Mardi 16 mars 2021

- Présidence de M. Pierre Cuypers, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Professionnels des énergies renouvelables - Audition de MM. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), Olivier Dauger et Jacques-Pierre Quaak, co-présidents de France gaz renouvelables (FGR)

La réunion est ouverte à 16 h 30.

M. Pierre Cuypers. - Mes chers collègues, depuis notre réunion constitutive du 4 mars dernier, les travaux de notre mission d'information ont avancé à un bon rythme, que je me propose de vous retracer très brièvement.

Certes nous avons été conduits à reprogrammer, à la fin de ce mois, la table ronde initialement prévue le 9 mars - en format plénière - avec les syndicats agricoles, car certains étaient malheureusement indisponibles. Mais nous avons d'ores et déjà mené à bien cinq auditions, toutes très intéressantes.

Pour prendre une image, en guise de « levée de rideau », nous avons tout d'abord entendu plusieurs responsables des deux directions générales compétentes du ministère de la Transition écologique. Il s'est agi, plus précisément de la directrice de l'énergie à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), Mme Sophie Mourlon, et de M. Philippe Bodenez, chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses à la Direction générale de la prévention des risques (DGPR).

Dans la foulée, nous avons pu interroger, au titre cette fois du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, M. Sylvain Réallon, sous-directeur filières forêt-bois, cheval et bioéconomie à la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises.

Enfin, hier, le 15 mars, nous avons entendu successivement :

- en premier lieu, le délégué général de l'association Amorce, laquelle constitue le premier réseau français d'information et de partage d'expériences dans le domaine de la méthanisation ;

- en second lieu, M. Christian Couturier de l'association NégaWatt, dont l'objectif consiste à promouvoir, pour reprendre ses propres termes, « une transition énergétique réaliste et soutenable » ;

- en dernier lieu, le second vice-président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), M. François Beaupère.

Voilà donc, mes chers collègues, où nous en sommes !

Et naturellement, aujourd'hui, nous avons le plaisir de nous retrouver pour cette réunion plénière avec les professionnels des énergies renouvelables.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Merci Monsieur le Président, mes chers collègues. Nous auditionnons effectivement aujourd'hui des professionnels des énergies renouvelables, autour de :

- M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), en visioconférence ;

- et de M. Jacques-Pierre Quaak, co-président de France Gaz Renouvelables (FGR).

Nous aborderons successivement les cinq grands thèmes suivants, lors de cette table ronde :

- les stratégies énergétiques et les dispositifs de soutien à la méthanisation ;

- les procédés de production du biogaz ;

- les perspectives d'évolution du biogaz ;

- la prévention des risques ;

- la méthanisation non agricole.

Nous vous avons adressé un questionnaire écrit très détaillé sur ces sujets, que vous pourrez compléter par toute documentation que vous jugerez utile.

Je souhaite attirer votre attention sur deux questions précises, qui assurément me tiennent à coeur :

- que pensez-vous de la réalité du dérèglement climatique et de la stratégie nationale bas carbone ?

- qu'en est-il du bilan énergétique du processus de méthanisation ?

Quoi qu'il en soit, avec mes 21 collègues de la mission d'information, nous cherchons collectivement à établir un travail solide, étayé sur des éléments rationnels et scientifiques.

Nous avons également pu mesurer, dès nos premières auditions, toute l'importance de l'acceptabilité sociale, pour appréhender notre sujet, car il suscite des débats très vifs dans nos territoires. Nous y observons souvent une opposition tranchée entre d'une part les tenants d'une méthanisation espérée comme « idéale », et, d'autre part, les opposants à une méthanisation perçue comme « cauchemardesque », alors qu'il existe aussi, sur le terrain, une grande variété de situations et des projets de taille et de nature très diverses.

M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER) - Bonsoir à tous, mesdames et messieurs les Sénateurs, je me propose de vous exposer notre vision du développement de la méthanisation sous forme d'injection de gaz ou de cogénération, ce qui recouvre une partie des thèmes que vous avez évoqués.

Nous allons publier avec les gestionnaires de réseaux de gaz, le 1er avril prochain, la cinquième édition de notre Panorama du gaz renouvelable, où figureront beaucoup des informations demandées dans votre questionnaire, à commencer par l'état du gaz sous ses diverses formes, sa répartition régionale, les perspectives de développement, ainsi qu'un « état de l'art » des nouveaux modes de production de gaz renouvelables, tels que la pyrogazéification (chauffage de déchets à plus de 1000 degrés en présence d'une faible quantité d'oxygène aboutissant à une conversion en gaz), le power-to-gas (production d'hydrogène par électrolyse de l'eau, combinée ensuite à du CO2, via le processus de méthanisation pour générer un méthane de synthèse) et la gazéification hydrothermale.

S'agissant, en premier lieu, de la situation du gaz renouvelable à fin de l'année 2020, on constate que les productions d'électricité en cogénération françaises représentent aujourd'hui un peu plus de 500 mégawatts/heure (MWh) de puissance installée, soit 0,6 % de la production d'électricité nationale. Ce secteur connaît une faible dynamique de développement, car les priorités publiques sont ailleurs.

Cela contraste, en effet, avec l'essor de l'injection de biogaz (devenu biométhane) dans le réseau de gaz, dont le nombre d'installations a bondi de 123 à 214 entre fin 2019 et fin 2020, pour atteindre une puissance installée de 4 térawatts/heure (TWh). Cela correspond, pour le moment, à une injection effective de seulement 2,2 TWh, en raison de la progressivité de la mise en service des capacités de production. La part du gaz renouvelable dans les réseaux n'atteint que 0,5 %, mais la « liste d'attente » - ou registre de capacité - compte presque 1 200 projets représentant l'équivalent d'une capacité de production de 26 TWh, dont un volume de 14 TWh a fait l'objet de contrats déjà signés (y compris les installations déjà en fonctionnement).

En second lieu, la stratégie française en matière de gaz renouvelable s'inscrit dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), déjà présentée ici par Mme Sophie Mourlon, tablant, à l'horizon 2050, sur une baisse de la consommation globale de gaz, aujourd'hui d'environ 480 TWh par an, qui reviendrait dans une fourchette comprise entre 195 et 295 TWh par an.

La nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) fixe un objectif de 6 TWh de biométhane injecté en 2023, puis de 14 à 22 TWh en 2028, ce qui est très décevant et inférieur aux dispositions de la précédente PPE de 2016. Ces chiffres apparaissent également déconnectés de la dynamique observée sur le terrain, susceptible de se traduire par 60 TWh en 2030. Qui plus est, aucun objectif n'a été fixé pour la pyrogazéification, même s'il est prévu un démonstrateur pour le power-to-gas en 2023. D'une façon générale, il est à noter que la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui n'est qu'un texte réglementaire, est en passe d'entraîner un non-respect des dispositions votées par le législateur, dans le cadre de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

En troisième lieu, les perspectives de développement de la méthanisation résident dans la priorité donnée à l'injection. Comme ce n'est pas possible sur tout le territoire, puisque le réseau de gaz n'est pas présent partout, la cogénération demeure toutefois une solution de valorisation.

S'il existe un tarif de rachat de la puissance électrique jusqu'à 500 KW/h pour la méthanisation, il n'existe plus aucun dispositif de rachat pour les installations de stockage de déchets non-dangereux et les stations d'épuration. Les appels d'offres de la CRE (Commission de régulation de l'énergie) n'ont pas été renouvelés : ce segment est donc complètement délaissé.

Le tarif de rachat pour l'injection établi en 2011, sur lequel s'est engagée la dynamique que j'ai précédemment décrite, a été abrogé, au profit d'un dispositif provisoire : il s'agit de l'arrêté du 23 novembre 2020 fixant les conditions d'achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel. Le tarif définitif, qui ne s'appliquera qu'aux installations de méthanisation, fait actuellement l'objet de discussions avec la Commission européenne (DG Concurrence). Son contenu semble proche de celui de l'arrêté précité du 23 novembre 2020. La consultation officielle de la Commission européenne interviendra dans les prochaines semaines. Pour les stations d'épuration des eaux usées (STEP) et les installations de stockage non-dangereux, des discussions sont en cours entre la filière et la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de la Transition écologique, mais il n'existe rien de plus abouti pour le moment.

La nouvelle formule de tarification prévoit :

- une baisse initiale du tarif de 1 à 15 % selon les catégories d'installations et les types de puissances, ce qui est important et pourrait mettre à mal le développement de la filière ;

- ensuite, une trajectoire de réduction du tarif d'achat de 2 % par an, comme pour la filière électrique ;

- une suppression des primes pour l'utilisation de biodéchets résidus ou pour l'utilisation de résidus et co-produits végétaux, agricoles et agroalimentaires, y compris les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) ;

- en revanche, le maintien de la prime aux effluents d'élevage ;

- une diminution de 5 euros par MG/h en cas de subvention à l'investissement par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ;

- un mécanisme de réduction dynamique du tarif d'achat, en fonction du volume de signatures de contrats d'entrée dans le registre de capacités.

Le nouveau tarif est réservé aux installations de moins de 300 Normo m3/h, ce qui correspond à peu près à une capacité de 25 GWh par an. Les autres projets de plus grande puissance devront passer un appel d'offres, sachant qu'aucun cahier des charges n'a été notifié à ce jour à la Commission européenne.

Pour atteindre et développer des volumes supplémentaires, la filière a proposé des mécanismes extrabudgétaires, consistant à ce que le budget de l'État compense le prix d'achat en fonction du prix du gaz sur le marché. Il existe notamment un dispositif de certificats verts émis par les producteurs de gaz proportionnellement au gaz naturel qu'ils livrent à leurs clients finaux, qui bénéficierait aux producteurs de plus de 300 normo m3 ne relevant pas des tarifs. Ces mécanismes extrabudgétaires constituent à nos yeux une solution très pertinente pour financer des projets, pourvu qu'ils soient couplés à des mesures incitatives portant sur l'ensemble de la chaîne du biométhane, et notamment sur l'aval, et que les ressources de l'État ainsi économisées se reportent intégralement sur les projets bénéficiant des mécanismes de soutien déjà prévus tels que les guichets ouverts et les appels d'offres à venir.

Enfin, on constate un basculement du soutien au gaz renouvelable vers une logique de rentabilité pour la collectivité, prenant en compte les externalités positives de la méthanisation, ce qui suppose de mettre en place des méthodologies robustes d'évaluation. Le comité stratégique de filière a ainsi identifié quatre externalités prioritaires :

- les émissions de gaz à effet de serre ;

- les charges liées au traitement des déchets ;

- la qualité de l'eau ;

- et la résilience des exploitations agricoles.

M. Jacques-Pierre Quaak, co-président de France Gaz Renouvelables. - Bonsoir à tous. France Gaz Renouvelables est une association créée en 2018. Elle rassemble, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), les chambres d'agriculture, l'Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) dont je suis vice-président, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), Gaz Réseau Distribution France (GRDF) et GRT Gaz. Nous portons la volonté de développer le gaz vert à travers le réseau et le territoire français.

La France compte aujourd'hui plus de 214 sites en injection, lesquels peuvent produire soit de l'électricité, soit du gaz et ont une dominante agricole. On compte entre 750 et 850 méthaniseurs au total, avec un développement d'environ 150 sites par an d'ici à 2023, grâce au changement de tarif et à la PPE. La production devrait atteindre un peu plus de 3,5 TWh en 2021.

On observe une forte progression de la méthanisation en injection depuis 2016. J'ai eu la chance, avec mon frère d'être l'un des premiers méthaniseurs agricoles à injecter dans le réseau de gaz de GRDF, dès 2013.

Le changement tarifaire évoqué par Jean-Louis Bal induit un sérieux « coup de frein » dans le développement de notre filière. Le mécanisme extrabudgétaire actuellement à l'étude est similaire à celui qui est déjà mis en oeuvre pour les carburants de première génération : il n'a aucune incidence sur le budget de l'État.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Pouvez-vous développer votre propos sur les modalités de ce mécanisme extrabudgétaire ?

Mme Cécile Frédéricq, déléguée générale de France gaz renouvelables. - Il s'agit d'une obligation d'incorporation de gaz vert dans les réseaux, qui serait portée par les fournisseurs. Ces derniers seraient donc dans l'obligation de produire du gaz renouvelable. Un mécanisme de certificat vert permettrait de compenser, pour le producteur, l'écart de prix entre le gaz naturel fossile et le biométhane injecté.

M. Jacques-Pierre Quaak. - Une étude de l'Ademe laisse entrevoir un potentiel de 130 TWh pour un objectif de 100 % « gaz vert » à l'horizon 2050, en prenant en compte la méthanisation et les autres technologies que sont la pyrogazéification et la méthanation (procédé industriel mettant en contact du dioxyde ou du monoxyde de carbone avec de l'hydrogène, conduisant à la production de méthane et d'eau).

Les perspectives de développement de la filière méthanisation résident dans le traitement des déchets et dans la décarbonation liée aux quatre externalités positives précédemment évoquées par Jean-Louis Bal. Il ressort d'après les premiers éléments d'une nouvelle étude de France Gaz Renouvelables que la production d'un MWh par méthanisation ne rejette que 23 grammes de CO2, contre 227 grammes pour la production du gaz à partir d'énergies fossiles. Nos études laissent entrevoir des économies de gaz à effet de serre très significatives. La méthanisation est aussi génératrice d'une économie circulaire qui, dans les territoires, est un vecteur d'emplois directs, mais aussi indirects, par le biais de la mise au point par des entreprises françaises de « briques technologiques » nécessaires à l'abaissement des coûts.

La méthanisation est un processus naturel, à l'image du gaz de marée. En pratique, une installation de méthanisation fonctionne comme une panse de vache en béton, puisqu'il s'agit de provoquer la dégradation de matières organiques dans un environnement fermé, à l'abri de l'oxygène ambiant, pour obtenir une fermentation à 38 °C dont se dégage un biogaz composé de 50 à 60 % de méthane, le reste étant essentiellement du CO2.

Soit on utilise le biogaz à l'état brut, à la sortie du méthanisateur, en le mettant dans un moteur adapté capable de le brûler pour produire de l'électricité en le couplant à une génératrice, soit on lave le gaz pour qu'il ait les mêmes propriétés que le gaz naturel. Outre la production d'énergie verte, la matière organique une fois digérée constitue un formidable engrais vert qui nourrit les bactéries du sol, contrairement aux engrais industriels.

