Mercredi 20 janvier 2021

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Gérard Mestrallet, ancien président-directeur général d'Engie et ancien président du conseil d'administration de Suez

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Nous poursuivons aujourd'hui notre série d'auditions autour du projet de rachat de Suez par Veolia. Nous avons le grand plaisir d'accueillir M. Gérard Mestrallet.

Monsieur Mestrallet, vous connaissez mieux que personne deux des principaux acteurs du « feuilleton économique » que nous suivons avec beaucoup d'attention depuis septembre dernier.

Vous êtes entré chez Suez en 1984, et avez accompagné son développement dans les secteurs de l'eau et de l'énergie. En 2008, vous êtes devenu président-directeur général du nouveau groupe constitué par Suez et GDF, à la tête duquel vous étiez toujours en 2015 lorsqu'il est devenu Engie. Vous présidiez également jusqu'à l'année dernière le conseil d'administration de Suez.

Je souhaiterais vous poser quatre séries de questions.

Les premières portent sur le projet de Veolia de racheter son principal concurrent Suez. Dans la bataille politique et médiatique intense déclenchée après l'annonce faite par Veolia, vous avez pris position contre l'opération - nettement et publiquement. Pourriez-vous nous rappeler les raisons de votre opposition ? Vous êtes pourtant familier des fusions et des acquisitions qui ont marqué l'histoire de GDF-Suez. En quoi le rachat de Suez par Veolia est-il différent ? Quels sont, selon vous, les risques pour Suez d'une part, et pour la France d'autre part, en particulier pour les collectivités locales au regard des enjeux de concurrence ?

Veolia nous a indiqué que la cession de l'activité Eau France de Suez à Meridiam permettrait de maintenir un niveau de concurrence satisfaisant. Selon vous, Meridiam serait-il un concurrent crédible à Veolia et pourquoi ?

Vous aviez indiqué dans une tribune au Figaro en septembre dernier que le rapprochement pourrait également engendrer des problèmes de concurrence dans d'autres pays - Chine, Grande-Bretagne, Australie ou encore Maroc. Pourriez-vous nous l'expliquer plus en détail ?

La deuxième série de questions porte sur la solution alternative au rachat par Veolia, portée par les fonds Ardian et GIP et annoncée dimanche dernier par Suez, qui a affirmé souhaiter aboutir à un schéma amical et négocié avec Veolia. Que pensez-vous de cette solution ? Coche-t-elle les cases nécessaires à la poursuite de la stratégie de Suez ? Les critères de rentabilité exigés par des fonds d'investissement tels qu'Ardian ou GIP vous paraissent-ils compatibles avec le projet industriel, voire environnemental, développé par Suez ?

La troisième série de questions porte sur Engie. Aux origines du dossier Veolia-Suez se trouve la décision d'Engie de céder rapidement les participations détenues au capital de Suez. Sous votre mandat, vous aviez cherché à développer l'activité d'Engie dans les solutions clients et soutenu une certaine diversification dans les activités peu émettrices de gaz à effet de serre ou peu exposées aux fluctuations des prix. En 2016, vous aviez vous-même lancé, avec la directrice générale d'alors, Isabelle Kocher, un plan de transformation prévoyant la cession sur trois ans de 15 milliards d'euros d'actifs dans les énergies fossiles.

Selon vous, le nouveau recentrage adopté cette fois à l'impulsion de M. Clamadieu, avec la cession de 8 milliards d'euros d'actifs d'ici à 2022, est-il une erreur stratégique pour le groupe ? Cette décision de céder une partie des activités est-elle le produit d'une véritable réflexion pour l'avenir, ou plutôt une réaction dictée par un besoin urgent de fonds ? Dans le même ordre d'idées, que pensez-vous de la cession des 40 % détenus par Engie dans sa filiale française GTT, leader en matière de technologies de transport de gaz naturel liquide (GNL) ?

La quatrième série de questions porte sur le rôle de l'État sur ces sujets cruciaux en matière de stratégie industrielle. Vous avez dirigé Engie à un moment ou l'État disposait encore de plus du tiers du capital. Quelle était alors votre expérience de l'État actionnaire, de sa vision et de sa stratégie ? En 2017, l'État a cédé près de 9 % de ses participations dans le groupe. N'estimez-vous pas qu'il a commis une grave erreur en abandonnant ainsi ses leviers d'influence au sein du principal énergéticien français ? Comment expliquez-vous le manque d'anticipation de l'État dans ce dossier, qui a semblé « découvrir » le projet de rachat dans la presse, comme tout un chacun ? Nous avons en outre du mal à croire que ce projet n'ait pas été préparé de longue date par Veolia, et probablement concerté avec Engie...

Ce sujet central est d'une importance toute particulière aussi bien pour nos collectivités que pour notre souveraineté économique, enjeu auquel nous sommes particulièrement sensibles en ce moment...

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Nous sommes heureux de vous recevoir afin d'évoquer l'avenir d'une société que vous connaissez bien, pour l'avoir dirigée pendant de longues années.

Depuis l'annonce par Veolia de son intention de racheter les parts détenues par Engie dans Suez à la fin du mois d'août, la question de la fusion entre les deux groupes a fait couler beaucoup d'encre et suscité de nombreux remous.

La bataille juridique et médiatique que Veolia et Suez se mènent depuis plusieurs mois montre que nous sommes encore loin de parvenir à une solution amicale, partagée entre les deux groupes. Il y a au contraire fort à parier que les dirigeants et les représentants syndicaux de Suez continueront à se battre jusqu'au bout pour empêcher le rachat.

Nous ne sommes bien sûr pas ici pour donner raison aux uns ou aux autres. Mais, en tant que parlementaires et représentants des collectivités territoriales, nous sommes fondés à nous interroger sur les conséquences qu'un tel rachat aurait sur la gestion de l'eau et des déchets en France, sur les emplois et sur la qualité de service pour les collectivités et les usagers.

C'est pourquoi nos deux commissions ont décidé de mettre en place un comité de suivi, composé de six sénateurs, qui procèdent depuis plusieurs semaines à l'audition d'un certain nombre de parties prenantes et d'experts. Il est par définition difficile d'appréhender les conséquences d'une opération qui n'a pas encore vu le jour. Mais nous essayons, dans la mesure du possible, d'apprécier au mieux ses avantages et ses risques.

Telle est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre aujourd'hui. Nous souhaitons profiter de votre expérience et de votre connaissance du secteur pour essayer d'y voir un peu plus clair, s'agissant tant du processus qui a conduit au rachat par Veolia du bloc d'actions détenu par Engie dans Suez que de ses conséquences possibles.

Vous qui avez conduit un certain nombre de fusions entre des entreprises, comment appréhendez-vous la manière dont ce rachat s'est déroulé et le fait qu'aucune offre alternative n'ait été constituée ?

Alors que Veolia avait montré à plusieurs reprises par le passé son intérêt à absorber son principal concurrent français, pensez-vous que ce rachat ait pu se faire sans avoir l'aval du plus haut niveau de l'État ? Comment jugez-vous le rôle de ce dernier dans le processus ?

Vous avez publiquement affirmé votre souhait que Suez reste indépendant. Que craignez-vous précisément en cas de rachat et sur quels éléments concrets vos craintes se fondent-elles ?

M. Gérard Mestrallet, ancien président-directeur général d'Engie et ancien président du conseil d'administration de Suez. - Permettez-moi de vous souhaiter une bonne année. J'ai accepté avec grand intérêt votre invitation, dont je vous remercie. Je n'ai plus aucun lien juridique avec Suez et Engie, mais j'ai passé trente-quatre ans dans cette entreprise, dont vingt ans comme PDG de Suez et Engie. Je préside aujourd'hui l'Agence française pour le développement d'AlUla (Afalula), créée à la suite du traité entre la France et l'Arabie saoudite.

Je concentrerai mes propos sur ma vision industrielle, et j'essaierai d'être impartial au regard des informations publiques dont je dispose.

Dimanche soir, Suez a reçu une lettre d'Ardian et GIP pour trouver une solution amicale et rapide à l'offre de Veolia. Sur la base des informations publiques diffusées, je ne peux qu'accueillir favorablement cette proposition.

En septembre, Veolia a proposé de racheter l'essentiel de la participation qu'Engie détient dans Suez, puis de lancer une OPA sur 100 % du capital pour fusionner les deux groupes et créer un champion français.

Depuis que j'ai quitté mes mandats exécutifs en leur sein, je me suis abstenu de toute expression publique sur Suez ou Engie. J'ai effectivement publié une tribune en septembre, souhaitant que Suez reste indépendant. Je suis heureux d'avoir l'occasion de déroger à nouveau à cette règle avec vous.

L'entreprise est un être vivant en perpétuel mouvement. Les fusions sont une illustration de cette évolution, et elles sont parfois nécessaires. Je suis cependant convaincu que les fusions ne fonctionnent bien que si elles sont amicales, préparées en amont et suffisamment en détail par les deux entreprises. À l'inverse, une opération hostile entraîne une perte d'énergie, d'argent et de temps, paralyse les deux entreprises et rend impossible un rapprochement utile et satisfaisant.

L'approche de Veolia est hostile. Les propos ne sont pas amicaux. Les conditions mêmes dans lesquelles Suez a été approché ne permettent pas des discussions sereines dans l'intérêt des deux groupes et des salariés. Le conseil d'administration de Suez l'a fait clairement savoir : l'approche de Veolia est hostile, puisqu'elle vise à imposer unilatéralement son projet, sans concertation.

Une OPA hostile est destructrice pour les équipes : elle entraîne une perte de motivation, d'adhésion, de sens et de valeur, surtout dans ce cas : on ne fusionne pas des machines - comme cela arrive dans l'industrie ou l'énergie - mais des hommes et des femmes ancrés dans des cultures d'entreprises différentes, avec des partenariats différents, qui réalisent une activité de services fondée sur du capital humain.

Veolia veut créer un champion français, mais la France a déjà deux leaders de l'environnement. La taille de chacun d'eux n'est pas trop petite et n'a empêché aucun des deux d'accéder aux premiers rangs mondiaux ! Pas besoin de fusionner, les champions sont déjà là.

La menace chinoise est un faux épouvantail. On ne voit pas les collectivités territoriales françaises, européennes, américaines ou japonaises confier la gestion de l'eau à des entreprises chinoises. Par ailleurs, le marché de l'eau est immense. Les deux grands leaders français ne détiennent que 5 % du marché, les Chinois encore moins.

