Mardi 6 avril 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de Mme Isabelle Braun-Lemaire, directrice générale des douanes et des droits indirects (DGDDI)

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons aujourd'hui Mme Isabelle Braun-Lemaire, directrice générale des douanes et droits indirects (DGDDI), qui s'exprime pour la première fois devant notre commission depuis son entrée en fonctions fin août 2019, et M. Jean-Michel Thillier, directeur interrégional des douanes des Hauts-de-France.

Madame, notre commission a souhaité vous entendre au moment où la douane traite sans doute l'un des plus grands défis logistiques de ces dernières années avec le Brexit. Vous nous exposerez les moyens mis en oeuvre par vos services pour assurer une circulation fluide des marchandises et des personnes, et les résultats obtenus. S'il n'y a pas eu d'incident majeur au 1er janvier 2021, du moins du côté français, le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, Michel Lalande, avait toutefois écrit en janvier dernier au Premier ministre pour l'alerter « de l'impréparation manifeste » du Brexit par les Britanniques. De fait, des points de difficulté semblent perdurer. Vous pourrez sans doute nous en dire plus sur ce point et sur vos constats en la matière.

Tout dysfonctionnement dans nos échanges serait d'autant plus inquiétant que les flux ne sont pas encore, du fait du contexte de crise sanitaire et économique, à leur plein potentiel. Vous pourrez ainsi nous dire comment votre direction et ses 17 000 agents se sont adaptés à cette situation exceptionnelle et quels ont été les impacts de la crise sur les activités de la douane.

Enfin, au-delà du Brexit et de la situation sanitaire, qui conduisent à d'inévitables réajustements, votre direction s'est par ailleurs engagée dans des réformes structurelles avec de profondes transformations de ses missions et de son administration, et nous apprécierions d'en connaître l'état d'avancement.

Mme Isabelle Braun-Lemaire, directrice générale des douanes et des droits indirects. - Vous avez relevé les points principaux qui nous occupent : le Brexit, la crise sanitaire et les réformes. Votre présentation étant très complète, j'exposerai pour ma part le calendrier, la manière et les moyens retenus pour aborder chacun d'entre eux.

Le Brexit, et avec lui le rétablissement de cette frontière transmanche, est un défi particulier en France, compte tenu de la teneur de nos relations avec nos voisins britanniques, qu'il s'agisse de la proximité, de la densité des flux et des délais de circulation des marchandises relativement courts, ainsi que de la situation spécifique des Hauts-de-France. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis accompagnée de Jean-Michel Thillier, mon adjoint jusqu'au mois d'août dernier et qui est devenu directeur interrégional des Hauts-de-France afin de mettre en oeuvre, après avoir été directeur de projet du Brexit, le Brexit et cette bascule en fin d'année.

Nous nous sommes préparés durant plusieurs années et avons déployé beaucoup de moyens, pour un chantier plusieurs fois reporté. À chaque échéance, il fallait avoir recruté les effectifs nécessaires pour préparer le Brexit et, dans le même temps, se préparer à un report de l'échéance, ce qui s'est traduit, l'an dernier notamment, par un report du recrutement des effectifs, en attendant la fin de l'année 2020.

Nous avons commencé par un chantier informatique d'ampleur qui nous a permis d'inventer un système très innovant, automatisé et spécifique aux Hauts-de-France, « la frontière intelligente » - ou smart border -, qui repose sur le traitement automatisé des informations et l'anticipation par les entreprises de leurs déclarations douanières. Au moment du passage de la frontière, les conducteurs sont avertis qu'ils peuvent continuer leur route ou qu'ils doivent s'arrêter, soit pour un contrôle douanier, soit pour compléter leurs formalités douanières. Beaucoup d'expérimentations ont été menées en amont de cette nouvelle frontière totalement innovante, à tel point que de nombreux pays nous l'envient désormais.

Il y a eu en parallèle un deuxième chantier considérable, celui des ressources humaines. Nous avons bénéficié d'un abondement de 700 équivalents temps plein (ETP) répartis progressivement entre 2018 et 2020. La dernière tranche de 100 ETP en 2020 a été reportée à 2021 pour éviter que de trop nombreux douaniers affectés aux postes « Brexit » soient inoccupés, comme c'était le cas avant le 31 décembre. Les reports successifs du Brexit ont en effet rendu beaucoup plus complexes notre « manoeuvre RH » et la gestion de ces effectifs. Ce deuxième grand chantier ne se limite pas à des recrutements, puisqu'il inclut aussi de manière significative la mise en place de formations. Ces douaniers sont essentiellement localisés dans les Hauts-de-France - 270  affectations, qui représentent 40 % de l'abondement -, en Normandie, en Bretagne et en Île-de-France.

Troisième grand chantier : nous avons réinventé une frontière, d'une part grâce à l'informatique et à de nouveaux procédés, et d'autre part en termes d'infrastructures. La frontière était à l'origine totalement fluide ; elle doit désormais accueillir de nombreux parkings et des arrêts pour les contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires. Ce chantier purement logistique, nous avons dû le conduire avec les gestionnaires d'infrastructures.

Dernier chantier, et non des moindres, la communication et l'information auprès des entreprises, leur anticipation étant le fondement de tout notre système. Toutefois, l'intense communication à laquelle nous nous livrons depuis plus d'un an se heurte à une difficulté particulière : les entreprises qui commercent avec le Royaume-Uni ne sont pas toujours françaises, 80 % du trafic entre l'Union européenne et le Royaume-Uni passe en effet par cette frontière des Hauts-de-France.

