Mardi 16 février 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 - Examen des amendements de séance

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements de séance sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR

Article additionnel après l'article 3 bis

M. Bernard Delcros, rapporteur. - L'amendement n°  8 vise à garantir l'information du Parlement sur le recyclage des dividendes et le redéploiement des crédits internes au sein de Bpifrance. C'est une pratique ancienne, que la nouvelle organisation pourrait accentuer, en recyclant les dividendes sans que le Parlement en soit informé.

L'amendement n° 8 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Les cinq amendements que nous avons à examiner sont déposés par le groupe CRCE.

Articles additionnels après l'article 1er

M. Bernard Delcros, rapporteur. - L'amendement n°  1 prévoit que chaque nouvelle prolongation du fonds de solidarité par voie réglementaire soit prise pour une durée minimale de six mois. Je m'en expliquerai en séance, j'en demande le retrait ; à défaut j'y serai défavorable.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 1 et, à défaut, y sera défavorable.

M. Bernard Delcros, rapporteur. - L'amendement n°  3 rectifié conditionne l'éligibilité au fonds de solidarité au maintien des emplois. Mon avis est défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3 rectifié.

Articles additionnels après l'article 3

M. Bernard Delcros, rapporteur. - L'amendement n°  7 vise à confier à Bpifrance la mission de transformation de la dette des entreprises en quasi-fonds propres dans les secteurs industriels et stratégiques. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.

M. Bernard Delcros, rapporteur. - L'amendement n°  4 rectifié tend à confier à Bpifrance la mission de contribuer aux financements de long terme des entreprises stratégiques pour s'inscrire dans la transition écologique. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.

M. Bernard Delcros, rapporteur. - L'amendement n°  5 rectifié porte le seuil minimal de détention publique de Bpifrance de 95 % à 98,6 %. Cette question me semble légitime. Je souhaite connaître l'avis du Gouvernement sur ce point.

La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 5 rectifié.

Articles additionnels après l'article 1er

Auteur

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

1

Retrait

M. SAVOLDELLI

3 rect.

Défavorable

Articles additionnels après l'article 3

M. SAVOLDELLI

7

Défavorable

M. SAVOLDELLI

4 rect.

Défavorable

M. SAVOLDELLI

5 rect.

Avis du Gouvernement

Article additionnel après l'article 3 bis

M. DELCROS

8

Adopté

Proposition de loi relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement - Examen des amendements de séance au texte adopté par la commission

M. Claude Raynal, président. - Notre collègue Jean-François Husson remplace Albéric de Montgolfier, rapporteur sur cette proposition de loi, qui a un empêchement. Huit amendements ont été déposés sur ce texte, et deux sous-amendements.

Article unique

M. Jean-François Husson, rapporteur général, rapporteur en remplacement de M. Albéric de Montgolfier. - L'amendement n°  2 vise à encadrer le démarchage téléphonique non sollicité réalisé par les distributeurs en produits d'assurance, dans le droit fil de la loi Naegelen. J'y suis favorable sous réserve de l'adoption de mon sous-amendement n°  10. Je propose à notre collègue Jean-Michel Arnaud de retirer son sous-amendement n°  9 au bénéfice du mien.

Mme Isabelle Briquet. - Cet amendement semble aller au-delà du champ de la proposition de loi. Ne tombe-t-il pas sous le coup de l'article 45 de la Constitution ?

M. Vincent Segouin. - L'amendement gouvernemental interdit à un assureur de proximité de démarcher ses clients sur un nouveau produit, et exige qu'ils conservent les communications téléphoniques pendant deux ans. Je comprends la démarche de lutter contre les plateformes en Afrique du Nord, mais les mesures proposées semblent très contraignantes. Ne vont-elles pas constituer un handicap dans la vie quotidienne des Français ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Concernant l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, si nous nous référons au périmètre retenu par la commission lors de l'examen de ce texte, sont bien inclues toutes les dispositions relatives aux conditions d'accès et d'exercice de leur profession applicables aux courtiers d'assurance ou aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement, ainsi qu'à leurs mandataires.

Je partage par ailleurs certaines de vos observations sur l'amendement relatif au démarchage téléphonique. C'est pourquoi le sous-amendement n° 10 que je propose prévoit une entrée en vigueur de la mesure au 1er avril 2022 et restreint son champ au contrôle du respect des seules obligations prévues par le dispositif. Chacun le comprend bien, il convient bien sûr de veiller aux abus du démarchage téléphonique, mais il faut aussi garantir la proportionnalité des nouvelles obligations. Quid de l'étude d'impact et quel est le coût de cette mesure au final ? Les consommateurs et les professionnels loyaux ne doivent pas en faire les frais. Nous proposons une solution plus équilibrée en permettant aux parties prenantes de parvenir à un accord.

M. Jean-Michel Arnaud. - Je retirerai mon sous-amendement en séance.

La commission demande le retrait du sous-amendement n° 9.

La commission émet un avis favorable au sous-amendement n° 10 ainsi qu'à l'amendement n° 2, ainsi sous-amendé.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement n°  7, qui réduit considérablement l'utilité des associations professionnelles, au bénéfice de l'Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (Orias). Je suis défavorable à l'amendement n°  3 du Gouvernement, qui supprime le transfert à l'Orias du contrôle de l'honorabilité, qui constitue un apport de la commission des finances. Je demande le retrait de l'amendement n°  5 car il restreint de façon excessive les missions des associations professionnelles agréées.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 7.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 5.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement n°  4, car le fait que les associations professionnelles puissent formuler des recommandations en matière de pratiques commerciales ne remet pas en cause le fait que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) reste la seule autorité de contrôle dans ce domaine.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 4.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je demande le retrait des amendements identiques nos  1 rectifié, 6 et 8 rectifié, qui reportent la date d'entrée en vigueur de la réforme au 1er janvier 2023. L'Assemblée nationale a déjà repoussé la réforme d'un an et les acteurs concernés s'y sont préparés depuis 2018.

La commission demande le retrait des amendements nos 1 rectifié, 6 et 8 rectifié.

Article unique

Auteur

Avis de la commission

Gouvernement

2

Favorable

M. HUSSON

10

Favorable

M. ARNAUD

9

Retrait

Mme DUMAS

7

Retrait

Gouvernement

3

Défavorable

Mme DUMAS

5

Retrait

Mme DUMAS

4

Retrait

M. ARNAUD

1 rect.

Retrait

Mme DUMAS

6

Retrait

M. SEGOUIN

8 rect.

Retrait

Projet de loi confortant le respect des principes de la République - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis

M. Claude Raynal, président. - Il vous est proposé que la commission des finances se saisisse pour avis du projet de loi confortant le respect des principes de la République, qui comprend des dispositions de nature financière et fiscale, notamment concernant la fiscalité des associations.

La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi confortant le respect des principes de la République (A.N., XVe lég.), sous réserve de sa transmission, et désigne M. Albéric de Montgolfier rapporteur pour avis.

Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Vincent Delahaye rapporteur sur le projet de loi n° 701 (2019-2020) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine du 4 avril 1979, en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.

La réunion est close à 14 h 50.

Mercredi 17 février 2021

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Audition de M. Patrick de Cambourg, candidat proposé par le président de la République aux fonctions de président de l'Autorité des normes comptables

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons aujourd'hui, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, M. Patrick de Cambourg, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité des normes comptables (ANC).

Le mandat du président est de six ans, renouvelable une fois, et c'est justement pour la reconduction de votre mandat que nous vous entendons, puisque vous présidez déjà l'ANC, et ce depuis le 3 mars 2015. Notre commission des finances avait déjà eu l'occasion, à ce moment-là, de vous entendre et de se prononcer sur votre nomination.

L'ANC, qui a été créée en 2010, établit les prescriptions comptables générales et sectorielles applicables au secteur privé et donne un avis sur les modifications législatives ou réglementaires en la matière, ainsi que sur l'élaboration des normes comptables internationales. Elle joue enfin un rôle de coordination et de synthèse dans des travaux de recherche.

Plus de quatre millions d'entités, dans les secteurs marchand et non marchand, suivent les règlements de l'ANC. C'est un règlement de l'ANC, en particulier, qui fixe le plan comptable général. Vos travaux intéressent donc toutes les entreprises, et même l'État, puisque la comptabilité générale de l'État s'en inspire fortement.

Vous pourrez nous indiquer quelle est a été votre activité personnelle au cours de votre mandat, mais aussi nous rappeler les grands enjeux actuels de la comptabilité des entreprises, notamment dans le cadre international. Vous pourrez sans doute nous dire si les objectifs que vous vous étiez fixé il y a six ans ont été atteints, notamment celui de faire réussir le groupe consultatif européen sur l'information financière, l'Efrag (European Financial Reporting Advisory Group), chargé de développer et de promouvoir la voix européenne dans l'élaboration des normes comptables internationales. Vous nous direz enfin quelles lignes directrices vous entendez fixer à l'ANC dans les années à venir.

Je vous rappelle que cette audition est publique et retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

Les membres de la commission qui ne sont pas physiquement présents peuvent participer à la réunion par téléconférence. Toutefois, les délégations de vote ne sont pas autorisées et seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote qui aura lieu à l'issue de l'audition.

Le dépouillement aura lieu en fin de matinée, M. de Cambourg devant être entendu tout à l'heure par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Nos collègues Rémi Féraud et Marc Laménie, secrétaires du bureau, m'assisteront pour le dépouillement comme scrutateurs.

M. Patrick de Cambourg, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité des normes comptables. - Le Président de la République a bien voulu m'accorder sa confiance et me proposer pour ce second mandat à la tête de l'ANC. C'est avec plaisir que je viens devant vous ce matin, conformément à l'article 13 de la Constitution, évoquer mon action passée et les orientations pour la période à venir. J'aborderai d'abord la normalisation comptable, à l'international et en France, puis j'évoquerai les fonctions que j'exerce ès qualités dans d'autres institutions ainsi que les missions d'intérêt général que j'ai effectuées sur des sujets connexes, mais qui participent au progrès de la qualité de l'information fournie par les entreprises.

Dans la normalisation comptable, l'objectif a été, et sera, de faire entendre la voix de la France et de l'Europe sur le plan international et, en même temps, de développer un dispositif national dynamique. La France a des particularités, à cet égard, au service de notre économie et de nos entreprises. Il y a six ans, devant votre commission, j'avais insisté sur le caractère stratégique de la normalisation comptable. Les six années écoulées m'ont confirmé dans cette conviction.

L'ANC n'est pas une autorité pourvue de gros bataillons, mais ce ne sont pas les chiffres qui comptent - affirmation qui peut prêter à sourire venant d'un comptable, j'en ai conscience ! Bien plutôt, c'est la manière de conduire l'action qui importe. Par sa construction même, en 2010, et aussi par tradition, l'ANC est avant tout un organe fédérateur de la communauté comptable française. Point de rencontre et d'échanges, elle est une plateforme d'élaboration des positions et des normes, un lieu d'arbitrage, selon des processus de collégialité auxquels nous sommes très attachés et qui sont respectés par tous. Les équipes permanentes de l'ANC ont un rôle clé. Elles comptent une vingtaine de personnes, ce qui n'est pas un nombre très important. Elles ne pourraient remplir leurs missions sans la communauté comptable, dont l'ANC est le pivot. Au-delà, ce sont plus de 100 professionnels de haut niveau qui prêtent régulièrement leur concours, de façon rigoureuse, à ses travaux. Eux-mêmes ne sont que la partie émergée de l'iceberg, puisque notre communauté est beaucoup plus large et de très bon niveau. Ce modèle est original, mais il a démontré son efficacité dans la durée. Il positionne l'ANC en bonne place en Europe et au-delà.

S'agissant de la normalisation internationale, je pense pouvoir dire que l'ANC a su affirmer sa position de façon constructive, mais sans concession. La voix de l'Europe s'est affirmée. Vous avez évoqué l'Efrag : nous avons su tirer parti de sa réforme, à la suite du rapport Maystadt, qui a coïncidé avec mon arrivée à la tête de l'ANC. Les normalisateurs nationaux, qui étaient jusqu'alors exclus de ce processus, ont trouvé une véritable place au sein de cet organisme, chargé de conseiller la Commission européenne sur l'homologation des normes IFRS (International Financial Reporting Standards), que l'Europe a choisi de suivre en 2002.

Il convenait de faire prévaloir ce que j'ai appelé dès mon arrivée « le conseil et l'homologation, mais les yeux grands ouverts » : constructif, mais objectif ; positif, mais sous bénéfice d'inventaire. Nous avons contribué largement à faire comprendre que certaines normes étaient techniquement perfectibles, ou qu'elles n'étaient pas en harmonie avec l'intérêt général européen.

Je vais vous donner trois exemples.

D'abord, à propos de la norme IFRS 9, sur les instruments financiers : nous avons exprimé dès le départ de sérieuses réserves sur le traitement comptable des investissements en actions. Pourtant, ceux-ci sont fondamentaux pour les plans d'investissement de l'Europe et de la France, à moyen et long terme. Le deuxième exemple est la nécessité de différer l'application de cette norme pour le secteur des assurances, jusqu'à l'adoption de la norme sur l'assurance elle-même, tant il est vrai qu'actif et passif sont indissociablement liés. Enfin, cette norme sur les contrats d'assurance, dernière grande norme du dispositif qui constitue la plateforme internationale en cours d'élaboration, a fait l'objet d'un intense travail de notre part et de celle de l'Efrag. Nous avons obtenu sa réouverture au plan international, ce qui était unique, pour apporter des solutions aux importantes questions que nous nous posions. Malgré un certain nombre d'améliorations, il reste un point très important qui appelle des réserves de notre part : le traitement des contrats à mutualisation intergénérationnelle, au sein desquels toutes les générations d'assurés sont attachées à un seul groupe d'actifs, avec une répartition entre les générations d'une même profitabilité, alors que la technique internationale consiste à segmenter chaque portefeuille en cohortes annuelles, et à donner à chaque cohorte annuelle son dû. L'Europe a fait un choix différent, celui de la solidarité. Nous avons donc émis des réserves. Nous n'avons pas été les seuls, heureusement, et nous avons bon espoir que la Commission pourra proposer une solution appropriée.

Sur ces trois sujets, je crois pouvoir dire que l'ANC a joué un rôle technique de premier plan, dans la ligne que j'ai évoquée : pas de blanc-seing, mais des propositions techniques étayées, partagées et expliquées avec constance.

En matière de normalisation internationale, l'ANC s'efforce aussi de faire valoir directement, avec force quand c'est nécessaire, ses positions et suggestions auprès du normalisateur international, l'IASB (International Accounting Standards Board). Notre politique est d'être très présents et proactifs, et de travailler le plus en amont possible. La normalisation comptable internationale est un cycle long. Si l'on n'intervient pas dès le début de l'élaboration de la norme, on arrive souvent trop tard.

Lors de mon arrivée, je me suis efforcé d'établir une communication renouvelée, la plus efficace possible. Celle-ci était historiquement difficile, voire tendue. Nous avons continué à faire valoir des positions fermes sur le fond, mais en prenant soin d'utiliser les voies techniques que je croyais les plus adaptées sur la durée.

La normalisation IFRS internationale appelle trois observations qui fondent une grande vigilance de notre part. La première a trait à l'état de la convergence internationale, qui demeure fragile. Je l'avais souligné lors de mon audition il y a six ans. L'Union européenne est le principal utilisateur des normes et, en France à tout le moins, un utilisateur rigoureux. Les États-Unis ont cessé de converger il y a une dizaine d'années. Il n'y a pas de divergence aujourd'hui, mais rien n'est certain dans la durée. La Chine et l'Inde se positionnent sur une politique de convergence en substance, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Enfin, autre grande puissance économique, le Japon, lui, a choisi la voie de l'optionnalité, c'est-à-dire que les normes IFRS peuvent être choisies par les entreprises, mais aussi les normes japonaises, selon leur convenance. Cela crée un panorama qu'il ne faut pas voir comme totalement unitaire, mais, bien au contraire, comme un panorama dans lequel les zones économiques ont des positions inspirées, bien évidemment, par leurs intérêts.