Il est impératif d'être très vigilant quant à la matière qui entre dans un méthaniseur. Certains prennent un méthanisateur comme une simple poubelle, alors que les matières plastiques ne sont pas dégradables. Un mauvais tri des matières entrantes peut conduire à une stérilisation des sols. Après huit ans de retour d'expérience, je constate, pour ma part, les bénéfices d'une méthanisation bien faite pour la régénération des sols : nous sommes très exigeants sur la matière qui rentre dans les méthaniseurs, d'autant plus que la destination finale de cette matière, c'est nos sols.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Quel est, selon-vous, le juste prix du kWh de gaz issu de la méthanisation ? Comme pour le photovoltaïque, il faut que le prix soit incitatif pour les agriculteurs, à titre d'activité complémentaire, sans néanmoins constituer pour ceux-ci une rente trop importante. L'atteinte du juste équilibre conditionne l'acceptabilité du gaz vert. Sans doute, d'ailleurs, existe-il plusieurs justes prix et non un seul.

M. Jacques-Pierre Quaak - Il m'est difficile de vous répondre, car il n'existe pas un méthaniseur, mais des méthanisateurs.

Selon moi, un méthaniseur doit, pour être légitime, apporter des bénéfices collatéraux tels que le traitement de déchets et d'effluents d'élevage d'un territoire. Chaque jour qui passe, l'injection fait davantage ses preuves à cet égard et c'est la condition pour le maintien d'un tarif avantageux. Les constructeurs adaptent aussi leurs machines. La PPE et le récent changement des tarifs ont précipité des projets, de façon un peu anarchique.

L'approche en termes d'externalités positives favorise le travail d'explication que nous avons à conduire vis-à-vis de nos concitoyens. D'ailleurs, au terme d'une visite de notre installation par France Nature Environnement, a priori opposée à la méthanisation, il semble que nos interlocuteurs soient sortis plutôt ravis, au point de laisser sous-entendre qu'il faudrait un méthaniseur par commune, vu les bénéfices qu'ils peuvent apporter, à condition que l'opération soit faite intelligemment. Nous sommes également sensibles au fait que la méthanisation amène, par l'intermédiaire des Cultures intermédiaires à valorisation énergétique (CIVE), une diversification des cultures, une augmentation de la richesse organique des sols, ainsi qu'un accroissement de la biodiversité.

M. Jean-Louis Bal. - Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, le prix moyen du MWh issu de la méthanisation est de l'ordre de 95 euros, contre 20 euros pour le MWh issu du gaz fossile.

Il existe toutefois de fortes différences, selon la taille et le type d'installation et selon le type d'intrants. En outre, ce prix a chuté pendant la crise sanitaire. En tenant compte de la monétisation des externalités positives, le comité stratégique de filière arrive à une première estimation d'environ 70 euros le MWh, ce qui réduit considérablement l'écart avec les gaz fossiles. Des progrès sont encore possibles par la rationalisation des équipements.

La dynamique de la méthanisation dans notre pays ne doit cependant pas être surestimée. On ne peut pas parler « d'explosion » du nombre des méthaniseurs. Nous sommes loin d'en avoir un dans chacune des 36 000 communes de France !

Nous avons commencé avec des technologies en provenance du Danemark et d'Europe du Nord. Aujourd'hui, la construction d'une filière industrielle française, à laquelle s'emploie ce comité, devrait en outre permettre de réduire d'environ 30 % les coûts de la méthanisation. C'est l'occasion de construire une industrie française compétitive avec des emplois français.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Le facteur coût n'est, j'en conviens, que l'un des aspects à prendre en compte lorsque l'on étudie la méthanisation. Quel est le prix du rachat du MWh en cogénération, sachant que cette technique permet de valoriser la production des méthaniseurs situés loin des villes en dehors de l'autoconsommation ?

M. Jean-Louis Bal. - Je ne dispose pas de ce chiffre à l'instant, mais nous vous le ferons parvenir.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Quels sont les risques environnementaux liés à la méthanisation, notamment en cas d'accident sur les installations ? Ce sont des équipements semi-industriels, qui nous conduisent à la question de la prévention des risques. À ce sujet, nous avons tous en mémoire celui qui est survenu en août 2020, à la centrale biogaz de Châteaulin dans le Finistère et qui a privé d'eau potable 180 000 personnes pendant trois semaines. Comment peut-on prévenir de tels risques ?

M. Jean-Louis Bal. - Les principaux risques sont liés au digestat. Celui-ci doit être considéré, non pas comme un déchet de déchets, mais comme un fertilisant organique. Une bonne certification de ce coproduit permet qu'il ne soit plus une menace pour l'environnement, mais l'occasion d'une diminution des intrants chimiques.

M. Jacques-Pierre Quaak. - Les sites de méthanisation étant classés comme des sites ICPE (Installation classée pour la protection de l'environnement), ils répondent à des normes strictes. L'une d'elles porte sur la rétention sur site obligatoire en cas de rupture de la cuve en béton. La capacité de la plus grosse cuve doit être retenue sur le site, ce qui n'a pas dû être le cas à Châteaulin. Comme tous les outils industriels, nos installations sont sujettes à des accidents.

Pour les prévenir l'Association des agriculteurs méthaniseurs de France et GRDF procèdent actuellement à de multiples audits. L'AAMF a établi une charte de bonnes pratiques à laquelle tous ses adhérents doivent souscrire. Il s'agit de professionnaliser les exploitants agricoles afin qu'ils maîtrisent un nouveau métier. Le partenariat passé entre l'AAMF et GRDF nous permet de bénéficier du savoir-faire de ce dernier en matière de gestion des risques sur les sites en injection. Afin d'éviter les risques d'explosion, le label Qualimétha, certifié par l'Afnor, permet un référencement des constructeurs et il a vocation à devenir un standard pour la méthanisation agricole ou industrielle, à l'instar par exemple du système ABS (Système d'antiblocage des roues) en matière de freinage automobile. Des démarches de formation et d'accompagnement sont nécessaires.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Une filière de formation à la méthanisation existe en Bretagne. Comme je ne crois pas à l'auto-contrôle, pouvez-vous nous dire combien de fois vos installations ont été contrôlées ?

M. Jacques-Pierre Quaak. - La filière est jeune et notre profession est en train de se structurer et de se professionnaliser. En tant que site ICPE, nous sommes astreints à des déclarations auprès de la préfecture tous les ans, notamment en ce qui concerne les matières entrantes, sur la base d'un registre d'entrées. L'administration préfectorale procède à des contrôles inopinés. Surtout, GRDF contrôle toutes les deux minutes la qualité de notre gaz en injection et procède à une analyse complémentaire approfondie tous les deux mois. Ce délai a tendance à s'étendre du fait de la qualité très stable de notre production.

En termes de procédés industriels, France Gaz Renouvelables mène en interne des études pour suivre et qualifier les constructeurs. Les torchères avec déclenchement automatique sont désormais obligatoires sur les nouveaux sites de méthanisation.

On assiste également à une importante mobilisation des chambres d'agriculture et d'organismes comme Arvalis (Institut du végétal) pour étudier le digestat. France Gaz Renouvelables publiera très prochainement une étude basée sur des essais dans les champs sur les externalités et sur la qualité de l'eau. Cette étude montre que le digestat issu de la méthanisation pollue globalement autant que le lisier ou le fumier. D'une façon générale, les aléas météorologiques imposent 10 ans de retour d'expériences, pour établir une théorie agronomique à ce sujet. Ce travail est en cours.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - On me dit que le digestat produit d'importants dégagements d'ammoniac (NH3), tandis que l'azote qu'il contient est très soluble et provoque un risque de production d'algues vertes en cas de grosse pluviométrie. C'est une problématique importante en Bretagne.

M. Jacques-Pierre Quaak. - Il est vrai que l'ammoniac contenu dans le digestat est volatile et très soluble. Dans le digestat, il y a une partie ammoniacale, qui est très soluble et volatile, on ne s'en cache pas. Sa composante organique a besoin de temps pour se dégrader avant d'être disponible pour la plante. Nous sommes en train d'établir des bonnes pratiques d'épandage du digestat. La technique consistant à projeter le digestat dans l'air, afin de le répartir au sol, conduit à ce que l'ammoniac reste fixé dans l'air, ce qui produit une odeur caractéristique, qui pique le nez. Cette évaporation est une perte pour l'alimentation de nos plantes. Il est donc fortement souhaitable d'enfouir le digestat dans la terre, grâce à des techniques d'incorporation. Ces techniques sont très bien maîtrisées par les élevages laitiers des pays du Nord et nous nous inspirons de leur savoir-faire.

Les CIVE destinées aux méthaniseurs permettent, sans modifier le cycle habituel de la production agricole alimentaire, d'occuper nos sols entre juillet/août et le printemps suivant, ce qui correspond à la période critique en matière de lessivage de l'azote à travers le sol, alors qu'auparavant il fallait fixer l'azote disponible dans le sol en ensemençant rapidement. Enfin, nous cherchons à appliquer le digestat au moment où la plante en a le plus besoin.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Disposez-vous d'une capacité de stockage du digestat, pendant les périodes de forte pluviométrie, dans la mesure où il n'est pas possible alors d'aller sur les sols ?

M. Jacques-Pierre Quaak. - C'est le cas, puisque les périodes d'épandage du digestat à respecter résultent de dispositions législatives. Lorsqu'un exploitant ne peut se rendre dans les champs du fait des conditions climatiques, il doit disposer de stocks. Le coût du stockage est largement compensé par le fait d'avoir à acheter moins d'engrais industriels.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Quels sont les autres modes de méthanisation en dehors de la méthanisation agricole ? Quel est leur potentiel ?

M. Jean-Louis Bal. - Les autres modes de méthanisation seront exposés dans le panorama que nous allons vous adresser le 1er avril prochain. On observe une méthanisation dite « territoriale », qui peut consister à regrouper plusieurs agriculteurs et/ou d'autres fournisseurs d'intrants, comme les collectivités ou les restaurants. Il existe aussi une récolte de méthane issue des installations de stockage de déchets non dangereux - dans ce que l'on appelait auparavant les décharges de classe 2 - et des stations d'épuration. L'industrie alimentaire produit également des déchets animaux et végétaux qui peuvent être méthanisés. La méthanisation agricole reste cependant majoritaire en termes de production d'énergie.

Ces différents types de méthanisation conduisent à considérer les digestats en fonction des différents intrants associés. À cet égard, la méthanisation agricole et la méthanisation industrielle sont complémentaires. D'où la collaboration étroite qui existe déjà entre les industriels représentés au sein du syndicat des énergies renouvelables et le monde agricole.

M. Jacques-Pierre Quaak. - La fixation d'un premier tarif pour l'injection du gaz issu de la méthanisation dans les réseaux a permis le déploiement conjoint des méthaniseurs industriels et des méthaniseurs agricoles.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Que pensez-vous de la possibilité de mettre jusqu'à 15 % de cultures vivrières, comme le maïs, dans les méthaniseurs ?

M. Jean-Louis Bal. - Ce taux, qui est issu d'une longue réflexion entre les professionnels et les parlementaires, me paraît être un très bon compromis. Du point de vue de l'image de notre profession, nous ne sommes pas prêts à ce qu'une plus grande partie de la production alimentaire soit détournée de sa finalité, pour produire de l'énergie.

M. Jacques-Pierre Quaak. - Ce taux de 15 % a été fixé pour sécuriser un minimum d'approvisionnement, alors que l'on pâtissait d'un réel manque de retour d'expérience sur les cultures intermédiaires. Il est à noter que celles-ci ont toujours été utilisées pour nourrir les animaux entre la fin de l'été et la rentrée à l'étable. Par le biais des CIVE, la méthanisation nous amène à nous intéresser à nouveau à des cultures oubliées. C'est le cas de nouvelles espèces de sorgho, une céréale jusqu'alors réservée au Sud de la Loire qui a besoin de beaucoup moins d'eau que le maïs au moment de sa végétation, alors que l'arrosage des cultures est de moins en moins bien accepté par les urbains. Ce type d'alternatives explique qu'une étude menée par le loueur de machines agricoles AEB ait montré que seulement 6 % de cultures dédiées rentrent dans la méthanisation. Enfin, France Gaz Renouvelables a lancé une étude, au niveau du territoire français, pour établir s'il existe une dérive consistant à utiliser du maïs d'ensilage pour la méthanisation.

M. Olivier Rietmann. - Étant conseiller départemental de l'un des plus grands cantons ruraux de France (700 km2) et agriculteur, je partage avec MM. Bal et Quaak leur présentation des aspects positifs de la méthanisation, notamment parce qu'elle permet la valorisation des effluents d'élevage et des déchets en produisant de l'énergie verte. Je souhaite toutefois vous alerter sur les deux conséquences négatives de la multiplication des méthaniseurs dans mon canton, où l'on en compte 10. En premier lieu, ils ont entraîné la fermeture d'une coopérative céréalière avec 4 emplois en raison d'un déficit de céréales à traiter et notamment de maïs à sécher. En second lieu, ils ont été à l'origine d'un doublement des prix du foncier, car les agriculteurs « se battent » pour pouvoir planter des CIVE, récolter du maïs en herbe (45 centimètres de haut) ou récupérer de la paille. Les jeunes ne peuvent plus s'installer aujourd'hui. Dans mon secteur le taux de 15 % de cultures vivrières dédiées à la méthanisation est sans doute dépassé, en raison notamment des apports de kiwis et de bananes, dont 400 tonnes ont encore été livrées dernièrement en provenance de la Martinique.

Les industriels commencent par ailleurs à protester à l'encontre des avantages fiscaux accordés à la méthanisation agricole, au point que Bercy pourrait décider de rééquilibrer les choses, au risque de remettre en cause l'équilibre économique de la filière.

Mme Angèle Préville. - La molécule de méthane étant la même, qu'il s'agisse de gaz fossile ou de biométhane produit dans les méthaniseurs, je n'ai pas bien compris comment vous arrivez à un dégagement de 24 grammes de CO2 contre 221 grammes pour le gaz fossile, sauf à prendre en compte le fait que la culture a emmagasiné du CO2 en poussant, ce qui a toujours été le cas.

S'agissant des intrants en provenance des magasins alimentaires, il faut prendre garde à ce que les matières plastiques qui constituent leurs emballages n'entrent pas dans la méthaniseurs. J'ai ainsi été interpellée, lors de la mission que j'ai menée sur la pollution plastique, par des riverains qui voyaient arriver beaucoup de plastique dans les digestats.

J'ajoute que le méthane est un gaz à effet de serre 34 fois plus important que le CO2 et qu'il faut par conséquent se prémunir contre toute fuite provenant des méthaniseurs.

Il ne faut pas oublier, enfin, que la fertilisation est un processus naturel qui était utilisé, avant que l'on produise du digestat à partir de la méthanisation.

M. Jean-Louis Bal. - La fiscalité qui pèse aujourd'hui sur les installations de biométhane relève du foncier et de la taxe carbone. Il apparaît au demeurant paradoxal que le gaz biométhane, dont le bilan en CO2 est à peu près équilibré, puisque les émissions sont similaires aux captations pendant la croissance de la plante, soit soumis à la contribution climat-énergie, qui est de l'ordre de 44 euros par tonne de CO2.

