Jeudi 3 décembre 2020

- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -

La réunion est ouverte à 9  heures.

Audition de M. Martial Foucault, professeur à Sciences-Po Paris, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF)

Mme Françoise Gatel, présidente. - Mesdames, Messieurs, merci d'être parmi nous. Le professeur Martial Foucault, à qui je souhaite la bienvenue, va nous présenter l'enquête qu'il a réalisée en partenariat avec l'Association des Maires de France (AMF). Il est important d'approfondir les conclusions de cette enquête pour nous permettre de légiférer de manière juste. Cette enquête est représentative, car plus de 4 700 maires se sont exprimés. Ils reviennent sur l'élection si particulière de 2020, sur leur rôle en temps de crise sanitaire, ainsi que sur leurs rapports avec les services de l'État central. Cela est très important pour nous qui aurons à travailler sur la différenciation et la déconcentration ainsi que sur la question des violences à l'égard des élus, dont nous avons beaucoup parlé avant la loi « Engagement et proximité ».

M. Martial Foucault, professeur à Sciences-Po Paris, directeur du CEVIPOF. - Merci pour cette invitation, je suis très heureux de vous présenter cette troisième vague d'enquête. Pierre-Henri Bono est mon collègue, avec lequel je travaille depuis trois ans sur cette enquête. Le partenariat avec l'AMF a démarré en 2018. Cette vague d'enquête s'est tenue en septembre et en octobre 2020, et habituellement ses résultats sont présentés lors du Congrès des maires.

Ce travail vise à répondre à plusieurs questions que nous nous posons en sciences sociales et en particulier au CEVIPOF. Une césure est-elle en train de s'opérer entre le local et le national sur la vitalité démocratique aujourd'hui ? Comment caractériser la très forte confiance qu'ont les Français à l'égard de leurs représentants municipaux ?

Plus des deux tiers des Français considèrent qu'ils peuvent avoir confiance en leur maire et cette tendance est stable. Il est nécessaire de s'interroger sur les ressorts de cette confiance. Tout d'abord, la proximité qui est attendue n'est pas seulement géographique ; il s'agit de réactivité et de responsabilité politique au sens anglo-saxon du terme, autrement dit, d'accountability. Les Québécois utilisent le terme évocateur de « redevabilité » : d'une certaine manière, l'élu est redevable d'un engagement.

L'autre ressort de la confiance est la bienveillance. Ce terme est certes un petit peu galvaudé depuis la campagne de 2017, mais la bienveillance a, selon moi, beaucoup de sens sur le plan politique, en lien avec les notions d'exemplarité et d'honnêteté. Les Français considèrent que leurs représentants locaux sont les seuls qui parviennent à alimenter ces deux aspects de la confiance.

À travers cette enquête, nous cherchions à mieux saisir les enjeux de la transformation de la représentation municipale, sachant que les élections municipales en mars 2020 ont déjà suscité un grand nombre d'analyses.

Il ne serait pas rigoureux de considérer que la forte baisse de la participation ne s'explique que par la crise sanitaire. Nous avons donc souhaité comprendre comment les maires percevaient cette faible mobilisation des électeurs. Parmi eux, 45 % déclarent ne pas être inquiets, considérant que les Français restent attachés à leurs élus municipaux et que le phénomène est passager. A contrario, 55 % des maires sont inquiets et 90 % d'entre eux considèrent que le phénomène est beaucoup plus profond. Il marquerait un désintérêt des Français pour la politique en général. Il est important de distinguer les maires nouvellement élus des maires réélus, mais la différence de perception entre ces deux catégories est faible.

Dans les départements qui avaient observé des hospitalisations pour cas de Covid la semaine précédant le scrutin, le taux d'abstention n'a pas été plus important qu'ailleurs. Autrement dit, on n'observe pas de lien entre un territoire fortement exposé à la pandémie et son taux d'abstention. Ainsi, certains experts sont allés un peu vite dans leur analyse en considérant qu'il existait une relation de cause à effet.

Dans l'enquête, nous avons également analysé les données disponibles du ministère de l'Intérieur, le Registre national des élus (RNE). Il en ressort que la sociologie des élus évolue peu. Plusieurs tendances sont à noter : un rajeunissement de l'âge des maires (59 ans contre 63 ans pour la mandature précédente), une accélération de la féminisation (19,5 % de femmes élues maires, soit un maire sur cinq) et une transformation profonde de la trajectoire socio-professionnelle des maires.

Quarante ans plus tôt, 40 % des maires étaient des agriculteurs. Aujourd'hui, 40 % des maires sont des retraités non agriculteurs. Les retraités sont la catégorie la plus représentative des maires de France et ceci n'est pas seulement vrai pour les petites communes mais pour toutes les communes. On observe également une forte amélioration de la représentation des cadres et professions intellectuelles supérieures, notamment dans les communes de plus de 30 000 habitants.

Selon moi, cette augmentation de la part des retraités pose la question du statut de l'élu, qui elle-même dépasse elle-même celle de la rémunération. L'indemnité de maire est en effet un enjeu mais il n'est pas prioritaire. L'engagement dans des fonctions municipales dépasse aussi très largement le fait de vouloir exercer une profession. Toutefois, près d'un tiers des répondants, souvent des maires de très petites communes, ont le sentiment d'exercer un métier et non pas une fonction. C'est la charge en temps de travail qui les incite à répondre de cette manière. Peut-être que les maires de très grandes communes savent ce qui pèse sur l'idée de la professionnalisation des élus et seraient gênés de considérer qu'ils exercent un métier plutôt qu'une fonction.

Pour rappel, plus de 4 700 maires ont accepté de répondre en totalité à l'enquête, tandis que plus de 6 000 ont accepté de répondre mais n'ont pas complété le formulaire en entier.

Concernant la gestion de la crise sanitaire, j'ai été très surpris, tout le printemps, de lire que le couple préfet-maire s'était réinstallé comme la pierre philosophale de tous les problèmes de la relation entre l'État et le local. Les deux années précédentes, en 2018 et en 2019, la même enquête mettait en évidence, à l'inverse, des difficultés de travail entre les préfectures et les maires. Deux griefs étaient soulevés par les maires : la difficulté à obtenir des réponses techniques, essentiellement juridiques, de la part des préfectures, et le manque de reconnaissance de l'État et des services déconcentrés de l'État.

Au cours de cette enquête, nous avons découvert que les maires, pour 70 % des répondants, avaient le sentiment d'avoir été très bien associés par les services préfectoraux à la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire.

Cela étant, seuls 40 % des maires ont eu l'impression que le travail avec les agences régionales de santé avait bien fonctionné, principalement dans les communes de taille intermédiaire, de 1 500 à 9 000 habitants. Pour les très petites communes, cette réussite s'explique probablement par le travail de filtre réalisé en amont par les préfectures.

Là où la gestion de la crise sanitaire n'a pas bien fonctionné, ce n'est pas qu'une question de coordination ou de réactivité ; c'est aussi une question d'efficacité qui est posée par les maires de ces communes. Les principales sources de dysfonctionnement repérées par les maires sont le manque de directives claires et cohérentes de la part des services déconcentrés de l'État en charge de la question sanitaire, le manque de matériel et de d'équipements de protection, et enfin le manque de prise en compte des spécificités territoriales.

L'action du Gouvernement en vue de territorialiser une stratégie, non pas de confinement, mais de surveillance et de veille sanitaire, a, d'une certaine manière, tourné à la catastrophe. Le pays souffre d'un tel manque de culture politique de la décentralisation qu'inévitablement, chaque décision qui consiste à prendre en compte des éléments de différenciation territoriale semble aujourd'hui vouée à l'échec.

Si l'enquête est reconduite l'an prochain, il faudra poser la question de ce qu'un citoyen entend par « décentralisation ». Moi qui ai vécu plus de huit ans au Canada, je considère que comprendre la décentralisation se joue aussi au quotidien pour appréhender ce que veulent dire ces notions : « compétence partagée », « compétence exclusive », ou « compétence totalement décentralisée ». Cette crise sanitaire a permis de mettre en évidence le fait que la représentation de la décentralisation ressemble plus à la déconcentration.

La compétence santé doit-elle être exclusivement exercée par l'État ? La décentralisation, sur ces questions, a une vertu essentielle qui est de permettre d'établir ce lien de proximité entre le « qui fait quoi » et le bilan qui est tiré de cette répartition des compétences. Aujourd'hui, il est très compliqué, pour un citoyen, au plan local, de pouvoir identifier les acteurs locaux qui ont permis de changer sa vie ou, plus concrètement, de restaurer un mieux-être territorial.