La seconde observation a trait à la gouvernance de la normalisation, qui nous paraît perfectible. L'Union européenne y est insuffisamment représentée, tant en nombre qu'en capacité d'influence. Nous militons pour que cela évolue. Il n'est pas toujours facile de promouvoir la diversité culturelle comptable, que nous croyons bénéfique. Nous continuons et continuerons sans relâche. Nous espérons obtenir un bon niveau d'écoute et oeuvrons en ce sens pour que le dialogue soit beaucoup plus équilibré. Des progrès ont été réalisés, mais ils ne sont pas encore suffisants à mes yeux.

La question fondamentale est de savoir s'il y a aujourd'hui des raisons de faire des réformes majeures, ou si nous avons atteint une plateforme relativement stabilisée. À titre personnel, et au nom de la communauté française, j'exprime des réserves sur des tentations de déstabilisation d'une plateforme qui n'est sans doute pas parfaite, mais qui a le mérite d'être assimilée par tous les acteurs. C'est pourquoi je suis réservé, notamment, sur l'idée de revenir sur le traitement actuel des Goodwill, ces actifs immatériels qui figurent dans les bilans à la suite des opérations de regroupement, en introduisant éventuellement un amortissement systématique qui serait techniquement problématique, et qui aurait pour conséquence de faire disparaître des bilans plus de 1 500 milliards d'euros d'actifs en Europe continentale, alors même que l'écart entre les valeurs comptables et les valeurs de marché est significatif et continue de s'accroître, ce qui est un paradoxe. C'est aussi un problème macroéconomique, tant il est vrai qu'un tel amortissement réduirait la possibilité de regrouper les entreprises quand c'est nécessaire et accroîtrait excessivement la capacité des grands acteurs de l'économie à croître organiquement, et non par reconstruction.

L'ANC s'est dotée pendant mon premier mandat d'un forum d'interprétation des normes IFRS, qui a rencontré un véritable succès et est très actif sur le sujet, très sensible, de la mise en oeuvre pratique des normes en France, car les normes sont principielles et il n'est pas toujours aisé de les confronter à des situations spécifiques à chaque juridiction et à notre pays.

Sur les relations bilatérales avec nos homologues étrangers - une dizaine de grands acteurs internationaux -, je me bornerai à dire qu'elles sont, depuis six ans, régulières, intenses et de très grande qualité. Les visites mutuelles sont fréquentes, sauf, bien sûr, depuis le début de la pandémie, qui nous a conduits à travailler exclusivement en visioconférence depuis plus d'un an, ce qui limite quelque peu les interactions. Nous ne sommes naturellement pas d'accord sur tout, mais les uns et les autres ont la connaissance des positions et raisonnements de chacun, ce qui permet d'avancer. Le moment venu, nous reprendrons notre programme de visites et d'échanges. Nous participons aussi à tous les rendez-vous internationaux de la - relativement petite - communauté des normalisateurs.

Sur la normalisation française, notre objectif a été et sera de faire vivre la dynamique des normes nationales, pour laquelle la France a fait de longue date un choix fondamental. La normalisation française bénéficie d'une longue tradition et d'une dynamique bien établie, que nous nous efforçons d'amplifier. Elle bénéficie aussi du rôle à certains égards central que la comptabilité joue au quotidien sur quatre plans distincts, mais complémentaires : instrument de transparence, instrument de gestion, référence juridique et référence fiscale. La prégnance des normes internationales pourrait, si l'on n'y prend pas garde, conduire à un affaiblissement progressif du dispositif réglementaire national. Ce n'est pas notre modèle. La France a choisi de garder la maîtrise des normes qui s'appliquent à la plus grande partie des entreprises et des comptes sociaux. Je rappelle à cet égard que les normes IFRS ne s'appliquent qu'aux comptes consolidés des entreprises cotées sur un marché réglementé.

Ce dispositif national permet d'assurer une grande cohérence d'ensemble entre information des tiers, gestion, droit des affaires, fiscalité, droit social et droit pénal. C'est un travail de tous les instants que de mettre en oeuvre ce modèle avec pertinence, et nous veillons à utiliser notre responsabilité d'élaboration des règlements comptables à la fois pour effectuer le travail de longue haleine nécessaire pour maintenir pertinent et moderniser le dispositif, et pour répondre aux nouveaux enjeux et à l'actualité. Ce faisant, nous nous efforçons de simplifier, quand cela est possible, même si la complexité croissante des transactions économiques, juridiques et financières ne nous facilite pas la tâche !

Le travail de longue haleine auquel nous nous attachons consiste à moderniser progressivement les règles existantes. Nous avons abordé ce programme dès la fin du précédent, qui consistait à codifier le corpus des règles, codification qui nous permet aujourd'hui de disposer d'outils de travail de référence et uniques : le plan comptable général et les autres recueils sectoriels. C'est notre plan stratégique 2017-2019 qui a initié ce programme de modernisation à moyen et long terme de notre référentiel national par un travail de fond sur des grandes thématiques. Nous avons bien avancé dans le cycle relatif au chiffre d'affaires et à la modernisation des états financiers.

Il était en effet paradoxal que nos règlements comptables ne consacrent que quelques lignes au chiffre d'affaires, alors que, dans le même temps, la doctrine fiscale était abondante, et que les règles internationales venaient de s'affiner, avec l'IFRS 4. Un très gros travail de fond a été réalisé, mais les parties prenantes ont demandé un temps de réflexion, que la pandémie a conduit à prolonger. Nous avons donc inscrit la finalisation de ce projet dans notre plan stratégique 2020-2022, car c'est un bloc très important de l'information des entreprises et de la sécurité juridique et fiscale, puisqu'il représente l'intégralité de l'activité des entreprises.

Pour ce qui concerne les états financiers, cet aspect de la normalisation porte sur la classification et sur les états de synthèse. Il méritait aussi un travail de fond, qui est bien avancé lui aussi, et qui a pour objet d'aboutir à une présentation rénovée, qui est aujourd'hui indispensable. Vous l'aurez compris, ces travaux sont de longue haleine, et c'est en partie d'ailleurs ce qui motive ma seconde candidature !

Nous avons mené à bien une réforme complète des règles comptables applicables au secteur non lucratif. Ce secteur est essentiel dans notre société, et beaucoup de points étaient à traiter. Grâce à un travail réalisé avec l'ensemble des parties prenantes, dans la droite ligne des modes opératoires de l'ANC, nous sommes parvenus, je crois, à un dispositif qui favorise transparence, gestion et contrôle par les organismes compétents sur l'appel à la générosité du public. Ce dispositif est d'application en 2021. J'ai été particulièrement satisfait de voir que le secteur a véritablement pris à bras-le-corps la mise en oeuvre d'un règlement rénové, qui succédait au précédent datant d'une vingtaine d'années.

Certains sujets sectoriels restent en cours, comme le traitement du risque de crédit dans les établissements bancaires, qui est bien avancé sur le plan technique, mais qui ne fait pas l'unanimité auprès des établissements, notamment parce qu'il n'a pas été possible de trouver une déductibilité fiscale immédiate des compléments de provision nécessaires. Il convient de dénouer cette situation, car les règles existantes sont anciennes et sujettes à interprétation. Je m'y attacherai. L'évolution des normes comptables relatives à l'assurance, et notamment des tables de mortalité, doit aussi faire l'objet d'une attention particulière. L'ANC n'est pas équipée pour cela, et doit donc travailler en liaison avec tous les professionnels. Le dispositif est ancien, il est robuste, mais il doit être modernisé.

Le second axe de la normalisation internationale est la réponse comptable aux nouveaux enjeux et à l'actualité, tant législative que réglementaire. Cela représente une part importante, mais variable de notre activité. Nous avons notamment, au cours de cette période, émis un règlement sur les fameux jetons, les initial coin offerings (ICO), et sur les partis politiques, favorisant ainsi la transparence en la matière.

Nous avons également clarifié le statut des plans comptables et pris en compte dans des délais rapides les textes comptables liés à des changements législatifs ou réglementaires de la gestion d'actifs.

Face à l'ampleur des conséquences comptables de la covid-19 pour les entreprises françaises, l'ANC s'est beaucoup investie, dès le printemps dernier, afin de les aider à s'inscrire de façon opérationnelle et pragmatique dans une perspective de rebond. Dans la tradition de la normalisation comptable française, elle a associé l'ensemble des parties prenantes au sein d'un groupe de travail ad hoc réunissant 50 personnes afin d'analyser les conséquences de l'événement sur les comptes des entreprises.

Ces travaux nous ont permis d'apporter des recommandations pour les normes comptables françaises et des observations pour les normes comptables internationales. Il s'agit d'un guide d'application sans valeur obligatoire qui répond aux interrogations sans qu'il soit besoin de modifier les règlements, ce qui démontre la pertinence et la robustesse des normes en période de crise. L'ANC a également produit des recommandations spécifiques pour les secteurs de l'assurance et de la banque. Nous actualisons ces documents régulièrement eu égard aux conséquences économiques et financières de cette crise qui perdure.

Nous sommes attachés à la présentation de l'information, mais aussi au traitement des actifs et des passifs.

D'une façon générale, les parties prenantes ont souligné la réactivité de l'ANC et l'exhaustivité des réponses apportées. Des présentations de ces recommandations, réalisées en partenariat avec le Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, ont été suivies par plus de 1 500 participants.

La recherche comptable est le troisième axe de notre activité. Le bilan est contrasté : très positif pour nos états généraux, il est un peu plus mitigé sur la recherche. Les états généraux de la recherche comptable que nous tenons annuellement, y compris cette année par visioconférence, connaissent un succès manifeste. C'est un moment de rencontre internationale entre les professionnels comptables, puisque nous y accueillons tous nos homologues étrangers.

La normalisation comptable est en principe une activité à cycle long qui appelle de la constance dans la durée et un certain volontarisme dans l'exécution. Ce sont les lignes directrices de mon action passée que je me propose de suivre pour le mandat à venir.

Permettez-moi de dire un mot sur les fonctions que j'exerce soit ès qualités de président de l'ANC, soit à titre personnel, mais indubitablement à raison de mon rôle institutionnel, et dont je n'anticipais pas l'importance voilà six ans.

Le système de régulation financière en France est organisé à travers un mécanisme de participation croisée dans les instances et la présence du président de l'Autorité des normes comptables à un certain nombre d'organismes clés. Je suis, par exemple, membre du collège de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et du collège de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) au sein duquel je préside la commission « climat et finance durable ». Je fais aussi partie du collège du Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP), chargé d'élaborer les normes comptables pour le secteur public, et du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF).

Cette audition m'a donné l'occasion de réfléchir à ma contribution ; je crois pouvoir dire qu'elle a été utile, à raison de mon rôle de normalisateur comptable, pour la dimension comptable, qui est importante même si elle n'est pas la seule, et à raison des acquis de mon expérience antérieure à l'ANC, outre les deux missions d'intérêt général que j'ai été appelé à effectuer à la demande du gouvernement français, et la troisième, toujours en cours, sur l'initiative de la Commission européenne.

La première portait sur l'avenir de la profession de commissaire aux comptes au moment où la remontée des seuils de contrôle obligatoire créait un certain émoi au sein de la profession. Ma mission a été l'occasion d'un dialogue avec toutes les parties prenantes et a permis des avancées que je crois bénéfiques pour une profession qui a beaucoup à gagner à se moderniser constamment, ce qu'elle s'efforce de faire dans une bonne entente entre les deux grands organismes que sont le Conseil supérieur de l'ordre des experts comptables et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC).

Sur l'information extrafinancière, j'ai réalisé une première mission à la demande de Bruno Le Maire en 2019, ce qui m'a conduit progressivement à jouer un certain rôle au niveau international. Hier soir, j'ai conclu un rapport qui sera remis à la Commission européenne à la fin de cette semaine sur la possibilité de créer un normalisateur européen dans ce domaine.

La conviction profonde qui résulte de ces deux missions, c'est que l'information extrafinancière devient, à côté de la branche financière, un élément clé de l'information des entreprises qui recouvre tous les problèmes liés à l'environnement et à l'impact social de leur fonctionnement. Cette information, même si elle est moins importante, se développe à très grande vitesse.

Le paradoxe serait que l'Europe et la France, qui se trouvent en position de leadership sur ces sujets et créent des obligations de reporting régulières, soient en fait dépendantes de normes conçues ailleurs. L'idée fondamentale est de conserver la maîtrise d'une normalisation dont le caractère stratégique n'échappera à personne. Tel est le sens du rapport que je soumets à la Commission.

Tel est le bilan qui guidera mon action pour les six années qui viennent, si mon mandat est renouvelé.

M. Claude Raynal, président. - Merci de cette présentation d'autant plus intéressante qu'elle porte sur des questions que nous n'avons pas l'habitude d'appréhender, mais dont nous avons pu mesurer l'intérêt. On le comprend bien, les questions de normalisation représentent un enjeu économique : soit nos normes sont reconnues à l'échelon international, soit elles ne le sont pas et la situation devient très compliquée.

Quel est le statut exact de l'autorité ? Sans être une autorité administrative indépendante, elle présente une singularité au sens où elle est soutenue par un grand nombre de professionnels. De plus, les candidats proposés pour assumer sa présidence sont issus non pas de la haute administration, mais de la profession. Vous-même avez été très largement impliqué dans un grand cabinet renommé.

En commission des finances, on s'intéresse toujours aux finances de l'État. Pouvez-vous nous indiquer si votre budget est financé par l'État ou par des cotisations des membres ?

Avant le Brexit, la présence du Royaume-Uni constituait-elle une difficulté particulière du fait de la mise en avant des normes anglo-saxonnes ? Vous nous avez dit que l'Europe avait convergé ; cela s'est-il effectué avec le Royaume-Uni ou sans lui ?

Enfin, les professionnels comptables évoluent au sein de grands groupes mondiaux. Ne contribuent-ils pas naturellement au rapprochement des points de vue ? La présence de grands acteurs à la fois aux États-Unis, en France ou en Chine ne représente-t-elle pas pour vous un appui très important ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci, monsieur le président, pour cette vision panoramique du fonctionnement et de l'activité de l'Autorité des normes comptables.

Vous avez évoqué la publication de recommandations quant à la traduction comptable d'un certain nombre d'effets liés à la crise sanitaire, dont la baisse importante d'activité pour les entreprises. Cela inclut-il les entreprises de petite taille qui, chacun le sait, représentent l'essentiel des emplois en France ?

Vous vous êtes par ailleurs engagé à la présidence de la commission « climat et finance durable » de l'ACPR. Comment faire en sorte que les comptes de notation des entreprises mettent en valeur de manière précise et concrète les bonnes pratiques environnementales sans affichage ou greenwashing ?

M. Patrick de Cambourg. - Je commencerai par le statut de l'ANC. Elle n'est effectivement pas une autorité administrative indépendante au sens juridique du terme. En revanche, elle fonctionne comme telle : le collège comprend des représentants des entreprises proposés par les entreprises, mais choisis in fine par le ministre, des représentants de la profession, mais aussi des grandes juridictions, de l'AMF, de l'ACPR et un représentant des syndicats. Elle élabore les normes en toute indépendance, et les conditions de désignation du président, vous le savez, sont aussi une garantie de son indépendance. Cette « petite » autorité répond au besoin de remplir une mission en liaison avec une communauté. Elle est dotée d'un budget relativement modeste, qui avoisine les 2 millions d'euros en frais de personnel, et est soumise à des processus de fonctionnement progressifs : il s'agit de parvenir à consensus tout en sauvegardant l'intérêt général lors de la finalisation des règlements que nous proposons. Les règlements sont publiés après homologation par les autorités gouvernementales. À notre grande satisfaction, il n'y a jamais eu la moindre difficulté sur ce point.

