécution des travaux, que les actions de lutte contre l'érosion doivent être entreprises.

La revégétalisation, quant à elle, ne peut intervenir qu'à la fin du cycle d'exploitation ; on peut l'engager sur des sites miniers orphelins en périphérie, par exemple. Elle se fait d'autant plus facilement que les travaux de lutte contre l'érosion ont été bien menés ; quand ils sont bien faits, une forme de revégétalisation naturelle peut apparaître.

En résumé, en Nouvelle-Calédonie, la clé de tout, c'est la lutte contre l'érosion.

M. Alain Duran. - Étant sénateur de l'Ariège, je connais mieux la division Alliages d'Eramet que la division Mines, et je peux témoigner du travail de cette entreprise en matière d'industrie durable et responsable. On nous parle aujourd'hui d'une réécriture du code minier : votre savoir-faire et votre expérience vous permettent-ils de formuler des propositions, même si vous ne pratiquez pas ce code en métropole, pour faciliter son articulation avec le code de l'environnement ?

M. Jean de L'Hermite. - L'activité minière est une activité industrielle très spécifique, on ne pourra donc jamais l'assimiler, dans le code de l'environnement, à l'activité d'une usine classique. Il faut donc, à notre sens, préserver une certaine autonomie du droit minier, en ce qu'il a de matériellement spécifique : l'exploitation destructive d'une ressource naturelle non renouvelable par dérogation au droit de propriété du propriétaire du sol.

Une fois ceci posé, il faut raisonner par analogie : essayer d'introduire dans le droit minier tout ce qui marche bien dans le droit de l'environnement et qui, matériellement, peut y fonctionner. Le travail d'actualisation du code minier a peut-être pris du retard, du point de vue d'un observateur extérieur. Je pense que ce qui se fait en Nouvelle-Calédonie, qui reste le territoire français où l'activité minière est la plus significative, devrait être considéré de manière plus attentive par les autorités métropolitaines qui réfléchissent sur le sujet : il y aurait pour elles un travail de benchmark - pardonnez l'anglicisme - à faire en Nouvelle-Calédonie. Je ne dis pas que tout y soit idéal, mais c'est encore le meilleur point de comparaison que l'on puisse trouver dans un contexte français.

M. Joël Bigot, président. - Je remercie les représentants de la société Eramet d'avoir participé à cette audition.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

Audition de M. Jean-François Nogrette, directeur de Veolia Technologies & Contracting, membre du comité exécutif du groupe Veolia (en téléconférence)

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition de M. Jean-François Nogrette, directeur de Veolia Technologies & Contracting et membre du comité exécutif du groupe Veolia.

Veolia est un groupe mondial leader dans le domaine de la dépollution des sols et de la propreté de l'eau. Votre audition sera donc l'occasion de recueillir un éclairage précieux sur la complexité de l'analyse de la pollution des sols, des sous-sols et des eaux souterraines, ainsi que des travaux qui peuvent être mis en oeuvre pour traiter cette pollution.

Quelle évaluation faites-vous des techniques de dépollution aujourd'hui disponibles en France au regard non seulement de leur faisabilité, mais aussi de la maîtrise de leur coût ? À ce propos, quel est votre sentiment sur la qualité des diagnostics des sols réalisés par les bureaux d'études certifiés et sur leurs recommandations : les travaux de dépollution préconisés vous semblent-ils généralement pertinents, réalistes et financièrement maîtrisés ?

Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Monsieur Nogrette, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-François Nogrette prête serment.

Jean-François Nogrette, directeur de Veolia Technologies et Contracting, membre du comité exécutif. - Je voudrais d'abord resituer l'action du groupe Veolia sur les sites pollués. Nos premières réalisations ont démarré en France au début des années 1990. Elles visaient à l'origine la protection de la qualité des eaux souterraines, avant que la pollution ne migre vers les nappes phréatiques et ne devienne très difficilement réversible.

Veolia a ensuite créé GRS Valtech. Cette entité spécialisée dans les travaux de dépollution, toujours active aujourd'hui, s'est progressivement développée en France, avant d'exporter son savoir-faire - en Suisse, en Italie - et d'acquérir de nouvelles techniques - au Danemark -, d'abord en Europe, puis en Chine, en Amérique latine, en Amérique du Nord, et plus ponctuellement, au Moyen-Orient.

Nous avons également diversifié nos prestations depuis une dizaine d'années avec la dépollution pyrotechnique et radiologique de sites contaminés. Nos équipes interviennent à deux étapes du chantier : lors des travaux, qui sont réalisés en France par GRS Valtech, puis au moment du traitement et de la valorisation des terres susceptibles d'être évacuées lors de la dépollution. Veolia met à disposition de ses clients des filières dédiées aux sols - biotraitement, lavage de sols, désorption thermique - et des filières partagées avec d'autres déchets - centres de stockage ou unités d'incinération de déchets dangereux. En revanche, nous agissons moins en amont pour les diagnostics, qui sont plutôt réalisés par des bureaux d'études.

Sur le marché français, nos clients sont à 40 % des industriels, à 40 % également des aménageurs - promoteurs immobiliers ou établissements publics fonciers -, et pour les 20 % restants des collectivités, des bureaux d'études et l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Généralement, GRS Valtech intervient en France à l'issue d'un appel d'offres, qui est fondé sur un diagnostic approfondi réalisé par un bureau d'études à la demande du maître d'ouvrage.

En pratique, l'activité de dépollution des sols est très largement orientée par le marché de l'immobilier : d'une part, la valeur du site finance un grand nombre d'opérations de dépollution, et, d'autre part, le marché de l'immobilier influence la stratégie retenue. La plupart du temps, les équipes cherchent à réduire le temps d'immobilisation du terrain pour le libérer le plus tôt possible en faveur de l'aménageur.

Les travaux de dépollution peuvent être réalisés par excavation et évacuation des sols vers des filières de traitement et de valorisation, dont celles de Veolia, qui enregistrent actuellement une forte croissance de leur activité. Cette méthode, qui consiste à déplacer des terres contaminées vers un site de traitement ou un centre de stockage, est la solution majoritairement retenue aujourd'hui, alors que les prestations in situ étaient beaucoup plus nombreuses voilà dix ou quinze ans. L'objectif est double : limiter le coût lié à l'évacuation, tout en privilégiant celle-ci pour les projets immobiliers. À ces fins, un certain nombre d'opérateurs proposent des voies de réutilisation des terres polluées.

Toutefois, ces pratiques sont encadrées par les préconisations d'un certain nombre de guides techniques. Nous attendons d'ailleurs un prochain arrêté relatif à l'exclusion du statut de « déchet » des terres excavées et à la traçabilité de celles-ci dans le cadre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC). Cet encadrement nous paraît indispensable afin de limiter les risques de dispersion des pollutions.

Je le souligne, certains pays comme la Belgique et les Pays-Bas ont développé depuis de nombreuses années des stratégies pour attirer les terres contaminées en provenance de l'Europe entière, puis les valoriser, principalement dans les polders.

Néanmoins, d'après l'inventaire de la base de données des anciens sites industriels et activités de services (Basias), l'opportunité d'une valorisation foncière n'est pas si fréquente pour ces sites. De plus, l'évacuation des terres décontaminées étant dans ces cas-là trop coûteuse, les techniques biologiques in situ sont privilégiées, à condition qu'elles se révèlent pertinentes et efficaces. Les terres dépolluées peuvent aussi être confinées sur place et transformées en nouvelles cellules de stockage.

Toutefois, faute de valorisation foncière, dans la plupart des cas, ces sites ne sont pas dépollués, pas plus qu'ils ne sont réinvestis. En France, comme dans de nombreux pays, il est imprudent de réutiliser un site pollué : un simple exploitant peut se voir imposer la décontamination au titre des activités passées. Même avec leurs atouts, tels qu'un bassin d'emploi, la proximité de sous-traitance ou des voies d'accès, les anciens sites industriels sont rarement réemployés par d'autres professionnels.

Certaines pratiques favorisent la réutilisation non pas des terres, mais des sites industriels contaminés - c'est le cas en Allemagne pour la chimie, avec les fameux Chemparks. Ces sites exploités par des industriels ne sont pas dépollués et demeurent la propriété d'établissements fonciers, publics, privés ou mixtes, qui sont chargés de la sécurité du sol et en perçoivent des loyers.

En France, la tendance est plutôt de réinvestir des sites sur des terrains vierges, infléchie par quelques contre-exemples à l'instar des ports autonomes, dont certains sont partiellement contaminés : le locataire ne prend pas en charge le risque passé de la pollution.