Sur la question des violences symboliques et physiques faites aux maires, le chiffre marquant de l'enquête est que 5 % des maires ont déclaré avoir subi des violences physiques. Cela peut paraître faible mais recouvre en réalité des centaines de cas d'agressions physiques. Un constat similaire a pu être dressé à partir de l'enquête lancée par le Sénat au cours de l'été 2019 à destination de l'ensemble des élus.

On observe également une montée des incivilités dans le temps, même si l'on peut noter quelques éléments encourageants en matière d'atteintes aux biens et au domaine public communaux. Par exemple, le nombre d'occupations illégales ou d'évènements non autorisés n'augmente pas.

Il est en tout état de cause difficile de distinguer les faits relevant de l'atteinte à la commune des atteintes à la personne physique. En effet, un acte de violence physique porté à l'endroit du maire est bien souvent la suite de faits de malveillance au sein de la commune. L'exemple de ce qui est arrivé au maire de la commune de Signes en est l'illustration.

Par ailleurs, 20 % des maires nous déclarent avoir déjà subi des attaques sur les réseaux sociaux, en dépit de leur présence relativement faible sur ces supports de communication.

Concernant les grandes transformations observées au cours des trois années d'enquête, nous avons souhaité comprendre si l'état d'esprit des maires au quotidien, leur niveau de confiance en l'avenir par exemple, pouvait être perturbé par des phénomènes subjectifs. On observe que lorsqu'un maire est assez peu confiant pour l'avenir de sa commune, il représente des citoyens optimistes. De la même manière, les maires optimistes représentent souvent des citoyens pessimistes. De façon générale, dans les très petites communes, des maires pessimistes représentent des citoyens optimistes et, dans les grandes communes, des maires optimistes représentent des citoyens pessimistes. Cet effet de ciseaux est intéressant pour comprendre comment revitaliser la vie démocratique locale. Enfin, quand maires et citoyens partagent le même état d'esprit, il n'y a pas d'inquiétude à avoir entre la représentation et la manière dont on fait vivre la démocratie municipale.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Le dernier point que vous avez évoqué est particulièrement intéressant. Nous savons aussi, les uns et les autres, combien des hommes et des femmes élus peuvent influer sur l'avenir d'un territoire. L'attente des élus concernant la cohérence et la simplification de la part de l'État est également un point clé. La question du statut de l'élu est aussi importante. Nous avons initié le débat et fait quelques avancées dans la loi « Engagement et proximité ». J'ai aimé ce portrait d'élu optimiste ou volontaire, cela est rassurant en matière de démocratie.

M. Philippe Dallier. - J'ai trouvé les propos du Pprofesseur Foucault plutôt rassurants sur l'image des maires et des élus locaux, qui est bien meilleure que celle des autres catégories d'élus. Je suis quand même moins optimiste concernant les dernières élections municipales. La participation n'est en effet pas le seul motif d'inquiétude ; l'engagement politique pose aussi question et je voudrais vous interroger sur ce point. Je suis élu local depuis bientôt trente-huit38 ans. Quand j'ai commencé en politique, j'aurais pu composer trois ou quatre listes de grande qualité. Aujourd'hui, cette démarche est devenue compliquée, car elle suppose d'aller chercher des personnes acceptant de s'engager sur le terrain, et il est de plus en plus difficile de les convaincre. J'ai le sentiment que c'est une tendance assez générale. Je voulais savoir si, dans votre enquête, vous ressentez cette crise de l'engagement politique. Cette crise a des effets et en aura encore à l'avenir. Gérer des collectivités locales devient de plus en plus complexe. La bonne volonté suffit de moins en moins. Il faut aussi des individus capables de répondre à leurs concitoyens et d'aller au fond des dossiers.

Mme Michelle Gréaume. - Les élections municipales ont suscité beaucoup d'incompréhension. Le Président de la République, se revendiquant comme garant de la santé et de la sécurité des citoyens, a maintenu les élections tout en annonçant, le même soir, la fermeture des bars et des restaurants. De nombreux recours ont eu lieu dans les municipalités où le maire a été élu au second tour. De plus, ceux qui ont perdu leur municipalité se sont sentis moins soutenus alors qu'ils ont dû mettre en oeuvre toutes les mesures pour faire face à la crise sanitaire.

Pouvez-vous nous dire combien de recours ont été déposés et leur issue ? Avez-vous des chiffres sur des abandons de mandat d'élus municipaux ? Et en ce qui concerne la participation des citoyens aux urnes, que faudrait-il faire pour l'encourager dans le futur ?

M. Charles Guené. - Je remercie notre intervenant pour son exposé, dans lequel je me retrouve parfaitement. En réalité, un maire exerce très souvent un autre mandat, tel que ceux de conseiller départemental, communautaire ou régional. Or cette même personne est appréciée d'abord en sa qualité de maire. La raison en est probablement que le maire est observé dans la proximité, sans intermédiaire. Notre Pprésident du Sénat a l'habitude de dire que les maires sont « à portée de baffes ». À l'inverse, les élus appartenant aux autres catégories sont appréciés à travers les médias et les réseaux sociaux. Or ces prismes sont fortement déformateurs ; ils altèrent la relation de l'élu à ses concitoyens.

Les élus de demain, plus particulièrement dans nos campagnes, ne devraient-ils pas apprendre à vivre avec les réseaux sociaux, les inclure dans leur stratégie d de communication  ? AÀ défaut, je crains qu'ils ne puissent plus exercer leur fonction.

M. Martial Foucault. - Merci infiniment pour ces questions pertinentes même si je ne suis pas certain d'avoir la réponse à toutes. Je ne connais pas le nombre de recours déposés, je crois que c'est 70 ou 80, de mémoire, mais il faudrait vérifier cela.

Concernant le taux de participation, la forte abstention révèle aussi un sujet sur l'engagement. La France se trouve dans une situation paradoxale. En effet, nous sommes les seuls en Europe à mobiliser 900 000 personnes en qualité de candidats pour une seule élection. En parallèle, il est vrai que les difficultés rencontrées par les maires élus en 2014 pour constituer les listes sont nombreuses. Il est difficile de mobiliser les personnes de moins de 25 ans, voire de moins de 40 ans, ainsi que les personnes actives professionnellement.

À cet égard, un sujet important n'a pas été traité dans la loi « Engagement et proximité » ; celui des facilités accordées par les employeurs pour permettre à une personne d'être candidate, d'une part, de libérer du temps une fois élue, d'autre part et, enfin, de retrouver une occupation professionnelle à l'issue d'un mandat.

Quand on s'interroge sur la représentation politique, on a tort de s'arc-bouter uniquement sur des critères d'âge, de sexe et de profession. On devrait tenir compte du statut (actif ou retraité) pour traiter de la question de la représentation.

Aujourd'hui, en France, nous avons 40% de maires retraités. Il ne s'agit pas ici de critiquer leur action, qui est tout à fait honorable. Ceci étant, la catégorie des retraités est surreprésentée parmi les maires. En effet, elle totalise 14 des 66  millions d'individus composant la population française, soit 25 % au mieux de cette dernière, voire 30 % si l'on se réfère au collège électoral (composé de 46  millions d'individus). .

Si nous voulons plus de jeunes engagés au plan municipal, nous avons besoin d'une stratégie ; c'est un processus long. D'ailleurs, cette implication dans la vie politique locale est essentiellement mue par des engagements préalables, pas nécessairement politiques, mais dans des associations sportives, culturelles, économiques ou agricoles. L'engagement préexiste ainsi à toute forme d'appartenance partisane.

L'abstention à cette élection n'est donc pas exclusivement le fait de l'épidémie ; les racines sont beaucoup plus profondes. Je suis malgré tout rassuré de voir que là où la compétition politique s'exprime, avec plus de deux listes en concurrence, on observe une augmentation du taux de participation. Là où des enjeux sont discutés et où le vote des citoyens est décisif, le taux de participation augmente.

Concernant l'engagement politique, peut-on aller au-delà de près d'un million de personnes déjà engagées sur les listes ? Le nombre actuel de communes ne le permet pas sans doute pas.

Une dualité existe bel et bien entre les maires qui ont la possibilité d'exercer plusieurs fonctions ou qui avaient la possibilité, dans un passé encore proche, de cumuler des mandats électifs nationaux et locaux.