Un plus un sera loin de faire deux. Je ne suis pas opposé aux fusions : j'ai réalisé six fusions, toutes amicales ; quatre étaient transnationales et deux franco-françaises (Suez-Lyonnaise des eaux et Suez-Gaz de France). Lors de ces deux fusions franco-françaises, nous nous étions mis d'accord sur tous les détails : stratégie, dirigeants, organisation, parité d'échange des actions. Voilà la grande différence entre opérations amicales et inamicales.

Dans ces deux opérations, la fusion a été réalisée par intégration des entités en une fois, le jour des deux assemblées générales, sans sortir un euro du périmètre. La société fusionnée n'a pas augmenté sa dette, elle se dotait donc d'une structure financière solide, ouvrant la voie à des développements ambitieux.

Là, Veolia lance une OPA sur 100 % du capital de Suez, devra donc payer 10 milliards d'euros - correspondant à la valeur des actions à un prix unitaire de 18 euros- et reprendre la dette qui se situe également à hauteur de 10 milliards d'euros. Comme Veolia a déjà 12 milliards d'euros de dette, son endettement va tripler, ce qui n'est pas supportable. Voilà un risque insuffisamment anticipé. Créer un ensemble plus vaste et plus solide par une opération amicale est différent d'une opération hostile où l'un des deux se retrouve surendetté.

La seule façon de rembourser la dette consiste à vendre des actifs.

Quel sera le résultat, voire le but non avoué de l'opération ? Si elle se fait, Veolia aura détruit, après tant de tentatives qui toutes ont échoué, son grand concurrent depuis 150 ans, puisqu'il faudra revendre l'activité Eau France. Nous possédons deux grands acteurs mondiaux, mais nous aurons demain un petit acteur français dans le secteur de l'eau
- Meridiam - et nous aurons perdu le bénéfice de l'expansion de l'école française de l'eau dans le monde. À côté de ce petit acteur français, nous aurons un grand acteur international écrasé de dettes qui ne pourra plus investir massivement et qui sera contraint de désinvestir in fine presque la totalité de ce qu'il aura acheté. Telle est malheureusement l'équation mathématique financière assez imparable.

On annonce, par ailleurs, 500 millions d'euros de synergies. Comment est-ce possible, dans les activités de service, sans toucher à l'emploi ? En réalité, le siège central de Suez disparaitrait probablement, sans compter les restructurations qui suivraient inévitablement le démantèlement du groupe.

Le ministre de l'économie et des finances avait souligné lui-même sur les radios publiques, évoquant l'intérêt général et celui de la Nation, que deux champions industriels valent mieux qu'un monopole, raison pour laquelle l'État a voté non au conseil d'Engie.

Quoi qu'il en soit, Veolia a bien investi 3 milliards d'euros pour racheter près de 30 % du capital de Suez. L'opération est désormais en suspens et le calendrier risque de durer, ce qui n'est bon ni pour Veolia ni pour Suez. La « Blitzkrieg » voulue par Veolia s'est enlisée.

L'alternative qui s'offre à Suez avec l'intention déclarée par Ardian et GIP me semble positive. Ce projet industriel mérite toute l'attention de Veolia. L'objectif est de garantir l'indépendance, et non le démantèlement, de Suez. Ce projet démontre d'ailleurs l'intérêt des investisseurs français et internationaux, prêts à investir à hauteur de 18 euros par action, pour la stratégie de Suez définie par le nouveau directeur général au mois de mai dernier - j'étais alors encore membre du conseil. J'invite donc Antoine Frérot à saisir la main tendue sans préalable.

Deux projets s'offrent désormais à Suez : celui de Veolia et celui d'Ardian. Les dirigeants doivent se parler et rechercher ensemble une solution, qui sera peut-être une troisième voie, négociée et amiable. Je doute toutefois qu'on en prenne le chemin, quand Antoine Frérot ne souhaite discuter que de son projet et indique que la vente des 30 % n'est pas négociable. Pour avancer, il faut parler des deux projets. Il n'est, du reste, pas possible de conserver deux grands groupes français si l'un des deux est actionnaire à 30 % de l'autre. Il faudra donc dénouer cette situation, par exemple par des échanges d'actifs.

Je souhaite sincèrement qu'ils trouvent un accord pour sortir de cet enlisement où deux très grandes entreprises françaises, leaders mondiaux dans leur secteur, sont en conflit ouvert, à un moment où le monde est confronté à une crise sanitaire et économique majeure. Une solution simple consisterait à ce que Suez rachète les 30 % de son capital détenus par Veolia en échange d'actifs, ce qui conforterait Veolia, puis les replacerait auprès d'actionnaires qui soutiennent sa stratégie. Ayant retrouvé ses 3 milliards d'euros, Suez investirait à son tour dans des actifs qui conforteraient sa propre stratégie. La situation des deux groupes s'en trouverait améliorée et leur dimension industrielle préservée, voire optimisée, par le choix approprié des actifs échangés.

La cession des titres de Suez détenus par Engie est normale et devait se faire. Je l'aurais moi-même réalisée pour rendre sa liberté complète à Suez, comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises à Jean-Louis Chaussade, le jour où nous aurions eu une possibilité d'expansion importante dans l'énergie. Mais je l'aurais fait de façon concertée. Je suis donc parfaitement d'accord avec le principe de la cession, mais ce n'était pas à Veolia, principal concurrent de Suez, d'en imposer les modalités et le calendrier à Engie. Si le processus avait été organisé et structuré sur une période de six mois par exemple - ce qui reste peu au regard des vingt-cinq ans de l'opération de fusion entre Suez et la Lyonnaise des eaux et des 150 ans de compétition entre Veolia et Suez - nous aurions aujourd'hui deux offres au même prix, dont celle d'Ardian et GIP. Engie aurait donc pu vendre à un actionnaire choisi par Suez au lieu de vendre à son concurrent historique. Cela aurait été préférable.

Au début, Suez était un groupe bancaire et financier. Il a ensuite fusionné avec la Lyonnaise des eaux et s'est séparé de ses activités bancaires pour former un groupe industriel dans le secteur de l'énergie et de l'environnement, centré autour de trois activités principales : les infrastructures, la production électrique et les services. Les deux premières sont très capitalistiques, en particulier la production électrique via les énergies renouvelables, qu'il faut accélérer et qui nécessite de nombreux capitaux. Se concentrer sur les deux premiers secteurs constitue donc une option parfaitement compréhensible pour avoir un grand groupe français dans les infrastructures énergétiques - réseaux de gaz, réseaux électriques, réseaux de chaleur et de froid - et dans la production électrique bas carbone : énergies renouvelables - éolien, solaire, hydroélectrique - nucléaire et centrales à gaz. Il me semble logique et approprié que la stratégie d'Engie soit de se concentrer sur ces activités, sur lesquelles le groupe a de solides positions et qui nécessitent des capitaux.

Il est vrai qu'Engie a engagé de nombreuses cessions ces dernières années, auxquelles s'ajoute Suez, à hauteur de 20 milliards d'euros. Il faut maintenant investir dans les deux secteurs précités et, pour se développer, y mener des opérations d'ampleur. La stratégie de concentration sur deux grandes branches - les infrastructures et la production électrique bas-carbone - est parfaitement valable.

Jean-Pierre Clamadieu et Catherine MacGregor ont constitué un comité de direction composé de personnes extrêmement talentueuses et brillantes et je leur souhaite de réussir. Pour cela, il va falloir utiliser le produit des cessions - celles engagées par Isabelle Kocher à hauteur de 15 milliards d'euros, celle des services et celle de Suez - pour réaliser de grandes choses dans ces deux domaines.

M. Alain Cadec. - Vous avez, à mon sens, quasiment tout dit dans votre propos liminaire. Cela étant, j'aurais voulu connaître votre ressenti sur l'attitude de l'État au moment du rachat des 29 % de Suez Engie par Veolia. Il est apparu tantôt absent, tantôt exprimant des positions divergentes : le ministre de l'économie et des finances s'est déclaré opposé à la cession, mais les représentants de l'État en voté en faveur de celle-ci. Vous vous dites favorable au principe de la cession, mais pas à n'importe qui ni n'importe comment, afin d'éviter le risque d'une offre publique d'achat (OPA) hostile.

M. Frérot évoque la création - et achète à cet effet des pages entières dans les quotidiens - d'un champion mondial dans le domaine de l'eau, de l'assainissement et des déchets. Mais Suez et Veolia ne représenteraient ensemble que 4,5 % à 5 % du marché mondial. Un champion mondial à 5 % n'en est pas un... Ne vaut-il pas mieux deux champions nationaux, voire européens, qu'un pseudo champion mondial ?

Par ailleurs, il semble que Veolia ne propose pas de véritable projet industriel. Or, si elle rachète Suez, l'entreprise se trouvera en situation monopolistique. Nous, au Sénat, entendons les craintes des collectivités locales, qui vont se retrouver devant des situations impossibles en l'absence de concurrence pour leurs appels d'offres.

M. Hervé Gillé. - La cession des parts de Suez par Engie vous semble normale, bien que vous vous interrogiez sur le calendrier. Selon vous, les conditions d'acquisition des participations d'Engie dans Suez sont-elles conformes aux attendus du marché ?

Veolia semble repousser la main tendue par Suez au travers du projet Ardian et GIP. Quelles seraient vos préconisations pour sortir de ce climat de défiance ? Quels scénarios prospectifs vous sembleraient judicieux, et pourriez-vous détailler les contours d'un éventuel échange d'actifs tel que vous l'avez évoqué ?

Comment analysez-vous les convergences et les divergences d'activités entre Suez et Veolia ? Les nouveaux enjeux énergétiques, climatiques et environnementaux imposent des projets industriels ambitieux qui demeurent actuellement peu lisibles.

Quelle vision avez-vous de l'évolution de l'emploi et des compétences dans le cadre du projet de fusion ? Veolia a pris des engagements dans ce domaine. L'évolution des compétences et une approche stratégique à moyen et long terme permettent de juger de l'intérêt d'un projet. Enfin, identifiez-vous des risques à court ou moyen terme, notamment concernant les découpages d'activités de Suez ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Je partage votre avis sur le risque d'une fusion inamicale qui déboucherait sur un échec. J'avais d'ailleurs interrogé M. Frérot sur ce risque conséquent, lié à des cultures d'entreprises très différentes et un capital humain qui ne serait pas valorisé, mais il n'avait pas daigné répondre.

Le projet entre dans une nouvelle phase avec la proposition des fonds Ardian et GIP. Ce dernier, américain, détiendrait 30 % de l'entité. Ne pensez-vous pas que les pouvoirs publics pourraient aussi intervenir dans ce schéma avec une intervention de Bpifrance et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ? Cela suscite toujours de l'inquiétude quand un fond comme GIP intervient à une telle hauteur...

