Mercredi 8 juillet 2020

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Philippe Bas, président. - Je salue nos quelques collègues reliés à nous par visioconférence. Nous examinons la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie.

M. Jacques Bigot, rapporteur. - Il revient au Parlement d'homologuer les peines d'emprisonnement que la collectivité de Nouvelle-Calédonie peut adopter pour sanctionner des infractions qu'elle est en droit de prévoir sur son territoire.

Pour cette homologation, nous devons assurer un quadruple contrôle : d'abord, que les peines d'emprisonnement respectent les dispositions constitutionnelles en matière pénale, en particulier le principe de légalité des délits et des peines - c'est pour ce motif que l'auteur de la proposition de loi n'a pas proposé l'homologation de certaines infractions prévues par le droit néo-calédonien ; ensuite, que la peine de prison soit prévue dans un domaine de compétence propre de la collectivité ; troisièmement, que la peine d'emprisonnement n'excède pas le quantum prévu pour l'infraction de même nature applicable sur le reste du territoire de la République ; enfin, que les peines respectent le principe de la classification des délits. Au-delà de ces contrôles de conformité au respect des normes organiques et constitutionnelles, le Parlement est libre d'apprécier l'opportunité même d'assortir les infractions en cause de la peine d'emprisonnement prévue par la Nouvelle-Calédonie.

Cette proposition de loi procède à un nombre élevé d'homologations, qui relèvent de textes nombreux, depuis le code agricole et pastoral de Nouvelle-Calédonie, jusqu'au code du travail de cette collectivité, en passant par des délibérations du Congrès de Nouvelle-Calédonie et des lois du pays non codifiées. J'ai examiné chacune des dispositions avec attention et vérifié qu'elles passaient toutes l'épreuve des quatre contrôles que je vous ai exposés. J'ai constaté qu'en définissant les peines d'emprisonnement concernées, le Congrès de Nouvelle-Calédonie s'était souvent inspiré des peines déjà en vigueur dans le reste du territoire de la République.

Je vous propose, en conséquence, un vote conforme. Cela assurera une application plus rapide de ces peines - un important retard a déjà été pris, nous espérions initialement une adoption définitive il y a un an, et ce retard empêche l'application, en Nouvelle-Calédonie, de peines applicables dans le reste de la République. J'ai interrogé nos deux collègues de Nouvelle-Calédonie qui sont favorables à une adoption conforme.

La définition des infractions est parfois un peu différente de celle qui prévaut dans le reste du territoire de la République. Elle est plus restrictive, par exemple, en ce qui concerne les règles sur la protection de l'air : on peut le regretter, mais ce ne saurait être un motif de refus de l'homologation. En matière de manifestations sportives, alors que le droit métropolitain exige l'assurance des organisateurs, le texte néo-calédonien demande également une assurance civile des participants : ce n'est pas non plus un motif de refus, car nous n'avons pas à nous prononcer au-delà des quatre critères de contrôle que je vous ai présentés.

Enfin, s'agissant de l'irrecevabilité au titre de l'article 45, je vous propose d'écarter les amendements qui ne viseraient pas à homologuer des peines d'emprisonnement décidées par une collectivité d'outre-mer.

Une précision pour finir : le Congrès de Nouvelle-Calédonie souhaiterait que le Parlement homologue plus rapidement les peines qu'il édicte au travers d'un rendez-vous législatif régulier, une fois par an par exemple.

M. Philippe Bas, président. - Merci pour cette synthèse complète, et si le vote conforme n'est guère dans nos habitudes, il est ici une solution pratique et sage.

M. Jean-Pierre Sueur. - J'y souscris tout à fait. Une question, cependant. Le rapporteur de l'Assemblée nationale, qui est élu de Nouvelle-Calédonie, indique dans son rapport qu'il a sollicité les trois provinces qui composent cette collectivité pour savoir si elles avaient adopté des peines qu'elles souhaiteraient voir homologuées. Il précise que, pour des raisons de temps, seules certaines dispositions de la province Sud ont pu être prises en compte. Étant donné le retard pris, donc le temps à notre disposition, pourquoi ne pas avoir intégré les autres délibérations en provenance de la province Nord ou des îles Loyauté ?

M. Jacques Bigot, rapporteur. - À vrai dire, aucune demande d'homologation ne nous est parvenue et j'ai fait le choix de privilégier une entrée en vigueur rapide, plutôt que de prolonger la navette. La plupart des peines d'emprisonnement que nous homologuons par ailleurs sont applicables dans les trois provinces.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

Contrôle de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 - Examen du rapport d'information

M. Philippe Bas, président. - Nous examinons le rapport d'information sur l'application de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. Nous avons déjà adopté deux rapports d'étape, les 2 et 29 avril dernier, celui-ci marquera la fin de nos travaux sur la mise en oeuvre de la loi d'urgence sanitaire.

Nous avons fait notre part de travail de vigilance et d'analyse technique approfondie pour vérifier la nécessité des mesures que le Gouvernement a prises. Nous lui avons confié des pouvoirs étendus, mais le principe de légalité exige que l'usage qui en est fait réponde à une stricte proportionnalité. Or, nous l'avons constaté depuis, tant le Conseil constitutionnel que le Conseil d'État ont estimé, à plusieurs reprises, que le Gouvernement était allé trop loin, par des mesures restrictives de liberté dont les juges ont estimé qu'elles excédaient, par leur rigueur, l'objectif poursuivi - qui était d'abord sanitaire.

Nous mesurons rétrospectivement combien les restrictions des libertés publiques que nous avons contribué à prendre sont allées loin, combien elles ont eu de conséquences économiques et sociales délétères, quand bien même elles ont sauvé des vies humaines. Nous mesurons aussi l'état d'impréparation de notre pays - je n'en fais pas reproche à ce Gouvernement, mais je crois que nous devons en tirer les leçons, d'autant que d'autres pays étaient mieux préparés parce qu'ils avaient tenu compte des épidémies précédentes. Nous mesurons aussi les progrès accomplis depuis trois mois : masques, disponibilité des tests de dépistage, information sur le dépistage, apprentissage des gestes barrières, enquêtes épidémiologiques pour remonter les filières - beaucoup a été fait, ce qui fait espérer au Gouvernement qu'en cas de reprise de l'épidémie, nous ne serions plus contraints au confinement généralisé et à ses conséquences si négatives.

Je vous propose, donc, que les rapporteurs thématiques présentent successivement le fruit de leur travail, l'ensemble composant notre rapport d'information. Je précise néanmoins que nos collègues François-Noël Buffet et Patrick Kanner étant empêchés, ils ne pourront vous exposer ce matin leurs constats et recommandations concernant le fonctionnement de la justice pendant la crise, mais ces éléments seront développés dans le rapport.

M. Jean-Pierre Sueur, co-rapporteur sur la thématique « Organisation des forces de sécurité » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - J'associe à mes propos Jacqueline Eustache-Brinio, avec qui nous avons constaté combien le confinement puis le déconfinement ont représenté un enjeu pour les libertés publiques.

Nous avons constaté, pendant la phase de confinement, une certaine sécurité juridique, peu d'actes ayant été annulés par le juge administratif. Tel n'a pas été le cas pendant la phase de déconfinement. Dans des ordonnances du 18 mai dernier, le Conseil d'État a ainsi jugé illégale l'interdiction générale et absolue de réunion dans les lieux de culte, au motif qu'elle était disproportionnée par rapport à l'objectif de préservation de la santé publique - obligeant alors le Gouvernement à revoir son texte. Il a également suspendu, le 13 juin, l'interdiction générale et absolue de manifester sur la voie publique. Au niveau territorial, le nombre de recours a été assez faible : sur les 7 845 arrêtés préfectoraux pris entre le 11 mai et le 14 juin, il n'y a eu que 29 recours.

Nous avons examiné la gestion de la crise sanitaire par les forces de sécurité intérieure, c'est-à-dire la surveillance du respect des mesures de confinement, et l'impact de la crise sanitaire elle-même sur l'organisation des services et l'exécution des missions. Nous soulignons en particulier l'insuffisante protection sanitaire des policiers et des gendarmes, qui ont réalisé des contrôles sans être protégés eux-mêmes. Il faudra s'en rappeler pour l'avenir.

Nous avons constaté une mobilisation inédite des forces de sécurité intérieure, dès le 16 mars, sur l'ensemble du territoire. En moyenne, 100 000 policiers et gendarmes ont été affectés chaque jour à ces missions, jusqu'à la levée du confinement, le 11 mai. Le numéro d'appel de la police secours, le 17, a été très sollicité, les appels ayant augmenté de 50 %. La gendarmerie nationale a exercé des missions d'assistance aux personnes vulnérables, sortant du champ de ses missions traditionnelles.

Nous soulignons ensuite que l'organisation des services a su s'adapter dans l'urgence pour garantir la continuité des missions de sécurité. Le télétravail a été limité, seuls les personnels en mission de soutien y ont recouru ; 6 400 équipements informatiques ont été déployés à cette fin dans la gendarmerie nationale, tandis que la police nationale a utilisé des équipements déjà déployés à cette fin, pour environ 1 000 utilisateurs.