Concernant le Brexit, nous sommes dans le domaine de l'impalpable, parce que la normalisation internationale fonctionne avec une gouvernance qui est censée être assez répartie. Or le bureau international est localisé à Londres et la normalisation internationale IFRS est fortement influencée par la culture britannique. Lorsque le Royaume-Uni faisait partie de l'Union européenne, le dialogue ne pâtissait d'aucune difficulté particulière. Il faut maintenant oeuvrer pour inventer un partenariat entre l'Efrag et l'organisme qui a été créé outre-Manche sur le modèle de ce qui existait en Europe. Je fais l'hypothèse aujourd'hui que le Royaume-Uni sera probablement relativement proche de l'IASB, tout en gardant son quant-à-soi et en préservant ses intérêts politiques qui ne sont pas nécessairement identiques à ceux de l'IASB, qui est assez tourné vers l'Asie et souhaiterait mettre fin à l'optionnalité au Japon considérée comme « un caillou dans la chaussure ».

Il nous faut agir dans ce panorama, dans lequel les Britanniques sont parfois avec nous et parfois contre nous. Oui, le Brexit change fondamentalement la donne, car les règlements adoptés en Europe ne s'appliqueront pas automatiquement au Royaume-Uni. Néanmoins, on constate une fréquente communauté de pensée, notamment sur l'assurance.

J'en viens à la profession comptable.

Les grands cabinets - vous le savez, j'ai essayé de contribuer au développement de l'un d'entre eux - ont un rôle fédérateur, mais avec des différences. Il faut favoriser la sensibilité européenne des plus grands acteurs pour que cette diversité culturelle soit effectivement un ferment de qualité. Je n'ai jamais cru au déploiement mondial d'une seule culture ; je crois à la convergence des meilleurs éléments pour un résultat original.

L'organisation que j'ai eu l'honneur d'animer pendant de nombreuses années s'efforçait de faire vivre cette diversité culturelle. Je constate d'ailleurs que, sur l'information extrafinancière, on sait mobiliser les énergies au sein des cabinets européens même s'ils sont inscrits dans des réseaux plus globaux, à partir du moment où existe un objectif politique clair. Par une sorte d'effet magnétique, on crée une dynamique européenne qui est absolument essentielle dans ce domaine.

Monsieur le rapporteur général, les recommandations pour lutter contre la covid-19 avaient effectivement pour objet principal d'aider les entreprises, notamment les plus petites d'entre elles, à y voir clair le plus rapidement possible et à prendre conscience de l'influence de la crise sur leurs comptes, mais aussi sur leur capacité à rebondir.

Ensuite, nous avons émis l'hypothèse que, pour ce faire, ces entreprises auraient besoin de communiquer avec des tiers de façon « normée », c'est-à-dire d'une façon compréhensible. C'est la raison pour laquelle nous avons axé nos travaux sur la présentation des effets de la pandémie. À mon sens, il fallait plutôt retenir une présentation d'ensemble, car la pandémie touche tous les aspects de l'exploitation d'une entreprise et pas simplement quelques-uns. Donc, isoler certains coûts n'est pas la meilleure réponse ; il est plus intéressant de se pencher sur l'exploitation normative d'une entreprise dans des conditions normales pour trouver le moment où elle pourra retrouver son rythme habituel.

Enfin, pour ce qui concerne l'ACPR, c'est à la demande du gouverneur de la Banque de France que je pilote la commission précitée ; j'en suis très heureux, car elle fait du bon travail en incitant les grands acteurs du secteur financier, d'abord à s'aligner sur de meilleures pratiques, ensuite à respecter les engagements qu'ils ont pris, et enfin à établir des scénarios sur les effets du réchauffement climatique pour leur portefeuille. Cela étant, il faut être très prudent avec le greenwashing, car je crois fermement que la normalisation extrafinancière européenne nous amènera dans des délais relativement courts - j'ai eu l'occasion de m'entretenir sur la question avec le commissaire européen à l'environnement la semaine dernière - à un nouveau système de reporting en 2024 sur les comptes de 2023. L'échéance étant très proche, il nous faudra faire preuve d'un véritable effort de normalisation, qui est possible à condition que nous mobilisions les ressources correspondantes. Il y va de cette sécurité de reporting, qui est nécessaire si l'on veut éviter les effets de manche.

Mme Sylvie Vermeillet. - Ma question s'inscrit dans le prolongement de celle de M. le rapporteur général. Vous avez évoqué la robustesse des normes comptables en période de crise. J'aimerais savoir si la crise sanitaire requiert une évolution de certains traitements comptables et de certains postes. Plus particulièrement, on est en droit de se poser la question des amortissements compte tenu de la sous-utilisation actuelle des immobilisations dans nombre d'entreprises. D'autres secteurs d'activité connaissent au contraire une suractivité et une surutilisation des immobilisations. Ce phénomène nécessite-t-il une adaptation particulière du comptable ?

Qu'en est-il des prêts garantis par l'État (PGE) ? Seront-ils remboursés ou non ? Les charges sociales et fiscales qui sont aujourd'hui reportées pourraient-elles aussi être annulées ? Les comptables ont-ils une appréhension particulière sur ces points importants ?

Concernant les normes internationales, vous avez évoqué le retrait de l'Union européenne du Royaume-Uni, l'Asie et plus précisément le Japon. Quels sont les points saillants de divergence entre l'IFRS et l'US GAAP - United States Generally Accepted Accounting Principles, les normes comptables américaines ?

M. Éric Bocquet. - Monsieur le président, je me suis replongé dans une audition de votre prédécesseur, M. Haas, à laquelle j'avais assisté en 2013. Celui-ci avait déjà pointé à l'époque l'émergence d'une logique comptable et financière anglo-saxonne fondamentalement différente de la nôtre, d'origine latine et confortée au moment de l'élaboration du code civil. Chez nous un bilan peut être défini comme le décalage entre les gains et les pertes dans une entreprise. Or M. Haas avait expliqué que, dans le système anglo-saxon de la finance, un bilan peut prendre en compte des éléments du futur, des gains potentiels. Et d'insister - je partage cette position - pour dire que l'on doit bien distinguer entre ce qui est sûr et ce qui est potentiel. Avez-vous constaté une évolution en la matière durant votre mandat ? On parle effectivement beaucoup de l'influence grandissante de cette logique qui prédomine au Royaume-Uni. Les grands cabinets mondiaux tels PwC, Ernst & Young ou KPMG n'ont-ils pas imposé au fil du temps une autre logique ? Pensez-vous qu'il pourrait y avoir un lien entre cette évolution dans les normes comptables et la crise financière de 2008 ?

M. Michel Canevet. - J'ai observé le bilan d'activité de l'Autorité des normes comptables, notamment l'évolution du nombre de projets de recherche soutenus, respectivement 10, 5 et 7 en 2017, 2018 et 2019 - je n'ai pas les chiffres de 2020. Avez-vous l'ambition de suivre cette trajectoire quelque peu baissière ou estimez-vous possible de soutenir activement les projets de recherche en la matière ?

Ensuite, vous avez rappelé que, sur la base de votre rapport, le Gouvernement avait été conduit à formuler des propositions dans la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (Pacte) sur l'évolution du rôle du commissariat aux comptes. Quelles sont les conséquences de cette loi ?

Enfin, vous avez évoqué dans votre propos l'importance du reporting eu égard à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Ne pensez-vous pas que l'ANC devrait désormais prendre en compte ces questions, dans la mesure où elles doivent l'objet de reporting de plus en plus précis ?

Mme Christine Lavarde. - Ma question rebondit un peu sur vos propos préliminaires. Aujourd'hui, la comptabilité des collectivités territoriales, quand elle passe dans la maquette M 57, se rapproche de plus en plus de la comptabilité des entreprises. Avez-vous des échanges avec les personnes chargées de faire évoluer cette maquette qui est mise à jour très régulièrement ? Par ailleurs, pourquoi ne trouve-t-on pas les derniers rapports d'activité de l'ANC sur son site Internet ?

M. Jérôme Bascher. - Pouvez-vous nous donner deux exemples concrets d'évolutions que vous avez proposées pour tenir compte de la crise Covid ? Les bilans des entreprises ne veulent plus rien dire cette année, notamment ces nombreux ratios dont les banques peuvent être friandes. Qu'avez-vous également proposé pour contrer les normes américaines - je rejoins complètement la question d'Éric Bocquet ? J'aimerais savoir quelle a été votre capacité de proposition.

M. Gérard Longuet. - Lorsque l'on apprend la comptabilité dans ses études supérieures, on a le sentiment de pouvoir enfin connaître un univers rationnel et prévisible, équilibré et cohérent. Et là, une fois encore, je vais donner raison à Éric Bocquet : la dimension culturelle et la dimension philosophique de l'économie d'un pays apparaissent à travers sa conception de la comptabilité. Vous l'avez d'ailleurs dit très clairement en citant des grands groupes implantés aux États-Unis, en Chine, en Inde, au Japon ou en Europe.

N'avez-vous pas le sentiment, en tant que président d'un organisme français participant à une coopération européenne, et en ce qui concerne l'évolution durable des normes comptables, que vous êtes en fait dominé par les puissants marchés financiers anglo-saxons, qui entraînent dans leur sillage l'adhésion des grands acteurs économiques, y compris français, dont on sait que l'actionnariat est très largement détenu par des fonds et des investisseurs anglo-saxons ?

Au fond, la compétition entre les experts comptables internationaux, parmi lesquels vous avez l'immense mérite d'être profondément enraciné en France et en Europe, n'est pas à notre avantage, car les grands groupes mondiaux cherchent des partenaires mondiaux, qui diffusent une culture comptable pas totalement neutre.

Vous êtes président de la commission « climat et finance durable » de l'ACPR. Avez-vous la certitude d'avoir une compétence en la matière ? Je ne pense pas précisément à vous, mais je ne suis pas du tout certain que les financiers aient une compétence quelconque en matière d'énergie. Il est, par exemple, étonnant que l'Allemagne ait choisi le charbon et le lignite, choix totalement irrationnel quand ce pays peut recourir au nucléaire ou au gaz russe. Inversement, ne pas utiliser le charbon en Afrique peut aboutir à une déforestation massive, qui constitue une tragédie pour ces pays.

M. Marc Laménie. - Votre parcours et vos compétences en termes d'expertise comptable sont impressionnants.

L'ANC ne dispose que d'un budget modeste, ce qui suppose des moyens humains limités en nombre. Or le rôle des experts comptables est particulièrement important pour aider toutes les entreprises, des plus petites aux plus grandes.

Face à la complexité des normes, qu'il s'agisse de la compatibilité publique ou de la comptabilité privée, quelles seraient vos propositions pour simplifier la situation, notamment celles de nos collectivités territoriales ?

Je voudrais par ailleurs vous alerter sur les risques accrus de piratages et de cyberattaques, comme cela se produit actuellement dans certains établissements hospitaliers qui ont perdu des données médicales, par essence extrêmement importantes. La plupart du temps, il est très difficile de retrouver les auteurs de ces actes. Quelle est votre réflexion sur ce sujet ?

M. Patrick de Cambourg. - Sur les immobilisations, nous avons pris en fin d'année une recommandation complémentaire à celles que nous avions prises au printemps, pour tenir compte de leur sous-utilisation, ou de leur sur-utilisation. Ce point est donc traité dans le cadre des normes actuelles, avec une recommandation spécifique qui donne à mon avis une réponse équilibrée à cette question difficile.

On dit souvent que la comptabilité est l'algèbre du droit. Le traitement des PGE ou des charges sociales est lié, en fait, aux dispositions prises pour accorder ces crédits ou ces différés de paiement. S'il s'agit d'un différé de paiement, le thermomètre dit que cela reste une dette - à plus long terme, mais cela reste une dette. Pour que la comptabilité puisse faire quelque chose pour la situation des entreprises, il faut passer à d'autres modes de traitement, comme des subventions ou des abandons de recouvrement. Cela relève davantage du domaine législatif et réglementaire que de celui du comptable. Ce dernier ne fait que constater ce qui se passe, et le thermomètre ne peut pas tordre la réalité ! Quand il s'agit des amortissements, il y a une latitude d'appréciation sur l'utilisation des immobilisations, et nous avons pris une recommandation.

Vous avez cité mon éminent prédécesseur. Nous avons des idées, nous avons des préférences, mais nous ne sommes pas seuls au niveau mondial ! J'essaie donc de naviguer, comme tout le monde, entre mes convictions et l'univers du possible. Oui, de 2000 à 2010, il y a eu la tentation de ce qu'on a appelé la full fair value, c'est-à-dire l'application de la valeur de marché sur tous les postes du bilan. L'idée, un peu folle, était qu'en remettant tous les actifs, et tous les passifs, à leur valeur de marché, on arriverait à la valeur de l'entreprise, par un prolongement systématique et dogmatique des théories de Milton Friedman. Heureusement, à mon humble avis, un coup d'arrêt a été mis à tout cela, et le cadre conceptuel actuel de l'IASB, sans être parfait, consiste en un modèle mixte, fondé sur la valeur historique pour l'ensemble des activités de services et industrielles. En revanche, pour toutes les activités financières, où les actifs tournent très vite, la valeur de marché, avec toutes ses faiblesses, est un élément qui permet de mesurer effectivement l'évolution de l'activité. C'est donc un Yalta, avec deux systèmes qui coexistent au sein d'un même univers comptable. Nous sommes très vigilants sur la frontière. Je suis pour ma part un grand partisan de la comptabilité historique pour tout ce qui est industriel et commercial et pour les services. Mais je reconnais que les marchés financiers fonctionnent sur des valeurs de marché. Ce partage est aujourd'hui à peu près stabilisé, ce qui est une bonne chose.

Si la recherche française a de grandes qualités, elle n'est pas assez tournée vers l'international. Nous sommes preneurs de très bons projets, mais nous avons quelques difficultés à trouver des équipes qui souhaitent s'investir dans des travaux de recherche. Certes, les sommes que nous proposons ne sont pas très importantes, mais elles apportent tout de même une véritable contribution. Nous avons un dialogue régulier, et il y a de très bonnes équipes en France. J'ai donc bon espoir que nous avancions.

Les dispositions qui ont été prises après la loi Pacte constituent un bon compromis. La profession est en train de passer ce cap.

L'évolution de l'ANC est une vraie question, que j'examine avec le commissaire du Gouvernement, c'est-à-dire la direction du Trésor et le cabinet du ministre. Il serait opportun de faire évoluer le rôle de l'ANC pour en faire également une plateforme : c'est la normalisation extrafinancière. Il a été convenu avec le commissaire du Gouvernement que nous allions voir comment l'Europe s'organisait - ce qu'elle va faire de manière imminente - pour calibrer l'évolution de l'ANC et faire sorte que ce soit le bon élément d'influence en Europe sur ces questions essentielles.

La comptabilité a ses limites, liées au cadre conceptuel dans lequel elle fonctionne. Beaucoup des réponses aux insuffisances se trouvent dans la comptabilité extra-financière. Cette dernière relève-t-elle de la compétence des comptables ? C'est un domaine émergent. Attention de ne pas attraire l'extrafinancier - qui répond à de multiples unités de compte, l'unité monétaire, ou encore des unités physiques, liées au nombre des personnes, aux heures, au temps, à l'espace - dans le monde des financiers. En revanche, les financiers ont un rôle à y jouer, parce qu'une partie de l'information extrafinancière est de nature monétaire.