M. Gérard Mestrallet. - Je suis gêné pour m'exprimer sur l'attitude de l'État, qui a été mon actionnaire pendant de longues années... J'ai fait avec. J'ai simplement constaté que le ministre de l'économie et des finances était opposé à la cession, que les représentants de l'État au conseil d'administration avaient voté contre, mais ils sont minoritaires.

Pour ma part, je n'ai jamais eu de vote non consensuel au sein de mon conseil d'administration, car tous les sujets étaient traités en amont. En cas de risque, la réunion du conseil était reportée avant que l'on n'en vienne au vote. Dans le cas qui nous occupe, l'État a été battu, ce qui est étonnant sur une question de cette importance.

M. Frérot évoque un champion mondial de l'eau ; cela ne signifie pas dominer le marché mondial, mais être numéro un. En termes de chiffre d'affaires global, Veolia est numéro un, Suez est numéro deux. En revanche, dans le domaine de l'eau, Suez est leader, avec 145 millions de clients pour l'eau municipale et, depuis le rachat de General Electric Water, pour l'eau industrielle. Le chiffre d'affaires plus élevé de Veolia s'explique par son importante activité dans les déchets et les services énergétiques. Dans un marché mondial très éclaté, même un numéro un ou numéro deux n'a pas de position dominante. Ce n'est au demeurant pas un marché au sens propre, car, dans de nombreux pays, la gestion de l'eau est assurée par des régies municipales, parfois étatiques. Le secteur privé a une part assez faible dans ce secteur. Dans les marchés dits « adressables », les deux entreprises françaises ont une part non négligeable.

Je ne prétends pas que le rapprochement entre Veolia et Suez serait absurde - sauf pour la concurrence en France - mais un rachat du second par le premier donnerait naissance à un groupe très affaibli et endetté, qui ne sera plus à même d'assurer le leadership détenu aujourd'hui par l'école française de l'eau dans le monde. En France, nous avons aujourd'hui deux grands groupes équilibrés. Avec la fusion, Suez devrait céder Eau France ; il y aurait alors un grand acteur, Veolia, et deux acteurs de taille modeste : Eau France et Saur. Le marché serait déséquilibré. De son côté, Veolia augmenterait son chiffre d'affaires grâce au rachat, mais sa capacité d'investissement serait affaiblie par son endettement.

Du point de vue d'Engie, la sortie du capital de Suez devait stratégiquement avoir lieu un jour ou l'autre. Je l'envisageais moi-même quand je dirigeais l'entreprise, afin de faire un pas en avant dans le domaine de l'énergie, mais je l'aurais fait de façon ordonnée. Il aurait été possible de donner six mois à Suez pour faire une proposition, sans en exclure d'autres, examinées au regard du prix, du projet industriel, des garanties sociales et du respect des parties prenantes et de l'histoire : Engie et Suez étant des partenaires, il convenait que Suez soit traité de façon privilégiée. Ce n'est pas ce qui s'est passé.

Les risques pour l'emploi sont évidents : après une fusion, les deux sociétés n'ont plus qu'un seul directeur financier, un seul directeur des ressources humaines, etc. Il faut aussi prendre en compte les fusions de sièges sociaux à Paris et dans les pays où le groupe sera présent. Il me semble difficile de considérer que les synergies annoncées se feront sur d'autres postes que l'emploi.

M. Hervé Gillé. - Veolia a pris des engagements sur l'emploi.

M. Gérard Mestrallet. - En effet, mais je ne vois pas comment mettre en regard ces engagements avec les 500 millions d'euros de synergies annoncés.

Une fusion présente toujours un risque de choc des cultures, à plus forte raison entre des entreprises vieilles de plus de 150 ans. Le rapprochement suppose le dialogue et le respect mutuel, ce qui n'est pas possible dans le cadre d'une opération hostile. Lorsque je dirigeais Suez, j'ai longuement préparé la fusion avec la Lyonnaise des eaux, avec Jérôme Monod ; ensuite, avec Gaz de France en concertation avec Pierre Gadonneix puis Jean-François Cirelli. Dans une opération hostile, l'un veut imposer sa vision à l'autre. L'objectif est de détruire la culture de Suez : je n'y suis pas favorable.

GIP est en effet un acteur américain, mais il faut rappeler que 40 % des actifs de Suez sont aux États-Unis, où il est un très grand acteur. Suez a racheté General Electric Water pour devenir le leader de l'eau industrielle, et sa filiale américaine dans le domaine de l'eau municipale est valorisée à 4 milliards de dollars. Un actionnariat américain au sein de Suez ne serait pas anormal, d'autant que les fonds de pension américains sont très présents dans les sociétés cotées françaises.

Quel rôle pourrait jouer l'État ? Éric Lombard, directeur général de la CDC, a déclaré hier matin que la Caisse pourrait tout à fait s'inscrire dans un schéma amiable, dans une solution négociée qui consoliderait deux grands groupes français, c'est-à-dire dans une perspective autre qu'une fusion. Je suis d'avis qu'elle y trouverait bien sa place, notamment si les deux groupes cherchent à replacer des titres auprès de la CDC ou de Bpifrance.

M. Jean-Claude Tissot. - Le projet Hercule de démantèlement du groupe EDF rappelle le projet de scission d'Engie, toujours détenu à 24 % par l'État. La loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) permet l'ouverture du capital de GRTgaz ; Engie se scinderait, dans ce projet, entre ses activités gazières et les énergies renouvelables d'une part, et une entité introduite en Bourse regroupant les services d'autre part. Que pensez-vous du projet Hercule ? La disparition des entreprises publiques dans le secteur de l'énergie est-elle inéluctable ?

Vous avez déclaré en décembre dernier : « L'électricité verte est en passe de devenir le nouveau pétrole. » Quel est le meilleur modèle économique pour le développement des énergies renouvelables ?

M. Fabien Gay. - Il est toujours intéressant d'entendre de grands capitaines d'industrie à la retraite, parce qu'ils sont libres de s'exprimer. On les entend alors dire qu'il faut augmenter les salaires, que les OPA ne sont pas une bonne chose... Peut-être vaudrait-il mieux qu'ils commencent par la retraite avant d'exercer des responsabilités ! Monsieur Mestrallet, les six fusions que vous avez conduites ont tout de même engendré de la casse sociale : je rencontrais hier les salariés d'Engie, qui se souviennent de vous. Si vous voulez prendre à nouveau la tête d'une entreprise avec ces bonnes idées, je m'en félicite !

Je ne peux pas croire que l'État n'était pas informé du projet de fusion. On nous a annoncé une baisse des parts d'Engie dans Suez, tout en expliquant que l'État conserverait la golden share qui lui permettrait, même minoritaire, de bloquer des opérations stratégiques. Pourquoi cette golden share prévue par la loi Pacte n'a-t-elle pas été actionnée contre la fusion ? Bruno Le Maire devra s'en expliquer.

Comme Jean-Claude Tissot, j'estime que tout cela s'imbrique dans une stratégie gouvernementale de restructuration de la filière énergétique : Alstom et General Electric, le projet Hercule, le projet « Clamadieu » de scission d'Engie avec une part cédée aux marchés et la menace d'une reprise par Total d'une autre part... Pour Engie, la première étape était de se débarrasser de Suez pour se recentrer ; ensuite vient la découpe. Vous qui avez été à la manoeuvre pendant très longtemps, quel est votre avis sur cette restructuration d'ensemble du secteur énergétique ? Il y a trente ans, l'ensemble du secteur de l'énergie était un monopole public. Avec cette restructuration, on s'apprête à finir le travail en livrant le secteur aux marchés financiers, avec, à la clé, une dégradation des conditions de travail pour les salariés et une augmentation des prix pour les usagers.

M. Daniel Gremillet. - Que pensez-vous de la cession envisagée par Engie d'entreprises très spécialisées comme Endel dans la maintenance des centrales nucléaires ou GTT pour le gaz naturel liquéfié ? Est-ce une remise en cause de la stratégie d'essor des activités de service du groupe que vous avez vous-même promue ? Comment Engie peut-il prétendre devenir leader de la transition énergétique s'il cède des activités de services liées à l'efficacité énergétique qu'il assure auprès des collectivités territoriales et des entreprises ? Voyez-vous dans la révision prévue de la participation d'Engie dans GRTgaz un risque pour notre souveraineté énergétique dans le domaine sensible du gaz ? N'est-ce pas incohérent avec la volonté d'Engie de développer ses activités dans les infrastructures ?

La Belgique a annoncé l'arrêt de six centrales nucléaires actuellement exploitées par Electrabel, une filiale d'Engie. Quel effet aura cette décision sur les activités et surtout sur les revenus du groupe ?

Enfin, la réforme de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) exclura de facto les chaudières à gaz des logements individuels à partir de 2021, et des logements collectifs à partir de 2024. Quelles sont les conséquences pour les filières du gaz et du biogaz ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Vous avez une expérience certaine dans la fusion d'entreprises. Lorsque nous l'avons entendu voici quelques mois, M. Frérot a mis en avant la nécessité d'une entité plus forte et unie pour faire face à la concurrence internationale. Vous ne semblez pas croire à cet argument ; pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Que pensez-vous du veto envisagé par M. Le Maire au rachat de Carrefour par le groupe canadien Couche-Tard ? L'argument invoqué de la souveraineté alimentaire est-il pertinent et pourrait-il être étendu à d'autres secteurs comme celui de l'énergie ?

Mme Sylviane Noël. - L'hydroélectricité jouera un rôle important dans la stratégie bas-carbone. Notre pays possède le deuxième parc européen d'hydroélectricité. Or, comme vous le savez, une réglementation communautaire impose aux États membres de mettre en concurrence les concessions arrivant à échéance. Nombre de voix s'élèvent contre cette privatisation, puisque les barrages ne jouent pas seulement un rôle dans l'équilibre du système d'approvisionnement électrique : ils contribuent aussi au refroidissement des centrales nucléaires, à la distribution d'eau potable, à l'agriculture, à la pisciculture et au tourisme. Il est à craindre que cette ouverture à la concurrence n'entraîne un morcellement du paysage et une multiplication des acteurs tournés vers la seule recherche de rentabilité, mettant ainsi en danger notre potentiel hydroélectrique. Il semblerait que certains pays comme l'Allemagne aient réussi à s'affranchir de cette réglementation européenne, mais on ne ressent pas une volonté farouche de notre gouvernement pour le faire. Quel est votre avis sur cette question ?