Enfin, comment les maires de communes de moins de 9 000 habitants peuvent-ils se former à l'usage des réseaux sociaux ? Dans les plus petites communes, les maires indiquent ne pas avoir de compte personnel et ne pas l'envisager. Par ailleurs, les organismes de formation des élus locaux ne me semblent pas faire les efforts nécessaires pour les former à ces outils. À mon sens, ce n'est pas seulement une question de formation ou de l'appétence. Les réseaux sociaux ne sont pas uniquement des supports de communication politique. Ils constituent une question à part entière dont on devrait débattre, en particulier concernant leurs effets sur la démocratie. Or les maires sont aujourd'hui désemparés et manquent de réponses juridiques. La pénalisation des faits de harcèlement sur les réseaux sociaux est très récente et l'actualité tragique nous a montré l'impossibilité de pénaliser un certain nombre d'actes.

M. Laurent Burgoa. - J'aimerais revenir sur le couple maire-préfet dans la gestion de la crise sanitaire. Avez-vous prévu de poursuivre l'enquête à propos du deuxième confinement ? Mon ressenti est que ce couple fonctionne moins bien lors de ce deuxième confinement, les préfets n'ayant aucune latitude pour agir.

Mme Sonia de La Provôté. - Je souhaite aussi réagir sur le couple maire-préfet, dont la vitalité retrouvée est saluée alors qu'il souffre de dysfonctionnements structurels. Nous ne savons pas exercer la décentralisation de façon sereine et pragmatique du fait de notre culture administrative. Le discours autour du couple maire-préfet semble brider notre réflexion. La solution pour permettre la décentralisation ne serait-elle pas un pacte local faisant intervenir les différents échelons ? Les blocages sont-ils si grands qu'ils interdisent tout espoir ?

M. Guy Benarroche. - J'ai eu l'occasion d'interroger la justice administrative concernant les recours : leur nombre est équivalaent à celui de l'élection municipale de 2014.

Vous avez évoqué la confiance dont sont dépositaires les élus locaux. Il faut noter sur ce point que les citoyens ont tendance à penser que le lieu de pouvoir n'est plus forcément le politique. D'autres lieux de pouvoir surgissent depuis un certain nombre d'années. L'implication dans la vie politique locale n'est plus perçue comme un facteur de changement de la vie quotidienne. Le problème réside donc dans le lien entre l'engagement local et la transformation de la vie quotidienne.

M. Martial Foucault. - Sur l'évolution du couple préfet-maire durant le deuxième confinement, je ne peux pas vous répondre. Les maires, interrogés à partir du 16 septembre 2020, se référaient au premier confinement. Si cette enquête était reconduite à l'heure actuelle, il serait possible de saisir ce que vous évoquez, même si je n'ai pas vu de différence entre les premiers et derniers répondants à la première enquête.

Vous pointez aussi un aspect fondamental : le préfet n'est que la courroie de transmission de l'État. Ce qui est soulevé dans l'enquête est le manque de clarté des directives. Ceci étant, certains préfets ont ainsi pu « arrondir les angles » et individualiser l'application d'un certain nombre de mesures.

Concernant la culture de la décentralisation, je suis toujours surpris de ne pas observer d'avancées significatives sur ce que réclament les citoyens français : une forme de souplesse dans l'action de l'État. Cela est, de mon point de vue, tout à fait compatible avec le pacte local évoqué par la sénatrice de La Provôté. Le débat doit inclure le problème de légitimité démocratique des intercommunalités et leur rôle dans ce pacte local.

Concernant les lieux de pouvoir qui ne sont plus nécessairement politiques, je pense que vous pointez un élément essentiel. J'avais été très frappé au cours du « Grand débat », en participant avec Pierre-Henri Bono à plusieurs réunions d'initiative locale, par le fait que le temps de la démocratie électorale est profondément chahuté. Un nouveau cycle est en train de se mettre en place. La majorité des maires sont conscients que la démocratie électorale ne peut pas se satisfaire d'un rendez-vous tous les six ans. Sur le plan local, les initiatives de démocratie « participative », « consultative », « délibérative » demandent un travail préparatoire considérable.

Pour conclure, il me semble que sur les réseaux sociaux on ne débat pas sur le plan politique. Or la politique consiste à organiser le débat. De ce point de vue, beaucoup reste encore à inventer.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci Professeur pour votre intervention aussi enrichissante qu'instructive. Un certain nombre de questions restent ouvertes. Le résultat détaillé de l'enquête sera communiqué aux uns et aux autres.

Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, dans le cadre des travaux sur l'ancrage territorial de la sécurité intérieure

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale (DGPN), que je remercie pour sa disponibilité dans un contexte extrêmement chargé pour nos forces de l'ordre. En préambule, je tiens à exprimer mon soutien et ma gratitude à l'égard de la police nationale en ces temps difficiles.

L'actualité est marquée par la sortie du Livre blanc sur la sécurité intérieure, avec notamment un chapitre concernant la police municipale qui intéresse notre délégation. Par ailleurs, la proposition de loi relative à la sécurité globale arrivera prochainement au Sénat. Notre délégation a engagé une mission sur l'ancrage territorial de nos forces de sécurité, dont les travaux devraient s'achever fin décembre ou début janvier.

Sur ce sujet de la sécurité intérieure, nous intéressent plus particulièrement la question du maillage entre police et gendarmerie, les relations entre les forces de police et les élus locaux, les problématiques de l'efficacité du renseignement territorial, des relations avec la population et, plus globalement, des polices municipales.

M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale. - Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer dans le cadre de vos travaux sur l'ancrage territorial de la sécurité intérieure. Ce thème est évidemment au coeur des préoccupations du ministère de l'intérieur et de la direction générale de la police nationale (DGPN) dans sa mission de protection de nos concitoyens et des institutions de la République. La notion même d'ancrage territorial peut s'apprécier de plusieurs façons, comme le montre le rapport intermédiaire publié par votre délégation.

Quelques données illustrent l'action de la police nationale, préfectures de police comprises. En 2019, la police nationale a été chargée du traitement de 89 % des faits de violences physiques crapuleuses, 69 % des atteintes aux biens, 81 % des faits relevant de la grande criminalité et 88 % des faits de trafics de stupéfiants. Par ailleurs, l'ensemble des services de la police a assuré 77 % des mesures de garde à vue.

Hors la zone de compétence de la préfecture de police de Paris qui justifie un traitement à part, dans le cadre des travaux concernant l'ancrage territorial de la sécurité, 307 circonscriptions de sécurité publique sont en première ligne pour assurer la sécurité du quotidien à laquelle les Français sont attachés. Elles ont la responsabilité de près de 27 millions d'habitants, soit près de 40 % de la population. Par ailleurs, près de 7 millions d'appels Police secours et 2,1 millions interventions ont été enregistrés en 2019 par la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), ce qui témoigne bien de l'intensité de l'engagement des policiers sur le terrain.

Dans ce cadre, la police nationale développe une politique territoriale que nous n'avons de cesse de moderniser, au travers de l'organisation de nos structures et de notre relation avec la population ou nos partenaires, au premier rang desquels figurent les élus locaux. Cette volonté d'adaptation aux réalités du territoire s'est notamment traduite par le lancement de plusieurs initiatives ; je souhaiterais en évoquer deux devant vous.

Il s'agit d'abord, depuis le 1er janvier dernier, de l'expérimentation des directions territoriales de la police nationale (DTPN). Elles ont été créées dans trois territoires d'outre-mer - Mayotte, Guyane et Nouvelle-Calédonie - marqués par une forte délinquance et des mouvements d'ordre public nécessitant une mutualisation forte entre les services de police présents dans ces territoires.

Pour répondre à ce besoin de cohérence et de cohésion dans l'action, l'organisation de la police nationale évolue vers un modèle s'appuyant sur des filières métiers - sécurité publique, sécurité judiciaire, renseignements, immigration et circulation transfrontière, formation - placées sous une direction unique. Ce commandement unifié permet à la fois de renforcer l'efficacité opérationnelle de la police nationale et de rendre son action plus visible pour ses partenaires, notamment les élus. Dans ces territoires, vous pouvez désormais parler à un seul chef de la police nationale.

S'inspirant du modèle des directions territoriales de la police nationale ultramarine, à la suite de la publication du Livre blanc sur la sécurité intérieure et à la demande du ministre de l'intérieur, une expérimentation va être menée dans les départements de la Savoie, du Pas-de-Calais et des Pyrénées-Orientales à partir du 1er janvier prochain, afin de mesurer la pertinence de cette organisation en métropole.