Dans une stratégie de relocalisation de l'industrie, l'inventaire Basias pourrait recenser toutes les opportunités de réutilisation d'anciens sites industriels.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je souhaiterais d'abord recueillir votre sentiment sur le droit en vigueur en matière de réhabilitation de friches industrielles. En particulier, quel regard portez-vous sur la pertinence et l'efficacité du dispositif du tiers demandeur introduit par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) ? Êtes-vous intervenu comme maître d'oeuvre des travaux de dépollution pour le compte d'un tiers demandeur qui se serait substitué à un exploitant pour réhabiliter un site pollué ? Trouvez-vous ce dispositif satisfaisant, notamment en termes de garanties pour le tiers demandeur et l'exploitant ? Quelles faiblesses éventuelles identifiez-vous ?

Par ailleurs, les travaux de dépollution sont souvent conçus en fonction de l'usage futur envisagé pour le site. Or les spécialistes de la réhabilitation des sols recommandent désormais que ce soit l'usage futur qui soit adapté à la situation du site et à ses possibilités de dépollution. Partagez-vous cette analyse ?

Quelles seraient vos propositions concernant les friches abandonnées qu'un certain nombre d'exploitants ou de propriétaires préfèrent geler et mettre en sécurité, au lieu de les dépolluer en raison des risques associés ? Le gel de ces friches est-il lié au coût des travaux de dépollution, à la valeur foncière insuffisante des terrains concernés, ou encore à la crainte de pollutions dangereuses que l'on pourrait découvrir a posteriori ? Que pourrait-on faire, selon vous, pour débloquer la situation ?

S'agissant des décharges, vous avez évoqué les opérations de dépollution des biocentres de Veolia. De plus, pour pouvoir utiliser plus rapidement des terrains pollués au lieu de les laisser « en jachère » durant plusieurs années, vous avez opté pour le transport des terres contaminées à l'étranger, notamment en Belgique, où les coûts de dépollution sont moins élevés qu'en France. Votre politique ne se serait-elle pas infléchie, dans un souci de réduction de la facture carbone ?

M. Jean-François Nogrette. - La réglementation européenne, notamment la directive 2010/75/UE relative aux émissions industrielles (IED), transposée par l'ordonnance du 5 janvier 2012, tend à apporter des garanties financières concernant la pollution des sols. Notre accompagnement pourrait gagner en dynamisme si nous agissions plus en amont, via des audits de sols un peu plus réguliers, au lieu d'attendre la pollution de la nappe phréatique, situation très difficilement réversible.

S'agissant des friches gelées, le propriétaire ou l'exploitant d'un site peut se sentir piégé de se voir imposer une dépollution pour une pollution antérieure. C'est pourquoi, en France, l'usage est la réalisation d'un audit préalable du site pour le compte de l'acquéreur. Toutefois, si celui-ci exerce lui-même une activité polluante, mais refuse le terrain, la pollution s'étendra ailleurs sur un site vierge. La pratique allemande pourrait nous inspirer pour donner de la valeur à des friches industrielles, qui peuvent présenter des avantages : voies d'accès, bassin d'emplois...

Travailler sur un site pollué, c'est tout à fait possible, mais en acquérir un, c'est imprudent en vertu du droit en vigueur. Il convient de mener une réflexion sur ce point, en prévoyant des garanties financières. En Allemagne, les propriétaires de ces sites sont les établissements publics régionaux, qui, sans les dépolluer, mais en les louant, maintiennent leur sécurité.

Sur les transports, je vais préciser mon propos. Comme la plupart des chantiers sont déclenchés par des opérations immobilières, nombre d'aménageurs veulent évacuer les terres pour disposer du terrain le plus tôt possible et, pour ce faire, procèdent par excavation et évacuation des terres polluées. C'est une nouveauté, car les techniques de dépollution in situ, longtemps utilisées dans le monde entier au cours des trente dernières années, sont moins utilisées en France, dont les pratiques sont très influencées par le marché de l'immobilier.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Le processus est moins vertueux !

M. Jean-François Nogrette. - Nous utilisons effectivement des moyens de transport qui n'étaient pas autant utilisés à l'époque. Néanmoins, pour réduire les coûts, nous avons de plus en plus recours à la réutilisation. Si les tarifs en Europe du Nord sont plus bas, cela ne résulte pas des techniques de dépollution utilisées, qui sont sensiblement les mêmes partout, qu'il s'agisse de la résorption thermique ou des biocentres. Cela tient à la valorisation des terres, qui présente dans ces pays un grand intérêt en vue de l'aménagement de polders.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Qu'en est-il du dispositif du tiers demandeur de la loi ALUR ?

M. Jean-François Nogrette. - Doit-on élaborer les normes en fonction de la pollution ou faut-il suivre des normes préexistantes ? Il serait peut-être moins coûteux de réfléchir aux usages possibles des terrains pollués que de projeter un arsenal juridique moins adapté. C'est l'usage aux États-Unis, où des études d'impact sont souvent réalisées avant que des solutions ne soient proposées.

M. Laurent Lafon, président. - L'exemple de l'Allemagne où l'on observe une utilisation, semble-t-il, plus rationnelle des sites pollués, dans la mesure où l'on y implante des activités elles-mêmes polluantes, paraît séduisant : en France, ne devrait-on pas prendre en compte le coût global de la dépollution ? J'entends par là, non pas son coût strictement financier, mais le coût lié à l'appréhension de travailler sur un site pollué, par exemple. Aujourd'hui, un industriel qui voudrait développer une activité polluante n'a pas intérêt à dire à ses salariés qu'il va s'installer sur un site déjà pollué. Cela correspond-il à l'une de vos préoccupations ?

M. Jean-François Nogrette. - Vous m'interrogez sur le coût global des activités de dépollution et sur l'attractivité des sites polluants, notamment ceux sur lesquels on réutilise des terres polluées, pour les personnes appelées à y travailler.

On évalue la dangerosité de ces sites en fonction des vapeurs qu'ils émettent et de ce qu'ils rejettent via les nappes phréatiques : c'est sur ces deux éléments que l'on agit quand on parle de mettre un site en sécurité. La confiance est déterminante de ce point de vue. Il existe, hélas, des sites que l'on ne sait pas réutiliser, parce qu'il s'agit d'éponges ou que les sols contiennent trop de solvants, mais il existe aussi beaucoup de sites pollués par des hydrocarbures lourds ou des métaux lourds, qui n'affleurent pas, pour lesquels on peut éviter une dispersion de la pollution dans les nappes phréatiques.

Le coût global consistant à réinvestir un site et à créer de nouvelles voies d'accès doit être évalué. On parle souvent des chemins de fer allemands : ces infrastructures existent depuis très longtemps et permettent aux sites d'être perpétuellement réinvestis. Les Allemands consacrent certaines zones à l'industrie lourde, et ce depuis des décennies.

Il est évidemment possible de faire comme en Allemagne. Si l'on considère le coût global de l'opération, le réinvestissement de sites pollués peut présenter un intérêt en termes de formation, de sous-traitance, d'apport en énergie, en voirie...

M. Alain Duran. - Je souhaite revenir sur la politique de Veolia, qui privilégie actuellement le déménagement des terres contaminées. Pourquoi déplace-t-on des terres polluées, alors que l'on est capable de les dépolluer sur place ? Votre réponse, qui me gêne un peu, consiste à dire qu'il faut aller vite, notamment en raison de la pression foncière. La société Veolia compte-t-elle revenir sur sa stratégie ? Au-delà du bilan carbone des activités de transport, n'est-il pas risqué de déplacer ces terres vers un lieu vierge de toute pollution ?

M. Jean-François Nogrette. - Je cherchais avant tout à décrire une tendance générale du marché. Veolia a beaucoup travaillé sur les techniques de dépollution in situ. La volonté de notre entreprise n'est pas d'évacuer les terres polluées et de mettre des camions sur la route. Dans la mesure où une partie de ces terres a vocation à être stockée dans une autre décharge, il s'agit en réalité d'un simple déplacement ou d'une mise en sécurité lointaine.

Veolia n'est ni investisseur ni promoteur immobilier : la société répond à des appels d'offres qui privilégient ce type d'opérations. On assiste de fait à une forme d'appauvrissement du marché en matière de technologies in situ. On déploie en effet beaucoup plus de savoir-faire sur un site qu'en évacuant des terres vers un centre de stockage.

Auparavant, on traitait les sols par désorption thermique grâce à des unités mobiles. On a finalement dû installer cette activité sur un site, car cette prestation n'était presque plus requise sur les chantiers. La demande s'est orientée vers une évacuation des terres, afin de pouvoir construire rapidement. Ce n'est peut-être pas souhaitable, c'est parfois même absurde, mais nous répondons à une tendance de fond marquée par l'impératif de valorisation foncière.

M. Joël Bigot. - Vous indiquez que la pollution la plus difficile à traiter est celle des nappes phréatiques. Or beaucoup de sites industriels sont construits à côté d'anciens sites pétroliers ou de zones profondément souillées par des pollutions aux hydrocarbures ou d'autres formes de pollutions. Vous êtes agronome de formation, vous connaissez donc l'importance de la problématique de la réhabilitation de ces sols. D'un point de vue environnemental et sanitaire, comment envisagez-vous la question de la réhabilitation des sols et de leur réappropriation ? Aujourd'hui, une certaine psychose se développe à proximité de ces sites, notamment en raison des maladies observées.