M. Ronan Dantec. - Toute cette affaire n'est-elle pas d'abord liée au besoin de cash d'Engie pour investir dans le renouvelable, « l'or vert » de demain ? Il fallait trouver un acheteur dans l'espace français pour les actions Suez d'Engie, d'où l'arrivée de Veolia. Avec le retour de la Caisse des dépôts, ne se dirige-t-on pas vers l'autre solution pour conserver les actions de Suez vendues par Engie dans le giron français, plutôt qu'un « meccano » qui, de toute évidence, fonctionne difficilement ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Quel est votre avis sur les cessions d'actifs internationaux en Chine, en Grande-Bretagne, en Australie et au Maroc ?

Veolia et Suez ont des centres de recherche extrêmement puissants en France, très actifs, qui engendrent une certaine émulation bénéfique pour la France. En effet, on ne trouvera pas 500 millions d'euros d'économies « sous le pied d'un cheval ». Les centres de recherche seront forcément touchés, voire fusionnés. Quel en sera l'impact sur l'innovation dans notre pays ?

M. Gérard Mestrallet. - Je n'ai pas la compétence pour porter un jugement sur certains points et je ne le souhaite pas. Moi qui m'étais jusqu'à présent satisfait d'un rôle d'observateur silencieux du CAC 40, vous m'obligez à en sortir, mais je ne souhaite pas porter de jugement sur des entreprises que je ne connais pas. Je ne me prononcerai pas sur le projet Hercule.

La scission chez Engie est importante par le nombre de personnes et d'actifs concernés. Les quelques synergies n'ont pas été déterminantes, à l'usage. Néanmoins, Engie a pu constituer le premier groupe mondial de services à l'énergie, avec 100 000 personnes. Les réseaux de chaleur et de froid, qui étaient dans la branche services, seront conservés par Engie. C'est logique parce que ce sont des activités très capitalistiques.

Les infrastructures d'énergie, les réseaux de gaz, les stockages de gaz d'hydrogène, les réseaux de transport et de lignes électriques, les réseaux de chaleur et de froid formeront un premier ensemble très puissant. Je rappelle qu'Engie est le numéro un mondial des réseaux de froid. Un deuxième ensemble sera formé par la production électrique bas carbone, dont le renouvelable solaire, éolien et hydroélectrique. Il y a aussi du nucléaire et des centrales à gaz. Toutes ces activités sont lourdes et le renouvelable absorbe beaucoup de capitaux. Une unité de production de renouvelable représente un très gros investissement nécessitant des capitaux, puis cela tourne tout seul.

N'étant plus chez Engie, je ne peux rien dire sur l'éventuelle insuffisance de cash flow pour financer à la fois l'infrastructure, les énergies renouvelables et les services. Des investissements importants ont été consentis ces quatre dernières années dans les services, mais la crise économique et sanitaire les a frappés. Les activités de maintenance ont beaucoup souffert.

La stratégie consistant à séparer deux branches d'une part, et à donner un autre avenir à la troisième branche d'autre part, est une option à considérer. Tout dépendra de ce que l'on prévoit pour cette troisième branche. Quel sera l'actionnaire, pour quel projet ? Je fais confiance à Jean-Pierre Clamadieu et Catherine MacGregor pour le déterminer.

Sur l'électricité verte, le « nouveau pétrole », il n'existe pas un seul modèle. Il y a de nombreuses réglementations et technologies différentes, qui évoluent très vite. L'avenir énergétique de nos sociétés sera dans l'électrification, mais l'électrification verte. La pénétration de cette énergie - dans l'industrie par exemple - va s'accélérer. Or, ce ne sera bon pour les sociétés que si cette électricité est verte.

Pour revenir à Veolia et Suez, l'État savait-il ? Je n'en sais rien. Demandez-lui.

M. Fabien Gay. - On lui demandera !

M. Gérard Mestrallet. - Vous m'avez interrogé sur la golden share. Quand la privatisation de Gaz de France a été votée en septembre 2006, elle a donné lieu à une session extraordinaire du Parlement durant près d'un mois et à 140 000 amendements. La privatisation a été assortie de deux conditions : la nécessité pour l'État français de détenir plus d'un tiers du capital et la création d'une golden share destinée à permettre à l'État d'opposer son veto à des décisions du conseil d'administration relevant de la cession d'actifs gaziers stratégiques, c'est-à-dire les actifs d'infrastructures gazières dans le giron public qui basculaient dans le secteur privé en raison de la fusion et du passage de l'État de 80 % à 34 % des actions. L'État ne pouvait pas utiliser cette golden share pour s'opposer à la cession de Suez.

La cession d'Endel à des repreneurs étrangers n'a pas encore été décidée, à ma connaissance.

Engie peut-elle continuer à vivre sans les services ? Oui. Nous avons construit le groupe sur trois piliers. Si le conseil d'administration et Jean-Pierre Clamadieu décident qu'il ne faut plus que deux piliers, pourquoi pas, à condition de bien les développer. Avec le produit des cessions réalisées ces dernières années, il est temps de repartir à l'attaque. Engie, qui a toujours été un groupe conquérant, peut le redevenir, dans les deux secteurs choisis. Il faut y aller.

À ma connaissance, Engie garde le contrôle majoritaire de GRTgaz.

Le nucléaire belge est une longue affaire. Le Parlement belge a voté l'arrêt des centrales nucléaires atteignant quarante ans. Cela concernait trois centrales en 2015 et les quatre autres dix ans plus tard. J'avais négocié avec Charles Michel, premier ministre de l'époque, pour repousser l'échéance, pour les trois premières, à cinquante ans. Cela a été voté. Nous avons réalisé les investissements nécessaires. La situation est particulière, puisque la loi prévoit toujours l'arrêt à quarante ans d'ancienneté. Les quatre centrales les plus jeunes devront fermer en 2025, à quarante ans, de même que les trois premières, à cinquante ans. Les sept centrales nucléaires, qui produisent plus de 50 % de l'électricité belge, devront donc toutes fermer en même temps, si la loi ne change pas, ce qui pose problème. Je ne sais pas comment il sera résolu. Certains s'accrochent à la loi. Les écologistes, antinucléaires, font partie du gouvernement et de la coalition.

Aujourd'hui, il est très difficile de trouver une rentabilité pour le nucléaire nouveau, dont l'électricité est très chère et augmente, tandis que le renouvelable est plus compétitif. On verra ce qu'il en est pour de petites centrales. En revanche, quand on a la chance d'avoir des centrales amorties, qui fonctionnent comme des horloges depuis cinquante ans, l'intérêt collectif est de les faire durer autant que possible, tant que la sécurité est garantie.

La RT2020 est très défavorable au gaz contrairement à la RT2012, qui lui faisait une belle place. Il est illusoire de croire qu'on est plus vert avec le « tout électrique ». La consommation électrique liée au chauffage augmente très fortement en pointe lors des grands coups de froid. Ce ne sont pas les centrales nucléaires, mais le charbon allemand qui alimente le supplément de demande. S'il n'est pas trop tard, il faudrait assouplir le projet de réglementation technique 2020 pour faire une place au gaz dans les constructions neuves, notamment au biogaz.

Je ne parlerai pas de l'intervention de l'État vis-à-vis de Carrefour. L'État a évidemment un rôle à jouer pour maintenir la concurrence. C'est même son obligation en tant que régulateur. S'agissant de Suez et Veolia, il doit s'assurer du maintien d'une saine concurrence sur le marché français de l'eau et des déchets. Or la fusion telle qu'envisagée par Veolia ne remplit pas cette condition selon moi.

Je ne suis pas très inquiet en ce qui concerne les barrages. Depuis vingt ans, la France doit ouvrir l'hydroélectricité à la concurrence. Elle a toujours réussi à l'éviter et les concessions d'EDF sont toujours prolongées en temps utile. Il n'y a pas de raison que ce savoir-faire particulier de notre pays disparaisse.

Il est certain que le renouvelable nécessite des capitaux. Je pense que la vente de Suez permettra sûrement de faciliter les investissements dans le renouvelable, comme les autres cessions d'ailleurs. Il faut non seulement faire de l'investissement au quotidien, mais aussi crédibiliser les activités d'Engie.

J'entends bien les critiques qui visent à dire qu'Engie va être démantelée au profit de Total. Or les activités qui resteront à Engie - infrastructures et production électrique bas-carbone - sont très puissantes, et c'est donc une bonne chose qu'Engie décide d'y concentrer ses moyens. Il faut prévoir une opération visible et quelque peu spectaculaire, qui montre qu'il s'agit là d'un choix de croissance, de développement, de rayonnement et de rentabilité, mais aussi de prestige. Controns cette petite musique que l'on entend souvent : Engie sera vendue en morceaux et Total ramassera la mise. Non, hormis la Chine, Engie est, avec EDF, l'un des acteurs mondiaux les plus importants de la production électrique - dans un domaine duquel Total est relativement absent - et largement en bas carbone.

Une participation à 30 % de la CDC contrasterait avec les participations plus faibles qu'elle a d'ordinaire dans les sociétés cotées - moins de 10 %. Pour ma part, je me réjouis des déclarations de M. Lombard ce matin, qui est prêt à accompagner un éventuel accord entre Suez et Veolia préservant ces deux grands acteurs français de taille internationale. Voilà qui conforte les propos du ministre de l'économie, de Suez et de moi-même.

Suez et Veolia sont deux groupes très présents à l'international, qui ont des présences communes notamment au Maroc, en Chine - où Suez est présent depuis longtemps et vient de se renforcer -, ainsi qu'au Royaume-Uni et en Australie. Je ne dis pas qu'il y aura à coup sûr des problèmes de concurrence, mais il est clair que les autorités de la concurrence de ces pays vont devoir examiner la question du rapprochement, dans le cadre de l'hypothèse - j'espère qu'elle ne se réalisera pas - d'une prise de contrôle de Veolia par Suez. Pour lancer l'OPA, Veolia devra bien avoir, au préalable, réglé ces questions, ce qui prendra beaucoup de temps.

Actuellement, Veolia ne peut pas réaliser son OPA, pour deux raisons principales. Premièrement, elle n'a pas l'usage de ses droits de vote, car ils sont gelés aussi longtemps que la consultation des institutions représentatives du personnel se poursuivra. Or on entend dire que cette consultation sera close vers le 31 mai prochain, donc après l'assemblée générale ordinaire de Suez qui se tiendra à la mi-mai. Deuxièmement, lorsque cette consultation sera terminée, si Veolia dépose un projet d'OPA, s'ensuivra alors une négociation avec les autorités de la concurrence, qui risque de durer dix-huit mois. Ce n'est qu'au terme de cette période que l'éventuelle OPA pourra se réaliser.