Vous m'interrogez sur le rapport annuel. Compte tenu de la modicité de nos moyens, nous faisons un plan stratégique qui récapitule tous les trois ans les actions que nous avons conduites. Nous sommes assez modestes en matière de communication : nous nous bornons, à chaque renouvellement du collège, à faire le point de ce que nous avons fait et à fixer les axes.

S'agissant des collectivités territoriales, nous participons aux travaux du Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP) et essayons de comprendre et de participer à un mouvement qui, évidemment, doit converger, mais en prenant en compte toutes les spécificités des collectivités publiques comme de l'État.

À propos de la crise de la covid, j'ai donné l'exemple fondamental des amortissements, qui a été un vrai sujet de débat en décembre dernier. Une recommandation est parue début janvier, prise en parfaite collaboration avec les professionnels d'un des secteurs les plus touchés, celui des indépendants.

Concernant l'influence des normes américaines, je la situe dans le cadre que j'ai évoqué tout à l'heure. Une très grande partie de ma vie professionnelle a été consacrée à faire vivre une certaine idée française et européenne de la comptabilité, de l'audit et du conseil. Je vois aujourd'hui une opportunité extraordinaire pour l'Europe d'être l'un des émetteurs, sinon l'émetteur principal, de normes dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et de l'extrafinancier. Dans la normalisation, celui qui tient le stylo a l'influence. L'Europe donc agir rapidement dans ce domaine, et faire valoir sa différence dans le domaine de l'information financière. Les choses ont été gravées dans le marbre en 2002, lorsqu'on a délégué ces normes à un organisme international. L'Europe, alors, n'avait pas de langage unique. Elle est arrivée à en élaborer un, qui a ses défauts : il faut faire très attention à ce que ces défauts ne deviennent pas trop lourds, et prendre l'initiative dans le domaine extrafinancier, où nous sommes en position de leadership.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie pour la qualité de vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le président de la République, de M. Patrick de Cambourg, aux fonctions de président de l'Autorité des normes comptables

La commission procède au vote sur la proposition de nomination aux fonctions de président de l'Autorité des normes comptables.

En fin de matinée, il est procédé au dépouillement, simultanément à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, en présence de MM. Rémi Féraud et Marc Laménie, secrétaires, en leur qualité de scrutateurs.

Le résultat du vote, qui sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, est le suivant :

Nombre de votants : 21 ; Blancs : 7 ; Pour : 13 ; Contre : 1.

« Comment mieux orienter et mobiliser l'épargne financière des ménages liée à la crise sanitaire pour soutenir la reprise ? » - Audition de MM. Philippe Brassac, président de la Fédération bancaire française (FBF) et directeur général de Crédit agricole S.A., Olivier Mareuse, directeur de gestion des actifs et directeur des fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et des consignations, Emmanuel Moulin, directeur général du Trésor, et Mme Valérie Plagnol, économiste, présidente du Cercle des épargnants

M. Claude Raynal, président. - La crise sanitaire que traverse notre pays s'est traduite par une hausse historique du taux d'épargne des ménages, liée à la fois à la diminution des opportunités de consommation - ce que l'on qualifie parfois d'« épargne forcée » - et à la montée de l'incertitude économique, qui conduit à une épargne de précaution. À l'issue de l'exercice 2020, la Banque de France estime ainsi le surplus d'épargne financière à 130 milliards d'euros, en écart à un scénario sans crise sanitaire.

Si l'on peut espérer que cette « sur-épargne » soit un jour consommée, cela ne devrait pas être le cas à brève échéance. Ainsi, la Banque de France anticipe que le taux d'épargne des ménages devrait rester supérieur à son niveau d'avant-crise en 2021, ce qui porterait la « sur-épargne » à 200 milliards d'euros à la fin de cette année.

À défaut de pouvoir être consommé, l'enjeu immédiat est donc que ce surplus d'épargne soit utilement mobilisé par les intermédiaires financiers pour soutenir l'économie - et ce d'autant plus que cette épargne a jusqu'à présent été accumulée sur des supports a priori peu favorables au financement sous forme de fonds propres ou de prêts à long terme, à savoir les comptes courants et les livrets d'épargne réglementée.

Pour faire le point sur ces enjeux et dégager des solutions qui permettraient de mieux mobiliser l'épargne financière au service de la relance économique, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin quatre intervenants, que je remercie pour leur présence à ce débat. J'ai assisté pour la première fois il y a quarante ans à un débat analogue sur la façon de mieux orienter l'épargne des Français vers l'économie. Ce n'est donc pas un sujet nouveau, et je vous remercie donc de votre présence pour nous apporter enfin des propositions de solution.

Nous accueillons donc Mme Valérie Plagnol, économiste et présidente du Cercle des épargnants ; M. Emmanuel Moulin, actuel directeur général du Trésor - que je me permets de féliciter en votre nom à tous puisque c'est la première fois que nous le recevons depuis sa nomination ; M. Philippe Brassac, président de la Fédération bancaire française (FBF) et directeur général de Crédit agricole S.A., qui interviendra à distance et M. Olivier Mareuse, directeur des gestions d'actifs et des fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations.

Je cède la parole à M. Emmanuel Moulin pour un propos liminaire sur l'évolution de l'épargne depuis la crise sanitaire et les mesures engagées par le Gouvernement pour répondre aux besoins de financement des entreprises.

M. Emmanuel Moulin, directeur général du Trésor. - Je vous remercie de cette invitation pour évoquer le thème traditionnel de l'orientation de l'épargne des ménages. Il y a 40 ans, l'existence du circuit du Trésor facilitait les choses, puisque mes prédécesseurs avaient le pouvoir d'orienter l'épargne. Nous avons maintenant un pouvoir d'incitation mais plus vraiment de direction. Nous essayons de traiter ce sujet, au coeur des préoccupations de la direction générale du Trésor.

Nous partageons avec vous le constat d'une sur-épargne, observée en 2020 à hauteur de 90 milliards d'euros. Les prévisions pour 2021 indiquent encore un taux d'épargne des ménages élevé, et même une sur-épargne plus élevée lorsqu'on regarde la seule épargne financière, car les projets d'investissement des ménages ont localement été affectés en 2020 par la crise sanitaire.

Bien que les chiffres soient en partie provisoires, on peut s'intéresser aux caractéristiques de cette sur-épargne. Elle se distingue d'abord par sa liquidité. C'est l'épargne liquide qui a augmenté, donc l'épargne à vue. Dans une moindre mesure et de façon surprenante, les titres ont également bénéficié de cette sur-épargne. L'assurance-vie en euros, qui est la moins risquée et la moins rentable, a subi une forte décollecte de 25 milliards d'euros, tandis que l'assurance-vie en unités de compte (UC) a crû significativement, de 18 milliards d'euros. Cela correspond aux orientations fixées par les pouvoirs publics en faveur d'une assurance-vie plus orientée vers le financement de l'économie.

Cette sur-épargne concerne surtout les ménages aisés. Selon le Conseil d'analyse économique (CAE), qui a fait des études à partir des données de comptes bancaires, les 20 % des ménages aux revenus les plus élevés concentrent 70 % de l'épargne supplémentaire. Cette tendance correspond aux flux observés hors crise, puisqu'en 2017, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), les 20 % des ménages aux revenus les plus élevés représentaient 68 % des flux d'épargne. On n'observe donc pas de déformation, mais avec le confinement et la baisse de la consommation, ce sont les ménages les plus aisés qui ont le plus épargné.

En revanche, les 20 % des ménages aux revenus les plus faibles ont vu leur épargne diminuer en 2020. Cela justifie pleinement la politique du Gouvernement de soutien envers ces populations, notamment à travers l'aide exceptionnelle aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et des aides personnalisées au logement (APL) - y compris les étudiants.

Il peut enfin être utile de regarder les grandes masses. Les 110 milliards d'euros d'épargne supplémentaire constituent une somme limitée par rapport au patrimoine financier des ménages, qui s'élève à environ 4 000 milliards d'euros. La sur-épargne représente donc 2,25 % de ce patrimoine financier.

J'en viens maintenant aux incitations que nous devons mettre en place afin que ces montants soient les plus utiles au financement de notre économie. L'idéal serait que cette épargne se déverse sur la consommation afin de soutenir la reprise, dès que l'offre sera moins contrainte par les mesures de restriction liées à la situation sanitaire. La politique très active du Gouvernement en faveur de l'économie et de l'emploi doit permettre de réduire les incertitudes et de redonner de la confiance aux ménages pour qu'ils consomment. Un autre facteur important est celui de la numérisation des entreprises.

Néanmoins, au vu de la faible propension à consommer des ménages les plus aisés, notre enjeu est de réussir à orienter cette épargne, aujourd'hui concentrée sur des supports liquides, vers des produits plus adaptés au financement de l'économie, en particulier pour répondre aux besoins en fonds propres des entreprises.

Je voulais aborder trois points : le cas de l'épargne réglementée et des difficultés qu'elle pose, les mesures prises avant la crise dans le cadre de la loi Pacte pour mieux orienter l'épargne financière des ménages, et les mesures prises en 2020 pour nous adapter à cette crise exceptionnelle.

Je commence d'abord par un premier rappel : l'épargne liquide et sans risque des Français est attractive et bien rémunérée. Selon la Banque de France, le taux de rémunération moyen des livrets ordinaires s'élevait à 0,12 % en décembre 2020 alors que les livrets A et les livrets de développement durable et solidaire (LDDS) permettent de placer jusqu'à 34 950 euros à un taux de 0,5 %, soit un taux quatre fois plus élevé que celui du marché. À l'inverse, dans certains pays d'Europe, comme en Allemagne, des banques commencent à appliquer des taux négatifs aux dépôts des clients les plus aisés, ce que nous n'avons heureusement pas vu en France. Ceci explique l'attrait et le succès des livrets d'épargne réglementée en France. Leur encours s'élève à environ 450 milliards d'euros, dont 264 milliards sur les fonds d'épargne de la CDC, et la croissance moyenne annuelle de ces encours, sur les dix dernières années, était de 3,7 %, pour une inflation de l'ordre de 1 %. En 2020, l'augmentation assez forte des encours, de près de 6,5 %, a placé le fonds d'épargne en situation de surliquidité.

Pour les banques, comme pour le fonds d'épargne et la CDC, l'épargne réglementée est une ressource chère, durablement non compétitive, et qui ne peut pas être investie dans des actifs risqués. Il s'agit en effet d'une épargne à vue, que les Français peuvent retirer à tout moment, et qui est encadrée par des règles prudentielles. Elle n'est pas, pour nous, un instrument adapté pour soutenir l'économie en sortie de crise, ce que je précise afin de prévenir toute tentation de « livret covid ».

Deuxièmement, les objectifs poursuivis par la loi Pacte ont permis de favoriser d'abord l'épargne retraite, qui permet d'investir sur le temps long sans impératif de liquidité. La loi Pacte a renforcé l'attractivité des Plans d'épargne retraite (PER) avec l'harmonisation des règles, la déductibilité fiscale à l'entrée, la liberté de choix de sortie, la portabilité, le déblocage anticipé possible. C'est un premier succès : les nouveaux PER concentrent un encours de 12 milliards d'euros, liés à de nouveaux flux mais aussi à la transformation d'anciens Plans d'épargne retraite populaires (PERP) en PER.

Nous avons ensuite souhaité réorienter les 1 800 milliards d'euros d'assurance-vie vers des produits mieux connectés au financement des entreprises. La loi Pacte a modernisé le contrat eurocroissance, a assoupli les règles d'investissement dans le capital-investissement et a facilité les transferts de contrats. Nous avons aussi désiré renforcer l'attractivité du plan d'épargne en actions (PEA) classique et de celui destiné au financement des PME et des ETI (PEA-PME) avec des règles de fonctionnement assouplies : suppression de la clôture du plan en cas de retrait entre cinq et huit ans, création de cas de retrait à moins de cinq ans, hausse du plafond de versement, plafonnement des frais, etc.

De nouvelles mesures ont été mises en place en 2020, dont deux en particulier.

D'une part, le label « Relance », lancé le 19 octobre, vise des fonds d'investissement, des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et des fonds de capital-investissement qui respectent des critères précis en matière de quotas d'investissements en fonds propres des entreprises et dans des PME et des ETI françaises. Les fonds labellisés doivent en outre respecter un socle minimal de critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG). Ce label rencontre un grand succès auprès des sociétés de gestion : 133 fonds ont pu être labellisés pour un montant de 12,5 milliards d'euros, investis à 55 % dans des PME et ETI françaises. Il est par nature peu coûteux, puisqu'il ne comporte pas d'éléments de fiscalité. En revanche, pour les gestionnaires de fonds, il est très attractif d'obtenir ce label, pour lequel nous avons fait face à une forte demande.

D'autre part, le fonds « Bpifrance Entreprises 1 », d'un montant de 100 millions d'euros, est ouvert aux particuliers et est destiné à des fonds de capital-investissement français, en particulier pour les PME et les start-up. Cela représente une possibilité, pour les Français - à partir d'un certain niveau de revenu il est vrai -, d'accéder au portefeuille d'actifs que détient Bpifrance dans ces entreprises.

Au niveau fiscal, de grandes mesures ont été adoptées par le Gouvernement. Celui-ci a créé le prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30 %, soit 17,2 % de prélèvements sociaux et 12,8 % d'impôt sur le revenu, tout en conservant des dispositifs plus favorables pour le PEA, le PEA-PME, l'épargne salariale, et l'IR-PME qui est une réduction d'impôt pour souscription au capital de sociétés non cotées. Parmi les mesures prises pour renforcer les incitations à investir dans les entreprises, le taux d'IR-PME a été majoré à 25 % en août 2020, les transferts des placements en assurance-vie vers un PER ont été encouragés par un doublement de l'abattement à 9 200 euros au lieu de 4 600 euros, et les abondements de l'employeur sur un plan d'épargne d'entreprise sont exonérés du forfait social pour 2021 et 2022.

La question de l'orientation et de la mobilisation de l'épargne des ménages est donc au coeur des réflexions, des actions et du travail du Trésor. Le sujet est complexe car nous ne pouvons agir que par l'incitation et que les comportements d'épargne et d'investissement, qui dépendent d'une multiplicité de facteurs, sont longs à faire évoluer. Ce qui guide notre action, c'est la volonté autant de soutenir la consommation des ménages en garantissant la confiance afin de conforter la reprise, que d'orienter l'épargne des Français vers le financement des entreprises françaises, en visant les fonds propres, et les PME et ETI.

M. Claude Raynal, président. - Je donne la parole à Mme Plagnol, qui reviendra peut-être sur les préférences des épargnants français et fournira sans doute des pistes de réflexion pour mettre davantage l'épargne au service de la reprise économique.

Mme Valérie Plagnol, présidente du Cercle des épargnants. - Je vous propose, d'une part, quelques éléments d'illustration qui vont dans le sens de l'exposé précédent. Par ailleurs, pour la dix-neuvième édition de notre baromètre annuel sur le comportement des Français, l'épargne et la retraite, nous avons fait réaliser par Ipsos un sondage. Je pense qu'il constituera un élément intéressant d'observation et, en partie, de confirmation de ce qui a été dit sur le comportement des ménages et leurs préférences en matière d'épargne.