Quant à la compensation, assumée par le budget de l'État, entre un coût de production de 95 euros par MWh et un prix de gros de marché de 20 euros par MWh, elle correspond à une subvention avoisinant les 500 millions d'euros en 2021. Ce coût pour les finances publiques n'est pas négligeable, mais il faut le mettre en balance avec les externalités positives.

Enfin, il faut effectivement faire très attentions aux fuites de méthane puisqu'il génère un effet de serre à ma connaissance 23 fois supérieur à celui du CO2. Force est de constater que de telles fuites existent elles aussi, et en beaucoup plus grand nombre, sur les réseaux de gaz fossile.

M. Jacques-Pierre Quaak. - Vous serez destinataires, prochainement, d'études établies par France Gaz Renouvelable sur les rejets de CO2 au cours du cycle de vie de la plante.

Sur le digestat, je vous confirme que l'on mettait auparavant nos cultures en jachère, et que le petit lait associé à la production fromagère était jadis donné aux cochons dans la cour de ferme. On ne perdait rien, et tout revenait au sol. Plus récemment, avant la méthanisation, le petit lait partait dans les stations d'épuration, dont seulement une vingtaine sont équipées en installations de méthanisation. Aujourd'hui, sur notre site, nous récupérons les deux tiers du petit lait de la fromagerie voisine. On retrouve avec la méthanisation ce que l'on avait mis de côté, soit par l'enfouissement, soit par l'incinération. Nous répondons à l'obligation d'un retour au sol de la matière. Et au lieu d'avoir un effluent d'élevage, j'en ai dix avec le méthaniseur, parce que je fais venir d'autres déchets de l'industrie agroalimentaire, quitte à accepter, en pleine Brie, des camions de bananes refusés à la douane. Sans cette prise en charge, ces cargaisons auraient terminé dans un centre d'enfouissement.

M. Patrick Chauvet. - Je vous remercie tout d'abord pour vos interventions et vos retours d'expérience. Vous avez peu évoqué la micro-méthanisation utilisant comme intrants des effluents d'élevage, des CIVE ou d'autres cultures et qui présente l'avantage de ne pas nécessiter de transport. J'y vois un intérêt en termes d'aménagement du territoire, que ce soit en cogénération ou en injection, ainsi qu'un moyen de pérenniser l'élevage dont la disparition va à l'encontre de la présence humaine, des emplois et de la préservation des prairies. Certains nous expliquent que ce modèle autonome n'est pas compétitif, mais ce raisonnement ne prend pas en compte ses effets induits, qui ont une valeur. Comment aider les agriculteurs à boucler leurs plans de financement ?

M. Bernard Buis. - Quel a été le laps de temps qui s'est écoulé entre le moment où vous avez décidé de créer un méthanisateur sur votre ferme et le jour où vous avez pu injecter ? Vous-êtes-vous heurté à des freins ou des blocages ?

M. Laurent Duplomb. - Le prix du gaz issu de la méthanisation varie en fonction de l'ancienneté de la conclusion du contrat. Une prime d'effluents d'élevage de 5 centimes au KWh est versée, en complément des 17 centimes versés par kWh pour une méthanisation inférieure à 250 KW/h, ce qui est assez faible, pour un total donc de 22 centimes par KWh.

Lorsque le fonctionnement d'une installation est normal, il n'y a pas d'échappement de gaz sur une méthanisation, puisque l'agriculteur fait tout pour produire du gaz. Il peut arriver cependant que survienne, par exemple, un arrêt du moteur de cogénération. C'est pourquoi on prévoit une torchère qui brûle le méthane, ainsi qu'une seconde sortie par une cheminée naturelle visant à éviter une explosion du méthaniseur. Quant à la rupture d'une fosse de digestat observée à Châteaulin, elle aurait été la même avec du lisier.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Certes, mais le fait que les méthanisateurs collectent des effluents en provenance de plusieurs élevages conduit à ce que les quantités traitées, et donc les dégâts en cas d'accident, soient plus importants.

M. Laurent Duplomb. - C'est vrai, mais dans tous les cas, la fosse explose quand elle est pleine. D'où l'importance de faire vérifier les structures dont la construction bénéficie de la garantie décennale.

Il faut comprendre que le digestat issu d'une méthanisation est l'équivalent d'un fumier que l'on aurait composté en le retournant régulièrement, comme je le faisais à mes débuts d'agriculteur, ce qui avait pour effet de faire partir tout l'ammoniac dans l'atmosphère. C'est une différence considérable du point de vue de l'environnement. Aujourd'hui, un agriculteur va épandre son digestat uniquement quand la plante sera capable de l'utiliser : il l'utilisera et gèrera ses stocks au mieux.

M. Daniel Gremillet. - Il faut mener une réflexion territoriale, sachant que l'idée de doter chaque commune d'un méthaniseur n'a aucun sens. Je suis par ailleurs opposé aux 15 % d'intrants issus des cultures vivrières, car selon moi la méthanisation ne doit pas du tout empiéter sur la fonction agricole des territoires, avec ce que cela induit comme inflation du prix du foncier. Le législateur devra s'interroger sur les priorités qu'il souhaite défendre.

Ayant été un des premiers présidents de chambre d'agriculture à embaucher un technicien spécialisé dans la méthanisation, j'affirme qu'il faut privilégier la gestion territoriale et la valorisation des déchets, dont ceux qui sont générés par les collectivités et les entreprises. En tout état de cause, les solutions doivent éviter les transports de matières à travers le territoire. Dans mon département, les Vosges, qui est le « premier méthaniseur » de France, beaucoup de maires s'opposent à des transferts qui ont pour effet de faire transiter sur des voies communales des convois ayant des charges supérieures à des semi-remorques, avec de lourds dégâts pour la voirie.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Qu'en est-il de la proportion de gaz issue de la méthanisation utilisée comme carburant ? Que pensez-vous du sainfoin comme culture intermédiaire ?

M. Daniel Gremillet. - Un méthaniseur, c'est comme une panse de vache. Sa production dépend de la richesse de ce que l'on y met. Le lisier n'a pas la même efficacité énergétique, en tant qu'intrant, que du maïs ou de la prairie. Sans doute de nouvelles technologies permettront-elles de maximiser cette efficacité.

M. Jean-Louis Bal. - Nous n'avons pas évoqué la méthanisation sur une seule exploitation en employant le terme de « micro-méthanisation », mais celle-ci relève pleinement de la méthanisation agricole qui nous occupe. Et elle présente effectivement un intérêt au regard de l'aménagement du territoire.

En ce qui concerne la capacité du monde agricole à investir, l'État a mis en place une capacité d'accès au crédit à la suite du groupe de travail constitué par Sébastien Lecornu, alors qu'il était ministre chargé des collectivités locales. L'Ademe accorde également une aide à l'investissement permettant de réduire les fonds propres apportés par l'agriculteur, avec en contrepartie une baisse de 5 euros par MWh du tarif octroyé par l'État.

Le tarif mis en place en 2011 pour l'injection n'a pas évolué jusqu'en 2020, avant que n'intervienne une récente diminution, qui pourrait créer beaucoup de perturbations.

L'expression « un méthaniseur par village » ne correspond évidemment pas à un objectif que l'on s'est donné. La méthanisation doit faire l'objet d'une répartition territoriale des différents objectifs de la transition énergétique. Encore faut-il que les différents outils de planification des collectivités prévoient de manière la plus fine possible, par exemple au niveau des communautés de communes, les endroits où l'on va implanter une éolienne, du photovoltaïque ou des méthaniseurs.

Le gaz carburant, qui est appelé bio-GNV (gaz naturel pour véhicule), mobilise une petite partie du biométhane, à hauteur de 280 GWh, ce qui correspond à plus de 15 % du GNV. Malheureusement, la PPE ne prévoit aucun objectif de développement pour le biocarburant.

M. Jacques-Pierre Quaak. - La micro-méthanisation n'est pas mise en avant, en raison d'un manque de rentabilité économique. Elle a cependant tout son sens si l'on prend en compte ses externalités positives. Pour qu'elle se développe, il faut donc rémunérer ces externalités, ce qui suppose de nouveaux outils d'évaluation.

L'autofinancement reste un enjeu fondamental pour les méthaniseurs, puisque les installations ont un coût colossal à notre échelle, entre 3 et 8 millions d'euros. D'où la mise en place de partenariats entre 3 ou 4 exploitations agricoles et la nécessité de prévoir un maillage intelligent des méthaniseurs sur le territoire français.

J'ai eu l'idée d'installer un méthaniseur avec mon frère en 2006, à une époque où l'injection n'existait pas et il nous a fallu attendre le 27 août 2013 pour actionner la vanne d'ouverture au réseau. Aujourd'hui un porteur de projet bien accompagné doit patienter 3 à 4 ans. En Allemagne, où les projets se raréfient, ce délai est de moins d'un an.

Les textes initiaux encadrant la méthanisation à partir de culture vivrière en France visaient à éviter la création « d'océan de maïs », comme on en voit en Allemagne. Il n'est d'ailleurs pas possible de rentabiliser la méthanisation sur la base d'une culture dédiée.

L'idée d'utiliser le sainfoin comme CIVE pourrait être bonne, car nous retournons vers les cultures oubliées. Nous avons d'ailleurs commandé de la semence de sainfoin pour la première fois cette année, à titre d'essai.

Le droit à l'injection a permis le développement du gaz carburant. Dans notre cas de figure, le réseau a été saturé et cela nous a conduits à freiner la production. Étant situés non loin de la nationale 36 et de la nationale 19, nous réfléchissons, comme bon nombre de méthaniseurs, à installer une station GNV (Gaz naturel véhicule), de façon à fournir ce carburant vert demain. De tels projets ont tout leur sens à proximité des grandes villes du fait des contraintes environnementales qui empêcheront demain les véhicules diesel. Le développement des véhicules au gaz va être très rapide.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Je tiens à remercier Messieurs Bal et Quaak pour leurs apports, qui vont éclairer notre mission d'information.

De nombreuses questions restent en suspens. Plusieurs sujets évoqués ce jour l'ayant déjà été lors de précédentes auditions, je vous invite à rejoindre les prochaines, qui sont ouvertes à tous, à commencer par celle des industriels du gaz prévue demain, mercredi 17 mars. Nous essayons, d'une façon générale, de « croiser » les interventions des personnes que l'on auditionne, pour construire notre point de vue.

M. Pierre Cuypers. - Je me joins aux remerciements de notre rapporteur et ajoute que l'installation de notre mission d'information a donné lieu à un communiqué de presse qui a fait l'objet de bonnes retombées. L'intérêt que suscite notre mission est réel.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 35.

Mercredi 17 mars 2021

- Présidence de M. Pierre Cuypers, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Représentants des industries gazières - Audition de MM. Frédéric Martin, directeur général adjoint de GRDF, Édouard Sauvage, directeur général adjoint d'Engie, et Thierry Trouvé, directeur général de GRT Gaz

M. Pierre Cuypers, président. - Bonjour à tous et à toutes, et en particulier à nos invités, que nous allons auditionner avec beaucoup d'intérêt dans le cadre de cette mission d'information sur la méthanisation. Il est important de réunir chacune des parties prenantes et chacun des acteurs de cette filière.

Mes chers collègues, comme vous le savez, notre mission d'information inscrit ses travaux au coeur de plusieurs enjeux très importants : l'environnement et la gestion des déchets évidemment, mais aussi la politique énergétique - je parle alors d'indépendance ou de dépendance énergétique - ainsi que l'avenir de notre agriculture, génératrice de moyens de production.

Notre mission poursuit ses travaux - dans le cadre de ses réunions plénières, en plus des réunions hebdomadaires ou bi-hebdomadaires avec le rapporteur - par une seconde table ronde avec les grands industriels du secteur gazier.

Nous nous sommes déjà réunis hier, pour une première table ronde avec les professionnels du secteur des énergies renouvelables. Deux autres sont déjà programmées, avec les syndicats agricoles, d'une part, et des scientifiques et experts en recherche agronomique, d'autre part. Les dates retenues seraient a priori celles du mardi 30 mars à 16 h 30 et du mardi 6 avril à 16 h 30. Nous attendons cependant encore les réponses favorables de certains intervenants, pour être en mesure de vous confirmer la totalité des auditions que nous projetons de mener à bien, sachant que nous pourrons toujours compléter ou aller à la recherche de nouvelles idées, pour approfondir notre futur rapport.

Enfin, nous venons juste d'apprendre que l'audition conjointe des ministres de la Transition énergétique et de l'agriculture pourra être organisée - naturellement en réunion plénière de la mission d'information - le mercredi 12 mai prochain à 16 h 30. Parallèlement, les auditions de notre rapporteur Daniel Salmon avancent à un rythme soutenu : trois ont eu lieu la semaine passée, trois autres l'ont été cette semaine, et jusqu'à six sont programmées lundi et jeudi de la semaine prochaine, en téléconférence à chaque fois. Nous vous adresserons en fin de semaine un calendrier prévisionnel, dès que les éléments de cet agenda ambitieux seront établis avec une absolue certitude.

Dans l'immédiat, nous accueillons MM. Frédéric Martin, directeur général adjoint de GRDF, Édouard Sauvage, directeur général adjoint d'Engie, et Thierry Trouvé, directeur général de GRT Gaz. Nous vous remercions vivement de vous être rendus disponibles très rapidement à cet effet et vous souhaitons la bienvenue au Sénat.

Je vous rappelle également que cette réunion d'environ une heure et trente minutes sera, comme la table ronde précédente, captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat, avec, je vous l'assure, déjà beaucoup de retours : 3 800 personnes ont ainsi assisté à distance à notre réunion d'hier !

Je cède la parole à notre rapporteur Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Merci Monsieur le Président. Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, l'expérience nous enseigne que lorsque nous donnons la parole à nos invités, ils ont tendance à dérouler leur exposé et à répondre par avance à une partie des questions. Nous en avons tenu compte. Je vous propose donc de diviser cette audition d'une heure trente en trois tiers : trente minutes d'avant-propos, donc environ dix minutes chacun pour nos trois intervenants, trente minutes où je me permettrai, avec M. le président, de vous poser des questions complémentaires, et enfin trente minutes pour les questions de mes collègues sénatrices et sénateurs.

Plus précisément, et de façon générale, nous souhaiterions que nos échanges de vues s'articulent autant que possible autour de cinq grands thèmes : tout d'abord, les stratégies énergétiques ainsi que les dispositifs de soutien à la méthanisation, les procédés de production et les perspectives du biogaz, puis le sujet des risques environnementaux et de leur prévention, ensuite, les différents schémas de méthanisation et leur lien avec les pratiques agricoles, et enfin, la problématique de la méthanisation non-agricole.