Je considère donc qu'il n'est pas raisonnable de bloquer aussi longtemps deux entreprises de cette taille, compte tenu des enjeux en Europe et dans le monde, dans un contexte de crise économique, sanitaire et sociale. Il faut trouver une solution plus rapidement, et c'est la raison pour laquelle la proposition de dialogue faite par Suez devrait être acceptée, du moins discutée.

Enfin, la recherche est essentielle. Les deux groupes ont aujourd'hui des centres de recherche séparés. Veolia, dont on veut faire le grand champion mondial en la matière, ne pourra pas investir dans la recherche s'il est écrasé de dettes. Dans la solution Ardian-GIP, les entreprises ne sortent pas d'argent, alors que Veolia devra dépenser 20 milliards d'euros, une somme qui ne sera pas consacrée à la recherche, à l'investissement, à la croissance ou au développement.

Si chacun se développe parallèlement et si Veolia, en échange de ces 3 milliards, trouve des actifs qui font sens dans le périmètre de Suez, cela permettrait de sortir plus vite de cette situation, mais cela suppose aussi que cette dernière consente à s'amputer de ses actifs... À un horizon assez proche, Suez replacerait ces 3 milliards d'actions, récupérés temporairement auprès d'actionnaires qui soutiendront sa stratégie, et pourra ainsi investir dans ses priorités : lots industriels, technologie et recherche.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie de votre présence à l'occasion de cette audition. Vos réflexions nous apportent des éclaircissements intéressants sur ce projet de fusion. Nous avons bien compris, au travers de votre message, que ce dossier doit se régler de façon amiable, par le dialogue et la concertation. Il est primordial pour deux groupes de cette envergure de sortir de cette situation par le haut, et nous le souhaitons.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions de votre participation.

La réunion est close à 11 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition, en application de l'article 13 de la Constitution, de Mme Laure de La Raudière, candidate proposée aux fonctions de présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous sommes réunis pour auditionner, en application de l'article 13 de la constitution, Mme Laure de La Raudière, candidate proposée aux fonctions de présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Je vous souhaite, Mme de La Raudière, la bienvenue devant notre commission.

L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Je rappelle que, dans ce cadre, aucune délégation de vote n'est autorisée.

La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale vous ayant déjà auditionnée, nous procéderons au dépouillement immédiatement à l'issue du vote. Le dépouillement sera effectué par deux scrutateurs et aura lieu simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat, conformément à l'article 5 de l'ordonnance du 17 novembre 1958.

Enfin, je rappelle que la nomination aux fonctions de président de l'Arcep est valable pour une durée de six ans.

Un dernier mot sur la procédure de nomination. Nous nous sommes interrogés sur la conformité de la procédure en cours avec la directive portant code européen des communications électroniques entrée en application en décembre dernier, qui exige que la procédure de nomination du président de l'Arcep soit « transparente et ouverte ». Même si l'on peut s'interroger sur l'applicabilité directe de cette directive, nous avons souhaité demander au Gouvernement s'il estimait que la procédure correspondait bien à ces critères.

Le Premier ministre a répondu par un courrier en date de ce jour. Il en ressort qu'un cabinet de recrutement a été missionné pour, d'une part, recueillir les candidatures spontanées à la succession de Sébastien Soriano dont le mandat arrivait à échéance et, d'autre part, chercher des profils qui auraient les compétences requises pour exercer cette responsabilité. Les candidats issus de cette procédure ont été auditionnés par un comité de haut niveau, présidé par la secrétaire générale du Gouvernement, et quatre d'entre eux ont été présentés au choix du Président de la République. Pour le Gouvernement, tous les candidats ont été pleinement informés des différentes étapes du processus et traités sur un pied d'égalité. Les critères posés par la directive ont été pleinement respectés.

Une fois ces précisions effectuées, j'en viens au fond du sujet. Autorité administrative indépendante dotée d'un budget d'environ 21 millions d'euros et de 183 équivalents temps plein (ETP), l'Arcep a, depuis bientôt vingt-cinq ans, eu à mener des chantiers très structurants pour notre économie, comme la fin du monopole public sur le fixe ou encore l'arrivée d'un quatrième opérateur sur le mobile. Si l'Arcep a pu longtemps focaliser son attention sur la concurrence par les prix, l'autorité a davantage prêté attention, ces dernières années, à la concurrence par les investissements, de sorte que le secteur des télécoms investit aujourd'hui plus de 10 milliards d'euros par an. Elle joue un rôle essentiel dans la mise en oeuvre du New Deal mobile et du plan France très haut débit sur le fixe, pour répondre aux attentes de connectivité de nos concitoyens et de nos entreprises sur tout le territoire.

L'Arcep est également en charge d'importantes missions en matière postale, qu'il s'agisse de la qualité du service universel ou de la transparence sur le marché des colis dans le contexte d'un essor du e-commerce. Sachez, Mme de La Raudière, que La Poste est un sujet très important pour le Sénat.

Plus récemment, en octobre 2019, le Parlement a confié à l'Arcep une mission de régulation de la distribution de la presse, marché soumis à de fortes tensions, comme en témoignent les difficultés du principal acteur de messagerie.

Ces secteurs régulés - télécoms, postes et distribution de la presse - touchent les Français dans leur quotidien. Leur avenir dépend en grande partie de la façon dont l'Arcep décide d'utiliser les leviers de régulation. C'est pourquoi cette audition est importante pour le quotidien de nos concitoyens, mais aussi pour l'aménagement du territoire.

J'en viens à la candidate proposée par le Président de la République. Mme de La Raudière, vous avez commencé votre carrière, il y a trente ans, chez France Télécom entre 1989 et 2001, puis vous avez été à la tête de sociétés de conseils dans le numérique et les télécoms jusqu'en 2010. Depuis 2007, vous siégez en tant que députée à la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, où vous avez eu l'occasion de produire de nombreux rapports sur le numérique et les télécoms. Vous êtes également élue locale depuis 2001. Vous êtes donc a priori dotée de toutes les compétences que nous estimons nécessaires pour un poste comme celui de président de l'Arcep : des compétences de terrain, tant dans le privé que dans le public, et une vision globale et stratégique au moins pour les secteurs régulés.

Si votre parcours parle de lui-même, il n'en reste pas moins que l'objectif de cette audition est de nous convaincre de soutenir votre candidature.

Mme de La Raudière, vous aurez donc, lors de cette audition, à nous présenter vos motivations et votre projet pour l'Arcep. Vous pourrez d'abord nous dire quel regard vous portez sur l'action de cet organisme durant ces dernières années et sur le bilan de votre prédécesseur - avec lequel nous avions de bonnes relations et que nous saluons -, qui a fait de l'aménagement numérique du territoire et de la concurrence par les infrastructures et les investissements son leitmotiv.

Ensuite, vous pourrez nous parler de la direction que vous souhaitez donner à l'autorité. Les chantiers sont très nombreux, sur les télécoms par exemple, je pense au très haut débit pour tous en 2022, à la généralisation de la fibre en 2025, à l'extinction du cuivre, du déploiement de la 5G... Je pense qu'il y aura de très nombreuses questions.

Devant nos collègues députés, vous avez eu l'occasion de mentionner, dans vos priorités, de nombreux dossiers qui s'imposeront à l'Arcep dans les années à venir sur chacun des trois secteurs de régulation. Nous vous demanderons de bien vouloir préciser, pour chacune de vos priorités et pour chacun des trois secteurs de régulation, à quelles actions concrètes vous pensez d'ores et déjà pour mener à bien ces chantiers.

Vous aviez également mentionné la régulation des géants du numérique et l'empreinte environnementale du numérique. Vous pourrez donc nous préciser votre sentiment sur les extensions de compétences de l'Arcep proposées par le Sénat dans des propositions de loi récentes.

Enfin, dans la mesure où cela a « fait le buzz » dans les médias, il paraît important de vous interroger sur votre capacité à garantir l'indépendance de l'institution. Celle-ci a pu être contestée pour deux raisons : votre passé lointain chez Orange, à l'époque France Télécom ; vos relations avec le pouvoir politique alors que l'Arcep est une autorité administrative indépendante et que vous souteniez la majorité présidentielle à l'Assemblée nationale.

Sur le premier point, à titre personnel, je ne peux pas m'empêcher de relever d'abord que vos fonctions chez Orange datent d'il y a plus de vingt ans. Quand bien même elles seraient plus récentes, je m'interroge sur la pertinence d'un monde qui voudrait systématiquement confier des postes à responsabilité à des gens qui n'y connaissent rien ! L'expérience est une qualité avant tout, pas un boulet à traîner. De mon point de vue, c'est même l'expérience et la connaissance du terrain qui permettent de ne pas être otage des discours des acteurs régulés, et d'être donc indépendant. Mais puisque ce sujet a été posé, il est important que vous puissiez nous dire comment vous comptez garantir l'indépendance de l'autorité.

Mme Laure de La Raudière, candidate proposée aux fonctions de présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse. - Merci de votre accueil au Sénat, c'est un honneur pour moi de venir vous présenter ma candidature et ma feuille de route pour le poste prestigieux de présidente de l'Arcep.

Le travail effectué sur les enjeux numériques depuis longtemps dans cette commission des affaires économiques du Sénat est reconnu à l'Assemblée nationale, mais aussi au sein de l'État, par les collectivités territoriales, par l'ensemble des acteurs du secteur et par l'Arcep. De nombreuses réflexions impulsées ici trouvent leur application dans la réglementation. L'actualité de votre commission en témoigne puisque vous avez voté la semaine dernière la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique, déposée par le sénateur Patrick Chaize, associé aux sénateurs Guillaume Chevrollier, Jean-Michel Houllegatte et Hervé Maurey, et largement cosignée sur tous les bancs du Sénat. Ce sera un sujet de préoccupation si vous validez ma nomination comme présidente de l'Arcep.

En prenant la parole devant vous, j'ai en tête tous les travaux réalisés au sein de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, souvent en miroir des travaux réalisés au Sénat, les deux chambres se nourrissant de leurs travaux respectifs. Sur ces sujets, comme sur d'autres, le processus de la navette parlementaire est important pour faire aboutir certaines propositions en réponse aux attentes de nos concitoyens ou de nos entreprises.

Depuis 2007, date de mon élection en tant que députée, jusqu'à ce jour, j'ai rapporté neuf missions sur les enjeux numériques au sein de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, traitant par exemple de la neutralité d'internet, du développement de l'internet des objets, des usages de la blockchain. J'ai co-rédigé au moins trois rapports sur la lutte contre la fracture numérique, dont un plus spécifiquement sur le marché « entreprises » des télécommunications.