Je vous propose de regarder brièvement les choses du point de vue conjoncturel. Bien que le niveau d'incertitude soit redescendu par rapport aux moments les plus critiques de la crise sanitaire, nous restons dans un univers très incertain, comme l'indique l'indice global d'incertitude du FMI. Cela se reflète dans les sondages et le comportement des ménages. Pour illustrer les propos de M. Moulin, on observe une hausse inédite de l'épargne des ménages, non seulement en France, mais également en Allemagne et en Italie, dans des proportions assez similaires. De façon frappante, le taux d'épargne des ménages en France atteint déjà en temps normal - donc hors de cette période exceptionnelle - des niveaux record. C'est une constante que nous voyons depuis de nombreuses années. Par ailleurs, l'accumulation de « cash » sur les comptes courants est assez spectaculaire, plus que sur d'autres produits d'épargne. L'ensemble des produits d'épargne réglementée a vu son encours croître.

Vous avez évoqué, M. Moulin, la nécessité et l'espoir de voir une partie de cette épargne revenir vers la consommation. Je crois que nous l'avons déjà constaté : la contribution de la consommation des ménages au PIB a enregistré une forte progression au troisième trimestre de l'année 2020. On l'a observé de nouveau en décembre. Dès que ménages sont en capacité de consommer, une partie de cet argent accumulé de manière forcée est réinjectée dans la consommation. De plus, au long de cette période particulière, la consommation de biens manufacturés a été particulièrement affectée, avec une forte baisse lors des deux confinements puis un retour à la normale, alors que pour des raisons bien connues, les services souffrent encore. Cependant, pour le dire simplement, dès que les restaurants ouvrent, nous nous précipitons tous à leurs terrasses. Cette épargne accumulée recèle donc un caractère assez provisoire, puisque les ménages sont prêts à consommer lorsqu'ils en ont la possibilité.

Le taux d'épargne a d'ailleurs déjà baissé. Selon les chiffres de l'Insee, il se situait au deuxième trimestre de l'année 2020 autour de 27 % et il est retombé au troisième trimestre aux alentours de 17 %. Certes, nous ne sommes pas revenus au niveau d'avant-crise - en décembre 2019, le taux d'épargne était de 14,9 % - mais nous penchons vers cette norme.

Il faut également souligner le haut niveau de l'endettement. L'endettement des ménages, en tendance longue, est important depuis de nombreuses années, celui des entreprises a également progressé, au même titre que l'endettement public. Je crois savoir que vous avez récemment organisé un débat sur le sujet.

Il n'en reste pas moins que les ménages restent inquiets, ainsi que le montrent clairement les indicateurs de confiance. Les perspectives de chômage sont en hausse, ce qui signifie que les gens s'attendent à ce qu'il y ait plus de chômage. Ce facteur d'inquiétude majeur se traduit par une forte progression de l'intention d'épargner dans les douze prochains mois. Sous l'effet des mesures qui ont été prises, la capacité à épargner progresse également.

Je passe maintenant au point fort de notre baromètre annuel.

Dans un précédent baromètre, réalisé avant la pandémie, nous avons posé la première question : « avez-vous l'intention de dépenser et de profiter du présent, puisqu'on ne sait pas de quoi est fait l'avenir ? ». L'équilibre montre un tiraillement entre ceux qui sont prêts à épargner et ceux qui veulent consommer. La proportion de personnes qui disent vouloir consommer est en forte augmentation, de plus de 4 points par rapport à l'année dernière. On observe des fossés générationnels et en termes de revenus : les personnes de moins de 35 ans sont plus à même de vouloir consommer, et les personnes dont les revenus sont les plus élevés manifestent une propension à épargner plus importante.

Nous constatons année après année la prudence, voire la frilosité des ménages. Toujours présente, elle a légèrement progressé dans ce sondage. Les personnes retraitées à revenus modestes et celles qui détiennent uniquement un livret A sont plus enclines à chercher une rémunération faible mais une épargne disponible immédiatement et liquide. C'est moins le cas pour les personnes plus confiantes dans leur retraite ou qui préfèrent profiter du temps, donc les générations un peu plus jeunes.

Nos données sur le choix entre placement liquide et placement rentable sont légèrement contre-intuitives. Les jeunes générations semblent être assez enclines à regarder du côté de la prise de risque et des rendements, et peut-être un peu moins du côté de l'ESG. Les « millenials » sont sans doute soucieux de l'investissement durable, mais cela ne se voit pas tout à fait dans notre sondage. Je pense que cela demande confirmation. Donc les jeunes cherchent plutôt un placement très rentable, et les personnes âgées plutôt un placement responsable. Mais les portefeuilles ne sont pas de taille équivalente.

La taxation des placements reste un critère central, et la question de la fiscalité des successions est particulièrement citée. On observe une grande allergie à toute fiscalité sur les successions en matière d'épargne, notamment dans la partie la plus âgée de la population.

Je souhaite par ailleurs nuancer la vision d'une épargne supplémentaire très abondante. En fait, l'intention d'épargner se stabilise globalement par rapport aux années précédentes. Elle ne semble pas augmenter de manière permanente dans une tendance de fond, mais de façon circonstancielle, alors même que nous avons déjà des taux d'épargne très élevés en France.

Les raisons pour lesquelles on détient un produit d'épargne sont aussi intéressantes à analyser, et on voit un effet de la crise sanitaire. L'épargne de précaution reste le motif de détention le plus important, mais elle ne progresse pas par rapport aux années précédentes. En revanche, les solidarités familiales mêlées à l'inquiétude pour les jeunes générations se font sentir. Cet aspect monte, dans notre sondage, par rapport aux autres motifs. Alors qu'on a récemment vu monter l'inquiétude pour la dépendance, il en est moins question ici.

Nous nous intéressons aussi à la question de savoir si les faibles taux d'intérêts incitent les Français à se tourner vers une épargne plus longue et mieux rémunérée. Même si les tendances sont peu marquées, l'effet des taux bas sur l'incitation à épargner sur des placements mieux rémunérés, quitte à ne pas toucher son argent pendant quelques années, augmente de 3 points par rapport à l'année dernière. La baisse lente des taux d'intérêt, qui a agi sur les Français et la sortie des fonds en euro, se retrouve dans cette intention particulière. L'immobilier est à peu près stable, et on observe une tendance à épargner sur les produits financiers. L'Autorité des marchés financiers (AMF) a en effet rapporté l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché, mais cette tendance demeure marginale.

Vous avez évoqué les nouveaux produits. La cote du PER progresse. Le focus que nous avons effectué cette année sur ce plan montre que sa croissance et sa reconnaissance en tant que produit d'épargne est assez spectaculaire. Même si l'assurance-vie demeure en tête des produits d'épargne détenus par les Français, le PER progresse tellement qu'il est déjà le plus reconnu - c'est la deuxième année où nous en parlons - comme produit d'épargne pour la retraite. Il est véritablement identifié comme le produit d'épargne de long terme sur lequel se placer.

En ce qui concerne les caractéristiques du PER, sa souplesse, les réformes qui y ont été apportées, relatives à la capacité à sortir en capital, aux raisons pour lesquelles on peut sortir et à la fiscalité, ont véritablement touché et atteint leur public. Cela se retrouve sur l'épargne salariale.

Je souhaite apporter un élément de contexte sur les Français et la retraite : l'inquiétude reste très forte et a progressé avec la crise sanitaire. 78 % des Français sont inquiets pour l'avenir du système de retraite. Cela les incite à épargner. Lorsqu'on analyse les craintes par rapport à la retraite, on observe un effet particulier de la crise sanitaire. Alors qu'en général, la crainte immédiate pour les actifs est de manquer d'argent au moment de la retraite, en 2020 celle de se sentir moins utile et isolé a augmenté - même si la retraite demeure considérée comme un moment de grande liberté. Pour les non-retraités, le calcul du montant de la retraite reste très compliqué, ce qui constitue une source d'inquiétude, laquelle s'estompe une fois qu'on est à la retraite. À peu près 6 non-retraités sur 10 indiquent épargner. Il faudrait plus de données pour savoir si cela est dû à un effet du confinement.

Le financement du système de retraite est une priorité pour les Français, mais la question du chômage, de l'aide au logement ont pris le pas sur ce sujet, ce qui est normal au regard des circonstances. Les Français restent très allergiques à l'idée de repousser l'âge de la retraite, ou bien de diminuer le montant des pensions. En revanche, ils se font progressivement à l'idée qu'il faudra augmenter les cotisations voire recourir à des fonds de pension. Les chiffres, à cet égard, sont en très forte progression. Cela peut expliquer, ou corroborer, l'intérêt pour le PER et pour une épargne longue.

Pour conclure, il est clair que les Français pensent à leur retraite, et ce, de plus en plus tôt, autour de 40 ans. Cela signifie que l'horizon de placement est très long, ce qui peut permettre, dans le cadre d'incitations, d'envisager d'investir dans des placements plus risqués que les simples assurances-vie. La question se pose doublement : il existe d'abord un dilemme entre consommer et soutenir l'activité d'une part, et, d'autre part, envisager d'orienter l'épargne vers des fonds propres et le déploiement de l'investissement privé. Ensuite, du point de vue des épargnants, cette incitation est en grande partie liée aux produits qui existent, à la durée, et à une forme de lisibilité et de constance en matière fiscale.

M. Philippe Brassac, président de la Fédération bancaire française (FBF) et directeur général de Crédit agricole S.A. - Je vais fournir quelques explications sur l'architecture globale qui permet de relier un euro d'épargne à un euro de financement de l'économie, je ferai ensuite quelques constats sur la sur-épargne qui s'est créée, et je terminerai par deux ou trois pistes de réflexion, ou de conviction.

Il faut bien avoir en tête l'architecture globale de l'épargne dans le système financier, qui se divise en deux grandes catégories.

D'une part, l'épargne bilancielle se situe dans le bilan des banques : il s'agit essentiellement des dépôts à vue aujourd'hui, des dépôts à terme, peu nombreux car leur rémunération est faible, et d'une partie de l'épargne réglementée. Quelle que soit sa liquidité et son caractère de court terme, cette épargne permet de longue date de financer tous les crédits à l'économie, et ce à toutes les échéances : cela s'appelle le risque de transformation. L'idée selon laquelle l'épargne située sur les dépôts à vue ne concourrait pas au financement de l'économie est, au moins mécaniquement, fausse. Nous utilisons toute l'épargne au passif des banques, en prenant en compte non pas simplement son échéance mais aussi sa stabilité statistique. Nous sommes encadrés par des règles de gestion actif-passif, pour transformer le passif vers l'activité. Il faut donc se retirer de la tête que si l'épargne est très courte, ou sur un dépôt à vue, elle ne serait pas mobilisée dans le financement de l'économie. Comme l'épargne bilantielle est insuffisante pour les banques, elle est complétée par des ressources de marché : grosso modo l'épargne dite financière est placée en produits monétaires que les « asset managers » prêtent aux banques, et parfois directement par la Banque centrale européenne (BCE) sous forme de financements exceptionnels. Sa caractéristique essentielle est qu'elle est non fléchée : le client nous la confie en espérant juste qu'on la sécurise et que, selon la formule, on la rémunère en fonction de la durée. Elle n'est reliée à aucun type de risque.

D'autre part, l'épargne hors-bilan, parfois appelée épargne financière, se compose largement des assurances-vie, en euros ou unités de compte (UC), de l'activité en propre des « asset managers » et des OPCVM de façon générale - même si ces activités se superposent parce qu'une grande partie des fonds d'assurance-vie sont gérés par des « asset managers » - ainsi que des valeurs mobilières, plus ou moins en vif, comme les actions et les obligations, qui ne constituent pas le réemploi le plus significatif de l'épargne des ménages. Cette épargne est, quant à elle, totalement fléchée. Si le système fait bien son travail, l'épargnant sait exactement vers quel type de réemploi va son épargne et quel type de risque il prend en la souscrivant.

Les volumes sont plutôt stables en France : 60 % d'épargne va vers le bilan des banques, pour accorder des crédits à l'économie, et 40 % va vers l'épargne dite hors-bilan. Pendant la crise, la répartition est plutôt passée à deux tiers-un tiers, car la part bilantielle, en raison de phénomènes de sur-encours des dépôts à vue, a légèrement crû par rapport au reste. Je me permets de souligner ce point : il n'y a pas un euro d'épargne qui ne soit pas réemployé, d'une façon ou d'une autre, vers le financement de l'économie. Il n'y a pas d'argent qui dort, à la petite exception près des réserves obligatoires que nous devons nous constituer auprès des banques centrales - mais c'est mineur, et c'est une contrainte compréhensible. Qu'on soit dans le bilan des banques ou hors bilan, toute l'épargne retrouve son emploi dans quelque chose : ou bien dans les crédits à l'économie lorsqu'elle est une banque, ou bien dans les financements des États - un fonds en euros de l'assurance-vie investit dans des obligations d'États - ou bien encore dans toute autre destination définie par les UC ou les OPCVM... La question est celle de l'orientation, et non de la nécessité ou de la quantité.

Dernier élément de cadrage : le client doit choisir son type d'épargne. Il doit être correctement éclairé sur l'amplitude des choix, leurs contraintes et leurs conséquences, ce qui comporte une vraie difficulté. Il s'agit d'abord d'une question d'éthique dans le conseil, laquelle est soutenue par de nombreuses réglementations, notamment les directives MiFID ou MiFID 2. Elles nous imposent des lourdeurs administratives mais justifiées pour qualifier le souhait du client, sa capacité et ses connaissances. In fine, aujourd'hui, pour investir dans autre chose que des produits de taux, donc sur des produits risqués de fonds propres, il faut plutôt s'adresser à des clientèles patrimoniales qui peuvent prouver administrativement ou réglementairement qu'elles ont la faculté de s'intéresser à ce type de placement.

Dernier élément contexte : nous sommes situés dans un paradigme de taux bas, voire très bas, depuis quatre ou cinq ans, du côté du crédit et du côté de l'épargne. Les conséquences en sont structurelles. Cela suscite d'abord un goût particulier pour l'immobilier, car, dans ces conditions, l'accès au crédit immobilier a trouvé une quantité d'emprunteurs nouvellement solvables qui n'existait pas lorsque les taux étaient significativement plus hauts. Cela touche des clientèles qui veulent un maximum de crédit avec peu d'apport d'épargne. Le crédit immobilier est très demandé, puisque, au moins dans la tête du client, c'est le placement le plus important, notamment pour la retraite. C'est un premier phénomène structurel, sans lien avec la crise sanitaire. À cela se conjugue le fait que, pour l'épargne qui reste - l'épargne financière au sens large -, on note une préférence assez globale et moyennée pour la sécurité et liquidité, et ce, pour deux raisons. Tout d'abord, nous sommes dans un environnement d'incertitude. Ensuite, les taux ne sont pas simplement bas, mais la courbe des taux est plate. Cela signifie que pour prendre des risques, il faut investir sur des durées plus longues pour avoir des rémunérations faiblement plus élevées, ce qui conduit à une préférence pour la liquidité. Cela pouvait expliquer, dès avant la crise sanitaire, le fort poids des dépôts à vue dans le bilan des banques, à la place d'une épargne placée à échéance dans des dépôts à terme.