Parallèlement, la sécurité publique poursuit l'adaptation de son réseau territorial avec la structuration d'un échelon zonal, sur le modèle de l'organisation territoriale du ministère de l'intérieur, qui vise à promouvoir une déconcentration de la décision en rapprochant et en démultipliant l'animation et la coordination des moyens et des ressources des directions départementales de la sécurité publique (DDSP).

La présence de la police nationale au plus près des réalités des territoires me conduit à souligner l'importance du maintien de la présence de la sécurité publique dans tous les départements, même si nous devons bien sûr réfléchir à faire évoluer ce maillage territorial. Le principe de l'existence de deux forces de sécurité intérieure dans notre pays n'étant pas contesté, il me semble nécessaire de l'affirmer dans tous les départements, qui sont la déclinaison en proximité de l'organisation administrative de l'État.

Sur le plan opérationnel, la police nationale doit disposer de relais pour tous ces services, qu'il s'agisse de la police judiciaire, de la police aux frontières, des compagnies républicaines de sécurité ou, de manière plus exceptionnelle, du RAID. D'un point de vue sociologique, cette implantation permet de disposer d'une police qui ressemble à la diversité et à la richesse de la population française. Il ne faut pas non plus négliger le risque d'assèchement de certains viviers de recrutement si la police venait à quitter des territoires. Cette couverture territoriale garantit aussi, d'une certaine façon, que les analyses du service central du renseignement territorial (SCRT) soient nationales, même si la gendarmerie contribue efficacement à la collecte et à la remontée du renseignement.

Ce nécessaire ancrage dans tout le pays ne fait pas obstacle à des évolutions de la répartition entre la police et la gendarmerie. Le ministre de l'intérieur a d'ailleurs annoncé sa volonté de reprendre les travaux sur ce sujet, à l'issue d'une évaluation des opérations de restructuration menées entre 2003 et 2014. Nous partageons tous le sentiment que cette répartition mérite d'être revue, en sachant que la moindre initiative provoque toujours des réactions fortes de la part des élus concernés et des organisations syndicales dans la police.

Sans présumer des conclusions de cette mission, je partage avec vous une idée quant à la méthode à suivre. Des principes simples doivent guider ses travaux : pas de préalables ; pas de postures ; du pragmatisme ; un pilotage local par le préfet ; une concertation à chaque étape avec les élus ; et pas de « grand soir » du redécoupage. Cette méthode doit servir l'objectif partagé de proposer le meilleur service public.

L'ancrage territorial, c'est également le renforcement des relations avec les partenaires de la police nationale, à savoir les collectivités territoriales et les polices municipales. Les 14 000 policiers municipaux exerçant leur mission en zone de compétence de la police nationale sont devenus, au fil des années, des partenaires incontournables, dans le respect des compétences de chacun. J'entends les inquiétudes exprimées sur le risque de désengagement de l'État en confiant de nouveaux pouvoirs aux polices municipales. La bonne articulation et les conditions de collaboration entre ces deux forces sont décisives pour assurer la qualité de la coproduction de sécurité. De ce point de vue, la proposition de loi relative à la sécurité globale offre de nouvelles perspectives pour favoriser la montée en compétences des policiers municipaux et explorer de nouvelles modalités d'action, en complément des forces de sécurité intérieure.

Plus généralement, les mécanismes de coopération renforcée entre la police, la gendarmerie nationale et les collectivités, à l'instar des formations restreintes des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) ou des groupes de partenariat opérationnel (GPO) constitués dans le cadre de la police de la sécurité du quotidien (PSQ), contribuent à assurer un traitement efficace de la délinquance au plan local. Il convient cependant d'éviter de multiplier les instances de prévention de la délinquance, au risque de créer un millefeuille qui disperserait les ressources humaines et les moyens.

De mon point de vue, la qualité de la relation avec les élus est fondamentale pour proposer un service public de qualité, répondant aux attentes de la population. Mon expérience de préfet de département, après avoir exercé des fonctions opérationnelles dans la police, m'a conduit à diagnostiquer immédiatement des marges de progression importantes. La police nationale n'est pas encore totalement à la hauteur de ces enjeux. Si la relation est naturelle entre les responsables de la sécurité publique et les maires des communes auxquelles ils sont rattachés, elle apparaît très clairement perfectible à l'égard des intercommunalités, du président et des élus du conseil départemental, du président et des élus du conseil régional, ainsi que des parlementaires.

Nous devons aussi nous rapprocher des associations d'élus pour être davantage à l'écoute de leurs aspirations et de leur fine connaissance des territoires. De la même façon, nous ne faisons pas assez connaître l'action et l'organisation de la police auprès de nos interlocuteurs principaux. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de développer deux types d'action : d'une part, j'ai lancé à mon niveau une série d'entretiens avec les associations nationales d'élus, afin de leur proposer de nouer des relations institutionnelles et de proximité ; d'autre part, nous allons développer dans la police une culture de la communication destinée aux élus locaux, afin de faire mieux connaître les réalisations et les projets de la police nationale et de mieux se nourrir également de la connaissance des élus.

Les directeurs départementaux de la sécurité publique et les chefs des circonscriptions en seront, bien sûr, les premiers acteurs. Pour y parvenir, nous travaillons à l'adaptation des modules de formation des commissaires et des officiers amenés à prendre la responsabilité d'une circonscription de sécurité publique. Au-delà de la nécessaire connaissance des pouvoirs de police du maire et des outils de partenariat qui existent, il s'agit de mieux appréhender la relation avec l'ensemble des élus.

L'ancrage de la police, c'est enfin la relation avec la population. La PSQ a remis le citoyen au coeur de l'action des policiers. Nos missions ont été recentrées sur la résolution de problèmes quotidiens de la population, au plus près de ses préoccupations. Près de 1 000 GPO se réunissent régulièrement pour apporter des solutions durables et partenariales aux problèmes d'insécurité identifiés. À la date du 1er octobre 2020, 5 340 réunions de ces GPO ont été organisées, donnant lieu à l'identification de 10 340 cas problématiques, concernant, par exemple, les rodéos urbains, l'occupation de halls d'immeubles, les dégradations de biens publics ; près de la moitié ont, d'ores et déjà, été résolus. Par ailleurs, ces GPO peuvent être aussi bien territoriaux que consacrés à une thématique particulière.

Cette nouvelle culture d'une police avec et pour les citoyens est complémentaire des actions déjà menées par les 201 référents policiers spécialisés dans la prévention des addictions ou par les 228 délégués à la cohésion police-population déployés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville depuis 2008. La PSQ renforce ainsi les dispositifs partenariaux existants, à l'image des conventions de participation citoyenne qui reposent sur des échanges d'informations entre les maires, les forces de l'ordre et des citoyens volontaires ayant choisi de bâtir une « société de vigilance », pour reprendre les mots prononcés par le Président de la République à l'occasion de l'hommage aux victimes de l'attaque terroriste de la préfecture de police.

Au 1er novembre 2020, 431 communes ont signé une convention de participation citoyenne et 122 communes ont un projet de convention à l'étude. Dorénavant, nous voulons aller au-delà de la simple réponse aux besoins en nous inscrivant dans une démarche de mesure de la satisfaction du public, pour mieux encore répondre à ses attentes. C'est la raison pour laquelle, tous les deux ans, nous faisons réaliser un sondage par Ipsos, afin d'évaluer l'image de la police nationale. Depuis 2018, nous sommes également associés à l'université Savoie-Mont-Blanc pour conduire des études sur la perception de la qualité de la relation et du service public rendu par la police nationale.

La première étude, au titre de l'année 2019, s'est concentrée sur les quartiers de reconquête républicaine (QRR) et sera étendue en 2020 à l'ensemble de la zone de compétence de la police nationale. Les résultats renvoient l'image d'une police qui, d'une part, intervient dans des délais jugés raisonnables (près de 60 %) et, d'autre part, répond aux attentes des habitants du quartier (un peu plus de 60 %). Ces résultats sont encourageants, même si je ne méconnais pas l'impact négatif que peuvent avoir les dernières affaires. Je veux d'ailleurs, une nouvelle fois, rappeler que ces comportements sont sévèrement sanctionnés dès lors que les faits sont avérés - 1 678  sanctions ont été prononcées par l'institution policière en 2019.