M. Jean-François Nogrette. - Les pollutions les plus difficiles à traiter impliquent des solvants chlorés, qui sont beaucoup moins répandus aujourd'hui dans la vente, mais qui restent très longtemps dans les nappes phréatiques. Ces solvants ne sont pas solubles et certains sont difficilement biodégradables. Je pense aussi aux composés fluorés que l'on trouve dans les mousses anti-incendie, qui sont très stables et non biodégradables. Il s'agit de molécules très difficiles à dépolluer, parfois cancérigènes, qui engendrent une vraie défiance.

Nombre de professionnels ont travaillé sur des techniques permettant de traiter les solvants chlorés. On utilise par exemple des pointes chauffantes pour faire sortir les solvants - ils sont volatils - des sols et des nappes phréatiques et les réduire. On parle de désorption thermique in situ. Cette technique est au point et est employée partout dans le monde.

Je ne prétends pas qu'il existerait une solution pour tous les sites, mais il existe tout de même une trentaine de techniques différentes.

La technologie de base consiste à pomper l'eau pour la traiter - on a développé beaucoup de technologies de traitement de l'eau. Elle présente toutefois des limites, car il faudrait énormément de puits, être sûr de l'hydrodynamique du terrain pour être certain d'accéder à toute la pollution.

La pollution des nappes phréatiques n'est pas facile à décrire. On n'y a pas accès quand ces nappes sont profondes et la dynamique du terrain est rarement homogène. De plus, l'hydrologie d'un terrain contaminé n'est pas chose simple. Les nappes phréatiques ne sont pas visitées ni remaniées. Si personne ne s'en occupe, le panache s'étend année après année, rendant certaines nappes inutilisables. J'insiste à cet égard sur l'importance de la surveillance des sites : il est beaucoup moins coûteux pour un industriel de traiter la fraction partielle du sol pollué que d'attendre que la nappe soit polluée.

L'information des riverains ou des propriétaires de sites est primordiale. Beaucoup de techniques sont au point pour mesurer l'incidence d'une nappe en termes de pollution. Une nappe peut, hélas, laisser échapper des vapeurs qui peuvent remonter à la surface. Dans une cave ou un endroit confiné, cela peut se révéler grave.

M. Laurent Lafon, président. - Avez-vous des remarques à formuler sur la qualité du travail des bureaux d'études, sachant que des liens financiers s'établissent nécessairement entre ces bureaux et les donneurs d'ordre ?

M. Jean-François Nogrette. - J'ai en tête un cas de figure particulier, celui de la dépollution des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), qui est beaucoup mieux encadré que les autres, car c'est la Dreal qui oriente la stratégie de dépollution. Dans ce cas, le bureau d'études réalise le diagnostic, mais il est borné par un document émanant de l'administration.

Ce n'est pas le cas pour tous les marchés. Les bureaux d'études sont en général capables et professionnels. Le problème, c'est qu'il leur est difficile d'être également les garants, à chaque étape, d'un certain nombre de bonnes pratiques. Beaucoup d'opérations sont aujourd'hui trop peu surveillées ou encadrées.

J'ai parlé de la valorisation des terres : il est important que l'on envoie des terres réellement dépolluées - les biocentres ne peuvent pas traiter n'importe quelle terre -, car il faut éviter toute dispersion de la pollution. On a parlé du transport, mais on pourrait aussi parler de l'adéquation entre la nature de la pollution et le type de dépollution. À mon sens, il faudrait un encadrement un peu plus strict des procédures, comme pour les ICPE.

Je ne veux pas laisser penser que les bureaux d'études sont laxistes. Ce qui joue le plus, c'est le déficit d'encadrement, qui conduit à opter pour des solutions peu souhaitables sur le plan environnemental.

M. Pascal Savoldelli. - Ces dernières décennies, avez-vous observé une évolution en ce qui concerne le type de transport utilisé pour le déplacement des terres ? Pensez-vous que l'organisation du transport va évoluer, dès lors que l'on ne travaille plus autant sur la dépollution in situ ?

M. Jean-François Nogrette. - Je n'ai pas de vision exhaustive de cette problématique ; je peux simplement témoigner de ce que j'observe, à savoir que beaucoup de trajets vers l'étranger, notamment les Pays-Bas, se font par voie fluviale. Quand on procède à des opérations de dépollution en Allemagne, en Amérique du Nord, ou même en Italie, on a davantage recours au transport ferroviaire qu'en France. C'est même l'une des conditions de la signature d'un contrat pour beaucoup de marchés en Allemagne et en Suisse.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Le secteur de la dépollution des sols fait-il l'objet d'une forte concurrence tarifaire, tant au niveau national qu'en Europe ? Il s'agit d'une question importante dans la mesure où nous parlons d'une filière économique d'avenir.

M. Jean-François Nogrette. - Certains opérateurs étrangers interviennent depuis des sites français et nous sommes capables d'agir depuis l'étranger, de l'Italie notamment, quand il est question d'opérations significatives, qui nécessitent que l'on reste longtemps sur un site : on va alors déplacer des unités mobiles, employer des technologies de traitement et mettre en place un chantier qui peut durer un, deux ou trois ans. Pour ce type d'opérations, le marché est européen.

En revanche, quand on déplace des terres polluées, il s'agit souvent de trajets courts, sauf pour les Pays-Bas qui pratiquent une valorisation des terres dans les polders. Des terres du sud de l'Italie remontent ainsi vers les Pays-Bas, ce qui paraît un peu absurde.

En dehors de cas de figure dans lesquels on est contraint d'incinérer les terres, ce qui suppose des trajets vers les grands incinérateurs européens, ou le cas de pollutions spécifiques, comme le traitement des polychlorobiphényles (PCB) ou de molécules un peu particulières, qui impliquent des trajets dans l'Europe entière, les opérations physiques se ressemblent et diffèrent peu en termes de coût. La réalisation des chantiers, l'énergie employée sont comparables à ce que l'on observe sur des chantiers plus classiques.

Je le répète, la tendance actuelle est au transport des terres plutôt qu'au traitement de la pollution in situ, si bien que de plus en plus de grands centres de traitement sont en concurrence. Il y a dix ans, c'étaient plutôt les équipes de terrain, les géologues et les hydrogéologues, qui l'étaient.

Mme Florence Lassarade. - Je trouve passionnant que l'on puisse valoriser des terres grâce aux polders. Pensez-vous que, un jour, on pourra utiliser ces terres redevenues propres sur notre littoral ?

M. Jean-François Nogrette. - Si les Pays-Bas en ont été capables, c'est parce qu'ils bénéficient d'un encadrement très étroit et ancien de ce que l'on appelle la valorisation des terres. Cela suppose par exemple de refuser toutes les terres contenant des métaux, même en faible quantité. La technique majoritairement utilisée est celle de la désorption thermique, qui permet d'éliminer les matières organiques, comme les hydrocarbures, mais pas le reste. Cette technique est tellement efficace que les terrains en deviennent stériles ce qui, du point de vue agronomique, est catastrophique. Toutes les formes de pollutions ne peuvent donc pas être traitées dans le cadre de ces dispositifs.

Le principal danger que font courir les procédés de valorisation des terres est celui d'une dilution de la pollution à la source. C'est la qualité de l'encadrement réglementaire qui fait la qualité de la réutilisation des terres. Cet encadrement se renforce en France, mais reste encore insuffisant.

M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions pour les réponses précises que vous nous avez données.

La téléconférence est close à 18 h 35.

Mercredi 20 mai 2020

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La téléconférence est ouverte à 16 h 45.

Audition de M. Jean-Louis Samson, directeur immobilier de l'entité Global Business Group Support du groupe Engie, Mmes Mélody Gehin, conseillère environnement, et Laetitia Lafargue, juriste en droit de l'environnement du groupe Engie (en téléconférence)

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de trois représentants du groupe Engie : M. Jean-Louis Samson, directeur immobilier de l'entité Global Business Group Support ; Mme Mélody Gehin, conseillère environnement ; et Mme Laetitia Lafargue, juriste en droit de l'environnement du groupe Engie.

Un certain nombre de sites pollués recensés dans les bases du ministère de l'écologie ont été exploités par des usines à gaz dont Gaz de France, une des entités constitutives d'Engie, a été propriétaire. Il sera donc intéressant de recueillir l'éclairage du groupe Engie sur le recensement qu'il fait des sites que ses entités ont eu à exploiter et qui sont désormais pollués. À cet égard, mesdames, monsieur, quel est votre sentiment sur la qualité des outils de recensement des sites mis en place par l'État, en particulier des secteurs d'informations sur les sols (SIS) ?