La gestion des services opérationnels en temps de crise s'est traduite par deux adaptations : une priorisation des missions pour que les services de sécurité publique absorbent la surcharge liée au contrôle des mesures de confinement ; un aménagement des rythmes de travail des agents, avec une alternance entre deux équipes distinctes, pour que les agents ne se croisent pas. La police nationale a également mis en place une réserve opérationnelle, pour le remplacement ponctuel d'agents contaminés ou placés en autorisation spéciale d'absence.

Ces mesures ont reçu l'approbation des syndicats représentatifs de la police nationale que nous avons entendus. Ils ont cependant regretté l'impréparation des services de l'administration centrale et la précipitation avec laquelle les aménagements ont été mis en place.

Ces éléments nous font souhaiter une remise à plat des plans de continuité d'activité pour garantir, à l'avenir, une plus grande réactivité des services de sécurité intérieure.

L'accueil du public et l'assistance aux victimes ont été maintenus comme une priorité pendant le confinement. Dans la police nationale, 442 hôtels de police et commissariats sièges sont restés ouverts, et la gendarmerie nationale a maintenu l'ouverture de la quasi-intégralité de ses brigades territoriales. Cela n'a pas empêché les services de recourir aux outils numériques pour faciliter certaines démarches, limiter les contacts et assurer ainsi le maintien du service rendu. Les pré-plaintes en ligne ont fortement augmenté : elles sont passées de 1 814 en février dernier, à 2 374 en mars et 3 748 en avril, contre 1 521 en avril 2019. De même, la gendarmerie nationale a renforcé sa brigade numérique.

Les forces de sécurité publique ont également développé de nouveaux canaux de signalement pour les violences intrafamiliales et conjugales : élargissement du champ de la plateforme du 114, du portail de signalement des violences sexuelles ou sexistes, mobilisation du réseau des pharmaciens, pratique des appels d'initiative par la gendarmerie, c'est-à-dire des appels réguliers aux familles réputées connaître des difficultés. Ces nouveaux moyens de communication ont été fortement mobilisés pendant la période de confinement : entre le début du confinement et le 24 avril, le nombre de « tchats » concernant des faits de violences conjugales adressés à la police nationale a été multiplié par vingt par rapport à la même période en 2019, passant de 31 à 612. Ces nouveaux outils développés pendant la crise paraissent donc être tout à fait utiles, et il nous semble opportun de réfléchir à leur pérennisation.

Le déconfinement constitue, tout autant que le confinement, un enjeu majeur pour les forces de sécurité intérieure.

Une fragilité est tout d'abord apparue dans le contrôle des prescriptions imposées par le Gouvernement. Les services de sécurité intérieure, pour faciliter les contrôles des restrictions aux déplacements, ont fait un usage important des drones. Dans notre second rapport d'étape, nous avions alerté, tout en reconnaissant l'utilité de cet outil, sur l'absence d'encadrement légal de son usage et appelé à une réflexion sur son recours et sur le traitement des données collectées. Nos craintes ont été confirmées par une ordonnance du Conseil d'État le 18 mai dernier, estimant que le recours à des drones pouvait conduire à collecter des données personnelles et relever, de ce fait, de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Faute de texte réglementaire spécifique, le Conseil d'État a estimé que ce recours à des drones portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, ce qui a eu pour conséquence une injonction pure et simple adressée à l'État d'en cesser l'usage. Cette interdiction a des conséquences après le confinement et rend nécessaire une régularisation du cadre d'utilisation des drones, pour sécuriser l'action des forces de sécurité intérieure. Nous nous félicitons qu'après des investigations, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) paraisse devoir prendre prochainement position sur la question.

Nous soulignons ensuite le risque d'un « rattrapage » de l'activité judiciaire après la période de confinement. Les services de police et de gendarmerie ont enregistré une forte baisse des crimes et des délits constatés pendant la période de confinement. Il y aurait dès lors un risque de voir les dépôts de plaintes augmenter brusquement et fortement, entraînant une surcharge des services de police judiciaire, déjà confrontés au retard accumulé dans les dossiers pendant le confinement.

Nous constatons enfin que les mesures de confinement ont fortement perturbé le recrutement et la formation au sein de la police et de la gendarmerie nationales. Des retards ont été pris dans l'intégration des agents contractuels, mettant à mal le remplacement des agents dont le contrat arrive à échéance cette année. La loi a cependant prévu d'autoriser un dépassement ponctuel des plafonds d'emplois de la réserve civile de la police nationale, pour mobiliser plus fortement les 6 800 réservistes au cours des prochains mois. Au-delà de cette mesure ponctuelle, nous soulignons l'enjeu de revaloriser cette réserve civile de la police nationale, moins développée que celle de la gendarmerie nationale et qui n'a pu, de l'avis des syndicats de policiers, être mobilisée pendant la crise à hauteur des besoins.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, co-rapporteure sur la thématique « Organisation des forces de sécurité » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de covid-19. - Je ne peux que partager présentation que mon collègue vient de faire de nos travaux, qui est tout à fait complète.

Mme Nathalie Delattre, co-rapporteure sur la thématique « Prisons et autres lieux privatifs de liberté » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - En l'absence de François-Noël Buffet, il me revient de vous présenter les travaux que nous avons consacrés aux lieux de privation de liberté. Nos auditions et le déplacement que nous avons effectués à la maison d'arrêt de Fresnes, le 12 mai dernier, ont largement confirmé les constats que nous vous avions présentés dans notre précédent rapport d'étape.

On pouvait craindre une flambée de l'épidémie dans les établissements pénitentiaires, qui sont des lieux clos et surpeuplés. Mais les mesures de prévention décidées rapidement - comme la suspension des parloirs et l'arrêt de la plupart des activités - ont permis de contenir la progression du virus. Le directeur de l'établissement public national de santé de Fresnes (EPSNF) nous a indiqué qu'il avait ouvert, à la demande de l'Agence régionale de santé (ARS), une « unité covid » de vingt-six places ; à aucun moment cette unité n'a accueilli plus de dix patients simultanément, ce qui témoigne de l'ampleur limitée de l'épidémie.

On peut regretter l'arrivée tardive de certains équipements de protection, notamment les masques, distribués à partir du 28 mars et d'abord réservés au personnel en contact avec les détenus. Avant cette date, les agents qui venaient travailler munis de leur propre masque, le plus souvent de fabrication artisanale, étaient rappelés à l'ordre par leur hiérarchie, alors que le port du masque apportait une protection supplémentaire de nature à rassurer les surveillants comme les détenus.

Un deuxième motif de préoccupation tenait à la sécurité dans les établissements pénitentiaires : des tensions, voire des mutineries, avaient été observées au tout début du confinement ; cependant, le calme est revenu après une dizaine de jours et aucun incident notable n'est à déplorer depuis lors.

La période du confinement s'est cependant accompagnée d'une hausse des projections, qui consistent à lancer de la drogue ou d'autres produits par-dessus le mur d'enceinte pour que les détenus les récupèrent dans la cour de promenade. Ce phénomène nous a été décrit par le directeur de la prison de Fresnes, ainsi que par celui de la prison de Gradignan, en Gironde. Cela montre que le problème de la sécurisation du périmètre des prisons n'est toujours pas complètement résolu, en dépit de la création des équipes locales de sécurité pénitentiaires.

La crise sanitaire a fait augmenter le taux d'absentéisme, qui a dépassé les 20 % au sein du personnel pénitentiaire. Les personnes vulnérables ont été invitées à rester à leur domicile et beaucoup d'agents ont rencontré des problèmes de garde d'enfant. Nous sommes surpris que le personnel pénitentiaire n'ait pas été considéré d'emblée comme prioritaire pour l'accueil des enfants dans les écoles, vu l'impératif de continuité du service.

Ces absences n'ont pas empêché l'administration pénitentiaire de continuer à assurer ses missions essentielles, d'autant que l'arrêt de nombreuses activités a permis de redéployer les effectifs disponibles.

Ce sont malheureusement les activités les plus utiles à la préparation de la réinsertion des détenus qui ont été sacrifiées : travail en détention, enseignement, formation professionnelle ont été très perturbés, de même que l'activité des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP). Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) ont poursuivi leurs entretiens à distance, mais le manque de matériel adapté a souvent réduit leur efficacité. Il ne faut pas oublier les SPIP dans le cadre de la numérisation de la justice ; certaines directions régionales ont ouvert la voie en équipant leur personnel d'ordinateurs portables permettant une connexion à distance.

La sortie du confinement a débuté le 11 mai dans les prisons comme dans le reste du pays, mais les établissements pénitentiaires n'ont pas encore retrouvé leur fonctionnement d'avant la crise. Les parloirs ont rouvert, mais avec un seul visiteur à la fois, le port d'un masque et le respect des règles de distanciation physique. La prison de Fresnes a installé des séparations en plexiglas dans les boxes et une caméra thermographique mesure la température des visiteurs.