À chaque fois, je l'ai fait en toute indépendance d'esprit et sans jamais me demander si ce que je proposais était bon pour un acteur ou pour un autre. Mes choix étaient guidés par l'intérêt général, et par ce que je considérais comme prioritaire et équilibré entre les objectifs d'aménagement du territoire, de développement de la concurrence, de l'innovation et de l'emploi.

J'ai par ailleurs toujours travaillé dans un esprit transpartisan. D'abord avec Corinne Erhel, fauchée à cinquante ans, alors qu'il s'agissait d'une formidable élue et dont je ne peux parler sans une certaine émotion, ensuite avec Éric Bothorel.

Mon passé de onze années chez France Télécom, il y a plus de vingt ans, m'a permis d'acquérir l'expertise nécessaire à la compréhension technique et opérationnelle du secteur des télécommunications. Mes mandats de député, mais également d'élue locale - j'ai été maire de 2012 à 2017 et je suis toujours conseillère départementale - m'ont apporté une expertise juridique et économique du secteur, ainsi qu'une connaissance fine des attentes des citoyens, des élus locaux et des entreprises. Mon passé de chef d'entreprise m'a également façonnée. Voilà, en quelques mots, les expériences sur lesquelles je m'appuierai en toute indépendance, si vous décidez de me valider au poste de présidente de l'Arcep.

Je voudrais maintenant vous exposer ma feuille de route, en rappelant d'abord que l'Arcep fonctionne avec un collège. L'ensemble des priorités de l'Arcep pour le mandat à venir sera bien évidemment débattu avec les membres du collège, mais aussi avec les services en appui technique. Ces priorités sont donc susceptibles d'évoluer, d'être précisées, d'être enrichies après la prise de fonction.

L'Arcep a la responsabilité de régulation de trois secteurs. Le secteur régulé par l'Arcep qui fait l'objet de plus de débats, d'avis et de concertations, mais aussi d'attentes de la part de nos concitoyens est le secteur des télécommunications et du numérique.

Je veux commencer par saluer l'ensemble des chantiers engagés depuis dix ans sous l'égide des anciens présidents de l'Arcep, Jean-Ludovic Silicani et Sébastien Soriano. Tous deux ont conduit des chantiers considérables pendant leur mandature. À titre d'exemple, le premier a mis en place la réglementation pour le déploiement de la fibre, a lancé la 4G et le quatrième opérateur mobile. Le deuxième a impulsé des relations nouvelles de l'Arcep avec les territoires et les collectivités, mis en place une politique de régulation par la donnée, avec le développement de l'Open Data et la mise à disposition des cartes de couverture, défini le cadre du New Deal mobile et lancé la 5G.

Le niveau d'investissement dans le secteur n'a cessé de croître sur toute cette période, faisant des télécommunications le premier secteur investisseur de France. Les chantiers à venir sont tout aussi considérables et passionnants. En dix ans, le numérique est devenu incontournable. La crise sanitaire nous l'a prouvé et a même accéléré les pratiques dans bon nombre de domaines, qu'il s'agisse de la e-éducation, de la vente en ligne ou à emporter pour les commerces de proximité, de la généralisation des visioconférences et du télétravail. On comprend mieux, face à l'augmentation des usages dans tous les domaines, les exigences des citoyens ou des entreprises pour avoir des réseaux de qualité, fixes ou mobiles, partout et accessibles, à des tarifs compétitifs.

Ces attentes relayées par tous les élus sont au coeur des préoccupations des réflexions de votre commission. Elles sont plus que légitimes. Elles sont la base des enjeux de la régulation pour l'Arcep dans le secteur des télécommunications.

Les priorités de la régulation doivent donc être les suivantes : maintenir un environnement concurrentiel et innovant, aménager le territoire en apportant des solutions de régulation adaptées à la situation spécifique des zones rurales et développer une filière compétitive tout en intégrant la réflexion plus récente sur l'empreinte environnementale du numérique. C'est dans le cadre de ces objectifs généraux que je déclinerai les priorités du secteur de télécommunications si vous validez ma nomination.

Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, la première priorité est certainement l'aménagement du territoire. Cet objectif doit être poursuivi en veillant, notamment, au respect des engagements des opérateurs dans le cadre du New Deal mobile et du déploiement du réseau Fiber to the Home (FTTH) dans les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (Amii), dans les zones d'appel à manifestation d'engagements locaux (Amel) ou encore dans les réseaux d'initiative publique (RIP).

En deuxième priorité, l'Arcep devra aussi veiller au maintien d'un marché concurrentiel pour pouvoir conserver des offres à un prix attractif et favoriser l'innovation. Nous avons la chance d'avoir un marché dynamique, avec un secteur qui investit beaucoup, qui innove, et avec des prix intéressants pour les consommateurs. Comme pour le New Deal Mobile, on peut travailler pour une régulation spécifique afin de favoriser l'aménagement du territoire là où c'est nécessaire et rendre dynamique le marché par la concurrence, comme c'est le cas à chaque lancement de nouveaux services. À titre d'exemple, une réflexion particulière devra être conduite sur le maintien d'un marché concurrentiel dynamique à l'occasion du grand chantier de fermeture du réseau cuivre.

J'aurai aussi une attention particulière pour le marché « entreprises », aujourd'hui faiblement concurrentiel, ce qui conduit les PME à être peu fibrées en France. L'Arcep a posé un cadre de régulation pour développer les offres avec une qualité de service renforcée sur les réseaux FTTH. Nous analyserons rapidement si le cadre de régulation actuelle assez récent porte ses fruits ou s'il convient de le faire évoluer.

En troisième priorité, je souhaite que l'Arcep poursuive ses travaux sur l'empreinte environnementale du numérique. Il importe de voir comment la régulation peut contribuer à l'objectif de développement durable, tout en conservant des objectifs ambitieux d'aménagement du territoire, d'innovation et de développement de la filière. Je salue le travail initié par l'Arcep dès le début de l'année 2020, travail voulu par le collège et faisant écho aux questions de la société sur ce sujet.

L'Arcep doit aussi s'appuyer sur vos travaux, le Sénat ayant été particulièrement précurseur sur ce sujet. Le numérique est partout, dans tous les secteurs. Il est facteur d'innovation dans tous les domaines : formation, éducation, santé, loisirs, agriculture, industrie, transport. Il permet la simplification des démarches quotidiennes et d'éviter des déplacements. Il change en profondeur l'organisation du travail et le fonctionnement des entreprises. Bien logiquement, la consommation de l'ensemble du secteur numérique va continuer à croître de façon importante dans les années à venir, notamment avec l'explosion des objets connectés. Je souhaite, à ce titre, que les travaux menés par l'Arcep et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), à la demande du Gouvernement, puissent prendre en compte l'ensemble des dimensions du sujet, c'est-à-dire à la fois la consommation propre du secteur du numérique, mais aussi les effets des usages du numérique, afin d'éclairer au mieux, de façon scientifique, les décisions à prendre.

Je souhaite également que l'Arcep participe aux travaux du régulateur européen, le Bérec, sur ce sujet et porte une ambition européenne, en accord avec les choix des élus et du Gouvernement.

La qualité de service des réseaux est aussi un enjeu important. Aujourd'hui, le réseau cuivre est vieillissant. Il assure encore la grande majorité des raccordements au téléphone et à l'internet de nos concitoyens, notamment dans les zones rurales. La qualité de service sur le réseau cuivre est préoccupante à certains endroits et doit faire l'objet d'une attention particulière de l'Arcep. Il existe aussi des difficultés dans la qualité de service sur les réseaux fibres en cours de déploiement. En effet, les relations actuelles entre opérateur d'infrastructures - celui qui déploie le réseau - et opérateur commercial - celui qui vend et raccorde le client - sont insatisfaisantes, entraînant des difficultés importantes sur la qualité de service global des raccordements du réseau. Une action urgente doit aussi être menée sur ce sujet.

Concernant le travail sur la régulation du numérique, qui est l'objet de nombreux débats en France ou en Europe, je souhaite que l'Arcep continue à y contribuer. D'abord dans le cadre de ses compétences sur l'internet ouvert, qui doit être garanti non seulement sur les réseaux, mais aussi sur les plateformes structurantes afin de garantir le libre choix du consommateur. Mais aussi dans tous les débats sur ces enjeux, en France ou au niveau européen, voire international. Je veillerai dans le rôle qui sera le mien, si vous me validez, à faire progresser ce sujet jusqu'au bout, notamment dans les discussions à venir sur le règlement du Digital Markets Act.

Je souhaiterais aussi mentionner rapidement deux autres sujets importants en matière de télécoms de la mandature à venir. D'abord la 5G, bien sûr. L'Arcep devra veiller au suivi des obligations, à l'appropriation par les entreprises d'offres en business to business (B2B), préparer des appels à candidatures dans la bande 26 GHz, lancer les appels d'offres sur la 5G dans les territoires ultramarins. Enfin, je ne peux finir sans parler du grand chantier de fermeture du réseau cuivre d'Orange, que l'Arcep doit aussi préparer et suivre dans les prochaines années.

Concernant les priorités pour la régulation du secteur des postes, je souhaite attirer l'attention sur la qualité du service universel postal. Pendant la période du premier confinement, vous avez pu voir combien le service universel a été fragilisé. L'Arcep, au-delà de son rôle de contrôle des objectifs du service universel, pourrait demander à disposer des informations en temps réel sur la situation du service universel de La Poste sur chaque territoire, dans la logique de la régulation « par la donnée » mise en place pour les télécoms. Je propose qu'une réflexion puisse être menée avec La Poste sur ce sujet.

Par ailleurs, étant donné le rôle croissant des grandes plateformes du e-commerce, le marché du colis, même s'il n'est pas régulé, pourrait faire l'objet d'une étude spécifique de l'Arcep prenant en compte les enjeux de qualité de service, de satisfaction des utilisateurs, d'identification des problèmes du secteur, de nouvelles formes de distribution, d'accessibilité des points relais ou des « lockers » mono ou multi-utilisateurs. Une mise à plat et un observatoire permettraient d'identifier quelles sont les spécificités qui posent encore des difficultés en matière de livraison, ce qui me semble un enjeu important d'équité territoriale.

Enfin, concernant la régulation du secteur de la distribution de la presse, ma priorité sera de mettre en place l'ensemble du système de régulation prévu dans la loi pour assurer la distribution de la presse. La loi a profondément changé l'organisation de la régulation fin 2019. L'Arcep a mis en place une équipe dédiée à ce sujet en 2020. Le secteur a subi de graves difficultés en 2020 avec le dépôt de bilan de la société Presstalis. L'Arcep a géré les urgences et n'a pas encore pu bâtir le nouveau cadre réglementaire prévu par les textes. Ce sera donc une priorité pour 2020. J'aurai à coeur de m'y investir pleinement afin de mettre en oeuvre l'ensemble des compétences confiées à l'Arcep par le législateur.