La société modifiant ses modes d'interaction, la police nationale modernise sa relation avec l'usager. Cette démarche d'adaptation aux besoins du public a conduit à la création du site moncommissariat.fr, avec un tchat de la police nationale mis en oeuvre pendant le premier confinement à la fois pour offrir un meilleur service aux usagers, éviter les déplacements inutiles dans les commissariats et délester les centres d'appels d'urgence de la police. Ce nouveau commissariat numérique donne accès à un portail généraliste unique, avec un parcours simplifié permettant aux usagers d'entrer en contact direct avec un policier, 7 jours sur 7, bientôt 24 heures sur 24, à partir de n'importe quel point du territoire. Il permet également de coordonner l'accès à tous les téléservices aujourd'hui disponibles dans la police : la plateforme de signalement des violences sexuelles, qui va bientôt s'étendre aux violences conjugales, à la discrimination et au cyberharcèlement ; la pré-plainte en ligne ; la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), que tout le monde connaît bien désormais ; et « Signal-Discri », pour les signalements qui s'adressent à l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Très rapidement, cette plateforme permettra d'accéder à « Thésée », le premier dispositif de plaintes en ligne pour les escroqueries commises sur Internet. Le site moncommissariat.fr monte rapidement en puissance, avec 20 000 tchats lors du mois de novembre.

Comme je l'ai indiqué, la question de la relation de confiance entre la police et la population est une nouvelle fois posée depuis quelques jours. La police nationale est d'abord forte des 146 000 hommes et femmes qui la composent. Nous devons travailler à l'enrichir de l'expérience et de l'énergie disponibles dans la société civile, en offrant la possibilité aux citoyens qui veulent contribuer à cette mission de sécurité d'intégrer plus facilement les rangs de la réserve civile. Nous sommes très en retard par rapport à la gendarmerie nationale, qui compte aujourd'hui cinq fois plus de réservistes. Au-delà du renfort pour remplir les missions, c'est une formidable opportunité de transformer ces réservistes en ambassadeurs. J'ai donc décidé de créer la fonction de commandant des réserves de la police nationale, afin de redynamiser l'emploi des réserves et de mettre en place une stratégie permettant d'élargir le vivier. Cela passera nécessairement par un développement des partenariats avec les entreprises et les universités, mais également par un assouplissement des modalités d'accès à la réserve. La levée du principal frein imposera ensuite de faire sauter le verrou de l'armement de ces réservistes ; nous comptons évidemment sur l'appui des parlementaires.

La police nationale s'adapte en permanence. Les efforts budgétaires consentis en 2020 et surtout en 2021 pour renforcer les effectifs, améliorer les équipements et les conditions de travail sont conséquents, avec l'objectif de remettre à niveau l'état de nos forces engagées sur la sécurité du quotidien.

Comme vous l'avez rappelé, le Livre blanc sur la sécurité intérieure a été rendu public par le ministre de l'intérieur, le 14 novembre dernier. Ces travaux se sont appuyés sur une large concertation. Si les 200 propositions n'ont pas vocation à être toutes appliquées, ce document s'avère toutefois une source d'inspiration, avec des recommandations très concrètes, par exemple sur le continuum de sécurité et l'organisation de la police nationale. S'agissant des polices municipales et de la sécurité privée, les préconisations sont en phase avec la proposition de loi examinée prochainement au Sénat. Par ailleurs, certaines propositions ont déjà été mises en oeuvre, comme le développement de la sécurité du quotidien, le schéma national du maintien de l'ordre et le plan de national de lutte contre les stupéfiants.

Je conclurai mon propos en partageant avec vous les objectifs fixés par le ministre de l'intérieur dans la lutte contre l'insécurité. Outre la lutte contre le terrorisme et la radicalisation qui reste un objectif permanent, la sécurité dans les transports en commun et la lutte contre les violences intrafamiliales, nous renforçons la lutte contre les stupéfiants - usages et trafics -, qui nous semble être la mère de toutes les batailles. C'est un sujet de sécurité et de santé publique qui doit nous réunir, car il touche toutes les catégories de la population et tous les territoires. Imposant de mener des actions de prévention et de répression, il peut et doit mobiliser tous les acteurs de la vie publique.

Mme Corinne Féret. - Monsieur le directeur général, ma première question concerne la manière de renforcer les liens entre la police municipale et la police nationale. Nous savons, par exemple, que les agents de la police municipale disposent d'un accès direct aux données du système national des permis de conduire (SNPC) et du système d'immatriculation des véhicules (SIV). Comment aller plus loin pour favoriser la coopération et l'interopérabilité entre ces deux forces de police ?

Ma deuxième question porte sur la formation des agents de la police municipale. Lors de votre audition à la commission des lois, vous avez indiqué être prêt à contribuer à cette formation. Pouvez-vous nous donner quelques exemples d'actions de formation qui pourraient être développées ?

Enfin, ma dernière question concerne la direction unifiée de la police nationale, avec une expérimentation déjà engagée dans trois départements et bientôt dans trois autres. Quels avantages les élus locaux concernés pourraient-ils retirer de cette nouvelle organisation territoriale ? En particulier, avez-vous prévu de désigner, au sein de cette direction centralisée, un correspondant chargé de faire le lien avec les élus ?

M. Frédéric Veaux. - Cela fait partie du sens que nous voulons donner à la création de ces directions territoriales de la police nationale. Je l'ai expérimenté en tant que préfet ; quand on veut parler à la police, on se retrouve devant plusieurs interlocuteurs : le directeur de la sécurité publique, le directeur de la police aux frontières, le directeur de la police judiciaire... Or, il est important, pour tous les élus contribuant à ces missions de sécurité, d'avoir un seul interlocuteur, qui parle au nom de toute la police nationale, comme peut le faire un commandant de groupement de gendarmerie départementale.

Comme je vous l'ai indiqué, nous avons besoin de renforcer cette culture auprès des chefs de police. Je ne souhaite pas la présence d'un correspondant dans un service de police. Le responsable de la sécurité dans un territoire, c'est le chef de police ; celui-ci doit avoir une relation identifiée et permanente avec le maire de la commune à laquelle il est rattaché et avec tous les élus du territoire concernés. En tant que chef, il doit à la fois être disponible pour écouter les élus et prendre l'initiative d'aller à leur rencontre pour expliquer la manière dont nous sommes organisés, les difficultés que nous pouvons rencontrer. À l'aune de mon expérience, il me semble notamment très utile, dans les parcours de formation des commissaires de police, de leur permettre une mobilité comme sous-préfet d'arrondissement, pour mesurer l'importance et la place des élus sur toutes ces questions de sécurité.

Indépendamment de la relation avec les élus, la manière dont nous allons organiser les services est décisive. On présente souvent la police comme une organisation en « tuyaux d'orgue », où chacun ferait ce qu'il veut. Pour la police nationale, il faut un chef, c'est le rôle du directeur général ; dans les territoires, il faut également un chef, ce sera le directeur territorial de la police nationale. En fonction des sujets auxquels nous sommes confrontés, nous devons être en capacité de varier les moyens d'un service à un autre, ou bien de les mutualiser, comme on le voit à Mayotte, avec à la fois des tensions sur des questions d'immigration clandestine et des problèmes d'ordre public.

La relation entre la police nationale et la police municipale fonctionne plutôt bien. Dans beaucoup de villes et de communes, les polices municipales sont bien formées, bien équipées, avec des centres de supervision urbains qui apportent un concours important à l'action de la police nationale. Les échanges de renseignements se font de manière assez fluide, et les concours mutuels se vérifient tous les jours, comme nous avons pu le constater pendant le confinement. En faveur de cette complémentarité, la police municipale n'est pas occupée par des tâches administratives dont la police nationale peut avoir du mal à se défaire, avec un alourdissement de la procédure pénale. Une vigilance toutefois : les policiers municipaux doivent pouvoir faire des constatations d'infractions, mais les enquêtes et les tâches administratives ne sont pas de leur ressort. La police municipale a cette chance d'être disponible sur le terrain, et la population en a besoin.

Pour être plus efficace, la police municipale doit pouvoir avoir accès à certaines données, notamment les fichiers n'imposant pas une consultation intermédiaire. Pour tout ce qui relève de la lutte contre le terrorisme, en revanche, un certain nombre de garanties s'imposent.

Enfin, concernant la formation des policiers municipaux, nous formons les formateurs plutôt que les policiers. Nous connaissons quelques difficultés à assurer la formation continue des policiers. Aussi, avant de consacrer beaucoup de moyens à la formation des policiers municipaux, je voudrais avoir pour ambition de former parfaitement tous les agents de la police nationale. Ceci dit, nous sommes à la disposition des élus des collectivités pour améliorer les conditions de formation des policiers municipaux.