Les activités d'enseignement et de formation ont repris difficilement, compte tenu de la nécessité de travailler en petits groupes. À Fresnes, les enseignants ont refusé de reprendre leur travail dès le 11 mai par crainte des contaminations et la formation professionnelle ne devrait reprendre qu'à la rentrée de septembre. Le calendrier des enseignements en prison est le même que celui applicable à tous les établissements scolaires, ce qui signifie que les cours vont être interrompus pendant les deux mois d'été. Ne faudrait-il pas que l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) recrutent leur propre personnel enseignant pour assurer une continuité de cette activité tout au long de l'année civile ? Ce serait bénéfique aux détenus, en particulier aux mineurs, qui ont souvent besoin d'une action de remise à niveau.

À la faveur de la crise sanitaire, le nombre de détenus a baissé d'environ 13 000 personnes, ce qui a placé le taux d'occupation des prisons autour de 100 %. Cette évolution a relancé le débat sur la régulation de la population carcérale. Devant notre commission, Adeline Hazan a plaidé, le 22 juin dernier, pour la mise en place d'un mécanisme pérenne qui conduirait à accorder, au cas par cas, des remises de peine à des détenus dont la libération ne présente pas de danger, lorsque le taux d'occupation dépasse 100 %.

Ce débat est légitime, mais cette approche conduit à considérer que le nombre de places de prison serait une donnée intangible et que la politique pénale devrait s'y adapter, sans considération pour les choix démocratiques de nos concitoyens ni pour l'évolution de la délinquance. C'est pourquoi le programme de construction de nouvelles places de prison et de rénovation d'anciens bâtiments conserve toute sa pertinence, à condition de s'accompagner d'un effort massif pour la formation et de la réinsertion des détenus. Une attention particulière devrait également être apportée à la prise en charge adaptée des personnes souffrant de troubles psychiatriques, qui sont trop nombreuses en détention, la réduction du nombre de lits ayant rendu leur accueil en hospitalisation complète souvent difficile dans les établissements de santé mentale.

J'aimerais évoquer également la situation des centres éducatifs fermés (CEF), gérés par le secteur public ou par le secteur associatif habilité (SAH). Leur taux d'occupation a diminué pendant la crise sanitaire, passant sous la barre des 50 % début mai, alors qu'il est habituellement de l'ordre de 80 %. Dans le contexte de la crise sanitaire, beaucoup de magistrats ont privilégié le retour dans leur famille des jeunes placés en CEF. Les éducateurs de la PJJ ont assuré un suivi régulier de ces jeunes, qui pouvaient être contraints de regagner le CEF en cas de difficulté. Les éducateurs se sont mobilisés pour proposer des activités culturelles et un soutien scolaire palliant l'arrêt de l'enseignement. Les activités extérieures, les visites d'entreprises par exemple, ont en revanche dû être interrompues.

La Convention nationale des associations de protection de l'enfant (Cnape), qui fédère de nombreux CEF, a regretté d'avoir eu trop peu de contacts avec la direction de la PJJ. Les directeurs de centre se sont organisés avec peu de directives de leur administration centrale. S'il est normal que les CEF relevant du secteur associatif bénéficient d'une autonomie dans leur fonctionnement, il est regrettable que la PJJ ne se soit pas montrée plus attentive aux difficultés nombreuses qu'ils ont rencontrées durant cette période de crise.

Nous nous sommes enfin intéressés aux centres de rétention administrative (CRA), dans lesquels sont retenus les étrangers en situation irrégulière faisant l'objet d'une procédure d'éloignement. Habituellement très élevé, le taux d'occupation des CRA a été ramené autour de 10 % pendant la crise sanitaire, en raison de la fermeture des frontières et de la réduction du transport aérien qui a limité les entrées ainsi que les possibilités d'éloignement. Douze CRA sur vingt-cinq ont conservé une activité.

La police aux frontières a réussi à maintenir un petit nombre d'éloignements forcés, 96 entre le 17 mars et le 30 avril. C'est ce qui a permis au Conseil d'État de constater qu'il demeurait des perspectives raisonnables d'éloignement et, en conséquence, de rejeter la demande de fermeture de l'ensemble des CRA. Cette fermeture aurait par ailleurs posé des problèmes du point de vue de la sécurité publique puisque la majorité des personnes retenues étaient des sortants de prison.

Le nombre de contaminations à la covid-19 est resté très faible, sauf au CRA de Paris-Vincennes où une dizaine de cas a été recensée.

Nous soulignons également dans le rapport l'impact de la crise sanitaire sur les procédures d'asile. La chaîne de l'asile a quasiment cessé de fonctionner à compter de la mi-mars, ce qui pose de sérieuses questions au regard de nos engagements européens et internationaux. L'enregistrement des demandes a cessé et il n'a repris qu'au mois de mai sur injonction du juge administratif. L'instruction des dossiers a été très perturbée, comme l'a reconnu, lors de son audition, le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Les entretiens de demande d'asile ont repris progressivement à partir du 11 mai, dans le respect des précautions sanitaires. Concernant les dispositifs d'intégration, il apparaît que l'enseignement du français dans le cadre du contrat d'intégration républicaine a parfois pu être poursuivi dans de bonnes conditions, les opérateurs étant familiers des dispositifs d'enseignement à distance.

Enfin, nous n'avons pas pu approfondir la question des établissements de santé mentale, qui sont aussi des lieux de privation de liberté puisqu'ils accueillent des malades hospitalisés sans leur consentement. Il est vrai que la manière dont ces hôpitaux se sont organisés pour faire face à la crise relève plus du champ de compétence de la commission des affaires sociales. Nous avons néanmoins veillé à apporter un éclairage sur la question du respect des droits des patients en nous appuyant sur les constatations effectuées par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté dans son dernier rapport.

Mme Françoise Gatel, co-rapporteur sur la thématique « Collectivités territoriales, administration déconcentrée de l'État et accès aux services publics au niveau local » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - Avec Pierre-Yves Collombat, que je remercie pour son compagnonnage pendant ces deux mois durant lesquels nous avons réalisé 23 auditions, nous avons examiné les réponses territoriales à la crise. On dit souvent que les crises sont synonymes d'opportunités : celle-ci nous permet de tirer des leçons pour l'optimisation de l'organisation de nos territoires, et notamment de l'État déconcentré, qui vont dans le sens des cinquante propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, formulées la semaine dernière par le président du Sénat.

La crise que nous avons traversée était évidemment sanitaire, mais les acteurs territoriaux ont très rapidement pris conscience qu'il s'agissait d'une crise globale, nécessitant une approche systémique : il fallait également prendre en compte les volets économique et social, ce qui nécessitait de contrarier notre modèle d'organisation, notamment au niveau de l'État territorial, dont l'administration fonctionne « en silos ».

Nous avons examiné la situation de quatre départements : le Morbihan, les Vosges, la Seine-Saint-Denis et la Martinique. La mobilisation des élus territoriaux et des agents a été extraordinaire, puisqu'il n'y a pas eu de défaillance des services publics -  Pierre-Yves Collombat évoquera le cas particulier de La Poste.

Les élus ont fait preuve d'une très grande réactivité et d'une capacité d'inventer des réponses adaptées aux territoires, en concertation avec l'ensemble des acteurs locaux : collectivités, acteurs économiques et sociaux. Un exemple remarquable nous a été donné par la préfecture du Morbihan : dans ce département qui a connu plusieurs foyers épidémiques, ou « clusters », le préfet a mis en place une stratégie territorialisée avec une organisation en cercles concentriques, qui a permis d'adapter l'intensité des mesures applicables à la gravité constatée de l'épidémie. La task force installée auprès du préfet comprenait tous les acteurs locaux, et l'ensemble des niveaux de collectivités : région, département, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), communes. Une « usine invisible » a même permis, grâce à la mobilisation des couturières, de fabriquer des masques, une initiative largement accompagnée par la préfecture et les EPCI du territoire. Chaque sous-préfet s'occupait d'une thématique, ce qui permettait aux élus de ne s'adresser qu'à un seul interlocuteur. L'aide de préfets en retraite dans le département a également été sollicitée.

Au-delà de leur contribution au fonds national de solidarité, les régions ont créé dans leurs territoires leurs propres fonds, généralement abondés par d'autres collectivités territoriales. Elles ont également proposé aux entreprises touchées par la perte d'activité due au confinement divers instruments de financement et de soutien : prêts « Rebond », assistance juridique, etc.

Les départements se sont aussi particulièrement mobilisés : ils se sont même fait rappeler à l'ordre puisqu'ils sont intervenus en matière économique pour aider des entreprises et des artisans. On leur a rappelé que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, leur interdisait de s'occuper de ce qui ne les regardait pas, alors qu'ils faisaient preuve de réactivité... Il convient de s'interroger sur d'éventuelles délégations de compétences des régions vers les départements.