Je veux ajouter que l'Arcep n'est pas une autorité comme les autres, qu'il s'agisse de ses relations avec le Parlement et les collectivités territoriales, mais aussi parce que les sujets régulés touchent le quotidien des Français. Mes mandats de députée et d'élue locale dans un département rural pendant de nombreuses années ne pourront pas s'oublier du jour au lendemain. J'aurai à coeur de porter ces sujets sur lesquels je me suis tant investie, en particulier celui de la couverture numérique du territoire, pour un réseau fixe un réseau mobile de qualité partout et pour tous. J'ai toujours cru à la nécessité d'un déploiement d'un réseau fibre pour tous, car je sais que chaque famille, qu'elle habite dans un village isolé des Dombes ou dans mon village de Saint-Denis-des-Puits a exactement les mêmes besoins qu'une famille qui habite le centre de Paris.

Je veux aussi vous dire que je suis très motivée par cette évolution professionnelle. Je la vois comme une vraie continuité de mon investissement sur les enjeux numériques.

M. Franck Montaugé. - La 5G va donner lieu à de multiples usages - en particulier industriels - stratégiques pour notre compétitivité future. Dans ce cadre, la concurrence entre opérateurs télécoms et Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft - par rapport à la localisation des data centers non loin des lieux de production et d'utilisation des données sera vive. Je pense à l'internet des objets, au edge computing, etc. Les opérateurs français, seuls ou associés à des européens, ont là une occasion unique de combler une partie de leur retard par rapport aux Gafam. Pensez-vous que l'Arcep devrait se voir confier la régulation de ces infrastructures stratégiques ? Comment l'Arcep compte-t-elle accompagner ce mouvement vers les « verticaux » ? S'agissant de l'aménagement numérique du territoire, ne pensez-vous pas que les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique devraient intégrer, en sus des infrastructures réseaux, les data centers dont le territoire français doit être absolument et au plus vite équipé ?

M. Patrick Chaize. - Je veux en premier lieu témoigner de l'indépendance dont vous avez toujours fait preuve dans vos travaux, que j'ai pu constater au cours des nombreux échanges entre nos deux chambres. L'Arcep est une autorité souvent critiquée, attaquée par un écosystème ayant déjà à deux reprises déposé des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Je rappelle également une tentative avortée de mainmise de l'État sur le régulateur. L'autorité doit donc être solide et n'offrir aucun point de faiblesse qui entacherait la légitimité de ses décisions : la moindre brèche pourrait être utilisée pour qu'un acteur défende sa position. Les sujets qui attendent la nouvelle présidence de l'Arcep sont nombreux : extinction du cuivre, contrôle du non-respect des échéances du New Deal, zones Amii et Amel, poursuite de l'évolution favorable du marché professionnel, état déplorable du réseau cuivre, non-complétude de la zone très dense, absence d'offres de détails pour le raccordable à la demande, etc.

Je m'attacherai à quatre questions principales. Tout d'abord le « mode Stoc », qui fait des ravages. Les collectivités le dénoncent depuis des années. Cédric O a bien caractérisé l'ampleur de la situation en affirmant que l'on était en train de gâcher ce que nous avions eu tant de mal à mettre en place. Le désordre continue cependant chaque jour un peu plus. Certains opérateurs sont encore dans une situation proche du déni. Je rappelle que le « mode Stoc » est une création conjointe de l'Arcep et d'Orange, appuyée par la suite par les autres opérateurs. C'est donc bien à l'Arcep qu'échoit une grande responsabilité dans la reprise du contrôle de sa créature. Que comptez-vous faire dans les prochains jours à ce sujet ?

Par ailleurs, l'état du réseau d'Orange est aujourd'hui préoccupant, au point que le secrétaire d'État a lancé une « mission flash » sur ce sujet. Là encore, cela fait des années que les collectivités sonnent l'alarme. Je ne parlerai pas des coupures de réseau incessantes, la presse le fait largement, mais du déploiement du FTTH sur les supports aériens d'Orange. Trouvez-vous normal que 20 % des poteaux doivent être changés pour pouvoir poser la fibre optique, voire jusqu'à 80 % sur certains tronçons ? Que prévoyez-vous de faire en tant que nouvelle présidente de l'Arcep au regard de cette deuxième urgence absolue ?

L'extinction du cuivre est annoncée depuis deux ans par le PDG d'Orange, avec un achèvement à l'horizon de 2030. Les premiers pilotes sont en cours. Il est effectivement souhaitable de passer par une phase d'expérimentation. Quel calendrier comptez-vous proposer ?

Enfin, quelle est votre vision sur l'évolution nécessaire de La Poste, notamment concernant ses missions de service public ?

Mme Viviane Artigalas. - Le déploiement des réseaux est très inégal selon les territoires. La crise sanitaire a encore ajouté du retard à cause des confinements successifs. En avril dernier, le Sénat avait rappelé à M. Sébastien Soriano que c'était le rôle du régulateur d'exercer son pouvoir de contrôle et de sanction en cas de non-respect des objectifs, le cas échéant en adaptant le calendrier au contexte. Certains territoires sont dans l'urgence et commencent à s'impatienter, notamment dans les secteurs ruraux qui connaissent de nombreuses zones blanches. La 3G n'y est pas encore correcte à l'heure de le la 5G. La moitié du territoire national n'est toujours pas couverte en très haut débit. Il existe plusieurs milliers de zones blanches. La situation est en train de s'améliorer, mais beaucoup reste à faire. Pouvez-vous préciser votre stratégie pour atteindre les objectifs des programmes de couverture du territoire dans le cadre du plan France très haut débit et dans le cadre du New Deal mobile ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - J'ai compris que vous aviez une vision assez large de la régulation. Vous avez également une vision de votre rôle largement fondée sur la communication et la transparence, notamment avec les élus. Nous avons débattu il y a quelques jours de la réduction de l'empreinte environnementale du numérique. Nous préconisions une régulation à visée environnementale, notamment dans le cadre de l'éco-conception. Si cette proposition de loi prospère, seriez-vous prête à demander aux opérateurs de préciser leurs engagements environnementaux, notamment lors de l'attribution de la bande des 26 GHz ? Au sujet des déploiements à mener dans les zones rurales, mais également dans les zones Ammi, êtes-vous prête à vous engager avec fermeté sur ces sujets qui n'avancent pas beaucoup ? Quel rôle, selon vous peut jouer l'Arcep pour favoriser la transition réussie du cuivre vers la fibre ? Certains territoires sont laissés pour compte, avec des connexions qui ne sont plus du tout assurées et un service zéro ; c'est gravissime. Ces dernières années, l'Arcep a régulièrement engagé des réflexions prospectives sur le numérique, mais peu sur La Poste. Les pouvoirs de l'Arcep en la matière sont-ils insuffisants ? Devraient-ils être élargis ? Notre commission a beaucoup travaillé sur ce sujet lors du confinement et nous nourrissons de grandes ambitions pour un nouveau service universel de La Poste, fondé sur le numérique. Quelle est votre vision sur le sujet ?

M. Rémi Cardon. - La commune de Ferrières, dans la Somme, situées à quinze minutes d'Amiens, rencontre de grandes difficultés de couverture mobile. Les élus locaux envisagent de financer à plusieurs l'achat d'un pylône. Ces maires ruraux cherchent donc à négocier des aides avec le département de la Somme. L'Arcep peut-elle faire office de facilitateur dans ce genre de situation ? Comment l'Arcep va-t-elle rattraper son retard sur la cartographie de la couverture ciblée, qui handicape énormément les communes ?

M. Laurent Duplomb. - Avec le code européen des communications électroniques, la définition du service universel évolue, mais l'Arcep perd le moyen juridique du service universel pour réguler la qualité du service du cuivre. Devant nos collègues députés, vous avez rappelé que le cuivre est une infrastructure encore essentielle. Quels moyens entendez-vous mettre en oeuvre pour maintenir une surveillance sur la qualité du cuivre ? Dans de nombreux territoires, en particulier en Haute-Loire, les efforts réalisés par Orange sont encore largement insuffisants. Que pensez-vous du retard pris par le Gouvernement dans la définition d'un nouveau cahier des charges ? Lors des travaux sur la loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit national au droit de l'Union européenne (Ddadue), pour laquelle j'étais rapporteur, j'avais été informé que le Gouvernement avait saisi l'Arcep pour rendre un avis sur la disponibilité et l'abordabilité du service universel. Pouvez-vous vous engager à nous transmettre rapidement cet avis ?

M. Daniel Salmon. - Quelle serait pour vous la bonne prise en compte des impacts environnementaux du numérique ? Quelle est votre vision de la régulation de l'Arcep sur ces sujets ? S'agit-il plutôt d'une évaluation au préalable ou d'une évaluation a posteriori ? Que pensez-vous de l'observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique, voté dans la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France ? On met très souvent en avant les facettes très positives du numérique et on passe sous silence ses facettes un peu plus sombres. Comment envisagez-vous le principe de précaution et l'encadrement du marché ? Votre passage chez Orange et votre implication chez Talan vous permet-il d'avoir une distanciation et une indépendance par rapport au marché du numérique ?

M. Serge Babary. - Le marché « entreprises » des télécoms pèche par son manque de concurrence. Le Sénat - délégation aux entreprises et groupe numérique en tête -avait alerté les pouvoirs publics depuis décembre 2019. Une proposition de loi a été déposée. Les deux instances parlaient alors de non-assistance à concurrence en danger. Un an plus tard, on ne voit pas d'évolution majeure. On nous dit que certains opérateurs veulent se lancer, mais on attend toujours. L'Arcep peut-elle enfin y mettre bon ordre ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Le Parlement a été écarté de l'accord New Deal de 2018, qui a été passé directement entre les opérateurs et le Gouvernement. Seriez-vous favorable à ce que le Parlement, en plus de l'Arcep, contrôle l'effectivité de l'application pour constater la réalité de la couverture mobile et sa progression ? L'accord passé n'est-il pas d'ores et déjà obsolète, ne serait-ce qu'en matière de télétravail ? Comment jugez-vous le plan de relance sectoriel du Gouvernement, qui prévoit 7 milliards d'euros pour le numérique sur deux ans ? 500 millions d'euros sont prévus pour la fibre optique et pour lutter contre l'illectronisme : est-ce suffisant ? Les associations d'élus et les collectivités territoriales réclamaient en mai 2020 une enveloppe de 680 millions euros pour accélérer des constructions d'infrastructures dans le cadre du plan France très haut débit...