Nous commencerons, si vous le voulez bien, par M. Martin, pour GRDF, puis nous poursuivrons avec M. Sauvage, directeur général adjoint d'Engie, puis M. Trouvé pour le compte de GRT Gaz.

J'ajoute que nous vous avons préalablement adressé un questionnaire écrit très détaillé. Nous savons que nous ne parviendrons pas à répondre aujourd'hui à toutes les questions inscrites qui y figurent. Il serait cependant fort aimable de votre part de nous faire un retour écrit sur les questions que nous n'aurions pas abordées.

Pour conclure ce propos introductif, permettez-moi d'attirer votre attention sur des questions précises qui me tiennent à coeur. Tout d'abord, j'aimerais vous entendre sur le sujet du dérèglement climatique et de la stratégie nationale bas carbone. Qu'en est-il, par ailleurs, du bilan énergétique du processus de méthanisation, de ses enjeux et de ses impacts - c'est le titre de la mission ? J'aimerais savoir également si vous avez une vision du bilan énergétique net de cette méthanisation : c'est une question importante.

Avec mes vingt-et-un collègues de la mission d'information, nous cherchons collectivement à établir un travail solide, étayé sur des éléments rationnels et scientifiques. Nous avons également pu mesurer, dès nos premières auditions, le défi de l'acceptabilité sociale, pour appréhender notre sujet, car il suscite des débats très vifs. Si cette mission est à l'ordre du jour, c'est parce que nous avons senti une grosse appétence, un grand souci d'information et de nombreux questionnements, surtout dans le milieu rural. Nous observons une opposition souvent très tranchée, entre les tenants d'une méthanisation espérée, vécue comme « idéale », que nous avons déjà rencontrés, et les opposants à une méthanisation, pensée comme ne présentant que des externalités négatives et perçue comme « cauchemardesque ». Je pense, sans préjuger du résultat, que nous parviendrons à une position plus équilibrée. Il y a différents types de méthanisation, de différentes tailles : elles sont de natures très diverses et vous pourrez nous donner votre sentiment à cet égard.

En dernière analyse, nous comptons sur cette audition et sur les suivantes pour approfondir notre réflexion, dans un débat public largement passionné. Telles sont nos principales attentes avant que ne débute cette table ronde ! Monsieur Martin, je vous cède la parole.

M. Frédéric Martin, directeur général adjoint de GRDF. - Merci Monsieur le rapporteur. J'interviens avec Mme Catherine Laboul-Proust, directrice de la stratégie de GRDF.

GRDF (Gaz réseau distribution France) est le gestionnaire des actifs gaziers de 9 500 communes qui gèrent environ 200 000 km de réseau et desservent 11 millions de clients. À ce titre, et compte tenu de son ancrage local, GRDF accompagne les territoires dans leur politique énergétique. Concernant la méthanisation, GRDF intervient depuis à peu près une dizaine d'années, après que les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs favorisant la méthanisation avec injection dans les réseaux. Je rappelle que, depuis 2006, s'est développée la méthanisation pour de la production d'électricité, sur une base de cogénération, mais compte tenu de l'aspect décarboné de l'électricité, les pouvoirs publics contribuent désormais au développement de l'injection de gaz naturel dans les réseaux.

En tant que gestionnaire d'actifs, notre principal rôle consiste à accompagner les porteurs de projets, en déterminant le bassin de consommation sur lequel on peut les raccorder. Pour GRDF, il s'est agi de surmonter la complexité de la mise en oeuvre du principe posé par le législateur, à la lumière de ce qui se passait en Allemagne, de ne pas se conformer à un modèle unique (« une culture-un usage »), mais à l'inverse de permettre un panel complet d'usages pour éviter la compétition entre ces derniers, avec notamment l'aspect alimentaire. Cela signifie qu'en termes de qualité de gaz, nous sommes responsables en tant qu'exploitants : ainsi, avec des start-up qui ont développé un savoir-faire français sur ce sujet, nous avons dû nous adapter, technologiquement parlant, à tous les types d'intrants qui existaient sur le territoire. Comme vous l'indiquiez, on compte plusieurs types de méthanisation : les biodéchets, les déchets agricoles, ménagers, agro-alimentaires, etc.

À la fin de l'année 2020, on compte 183 sites en installation, pour une quantité produite et installée d'environ 3 térawatt-heures (TWh). Le démarrage a été long et laborieux en raison de la variété des dispositifs : nous avons eu beaucoup de mal, au départ, à « caler » le calibrage du gaz, et notamment sa qualité. Nous y sommes parvenus, et le sujet est aujourd'hui plutôt derrière nous. Ainsi, le taux de fiabilité de nos postes d'injection dépasse 98 %. De plus, alors qu'on contrôlait auparavant le gaz toutes les deux heures, des systèmes automatiques permettent désormais de le contrôler toutes les trois minutes pour garantir que l'usager, y compris à proximité, dispose bien d'un gaz de qualité, quel que soit son usage.

Au niveau de la dynamique, et Thierry Trouvé pourra vous donner une vision nationale plus complète, environ 1 100 projets sont en préparation. Cette volumétrie représente 25 à 26 TWh, et le rythme de raccordement, assez soutenu, se situe entre 2 et 3 méthaniseurs agricoles par semaine. Cela vous montre le très fort développement de cette technologie et la participation des territoires sur ce sujet.

Vous parliez de la sensibilité de la population sur la taille des installations de méthanisation. Je vous rejoins : la taille est effectivement l'un des facteurs importants dans l'acceptabilité des projets au niveau des territoires. Il faut avoir une vision claire sur le sujet. À notre niveau, quand on comptabilise le gaz qui rentre, on s'aperçoit que 80 % des projets sont de petites et de moyennes installations de moins de 20 gigawatt-heures (GWh) par an. Ces projets sont en général portés par cinq ou six agriculteurs. Les très gros projets, s'ils posent des problèmes d'acceptabilité que vous évoquiez, sont peu nombreux, à la différence des petits projets.

Cette dynamique a permis le développement d'une filière industrielle en France, notamment sur la partie filtration, qui conduit les industriels français à exporter à l'étranger. Le modèle français est très regardé, en raison de sa pertinence en termes de variété et du fait qu'il ne met pas « trop » en concurrence certains usages. Autant cela constituait une difficulté au début, autant cela constitue désormais une force pour notre modèle.

Ensuite, sur la partie réseau, le dispositif de droit à l'injection, mis en place mi-2019, à la suite de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGalim), a illustré la volonté du législateur que les développements de réseaux - les canalisations que nous posons tous les jours - se fassent dans un régime financier encadré pour que l'impact sur le consommateur soit le plus pertinent possible. À ce titre, il a confié à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) le soin de contrôler la manière dont l'ensemble des opérateurs de distribution et les transporteurs proposaient aux porteurs de projet la solution technique la mieux adaptée pour les raccorder aux réseaux gaz. En réalité, les coûts affectés à ces réseaux sont très faibles : ils représentent 5 à 7 % de la volumétrie. On se situe à 3,3 milliards d'euros pour capter 80 % du potentiel agricole au plan national.

Sur l'aspect technologique, le plus grand défi n'est pas tant la pose de canalisations, mais le contrôle de la qualité du gaz, voire des gaz (on parle de pyrogazéification et d'hydrogène), ainsi que la fluctuation saisonnière des consommations et des productions. Pour y répondre, on utilise toute la souplesse du dispositif gazier, avec ses capacités de stockage très importantes au plan national.

Le principe du calcul économique, qui fait que chaque porteur de projets se voit affecter une validation financière, consiste à savoir si le réseau investi sur le territoire permet d'entrer dans une équation économique. Sinon, la facture augmente le coût au fur et à mesure qu'on s'éloigne du réseau. La base de calcul a été établie sur le fondement d'une étude réalisée par Solagro, qui a évalué le potentiel agricole avec des hypothèses très prudentes (réchauffement climatique, non-compétition dans les usages...).

Sur le plan pratique, on suit aujourd'hui le rythme voulu par le législateur dans le cadre de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat. La trajectoire prévoit un objectif de 10 % de gaz renouvelable en 2030 et on avance très rapidement dans cette direction. Cette forte dynamique a été également amplifiée par l'annonce d'une baisse des tarifs au niveau national, qui a augmenté le nombre des dépôts de dossiers. Cela a d'ailleurs généré une perturbation dans la qualité de l'approche des projets, tant pour nous qu'au niveau des porteurs de projets.

Ensuite, sur la partie réalisation, vous parliez de sécurité. On s'assure de la qualité du gaz en permanence, et l'on suit, au même titre que nos clients consommateurs, l'aspect sécurité des postes d'injection. Nous avons travaillé avec les acteurs de la filière pour créer un label, Qualimétha, qui permet de vérifier que les installations, au fur et à mesure qu'elles sont mises en place, répondent, au moins pour notre partie à nous, à des critères visant à éviter tout incident. Les incidents passés sont étudiés avec soin.

Mme Catherine Leboul-Proust, directrice de la stratégie de GRDF. - En complément, je souhaite vous indiquer qu'en tant qu'opérateur de réseau, nous sommes témoins non seulement de la dynamique opérationnelle de la production, mais aussi des efforts engagés par la filière et les acteurs qui l'entourent pour définir ses conditions de durabilité. Notre rôle va d'ailleurs bien au-delà, puisque nous sommes une entreprise chargée d'une mission de service public. À ce titre, nous avons un engagement à financer et à aider la réalisation de travaux scientifiques destinés à objectiver les réponses à toutes les questions qui se posent sur les impacts environnementaux, l'acceptabilité, etc.

Je formulerais pour commencer plusieurs constats. Ainsi, on observe, depuis deux ou trois ans, un foisonnement de travaux provenant d'acteurs différents, qu'il s'agisse du champ des ONG (WWF France, France nature environnement...) ou de centres d'acteurs de recherche et développement (l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), Arvalis, Solagro). Ces travaux tendent à étudier les questions de l'impact ainsi que des externalités produites par la méthanisation et en dépit de leurs différences, trois points de convergence y apparaissent : nous vous fournirons d'ailleurs une liste complète de ces études et des contacts des personnes qui pourraient venir en discuter avec vous.

Ces points de convergence concernent, tout d'abord, les évaluations de l'impact de la méthanisation en matière de décarbonisation. Plusieurs études ont été réalisées en analyse « cycle de vie », et la dernière, menée selon une méthode validée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), établit une valeur CO2 de la méthanisation à 44 grammes. Cela en fait un vecteur efficace et immédiat pour décarboner les usages de chauffage par gaz fossile. Cette évaluation a été « étalonnée » selon différentes méthodologies françaises et européennes : les rapports sont accessibles et des experts peuvent venir vous les présenter.

L'autre point qui fait l'objet d'une certaine convergence porte sur l'évaluation des externalités liées à la méthanisation. Vous avez évoqué le fait que le modèle sociétal et territorial, à condition d'être mis en oeuvre selon des modalités pratiques durables, peut être vecteur de multiples externalités, qu'elles soient liées aux enjeux d'énergie et de déchets, aux enjeux agricoles ou sociétaux. Trois études ont ainsi évalué l'impact de telles externalités dans une fourchette comprise entre 40 et 70 euros par mégawatt-heure (MGh).

Ces études, en général, reposent sur des résultats, mais s'appuient également sur des observations de terrain. Je voulais ainsi porter à votre connaissance un travail de recherche mené pendant trois ans auprès de plus de 40 sites de méthanisation, pour évaluer l'ensemble de ces impacts. Ce travail passionnant est regroupé sous le label de Méthalaé.

L'ensemble de ces travaux, qui repose sur une évaluation scientifique objective, conclut toujours que la méthanisation doit être conditionnée à un certain nombre de pratiques.

M. Pierre Cuypers, président. - Nous y reviendrons après.

M. Frédéric Martin. - Pour conclure, comme je vous l'indiquais, GRDF est gestionnaire d'actifs pour les collectivités locales. On nous demande de décarboner les émissions du gaz naturel, actuellement importé de l'étranger. En 2023-2024, environ huit régions auront ainsi dépassé le stade des 10 %, pour l'usage du gaz renouvelable par les habitations et les petites industries. Les élus mesurent ainsi la baisse de leurs émissions sur leur périmètre. C'est en ce sens que notre rôle consiste à appuyer la politique énergétique.

M. Édouard Sauvage, directeur général adjoint d'Engie. -Je souhaite au préalable « rebondir » sur l'intervention de Mme Leboul-Proust, sur ce que vous avez dit dans votre introduction et sur votre future audition conjointe des ministres de la Transition écologique et de l'agriculture. Dans les débats autour du gaz renouvelable, le fait qu'on nous ramène régulièrement à comparer le prix du gaz renouvelable avec celui du gaz fossile me frappe beaucoup. Or je donne toujours cette image : c'est comme si on comparait le coût de l'eau qui sort d'une station d'épuration, parce qu'on l'a traitée pour éliminer des déchets, avec celui d'une eau puisée dans la nappe phréatique la plus économique que l'on puisse trouver sur la planète avant de la transporter.

La CRE a fait des études pour bien souligner les externalités positives. Mais régulièrement, cette démarche est impactée par la logique de la politique publique de soutien à la méthanisation, qui est d'abord une logique de tarif de rachat. Cette politique touche également le budget d'un ministère. Or ce qui compte, pour nous, est de s'assurer qu'on est bien dans un cycle vertueux et de faire en sorte qu'on s'attache à des pratiques vertueuses en termes de culture intermédiaire à vocation énergétique. C'est l'objet de votre mission.

Comme le disait Mme Leboul-Proust, le WWF estime que si la méthanisation est bien faite, les résultats sont positifs pour la biodiversité : elle permet ainsi de maintenir le couvert végétal, évite le lessivage des sols, réduit l'usage d'herbicides et d'engrais chimiques. Si elle est mal faite, cela peut amener à répandre du plastique, à l'instar de ce qui se produit avec n'importe quel type de lisier dont on aurait pas bien vérifié les intrants.

Il existe une difficulté complémentaire par rapport aux autres filières : de très nombreux projets de méthanisation sont portés par des groupes d'agriculteurs qui n'en réalisent qu'un dans leur vie. La filière, qui doit être irréprochable, se trouve ainsi confrontée à la question fondamentale de savoir comment on assure un partage de compétences et un retour d'expérience, lorsque surviennent des accidents. Elle doit aussi se demander comment ces retours d'expérience peuvent profiter à tous, dans une logique d'exploitations isolées, et pas quelques grands industriels qui géreraient la totalité ou une partie significative des unités de méthanisation.