Je souhaite aborder un deuxième thème : la sur-épargne. Les chiffres ont été donnés par le gouverneur et confirmés par le directeur général du Trésor : même s'ils ne sont pas si faciles à évaluer, on convient qu'elle se situe entre 110 et 130 milliards d'euros. Si j'en juge par mon établissement qui est représentatif de ce qui existe en France, on peut répartir ainsi les 110 à 120 milliards d'euros supplémentaires : la moitié, plus de 60 milliards, se situe sur les dépôts à vue, un quart - 25 à 30 milliards - sur l'épargne réglementée, et le dernier quart sur les produits de fonds propres, c'est-à-dire côté hors-bilan, vers les UC mais aussi les PEA-PME qui ont plus récolté de souscriptions. Au total, la part de l'épargne de bilan non risquée a augmenté par rapport au hors-bilan, mais la quantité d'épargne risquée a également augmenté. Par le hasard des chiffres, ces 110 ou 120 milliards d'euros d'épargne supplémentaire représentent quasiment la même somme que la quantité de prêts garantis par l'État (PGE) que les banques ont distribués sur la période et qui se trouvent dans leur bilan. Les 60 milliards de dépôts à vue, que nous amalgamons avec d'autres, ont été très utiles pour nourrir ces 120 milliards d'encours supplémentaires du côté « emplois » du bilan bancaire, et ont également participé à notre capacité de financement, sécurisée par des ressources de marché.

Des variations sont constatées. Au Crédit agricole, où je peux regarder les chiffres plus précisément qu'en tant que président de la FBF, nous avons observé un surcroît d'épargne dans toutes les catégories socioprofessionnelles (CSP), mais davantage encore chez les CSP+ (catégories socioprofessionnelles supérieures) que chez les CSP moins favorisées. Il s'agit d'un phénomène général qui concerne toutes les classes d'âge, même si on l'observe plus chez les séniors - qui, à plus de 55 ans, concentrent 70 % de l'épargne financière - que chez les jeunes.

Notre horizon s'apparente à ce qui s'est produit pendant la crise, où nous avons vécu une succession de confinements et de déconfinements : l'économie repart à chaque fois très vite, de même que la consommation. On l'a observé en juin et juillet 2020 puis lors de la deuxième quinzaine de décembre. À l'évidence, une partie de la sur-épargne n'attend qu'une occasion de libération matérielle et psychologique pour retourner vers la consommation.

Désormais, et ce sont des débats que nous avons avec nos autorités, nous devons mobiliser, conformément aux règles, plus d'épargne dans la constitution d'un crédit immobilier pour respecter des critères de taux d'endettement apparent. Les banques consommeront donc, conformément aux recommandations établies par le Haut conseil de stabilité financière, plus d'épargne des ménages pour constituer 10 à 25 % des projets immobiliers, alors que jusqu'à présent, nous mettions, à la demande du client, un maximum de crédit, compte tenu des taux très bas.

Je finis par trois remarques.

L'orientation de l'épargne est une question non seulement légitime, mais aussi très importante, qu'il faut examiner régulièrement. Pour autant, faisons très attention à la stabilité du système. On sait que, côté passif, ou côté épargne, elle est largement statistique, donc liée à la confiance. Les ménages doivent avoir confiance dans l'épargne confiée aux banques, sinon elle peut être retirée. Par chance, la crise actuelle n'est pas accompagnée d'une crise de défiance sur le système bancaire. Des enquêtes d'opinion montrent ainsi que la cote de confiance sur l'épargne confiée aux banques est aujourd'hui plus élevée qu'en 2018. Je ne dis pas que cette confiance est fragile, mais la capacité de financer l'économie est au moins aussi importante que la voie que prend l'épargne pour le faire. Quelle qu'elle soit, il faut que le système soit en confiance.

Deuxième remarque, de la part du banquier de proximité, universel, que je suis, c'est-à-dire qui opère sur tout territoire et pour tout type de client : il faut participer à un élan de confiance vers la relance et le rebond. Pour autant, je ne pense pas que des financements doivent être qualifiés comme participant à la relance alors que d'autres ne le seraient pas. Je pense que tous les financements, qu'il s'agisse de crédits à la consommation, à l'investissement ou participant au financement de fonds propres, pour tout type de clientèle, sont utiles à la relance de l'économie. Dire que des choses seraient plus utiles que d'autres peut induire un biais. Il ne faudrait pas que cela se fasse au détriment de l'économie globale.

Je me dois enfin d'utiliser cette opportunité pour vous dire ma conviction personnelle. Les systèmes bancaires n'ont pas aujourd'hui de contrainte quantitative pour financer l'économie - qu'on le fasse bien ou mal est un autre débat. En revanche, la régulation prudentielle est orientatrice et mordante. C'était peut-être légitime, mais les Accords de Bâle III ont tué les prêts participatifs qui existaient il y a dix ou quinze ans dans le système bancaire et permettaient de financer à quasi-fonds propres les PME. Les surcharges prudentielles que nous prenons sur les prêts participatifs font qu'aujourd'hui, pour les relancer, ils doivent être soutenus par l'État. Je ne juge pas si c'est bien ou mal, il s'agit d'un standard. Mais les sénatrices et les sénateurs doivent prendre en considération que, si la régulation prudentielle vise à rendre le système plus solide et prudent, elle présente, par les choix organiques qu'elle fait, un caractère orientateur. Dans le cadre de Bâle IV, qui est la finalisation de Bâle III, nous sommes très préoccupés, notamment du fait de financements particuliers que nous savons organiser en France, et qui pourraient, par l'internationalisation des règles, nous mettre beaucoup plus en difficulté pour financer l'aéronautique, la chimie ou les infrastructures, spécialités des banques françaises qui se distinguent largement du système anglo-saxon.

M. Claude Raynal, président. - Merci, Monsieur le président, de l'avoir précisé, et d'avoir terminé en parlant d'aéronautique : vous savez parler à un sénateur de Haute-Garonne ! Nous terminons ce tour de table avec Olivier Mareuse, sur la question de la collecte de l'épargne réglementée et son utilisation par la Caisse des dépôts et consignations.

M. Olivier Mareuse, directeur des gestions des actifs et directeur des fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations. - Nous partageons le constat qui a été fait sur l'existence d'une épargne supplémentaire et exceptionnelle liée à la crise sanitaire. Ce supplément est de nature mixte : il comporte une composante de consommation empêchée ou entravée, et probablement différée, ainsi qu'une composante d'épargne de précaution, liée à une inquiétude sur la dégradation des conditions économiques. Il est difficile de faire la part entre les deux motivations, ce qui est pourtant une question très importante car elle conditionne l'avenir de cette épargne additionnelle et ce que les Français vont en faire.

Cette épargne additionnelle s'est dirigée, de façon caractéristique, vers les supports les plus disponibles et les plus souples, et ne s'est pas déversée vers des supports d'épargne qui supposent un engagement. Les dépôts ont recueilli l'essentiel de cette augmentation d'épargne de même que, dans une moindre mesure, les livrets fiscalisés et réglementés. En revanche, les produits qui supposent un engagement dans la durée, comme le plan d'épargne logement (PEL) ou l'assurance-vie, n'ont pas vu leur collecte augmenter. Au contraire, l'assurance-vie a connu une collecte négative en 2020, même si, comme l'a noté M. Brassac, la collecte négative globale recouvre des réalités différentes, entre les unités de compte et les fonds en euros. Cette épargne, qui ne s'engage pas dans la durée, se range donc plutôt du côté de la consommation différée, ou du moins de la volonté de garder une souplesse pour l'avenir.

Ce surcroît d'épargne débouche sur une nouvelle épargne réglementée, qui s'élève en 2020 à 35 milliards d'euros, contre 16 milliards en 2019. Sur ce supplément de 19 milliards, environ 12 milliards sont centralisés à la CDC. Ce gain de 12 milliards est exceptionnel mais peut-être relativisé. En effet, cela représente seulement 4 % de l'encours et n'entraîne donc pas un bouleversement de la taille du bilan des fonds d'épargne. En outre, la part des livrets réglementés dans l'épargne financière des Français est à peu près stable, à 9 % en 2020 contre 8,5 % en 2019. Enfin, et heureusement, on observe dans la deuxième partie de l'année 2020 un tassement de ce surcroît d'épargne et une tendance, certes un peu chaotique, à un retour vers des rythmes de collecte plus proches de la normale. Je signale en particulier, à la fin décembre, des sorties très importantes, de plus de 4 milliards d'euros, en une dizaine de jours. Cela montre une capacité et probablement une volonté de revenir à des niveaux de consommation plus élevés, même si début 2021, les chiffres de collecte seront élevés, et le paraîtront d'autant plus que l'effet de base jouera en ce sens.

L'évaluation de la part stable de ce surcroît d'épargne, qui conditionne son utilisation, est donc une question importante, et difficile.

De ce point de vue, des éléments montrent une part importante de consommation reportée : tout d'abord, la vigueur du redémarrage de la consommation dès que cela est possible - on l'a vu au troisième trimestre - ; ensuite, une tendance à conserver l'épargne supplémentaire sur des supports liquides qui doivent être mobilisés rapidement. Il y a également quelques expériences historiques, et la CDC a une longue histoire. Même si ces précédents ne sont pas très comparables, lors des grandes grèves de 1968 ou 1995, il y a eu des périodes où il était difficile de consommer, après lesquelles on a vu des sorties assez importantes. On peut penser, et souhaiter, que ce sera également le cas.

Cette épargne supplémentaire, qu'ont recueillie les livrets réglementés et qui, pour une partie, est centralisée à la CDC, n'est pas de l'argent qui dort. Le livret A n'est pas de l'argent qui dort, comme on peut malheureusement l'entendre, mais au contraire une ressource qui finance l'économie réelle. Il le fait dans les limites de son modèle, qui repose sur la transformation d'une ressource liquide en prêts à long terme.

À cet égard, la CDC s'est engagée très fortement dans le plan de relance présenté par les pouvoirs publics. Elle a annoncé un effort de financement en fonds propres de 26 milliards d'euros sur les prochaines années, dont 20 d'ici à 2022 - ce sont des délais très brefs. En matière de prêts, ce qui concerne davantage les livrets réglementés et le fonds d'épargne, ce sont 75 milliards d'euros qui vont être déployés d'ici 2024.

Au cours de l'année 2020, nous avons reçu de nouvelles autorisations du ministre de l'économie et de finances pour développer et renouveler nos offres de prêts, en particulier sur la base de nouvelles doctrines d'emploi qui permettent un élargissement des thèses d'emploi des ressources du fonds d'épargne au profit, notamment, de la transition écologique et énergétique et du secteur public local. Toute une gamme de nouveaux prêts a été mise en place à partir de septembre 2020 - ce qui correspond à une utilisation du surcroît d'épargne dont nous parlons - avec une tarification améliorée, plus compétitive, des conditions d'éligibilité de certains prêts, et plus généralement des modalités assouplies et simplifiées. Ces nouvelles offres de prêts vers le secteur public local, et spécialement sur la thématique de la transition énergétique, recouvrent une enveloppe de 12 milliards d'euros, désormais rendue disponible et dont la commercialisation a débuté via la Banque des territoires dans les dernières semaines de 2020. Nous observons d'ailleurs les premiers résultats puisque notre production de prêts vers le secteur public local a augmenté en 2020 de 22 % par rapport à 2019. Nous espérons que ce succès va se confirmer et s'amplifier, avec en particulier deux offres : l'offre pour le renouvellement des réseaux d'eau, qu'on nomme « Aqua Prêt », et une offre pour la réhabilitation thermique des écoles, qui est une thématique prioritaire.

Mais notre mission principale est et demeure le financement du logement social. En 2020, nous avons distribué 12 milliards d'euros de prêts dans ce secteur, un chiffre malheureusement en recul par rapport à 2019, puisque nous avions distribué un peu plus de 13 milliards d'euros. Ce recul est lié, semble-t-il, en grande partie, à un ralentissement des agréments des autorisations d'urbanisme. Nous sommes en mesure de faire plus. Nous pourrions développer notre volume de prêts au logement social. Le ministre du logement a annoncé vouloir accélérer le rythme de construction des logements sociaux : le fonds d'épargne de la CDC est tout à fait en mesure d'accompagner l'accroissement des volumes produits dans ce domaine, avec des prêts longs, voire très longs, puisqu'ils vont jusqu'à 80 ans pour le foncier dans le domaine du logement social.

Nous sommes un modèle essentiellement de transformation : à partir d'une ressource très liquide, nous produisons des prêts de longue et de très longue durée. Cet aspect est d'autant plus utile dans la période actuelle, où nous avons à la fois une épargne liquide abondante, liée à une propension des ménages à conserver sous cette forme des montants très importants, et des besoins d'investissement. Cette dimension de transformation doit être, encore plus que d'habitude, une thématique prioritaire.

Ce modèle implique qu'une partie des dépôts soient placés dans des actifs financiers qui assurent la liquidité du système et qui permettent de faire face aux aléas et aux variations de la collecte. Ce portefeuille d'actifs financiers apporte aussi une contribution importante au financement de l'économie et des entreprises : il permet à la CDC d'être actionnaire central des entreprises françaises, avec des limites soulignées par le directeur général du Trésor et liées au modèle prudentiel et au besoin de fonds propres, mais nous avons une position importante au capital des entreprises françaises et CDC figure souvent parmi les premiers actionnaires français des grands groupes cotés.

Au cours de l'année 2020, je voudrais signaler deux éléments plus précis. Tout d'abord, la collecte importante que nous avons reçue nous a permis d'investir beaucoup plus que les années précédentes en obligations d'entreprises, et en particulier dans la période où le marché obligataire était perturbé, voire fermé, pendant quelques semaines à la fin du mois de mars. Nous avons pu investir près de 3 milliards d'euros en obligations d'entreprises entre mars et mai, et typiquement dans la période la plus tendue sur les marchés, auxquels de nombreuses entreprises avaient du mal à accéder. On voit là une illustration du rôle contracyclique que peut avoir un dispositif comme le fonds d'épargne. Puis nous avons lancé, avec les compagnies d'assurance, une initiative pour le financement de la relance, qui a permis de flécher plus de 2 milliards d'euros d'investissement, en fonds propres essentiellement, vers les PME et les ETI, en privilégiant deux secteurs qui nous ont paru stratégiques dans le contexte actuel : celui de la santé, qui a concentré plus de 800 millions d'euros d'investissement en fonds propres, qui sont en train d'être déployés, et celui tourisme, auquel ont été affectés plus de 300 millions d'euros d'investissement.

Voilà des initiatives qui ont été permises par ce surcroît de collecte et qui pourront contribuer, nous l'espérons, à la relance de notre économie.

M. Claude Raynal, président. - Nous avons eu, grâce à ce panel, une vision assez exhaustive et large des questions liées à l'épargne des Français.

Comme l'a dit très justement le président Brassac, la question est celle de l'orientation : comment répartit-on les priorités entre la relance de la consommation et celle de l'investissement ?

La question des prêts participatifs et des entreprises non cotées est plus compliquée. M. Brassac a souligné que Bâle III n'avait pas été d'une grande aide à cet égard, même s'il aurait pu indiquer que Bâle III a apporté de la confiance dans le système bancaire. Comment peut-on orienter l'épargne vers les entreprises non cotées et le financement de fonds propres, si tant est que les propriétaires et actionnaires des entreprises souhaitent voir arriver de nouveaux actionnaires ? Car il s'agit souvent de fonds propres sans pouvoir d'actionnaires, c'est-à-dire vraiment des financements de long-terme, des quasi-fonds propres.

Je poserai cette question au directeur du Trésor : à la façon des tentatives de fonds de fonds qui ont pu être effectuées dans ce sens - vous avez indiqué, M. le directeur, 100 millions de première tranche pour « Bpifrance Entreprises 1   -, n'y a-t-il pas un intérêt pour l'État à apporter sa garantie, à un niveau à définir, sur ces fonds de fonds qui interviendraient sur les fonds propres des petites entreprises, pour inciter les investisseurs à se placer sur ces sujets ? Cette garantie en capital est en effet leur grande question, quand bien même cela ne pourrait pas être une garantie à 100 %.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le débat d'aujourd'hui sur l'épargne est une deuxième étape, après le travail de la semaine passée sur la dette, évoqué par Mme Plagnol. Nous nous faisons l'écho des questions et des enjeux soulevés par les Français de toutes conditions. Les statistiques du Crédit agricole présentées par son directeur général M. Brassac me confirment l'importance du sujet et la responsabilité des élus pour contribuer à ce que la France soit au rendez-vous de la reprise et de la relance dans les meilleures conditions possibles. J'aurais tendance à penser qu'avec une épargne très liquide, comme c'était le cas dans les deux temps de reprise consécutifs aux confinements, cela est possible.