M. Jean-Marc Boyer. - L'ensemble de la couverture numérique et téléphonique comporte la mise en place de pylônes. Cette mise en place se fait avec l'autorisation des élus et après avis des habitants. Vous avez déposé le 10 décembre dernier une proposition de loi visant à encadrer le développement des projets éoliens, qui fixe la distance d'éloignement minimal entre les habitations et les éoliennes proportionnellement à leur hauteur. Cette proposition de loi rejoint celle que j'ai déposée au Sénat il y a un an environ. Comment allez-vous appréhender la mise en place des pylônes de couverture téléphonique numérique avec l'ensemble des contraintes et des autorisations qui sont sollicitées ?

M. Daniel Gremillet. - Je partage ce qui a été dit sur le cuivre et sur la téléphonie mobile, je n'y reviendrai donc pas. Pour certains territoires complètement abandonnés, le déploiement de la 5G est une véritable insulte. Allons-nous recommencer l'erreur commise sur le numérique ? Ceux qui font du business n'auront-ils pas une obligation d'aménagement du territoire, comme en Allemagne ? Le premier confinement a été vécu comme un échec pour La Poste. Certaines entreprises et des particuliers se sont trouvés brutalement coupés du monde faute de services. Comment pensez-vous organiser cette entreprise ?

Mme Patricia Schillinger. - Pourriez-vous nous préciser le montant des investissements devant être réalisés par les opérateurs pour le déploiement de la 5G ?

Mme Laure de La Raudière. - Le New Deal a été mis en place en échange du renouvellement des fréquences, qui appartiennent à l'État. En matière d'attribution des fréquences, l'Arcep rédige le cahier des charges. Elle a donc un rôle important dans la façon dont sera organisé le déploiement et les objectifs de couverture. L'Arcep intervient aussi pour vérifier la bonne mise en oeuvre des objectifs. Le New Deal est un changement de paradigme, l'idée étant d'installer 5 000 antennes par opérateur en France en échange du renouvellement de l'attribution des fréquences. Il importe d'avoir une vision d'ensemble du niveau de couverture, avec l'ensemble des leviers du New Deal. Je souhaite que l'Arcep y travaille très précisément dès 2021 pour donner une visibilité sur la question de savoir si le New Deal sera suffisant.

Il est également très important d'améliorer les cartes de couverture publiées par l'Arcep. Monréseaumobile.fr a été une avancée considérable et je salue le travail de Sébastien Soriano. En revanche, les cartes ne sont pas suffisamment fiables. Il faut donc croiser les données de modélisation des opérateurs avec les données de terrain. Plusieurs départements ont réalisé des collectes d'informations, que je souhaite intégrer dans les cartes de couverture. J'aimerais aussi que l'on puisse y intégrer une certaine prévision des déploiements à venir, dans le fixe comme dans le mobile. Par exemple, lorsqu'un permis de construire est déposé, on peut envisager un début de modélisation, figurant en hachuré sur la carte de couverture.

Concernant l'installation des pylônes, ce qui a été mis en place dans le cadre de la couverture ciblée pour le New Deal, avec la présence de l'État et un comité de pilotage, est une très bonne chose. Il serait utile de faire plus de publicité autour de cette bonne pratique. Il importe que la personne référente de l'État soit parfaitement identifiée pour que nous puissions agir très vite en cas de difficulté sur un territoire. Seule une réponse rapide, en zone rurale, peut permettre d'aboutir à un accord. Quoi qu'il en soit, il est essentiel d'avoir une vision d'ensemble pour savoir dès maintenant s'il nous faut envisager autre chose après le New Deal.

La question de choisir entre la 4G ou la 5G ne se pose pas pour moi. Il faut déployer la 5G et continuer à mettre en place la 4G partout. Certes, c'est très difficile à admettre pour nos concitoyens qui ne disposent pas encore de la 4G. Mais nous avons des enjeux industriels importants pour l'ensemble des secteurs de l'économie. Il faut donc accompagner le développement de la 5G et assurer le service attendu par nos concitoyens d'un accès à un réseau mobile de qualité.

La qualité sur le réseau cuivre est très préoccupante. En 2008, j'avais déjà le sentiment réel d'une dégradation, même si nous n'avions pas à l'époque suffisamment d'indicateurs pour le mesurer. Le nombre de raccordements sur le réseau cuivre diminue parallèlement à l'augmentation des raccordements FTTH sur tout le territoire, ce qui fait chuter les recettes des services opérés sur la boucle locale cuivre. Je salue la décision d'une mission d'information « flash » portée par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, confiée à Célia de Lavergne. L'Arcep va bien sûr participer à cette mission d'information. Sur ce sujet, il va falloir être innovant. Nous allons nous appuyer sur les travaux de Célia de Lavergne pour négocier avec Orange, qui possède le réseau cuivre, afin de trouver des solutions.

Si vous confirmez ma nomination, la qualité de service du réseau fibre est un sujet qu'il me faudra aborder dès le mois de février. Il faut trouver une autre solution que le « mode Stoc », car cela ne marche pas. Il faudra rencontrer les gens, les auditionner et aller voir sur le terrain. Il y avait déjà des problèmes sur le dégroupage du réseau cuivre, mais les difficultés semblent s'être amplifiées. Je ne sais pas encore quelle sera la bonne solution.

À la demande du Gouvernement, l'Ademe et l'Arcep ont engagé des travaux pour mesurer, en englobant toutes les dimensions, l'empreinte environnementale du numérique. Il conviendra aussi d'examiner les différents usages du numérique : certains usages sont purement consommateurs - comme le visionnage d'un film en haute définition sur grand écran -, d'autres permettent d'éviter des déplacements - par exemple le pilotage à distance d'une rampe d'irrigation. Par ailleurs, la multiplication par 100 des débits ne conduira pas automatiquement à une consommation d'énergie centuplée : ce n'est pas linéaire. Les débats doivent donc être d'abord posés sur le plan scientifique. Ensuite, les décisions appartiendront au Parlement et au Gouvernement. Ce n'est pas à l'Arcep de faire les choix de société : elle apporte un éclairage d'expertise, pour poser les enjeux d'un point de vue scientifique. Ce sera ensuite à vous de faire les choix.

En début de prise en charge d'un nouvel axe de régulation - comme c'est le cas en matière d'empreinte environnementale -, j'ai deux réflexes : tout d'abord, il faut porter les enjeux au niveau européen afin que nos filières industrielles soient compétitives et qu'elles bénéficient d'un cadre général comparable à celui de leurs concurrents européens ; ensuite, il faut commencer par l'incitation et ne passer à la contrainte que si rien ne bouge. Quoi qu'il en soit, je m'inscrirai dans le cadre que vous définirez pour ces enjeux.

S'agissant de la qualité du service universel de La Poste, nous devons opérer une régulation par la donnée. Pendant le confinement, manifestement, les données disponibles sur le site internet de La Poste n'étaient pas conformes aux réalités de terrain... Il y a eu un problème de pilotage global au cours de cette période très difficile. Il conviendra de définir des axes d'amélioration afin que les objectifs du service universel soient bien respectés.

Les 500 millions d'euros du plan de relance couvrent les attentes des collectivités pour achever la mise en place des schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique ainsi que du très haut débit, mais cela ne couvre pas encore la fibre pour tous. Les 680 millions d'euros que vous évoquez sont-ils le complément attendu de l'État pour fibrer le reste des territoires ? Le plan de relance ne répondra pas complètement à cet objectif, mais c'est déjà une belle avancée. Cela permettra de rassurer à la fois les territoires sur la finalisation de leurs plans, et la filière qui a besoin de visibilité.

M. Laurent Duplomb. - Êtes-vous prête à nous transmettre l'avis de l'Arcep sur la disponibilité et l'abordabilité du service universel ?

Mme Laure de La Raudière. - Je n'ai pas encore pris connaissance de cet avis. Il m'est délicat de m'engager à vous le transmettre, notamment s'il pose des questions de confidentialité.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il n'est a priori pas certain qu'il comporte des données confidentielles, mais nous aurons l'occasion de vous le redemander.

Mme Laure de La Raudière. - Je serai naturellement à la disposition du Parlement sur tous les enjeux. Je souhaite favoriser la culture de l'ouverture des données et de la transparence, car c'est ainsi que nous pourrons avancer.

M. Laurent Duplomb. - Nous comptons donc sur vous pour nous le transmettre s'il ne comporte pas de données confidentielles.

Mme Laure de La Raudière. - Bien entendu.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie de votre intervention et de vos réponses à nos nombreuses questions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination de Mme Laure de La Raudière aux fonctions de présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse

La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le président de la République, de Mme Laure de La Raudière aux fonctions de présidente de l'Arcep, simultanément à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.

Mme Sophie Primas, présidente. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 18

Bulletins blancs : 3

Bulletins nuls : 0

Nombre de suffrages exprimés : 15

Pour : 13

Contre : 1

Abstention : 1

La commission donne un avis favorable à la nomination de Mme Laure de Raudière aux fonctions de présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).

Désignations

Mme Sophie Primas, présidente. - À la suite de la réunion du bureau de notre commission mercredi dernier, je vous propose de procéder formellement à la nomination de deux de nos collègues afin qu'ils puissent démarrer leurs travaux au plus vite.

En matière d'application des lois, il nous faut procéder à une évaluation de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), le Gouvernement souhaitant imposer de nouvelles contraintes aux collectivités territoriales et préparer la révision de cette loi SRU dont l'application s'achève en 2025. Je vous propose de confier à Dominique Estrosi Sassone, qui a été rapporteur de la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté qui a modifié la loi SRU et est membre, au nom du Sénat, de la commission nationale SRU, d'être rapporteur de cette mission d'évaluation de la loi SRU.

Une mission « flash » va également être lancée sur l'incidence économique de la réglementation environnementale 2020 (RE2020), et plus précisément celle de l'interdiction des chaudières à gaz dans les bâtiments neufs. En application de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ELAN, le Gouvernement a en effet publié de nouvelles normes de performance énergétique applicables aux bâtiments neufs à compter de juillet 2021. Il y a donc une nécessité d'évaluer les conséquences économiques de cette mesure aussi bien pour les professionnels que pour les particuliers. Je vous propose de désigner notre collègue Daniel Gremillet rapporteur de cette mission.

La commission désigne Mme Dominique Estrosi Sassone rapporteur de la mission d'évaluation de la loi SRU et M. Daniel Grémillet rapporteur de la mission sur l'incidence économique de la RE2020.

La réunion est close à 17 h 45.