Pourriez-vous également nous donner une évaluation du montant des moyens que vous avez consentis jusqu'ici à la dépollution des sites qui ont été exploités par vos entités constitutives ? En matière de dépollution, agissez-vous généralement comme maître d'ouvrage ou avez-vous recours, dans certains cas, au dispositif du tiers demandeur ? Trouvez-vous ce dispositif satisfaisant en termes de garanties et d'efficacité ?

Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes que vous pouvez vous répartir entre vous, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Vous êtes appelés à prêter serment en laissant bien entendu votre caméra et votre micro allumés.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Louis Samson ainsi que Mmes Mélody Gehin et Laetitia Lafargue prêtent serment.

Mme Laetitia Lafargue, juriste en droit de l'environnement du groupe Engie. - Engie a pour ambition de devenir le leader mondial de la transition bas carbone clef en main pour ses clients, notamment les entreprises et les collectivités territoriales, en inscrivant au coeur de ses métiers - énergies renouvelables, gaz, services - la croissance responsable. Le groupe emploie 170 000 collaborateurs dans le monde, dont 75 000 en France. L'État français détient 23,64 % de son capital.

Global Business Group Support (GBS), entité créée en juillet 2014, est dotée de l'autorité managériale et regroupe près de 2 000 collaborateurs répartis dans plusieurs pays. Ses principales missions sont de standardiser, simplifier et sécuriser les processus, de contribuer à la performance du groupe et d'accompagner sa transformation. Sa direction immobilière et logistique gère 1 500 sites en France et en Belgique.

Nous avons choisi répondre au questionnaire que vous nous avez adressé en nous limitant aux anciennes usines à gaz qui étaient exploitées par Gaz de France. Engie et ses filiales exploitent en effet des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) - stockage de gaz, travail mécanique des métaux, parcs éoliens... - qui sont encore en activité ; celles qui ont fait l'objet d'une cessation d'activité récente ne nous semblent pas concernées par la problématique des sites et sols pollués.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - En tant que représentants des collectivités territoriales, nous sommes souvent saisis de la problématique des friches gelées. Existe-t-il des sites, parmi ceux dont vous avez la responsabilité, qui se trouvent dans cette situation et font l'objet d'une simple mise en sécurité, mais pour lesquels aucune opération de dépollution et aucun usage futur ne sont envisagés ? Quels sont les points de blocage expliquant que ces sites soient laissés en friche ? Est-ce en raison du coût des travaux et de la faible valeur foncière de ces sites ?

Pourriez-vous revenir sur les relations que vous entretenez avec les élus locaux et les services de l'État, notamment les préfets, pour la mise en oeuvre de projets de réhabilitation de sites que vous avez cessé d'exploiter ? Identifiez-vous des difficultés pour la conception et la mise en oeuvre de ces projets de réhabilitation ?

En mai 2019 a été annoncée la vente par Engie d'une cinquantaine de ses anciennes usines à gaz à Vinci Immobilier et à Brownfields, regroupés dans une joint-venture dénommée Speed, dans le cadre du dispositif du tiers demandeur. À ce stade, quelle évaluation faites-vous des opérations engagées pour la réhabilitation des sites concernés ? Pensez-vous que cette opération permettra d'augmenter la valeur foncière des sites, sachant que près d'un quart des sites que vous avez vendus ont des valeurs immobilières négatives ? Ces sites seront-ils principalement mobilisés pour des programmes immobiliers, ou d'autres usages sont-ils envisagés dans une perspective d'aménagement durable des territoires ?

La méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués étant publiée non pas sous la forme de lois et règlements, mais d'un guide des bonnes pratiques, les diagnostics de dépollution des sites n'ont sont-ils pas moins sûrs ? Pouvez-vous nous présenter le guide méthodologique adopté par Engie ? Quelle est votre approche face au vide de la réglementation sur ce sujet ?

M. Jean-Louis Samson, directeur immobilier de l'entité Global Business Group Support du groupe Engie. - Permettez-moi de faire un petit historique. Au XIXe siècle, de nombreuses sociétés privées exploitaient en France des usines de production de gaz de houille. Une loi de 1946 ayant nationalisé la production de gaz et d'électricité, les sociétés produisant plus de six millions de mètres cubes de gaz par an ont donc été transférées à l'établissement public Électricité de France-Gaz de France (EDF-GDF), lequel a été dissocié peu après. Après cette séparation des actifs, la majorité des usines à gaz sont entrées dans le patrimoine de GDF-Suez, même si quelques-unes sont restées dans celui d'EDF. Plusieurs de ces sites étaient d'ores et déjà désaffectés, avant même la nationalisation. D'autres ont poursuivi leur activité jusqu'aux années 1970. La dernière usine à gaz a fermé en 1971. Les fermetures avaient commencé depuis la découverte, dans les années 1950, du gaz naturel, qui a progressivement remplacé le gaz de houille. La majorité des sites ont alors été reconvertis pour accueillir les activités de Gaz Réseau Distribution France (GRDF).

D'autres sites, gérés localement, ont été rétrocédés aux collectivités. En 1996, GDF a lancé un premier recensement, dans le cadre d'un protocole signé avec le ministère de l'environnement sur la maîtrise et le suivi de la réhabilitation des anciens terrains et usines à gaz. Ont été dénombrées sur le territoire français 467 de ces anciennes usines et stations gazométriques, qui ont fait l'objet d'une classification en cinq catégories selon leur effet potentiel sur l'environnement et sur l'homme. Des diagnostics pour la recherche de cuves et d'ouvrages pouvant contenir des produits polluants ont été réalisés dans les cas d'identification de sources primaires de pollution ; ces produits ont alors été éliminés. Engie a aujourd'hui la maîtrise foncière de 470 sites, dont 357 ont accueilli une activité de production ou de gestion du gaz ou une station gazométrique.

Les friches industrielles sont un enjeu important pour les collectivités locales puisque, autrefois situées en périphérie, elles sont aujourd'hui rattrapées par l'urbanisation. Il convient donc de les réhabiliter. Engie a la volonté de céder ces sites vacants, qui ne répondent plus aux besoins de ses métiers, qui ont un coût en termes de charges opérationnelles courantes, et dont environ 25 % se situent dans des communes de moins de 5 000 habitants. En fonction des plans locaux d'urbanisme (PLU), les équipes immobilières d'Engie traitent de projets de reconversion foncière, en lien avec les collectivités et en partenariat avec des promoteurs nationaux et régionaux. En 2018, nous avons mis en place un plan national, le projet Speed, afin d'accélérer la cession de ces actifs et leur réhabilitation.

Depuis 2015, une quinzaine de transactions immobilières de ce type ont été signées. En janvier 2019 est intervenue une opération d'envergure : le consortium réunissant Vinci et Brownfields a acquis une cinquantaine d'actifs immobiliers appartenant à Engie et répartis sur l'ensemble du territoire français métropolitain. Ces sites représentent 350 000 mètres carrés de terrains à réhabiliter. Leur reconversion foncière est soumise à la procédure du tiers demandeur, prévue dans le décret du 18 août 2015, en application de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR. Cette procédure permet à un tiers qui en a fait la demande de se substituer au dernier exploitant industriel, en vue d'assurer la réhabilitation des sites par un changement d'usage. Dans la majorité des cas, il s'agit de reconvertir d'anciens sites industriels en logements ou en projets mixtes comprenant des activités tertiaires.

Cette démarche novatrice est favorable aux collectivités. L'équilibre du portefeuille d'actifs constitué par Engie a permis le succès de l'appel d'offres, qui a été remporté par le consortium Vinci-Brownfields. Celui-ci a prévu de développer des opérations immobilières sur 150 000 mètres carrés de surface de plancher, ce qui représentera environ 2 200 logements en accession sociale et résidences services.

Mme Mélody Gehin, conseillère environnement. - Parmi les obstacles à la reconversion des friches industrielles figurent les problèmes liés à la gestion des terres. En effet, les terres extraites pour créer des sous-sols et de nouveaux aménagements ne sont pas forcément « inertes », au sens de l'arrêté du 14 décembre 2014, et des coûts sont liés à leur traitement hors site. Le statut réglementaire des déchets est très encadré en France, bien qu'il tende à s'assouplir, ce qui explique que ces terres finissent souvent dans une décharge.

Un autre obstacle est la méconnaissance des enjeux de la reconversion des sites industriels par certains acteurs, qui renoncent à ces projets en raison de leur complexité.

Il faut aussi citer la localisation des sites, et donc la valeur qui y est attachée, ainsi que la programmation prévue par la collectivité lorsqu'elle n'est pas conciliable, d'un point de vue économique et technique, avec le passif industriel du site.

Mme Laetitia Lafargue. - La procédure du tiers demandeur, créée par la loi ALUR en 2014 et très encadrée par le code de l'environnement, a pour objectif de faciliter la reconversion des friches industrielles.