Ma première question porte sur la fiscalité. Ces dernières années, nous avons essayé d'orienter l'épargne des ménages vers des produits jugés favorables au financement de l'économie, avec la création du PEA-PME et des contrats eurocroissance par exemple. De mon point de vue, eurocroissance est plutôt un échec. Vous semblez observer un frémissement du côté du PEA-PME, mais je ne suis pas encore convaincu. Pensez-vous que le levier fiscal demeure un outil légitime et efficace pour orienter le comportement d'épargne des ménages ? J'observe à ce titre que, dans son dernier rapport sur le sujet, le Conseil d'analyse économique conclut que le rôle des pouvoirs publics est d'accompagner les ménages plutôt que de déformer leurs aspirations.

Ma deuxième question porte sur la mobilisation de l'épargne existante. Ne faudrait-il pas revoir les règles prudentielles applicables aux banques et aux assureurs ? Pouvez-vous nous dire où en sont les discussions sur la révision de la directive Solvabilité 2 ?

Enfin, ma dernière question, qui s'adresse plus particulièrement à M. Emmanuel Moulin, porte sur les prêts participatifs. Nous avons adopté, dans la loi de finances pour 2021, des dispositions qui autorisent l'État à accorder sa garantie à hauteur de 35 % pour couvrir les pertes des secteurs financiers qui investissent à long terme dans les PME et ETI sous forme de prêts participatifs, dans la limite de 20 milliards d'euros. Mais ce dispositif n'est toujours pas entré en vigueur, faute d'accord de la Commission européenne. Pouvez-vous nous faire un point sur l'état des négociations ? Ne faudrait-il pas revoir à la hausse le plafond de 20 milliards d'euros, pour tenir compte du maintien des restrictions sanitaires depuis lors ?

M. Rémi Féraud. - À la suite de l'ensemble des constats qui ont été faits sur la situation de l'épargne et les modalités du financement de la reprise, si on veut aller plus loin et être plus volontariste, ne faut-il pas aussi passer par une mobilisation publique de l'épargne privée, dont l'augmentation, dans cette crise sanitaire, a d'abord concerné les plus aisés et a fortement contribué à l'accroissement des inégalités ? Ne faut-il pas, pour financer la relance et les grandes transitions que nous avons à mener, notamment écologique, passer par des démarches de grande ampleur beaucoup plus contraignantes, ou incitatives, comme la fiscalité ou un grand emprunt, de façon à mobiliser cette épargne plus utilement que par de simples placements liquides ? Nous avons par ailleurs vu la semaine dernière que la soutenabilité de la dette publique ne posait pas de problème.

M. Thierry Cozic. - Je fais le constat aujourd'hui que le sauvetage de l'économie a été permis par les milliards distribués par l'État dans le cadre du plan de relance. La phase de redémarrage économique ne pourra se mettre en oeuvre sans faire appel au marché des investisseurs privés. À la lumière de la crise que nous traversons, comment financer le rebond et permettre aux entreprises de redémarrer de manière écologique et sociale ? Il paraît déraisonnable que le financement de cette phase de redémarrage puisse se faire à crédit. N'aurait-on pas intérêt aujourd'hui à se tourner vers les fonds propres extérieurs ? Les fameux 100 à 130 milliards d'épargne que les Français se sont constitués pendant la crise ne doivent-ils pas être considérés comme des fonds de guerre et être réinjectés dans l'économie par le prisme de nouveaux produits fiscalement avantageux et socialement éthiques ?

À ce titre, sensibles aux préoccupations environnementales, de nombreux épargnants ou investisseurs souhaitent que leur épargne ait un effet positif sur la planète, en ayant notamment la possibilité de souscrire des contrats d'assurance-vie - compte-titre, plan d'épargne d'entreprise (PEE) ou PER - qui contiennent des fonds d'investissement socialement responsable (ISR). En ce sens, la loi Pacte de mai 2019 a imposé que les contrats d'assurance-vie multisupport souscrits à partir du 1er janvier 2020 contiennent au moins un fonds labellisé « ISR », « Greenfin » ou « Solidaire. » À compter de 2022, ces contrats devront posséder au moins une unité de compte dans chacun des trois fonds. Quel dispositif vous apparaît le plus opportun et le mieux placé pour encourager le recours à ces types de fonds ?

M. Éric Bocquet. - J'aurai une brève question, à laquelle M. Mareuse a déjà en partie répondu. Je pense que la CDC constitue un atout à notre disposition, au même titre que les collectivités territoriales, qui représentent encore 70 % de l'investissement public en France. Nous sommes au début du mandat municipal : les projets et les dossiers sont prêts ou en cours d'élaboration. Ne serait-ce pas le moment, comme l'évoquait Rémi Féraud, d'organiser un emprunt exceptionnel avec des conditions de taux et des durées exceptionnelles - M. Mareuse en a évoqué la possibilité sur des dizaines d'années pour les collectivités - pour vraiment relancer concrètement l'économie ? Les populations sur le terrain verraient en outre concrètement l'effet immédiat de ces opérations.

M. Didier Rambaud. - Après la question de savoir comment mobiliser cette sur-épargne pour la reprise, je souhaitais faire un point sur le lien entre l'épargne et les territoires. De plus en plus de citoyens ont envie d'investir là où ils habitent, et je prendrai deux exemples que je viens de découvrir. D'abord le concept de centrale villageoise : ce sont des sociétés locales qui se sont créées sur la base d'actions, à gouvernance citoyenne, et qui portent des projets en faveur de la transition énergétique. Comment développer ce gisement formidable ? Autre exemple : l'opticien Krys a fait le choix de relocaliser une partie de sa production d'Asie vers les Yvelines. Comment encourager la mobilisation de l'épargne en faveur de la reprise tout en oeuvrant au retour des industries sur le territoire ?

M. Stéphane Sautarel. - Ma question porte également sur les prêts participatifs. Face à une préoccupation ancienne et structurelle de notre économie, à savoir la faiblesse des fonds propres ou quasi-fonds propres des TPE et PME, la mobilisation de cette épargne peut permettre de trouver une opportunité de réponse dans cette sortie de crise. Je lierais volontiers la question de l'épargne et de l'endettement avec la sortie des PGE. Pour certains secteurs d'activité, celle-ci ne peut-elle pas permettre un accompagnement en fonds propres ou quasi-fonds propres via des prêts participatifs, ce qui permettrait de redonner une capacité d'investissement, plutôt que de maintenir l'endettement de nos petites entreprises ?

Je fais le lien avec la territorialisation, qui peut donner du sens, de la visibilité à l'investissement et à l'épargne, peut-être via un nouveau dispositif de fonds régionaux qui pourrait compléter cette approche des prêts participatifs, avec des conditions réglementaires et d'assouplissement. Ces conditions à remplir permettraient de donner de la confiance, ce qui pourrait s'obtenir via la garantie de l'État et qui mérite peut-être aujourd'hui d'être intensifié ou réinterrogé, mais aussi en rendant traçable et lisible cet investissement à travers une approche régionale qui permettrait à l'épargnant de voir où est orientée son épargne.

M. Emmanuel Capus. - J'ai bien compris qu'on avait 100 à 120 milliards d'euros d'épargne supplémentaire, voire 200 milliards à la fin 2021. Mais comment fait-on, et l'État a un rôle à jouer, pour que cette sur-épargne soit investie, non seulement dans la relance mais fléchée et injectée vers l'avenir, c'est-à-dire vers l'innovation ? Rémi Féraud a très bien introduit la question. Comment fait-on, en termes de recherche collaborative, pour ne pas revivre ce que nous avons vécu, ce que nous vivons quotidiennement, notamment avec Valneva, quand des sociétés qui ont besoin de 60 millions d'euros pour investir dans les biotechs préfèrent s'implanter en Écosse plutôt que dans les Pays de la Loire ? J'aimerais qu'on réponde à cette question concrète : quels sont les mécanismes nouveaux qu'on peut mettre en place, rapidement, pour flécher l'épargne disponible dans l'innovation publique ou privée, dans les territoires ? Cela constituerait l'occasion pour nous sortir de cette crise renforcés avec des nouveaux outils pour investir dans notre avenir.

M. Michel Canevet. - J'ai entendu le directeur général du Trésor nous rappeler la manière dont certains outils et dispositifs pouvaient fonctionner, le directeur de la gestion des actifs de la CDC nous renseigner sur les moyens importants dégagés par son organisme en prêts et en fonds propres, et le président de la FBF nous dire que les banques n'avaient aujourd'hui pas de contraintes pour financer l'économie.

Pourtant, nous avons des besoins très significatifs. Certaines entreprises, souvent situées dans des filières innovantes, ont du mal à obtenir des financements pour mener leurs projets de développement. Je pense aussi aux opérations nécessaires pour réindustrialiser la France, en particulier la mobilisation de financements sur des filières bien identifiées, comme le numérique, qui supposent des moyens pour développer la recherche et renforcer la place de la France dans l'économie mondiale.

Nous avons aussi des problèmes de logement : la production de logements a baissé de 6,7 % l'an dernier et, plus grave encore, le nombre de permis de construire a baissé de 14,7 %, principalement pour les immeubles. Les besoins des Français sont donc très conséquents, et nous devons les accompagner plus activement. La politique publique du logement, et notamment l'accès à la propriété, requiert une action plus volontariste pour lever les freins sur le sujet. À ce propos, je me permets une remarque incidente à la CDC : nous devons faire attention aux financements des organismes de logement social par des prêts à 50 ou 60 ans, avec la garantie des collectivités locales. Leur durée me semble disproportionnée par rapport la durée de viabilité des logements, sachant qu'une rénovation significative de ceux-ci est obligatoire avant le terme de ces prêts. Comme Didier Rambaud et Stéphane Sautarel, je pense qu'il existe un besoin, que la CDC pourrait combler, en matière d'accompagnement d'initiatives locales, comme le développement de l'achat local et des actions de verdissement. À côté de la mobilisation d'épargne locale, la CDC pourrait apporter son soutien pour l'orienter plus encore vers des projets d'avenir. L'État pourrait aussi augmenter le plafond du livret de développement durable. Voilà quelques idées que je voulais évoquer.

M. Vincent Segouin. - Ma première question s'adresse plutôt à M. le directeur général du Trésor. J'ai entendu dans vos propos introductifs qu'il fallait pousser les Français à réutiliser leur épargne de précaution pour la consommation, et sûrement via la confiance. Pour cela, vous avez parlé de l'éventualité de taux négatifs sur les produits réglementés et d'une imposition supplémentaire du capital. J'ai aussi en mémoire la loi Sapin 2 qui comprenait des mesures restrictives en matière d'assurance-vie. Quel outil réel allez-vous activer pour utiliser cette épargne de précaution ? Ou bien allez-vous simplement rétablir la confiance que les Français attendent ?

J'ai une deuxième question. Vous ne nous avez pas parlé de l'or, et seule l'introduction du Cercle des épargnants a évoqué l'immobilier. Si vous allez vers une imposition du capital, quels en seraient les effets sur l'or et l'immobilier et avez-vous effectué des prévisions en ce sens ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je pense que la période est une occasion historique de reconstruire des pans entiers d'activité économique que nous avons littéralement abandonnés depuis 30 ou 40 ans. Pour ce faire, chaque euro public devra avoir un effet de levier public maximal sur les euros privés. Cette mobilisation de l'épargne privée est primordiale : elle va définir le futur de notre pays ainsi que sa capacité à avoir toujours une existence à l'échelon mondial et à donner du travail à ses enfants.

Selon moi, il faut penser l'hybridation entre deniers publics et privés. Je voulais sonder les cibles destinataires de ces investissements. Elles pourraient être à la fois publiques, pour remettre à niveau certaines infrastructures dans les territoires, mais aussi privées, pour consolider nos nombreuses PME innovantes mais trop petites et ainsi faire ce qu'on appelle du « build-up » pour créer des acteurs pertinents. Je pense qu'à cette fin, il faudrait se doter de véhicules souverains à l'échelon de chaque région française, pour dégager des compétences d'excellence et orienter l'épargne localement, afin que les gens voient où va leur argent et comprennent qu'il est productif pour leur territoire.

Mme Christine Lavarde. - J'ai été assez interpellée par un des résultats présentés par le Cercle des épargnants, illustrant le ressenti des Français sur le meilleur mécanisme d'épargne, et qui montre la croissance très forte des livrets A, qui sont sans risques et aujourd'hui ne rapportent pas ou très peu. On a observé en 2020 une décollecte très forte sur l'assurance-vie. Une partie de cette épargne est allée chez les ménages les plus aisés et constitue une épargne forcée qui ne va pas se retraduire immédiatement par de la consommation. Comment explique-t-on ce succès le livret A ou du livret jeune, et pas des placements plus risqués mais avec un rendement plus important en moyenne ? Est-ce que cela voudrait dire que les Français n'ont pas une bonne connaissance des mécanismes économiques ?

M. Olivier Mareuse. - Je crois que la question des normes prudentielles et comptables applicables aux établissements de crédit et d'assurance est un point très important pour l'orientation future de l'épargne. S'il est souhaitable que les épargnants français, pour une part croissante, investissent directement dans des actifs risqués, nous ne devons pas nous abuser quant à leur capacité à s'orienter vers des supports en actions, car ils conservent une certaine aversion pour le risque. Les institutions financières doivent jouer un rôle d'intermédiation et de transformation consistant, à partir d'une épargne sécurisée, à investir dans des actifs plus risqués. Cette capacité de transformation est largement conditionnée par les régimes prudentiel et comptable. Les normes en vigueur, souvent assez récentes, n'ont pas été dans le sens d'un accroissement de la capacité de ces institutions à investir dans des actifs risqués. On a cité Solvabilité 2, mais des discussions relatives aux normes bancaires sont en cours, avec le paquet Bâle IV, qui comporte des dispositions défavorables à la détention d'actifs risqués. Dans un système d'épargne largement intermédié, cette dimension ne doit pas être sous-estimée.

En ce qui concerne ce qui pourrait être un grand emprunt, j'aurais tendance à dire que l'épargne réglementée et le fonds d'épargne de la CDC sont comparables à un grand emprunt en permanence ! Nous avons les dépôts (livret A et LDDS) de 55 millions de Français, avec un encours moyen inférieur à 5 000 euros. C'est donc un produit d'épargne très largement diffusé et très populaire. Avec ces ressources, des prêts à long terme sont mis en place en faveur de thématiques correspondant aux priorités des politiques publiques : logement social, transitions énergétique et écologique et plus largement développement durable. Je souhaite souligner à cet égard que les taux applicables sont les mêmes pour tous les territoires et tous les intervenants, quelle que soit leur condition géographique ou financière. L'unicité des conditions de prêt est une caractéristique très forte de ce dispositif.