Les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont tombés dans la faille de la double tutelle de l'ARS et du département : les agences n'ont pas semblé dans l'immédiat extrêmement concernées et les départements ne pouvaient pas pleinement intervenir. Il faut réfléchir à l'élargissement, comme l'a proposé le président du Sénat dans ses cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales, du champ de compétences des départements en matière sociale. Il faudrait simplifier la tutelle des Ehpad, dont la gouvernance relèverait de l'autorité du seul département.

Quant aux services d'aide à domicile, je m'interroge sur la considération portée à leur personnel et sur la prime qui peut leur être ou non donnée, même si cela ne relève pas stricto sensu du champ de nos investigations.

Nous avons constaté des dysfonctionnements. Les plans de continuité d'activité étaient destinés à répondre à des catastrophes ponctuelles, et non durables, même s'ils ont constitué une réponse globalement intéressante.

Nous nous sommes interrogés sur l'organisation du télétravail, qui a largement concerné les agents territoriaux, notamment en termes de matériel mis à disposition, de sécurité de ce matériel et de responsabilité juridique de l'employeur. Il faudrait également réfléchir à une meilleure inclusion numérique, car l'outil numérique représentait un enjeu très important pour assurer la continuité des services publics.

Les récentes réformes territoriales ont conduit à un affaiblissement de l'État territorial. Or, il faut disposer d'une véritable task force placée sous l'autorité du préfet. Il serait bon d'éviter les éminents solistes qui n'ont pas de compte à rendre au chef d'orchestre qu'est le préfet : je veux parler des ARS, et peut-être, mais dans une moindre mesure, des rectorats. En cas de crise, le gouvernail doit être tenu par une seule personne. Nous appelons donc à un renforcement de l'État territorial autour du préfet.

La crise l'a montré, le corsetage des compétences des collectivités territoriales ne fonctionne pas. Les élus sont largement sortis de leur espace de « privation de liberté » : ils ont dû faire preuve d'inventivité pendant cette crise, ce qui nous donne l'occasion d'en tirer des leçons. Chacun s'inquiète d'une récidive de la crise sanitaire, et nous avons vu que nous pouvions tous avoir des rôles complémentaires, au service de nos concitoyens.

M. Pierre-Yves Collombat, co-rapporteur sur la thématique « Collectivités territoriales, administration déconcentrée de l'État et accès aux services publics au niveau local » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - J'approuve les propos de Françoise Gatel, avec laquelle j'ai eu plaisir à travailler. Je ne m'étendrai pas sur le désastre, que tout le monde connaît, de La Poste.

Si la catastrophe a été évitée, c'est parce qu'une gouvernance associant le préfet et les élus - maires, présidents des conseils départemental et régional - s'est spontanément mise en place : nous devons instaurer un dispositif permanent pour temps de crise, avec des règles spécifiques.

Grâce à cela, de nombreux problèmes pratiques, qui touchent à l'organisation des soins, ont pu être réglés : manque de masques ou de tests, absence d'hôpitaux de proximité dans certains départements ruraux - je pense au Gers - comblée par la mobilisation des médecins libéraux. La Vendée et d'autres départements ont mis à disposition leurs laboratoires d'analyse biologique et technique. Cette solution aurait permis de pratiquer des tests en grand nombre dès le début de la pandémie, mais elle n'était pas réglementaire !

Les problèmes sociaux et économiques ont été engendrés sinon directement par la pandémie, du moins par les interdictions liées au confinement. Selon les départements et les régions, les actions ont été très diverses. Ainsi, dans les Vosges, des actions en direction des Ehpad ont été menées ; si elles avaient été généralisées, nous n'en serions peut-être pas arrivés à l'hécatombe que nous avons connue. En Seine-Saint-Denis, ce sont des actions en direction des familles démunies. En matière économique, la mobilisation des financements a bien fonctionné, les fonds étant versés aux entreprises assez rapidement.

Davantage que les problèmes concrets que je viens d'évoquer, c'est le délire réglementaire gouvernemental accompagnant les décisions de confinement et de déconfinement qui a mobilisé les énergies. Les préfets et les élus locaux ont passé davantage de temps en exégèse des textes officiels qu'à régler des problèmes réels. J'en veux pour preuve le protocole sanitaire pour la réouverture des écoles maternelles et élémentaires de 63 pages...

S'agissant des ARS, je veux évoquer le prurit bureaucratique national, avec les « chicayas » de compétences... À de rares cas près, les ARS ont, en général, traîné les pieds, mécontentes de voir d'autres faire le travail qu'elles ne voulaient, ou ne pouvaient, pas faire. Déjà fort critiquées en période normale pour leur obsession des économies budgétaires et des suppressions de lits et d'établissements, particulièrement des hôpitaux de proximité et des maternités, la crise, en révélant leur volonté de disposer de pouvoirs, sans en avoir l'expérience, et leur incapacité à sortir de leur routine bureaucratique, nous conduit à nous poser la question de leur suppression. Un président de région signalant une pénurie de masques dans un hôpital s'est entendu répondre par son interlocuteur à l'ARS qu'il devait y avoir erreur car, sur sa tablette, il pouvait voir qu'il restait des masques... En théorie, réglementairement, il n'y avait pas de problème, même si la réalité montrait le contraire ! Personnellement, je suis donc pour la suppression des ARS.

Un retour d'expérience des pompiers, qui va dans notre sens, vient de fuiter dans la presse : l'accès aux soins a été perturbé par le SAMU, qui a voulu monopoliser le transport, alors qu'il n'en avait pas les moyens. Avec Catherine Troendlé, nous soulevons régulièrement la question de la fusion des plateformes d'appel du 15 et du 18, pour une meilleure répartition des tâches.

Par ailleurs, se pose le problème des soins qui ont, ou non, été administrés. Je regrette que notre commission ne se soit pas préoccupée de cette question, qui a été traitée par la commission des affaires sociales. La commission d'enquête du Sénat, qui débute seulement ses travaux, rendra ses conclusions trop tard par rapport à celle de l'Assemblée nationale. Je ne veux pas faire de corporatisme, mais nous aurions pu poser la question des soins plus tôt : a-t-on soigné correctement ou non les malades ? Où et comment les malades ont-ils été soignés ?

Pour conclure, nous avons constaté avec Françoise Gatel qu'il y avait vraiment matière à ressouder les territoires en faisant fi des séparations et des répartitions, lesquelles se sont avérées très pénalisantes en situation de crise.

M. Loïc Hervé, co-rapporteur sur la thématique « Sécurité civile » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser Patrick Kanner qui est retenu dans la région lilloise et ne peut malheureusement être présent ce matin pour présenter avec moi nos travaux.

Nous avons porté notre attention sur la contribution de la sécurité civile à la gestion de la crise. À ce titre, la méthodologie mise en oeuvre s'est inscrite dans la continuité de celle utilisée pour notre récent rapport sur la sécurité des sapeurs-pompiers : nous avons pris attache avec les acteurs institutionnels habituels tels que la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), l'Assemblée des départements de France (ADF), ainsi que les syndicats représentatifs de la sécurité civile.

Mais nous avons également tenu à nous rapprocher directement des acteurs de terrain, dont la Fédération nationale agréée de sécurité civile, la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) ainsi que l'ensemble des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Nous sommes très heureux du nombre et de la qualité des retours de tous ces acteurs, dont le concours a véritablement nourri le rapport que je vous présente aujourd'hui.

Le premier constat de nos travaux est que le mécanisme de lutte mis en place par l'État contre l'épidémie a été essentiellement centré autour du ministère de la santé et de ses services, et que la sécurité civile n'a été conçue que comme un renfort ponctuel. Ce choix a été perçu comme un signe d'exclusion par le monde de la sécurité civile, dont les acteurs ont eu l'impression de ne pas être considérés comme de véritables parties prenantes. La prise en compte de l'action de ces derniers a donc été progressive, au fur et à mesure que leur action de terrain devenait évidente. Il a finalement fallu attendre le 13 avril pour que les sapeurs-pompiers soient reconnus comme des acteurs de première ligne par le Président de la République.

Pourtant, la réponse aux crises fait véritablement partie de l'ADN de la sécurité civile. Cette fonction apparaît dans l'intitulé même de la DGSCGC. Elle est implicitement reconnue dans les missions confiées aux SDIS par le code général des collectivités territoriales, qui vise notamment la protection des personnes, des biens et de l'environnement, de même que les secours d'urgence aux personnes et leur évacuation.

Pour preuve, les acteurs de la sécurité civile étaient prêts. De nombreux SDIS et la BSPP nous ont indiqué qu'aucune procédure véritablement nouvelle n'avait été mise en oeuvre puisque les sapeurs-pompiers interviennent déjà régulièrement pour des missions d'assistance à des victimes atteintes de pathologies infectieuses.