Première étape : il faut recueillir l'accord du dernier exploitant sur l'usage futur envisagé. Sont également nécessaires l'avis du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent en matière d'urbanisme, et du propriétaire s'il n'est pas l'exploitant. Le tiers demandeur doit ensuite déposer une demande d'accord préalable auprès du préfet, qui se prononce au regard des documents d'urbanisme en vigueur au moment de la demande.

Deuxième étape : le dossier de substitution, approuvé par le dernier exploitant et envoyé au préfet par le tiers demandeur. Il comprend un mémoire sur l'état des sols et eaux souterraines, et sur les mesures de gestion envisagées pour rendre le site compatible avec l'usage proposé par le tiers demandeur. Y sont indiqués la durée et le montant estimés des travaux de réhabilitation, les capacités techniques et financières du tiers demandeur, la répartition des mesures de dépollution et de surveillance entre celui-ci et le dernier exploitant. Le préfet se prononce par un arrêté fixant les délais et le montant des travaux, ainsi que les garanties financières.

Troisième étape : à l'issue des travaux, un inspecteur de l'environnement constate leur conformité et établit un procès-verbal.

Cette procédure établit un réel partenariat entre l'exploitant et le tiers demandeur. Elle assure une grande sécurité juridique : les garanties financières associées, constituées pour l'ensemble des travaux assurant la compatibilité du site avec l'usage futur, permettent de pallier la potentielle défaillance du tiers demandeur. Sur le plan technique, la validation finale par les services de l'État sécurise également le dispositif de réhabilitation.

M. Laurent Lafon, président. - Nous connaissons les procédures. Ce sont l'expérience que vous en avez et surtout leurs améliorations éventuelles qui nous intéressent.

Mme Mélody Gehin. - Nous avons rappelé la procédure tiers demandeur pour insister sur le fait qu'elle est complète.

M. Jean-Louis Samson. - Nous sommes convaincus de la pertinence de la procédure tiers demandeur. Cette procédure, clairement encadrée par le code de l'environnement, nous permet d'accélérer et de sécuriser nos cessions et d'obtenir des garanties par rapport aux travaux de réhabilitation. Elle est plutôt facilitatrice : étant bien cadrée, elle nous permet de ne pas perdre de temps et d'entrer directement dans un dialogue très clair, notamment sur les contreparties et les engagements que chacun doit prendre.

Nous avons nous-mêmes utilisé cette procédure dans le cadre de l'acquisition d'un site : Engie s'est porté tiers demandeur par rapport au dernier exploitant, qui était un ancien constructeur automobile.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Vous n'avez pas répondu à la question sur la dépollution des sites : le fait qu'il n'y ait qu'un guide de bonnes pratiques, et non une méthodologie nationale fixée par la loi ou le règlement, constitue-t-il une insécurité juridique ?

Mme Mélody Gehin. - Aujourd'hui, les outils méthodologiques qui ont été mis à jour en 2017, faisant suite aux outils de 2007, sont reconnus et utilisés par tous, notamment par l'ensemble des bureaux d'études certifiés LNE Sites et sols pollués. Juridiquement, ils n'ont pas valeur de loi, mais, sur le plan technique, tous les utilisateurs l'appliquent de la même manière, même s'il peut y avoir des interprétations différentes. Ils sont aujourd'hui la règle dans le domaine des sites et sols pollués et ne sont pas remis en cause. Pour autant, des améliorations sont possibles sur les aspects techniques.

M. Laurent Lafon, président. - À quelle échéance de temps comptez-vous parvenir à la cession de la totalité des sites qui sont en votre propriété ?

La pollution de la nappe souterraine représente-t-elle une difficulté supplémentaire dans le cadre des cessions ? Est-elle plus coûteuse et complexe à traiter ? Rend-elle le site moins facile à céder ? Existe-t-il des sites sur lesquels on aurait trouvé une pollution après leur aménagement, engageant a posteriori la responsabilité de Gaz de France, donc d'Engie ?

M. Jean-Louis Samson. - Aujourd'hui, tous les sites d'Engie ne sont pas à vendre. Certains continuent à être utilisés dans le cadre des activités de GRDF et d'Enedis. Nous avons mis en place un plan de gestion pour permettre l'occupation tertiaire de ces anciennes usines à gaz.

Pour ce qui concerne les sites vacants, notre objectif est de céder 187 sites dans les cinq prochaines années. Pris isolément, ces sites n'ont pas tous une valeur positive. Leur revalorisation ou leur cession n'est pas forcément possible. C'est la raison pour laquelle nous sommes dans une logique de constitution de portefeuilles, comme nous l'avons fait avec les cinquante premiers sites, afin de leur trouver rapidement une destination et d'intéresser des acteurs ayant une taille suffisamment importante pour pouvoir les reconvertir vite.

Aujourd'hui, nous privilégions la procédure de tiers demandeur, parce qu'elle est encadrée et permet d'accélérer les cessions, mais nous avons, par le passé, réalisé des cessions en dehors de cette procédure. Ainsi, la société Engie s'est chargée de la dépollution et de la réhabilitation de sites préalablement à leur cession, sur la base du programme que le promoteur voulait réaliser et toujours en lien avec les collectivités.

Mme Mélody Gehin. - L'ensemble de nos sites ont fait l'objet d'un recensement dans le cadre du protocole. Il y a eu toute une phase de diagnostic et de travaux. Ainsi, 73 sites ont fait l'objet d'arrêtés préfectoraux. Beaucoup mettaient en place le suivi de la qualité des eaux souterraines. Aujourd'hui, 48 de nos sites continuent de faire l'objet d'un suivi réglementaire. Les arrêts ont fait l'objet d'une validation par l'administration, notamment par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).

Le niveau de pollution est globalement stable depuis vingt ans. Les polluants sont présents à l'état de traces. Il ne s'agit pas de grosses pollutions. Ces traces nécessitent que le suivi soit maintenu. Il peut être maintenu postérieurement à une cession, au moyen d'une simple servitude d'accès aux ouvrages. Cette servitude est assez facile à mettre en place quand elle est intégrée en amont dans le projet du promoteur et quand les ouvrages se trouvent sur des parties publiques et accessibles. La pollution des eaux souterraines ne constitue donc pas aujourd'hui une contrainte pour la cession éventuelle d'un site.

Engie n'a pas connaissance de sites déjà aménagés où l'on aurait retrouvé, postérieurement à l'aménagement, une pollution empêchant l'usage.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Quand la société Engie est amenée à remettre elle-même un site en état, comment se passent les négociations avec la préfecture ou avec les autorités de contrôle ?

Mme Mélody Gehin. - Le tiers demandeur est souvent accompagné d'un conseil, qui est un bureau d'études certifié ayant une compétence en matière de sites et sols pollués. Ce dernier établit un plan de gestion compte tenu des usages projetés sur le site. L'administration peut ensuite faire des commentaires sur ce document pour demander des précisions techniques. Aujourd'hui, cela se passe plutôt bien.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Ce qui m'intéresse, c'est la manière dont se passent les négociations en dehors de la procédure de tiers demandeur.

Mme Mélody Gehin. - Ce sont plutôt les acquéreurs qui vont être en lien avec l'administration, en particulier avec les Dreal et les préfectures, notamment dans le cadre de l'instruction de leurs autorisations administratives.

On constate une hétérogénéité des positions de l'administration sur le territoire. Ainsi, les inspecteurs sont davantage sensibilisés aux problématiques de sites et sols pollués dans les bassins industriels historiques. Étant réalisés par des bureaux d'études certifiés, les documents apportés à l'administration sont fiables. Ils permettent d'éclairer sur les actions qui vont être menées.

M. Jean-Louis Samson. - Nous sommes relativement rarement en lien direct avec les préfectures pour la validation des plans de réhabilitation. En effet, c'est le promoteur qui établit le plan de réhabilitation et qui doit le faire valider, puisque c'est lui qui substitue Engie dans la réhabilitation et le changement d'usage. C'est donc lui qui négocie avec la préfecture, même si nous sommes amenés à valider ce plan au titre du dernier exploitant.

En dehors de la procédure tiers demandeur, quand nous réhabilitons, avant de le céder, un site qui va faire l'objet d'un changement d'usage, nous négocions directement avec la préfecture pour la validation du plan de réhabilitation qui va être mis en place.

Sur ce sujet, la diversité des positions des Dreal sur le terrain est parfois un peu compliquée. Nous devons nous adapter en fonction des interlocuteurs. Cela dit, nous suivons les méthodologies que nous vous avons présentées et nous trouvons généralement un terrain d'entente pour la validation du plan.

Mme Laëtitia Lafargue. - Nous n'avons pas de relations directes avec les préfectures dans le cadre de cessions classiques, nos activités ayant cessé il y a longtemps - la dernière usine a été arrêtée en 1971.