La position d'Engie est très claire : la méthanisation, comme d'autres moyens de produire du gaz renouvelable, que ce soient du power-to-gas, ou de hydrogène, ou d'autres est indispensable dans une trajectoire d'ambition zéro carbone pour le pays. Elle doit s'inscrire dans une valorisation vertueuse des déchets. Il faut non seulement s'assurer qu'elle se fait avec un coût de réseau optimisé, de façon à ce que la facture pour les clients soit la plus basse possible, mais aussi qu'elle entraîne toute une filière. Engie a souhaité lui-même investir dans des projets de méthanisation avec une ambition : 16 sites sont exploités par une filiale du groupe avec un objectif global de 10 % en part de marché, articulés autour de projets agricoles de taille moyenne bien insérés dans leur territoire et leur environnement.

Les retours d'expérience montrent qu'il est essentiel qu'un projet démarre dans de bonnes conditions avec les habitants. Faute de concertation locale ou d'information suffisante, des riverains peuvent effectivement redouter des odeurs. La réponse de bon sens consiste à dire que le procédé de méthanisation ou de putréfaction à l'intérieur d'une yourte de méthanisation vise justement à capter les gaz et les odeurs. Lorsque le procédé est bien fait, les odeurs sont moindres qu'avec des procédés naturels.

Nous travaillons dans le cadre de stratégies de filières sous l'égide du ministère de l'économie pour aider l'ensemble de la filière à progresser. Nous ne visons pas le zéro défaut mais nous souhaitons que toute la société soit convaincue que les éléments positifs de la méthanisation vont bien au-delà des quelques éléments négatifs qui peuvent arriver.

Pour avoir visité beaucoup d'installations dans mes précédentes fonctions, je peux vous assurer que, dans l'immense majorité des cas, les projets sont très bien insérés dans leur territoire, parce qu'ils sont portés par des agriculteurs ancrés localement. Engie souhaite s'appuyer sur de tels groupes d'agriculteurs, avec l'ambition à terme, d'utiliser quasiment exclusivement des cultures intermédiaires et d'être bien en-dessous du plafond maximum toujours autorisé des 15 % de cultures dédiées.

Je crois qu'il faudra aller plus loin. Si je prends l'exemple des tarifs de rachat, on s'aperçoit qu'aujourd'hui la grille applicable est directement proportionnelle au coût : il faudrait pouvoir trouver des moyens d'établir des bonus en fonction de la qualité des projets et de leur qualité dans la durée. Il en va ainsi, pour le secteur éolien, des projets participatifs dans lesquels sont impliqués les riverains. Ce genre de piste de réflexion permettrait en quelque sorte de « récompenser la vertu ».

Il ne suffit pas de dire qu'il faut que le tarif corresponde à des niveaux de coûts : cela peut conduire, en effet, à privilégier certains projets parce qu'ils optimisent le tarif et non parce que ce sont les meilleurs. À l'appui de mon propos, j'évoquerais un exemple que j'ai rencontré : celui d'un projet de station d'épuration conçu dans l'objectif de méthaniser ses boues. Le porteur du projet, qui était l'une des deux grandes sociétés bien connues dans ce domaine en France, me disait que l'optimum consisterait à viser un volume qui ne permettrait de traiter que la moitié des boues, parce que c'est celui qui donnerait lieu au meilleur taux de retour sur investissement.

La grille des tarifs de rachat est ainsi faite de telle façon que l'on a intérêt, non pas à être vertueux mais à optimiser ses calculs par rapport à la grille des tarifs. Un travail complémentaire doit être mené à bien, ce qui pourrait favoriser les petits projets, même si, dans certains cas, ce ne sont pas forcément les meilleurs, car ils ne présentent pas toujours les meilleures garanties de sécurité. Le très gros projet ne s'insérera pas dans son territoire, le trop petit pourra peut-être ne pas bien gérer sa sécurité. On est convaincu que l'optimum doit être entre les deux et surtout s'accompagner de bonus spécifiques valorisant des pratiques agricoles vertueuses.

M. Pierre Cuypers, président. - Merci Monsieur. Il faudra par la suite nous expliquer où se situe la limite entre les petits et les grands projets. J'aimerais connaître les curseurs.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Merci pour cette concision et cette précision. Je donne la parole à M. Trouvé.

M. Thierry Trouvé, directeur général de GRT Gaz. - Merci Monsieur le rapporteur. Je vais me concentrer sur quatre points dans mon propos liminaire.

Je me propose tout d'abord de reprendre quelques éléments chiffrés sur l'état de la filière. Mon collègue a évoqué la situation des installations raccordées au réseau de GRDF, qui représente une bonne partie, mais pas toute la France. Je souhaite vous fournir une vision d'ensemble de toutes les installations connectées aux réseaux de distribution, ainsi qu'aux deux réseaux de transport. Aujourd'hui, 214 sites sont raccordés à ces différents réseaux dont 80 % sont des sites agricoles, 10 % des sites de stations d'épuration et le reste correspond à de la valorisation de biodéchets (déchets de collectivités, déchets industriels, récupération de biogaz sur des décharges). Parmi les 80 % de sites agricoles, deux tiers sont des installations dites « autonomes » portées par un exploitant agricole, et un tiers des installations territoriales regroupant plusieurs agriculteurs associés. Les capacités totales de production raccordées représentent environ 4 TWh, soit « un petit » 1 % de la consommation française. Par rapport aux 3 TWh évoqués par mon collègue, vous voyez que les trois quart, voire plus, sont raccordés sur les réseaux de distribution, le reste étant raccordé aux réseaux de transport.

Ce n'est pas anodin car pour nous, industriels, cela constitue les prémices d'une inversion du mode de fonctionnement d'ensemble du système gazier. Le gaz arrive aujourd'hui de loin par des tuyaux (Russie, Qatar), et descend vers les distributions publiques. Avec le développement du biométhane, le gaz est produit localement et va remonter vers les réseaux.

On compte effectivement plus de 1 100 projets de méthanisation. Les 26 TWh correspondants représenteront à terme la consommation d'environ 2,2 millions de ménages, le jour où ils seront raccordés, ce qui n'est pas anodin. Parmi ces projets, on compte beaucoup de petits projets agricoles mais aussi quelques grands projets qui regroupent parfois plusieurs dizaines d'agriculteurs. La répartition géographique est intéressante : le développement est assez marqué dans le Grand Est et les Hauts-de-France, tandis que l'Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur sont à l'inverse assez en retrait, du fait de leur structure agricole. Ces éléments nous poussent à dire qu'on pourra dépasser l'objectif prévu par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) à l'horizon 2028, et qu'on est en ligne pour respecter l'objectif de la loi, qui est de 10 % de la consommation à l'horizon 2030.

Mon collègue vous a parlé de la filière industrielle, qui est importante, car le chiffre d'affaires ainsi qu'une valeur ajoutée élevés restent en France, contrairement à d'autres filières d'énergie renouvelable. Nous disposons par ailleurs du tissu industriel pour fabriquer ces installations.

Je souhaite aborder un deuxième sujet : les réseaux. Vous avez voté, dans la loi EGalim, le droit au raccordement des installations de production de biométhane. Je vous indique que cela fonctionne bien. S'il y a quelque chose à retenir de ce sujet un peu technique, c'est que, quelle que soit la façon dont les producteurs s'organisent et quel que soit l'endroit où ils s'installent, nous, gestionnaires de réseaux (transport et distribution), travaillons ensemble pour être en mesure de leur proposer les meilleures solutions techniques de raccordement et d'adaptation de nos réseaux, au meilleur coût, sous le contrôle du régulateur. Ces solutions techniques sont nombreuses : nous utilisons par exemple le maillage des réseaux de distribution, qui consiste à connecter des réseaux de distribution entre eux pour permettre un plus grand exutoire. Quand c'est insuffisant, on pose des installations de rebours, qui envoient l'énergie se trouvant sur le réseau de distribution vers le réseau de transport - cela va dans le sens inverse du fonctionnement dont je parlais tout à l'heure. Cela permet d'aller dans d'autres régions, dans les stockages souterrains de gaz et, par là même, de stocker ce gaz pendant l'été et l'utiliser en hiver.

Nous travaillons dans le cadre de concertations publiques organisées sur les territoires. Chaque partie prenante est amenée à s'y exprimer. Nous effectuons actuellement des plans de zonage pour éclairer les porteurs de projets : 190 zonages ont ainsi été préparés par l'ensemble des gestionnaires de réseau, de distribution et de transport, et validés par le régulateur. 100 zones supplémentaires sont en cours d'élaboration. On aura ainsi « quadrillé » l'ensemble du territoire national d'ici un à deux ans. Actuellement, trois installations de rebours fonctionnent déjà, tandis qu'une demi-douzaine est en construction, et une vingtaine d'autres sont prévues dans les années qui viennent.

Le biométhane constitue donc la seule énergie renouvelable dont la production tout au long de l'année est à peu près constante. Elle fluctue peu, ne serait-ce que parce qu'on peut stocker les intrants. Elle offre des possibilités de stockage quasiment illimitées d'une saison à l'autre. De notre point de vue, cela signifie que le biométhane issu de la méthanisation, avec les autres filières de production de biométhane et d'hydrogène, est un élément clé de la transition énergétique. Il offre une complémentarité idéale avec le vecteur électrique, confronté à la problématique de l'intermittence de la production et à l'absence de solution de stockage de grande capacité.

J'en viens au troisième point de mon propos. Je voudrais ainsi attirer votre attention sur un « angle mort » des dispositifs de soutien au biométhane : il n'existe pratiquement pas de dispositif incitant au développement de la demande. On a beaucoup travaillé sur l'offre (tarifs d'achat, droit au raccordement, production), mais il n'existe quasiment aucun dispositif incitant à utiliser du biométhane, plutôt que du gaz fossile. De notre point de vue, c'est à la fois choquant sur le plan des principes et cela constitue surtout une perte d'opportunité, en termes de développement et de financement de la filière.

Voici quelques exemples, à titre d'illustration. Nous n'avons pas encore réussi - et c'est un combat difficile dont j'ignore si on le gagnera - à faire reconnaître le biométhane comme un élément de chauffage dans les habitations. Le débat sur la réglementation environnementale 2020 (RE2020) montre que le projet Méthaneuf porté par GRDF et la filière n'a pour l'instant pas encore réussi à convaincre.

Deuxième exemple : un industriel qui utiliserait du biométhane plutôt que du gaz fossile pour son processus de production ou son chauffage, ne pourrait pas en faire reconnaître le bénéfice, en termes d'émission de dioxyde de carbone, dû à l'usage du biométhane, dans le système de quotas de CO2. Ce n'est pas prévu par la réglementation, et l'on sent même, quand on évoque la question avec l'autorité administrative, qu'elle n'y est pas favorable. Il s'agit, selon nous, d'une aberration de principe. Qui plus est, on se prive d'une opportunité, car certains seraient prêts à payer davantage pour faire valoir qu'ils utilisent du gaz vert. Cela constituerait une source de financement supplémentaire pour le développement de la filière. Dans le domaine de la mobilité, les choses sont comparables : des annonces sur la mobilité lourde ont récemment été faites portant sur des aides pour les poids lourds électriques et à hydrogène, mais rien sur le BioGNV (gaz naturel pour les véhicules renouvelable).

Dernier élément pour illustrer mon propos : la réforme des garanties d'origine a pour effet d'éloigner la production de la consommation et, en particulier, de casser des boucles locales qui auraient pu se mettre en place. Il est en effet très compliqué, pour des collectivités locales, de récupérer les garanties d'origine d'une production locale, de façon à transférer le gaz ainsi produit dans une station-service pour alimenter des véhicules ou chauffer un lotissement. Ce sujet ne semble pas réellement pensé. Lorsqu'on le met sur la table, on se voit opposer cette logique de production.

Dernier point : je souhaite vous dire un mot des filières complémentaires à la méthanisation. Dans votre questionnaire, vous évoquiez la pyrogazéification. La gazéification hydrothermale, elle aussi, apparaît moins mûre que la méthanisation, tout en étant complémentaire par rapport à cette dernière. La pyrogazéification pourrait représenter autour d'1 TWh à horizon 2030. C'est peu par rapport aux 40 dont j'ai parlé implicitement tout à l'heure avec l'objectif des 10 % de gaz renouvelable, mais c'est une technologie intéressante. Elle permet de traiter des déchets non fermentescibles (déchets de biomasse, de plastique ou de bois B) et, en les chauffant, de faire du gaz. Cette technologie existait au XIXe siècle pour produire du gaz de ville à partir de charbon. Le procédé est aujourd'hui similaire, sauf que les intrants sont du bois ou des déchets non recyclables. De même, la gazéification hydrothermale pourrait représenter 1 TWh à l'horizon 2030. Il s'agit cette fois-ci de traiter des déchets humides, voire des résidus liquides. Elle est complémentaire de la méthanisation pour valoriser des intrants dont le retour au sol serait problématique, ou même pour traiter des digestats de la méthanisation. Cette filière commence à se structurer.

Ces deux filières auraient besoin d'un petit « coup de pouce » des pouvoirs publics destiné à encourager leur développement et leur reconnaissance dans la valorisation des déchets. Je pourrai développer davantage ce point, si vous le souhaitez, tout à l'heure.

M. Pierre Cuypers, président. - Je vous remercie. M. le rapporteur va désormais poser quelques questions, puis nous passerons à celles des sénateurs ici présents et en visio-conférence.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Merci Monsieur le Président. Puisque nous recevons des personnes chargées des infrastructures d'acheminement, je souhaiterais en commencer par là. J'aimerais connaître le coût du raccordement, au kilomètre par exemple. Ce coût n'induit-il pas une taille minimale d'installation, suivant l'endroit où l'on se trouve ? Imaginons par exemple une méthanisation assez isolée, nécessitant de nombreux kilomètres de raccordement : pour avoir un modèle économique qui tienne, n'aura-t-on pas tendance à surdimensionner cette installation pour équilibrer les coûts ? Dans le même ordre d'idées, ce coût de raccordement n'induira-t-il pas aussi l'utilisation de davantage de cultures dédiées, puisqu'une certaine rentabilité est attendue.

Par ailleurs, pouvez-vous, les uns et les autres, me donner des précisions sur les montages ? Comment fonctionne ce raccordement, quels sont les coûts induits, comment sont-ils répartis ? Enfin, quand on a de grands linéaires, les raccordements n'affectent-ils pas le bilan carbone de la filière biogaz ? A-t-on calculé l'énergie grise au kilomètre, nécessaire à un raccordement ?

M. Frédéric Martin. - À réception des demandes de raccordement, on regarde, tout opérateur confondu, le potentiel sur la zone. Il est tenu compte des sites opérationnels et en projet, en calculant le ratio I/V (investissement / volume produit), qui fait partie de l'arrêté du 28 juin 2019 relatif aux modalités du droit à l'injection.