Malgré cette mince reconnaissance, l'action locale des acteurs de la sécurité civile a rappelé l'évidence de leur rôle. Ils ont d'abord su adapter leur propre organisation. Des procédures sanitaires temporaires ont été mises en oeuvre, ainsi que des contrôles de la santé des personnels, qui ont parfois été durement touchés par l'épidémie. La doctrine de gestion des effectifs a également été aménagée dans les SDIS : rotation des effectifs dans les territoires moins touchés, télétravail pour les personnels administratifs techniques et spécialisés (PATS) ou session de formation ad hoc pour s'adapter à la crise. Enfin, les SDIS ont également pu compter sur la disponibilité accrue des sapeurs-pompiers volontaires pour adapter leurs capacités opérationnelles du fait du ralentissement de la vie économique.

Cette adaptation a permis aux acteurs de la sécurité civile d'apporter un concours qui s'est finalement révélé indispensable. Ce concours a également bénéficié d'un effet de bascule des activités. En effet, les mesures de confinement mises en oeuvre par le Gouvernement ont de facto limité les déplacements routiers et ont conduit la population à rester présente à son domicile, ce qui a engendré une baisse des accidents de la route et des incendies domestiques dans une proportion significative, de l'ordre de 20 à 30 %.

Dans les départements les plus touchés, cette bascule n'a pas suffi, et de loin, à compenser l'énorme volume d'interventions liées à la covid. La BSPP nous a indiqué avoir traité plus de 10 000 interventions en lien avec l'épidémie. Le SDIS du Haut-Rhin parle, lui, d'un « bouleversement de l'activité opérationnelle », puisqu'au 10 mai 2020, son activité avait globalement augmenté de 3 % par rapport à 2019.

Ces volumes s'expliquent par le champ très large des interventions conduites par les acteurs de la sécurité civile. Les plus courantes ont consisté dans le transport de malades de leur domicile vers les établissements de santé ou entre établissements. Certains SDIS ont dû compenser jusqu'à une cinquantaine de carences ambulancières par jour liées à la covid. Certaines opérations de transport ont pris un caractère inédit. Plusieurs SDIS, ainsi que la BSPP et certaines associations départementales de la protection civile, ont participé aux opérations « Chardon » successives, visant à transporter en TGV certains malades pris en charge dans des zones fortement touchées vers des zones qui l'étaient moins et où les services de santé n'étaient pas saturés. Des transports de malades ont également été mis en oeuvre par les aéronefs de la sécurité civile.

En outre, les SDIS ont largement et spontanément pris part aux campagnes de dépistage mises en place à l'échelle locale, principalement dans les Ehpad. Très fréquemment, ils ont également renforcé les services de santé en faisant preuve d'une grande intelligence des situations pour s'adapter aux besoins spécifiques de chaque territoire. Certains sont utilement venus soutenir la régulation médicale des centres de réception et de régulation des appels. Toutefois, une telle coopération n'a pas toujours été possible dans tous les départements par réticence de certains SAMU, qui ont parfois refusé d'accueillir un officier de liaison sapeur-pompier en leur sein.

Enfin, leur polyvalence a également permis aux sapeurs-pompiers d'apporter un support logistique particulièrement varié aux acteurs locaux. Le SDIS du Haut-Rhin s'est, par exemple, mis à disposition de l'hôpital militaire de campagne déployé à Mulhouse.

Face à cet engagement total, les retours des SDIS sur le soutien opérationnel qu'ils ont reçu de l'État sont très inégaux. Certains ont regretté que la DGSCGC n'ait pu jouer son rôle d'état-major opérationnel compte tenu de la qualification purement sanitaire donnée à la crise par le Gouvernement. D'autres SDIS ont, eux, été beaucoup plus satisfaits de son soutien. Les retours sur le soutien matériel de l'État aux SDIS sont également hétérogènes. Certains ont particulièrement apprécié que les services de l'État aient pu assurer la fourniture d'équipements individuels de protection (EIP), dont des masques et des surblouses, alors qu'ils n'étaient plus en mesure de s'en procurer. D'autres ont indiqué avoir trouvé les matériels adéquats par leurs propres moyens, mais regrettent l'absence d'aide pour leur acquisition, y voyant une forme de transfert de charge de l'État vers les départements. Enfin, certains SDIS ont déploré que l'État n'ait pas été en mesure de garantir un prix stable pour l'acquisition de certains EIP, ce que nous regrettons profondément.

Les retours sur les garanties données par l'État aux sapeurs-pompiers sont également nuancés. Au plus fort de la crise, les sapeurs-pompiers auraient souhaité bénéficier du soutien de l'État afin que soient garantis au sein de chaque SDIS la même protection, les mêmes moyens de dépistage et les mêmes garanties qu'aux personnels de santé.

En revanche, aucune réserve n'a été apportée quant à l'émergence d'une formidable solidarité locale durant cette crise. Les différentes parties prenantes n'ont pas hésité à mettre en oeuvre des solutions proches du « système D ». Les collectivités ont mis en place des stratégies d'approvisionnement novatrices en EIP, en sollicitant parfois les entreprises locales. Les SDIS ont également fait preuve d'une grande entraide à l'échelle de leur région. Enfin, des entreprises ont fait preuve d'altruisme en fournissant certains équipements à titre gracieux.

Il ressort de cette gestion de crise plusieurs enseignements.

Le premier est de reconnaître que les acteurs de la sécurité civile doivent occuper une place de premier plan dans la gestion des crises, y compris lorsqu'elles sont sanitaires. Les actions mises en oeuvre par les différents acteurs de la sécurité civile en sont la preuve définitive. D'une part, parce que, comme le rappelle fréquemment Catherine Troendlé, les SDIS sont le premier service public de santé de proximité. D'autre part, parce qu'une crise sanitaire nécessite non seulement des réponses d'ordre médical, mais aussi des mesures de diverses natures, qui ont d'ailleurs été mises en oeuvre par les acteurs de la sécurité civile lors de la crise.

En outre, le modèle territorialisé de la sécurité civile française a montré qu'il est parfaitement adapté aux crises touchant le territoire national de manière asymétrique. En effet, les besoins n'ont pas été les mêmes d'un département à l'autre et chaque SDIS a su user de sa polyvalence pour s'adapter à toutes les priorités locales. Cette capacité d'action sur l'ensemble du territoire, dans un champ particulièrement large et avec un professionnalisme exemplaire, est un bien extrêmement précieux qui doit être reconnu et valorisé. Pour l'heure, seuls les acteurs de la sécurité civile sont capables d'assurer de telles missions, et personne d'autre.

Par ailleurs, la crise sanitaire récente a souligné d'anciennes problématiques, déjà mises en exergue par la commission des lois.

La première est le besoin de délimiter de manière plus lisible la frontière entre les compétences respectives des acteurs de la sécurité civile et des services du ministère de la santé. Le besoin de « re-coordonner les forces bleu blanc rouge », que nous avons récemment souligné dans nos travaux antérieurs sur la sécurité des sapeurs-pompiers, est de nouveau mis en avant à l'occasion du bilan de la gestion de la crise sanitaire. Celle-ci confirme, malheureusement, qu'aucune garantie structurelle n'est actuellement donnée par le droit applicable et que la bonne coopération entre les services de santé, dont les SAMU, et les SDIS dépend principalement de la bonne volonté des acteurs locaux.

Elle rappelle également que le développement de plateformes communes est consubstantiel à la consolidation d'un numéro d'appel d'urgence unique, le 112. Comme l'indique très justement la FNSPF, « cette crise démontre que sapeurs-pompiers et urgentistes hospitaliers peuvent et doivent travailler main dans la main, et plaide pour la mise en place du 112 comme numéro unique d'appel d'urgence et la généralisation de centres départementaux d'appels d'urgence regroupant tous les acteurs publics de l'urgence ».

M. Loïc Hervé, co-rapporteur sur la thématique « Protection des données personnelles dans l'utilisation des outils numériques de traçage » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - J'interviens maintenant, Monsieur le Président, sur le volet de nos travaux, menés avec Dany Wattebled, relatifs à la protection des données personnelles dans l'utilisation des outils numériques de traçage. Pour lutter contre la propagation d'un virus particulièrement contagieux et dangereux, de nouveaux outils numériques ont été déployés depuis ces derniers mois.

Il s'agissait initialement d'accompagner la stratégie de déconfinement ; il faut désormais lutter contre d'éventuelles reprises locales de la contagion, contre le risque hélas encore bien réel de « deuxième vague ».

Le but du suivi de contacts est bien connu : retrouver et prévenir au plus vite les personnes ayant été en contact avec un malade et qui auraient pu être contaminées pendant la période d'incubation. L'objectif, en alertant ces personnes, est de briser les chaînes de contamination et d'endiguer la propagation exponentielle de la maladie.

Les enquêtes manuelles de suivi de contacts présentent certaines limites : la mémoire des malades est imparfaite et il est impossible de prévenir les nombreux anonymes croisés dans des lieux publics ; cela prend du temps, et exige des moyens humains. C'est pourtant ce que l'on a dû faire dans les premiers temps de l'épidémie, et c'est ce protocole qui a été suivi, par exemple, dans les clusters des Contamines-Montjoie et dans l'Oise.