Aujourd'hui, les travaux que nous réalisons sur nos sites ont surtout lieu dans le cadre de cessions, dans le respect de nos accords contractuels. En revanche, pour ce qui concerne la procédure tiers demandeur, nous sommes en lien direct avec les préfectures, puisqu'il s'agit d'une procédure administrative.

M. Jean-Louis Samson. - En dehors de la procédure de tiers demandeur, nous ne sommes pas en lien avec les préfectures.

M. Alain Duran. - Lors de leur recensement, les 467 anciennes usines à gaz ont été classées en cinq catégories. Pourriez-vous nous préciser ces cinq catégories ainsi que la répartition des différents sites pollués au sein de celles-ci ? Quid des sites que vous n'avez pas vendus à Vinci et que vous ne comptez pas céder dans les cinq prochaines années ? De quelles catégories relèvent-ils ?

Mme Mélody Gehin. - Nous pourrons vous préciser le nombre de sites par catégorie dans le questionnaire écrit. Ces sites ont été classés en fonction de leur caractère sensible pour l'homme et pour l'environnement.

L'ensemble des informations sur les sites ont été recensées lors de l'élaboration du protocole d'accord entre le ministère de l'environnement et Gaz de France. Nous ne cherchons pas aujourd'hui à savoir de quelle classe relèvent nos sites, sachant que, depuis la fin du protocole, l'information environnementale est mise à jour à l'occasion des cessions, au titre de notre obligation en tant que vendeur.

M. Jean-Louis Samson. - Je ne saurais vous dire dans le détail à quelles catégories du protocole appartiennent les 187 sites que nous comptons céder. Nous disposons de la documentation nécessaire, mais nous ne suivons pas particulièrement ce dossier aujourd'hui. En cas de cession, nous ne faisons pas référence à la classe dont relevait le site.

Nous avons réalisé l'ensemble des travaux de dépollution des sites, comme convenu aux termes du protocole.

Mme Laëtitia Lafargue. - En 2007, une note a mis fin au protocole, qui avait été établi pour une durée de dix ans. Dans cette note, il a été constaté que Gaz de France avait respecté l'ensemble des obligations que lui conférait le protocole.

Nous sommes aujourd'hui soumis aux obligations du code de l'environnement. Lorsque nous réalisons des cessions, nous respectons toutes nos obligations d'information sur l'état environnemental de nos sites. Une équipe dédiée au sein de Global Business Support, dont Mélody Gehin fait partie, réalise un travail de recensement d'informations et d'étude des sols.

M. Laurent Lafon, président. - Avez-vous vérifié que tous les sites figurent dans les bases de données Basol et Basias ?

Mme Mélody Gehin. - Quand la fin du protocole a été actée, il a été convenu entre les Dreal et Gaz de France qu'une mise à jour des informations relatives à l'ensemble des sites serait effectuée dans les bases de données Basol et Basias. Nous n'avons pas vérifié la réalité de cette mise à jour. Toutefois, quand nous procédons à cette vérification dans le cadre de cessions, nous trouvons trace de nos sites soit dans Basol soit dans Basias.

Mme Laëtitia Lafargue. - Ces bases sont très utiles et il est très important qu'elles existent, mais on remarque parfois que certaines informations concernant nos sites n'y sont pas mises jour. Cette situation pourrait sans doute être améliorée.

M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions des réponses que vous nous avez apportées. Nous attendons vos réponses écrites.

Audition de MM. Azad Kibarian, directeur général de Suez Industrial Waste Solutions, Thierry Mechin, directeur général délégué de Suez Industrial Waste Solutions, Cyril Fraissinet, directeur de la stratégie de Suez Industrial Waste Solutions et Mme Nora Megder, directrice déléguée aux relations institutionnelles - Recyclage et Valorisation France du groupe Suez (en téléconférence)

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos auditions avec quatre représentants du groupe Suez : M. Azad Kibarian, directeur général de Suez Industrial Waste Solutions, M. Thierry Mechin, directeur général délégué de Suez Industrial Waste Solutions, M. Cyril Fraissinet, directeur de la stratégie de Suez Industrial Waste Solutions, et Mme Nora Megder, directrice déléguée aux relations institutionnelles - Recyclage et Valorisation France du groupe Suez. Il est intéressant que nous puissions connaître l'activité de Suez en matière de dépollution des sols et eaux pollués ainsi que ses efforts de réhabilitation de sites pollués.

Quelle évaluation faites-vous des techniques de dépollution actuellement disponibles et pratiquées en France, au regard de leur faisabilité technique, mais aussi de leur coût ? Quel regard portez-vous sur la méthodologie suivie par les bureaux d'études dans leur diagnostic des sols et leur évaluation des dépollutions nécessaires ? La qualité de ces études vous paraît-elle homogène et, globalement, satisfaisante ?

Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire, je vous rappelle que tout faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure », en laissant bien entendu votre caméra et votre micro allumés.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Azad Kibarian, Thierry Mechin et Cyril Fraissinet ainsi que Mme Nora Megder prêtent serment.

M. Azad Kibarian, directeur général de Suez Industrial Waste Solutions. - Nous vous remercions de nous donner l'occasion de vous exposer les activités de Suez en matière de dépollution des sites et sols et de partager avec vous nos points de vue sur les évolutions attendues par nombre de parties prenantes.

Voilà cent soixante ans que le groupe Suez délivre des services essentiels, au travers de ses activités en matière d'eau et de déchets. Un message très fort a été relayé récemment autour de sa raison d'être, qui est de façonner un environnement durable, dès maintenant. Le groupe a fortement insisté sur trois dimensions des services qu'il fournit déjà et qu'il souhaite fournir encore davantage à ses parties prenantes : l'air, l'eau et la terre, qui est un peu le parent pauvre en termes de réglementation, mais aussi de visibilité des métiers pratiqués par Suez. Nous sommes évidemment très heureux que le groupe insiste sur cette dimension dans le cadre de nos développements.

Industrial Waste Solutions (IWS) englobe toutes les activités menées dans six pays européens en matière de gestion des déchets dangereux et des terres polluées, excavées ou non ; conduit les chantiers de dépollution ou de remédiation dans ces six pays et emploie, à cette fin, près de 2 000 collaborateurs. Nous sommes présents dans la remédiation depuis une trentaine d'années.

Nos activités en matière de remédiation et de dépollution couvrent toute la chaîne de valeur, du diagnostic environnemental à la conception de solutions, jusqu'à la mise en oeuvre de celles-ci en termes techniques très concrets.

Nous mobilisons une très grande variété de techniques, qui dépendent d'un grand nombre de facteurs. Il s'agit parfois simplement d'un traitement in situ, qui consiste à laisser la terre en place et à injecter des fluides afin de traiter et d'abattre la pollution. Il peut s'agir d'excaver les terres, soit en les travaillant et en les réutilisant sur site, soit en les envoyant ailleurs - dès lors que nous les traitons à l'extérieur, nous tombons sous le coup de la réglementation relative aux déchets. En fonction des seuils de pollution, nous pouvons recourir à un très grand nombre de techniques : lavage, traitement biologique ou encore incinération, pour des pollutions extrêmement complexes.

À ce titre, Suez a réalisé de très grands chantiers. Une référence emblématique que le groupe met volontiers en avant est le site de Chesterfield, au Royaume-Uni. Cette ancienne friche d'une centaine d'hectares a été revitalisée. Des quantités absolument colossales de terres ont été travaillées et l'environnement a été régénéré.

Depuis une trentaine d'années, plus de 5 000 chantiers de dépollution, allant de quelques milliers à quelques dizaines de millions d'euros, ont été réalisés dans la seule France. Ces dernières années, nous avons été amenés à réaliser des chantiers de plusieurs dizaines de millions d'euros, principalement sur des sites industriels, en activité ou non. Certains ne sont pas terminés.

Pour ce qui concerne le volet diagnostic, nous avons réalisé, au cours de ces trente dernières années, environ 11 500 études en vue de travaux de dépollution. De manière plus spécifique, Suez intervient pour des dépollutions pyrotechniques, parfois dans l'urgence. Ces dépollutions vont de la caractérisation des pollutions pyrotechniques jusqu'à leur neutralisation, lorsqu'il s'agit de terrains militaires.

L'activité de remédiation et de dépollution a représenté, en France, un peu moins de 70 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2019. Avec la covid-19, cette activité a été brutalement arrêtée. Le choc a été instantané. À peu près tous les donneurs d'ordre ont fait cesser les travaux. Les choses reprennent doucement.

Parmi les grandes références en France figure Metaleurop, à Noyelles-Godault. Ce site est aujourd'hui un écopôle, qui héberge de nombreuses activités de Suez : centre de tri, recyclage de câbles, plateforme de traitement des terres... La revitalisation a été non seulement industrielle, mais également sociale. C'est Thierry Mechin qui a été à la manoeuvre. Nous pouvons également citer l'ancien site Giat de Saint-Chamond.