Plus précisément, le législateur, d'un commun accord avec la CRE, a fixé un seuil du critère I/V de 4700 €/nm3/h. Cela signifie que, au-delà de ce seuil, les investissements de réseaux sont trop élevés pour être directement éligibles au dispositif de couverture tarifaire des renforcements et sont pris en charge par le porteur de projets. En-dessous de ce seuil, la partie « renforcement maillage » est prise en charge par le tarif national. Le porteur de projet paie en tout état de cause 100 % de son poste d'injection et bénéficie d'une réfaction de 40 % sur le coût de son raccordement jusqu'à l'artère principale.

D'une façon générale, on constate que 80 % du potentiel agricole mis en évidence dans l'étude Solagro est accessible à moins de 12 km des réseaux existants de gaz. Le raccordement apparaît donc assez aisé à réaliser. Au surplus, le coût pour tirer une canalisation est de l'ordre de 100 euros du mètre (hors cas spécifiques).

Le taux de perte sur l'ensemble du réseau est limité à 0,13 %, pour toutes les canalisations confondues. Le conseil d'administration de GRDF recherche à améliorer encore ce niveau, avec un objectif de -30 % par molécule transportée à échéance de 2030, pour son activité propre.

M. Pierre Cuypers, président. - Vous parlez de perte sur les tuyaux qui fuient, ou les raccordements ?

M. Frédéric Martin. - Oui. Par exemple, le centre de Paris est le plus vieux réseau de France. On a des vieilles canalisations.

M. Pierre Cuypers, président. - Ah oui. C'est plus dans la distribution que dans l'alimentation du pipe.

M. Frédéric Martin. - Oui, on parle bien de cela.

M. Pierre Cuypers, président. - Il faut bien différencier les deux : c'est sur votre réseau, on est bien d'accord.

M. Frédéric Martin. - Oui, c'est le bilan carbone de l'activité liée au distributeur.

En ce qui concerne la partie bilan et coût, aujourd'hui, pour l'ensemble des porteurs de projet, le dossier fait l'objet d'une demande auprès des pouvoirs publics, spécifiant la taille et la mesure des intrants. Si le dossier ne respecte pas les critères fixés par le législateur, normalement il « ne passe pas ». Cet agrément n'est pas du ressort de GRDF, qui, en revanche, s'assure de la volumétrie et de la présence des dispositifs de sécurité et de qualité du gaz.

M. Pierre Cuypers, président. - J'aurais voulu une réponse précise sur la différence entre grande et petite entreprise de méthanisation.

M. Édouard Sauvage. - Je vais vous surprendre. Pour moi, c'est l'un des problèmes du système actuel. Ce que l'on doit considérer comme un petit ou un grand méthaniseur n'est pas la même chose en Seine-et-Marne, en Ille-et-Vilaine, dans les Vosges ou en Pyrénées-Atlantiques, alors même qu'on a établi tout un ensemble de critères qui définissent le même taux où que vous soyez en France et quel que soit le type d'intrant. Parmi les axes de progrès, nous tenons à dire qu'il faut un projet adapté au territoire. J'ai eu la chance d'être invité par un collègue gazier québécois qui m'a fait visiter un méthaniseur. Dans les grandes plaines du Québec, la collectivité est prête à accepter des installations sans aucun rapport, en termes de taille, avec ce qui sera considéré comme acceptable en France. La territorialisation est donc essentielle.

Pour moi, c'est une réponse adaptée à chaque territoire qui doit être faite. De facto on ouvre la porte à une prise en compte des spécificités régionales dans cette politique.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Tout est une question d'échelle, si je comprends bien.

M. Édouard Sauvage. - Exactement. Vous n'aurez pas les mêmes enjeux, en termes d'acceptabilité, dans les grandes plaines céréalières de la Beauce et dans des petites communes bretonnes.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Je reviens aux cultures dédiées. N'induisent-elles pas, pour avoir un meilleur rendement, d'aller jusqu'à 15 %, c'est-à-dire le plafond ? En outre, une législation peut évoluer : imaginons que ce plafond passe demain à 5 %. Le modèle économique tiendrait-il encore en baissant ce pourcentage ?

M. Frédéric Martin. - En tant qu'opérateur de réseau, on ne voit pas cet aspect-là.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Non, je m'en doute bien.

M. Frédéric Martin. - En revanche, quand on discute avec les porteurs de projet et que l'on voit les méthaniseurs se monter, l'attention porte plutôt sur la nature de l'activité actuelle, sur la volumétrie des déchets (celle dont je maîtrise la source), si c'est rentable ou pas, s'il faut s'associer avec des collègues agriculteurs aux alentours. Édouard Sauvage l'indiquait : en ce qui concerne la taille des méthaniseurs, sur les 1 100 en cours, 1 000 se situent en-dessous de 30 GWh ; ce sont donc vraiment des projets agricoles locaux. Globalement, on est donc à 90 % des projets en-dessous de 30 GWh et 10 % au-dessus, avec à l'extrême limite 20 projets au-dessus de 100 GWh

M. Thierry Trouvé. - Je souhaite compléter ce qu'a dit Frédéric Martin.

Je vais commencer par les cultures dédiées. Nous ne sommes pas des spécialistes, mais il faut avoir en tête qu'elles ont une valeur économique : elles ont un prix de marché et un coût de production, contrairement aux effluents majoritairement utilisés dans ces installations. Certes, certaines cultures dédiées peuvent avoir une valeur énergétique supérieure, mais la balance économique n'est pas forcément évidente. Comme disait M. Martin, quand on discute avec les porteurs de projet, on n'a pas le sentiment que leur obsession consiste à s'orienter vers ce type de culture, pour les raisons que je viens d'indiquer.

Par ailleurs, dans l'esprit de la loi EGalim, le droit au raccordement n'est pas absolu. On ne nous autorisera pas - et nous ne le ferions pas pour des raisons évidentes - à aller chercher une minuscule production isolée à 100 km du réseau. Le régulateur, qui contrôle cela, ne nous le permettrait pas. L'idée consiste à trouver le meilleur schéma, qui réponde à certains critères économiques. Quand ce n'est pas le cas, soit que l'installation soit isolée et ne justifie pas d'installer le réseau, soit qu'elle soit trop lointaine, on attend que d'autres installations arrivent pour former une masse suffisante. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'obtenir la quantité d'installations de biométhane prévue par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ou par le législateur, sans en faire trois ou quatre fois plus.

Une autre illustration est fournie par le biométhane aujourd'hui non injecté : il existe des endroits où, pour des raisons de taille ou d'éloignement du réseau, la production n'est pas injectée dans le réseau et elle peut être utilisée dans une station-service, par exemple, pour alimenter les véhicules.

Troisième point : le transport d'énergie sous forme de gaz - et ce n'est pas spécifique au biométhane - est cinq à dix fois plus efficace, en termes de coût et de dépense énergétique, que le transport d'électricité. Une installation de production qui injecte sur un réseau lui est connectée. Il y a peu à faire pour que le gaz arrive dans le réseau, et il est ensuite repris. Mieux : le biométhane est consommé sur place, à la différence du gaz naturel qui vient de loin. Son chemin dans le réseau conduit à ce que l'énergie qu'il dépense pour arriver jusqu'au consommateur soit beaucoup plus faible que le gaz fossile, importé à 100 %.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Vous avez parlé du stockage, et vous avez même évoqué une capacité « illimitée » !

M. Thierry Trouvé. - J'ai dit « illimitée », vous avez raison. En France, on est capable de stocker environ un tiers de la consommation annuelle en gaz. Rappelons que l'on consomme dans notre pays autant d'énergie sous forme d'électricité que sous forme de gaz : on sait stocker d'une saison à l'autre un tiers de ces 450 TWh environ. C'est très utile parce que le système gaz fonctionne ainsi : on stocke en été et on déstocke en hiver. Le biométhane peut accéder évidemment au stock de gaz qui existe un peu partout en France.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Vous avez parlé de la gazéification et de la technologie power-to-gas. Quel est l'avenir de ces deux filières ?

M. Thierry Trouvé. - Nous considérons que le gaz, comme l'autre vecteur énergétique qu'est l'électricité, va se « verdir ». À horizon 2050, nous voyons un système gazier complètement décarboné - à l'image de ce que sera la France. À partir de quelle source le gaz se « verdira » complètement, de notre point de vue ? Tout d'abord, la consommation à l'horizon 2050 aura baissé d'au moins un tiers, notamment en raison des efforts d'efficacité énergétique - qui sont menées à bien depuis des années et qui entraînent déjà une baisse de la consommation. Ensuite, un tiers de la consommation restante sera fourni par des technologies de méthanisation dont nous venons de discuter. On pourrait penser qu'un autre petit tiers pourrait provenir des technologies de gazéification hydrothermale et de pyrogazéification. Le dernier tiers correspondrait à la grande famille des hydrogènes.

En ce qui concerne l'hydrogène, de grandes incertitudes demeurent quant aux technologies de production. Sera-t-il d'origine intégralement renouvelable ? Sera-t-il « bleu » c'est-à-dire produit à partir de technologies neutres en carbone ? Il est trop tôt pour le dire.

Le power-to-gas fait partie de ces technologies de production d'hydrogène. Il permet, à partir d'électricité et par électrolyse, d'obtenir du gaz : soit de l'hydrogène que l'on peut injecter en mélangeant dans les réseaux de gaz naturel, soit de l'hydrogène qu'on peut injecter dans un réseau dédié d'hydrogène. Dans nos études, nous travaillons à la conversion d'une partie de notre réseau à l'hydrogène. On a souvent deux canalisations parallèles dans les réseaux de transport. À l'horizon 2040, la consommation de méthane aura baissé suffisamment pour qu'on puisse dédier l'une des deux canalisations au méthane et l'autre au transport d'hydrogène pur. Nous essayons d'autres technologies, sur le démonstrateur Jupiter 1000 à Fos-sur-Mer, qui consistent à mélanger l'hydrogène produit par le power-to-gas avec du CO2 fatal, récupéré sur une installation agricole ou industrielle, pour refaire du méthane de synthèse, qui est injecté sans difficulté en mélange avec le reste du gaz.

Ces technologies sont très intéressantes. Il a été suffisamment dit que l'hydrogène était un chaînon manquant de la transition énergétique. On voit au fond la complémentarité de ces technologies pour « verdir » l'ensemble du réseau gazier et faire en sorte qu'à terme le système électrique contienne plus de renouvelable qu'aujourd'hui. Le système gazier serait complémentaire de l'électrique et pourrait venir à son secours, notamment dans les périodes de pointe de froid, puisque nous savons stocker ces grandes quantités d'énergie.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Si je comprends bien, dans les raccordements que vous faites, un tuyau peut servir de la même manière au CH(méthane) qu'au H(dihydrogène). Ce sont les mêmes tuyaux ?

M. Thierry Trouvé. - Oui. Je n'ai pas parlé des tuyaux de raccordement, puisque les installations de biométhane qu'on fait aujourd'hui ont vocation à rester. Le gisement est par définition infini, sauf à ce que l'agriculture disparaisse de notre pays. Je parlais plutôt des réseaux habituels de transport. Cela ne se fait pas en un « claquement de doigt », et certaines précautions doivent être prises. Les problèmes technologiques sont de nature différente, selon que l'on se trouve sur un réseau de distribution en polyéthylène (plastique) ou des réseaux de transport en acier.

Mais dans tous les cas, il y a des solutions. Je laisserai mon collègue de la distribution en parler pour les expérimentations que GRDF a menées. Nous travaillons avec d'autres transporteurs européens qui ont les mêmes recherches que nous et nous sommes confiants sur la capacité de convertir nos tuyaux du méthane en l'hydrogène. Cela a été fait par nos collègues aux Pays-Bas il y a quelques années sur un tuyau à Rotterdam et cela fonctionne très bien. Nous-mêmes avons un projet pilote de conversion de 70 km de canalisations existantes à 100 % d'hydrogène, situé à la frontière entre l'Allemagne, la France et le Luxembourg, au niveau de la Moselle et de la Sarre.

M. Pierre Cuypers, président. - Le stockage se fait-il dans des gouffres, ou dans des réservoirs ?

M. Thierry Trouvé. - Le stockage dont j'ai parlé est souterrain : il se fait soit dans des formations géologiques qui permettent de stocker sous une bulle d'eau le gaz, emprisonné dans une roche mère, comme c'est le cas dans un gisement finalement, soit, pour les stockages dans le Sud-Est de la France, par le biais de cavités salines, qu'on a creusées dans une couche de sel avec de l'eau - dont on a remonté la saumure - et qui sont ensuite remplies de gaz. Cela se fait à des pressions importantes, et ce sont des cavités de grande taille.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Ce sont même des idées pour stocker du dioxyde de carbone, au cas où.

M. Thierry Trouvé. - Oui, éventuellement, et puis de l'hydrogène. Ces stockages, en particulier ceux en cavités salines, peuvent être reconvertis à l'hydrogène.

Si vous me permettez, je veux dire quelque chose qui me tient à coeur : nous vivons la troisième révolution du gaz. La première reposait sur le gaz de ville, que l'on produisait à partir du charbon. Le gaz était composé d'hydrogène et de méthane. Est venu ensuite le gaz naturel qu'on cherchait, comme le pétrole, dans des gisements : c'était du méthane. Désormais, dans cette troisième révolution, nous travaillons de nouveau sur ces fameux gaz, dont j'ai parlé, et qu'on va produire comme au XIXe siècle : ils seront composés, soit purs, soit en mélange de méthane et d'hydrogène. L'histoire se répète avec des technologies qu'on va rechercher, notamment la pyrogazéification.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - C'est là que l'on voit l'ambivalence du terme de « naturel » pour le gaz. Ma dernière question porte sur les tarifs de soutien : qu'en pensez-vous ? Sont-ils à la hauteur ? Sur combien de temps doit-on envisager un retour sur investissement pour un méthaniseur ?

M. Édouard Sauvage. - C'est perfectible. Même si la durée des tarifs de soutien dans les renouvelables électriques est plutôt de 20 ans, on pense que la durée de 15 ans est plutôt bonne. De manière générale, s'orienter vers des amortissements d'installation plus rapides est plutôt positif. On doit faire une distinction entre les projets qui ont besoin de visibilité avec les tarifs de rachat, et d'autres qui répondraient à des appels d'offre.