Le numérique, comme souvent, permet d'aller plus vite et d'avoir une réponse plus massive ; de nouveaux outils numériques peuvent donc présenter un réel appui dans le cadre des actions sanitaires destinées à briser les chaînes de contamination.

Mais la puissance de ces outils numériques a une contrepartie : c'est leur caractère particulièrement intrusif. Ces fichiers impliquent en effet l'échange de données personnelles relatives à la santé, et ils posent ainsi de graves questions au regard des libertés fondamentales, en particulier pour la protection de la vie privée de nos concitoyens.

À ce titre, nous avions demandé, dès la parution du premier rapport d'étape, que toute proposition du Gouvernement en matière de traçage numérique soit sans délai présentée au Parlement et fasse l'objet d'une analyse vigilante avant d'être déployée.

Sur ce point, nous avons obtenu satisfaction : le 27 mai dernier, le Gouvernement a prononcé devant le Sénat une « déclaration relative aux innovations numériques dans la lutte contre l'épidémie de covid-19 », en application de l'article 50-1 de la Constitution - déclaration que le Sénat, après en avoir débattu en séance publique, a adoptée par 186 voix pour et 127 contre.

Dany Wattebled et moi-même avons eu des votes opposés à cette occasion ! Mais nos sensibilités différentes ne nous empêcheront pas de vous présenter ce matin certains constats communs sur ce sujet ; chacun de nous nuancera au besoin sa position particulière sur tel ou tel point.

À ce jour, en France, deux initiatives différentes mettant en oeuvre des outils numériques de lutte contre l'épidémie ont été lancées ; elles doivent être bien distinguées.

En premier lieu, des systèmes d'information ont été créés ou adaptés pour équiper les professionnels de santé : les fameuses « brigades sanitaires ». Ces logiciels ou fichiers servent à faciliter le dépistage des malades et à contacter par téléphone les personnes à risque de leur entourage. Ce sont les fichiers « Si-dep » et « Contact Covid », gérés par le ministère de la santé et l'assurance maladie.

Vu l'ampleur de la tâche et le caractère massif de l'épidémie, le Gouvernement a souhaité que certaines données de santé puissent être partagées en s'affranchissant du secret médical et du consentement.

Nous avons eu de vifs débats à ce sujet, et si nous avons autorisé ces fichiers dans la loi prorogeant l'état d'urgence, après beaucoup d'hésitations, c'est parce que nous les avons strictement encadrés.

Sur l'initiative de notre commission, le Sénat a, en effet, imposé de nombreuses garanties. Je n'en rappellerai que les deux plus importantes : le périmètre des données de santé pouvant être traitées a été réduit - il s'agit uniquement du statut virologique ou sérologique et des éléments probants de diagnostic clinique et d'imagerie médicale - ; un double encadrement dans le temps a été prévu, limitant non seulement la durée de vie des fichiers mais également la durée autorisée pour le traitement des données personnelles.

Ces outils numériques ont été activés depuis le 13 mai 2020. Le fonctionnement quotidien des plateformes téléphoniques de tracing mobilise ainsi près de 2 000 collaborateurs de l'assurance maladie, et grâce à eux, fin juin, plus de 12 000 patients et 33 000 cas contacts avaient été pris en charge.

Il ne faut donc pas confondre ces outils, qui fonctionnent bien, avec l'application StopCovid, qui ne vise pas le même public et n'a pas eu, à ce jour, le même succès.

M. Dany Wattebled, co-rapporteur sur la thématique « Protection des données personnelles dans l'utilisation des outils numériques de traçage » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - StopCovid est une application grand public pour terminaux mobiles, qui utilise la technologie Bluetooth pour enregistrer la proximité avec d'autres appareils. Elle permet ainsi, sur une base purement volontaire, d'être alerté en cas de contact à risque avec d'autres utilisateurs s'étant révélés malades.

Concrètement, l'application mémorise sous forme anonyme l'ensemble des contacts avec d'autres appareils également équipés de celle-ci et passés à proximité sur une période donnée. Il est alors ensuite possible de retracer rétrospectivement les contacts d'un individu atteint par la maladie pour les prévenir du risque de contamination encouru.

L'application a été lancée le 2 juin par le Gouvernement, au moment où débutait la seconde phase du déconfinement. Elle est disponible au téléchargement pour les iPhones d'Apple et pour les appareils fonctionnant avec le système d'exploitation Android de Google.

Marque de la volonté du Gouvernement d'être irréprochable sur la conformité de l'application au droit de la protection des données personnelles, la CNIL a été saisie par deux fois et été amenée à se prononcer à deux reprises sur l'application StopCovid. Par un avis du 24 avril 2020, elle a répondu à une saisine du Gouvernement sur le principe général d'une application de suivi des contacts ; puis, par sa délibération du 25 mai 2020, elle s'est prononcée sur le projet de décret relatif à l'application.

La CNIL a estimé que « l'utilité de l'application et la nécessité du traitement projeté [étaient] suffisamment démontrées », au sens de la législation sur la protection des données. En effet, l'application lui apparaît, en l'état incertain des connaissances épidémiologiques, être un instrument complémentaire du dispositif d'enquêtes sanitaires manuelles, favorisant des alertes plus rapides en cas de contact avec une personne contaminée, y compris inconnue.

La CNIL a relevé plusieurs garanties, notamment le traitement des données sur la base du consentement et l'absence de conséquence juridique négative attachée au choix de ne pas recourir à l'application ; ses recommandations concernant les mesures de sécurité entourant l'application ont également été prises en compte.

La CNIL a en outre obtenu plusieurs modifications complémentaires, dont l'amélioration de l'information fournie aux utilisateurs, en particulier sur les conditions d'utilisation de l'application, les modalités d'effacement des données personnelles, et la nécessité de délivrer une information spécifique pour les mineurs et les parents des mineurs. Elle a également obtenu la confirmation explicite d'un droit d'opposition et d'un droit à l'effacement des données anonymes enregistrées et le libre accès à l'intégralité du code source de l'application mobile et du serveur.

Enfin, la CNIL a annoncé qu'elle mènerait dès le mois de juin une campagne spécifique de contrôle des outils numériques de lutte contre l'épidémie, notamment pour s'assurer de la destruction des données collectées à l'échéance des durées de conservation autorisées.

M. Loïc Hervé, co-rapporteur. - Quel bilan dresser de l'application StopCovid ? Les personnes reçues en audition nous avaient alertés, avant même son lancement, sur l'efficacité incertaine de cette application. La technologie Bluetooth a été conçue non pas pour mesurer précisément les distances, mais pour échanger des données. La fracture numérique risque de pénaliser nos concitoyens âgés ou vulnérables qui ne sont pas équipés de smartphone ou qui ne sont pas capables d'utiliser l'application, mais qui sont pourtant justement parmi les plus exposés au virus. À ces limites s'ajoutaient des objections de principe d'une partie de la société civile, évoquant le danger d'une accoutumance à la surveillance numérique ou le risque de discrimination au sein de la population contre les personnes n'ayant pas téléchargé l'application, qui pourraient se trouver en butte à une pression sociale ou économique voire à des phénomènes de stigmatisation.

Le secrétaire d'État au numérique, Cédric O, a dressé fin juin devant la presse un premier bilan des trois premières semaines de fonctionnement de l'application StopCovid.

Dany Wattebled et moi-même, tout en nous rejoignant sur le caractère assez décevant des premiers chiffres annoncés, avons encore certaines divergences sur la portée exacte à leur donner. Je laisserai mon collègue nuancer, avec plus de bienveillance que moi, les critiques que je vais formuler.

D'abord, l'adoption de l'application par la population française reste minime : 1,9 million de téléchargements seulement pendant les trois premières semaines de fonctionnement, auxquels il faut retrancher 460 000 désinstallations, soit un taux de couverture inférieur à 2 % de la population qui contraste avec la situation en Allemagne, qui totalisait près de 7 millions de téléchargements le jour du lancement de l'application officielle, pour un pays pourtant moins touché que le nôtre par l'épidémie. Cela pose vraiment la question de l'acceptabilité d'un tel outil par la population française.

Ensuite, l'utilité sanitaire concrète semble négligeable à ce jour : seules 68 personnes ont fait une déclaration de test positif via l'application. Avec seulement 14 utilisateurs avertis d'un risque de contact avec une personne contaminée, StopCovid reste donc à mon avis un vrai rendez-vous manqué.

En outre, si le protocole et le système applicatif ont été développés dans des conditions de délais exceptionnelles et grâce à la participation largement bénévole des équipes de chercheurs et d'informaticiens associées au projet, le fonctionnement normal de l'application et la maintenance des serveurs semblent désormais particulièrement coûteux, puisque s'élevant à environ 200 000 euros par mois, et ce d'autant plus au regard de ses maigres résultats.