Nous sommes très présents en Belgique et aux Pays-Bas, où la pression foncière a joué un rôle très important dans les méthodologies, les lois et réglementations qui ont été mises en oeuvre. Nous le sommes un peu moins en Allemagne et de plus en plus en Espagne et en Italie. Chaque pays a intégré ses contraintes géologiques et hydrogéologiques, son histoire industrielle, la pression foncière. Il y a aussi, aux Pays-Bas, un enjeu de sécurisation de la terre par rapport aux milieux marins. Tout cela a conduit à l'émergence de différentes réglementations et à une approche radicalement différente entre, d'une part, les pays très contraints en termes fonciers que sont l'Italie, la Belgique et la Hollande et, de l'autre, la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Allemagne et la France, qui disposent de plus d'emprises. L'approche, en France, est plus axée sur le risque. En Belgique, en Italie et aux Pays-Bas, elle repose davantage sur la notion d'usage futur. C'est une différence très importante.

Cet exercice de comparaison a pu guider les réflexions en cours autour de la sortie du statut de déchet pour les terres excavées. Sans surprise, la société Suez est très attachée à ce que l'on puisse valoriser la ressource autant que possible, mais nous sommes également extrêmement sensibles à la protection de l'environnement et de la santé - je le suis également en tant que citoyen - et très préoccupés par une perte éventuelle de traçabilité. Il ne faudrait pas qu'une réglementation qui nous permettrait de valoriser davantage la ressource entraîne un bénéfice en matière de comptabilité environnementale, au détriment d'impacts sur la santé et l'environnement que l'on ne saurait maîtriser. Les évolutions nous paraissent a priori positives, mais le fait que des opérations de sortie du statut de déchet soient envisagées sur des sites qui ne relèvent pas de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement nous préoccupe.

La notion de sortie du statut de déchet me paraît extrêmement importante. Il est absolument remarquable que la France souhaite avancer dans cette direction, alors même que nous avons une loi sur l'eau, une loi sur l'air, mais pas de loi sur les sols. S'il existe aujourd'hui un certain nombre de dispositions réglementaires, les sols sont un peu le parent pauvre de la législation.

On voit, de temps en temps, des aberrations. Ainsi, certaines terres qui pourraient être laissées sur site, leur niveau de pollution étant tout à fait compatible avec l'usage envisagé - la construction d'un immeuble, par exemple -, sont excavées, ce qui oblige à un traitement en centre de stockage. Pour dire les choses simplement, la gestion des sols se fait en creux des autres réglementations, ce qui est préoccupant.

Nous sommes évidemment ravis que vous nous saisissiez de ce sujet. Nous considérons que les sols sont une ressource et regrettons qu'ils accueillent des pollutions anciennes.

Vous nous avez interrogés sur le recensement des pollutions. Je pense que les pouvoirs publics avancent dans le bon sens avec les secteurs d'information sur les sols (SIS). Cependant, je ne suis pas sûr que cela soit suffisant. C'est aussi la vocation des bureaux d'études que de compléter ce recensement.

Aujourd'hui, nous appelons véritablement de nos voeux une évolution de la réglementation concernant les sols. Les sujets de l'eau et des sols sont souvent intrinsèquement liés. Quand il y a une dépollution des sols à mener en urgence, c'est bien souvent parce que l'aquifère est en jeu. Mais les sols sont un sujet en tant que tel. Ils ne doivent pas être traités de manière accessoire.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Votre propos liminaire illustre la détermination de Suez en matière de revalorisation et de dépollution des sols. La fermeture des décharges pouvait constituer une difficulté pour votre entreprise, mais vous avez su rebondir, avec la création de ces plateformes de traitement des déchets.

Quelle est votre évaluation du tiers demandeur, qui a été introduit par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) ? Êtes-vous déjà intervenu en tant que maître d'oeuvre pour la réalisation de travaux de dépollution en étant sollicités par un tiers demandeur ? Le dispositif vous paraît-il satisfaisant, en termes notamment de garanties pour le tiers demandeur et l'exploitant ? Identifiez-vous des faiblesses ? Quelles améliorations pourraient être apportées ?

Les travaux de dépollution ne dépendent-ils pas trop souvent de l'usage envisagé alors qu'il serait parfois préférable de faire le contraire, en adaptant l'usage futur à l'état du site et à la faisabilité technique des solutions de dépollution ?

Pouvez-vous détailler davantage vos actions de valorisation des terres polluées et de recyclage des déchets ? Les plateformes de traitement des terres que vous avez lancées vous semblent-elles des outils de mutualisation efficaces ? Quels freins rencontrez-vous ?

M. Azad Kibarian. - Suez a été précurseur sur les plateformes de traitement des terres. Nous avons assez rapidement réalisé que le fait d'avoir seulement des solutions d'élimination des terres les plus polluées était vraiment trop réducteur et ne saurait accompagner le développement foncier là où il pouvait présenter un intérêt économique. Notre groupe s'est doté de six plateformes en France. Ce sont des outils de travail de la pollution. Nous menons des opérations assez simples de séparation de différents lots de terres, de traitement biologique et de criblage, dans l'objectif de valoriser un maximum les fractions et de réduire les coûts de traitement. Nous sommes résolument tournés vers la valorisation.

Les plateformes de terres sont indispensables dans notre maillage industriel. Nous sommes amenés à y déporter la pollution et à prendre le temps de la travailler, afin d'optimiser le traitement et la valorisation. Nous savons que les terres bleues sont a priori problématiques. Mais il y a aussi des terres en apparence totalement inoffensives qui sont pleines de substances dangereuses. Nous sommes donc attachés à la traçabilité. Nous avons des programmes de recherche en la matière.

Nous avons différents travaux en cours. Nous sommes capables d'abattre certaines pollutions à base d'hydrocarbures, par exemple dans les anciennes raffineries ou stations-service, de manière biologique. Le traitement des pollutions métalliques est plus compliqué ; nous sommes parfois obligés de stabiliser les terres avant de les stocker, car le potentiel de risques est trop important. Et pour les terres qui méritent que l'on s'y attarde un peu plus, nous mobilisons toutes sortes de réactifs, parfois biologiques. Nous avons différents programmes de recherche. Tout ce qui est issu de la chimie du chlore a donné lieu à des pollutions mercurielles : notre objectif est de stabiliser au maximum et d'encapsuler ces pollutions. Nous travaillons aussi bien sur la traçabilité que sur l'optimisation des modes de traitement et sur des innovations techniques.

Les plateformes de traitement des terres, qui sont pour la plupart des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), sont confrontées aux mêmes contraintes en matière d'instructions que d'autres sites. Je n'identifie pas de frein particulier à leur développement. Les services instructeurs de l'État agissent comme pour les autres ICPE. Globalement, tout se passe correctement. Je ne pourrais pas appeler de mes voeux un relâchement de la réglementation relative aux autorisations pour ces ICPE tout en m'inquiétant de l'absence de traçabilité qui pourrait découler de la sortie du statut de déchet. Nous avons, me semble-t-il, un bon équilibre.

M. Cyril Fraissinet, directeur de la stratégie de Suez Industrial Waste Solutions. - Le dispositif du tiers demandeur a débloqué des situations et permis la prise en charge d'opérations qui n'auraient pas pu être réalisées par le passé. Il aurait en effet fallu créer le lien entre l'aménageur, qui est capable de gérer le devenir foncier, et l'exploitant, qui n'a la plupart du temps pas les moyens de développer des capacités d'aménagement. En outre, cela permet à l'administration de vérifier la fiabilité de l'acteur concerné, aménageur ou fonds d'investissement, qui doit apporter toutes les garanties nécessaires, pour éviter que l'exploitant ne se décharge du risque sur un tiers susceptible de disparaître dans le futur.

Nous ne sommes jamais intervenus en tiers demandeur. Notre valeur ajoutée réside clairement dans ce qui a trait à l'ingénierie de la dépollution. Nous ne sommes pas à proprement parler des aménageurs fonciers. Le tiers demandeur est très souvent celui qui portera ensuite le projet futur. En revanche, nous intervenons pour le compte de tiers demandeurs dans des travaux de dépollution dont la réalisation nous est sous-traitée.

Comment nous assurer de la qualité du processus entre le transfert du site et sa remise à un usage futur, d'habitation ou autre ? La profession insiste sur l'importance de l'intervention de sociétés certifiées. L'aménageur ne dispose pas obligatoirement de toutes les compétences en matière de dépollution. L'intervention d'une certification, par exemple de type Sites et sols pollués (SSP), permet à l'administration de s'assurer qu'il y aura une traçabilité totale entre le projet présenté au départ et sa réalisation.