On a plus d'interrogations sur le système d'ajustement un peu automatique des tarifs de rachat : cela fait perdre de la visibilité aux porteurs de projet. Engie est le premier opérateur de renouvelable électrique en France, aussi bien en éolien terrestre qu'en solaire. Et j'insiste : dans le domaine, les grandes entreprises savent s'adapter à un système où les tarifs seront plus ou moins élevés en fonction de la PPE, mais, en revanche, les agriculteurs ne font qu'un projet dans leur vie. Ne leur permettre de connaître le tarif applicable, qui dépend de notre position dans la trajectoire PPE, qu'après avoir lancé le projet et obtenu le statut d'installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), c'est inadapté à la cible visée. On veut, en effet, jouer sur la complémentarité : non seulement produire du gaz renouvelable, mais aussi soutenir une agriculture durable.

Je rappelle que, dans les bilans d'émission de gaz à effet de serre, l'agriculture est un enjeu majeur de décarbonation. La méthanisation constitue une des manières, pour l'agriculture, de se décarboner. Christiane Lambert a tout à fait raison lorsqu'elle dit que l'on « se tirerait une balle dans le pied » si on imposait des contraintes à l'agriculture française tout en continuant à importer des produits agricoles qui viennent de pays qui n'ont pas ces contraintes. C'est tout l'intérêt d'aider les agriculteurs : on pense que ce système est peu adapté, et d'autant moins que la trajectoire PPE n'est pas en ligne avec ce qu'il faut faire. Elle pose des objectifs en 2028 qui se situent à la moitié de l'ambition demandée par le Parlement pour 2030. C'est totalement « hors des clous ». De plus, l'objectif de 10 % de gaz renouvelable en 2030, comparé à l'ambition de 100 % en 2050, nous engage sur une mauvaise trajectoire.

C'est paradoxal, car on a deux fois plus de projets que cette trajectoire. La réalité des projets correspond à cette cible ultime qui consiste à décarboner et à valoriser la totalité du potentiel de méthanisation agricole. L'Ademe, Solagro et l'Inrae s'accordent pour évaluer ce potentiel à 100 à 150 TWh : il faudra l'exploiter d'ici 2050. Faisons-le en donnant de la visibilité et en se mettant sur une trajectoire de croissance régulière. Nous avons trouvé très regrettable la logique qui a conduit les tarifs à chuter brutalement en novembre 2020 : cela a entraîné un emballement des porteurs de projet, qui se sont dépêchés d'arriver avant que le guichet ne ferme, et a généré pour la filière un stop-and-go mauvais pour tout le monde. Il faut plutôt en passer par une logique de réduction progressive de soutien, qui serait la seule efficace, parce que cette filière, au fur et à mesure de son développement, va voir baisser ses coûts.

N'en attendons toutefois pas trop. La filière va certes s'améliorer dans son procédé industriel et en termes de sécurité grâce aux retours d'expérience. Mais, après que les premiers pionniers ont tenté la méthanisation par injection en Seine-et-Marne avec des installations correctes et bien installées, les projets de demain, seront plus difficiles, car implantés progressivement dans des zones agricoles un peu moins fertiles. Dès lors, le contenu méthanogène de leurs déchets sera probablement moins riche. Il se passera la même chose que pour l'éolien : si on retire l'éolien offshore, on s'aperçoit que les tarifs de rachat ne descendent plus. Les gens sont rationnels et ont installé les premières éoliennes où il y avait le plus de vent. Ensuite, bien que les technologies s'améliorent, on est obligé d'aller à des endroits moins ventés. Il en va de même pour la méthanisation : le progrès technologique ne fait que compenser le fait qu'on aille dans des zones moins fertiles.

Il faudra être cohérent : si on veut décarboner, il convient de développer le potentiel de valorisation des déchets agricoles et de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l'agriculture. Cela ne peut se faire que par un soutien public. Et je rejoins Thierry Trouvé : il est dommage qu'on ne rajoute pas des soutiens publics à certains consommateurs. Quand GRDF, dont j'étais à l'époque directeur général, a lancé le projet Méthaneuf, des promoteurs immobiliers valorisaient le fait de négocier un contrat d'achat de gaz avec un agriculteur des environs, car des clients trouvaient cela positif. De notre point de vue, il est donc complètement absurde de ne pas cumuler soutiens publics à la production payés par le contribuable, et incitations à des consommateurs qui souhaitent être vertueux et sont prêts à payer plus cher. Certains fournisseurs d'électricité, dont je ne ferai pas la publicité, se conforment à cette logique, consistant à vendre l'électricité plus cher, tout en garantissant qu'elle est produite d'une certaine manière. C'est là qu'une liberté doit être laissée aux différents acteurs de marché pour promouvoir ce type de produit.

M. Patrick Chauvet. - Merci de votre présence et de vos interventions. J'aurais quelques questions.

Je m'interroge sur la place accordée à des unités plus autonomes. Celles-ci auraient comme intrants des effluents d'élevage, des cultures intermédiaires et peut-être d'autres cultures. En grande majorité, elles généreraient moins d'épandage et donc moins de transport. Elles poseraient moins de question d'acceptation de la population locale. Est-ce un modèle qu'on peut imaginer sur nos territoires ? Si oui, j'y vois un outil d'aménagement du territoire pour pérenniser l'agriculture et l'élevage. C'est ma première question.

Par ailleurs, trois éléments fondent la rentabilité d'une unité de méthanisation. Premièrement : le potentiel méthanogène des intrants. On peut « dériver » pour aller chercher le plus méthanogène et le plus rentable : finalement le minerai qu'est l'effluent d'élevage se placera en second rang, ce qui nous fait passer à côté de l'intérêt général et du volet économique et aménagement du territoire. Deuxièmement : le prix de rachat. Je voudrais rappeler ce qui s'est passé dans le solaire : à un moment donné on a baissé le prix de rachat et donc la subvention, et, comme par hasard, les prix des panneaux ont baissé d'autant. La rentabilité est toujours la même : votre investissement à amortir est moindre, vous avez un prix de rachat moindre, et c'est plus efficient. Est-on à la veille de la démocratisation des coûts d'investissements pour la méthanisation ? J'ai vu des coûts de génie civil qui me surprenaient. On me dit que c'est le début et que la filière n'est pas mature. Si on a des coûts trop élevés à l'investissement, il faut des prix de rachats « musclés ». Y a-t-il une optimisation qui va se faire au fil du développement ? Enfin, on voit bien qu'en réinjection, tous les territoires ne sont pas égaux, parce qu'il faut avoir du réseau. La méthanisation agricole se situera plutôt en zone périurbaine, là où on a du réseau et là où on a de la consommation - soit industrielle soit par l'habitat - et les territoires les plus retirés vont encore « passer à côté ». Y a-t-il d'autres alternatives au transport ? Pour la mobilité, on peut avoir un débouché et c'est l'une des alternatives. Mais le gaz se transporte en citerne aussi : je pense à quelques communes rurales qui avaient développé des réseaux de gaz alimentés de cette façon.

M. Olivier Rietmann. - Je vais faire au plus court. Je suis sénateur de la Haute-Saône. En France, l'objectif est fixé à 10 % de gaz « propre » utilisé d'ici 2030. La Haute-Saône aura certainement atteint les 50 % en 2023.

Je me pose une question. Vous avez évoqué tout à l'heure, Monsieur Trouvé, la réglementation thermique RT2020. Son application va supprimer l'installation de chaudières au gaz dans les constructions nouvelles d'ici quelques années. Quel en sera impact sur la production de gaz ? Il n'y a pas, en effet, de distinction aujourd'hui entre le gaz propre et le gaz issu d'autres productions. Cela pose la question de la montée en puissance de la production de gaz au niveau français, et notamment sur les secteurs ruraux comme les nôtres. Cela peut-il avoir une influence sur les deux cas de méthanisation - en production de gaz en injection, ou en production électrique par cogénération ? Ne vaudrait-il pas mieux s'orienter vers de la production électrique plutôt que de la production de gaz ? Trouvera-t-on d'autres débouchés à la méthanisation, pour pallier cette absence d'utilisation du gaz dans les systèmes de chauffage des constructions nouvelles ?

Mme Angèle Préville. - Je suis sénatrice du Lot. Je me réjouis de voir que, parmi les méthaniseurs qui s'installent maintenant, il n'y en ait pas de gros comme dans mon département : on y fait venir par camion des déchets pour les faire rentrer dans ces installations. Il est plutôt vertueux d'aller vers les petits méthaniseurs.

Je veux parler de la stratégie et de la trajectoire, qui est celle d'une croissance régulière pour tendre vers 100 % de gaz renouvelable en 2050, et les 10 % visiblement atteignables en 2030. L'impact qu'aura sur les territoires l'installation de tous les méthaniseurs envisagés a-t-il été prise en compte ? Cela correspondra à une croissance massive. Cela a-t-il été évalué, avec tous les intrants nécessaires ?

Sur la stratégie nationale bas carbone, il me semble qu'on va avoir une conversion vers l'hydrogène. L'hydrogène, quand il est brûlé, ne produit pas de dioxyde de carbone, donc ce n'est pas du tout la même qualité de gaz. Le biométhane ne serait donc qu'une solution intermédiaire, un « passage vers » un autre équilibre, à base d'hydrogène.

Vous avez également parlé de conversion des réseaux. Quel en est le coût ? Est-il important ? Le gaz hydrogène est beaucoup plus léger, et donc sur les fuites, cela pose un problème technique plus important que sur le méthane.

Enfin, sur la pyrogazéification : elle est peut-être vertueuse car elle valorise les déchets, mais il s'agit d'une technique de production de gaz consommatrice d'énergie.

M. Frédéric Martin. - Je réponds d'abord à la première question, portant sur le fait de savoir si la petite méthanisation est possible. Oui : sur les 1 100 projets, 250 font moins de 10 GWh. Parmi eux, une grande partie ne concerne qu'une exploitation agricole. Cependant, lorsque l'exploitation agricole est loin du réseau, il ne faut pas forcément chercher l'injection : si la cogénération est plus pertinente, il n'y a pas de sujet. Le dispositif mis en place par la CRE est là pour garantir que l'économie globale de la méthanisation par injection reste pérenne et durable, et surtout soutenable pour le consommateur final.

Les externalités positives, en termes d'emplois, sont impressionnantes. On estime en 2021 qu'environ 7 000 personnes travaillent de manière directe ou indirecte dans la méthanisation. On était à 4 000 en 2018, et on est sur une trajectoire de 50 000 emplois en 2030.

Sur les coûts de réalisation, j'ai une double réaction. La filière travaille sur la baisse des coûts : comme tout industriel, lorsque l'on veut vendre un produit, on cherche à les placer et à baisser les coûts. En tant que partenaire de ces porteurs de projet et gestionnaire d'actifs des collectivités, ne serait-ce que sur le poste d'injection, on a baissé en moins de cinq ans de 20 % le coût de ce dernier.

Sur le génie civil, je ne dispose pas des données que vous avez, mais je vois plutôt que ce sont des entreprises locales qui interviennent.

Sur la partie « filtration », j'observe des systèmes qui s'améliorent. Je ne sais pas si les coûts baissent de manière aussi drastique, mais je constate que le niveau de qualité et de sécurité des installations augmente fortement. En revanche, quand vous créez une bulle en annonçant que les tarifs doivent baisser de 30 %, les entreprises se retrouvent alors avec une multitude de demandeurs, ce qui ne fait pas baisser les coûts. On parlait de dispositif de soutien : c'est vrai que l'enveloppe mal fixée par l'État (par rapport à l'objectif des 10 % de gaz naturel) sera consommée grosso modo en 2025. Il est important de prendre un dispositif relais qui nous donne de la trajectoire jusqu'en 2050. La trajectoire actuelle revient à 3 ou 4 TWh par an, et quand vous multipliez par le nombre d'années, on arrive tout naturellement à la méthanisation et le potentiel offert par le foncier agricole français, sans détournement de l'usage alimentaire.

Il est important de donner cette visibilité-là. Les industriels et les agriculteurs n'auront pas cette pression, et ensuite la régulation du prix se fera par des appels d'offre progressifs qui feront baisser les coûts. Un deuxième critère est important : le dispositif des pouvoirs publics doit prévoir, dans la durée, de relayer les coûts des porteurs de projets arrivant en fin de contrat d'achat. En effet, une fois que votre installation ne sera plus soutenue par l'État, vous aurez une installation qui aura été amortie sur quinze ans, alors que le réseau gaz des collectivités a une durée de vie de cent ans. Vos dépenses d'investissement sont alors amorties, le réseau raccordé, le génie civil est fait : avec une petite remise à niveau d'ajustement à effectuer, globalement, votre installation peut repartir tranquillement pour quinze ans.

M. Thierry Trouvé. - Je veux dire un mot de l'impact de la réglementation environnementale de 2020 sur les débouchés de gaz. À peine 1 % du gaz consommé en France est renouvelable. Il y a donc encore 99 % de gaz à convertir dans les usages actuels (habitations, chauffage, industrie, mobilité). La problématique de débouché du gaz renouvelable mérite d'être approfondie, à défaut ce serait une perte d'opportunité. Comme le disait Édouard Sauvage, Méthaneuf permet de chercher des financements qui, sinon, n'existeraient pas : des promoteurs sont prêts à mettre de l'argent pour financer des installations nouvelles de biométhane, et on voudrait s'en priver pour des raisons qu'on n'a pas encore bien comprises.

Sur la question du méthane face à l'hydrogène, vous disiez, Madame la Sénatrice, que le biométhane consacrerait une espèce de transition avant l'hydrogène qui, quand on l'utilise, n'émet pas de CO2. Mais il faut regarder l'ensemble de la chaîne. Si vous prenez un taxi qui fonctionne à l'hydrogène à Paris, certes vous ne verrez pas de COpartir du pot d'échappement. Mais l'hydrogène qu'on met dedans, lui, a été produit avec du gaz naturel fossile, ce qui, à ce moment-là, a émis du CO2. À l'inverse, si vous prenez un moyen de transport comme un bus de la RATP fonctionnant au biométhane, vous verrez du COqui part du pot d'échappement, mais ce carbone a été capté l'année précédente dans la culture qui a poussé et qu'on a mise dans le méthaniseur. C'est pour cela que l'on dit qu'il est neutre en carbone, car on est sur un cycle court. Il faut donc bien regarder les choses en analyse de cycle de vie. L'hydrogène est très bien si on le produit avec des moyens neutres en carbone, mais à terme, ce n'est pas le biométhane qui va laisser sa place à l'hydrogène. On aura plutôt une complémentarité entre les deux.

Sur le coût de la conversion des réseaux, je ne peux encore vous donner de chiffre, même si on travaille dessus et que l'on mène différentes actions de recherche. Selon nous, on devrait pouvoir utiliser un bon nombre de canalisations d'acier existantes, moyennant quelques précautions, notamment une baisse de la pression d'exploitation. Il faudra sans doute changer des vannes : c'est d'ailleurs pour cela qu'on fait ce projet dont je parlais tout à l'heure à la frontière de l'Allemagne et du Luxembourg, pour avoir des coûts de référence.