Enfin, réduisant encore son efficacité, le dispositif reste un des rares en Europe qui ne sera probablement pas interopérable avec les autres applications développées par nos partenaires européens, en raison du choix minoritaire d'une architecture technologique centralisée. Seules la Hongrie, la Norvège et la Slovaquie ont fait un choix comparable.

M. Dany Wattebled, co-rapporteur. - Le bilan purement numérique de l'application est indéniablement décevant, mais il doit être rapporté à l'évolution actuelle de l'épidémie en France. Il aurait fallu qu'au moins la moitié de la population la télécharge pour que ce soit efficace.

Si l'application n'a conduit à contacter que peu de personnes à risque, c'est que la circulation du virus elle-même a diminué, limitant les occasions de signalement dans l'application. Celle-ci favorise une plus grande vitesse de réaction pour prévenir les personnes à risque, or isoler très tôt les personnes contagieuses est un élément décisif pour briser les chaînes de contamination. Face au risque de reprise de l'épidémie en cas de nouvelle vague à l'automne, comme le redoutent les autorités sanitaires, il est trop tôt pour conclure sur l'utilité de cette application. En tout état de cause, il ne faut pas se priver à ce stade d'un tel outil.

Le Gouvernement a revu sa stratégie, puisqu'il entend désormais cibler les zones où l'épidémie circule le plus, comme en Guyane, où une campagne d'information sur StopCovid a été menée par SMS.

L'ambition de l'application n'a jamais été de résoudre à elle seule l'épidémie ; elle est plus modeste. Selon plusieurs travaux épidémiologiques récents, la moindre contamination évitée compte, et même un faible pourcentage d'utilisation permettrait de lutter contre l'épidémie. Tout est affaire de proportionnalité : il s'agit d'un outil complémentaire qui vient appuyer et non remplacer les enquêtes sanitaires humaines pour retracer les cas contacts et qui évite ainsi l'écueil du solutionnisme technologique. StopCovid est un petit exploit. Les Français ont réussi à la développer en très peu de temps, seuls, avec leurs meilleurs experts en numérique.

Enfin, malgré un taux faible de téléchargement, l'application pourrait se révéler particulièrement efficace dans les zones denses et urbanisées, là où elle peut être le plus utile, puisque l'anonymat des transports en commun et des lieux publics constitue le point faible des enquêtes basées sur la mémoire, et que c'est justement cet angle mort que l'application peut combler.

En conclusion, eu égard aux garanties fortes de protection des données personnelles apportées dès le début, au fait que la solution déployée est respectueuse de notre souveraineté numérique et que le dispositif est temporaire, il me semble que nous pouvons encore donner sa chance à cette application, qu'il est un peu trop tôt pour condamner.

Si une deuxième vague de covid nous touchait à l'automne, peut-être serions-nous heureux d'échapper à un reconfinement général grâce, en partie, au déploiement plus massif de cet outil.

M. Philippe Bas, président, co-rapporteur sur les questions électorales pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. -Beaucoup des questions posées en matière de droit électoral à l'occasion de la crise du covid-19 mériteront d'être traitées dans un cadre permanent, en particulier celle de l'élargissement des procurations qui, en raison des contraintes calendaires, n'a pas été possible au degré souhaité mais qui mériterait d'être pérennisé, tout comme le vote par correspondance et le vote par internet, particulièrement nécessaire pour l'élection des représentants des Français de l'étranger en mai 2021, dans des conditions de sécurité sanitaire qui restent une grande inconnue.

En matière de contrôle des procurations, un système informatisé sera performant d'ici à un an et permettra l'attribution de procurations aux personnes n'habitant pas la commune du mandant, tout en évitant les fraudes.

Les crises révèlent des voies différentes de celles que l'on arpente habituellement. En France, nous avons été traumatisés par la fraude au vote par correspondance en vigueur jusqu'en 1975, mais cet ancien système était particulièrement souple. Il existe désormais des moyens pour organiser le vote par correspondance dans des conditions de sécurité satisfaisantes.

M. Alain Richard, co-rapporteur sur les questions électorales pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - Je confirme mon plein accord avec la version écrite du rapport sur ces sujets électoraux, y compris les propositions pour l'avenir.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leurs travaux respectifs.

Je déplore toutefois l'absence de réflexe ultramarin, même s'il est vrai que les conditions de communication n'étaient pas aisées avec la suspension ou la stricte réglementation des vols et le confinement. La compétence des outre-mer de notre commission doit nous inciter à ce réflexe ultramarin.

La délégation sénatoriale à l'outre-mer a mené un gros travail sur les conséquences du covid-19, surtout sur l'économie. Sur la sécurité, nous savons que tout ne s'est pas passé à l'identique dans l'hexagone et en outre-mer, surtout en Guyane et à Mayotte. À Mayotte, la délinquance a fortement augmenté pendant cette période. À la maison d'arrêt de Majicavo, 183 détenus sur 323 ont été testés positifs au covid-19 et le CRA a été fermé car les autorités comoriennes ont refusé la réadmission de leurs ressortissants.

Ces sujets auraient mérité d'être examinés par notre commission. Un rattrapage a posteriori sur les conséquences de l'épidémie en outre-mer n'est-il pas possible ?

M. Philippe Bas, président. - Rien n'empêche que nous reprenions une réflexion spécifique sur l'outre-mer. Vous avez raison. Nous n'avons pas désigné de binôme spécifique pour traiter cette question. Comme souvent, l'ensemble des questions traitées n'abordent pas suffisamment la spécificité ultramarine.

À la rentrée, nous devrons tirer les enseignements de la gestion de la crise par les services publics outre-mer, d'autant plus que l'état d'urgence sanitaire se poursuit à Mayotte et en Guyane, même si la situation semble moins grave à Mayotte qu'en Guyane.

Mme Françoise Gatel, co-rapporteur. - Je suis très sensible à la question de Thani Mohamed-Soilihi. Dans le volet que nous avons exploré en commun avec Pierre-Yves Collombat, le cas de la Martinique a été spécialement examiné, parce qu'il nous semblait qu'il existait effectivement des spécificités dans les collectivités d'outre-mer, en raison de leur insularité - sauf pour la Guyane - et de leur éloignement. Nous savions que les conséquences financières de l'épidémie seraient particulièrement importantes pour les outre-mer. Leur isolement a été une grande difficulté. Nous aurions peut-être pu être davantage attentifs aux outre-mer, mais nous les avons bien pris en compte.

M. Jean-Yves Leconte. - Merci aux rapporteurs. Plusieurs avocats m'ont rapporté que dans un certain nombre de tribunaux, des masques avaient été donnés exclusivement aux magistrats et que, n'en ayant pas, les avocats étaient dans l'incapacité d'assurer le droit à la défense.

Mi-mai, j'ai visité le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot. J'ai été très surpris. Il n'y a qu'un seul point d'eau pour toutes les personnes retenues et pas de gel hydroalcoolique. Toutes devaient boire sans verre au même point d'eau pendant la crise sanitaire. À cette période, la gestion des CRA n'a pas été optimale.

Pourrait-on disposer d'une liste des ordonnances dont les effets se prolongent au-delà de l'automne ? Le Gouvernement doit présenter des projets de loi de ratification dans les délais prévus, mais cela ne signifie pas que nous en discutions. Il faudrait que nous puissions débattre des ordonnances que nous jugeons importantes, sur le temps d'initiative parlementaire.

M. Éric Kerrouche. - Merci aux rapporteurs pour leur travail.

Les observations de Françoise Gatel et de Pierre-Yves Collombat complètent en grande partie le rapport que j'ai rédigé avec Jean-Marie Bockel, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, sur la gestion de la crise du covid-19 par les maires. Quelque 1 800 élus locaux ont répondu à notre enquête, qui révèle un sentiment d'abandon assez fort et un manque important de matériel dénoncé par la plupart des élus locaux. Au coeur de la crise sanitaire, ils ont aussi eu l'impression que l'État au plus haut niveau ne répondait pas à leur demande d'informations. Ils les recevaient par les médias et non la chaîne hiérarchique.

Je reconnais que le couple préfet-maire a été plébiscité. Les initiatives ont été prises localement, avec des différences selon le niveau de collectivité. Plus la population était importante, plus il y avait de difficultés, en raison d'un champ accru de compétences, avec la décision de se substituer aux services de l'État, notamment pour les approvisionnements sanitaires. La volonté des élus locaux est que cette crise offre des enseignements à suivre si de nouvelles difficultés se manifestaient, avec la volonté de planifier les approvisionnements en masques et en outils de protection, et de mettre à plat les relations entre les collectivités territoriales et l'État, pour une meilleure reconnaissance des premières. Les élus locaux réclament avant tout une logique partenariale qui, selon eux, a manqué.

En matière électorale, il est regrettable qu'alors que nous avons eu le temps de mieux préparer le second tour des élections municipales, les décisions sur les procurations aient été prises trop tard et n'aient pas été assez larges. Nous aurions pu faire beaucoup mieux. Il faudra réfléchir à l'amélioration de ces processus et à la remise au goût du jour de possibilités comme le vote postal.