L'outil est donc positif, pour peu que les professionnels soient impliqués dans la réalisation des travaux de dépollution. Il est très clairement à usage d'opérations foncières ayant intrinsèquement une rentabilité, entre le prix du foncier après réhabilitation et le coût de celle-ci. Lorsque cet équilibre économique n'existe pas, le dispositif n'est pas suffisant, et il y a un risque de geler des terrains qui pourraient présenter un intérêt en termes d'aménagement pour la collectivité ou de réindustrialisation. Il faudra sans doute réfléchir à l'avenir aux moyens d'intégrer les collectivités très en amont dans ce genre de dossiers, afin de pouvoir ouvrir ces opérations à d'autres sites, y compris ceux qui ne sont pas en zones tendues, où la pression foncière est importante.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Traitez-vous les terres polluées qui sont stockées dans les anciennes décharges ? Je vous rejoins sur l'évolution de la réglementation ; des précisions législatives s'imposent effectivement en matière de dépollution des sols.

M. Thierry Mechin, directeur général délégué de Suez Industrial Waste Solutions. - Comme vous le savez, la réglementation actuelle nous oblige à un suivi de long terme et à la réhabilitation de nos centres de stockages des déchets. Nous le faisons. Cela nous permet d'avoir des sources de réemploi de matériaux et de terres excavées, que nous pouvons utiliser à la mise en oeuvre de programmes de verdissement et de végétalisation.

Je regrette que la réglementation soit encore un peu sévère et ne nous permette pas de développer d'autres activités sur certaines parcelles réhabilitées. Nous n'avons aucune autorisation, ce qui est dommage, car ces réserves foncières ont de grande qualité et présentent toutes les garanties. Par exemple, en Bourgogne-Franche-Comté, nous avons développé sur la partie fermée de l'une de nos installations une ferme solaire qui permet de produire de l'énergie aux collectivités environnantes.

Vous avez évoqué l'évolution de la réglementation. Nous travaillons assidûment, et sous forme de cluster, avec des partenaires à l'élaboration de démonstrateurs qui permettent de faire bouger les lignes. Cela vous permettra, je l'espère, de statuer et d'aller vers cette fameuse loi sur les sols que nous appelons de nos voeux.

Nous avons contribué à la naissance du programme de réemploi des fractions grossières des terres excavées, Valorisation des terres excavées (Valtex), qui a été publié dans les derniers guides du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Nous travaillons aussi sur le programme AGREGE, qui vise à permettre de démontrer la capacité de réemployer les parties fines des terres excavées dans des programmes de fertilisation des sols et de redynamisation de friches industrielles. Nous avons quatre démonstrateurs en situation. Nous en avons aussi sur des friches urbaines ; ils démontrent que les terres pauvres excavées des projets de réaménagement urbain peuvent revenir sur les mêmes territoires, les reverdir et les réaménager. Notre groupe est très engagé aux côtés des services de l'État, des universités et des territoires.

M. Laurent Lafon, président. - Vous faites une distinction entre deux types de pays, ceux où la pression foncière est plus forte et où il existe une législation relative à l'utilisation future des sols et ceux, dont la France, qui sont plus sur des logiques d'appréciation, de prévention et de maîtrise du risque. Le nombre de terrains dépollués et les niveaux d'exigences diffèrent-il fortement entre les deux catégories de pays ?

En matière de dépollution des sites, il y a différents cas de figure. D'abord, il y a des terrains qui ne sont pas aménagés, mais dont on sait que, compte tenu de la localisation, un aménagement est possible ; en l'espèce, le mécanisme économique permet de dépolluer, à plus forte raison quand il existe des dispositifs favorables, comme le tiers demandeur. Ensuite, il existe des sites où l'aménagement n'est pas évident faute de perspectives économiques ou immobilières. Enfin, il est des sites déjà construits sur lesquels l'on découvre des pollutions. Avez-vous une idée des proportions respectives de chacune de ces trois catégories ? Les dépollutions sont-elles rares, voire inexistantes dans la deuxième et, plus encore, dans la troisième ?

M. Azad Kibarian. - Nous vous fournirons des éléments chiffrés de comparaison internationale.

La situation est très variable. Prenons l'exemple de la France et de la Belgique. En France, nous réalisons environ 70 millions d'euros de chiffre d'affaires. En Belgique, alors que le territoire est beaucoup plus petit, nous faisons à peu près la moitié de notre chiffre d'affaires français. Le marché est dynamique. Il y a une appétence de la part des aménageurs et un contexte réglementaire favorable à la réutilisation des terres. Et le fait que les réglementations diffèrent entre la Wallonie et les Flandres crée, certes, des contraintes, mais ouvre également de nouvelles possibilités. En Belgique, l'effet frontalier joue.

Les Pays-Bas sont confrontés au problème des per and polyfluoroalkyl substances (PFAS) et acides perfluorooctanesulfoniques (PFOS). Une fois que ces molécules extrêmement persistantes, qui ont été utilisées en traitement de surface, sont dans les milieux, il est très compliqué de s'en défaire. Ce sont des pollutions extrêmement complexes à abattre. Le sujet a créé beaucoup d'émoi, notamment chez les collectifs de riverains. Aux Pays-Bas, le marché de la dépollution s'est grippé. Les choses bougent assez vite. Vous voyez bien ce qui peut se passer en France quand il existe un point noir avec des conséquences sanitaires, mais dans un endroit très isolé... Mais, sur un territoire minuscule comme celui des Pays-Bas, chacun est susceptible d'avoir une relation ou un membre de la famille concerné par une pollution. Et puis, il y a un historique particulier. Chaque fois que je me promène aux Pays-Bas, je m'émerveille de l'aménagement urbain et de la manière absolument exceptionnelle dont ils ont modelé leur environnement, en déplaçant, en drainant et en canalisant la terre.

M. Thierry Mechin. - Faisons attention à ce que l'on dit lorsque l'on parle de pollution ! Les réglementations belge et hollandaise optimisent le réemploi de terres excavées dont les seuils naturels en termes de fractions solubles ou métalliques sont compatibles avec le réemploi chez eux. Il ne s'agit en aucun cas de faciliter le transfert de terres polluées de manière anthropique. Nous parlons de terres impactées non anthropiques.

La question des sulfates en Île-de-France a été mise sous le feu des projecteurs avec les travaux du Grand Paris. Comme vous le savez, le bassin parisien a des veines de sulfates, donc de fractions solubles, extrêmement importantes. Selon la réglementation française, ces seuils naturels de fractions solubles nécessitent un traitement dans un centre de stockage des déchets. En Belgique et en Hollande, certains sites ont la capacité géochimique à recevoir des flux fortement sulfatés. Il ne s'agit en aucun cas d'écarts sur la réglementation des polluants anthropiques.

Nous sommes nous-mêmes opérateurs en Belgique et en Hollande. J'ai très peu transporté de terres d'Île-de-France ou du Nord en Belgique. Le point noir est que la réglementation belge repose sur la responsabilité des propriétaires ou des opérateurs d'ouvrages de valorisation, par exemple les polders ou autres. Il n'y a ni contrôle à l'entrée, ni analyse, ni obligation d'en faire. Des excès sont toujours possibles. C'est ce qui s'est passé. Les Hollandais ont vu les taux de sulfate dans leurs eaux augmenter extrêmement brutalement. Il s'agit donc d'un écart non pas de réglementation, mais de contrôle.

M. Azad Kibarian. - Vous m'avez interrogé sur les typologies - certains sites sont construits ou ont un potentiel, tandis que d'autres non - et les stratégies. Tout dépend des géographies. Les situations sont extrêmement variables. Nous nous émerveillons parfois de la créativité - on s'en voudrait presque de ne pas y avoir pensé soi-même ! - de certains acteurs qui, pour mener une opération de remédiation, ont trouvé une association avec un promoteur, par exemple en interprétant la loi ALUR de manière innovante. Il est vrai que l'on ne l'a pas toujours interprétée de la manière la plus innovante qui soit...

Je ne peux pas vous répondre sur les proportions. Lorsque des pollutions sont décelées sur des emprises déjà construites, ce sont parfois l'équivalent des agences régionales de santé (ARS) ou les ICPE qui interviennent, en fonction évidemment de l'urgence, du passé du site et de l'importance des risques. Pour des pollutions maîtrisables dont la source est identifiée et dont la dispersion dans le milieu est bien modélisée - nous faisons aussi beaucoup de travaux de modélisation -, nous sommes régulièrement amenés à travailler sur les fluides sans toucher à la terre, afin de les capter et de les abattre en continu. Nous avons plusieurs chantiers qui courent en milieu urbain - j'en ai visité un aux Pays-Bas avant le confinement - et en milieu industriel. Nous avons mis en place des barrières sur des portions de sites industriels pour capter et traiter en continu les polluants.

M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions des réponses que vous nous avez apportées. Nous avons pris bonne note de votre position s'agissant d'éventuels changements législatifs, et nous serons très attentifs à vos propositions.

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