En ce qui concerne la durée des prêts au logement social, je comprends qu'ils puissent paraître un engagement très long, notamment pour les collectivités appelées à les garantir, mais je crois dans le même temps que ce long terme présente beaucoup de vertus. Dans sa politique de diffusion des prêts au logement social, la Banque des Territoires de la CDC a le souci de caler la durée des prêts sur l'amortissement des actifs, et donc de ne pas créer, en cours d'exploitation, des problèmes de refinancement qui pourraient affecter les organismes de logement social en les obligeant à se refinancer dans une période éventuellement défavorable. Nous calibrons cela projet par projet pour assurer le meilleur adossement possible, en examinant ce qu'on appelle « l'équilibre à terminaison », c'est-à-dire la bonne congruence entre l'amortissement du prêt et la vie de l'actif financé. Face à une offre de crédit très abondante et disponible du système bancaire, le fait que nous nous placions sur des maturités longues, voire très longues, constitue aussi la valeur ajoutée de ce système.

Je voudrais enfin souligner que les prêts de la CDC sont orientés vers le développement des projets dans les territoires, avec un taux de retour très important de l'épargne collectée vers ces projets. Nous sommes très attentifs à la répartition de nos financements et à la couverture de l'ensemble des territoires, à travers la présence de nos directions régionales de la Banque des Territoires. Pour nos offres sur les thématiques prioritaires (éducation, tourisme, sanitaire, rénovation thermique des bâtiments publics, notamment scolaires, équipements d'eau et réseaux de distribution d'eau, transports propres), le ministre de l'économie a décidé un abaissement du taux des prêts et une augmentation de la quotité pouvant être prise en charge par la CDC, portée à 100 % du montant finançable pour les thématiques de transition énergétique. Il a également décidé un élargissement des entités ayant accès à ces prêts, en particulier les agences de l'eau, les fondations et les associations reconnues d'utilité publique et qui contribuent à l'action pour la transition énergétique et écologique.

M. Philippe Brassac. - Il faut d'abord distinguer deux questions : d'une part, celle qui consiste à s'interroger sur les moyens dont on dispose pour renforcer l'orientation vers la prise de risque, tant du point de vue du système bancaire pour les crédits que de celui des épargnants pour leur épargne non bancaire qui finance l'innovation ou la RSE, et, d'autre part, celle qui consiste à se demander quel type de rebond favoriser. La question de savoir comment orienter cette épargne vers un risque typé est une question structurelle, qu'on peut décorréler de la question de savoir comment utiliser cette sur-épargne de crise. Je répète que cette épargne n'est pas disponible ou en attente de quelque chose, mais qu'elle est déjà réemployée à cet instant. On aurait tout intérêt, selon moi, à ce que cette sur-épargne conjoncturelle et non souhaitée revienne le plus vite possible et sans rupture anxiogène vers l'économie par la consommation. Il faudrait que ce surplus permette de doper la relance, par l'économie, la confiance et la consommation. Je comprends le lien entre ces deux thèmes mais ils doivent être distingués.

En ce qui concerne la première question, j'ai bien entendu, Monsieur le président, que Bâle III, en sécurisant le système bancaire, sécurise tous les acteurs autour des banques. C'est vrai : toute réglementation prudentielle comporte un bénéfice pour le système. Mais une question a été posée sur Solvabilité 2, qui concerne la réglementation assurantielle, laquelle touche le plus l'épargne hors bilan. Je n'en fais pas une obsession personnelle, mais je voudrais que vous ne sous-estimiez pas ce qui va se passer avec Bâle IV. C'est le financement de l'économie qui servira de levier d'adaptation, et pas les banques en tant que telles, qui respecteront toujours la réglementation. Je vous donne un autre exemple que celui des prêts participatifs : dans le projet Bâle IV, le financement des entreprises non cotées sera beaucoup plus coûteux en fonds propres, non pas pour des raisons de prudence, mais car ces réglementations s'inscrivent d'abord dans un but d'harmonisation des règles internationales entre des systèmes très différents. À la différence de ce qu'on observe en France, on compte aux États-Unis d'Amérique très peu d'entreprises non cotées, qui le sont souvent pour des raisons malsaines. Elles constituent un risque particulier et donc subissent, par défaut, une grande sévérité prudentielle. Appliquer les mêmes évaluations de risques aux entreprises non cotées américaines et françaises signifie dans le meilleur des cas que le système bancaire français va devoir adopter la façon de financer à l'américaine.

Il en va de même pour le crédit immobilier. Ne sous-estimez pas le fait que le bilan des banques françaises est occupé par moitié par le crédit immobilier. Il est accordé à taux fixe et le risque de transformation est pris par les banques, alors qu'il est massivement reporté sur les marchés chez les Américains. Cela évoque la genèse des « subprimes », qui ont été diffusés par le crédit immobilier titrisé. Quand les réglementations se mettent en place, deux choses se produisent : premièrement, une harmonisation de fait, qui devrait d'abord renvoyer à la question politique du type de financement de l'économie que nous souhaitons, ce qui ne se résout pas simplement au moyen de régulations, et, deuxièmement, l'augmentation de l'exigence prudentielle envers les banques.

Mais il faut trouver un équilibre avec la façon dont on fait prendre un peu plus de risque au système. Cet équilibre ne peut être donné que par le politique et pas uniquement par le prudentiel. Nous sommes à votre disposition pour vous donner des indications très concrètes sur le sujet.

M. Claude Raynal, président. - Merci Monsieur le président. Ce que vous appelez Bâle IV est nommé par le gouverneur de la Banque de France « la poursuite de Bâle III ». Ce sera sans doute l'un des thèmes importants auxquels nous nous intéresserons à l'avenir avec le rapporteur général. Nous en reparlerons bientôt, et je pense que la direction général du Trésor sera également sollicitée. Nous poursuivons avec Mme Valérie Plagnol.

Mme Valérie Plagnol. - En ce qui concerne le résultat qui a interpellé Mme la sénatrice Christine Lavarde, je n'ai fait qu'illustrer le constat général établi par les intervenants, selon lequel cette épargne s'est fixée sur les comptes courants.

Plus généralement, je voudrais en premier lieu souligner, comme m'y dispose ma position de présidente du Cercle des épargnants, que la question de l'épargne se comprend surtout comme un projet de vie. L'épargnant se demande d'abord comment, quand et dans quel but il va utiliser son épargne, et s'inscrit moins dans un projet de rendement ou d'impact. Il se demande ce qu'il peut en faire pour la suite de sa vie. Cela explique en grande partie l'attentisme actuel, lié à la difficulté de se projeter dans l'avenir et à l'inquiétude pour soi-même et pour les siens face à la situation pandémique et à la crainte en matière d'augmentation de la dette publique et de la fiscalité qui pourrait arriver ultérieurement - c'est ce qu'on appelle en économie l'équivalence ricardienne. La baisse constante des rendements a pesé et pèse encore sur les choix en matière d'épargne, en renforçant la nécessité de sécuriser ses revenus d'épargne à long-terme pour soi-même et pour sa retraite.

L'importance des conseils et de l'intermédiation est capitale pour les épargnants, de même que le rôle de la confiance autour de la fiscalité. Moins que son niveau à proprement parler, c'est la clarté, la simplicité et la constance de la fiscalité qui comptent pour les épargnants. La mesure du PFU, par sa simplicité aux yeux des épargnants, s'est avérée un bon moyen de les ramener vers une épargne plus risquée.

En second lieu, je voudrais rappeler que l'orientation de l'épargne dépend aussi du contexte économique propre à notre pays. De ce point de vue, nous sommes confrontés à un problème d'organisation de notre économie. La question de l'organisation et du coût du travail fait aussi douter de la réalité de la relocalisation. C'est un sujet très évoqué, mais en aurons-nous les moyens ? Serons-nous compétitifs par rapport à nos voisins européens immédiats ? La question de la formation se pose également. Ces éléments participent d'un processus de confiance, susceptible à la fois de relancer la consommation mais aussi de renforcer la volonté d'épargner dans le long-terme et de pouvoir prendre plus de risques grâce au conseil et à l'intermédiation.

M. Claude Raynal, président. - Je donne, pour conclure cette audition, la parole à M. Emmanuel Moulin, qui nous a dit en introduction qu'il ne dirigeait plus l'épargne, comme il y a 40 ans, et ne pouvait que l'orienter. J'ai senti que certains d'entre nous croyaient que le Trésor pouvait encore organiser l'épargne des Français. Vous allez devoir répondre à ces interrogations.

M. Emmanuel Moulin. - Je vais faire deux remarques préliminaires.

Premièrement, dans le sondage du Cercle des épargnants, on n'observe pas de modification dramatique du comportement d'épargne à moyen terme des ménages, ce qui est très intéressant. On a constaté en 2020 que la sur-épargne était clairement liée à l'impossibilité de consommer. Le niveau du revenu disponible brut des ménages n'a baissé que de 0,5 %, tandis que la consommation a baissé de 7 %. Par définition, tout ce qui n'a pas pu être consommé s'est retrouvé dans l'épargne. Ainsi, alors que les chiffres trimestriels moyens sont normalement de l'ordre de 370 milliards d'euros pour le revenu disponible brut, qui se répartissent en 313 milliards pour la consommation et 55 milliards pour l'épargne, on a observé, au deuxième trimestre 2020, un chiffre similaire pour le revenu disponible brut, mais une baisse de quasiment 60 milliards pour la consommation et un doublement de l'épargne par rapport à la moyenne trimestrielle. Comme le disait M. Brassac, toute cette épargne est utilisée. D'un point de vue macroéconomique, la capacité de financement des ménages permet de financer les besoins de financement des entreprises et de l'État, qui ont augmenté.

Je réponds maintenant à la question concernant les négociations avec la Commission européenne sur les prêts participatifs. Vous avez voté, dans la loi de finances pour 2021, un programme de prêts participatifs dans le cadre du plan de relance, qui permet de mobiliser 20 milliards d'euros pour offrir aux entreprises des financements de long terme pour investir et se développer sans impliquer une modification de leur gouvernance. Vous avez souligné à juste titre que les dirigeants des entreprises ne souhaitaient pas ouvrir leur capital. Il aurait d'ailleurs été compliqué de demander à l'ensemble des investisseurs de devenir actionnaires. C'est la raison pour laquelle nous avons conçu ce dispositif de prêt participatif. Le soutien de l'État prendra la forme d'une garantie de première perte aux investisseurs et les prêts seront distribués par les réseaux bancaires à des entreprises fiables, sur la base d'un plan d'affaires ou d'investissement garantissant leur intention d'utiliser ces financements pour se développer. Après l'urgence des PGE, qui constituaient plutôt un instrument de trésorerie, on passe le relais à des instruments orientés vers le développement et la reprise des entreprises.

La Commission européenne a accepté de considérer ce dispositif comme un soutien à l'investissement pouvant déroger à certains paramètres de l'encadrement temporaire sur les aides d'État lié à la crise sanitaire, qui demeure le cadre de référence. Les discussions se sont concentrées sur les propositions et les paramètres de ce dispositif. Concernant, d'une part, sa durée, nous voulions garantir des prêts jusqu'à fin 2022, alors que l'encadrement temporaire ne permettait d'effectuer des opérations impliquant une aide d'État que jusqu'au 31 décembre 2021. Concernant, d'autre part, la maturité des financements, nous avions proposé 10 ans, tandis que l'encadrement temporaire limitait les dispositifs à 6 ans. Au terme de longues négociations, la Commission a approuvé un dispositif qui serait mis en oeuvre jusqu'au 30 juin 2022, pour accorder à des PME et des ETI des prêts d'une maturité maximale de 8 ans.

Le dispositif se met en place. Dans l'attente de l'accord formel de la Commission, nous avons préparé le décret de mise en oeuvre des prêts participatifs, qui a été présenté au Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières (CCLRF). Nous maintenons un dialogue constant avec les banques, les investisseurs, et la Fédération française des assurances, qui nous a fait connaître l'intérêt que portaient les assureurs à ce produit garanti dont le rendement sera attractif dans l'environnement de taux actuel.

Vous m'avez interrogé sur la révision de la directive Solvabilité 2. Elle a débuté en février 2019 mais a été légèrement retardée par le contexte sanitaire. L'Autorité européenne des assurances (EIOPA), qui est l'organisme de supervision de l'assurance au niveau européen, a publié un avis le 17 décembre et la Commission devrait proposer un nouveau texte à la fin du premier semestre 2021 au lieu de fin 2020. Il sera donc en cours de négociation lors de la présidence française de l'Union Européenne (UE), ce qui peut être un avantage mais aussi un inconvénient, puisque la présidence a un devoir de neutralité. Nous serons en tout état de cause très attentifs aux évolutions. Notre principale préoccupation concerne, dans ce cadre, le traitement prudentiel de l'investissement à long terme, et en particulier des investissements en actions, actuellement très pénalisés par la directive Solvabilité 2 - nous avions négocié quelques exceptions mais nous voulons aller plus loin. Nous visons aussi l'amélioration de la supervision des activités transfrontalières et de la capacité de l'UE à gérer les difficultés dans le domaine de l'assurance.

Vous m'avez interrogé sur un troisième point : la fiscalité. Je n'ai parlé à aucun moment d'augmentation d'impôt. Le Gouvernement a mis en place un PFU, dans l'idée de conserver une certaine neutralité de la fiscalité à l'égard des différents placements, avec certains avantages spécifiques. Le PFU devait donc concerner l'ensemble de l'épargne, et visait essentiellement à diminuer la très forte taxation pesant sur les produits, notamment en actions.

Je reviens enfin sur certains sujets évoqués par les sénateurs.

L'épargne locale et la relocalisation sont des préoccupations importantes pour nous. Dans le cadre du label « Relance », qui oriente l'investissement en particulier vers les ETI et les PME, nous avons demandé un « reporting » pour l'ensemble des investissements réalisés sur les territoires.

Vous avez évoqué, sur les territoires également, la nécessité de se doter de véhicules souverains. Au niveau national, Bpifrance joue un rôle majeur dans le financement des entreprises, que ce soit en prêts ou en fonds propres, et constitue un catalyseur d'investissements en fonds propres dans des entreprises allant de la plus grande à la plus petite.

Vous avez soulevé l'idée d'un grand emprunt. Pour reprendre les propos M. Mareuse sur la CDC, on peut considérer que l'État est un grand emprunt à lui tout seul. En effet, en 2020, le besoin de financement de l'État a augmenté, passant de 230 milliards à 360 milliards d'euros. Le plan de relance de 100 milliards d'euros est un grand emprunt, puisque 40 milliards seront financés par l'UE et 60 milliards par l'emprunt. Ce n'est pas une augmentation des impôts, au demeurant plutôt en baisse, mais bien l'emprunt qui finance ces priorités. Celles-ci comportent notamment un aspect relatif à la résilience de l'économie française. Ainsi, les entreprises qui effectuent des investissements de relocalisation sont accompagnées par un dispositif de financement dédié. De même, nous avons organisé des dispositifs de financement de la recherche et de l'innovation, en particulier dans des nouvelles technologies comme l'hydrogène, les biotechnologies ou la microélectronique.

L'investissement socialement responsable (ISR) est une thématique centrale, y compris aux yeux du ministre, qui est bien conscient du fait que les épargnants cherchent à donner du sens à leur épargne. Le label « ISR », en particulier pour l'assurance-vie, a très bien marché, puisque le nombre de fonds labellisés « ISR » a doublé, passant d'un encours de 150 milliards d'euros à 300 milliards d'euros depuis que nous avons mis en place ces dispositifs.

Pour répondre à la question de Mme Lavarde, le livret A et le LDDS sont en fait très bien rémunérés pour des placements garantis et à vue. Dans un environnement de taux négatifs, bénéficier d'un taux de 0,5 % sans impôt est une excellente rémunération, qui explique leur attractivité. Je pense qu'il n'est pas souhaitable d'augmenter les plafonds, comme cela a été fait en 2012 pour le livret A. Les emplois qui peuvent être réalisés par le livret A, qui est une ressource chère comme le LDDS, ne sont pas suffisants pour justifier une augmentation des plafonds.

La réunion est close à 12 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.