L'abstention existe de tout temps dans les grands centres urbains. Il faut trouver des solutions particulières. Il est important d'y réfléchir collectivement.

Mme Marie Mercier. - Je félicite tous les rapporteurs de leur excellent travail grâce auquel nous pourrons anticiper une éventuelle nouvelle vague.

L'accueil des enfants du personnel des centres de détention et des foyers de l'enfance n'avait pas été prévu. Lorsque nous avions auditionné Jean Castex, qui était alors en charge de la stratégie de déconfinement, j'avais posé une question sur la chaîne de responsabilité et émis l'idée du préfet unique. Nous n'avions pas eu de réponse.

L'intérêt de cette crise est qu'enfin, lors des commissions médicales d'établissement, nous avons parlé davantage médecine qu'administration. Le circuit court de la décision a prévalu. Les ARS ont probablement une utilité, mais il est important de remettre les médecins au centre des décisions.

Il reste beaucoup de choses à découvrir concernant cette maladie pour laquelle nous ne disposons pas encore de traitement. Il faudra laisser aux chercheurs le soin de travailler pour mettre en place des protocoles thérapeutiques efficaces pour soigner les patients atteints de la covid-19.

La contrainte suscite l'imagination. Finalement, les collectivités territoriales ont pris la main. La commune reste le premier espoir et le dernier recours.

M. Alain Richard, co-rapporteur. - Dans la série des choses qui ont fonctionné, je voudrais ajouter l'éléphant dans le couloir : la capacité de nos hôpitaux à transformer leur organisation en quelques jours pour multiplier par deux ou par trois leurs capacités de réanimation pulmonaire. Au milieu des flots de récriminations, soulignons que des ressources ont pu être efficacement employées.

M. Philippe Bas, président. - Il ne nous appartenait pas de nous prononcer sur le fonctionnement des hôpitaux. En revanche, il nous appartenait de relever les défaillances du service public de la justice. Une partie du rapport porte sur ce point. Les tribunaux, dans lesquels on constate souvent un afflux de justiciables et d'avocats qui s'ajoutent au personnel, ont très vite fermé leurs portes. Mais ils ont aussi réduit leur activité très largement. Les personnels, surtout les greffiers, n'étaient pas correctement équipés pour travailler à distance. Après la grève des avocats, de nouveaux reports d'audience ont dû être décidés. La situation de la justice a été à déplorer.

La police et la gendarmerie ont été très mobilisées. Nous avons relevé leurs difficultés, mais elles ont effectué un travail de très grande qualité. Le service public de la justice, lui, a rencontré des obstacles majeurs à sa continuité, qui doivent faire réfléchir aux efforts d'informatisation à réaliser et à la préparation de plans de continuité d'activité plus sérieux.

Mme Muriel Jourda. - Nous avons constaté dans le Morbihan que le corps préfectoral était particulièrement organisé. Le préfet est un militaire, ce qui est très bon pour la gestion de crise. Il a extrêmement bien travaillé. À côté, l'ARS n'est pas faite pour la gestion de crise. Elle a travaillé comme d'habitude, c'est-à-dire à un rythme un peu lent pour la circonstance. Il aurait pu être bon qu'il y ait non pas plusieurs têtes - avec le préfet, l'ARS, l'éducation nationale, la direction départementale des finances publiques -, mais une seule.

Lors de son audition par la commission, j'avais demandé à M. Castex s'il était possible qu'il n'y ait qu'un seul chef de file, le préfet, organisant l'ensemble des services de l'État. Il n'avait pas répondu, faute de temps, mais l'un des membres de son équipe m'a rappelée pour me dire que ce n'était juridiquement pas possible car les ARS sont des établissements administratifs indépendants. Juridiquement, cela se justifie sans doute. Heureusement que les prévisions apocalyptiques du professeur Delfraissy, de 15 000 contaminations par jour, ne se sont pas réalisées. Malgré tout, il est positif de ne pas multiplier les têtes de pont dans un département - cette réflexion reste d'actualité.

Mme Françoise Gatel, co-rapporteur. - C'est la notion de task force coordonnée par un pilote.

Je suis sensible aux propos d'Alain Richard sur la capacité d'adaptation des hôpitaux. En Bretagne, chacun a été très heureux de la transformation des TGV en véhicules sanitaires voyageant de l'Est à Brest, mais les patients transportés auraient pu être accueillis dans des établissements privés de très grande qualité auxquels les ARS avaient demandé d'arrêter toute activité. Soyons attentifs à cultiver l'intelligence d'un partenariat public-privé qui peut être de grande qualité.

M. Jacques Bigot. - L'Alsace a été durement touchée. On a mis beaucoup de temps avant de mobiliser les établissements privés. Du retard a été pris dans les relations transfrontalières. Les établissements allemands et luxembourgeois ont accueilli des malades, mais c'était très compliqué car le préfet de région ne peut pas discuter directement avec ses homologues des Länder.

Les dysfonctionnements de la justice révèlent très clairement des problèmes d'organisation. On a laissé aux présidents de juridiction le soin de s'organiser, or ils ne sont pas des chefs d'établissement. Les toutes petites juridictions se sont mieux organisées car elles ont bénéficié de la proximité accrue entre les personnes.

Des présidents de juridiction nous ont dit que des instructions claires de la chancellerie auraient eu des effets différents. Il y aurait eu moins de retard.

Mme Catherine Di Folco. - Comment le rapport sera-t-il diffusé ?

M. Philippe Bas, président. - J'y venais. Êtes-vous d'accord pour rendre le rapport public ?

M. Alain Richard, co-rapporteur. - Je me plains une nouvelle fois de cet usage immémorial au Sénat qui consiste à se prononcer sur la publication du texte et à se voir ensuite considéré comme approuvant l'ensemble de son contenu. Ce manque de franchise a des effets extrêmement nocifs.

M. Philippe Bas, président. - Cet usage, qui nous a précédés, présente un avantage : il n'est pas demandé d'approuver un rapport pour accepter qu'il en soit fait publicité. Il n'est imposé à personne d'assumer son contenu.

M. Alain Richard, co-rapporteur. - Ce serait un progrès spectaculaire que d'inscrire cette mention dans le rapport...

M. Philippe Bas, président. - En effet, c'est une bonne idée.

M. Jean-Pierre Sueur, co-rapporteur. - Il est précieux que les comptes rendus des débats de la commission soient inclus dans le rapport car, ainsi, les opinions divergentes y figurent.

M. Jean-Yves Leconte. - J'insiste : nous devons travailler sur les ordonnances qui resteront en vigueur après l'état d'urgence sanitaire.

M. Philippe Bas, président. - Oui, nous pouvons faire un état de toutes les mesures maintenues quelques mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire. Nous y joindrions les règles que le Sénat a inscrites dans la loi pour limiter les durées d'application des dispositions d'exception prises par ordonnances.

M. Jean-Yves Leconte. - Nous pourrions même aller plus loin en prenant l'initiative de débattre de certaines ratifications, quitte à les examiner en procédure de législation en commission.

M. Philippe Bas, président. - Cela va de soi.

M. Alain Richard, co-rapporteur. - La ratification est une loi. Il faut bien qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour du Sénat et de l'Assemblée nationale.

M. Philippe Bas, président. - Il n'est pas inenvisageable d'inscrire à notre ordre du jour le projet de loi de ratification, même si le Gouvernement ne le souhaite pas. Monsieur Leconte, vous pourriez le proposer à votre groupe. De mon côté, je vais y réfléchir.

Alain Richard avait proposé que nous réfléchissions à une mise en oeuvre de la procédure de législation en commission. J'y suis très favorable. Entre la situation actuelle - ne jamais examiner la longue liste de projets de loi de ratification - et la situation dégradée qui consisterait à en faire un examen par cette procédure simplifiée, on peut s'interroger... Nous en avons discuté lors du bureau de la commission, qui s'est tenu ce matin même. En outre, la décision récente du Conseil constitutionnel pourrait entraîner une désincitation pour le Gouvernement à inscrire à l'ordre du jour les projets de loi de ratification puisqu'il n'est plus menacé que par une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel, que la juridiction administrative répugnera à transmettre. Le Gouvernement a plus de confort que jusqu'à présent.

M. Alain Richard, co-rapporteur. - L'erreur initiale a été un excès de vertu dans la réforme constitutionnelle de 2008, que par ailleurs j'approuve pleinement. À l'article 38, nous avons écrit qu'il ne pouvait plus y avoir de ratification tacite...

M. Philippe Bas, président. - Petite cause, grands effets !

La commission des lois autorise la publication du rapport.

La réunion est close à 12 h 20.

Jeudi 9 juillet 2020

- Présidence de MM. Philippe Bas, président de la commission des lois, et Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Lutte contre la cybercriminalité - Examen du rapport d'information (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu sera publié ultérieurement.

La réunion est close à 9 h 25.