Il est sûr que cela coûtera deux à quatre fois plus cher, si on doit faire de l'hydrogène à la fin, de transporter de l'énergie sous forme d'électricité que sous forme d'hydrogène dans un réseau neuf. Si c'est un réseau existant, c'est entre les deux. On a intérêt à transporter l'énergie sous forme d'hydrogène, et la réutilisation des réseaux existants est moins chère que d'utiliser un réseau neuf, mais on ne dispose pas encore de coût de référence disponible.

Vous avez dit qu'il fallait beaucoup d'énergie pour chauffer dans le cadre de la pyrogazéification et vous avez raison. C'est une énergie fatale : si ce sont des déchets, l'énergie aurait été perdue pour produire ce méthane, même s'il faut initier la réaction. Nous travaillons aussi sur la question du coût, qu'il faut optimiser pour avoir une production économique abordable.

Plusieurs questions ont été posées sur les intrants. Si vous le permettez, Monsieur le rapporteur, mon collègue Anthony Mazzenga, qui est directeur des gaz renouvelables à GRT Gaz peut apporter quelques éléments complémentaires.

M. Anthony Mazzenga, directeur des gaz renouvelables de GRT Gaz. - Le potentiel de la méthanisation, tel qu'il apparaît dans la stratégie nationale bas carbone, est situé à 140 TWh, à horizon 2050, de biométhane issu de la méthanisation. Il a été évalué par Solagro pour le compte de l'Ademe, territoire par territoire et à la maille du canton. Les pratiques de culture ainsi que les biodéchets générés par les collectivités et les entreprises ont été analysés, selon un travail très fin. Le chiffre de 140 TWh est obtenu sans culture dédiée, c'est-à-dire en mobilisant les biodéchets, ou encore les cultures intermédiaires qui ne font pas concurrence à l'alimentation humaine.

Au-delà de ces études théoriques, on retrouve ce potentiel sur le terrain. Lorsque l'on met en oeuvre le droit à l'injection avec nos collègues opérateurs de distribution, on fait des concertations locales sur le potentiel méthanisable, et on utilise les potentiels - canton par canton - mesurés par Solagro. Lors de ces concertations avec les chambres d'agriculture et les collectivités, on constate qu'ils reflètent bien ce qui se passe sur le terrain. Ces potentiels sont donc tout à fait concrets.

Cela se reflète aussi au niveau des intrants. Nous ne sommes pas spécialistes, en tant qu'opérateurs de réseau, de ce que mettent les producteurs dans leurs méthaniseurs, mais les agriculteurs et la FNSEA nous disent que, sur les 15 % autorisées, moins d'1 % des intrants dans les méthaniseurs sont des cultures dédiées. En effet, les cultures dédiées ont de la valeur : il y a un prix mondial du blé. Si vous en mettez dans le méthaniseur, vous ne pourrez pas le vendre, et cela vous coûte. De l'autre côté, avec le tarif d'achat, vous n'aurez pas de prime, contrairement à des effluents (lisiers, fumiers). Cela vous coûte d'un côté et cela vous rapporte moins de l'autre. Cela produit certes plus de méthane, mais quelques garde-fous permettent de limiter fortement les cultures dédiées.

M. Pierre Cuypers, président. - Il est intéressant de penser que la biomasse n'est pas un déchet, mais un produit.

M. Édouard Sauvage. - En complément, j'apporte deux éléments.

Peut-on mélanger l'hydrogène et du méthane ? Oui. Une expérience a été faite en partenariat avec GRDF, Engie et d'autres, à Cappelle-la-Grande, près de Dunkerque, où tout un quartier neuf a été alimenté par un mélange de 80 % de méthane et 20 % d'hydrogène. Cela ne pose aucun problème : ni pour le réseau, ni pour la chaudière, ni pour la gazinière. Cela dit, il est important d'anticiper : à court terme, faire ces mélanges ne présente pas d'intérêt car chaque gaz - hydrogène et biométhane - a plus de valeur séparément que quand vous les mélangez. En revanche, dans tous les scénarios, à partir de 2040, on peut penser qu'il y aura des productions d'hydrogène vert locales un peu fatales, où le plus simple sera de l'injecter dans les réseaux existants de méthane et de faire ce mélange. Des équipes doivent travailler, et il faut s'assurer que d'ores et déjà les chaudières qu'on installe pourront l'accepter. De notre point de vue, cela ne devrait pas poser de problème technologique, mais du moins pourrait-il y avoir une réglementation intelligente pour s'assurer que tous les matériels, sur l'ensemble de la chaîne, pourront le faire en toute sécurité. Notre analyse est que jusqu'à 20 % il n'y a pas de problème de sécurité. Ce n'est pas tant dû au fait que l'hydrogène est plus léger que le méthane, mais aux caractéristiques de l'hydrogène : ses conditions d'inflammation et d'explosivité, beaucoup plus larges, en font un gaz plus difficile à maîtriser que le méthane.

Dernier point : est-on obligé de se raccorder au réseau ? On a toujours la solution de passer à l'électrification, mais on peut aussi porter. Des textes prévoient que le producteur amène une citerne, et aille injecter, soit directement dans une station-service ou chez un client qui l'utiliserait, soit sur un point d'injection du réseau un peu plus tard. Un projet existe déjà où le gaz est produit, liquéfié et transporté toutes les 24 heures sur un point d'injection dans le réseau. C'est tout à fait possible, et c'est tout l'intérêt de cette concertation faite localement, et de tous les investissements contrôlés par le régulateur.

Globalement ces choses se font, et les tarifs approuvés par le régulateur pour GRT Gaz, GRDF et Teréga le montrent, en maintenant un coût unitaire pour le client en baisse. Il est aussi important, quand on réfléchit au coût de la décarbonation, de bien intégrer le coût de production et les coûts de réseau. Effectivement, l'équation pour le réseau de gaz repose sur l'idée que tous ces investissements destinés à accueillir ces gaz renouvelables se feront sur une enveloppe de coût stable, voire en baisse dans le futur, par le biais de la productivité faite sur toute l'attractivité du gestionnaire de réseau. On sait pourtant que, dans les réseaux électriques, l'arrivée des renouvelables amène à une très forte hausse des coûts des réseaux électriques et donc de la facture finale pour le client en électricité.

M. Jean-Claude Tissot. - Je vais être très bref car les réponses ont été apportées au cours du débat.

J'ai une question quand même à propos des cultures dédiées. J'ai pris note des éléments avancés sur l'équilibre économique, et jusqu'où on pouvait descendre sous le maximum de 15 % pour avoir cet équilibre. Ma question était plutôt technique : jusqu'où peut-on descendre pour avoir un méthaniseur qui fonctionne ? J'ai entendu tout à l'heure qu'on avait 1 % de cultures dédiées dans les méthaniseurs. J'ai un peu de peine à le croire pour les exemples que je connais - pas assez bien toutefois pour argumenter ce soir. Un méthaniseur peut-il vraiment marcher sans culture végétale dédiée ?

M. Frédéric Martin. - Je ne suis pas spécialiste de tous les entrants, mais je suis persuadé que des méthaniseurs fonctionnent sans cultures dédiées.

Mme Catherine Leboul-Proust. - Je pense qu'il faut vraiment distinguer ce qu'on met derrière le mot « culture dédiée » de ce qu'on met derrière le mot « CIVE ». Ces dernières reposent sur un espace de temps entre deux cultures principales, travaillé par les agriculteurs pour planter et faire travailler le sol, le protéger, éviter les lessivages. Elles n'ont aucun rapport avec les cultures dédiées. De ce qu'on entend de la part des acteurs agricoles, le modèle est construit sur ces CIVE.

M. Édouard Sauvage. - Si je puis me permettre, c'est peut-être une question de vocabulaire. Ce n'est pas parce qu'il ne s'agit pas d'une culture dédiée, que le méthaniseur ne va pas préempter la récolte concernée et faire une stratégie d'intrants. Une culture intermédiaire ne s'appelle pas, dans le jargon, une culture dédiée au sens où la terre est utilisée pour de la culture alimentaire et des cultures intermédiaires. Une culture dédiée consiste à utiliser ses hectares uniquement de façon à ce que le produit de terre, en permanence, alimente un méthaniseur. Cela a été fait en Allemagne, mais ce n'est pas possible en France. Une fois que vous avez un méthaniseur, vous discutez avec toutes les installations autour de vous, d'où le fait que beaucoup d'agriculteurs se mettent en commun. Ils s'accordent pour que leurs cultures intermédiaires aillent systématiquement dans ce méthaniseur, dans le cadre d'un plan d'approvisionnement. Ce n'est pas ce que l'on appelle une culture dédiée : ce terme désigne des situations où la terre sert exclusivement à alimenter un méthaniseur et pas du tout à produire des aliments ou nourrir du bétail.

M. Jean-Pierre Corbisez. - Je souhaite simplement dire que, lorsque j'ai dû refaire une station d'épuration, on a exigé la mise en place d'un digesteur pour récupérer le méthane des boues de la station d'épuration. On va même plus loin : avec les terres polluées autour de Metaleurop, on va planter du miscanthus, ou « herbe à éléphant », pour alimenter un réseau de chaleur pour les agriculteurs avec leurs serres. Il y a aussi une piscine dans le secteur. L'avantage du miscanthus consiste en ce que le plomb et le mercure dans le sol restent bloqués dans le rhizome et ne remontent pas dans la tige qui va ensuite dans le méthaniseur.

M. Édouard Sauvage. - On est d'accord qu'à cet endroit vous ne pouvez pas faire de culture alimentaire ?

M. Jean-Pierre Corbisez. - Si, parce que malheureusement les services de l'État ont interdit toute culture alimentaire, sauf la betterave à sucre, ce qui est une totale ineptie.

M. Thierry Trouvé. - Chaque méthaniseur est un cas particulier. La question de savoir s'il peut fonctionner avec ou sans culture particulière dépend de ce qu'on met dedans et de la région dans laquelle il est implanté : est-ce une région d'élevage ? Cela dépend des types d'intrants : va-t-il prendre des pulpes de betterave ? Cela dépend aussi du moment de l'année. Selon ce moment, les intrants, même à un endroit donné, ne sont pas les mêmes. L'exploitant de l'installation optimise en permanence ces différents intrants pour obtenir une production à peu près stable.

M. Pierre Cuypers, président. - Cela répond à la question de tout à l'heure : il n'y a pas de petit ou grand méthaniseur, chaque méthaniseur est particulier. Donc il faut arrêter de dire qu'il y a des petits et des gros.

Juste une dernière question, puisque vous venez de tirer, Monsieur, une conclusion qui me va bien : est-ce que l'État respecte ses engagements ?

M. Édouard Sauvage. - Objectivement, pour l'instant, oui. Les contrats déjà signés n'ont pas été remis en cause. Après, toutes les installations sont des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) : elles doivent respecter les règles associées. La réglementation, au vu de retours d'expérience pourrait-elle être « durcie » ? Pour moi, il n'est pas choquant que l'État soit conduit à faire évoluer la réglementation pour améliorer toujours plus la sécurité. Les tarifs sont stabilisés, mais, avec la PPE, ils ne sont pas à la hauteur des ambitions voulues par le législateur de 10 % de gaz renouvelable en 2030. On n'est pas sur cette trajectoire, et c'est d'autant plus dommage que le potentiel nous le permettrait.

M. Pierre Cuypers, président. - Nous sommes là pour faire des propositions à l'issue de cette mission d'information.

Mme Catherine Leboul-Proust. - Au-delà de l'enjeu de volume, je pense qu'il y a un manque de temps, plus qu'un manquement au regard de la tenue d'engagement. La loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat avait introduit une disposition, qui ne s'est pas encore traduite dans les faits : le Parlement avait demandé au Gouvernement de présenter un rapport pour témoigner de la façon dont les services rendus à l'environnement par la méthanisation (ou externalités positives) étaient intégrés dans les mécanismes de soutien. Cela reste une question, très importante : si on allait jusqu'au bout de cette orientation, cela donnerait un signal d'encouragement qui pourrait pousser sur le terrain à des bonnes pratiques en matière d'externalités positives. Des travaux ont été réalisés sur le sujet, une mission interministérielle a été constituée, dont le rapport n'a pas été rendu public. Cette traduction de la valorisation des services rendus à l'environnement par la méthanisation dans les mécanismes de soutien n'est pas encore faite. C'est en tout cas un point d'attention par rapport à toutes les questions posées sur la façon d'encourager le développement d'un modèle durable de méthanisation.

M. Frédéric Martin. - En complément, la CRE a constitué un groupe de travail, qui a estimé dans une fourchette de 40 et 70 euros, ce que représentaient l'ensemble de ces externalités positives. Lorsqu'on le ramène au coût d'énergie fossile et que l'on rajoute ces externalités, on arrive quasiment à l'objectif ciblé de prix. L'enjeu n'est pas uniquement celui de la taille : il en va de la valorisation de l'ensemble de l'apport de cette technologie, mais surtout de l'usage de l'ensemble de ces déchets, quels qu'ils soient, pour l'ensemble de la collectivité et de la Nation.

M. Pierre Cuypers, président. - Merci beaucoup. Monsieur le rapporteur, voulez-vous faire un mot de conclusion ?

M. Daniel Salmon, rapporteur. - En conclusion, je pense qu'une fois de plus, nous avons beaucoup appris au cours de cette audition fructueuse. Quelques questions supplémentaires auraient été bienvenues, mais il faut savoir s'arrêter ! On attend vos contributions écrites, et si jamais il nous venait de nouvelles questions, on se permettrait de vous les envoyer pour avoir des compléments. Il est vrai que vous avez apporté de nombreuses réponses. Certains éléments n'étaient pas intuitifs, comme le fait que, pour la même quantité d'énergie, le transport d'électricité est beaucoup plus coûteux que le transport de gaz. Lorsqu'on voit ces gros tuyaux, on peut, en effet, se dire qu'il est beaucoup moins cher de transporter de l'électricité. Je serais intéressé d'ailleurs de connaître le différentiel de coût au MWh.

Je tiens encore à vous remercier de vos réponses.

 

M. Pierre Cuypers, président. - On a combien de kilomètres de tuyaux de gaz en France ?

M. Frédéric Martin. - Un peu plus de 200 000 km de réseau de distribution. Pour clarifier : pour couvrir la totalité du potentiel dont on parle, il faudra 5 % de linéaire en plus, en zone périurbaine.

M. Daniel Salmon, rapporteur. - Oui, on a bien compris que c'était une histoire de zone.

M. Pierre Cuypers, président. - Merci Messieurs, merci Madame, merci chers collègues d'être venus nombreux. La prochaine réunion aura lieu le 30 mars.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 10.