Mme Françoise Gatel, présidente. - En écho à ce que vous venez de dire, des évolutions sont sans doute nécessaires en matière d'organisation de la sécurité intérieure. Vous avez évoqué la difficulté de conduire le changement, de faire adhérer à ces évolutions. J'ai entendu deux mots, monsieur le directeur général, qui nous sont très familiers au Sénat : « grand soir ». Nous n'aimons pas ici les  « grands soirs » ; non pas que nous serions d'éminents conservateurs, mais nous avons beaucoup vu, dans l'organisation territoriale, des « grands soirs » qui provoquent de l'inefficacité ou des blocages.

L'Association des maires de France s'est beaucoup prononcée sur ces évolutions : l'État ne doit pas transférer aux collectivités une partie de la sécurité. Je rappellerai que la création d'une police municipale revient au conseil municipal. Dans la loi Engagement et proximité, conscients de cette difficulté de la tranquillité publique, nous avons ouvert la possibilité de mutualiser des polices municipales.

M. Rémy Pointereau. - Merci, mMonsieur le directeur général, pour votre propos liminaire, qui nous éclaire sur la question de l'ancrage territorial. Ces derniers jours, nous avons été rattrapés par l'actualité, avec la sortie du Livre blanc sur la sécurité intérieure ou encore les débats houleux à l'Assemblée nationale sur la proposition de loi relative à la sécurité globale, notamment l'article  24, sur lequel j'aimerais vous entendre.

Le président du Sénat tient à ce que les positions de la commission des lois et de notre délégation s'accordent lorsqu'il s'agit de défendre les collectivités territoriales. Il souhaite également que le Sénat soit force de propositions sur tous les domaines de la sécurité.

J'ai trois interrogations principales. La première concerne l'articulation entre la police nationale et la gendarmerie. Le Livre blanc propose de conserver le critère démographique, tout en relevant le seuil. Qu'en pensez-vous ? Ne faut-il pas adopter une approche plus pragmatique, par bassins de délinquance, définis en étroite concertation avec les élus locaux ? Dans les départements très ruraux, serait-il judicieux d'avoir une compétence uniquement sur les chefs-lieux ?

Ma deuxième interrogation porte sur l'extension des compétences de la police municipale. Que répondez-vous à ceux qui redoutent un désengagement de l'État ?

Enfin, quel bilan tirez-vous du fonctionnement des conseils locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD ou CISPD) ? Le cas échéant, quelles pistes d'amélioration proposez-vous  ? Ces comités sont-ils bien au coeur des enjeux du renseignement territorial ?

M. Frédéric Veaux. - Concernant le Livre blanc sur la sécurité intérieure, le ministre de l'Iintérieur a rappelé qu'il n'en était pas à l'origine, mais qu'il souhaitait néanmoins le rendre public. Ce Livre blanc n'a pas de valeur programmatique ; il s'agit d'une base pour continuer à réfléchir, en s'inspirant de certaines propositions, notamment concernant l'organisation de la police nationale, l'avenir du numérique pour les forces de sécurité intérieure, le sujet des ressources humaines ou encore la répartition territoriale des forces.

Nous allons réfléchir, avec une équipe projet, à la manière de faire évoluer l'organisation et le fonctionnement de la police, afin qu'une loi de programmation soit préparée et mise en oeuvre à l'issue des échéances électorales de  2022. Pour autant, quelques propositions font sens dès maintenant et correspondent à des attentes très fortes, à la fois des responsables de la sécurité et des usagers. On retrouve certaines de ces propositions dans la loi sur la sécurité globale. Par exemple, la proposition de créer la fonction de directeur général adjoint de la police nationale : nous n'avons pas attendu pour la mettre en oeuvre dans les meilleurs délais.

Vous m'interrogez sur l'article 24. Je souhaite rappeler que les policiers sont de plus en plus souvent victimes de violences, d'agressions physiques et verbales, de même que les élus, les enseignants, le personnel médical, les sapeurs-pompiers. La police reste, malgré tout, le réceptacle privilégié de toute cette violence qui s'exprime de manière désinhibée. J'ai été frappé, depuis ma prise de fonctions, par cette dérive. C'est la raison pour laquelle j'ai mis en place une plateforme d'assistance aux policiers victimes, qui fonctionne sept 7 jours sur  sept7, de cinq 5 heures à vingt-trois23 heures. Ce dispositif permet d'assurer une prise en charge à la fois psychologique, juridique et parfois médicale de ces policiers.

Autant nous sommes en capacité de conduire des enquêtes après des agressions physiques sur la voie publique, autant nous sommes désarmés face à certains propos ou certaines initiatives sur Internet. Ainsi, sur certains sites militants, on invite à identifier et localiser des policiers, en dévoilant des photos. L'idée a circulé que l'on pouvait « cagouler » les policiers afin de les protéger ; le ministre de l'Iintérieur et moi-même partageons le sentiment que la police ne doit pas avoir peur de ce qu'elle est ni de ce qu'elle fait.

La contrepartie, c'est que les policiers puissent être protégés et défendus - il s'agit d'une attente forte de leur part - quand certains expriment de manière aussi déterminée la volonté de nuire. Un marqueur important fut l'assassinat de Magnanville : un couple de policiers - un agent administratif et un fonctionnaire de police actif - ont été égorgés à leur domicile, devant un de leurs enfants, en raison de leur qualité de policiers. Psychologiquement, cette affaire a constitué un point de bascule. Autant nous pouvons admettre, parce que c'est aussi une partie du sens de notre engagement, de prendre des risques dans l'accomplissement de notre mission, autant il nous paraît insupportable d'être exposés simplement en raison de notre qualité et dans le cadre de notre vie privée. D'ailleurs, les policiers cherchent de moins en moins à habiter là où ils travaillent : ils vont vivre à 60 kilomètres dans une ville différente.

L'attente est donc forte ; le ministre de l'Iintérieur l'a bien perçue au travers des rencontres qu'il a pu faire avec les policiers. Ce n'est pas au directeur général de la police nationale de commenter la loi ou d'exprimer un point de vue ; je fais part des situations auxquelles sont confrontés les policiers.

Certains considèrent qu'une telle disposition serait juridiquement redondante avec d'autres mesures. Face au développement des mises en cause et des prises à partie sur les réseaux sociaux, nous ne voulons pas attenter aux libertés publiques ou nous en prendre à la liberté de la presse. Je le répète, nous sommes favorables à la transparence. Nous acceptons d'être filmés, mais pas que ces images soient le prétexte à exposer la sécurité des fonctionnaires.

J'admire les policiers qui supportent avec flegme d'être face à des personnes qui attendent, smartphone prêt à l'emploi, d'avoir une image à diffuser sur Iinternet pour récolter des milliers de vues. Finalement, le nombre de dérapages est très limité.

Il ne faudrait surtout pas que les policiers aient l'impression d'une forme d'abandon de la part de la représentation nationale si l'on renonçait à mettre en place une forme de protection à ce risque d'exposition.

Monsieur Pointereau, vous avez évoqué la force de proposition du Sénat sur la répartition des compétences territoriales entre la police nationale et la gendarmerie nationale.

Nous ne souhaitons pas organiser une réforme qui ne ferait que créer des tensions, avec un grand soir du redécoupage territorial entre la police et la gendarmerie. Les critères actuels sont des références intéressantes, mais ils ne doivent pas constituer l'alpha et l'oméga des initiatives que nous pourrions prendre. Il faut prendre en considération les problématiques de bassins de criminalité, de lignes de transport, d'habitats de vie et de travail... Nous devons examiner un ensemble d'éléments, territoire par territoire. Le DGPN peut avoir quelques idées, mais ce n'est pas à lui de décider. Je ne citerai pas d'exemple, pour éviter que la presse locale ne s'en empare ! Des commissariats de police sont implantés dans des communes où la densité de population n'est pas très importante et dans lesquelles les problématiques de sécurité pas très développées.

On devrait s'interroger sur la pertinence de maintenir un commissariat, avec les contraintes qui accompagnent une disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Si l'on procède à une fermeture, les élus locaux peuvent s'interroger sur l'intérêt de cette opération : il faut donc préparer cette fermeture, l'accompagner et expliquer comment nous pouvons continuer à proposer la même qualité de service public de sécurité.

Les phénomènes criminels et de délinquance changent très vite ; la répartition de la population sur le territoire se modifie en profondeur. Je n'ai pas des moyens extensibles : il faut que je fasse au mieux pour les utiliser là où l'on en a besoin. Tout cela doit être traité sujet par sujet, et expliqué avec beaucoup de pédagogie aux élus, à la population et aux policiers qui travaillent dans ces services qui vont fermer. Ceux-ci voient leur vie personnelle remise en question, et peuvent estimer que leur travail n'est pas suffisamment considéré. Ces fermetures doivent être faites avec une grande précaution, mais on ne doit pas pour autant se les interdire.

Vous m'avez interrogé sur les départements très ruraux et la compétence du chef--lieu. La police nationale est compétente sur l'ensemble du territoire national. Il est important de maintenir le principe de la présence de la sécurité publique dans chacun des départements de notre pays. Si l'on établit des critères, on les durcira demain, et on se retrouvera finalement avec 40 départements sans présence de la sécurité publique.

Il faut maintenir la position de principe de la présence de la sécurité publique dans l'ensemble des départements, sans s'interdire de donner de la cohérence à l'organisation de certains territoires. Dans des départements très ruraux, je ne sais pas s'il est absolument nécessaire d'avoir deux ou trois  circonscriptions de sécurité publique.

J'en viens aux polices municipales. Le risque de transférer des compétences aux collectivités, avec le reproche souvent fait à l'État de l'absence de transfert des ressources correspondantes, est que celui-ci soit accusé de se débarrasser de ce qui l'ennuie. Ce serait une erreur considérable, je le dis en tant qu'ancien préfet et en tant que directeur général de la police nationale. Sur le sujet de la coproduction de sécurité, du continuum de sécurité, il faut une identification précise des missions que nous voulons confier à chacune des forces. Les élus et les policiers municipaux ne doivent pas avoir l'impression qu'ils sont le « réceptacle » de tout ce que ne veulent plus faire la police et la gendarmerie nationales.

Les policiers municipaux sont présents sur le terrain, ils constatent un certain nombre de choses : il faut leur donner la possibilité de le faire de telle sorte que la police ou la gendarmerie puissent conduire par la suite des investigations. Cette capacité de constatation me paraît absolument nécessaire dans de nombreux domaines, au-delà même parfois de la tranquillité publique. Mais cela doit s'arrêter là. Il ne faut pas imaginer que, demain, la police municipale pourra participer à des opérations de maintien de l'ordre : elle peut donner un coup de main pour détourner la circulation, organiser le trafic routier pendant de grandes manifestations, mais il ne faut pas envisager de lui confier des compétences les associant au coeur des opérations de maintien de l'ordre.

Les CLSPD présentent un point fort : ils constituent un lieu où tout le monde se réunit pour évoquer les questions de sécurité sur un territoire. Le maire peut avoir autour de lui l'ensemble des parties concernées, et pas seulement d'ailleurs au titre de la sécurité, ce qui inclut les bailleurs, les écoles, les associations... Si ce système ne fonctionnait pas, on l'aurait abandonné. Dans certains endroits, le CLSPD ne fonctionne pas bien, car il n'y a pas de réunions régulières, ou parce que certains participants ne sont pas très assidus ou n'apportent pas la contribution attendue à la mesure de ce qu'ils représentent sur le terrain. Il dépend de la manière dont il est conduit localement ; il ne présente pas de défauts structurels.

L'augmentation du nombre d'espaces de partage sur les problématiques de sécurité liées au territoire peut conduire à ce que l'on se perde entre les GPO, les CLSPD, les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD)... Soyons attentifs à ne pas multiplier les structures. Les CLSPD sont bien identifiés, et certains sont intercommunaux. Il faut réaffirmer leur importance et faire confiance aux maires pour les animer.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Merci pour votre disponibilité et votre implication. En tant qu'ancien maire de Cherbourg, je veux témoigner de la très bonne collaboration entre notre police municipale et la police nationale, tant au niveau tant du commissariat que de la police aux frontières, puisque nous avons aussi cette interface maritime, avec dles problèmes d'immigration et de squats à gérer.

Je voudrais aussi témoigner, en tant qu'élu du département de la Manche, de la spécificité de nos villes moyennes et de nos circonscriptions de sécurité publique. Il existe un fait urbain, quoi qu'on en dise, même si nous sommes dans des départements ruraux. Je comprends bien qu'il ne doit pas y avoir de grand soir, mais des ajustements peuvent sans doute être faits. Dans la Manche, une circonscription est particulièrement visée, celle de Coutances. Une concertation doit être menée ; le préfet est tout à fait en mesure d'amorcer un dialogue avec l'ensemble des élus.

Nos villes moyennes et nos départements ruraux sont heureusement dans le bas du classement de la délinquance, ce qui pose des problèmes d'attractivité des postes. Le commissariat de police de Cherbourg a du mal à trouver un commissaire. Comment renforcer l'attractivité des postes de commissaires dans les villes moyennes, chefs-lieux de département ou villes importantes des départements ruraux ?

J'ai l'impression que l'organisation de la police est assez hiérarchisée, avec les commissaires qui correspondent à « l'élite » de l'encadrement et les officiers. Je sais que cela fait partie des revendications mises en avant par des syndicats de policiers, mais l'heure n'est-elle pas venue de fluidifier le système, à l'image de la gendarmerie nationale, et d'avoir un corps unique d'encadrement regroupant les officiers et les commissaires ? Cela permettrait d'avoir des passerelles, une formation et peut-être des écoles communes, et de pallier ce déficit de recrutement de commissaires.

Mme Céline Brulin. - Les élus locaux ont des craintes à propos du transfert de certaines missions de la police nationale aux éventuelles polices municipales, notamment à la faveur de la loi « Sécurité globale ». Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la répartition des missions dans les territoires où existe une police municipale ? D'autant que vous avez indiqué qu'il n'était pas forcément toujours nécessaire que les commissariats soient ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Vous avez réaffirmé de manière très nette le rôle et l'intérêt des CLSPD, mais j'ai l'impression que les moyens manquent - ces structures sont peut-être un peu chronophages. Ne faudrait-il pas des recrutements ? J'imagine que vous les souhaitez, même si vous n'êtes pas forcément décisionnaire sur ce point. Quelle serait la nature de tels recrutements ? Considérez-vous que des policiers de terrain doivent participer à ces instances de concertation et de travail en commun ? Ou faudrait-il imaginer en quelque sorte des « coordinateurs de sécurité » ?

Enfin, sur l'article 24, j'ai bien entendu votre propos sur la façon dont serait vécue une sorte de renoncement à toute forme de protection des policiers. La transparence demandée par un certain nombre de nos concitoyens est aussi de nature à protéger les policiers. Le débat doit, selon moi, porter sur la nature de cette protection, et ne pas être restreint à un dispositif particulier.

M. Frédéric Veaux. - Je craignais de rencontrer l'ancien maire de Cherbourg en venant dans votre délégation, car je suis quelque peu honteux de la vacance très longue du poste de commissaire à Cherbourg... Je suis confronté à une difficulté : il n'y a aucun candidat. La question de l'attractivité mérite d'être posée, car ce n'est pas la seule situation de ce type. Se pose souvent la question de l'emploi du conjoint ou, quand il s'agit d'un ou d'une célibataire géographique, des modalités de transport pour rejoindre la famille pendant le week-end. Un certain nombre de primes ou d'avantages permettent d'inciter à accepter certains postes. Je souhaite proposer au ministre de l'Iintérieur d'avoir à ma disposition certains de ces dispositifs, de manière volante. Des policiers refusent en effet d'être mutés pour des raisons matérielles, par exemple pour ne pas avoir à payer un deuxième second loyer.

Monsieur Houllegatte, vous aurez une commissaire divisionnaire à compter du 1er mars prochain.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je crois savoir qu'elle vient de la pénitentiaire.

M. Frédéric Veaux. - Nous avons des recrutements parmi les militaires ou d'autres administrations. C'est une sortie d'école, mais elle a de l'expérience.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Elle sera très bien accueillie.

M. Frédéric Veaux. - Je n'en doute pas, elle est tellement attendue !

Se posent des questions de recrutement, de formation, d'attractivité, de fidélisation. Quand on devient commissaire de police, c'est d'abord pour exercer ses fonctions au contact du terrain et des réalités quotidiennes de la sécurité des Français. Pouvoir être chef d'une circonscription aussi importante que celle de Cherbourg en sortie d'école est une opportunité formidable.

Il faut également inciter les commissaires de police à ne pas quitter leur affectation au bout de deux ans : ce délai est trop court. Certaines circonscriptions voient tourner des commissaires qui ne sont que de passage.

Vous avez étendu votre question à la revendication plus large d'avoir un corps unique, plutôt portée par les organisations syndicales d'officiers que par celles des commissaires. Le ministre de l'intérieur a demandé qu'on conduise en 2020 une réflexion approfondie sur la question du management et du commandement dans la police. À titre personnel, je suis très attaché à la présence des trois corps - chacun a une fonction bien précise. Il existe des passerelles internes qui permettent à des gardiens de la paix de devenir officiers, à des officiers de police de devenir commissaires de police, pour une part qui représente à chaque fois la moitié des recrutements. C'est un ascenseur hiérarchique important, qui produit ses effets. Les gradés ont un rôle d'encadrement bien précis, les officiers en ont un aussi et les commissaires en ont un autre.

Comme pour le redécoupage territorial, je ne suis pas certain que ce soit le moment de lancer le chantier de la fusion des deux corps.

Vous avez évoqué Coutances, mais je ne pense pas que ce soit forcément le moment d'en parler. Dans des départements ruraux, nous avons un éclatement des circonscriptions de sécurité publique. Il ne faut pas s'interdire de réfléchir à une meilleure organisation - cela ne signifie pas une diminution - des moyens de la police dans ces territoires.

Madame Brulin, vous m'avez interrogé sur la relation entre la police nationale et la police municipale. Ce qui constitue le socle de cette relation, c'est la convention de coordination qui détermine la manière dont les relations s'organisent entre les deux forces. Sur les 1 013 polices municipales, 921 ont signé une telle convention. Il est toujours utile que chaque force connaisse parfaitement son périmètre d'action et son niveau de responsabilité.

Vous avez évoqué le commissariat ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre : je n'ai peut-être pas été très clair, mais je voulais dire que, dans certains commissariats, l'activité est très réduite pendant la nuit. C'est plutôt un bon signe : il y a heureusement dans notre pays des territoires où la délinquance est très faible. Cela ne signifie pas qu'il faille fermer les commissariats la nuit et demander à la police municipale de prendre le relais.

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de consacrer des effectifs en permanence aux CLSPD. Les élus doivent avoir en face d'eux des policiers qui ont des responsabilités sur le terrain, et non d'avoir des policiers chargés d'une fonction plus administrative qui feraient un « rapport » des problématiques identifiées sur le terrain. Cela ne nécessite pas forcément beaucoup de moyens : il faut se réunir, prendre les bonnes décisions et s'assurer qu'elles sont mises en oeuvre.

Sur l'article 24, nous ne sommes pas opposés à l'idée d'être filmés. Même si on le voulait, on nous l'imposerait, à juste raison. Des policiers souhaiteraient que les journalistes viennent voir leur manière de travailler, sous réserve du respect des règles relatives à l'anonymat et à la confidentialité de certaines opérations. Mais le code de procédure pénale limite cette possibilité, et une jurisprudence récente de la Cour de cassation a encore restreint cette capacité d'informer. J'ai régulièrement des exemples de procureurs de la République qui invoquent l'article 11 de ce code pour refuser que des journalistes assistent au travail quotidien de la police. Plus il y aura de transparence, mieux ce sera pour tout le monde : cela évitera les malentendus, les procès d'intention.

Alors oui à la diffusion des images, mais nous demandons que soient sanctionnés ceux qui diffusent ces images dans le but de nuire aux policiers. Il faut répéter qu'il y a une limite à ne pas franchir, même si je ne suis pas certain que cela découragera complètement ceux qui font ce type d'actes, parce que ce sont des militants, des activistes, qui acceptent d'être confrontés à la sanction.

De la même façon, nous revendiquons la possibilité pour les policiers de porter des caméras et de filmer les interventions. L'achat de 15 000 caméras pour la police est prévu dans le projet de loi de finances pour 2021, afin que, selon les engagements du Président de la République et du ministre de l'Intérieur, chaque patrouille puisse être équipée d'une caméra. Parfois, ces caméras provoquent une désescalade, quand la une personne s'arrête cesse de provoquer un policier lorsqu'elle voit qu'elle est filmée. Les images nous permettent d'établir la réalité des faits tels qu'ils ont pu se dérouler, sans se baser uniquement sur un compte rendu verbal ou écrit des opérations.

Nous ne voulons pas nuire à la liberté de la presse. Je me suis longtemps occupé de lutte antiterroriste. À une époque, l'organisation terroriste ETA était présente de manière très active sur notre territoire, et pas seulement dans le sud-ouest. L'ETA utilisait les articles de presse décrivant des arrestations pour faire des albums photo qu'elle diffusait en interne, non pas pour s'en prendre aux policiers, mais pour que ses membres sachent repérer ces policiers quand ils étaient en surveillance. C'est depuis cette date que nous avons décidé, pour les opérations de police judiciaire menées dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, de faire porter des cagoules à ces fonctionnaires.

Pour la police de voie publique, la police du quotidien, je n'envisage pas que les policiers soient un jour cagoulés. En contrepartie, ils doivent être protégés.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie, mMonsieur le directeur général.

Le Sénat est particulièrement attentif aux questions que nous venons d'aborder, car nous sommes la cChambre des territoires. L'efficacité nécessite une excellente coopération. Chacun a son rôle à jouer : la police municipale ne peut pas être appelée à exercer des fonctions autres que les siennes, mais on comprendrait difficilement qu'il arriveque des événements dans des territoires surviennent sans que les élus en soient informés, parce qu'ils ont aussi une responsabilité qui leur est déléguée par l'État en matière de sécurité.

Nous sommes très attachés à l'ancrage territorial, c'est-à-dire au continuum de sécurité. J'étais heureuse de vos propos : je pense que votre passage dans la préfectorale vous porte à être attentifs à nos propos.

Lorsqu'il est nécessaire de faire évoluer l'organisation de services de l'État, on est parfois tenté d'apporter une réponse très simple, qui est celle de l'assimilation à un périmètre administratif. Par exemple, on pourrait dire, d'une manière très simpliste, que la police intervient sur tout un périmètre métropolitain. Or on sait que les métropoles ne sont pas uniformes : elles comprennent, notamment dans leurs extrêmes limites, des territoires ruraux frontaliers d'autres bassins de vie. Sans doute faut-il raisonner à l'échelle de bassins pertinents parce que la délinquance ne connaît pas les frontières administratives.

Tout cela ne peut se faire qu'en associant les élus, qui doivent être rassurés. J'ai entendu le propos de Jean-Michel Houllegatte : l'État doit pouvoir assurer la sécurité de tous les territoires, y compris de ceux qui ne sont pas naturellement attractifs. Il faut donc inventer des solutions.

Pour conclure, et je parle là en mon nom personnel, nous vous entendons aujourd'hui dans une période quelque peu particulière, mais l'audition avait été fixée depuis longtemps - je pense bien sûr au parcours quelque peu erratique de la proposition de loi sur la sécurité globale. Le Sénat a son rôle à jouer sur cette question - c'est la Constitution qui lui en donne non seulement le pouvoir, mais aussi le devoir - parce qu'il s'agit d'un processus législatif. Il ne peut pas y avoir de liberté sans sécurité : nous devons conjuguer les deux.

Soyons attentifs à ne pas être entraînés dans les dérives auxquelles nous assistons en raison de la frénésie médiatique : l'objet même de la loi sur la sécurité globale, qui est de répondre à la question importante de la protection des policiers, ne doit pas être « noyé » dans d'autres sujets. Vous l'avez dit, mMonsieur le directeur général, la police, c'est la sécurité de notre société ; son activité doit être totalement transparente parce que nous sommes dans une démocratie. On ne peut tolérer que, en raison de leur qualité, les policiers, comme les enseignants, les pompiers et d'autres métiers, soient agressés d'une manière extrêmement violente, en raison de leur qualité, parce qu'ils représentent l'autorité. On ne peut pas non plus accepter que leurs familles fassent l'objet d'agressions, voire d'actes extrêmement violents, comme on ne peut accepter certains actes de la part des policiers.

Originaire d'Ille-et-Vilaine, j'ai vu les manifestations très violentes qui ont eu lieu à Rennes contre le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes : on avait affaire à des professionnels de la subversion et de la guérilla urbaine. Nous ne devons pas nous laisser manipuler par des personnes qui profitent de la liberté que nous avons dans notre pays pour faire de la subversion.

À Notre-Dame-des-Landes étaient organisés des week-ends de formation à la guérilla urbaine, avec des entraînements professionnels. Dans les manifestations, des personnes étaient vêtues de manière très discrète et banale, juste avec un sac à dos ; après avoir commis un acte répréhensible, elles enfilaient un autre blouson, enlevaient leur sac à dos et se fondaient dans la foule à l'arrivée de la police.

Monsieur le directeur général, soyez assuré de l'attention portée par le Sénat à la sécurité intérieure et la protection, à la fois, des forces de sécurité et de nos libertés.

La réunion est close à 11 heures 35.