L'ensemble de ces chantiers nous a coûté à ce stade 70 millions d'euros, dont 17 millions d'euros pour l'informatique, le reste - 53 millions d'euros - étant lié à des coûts concernant la masse salariale, c'est-à-dire à de la rémunération, mais aussi à de la formation.

La journée du 31 décembre 2020 s'est relativement bien passée. On avait annoncé de possibles engorgements, dans une phase un peu particulière de crise sanitaire, qui nous affecte toujours. Nous avions au préalable déjà subi plusieurs chocs : d'une part, et dans la mesure où le Royaume-Uni importait énormément de marchandises depuis l'Union européenne, nous avons assisté à une anticipation des entreprises vers les mois de novembre et décembre, avec des flux anormalement élevés dans les Hauts-de-France ; d'autre part, la crise sanitaire s'est intensifiée en raison de l'apparition du variant britannique et du confinement du Royaume-Uni. Par conséquent, le flux était en fin d'année incompréhensible et imprévisible. Le 31 décembre, on ne savait pas trop ce qui nous attendait. Le trafic s'est finalement lissé jusqu'à retrouver aujourd'hui un niveau similaire à celui constaté l'année dernière à la même période - ce qui n'avait pas été le cas aux mois de janvier et février.

Certes, nous avons dû poursuivre les ajustements informatiques et avec les différents opérateurs, mais l'efficacité de notre frontière a été démontrée. Je terminerai par l'un des grands axes de progrès. Monsieur le président, vous avez cité les propos du préfet Lalande concernant l'impréparation des Britanniques. Ce sujet continue en effet de nous occuper et de nourrir des échanges techniques importants avec nos voisins
outre-Manche. Il y a un deuxième sujet, c'est celui de l'impréparation des entreprises et nous avons donc accentué nos efforts de communication sur lequel mon collègue peut apporter un éclairage.

M. Jean-Michel Thillier, directeur interrégional des douanes des Hauts-de-France. - Nous avons dû régler deux difficultés principales, à commencer par l'impréparation des entreprises, françaises, britanniques ou autres, qui ont cru que l'accord qui avait été signé le 24 décembre 2020 les exonérait de toutes formalités douanières lors du passage à la frontière, alors qu'il s'agissait d'un simple accord de
libre-échange. On savait pourtant, depuis l'accord de retrait, et quelle que soit l'issue des négociations ayant abouti le 24 décembre, que le passage de la frontière s'accompagnerait de formalités. Nombre d'entreprises ne s'étaient donc pas suffisamment préparées aux formalités sanitaires et douanières, et beaucoup de camions ont été refoulés au mois de janvier, surtout du côté britannique.

Ce phénomène a bien diminué grâce au travail que nous avons réalisé avec nos homologues britanniques en faveur notamment des entreprises britanniques désireuses d'exporter sur le territoire européen. Ce travail commun, avec nos homologues et avec les entreprises, devra se poursuivre toute l'année, car les Britanniques ont fait le choix d'un Brexit en « plusieurs morceaux » : seules les formalités d'exportation ont été mises en place au 1er janvier 2021 ; les formalités d'importation, sanitaires et douanières, ne seront effectives qu'au 1er janvier 2022. Il sera donc nécessaire, de notre côté, de préparer les entreprises à l'exportation vers le Royaume-Uni au 1er janvier 2022. Il ne faut pas baisser la garde en la matière.

Autre difficulté importante : la désorganisation de l'administration britannique, qui est surtout liée à un effet de taille. Les échanges avec le Royaume-Uni représentent 8 % à 10 % de notre commerce extérieur, nous pouvons donc le gérer. L'inverse est beaucoup plus difficile : pour le Royaume-Uni, le commerce extérieur vers l'Europe représente un peu plus de 50 % de ses exportations totales, ce qui entraîne des impacts décuplés en termes d'organisation et d'informatique.

Au 1er janvier 2021, l'organisation administrative, douanière et sanitaire n'était pas prête du côté britannique : les expertises et les compétences nécessaires manquaient. C'est encore le cas aujourd'hui, en dépit des progrès enregistrés. Les certificats sanitaires à l'exportation ou pour pouvoir entrer sur le territoire communautaire ne peuvent par exemple n'être délivrés que par les inspecteurs sanitaires, qui sont en nombre insuffisant ; de même, les professionnels du dédouanement sont encore trop peu nombreux pour réaliser les formalités déclaratives en vue de l'exportation, de l'importation ou du transit.

La structure administrative n'était pas non plus complètement achevée, ce qui s'est traduit par un goulet d'étranglement à Ashford, seul bureau de douane du Kent compétent pour contrôler tous les flux destinés au territoire communautaire et passant par les Hauts-de-France. Cela s'est traduit, même si la situation s'est nettement améliorée, par des délais d'attente d'une demi-journée, voire d'une journée, pour les chauffeurs pour réaliser les formalités douanières et sanitaires et les tests PCR. En conséquence, les entreprises britanniques ont connu des difficultés importantes pour organiser leurs opérations d'import ou d'export à destination ou en provenance d'Europe continentale, avec, pour beaucoup d'entre elles, des décisions de report ou d'annulation, expliquant la baisse des flux de l'ordre de 20 % à 30 % au mois de janvier par rapport à l'année antérieure. Le retour à la normale est progressif.

La coopération avec les douanes et les services de l'agriculture britanniques nous a permis de régler au cas par cas les problèmes les plus importants. Le réglage des derniers détails, des situations résiduelles, devrait continuer de nous occuper durant tout ce semestre. Nous pourrons ensuite nous livrer plus complètement à notre activité de contrôle, qui est notre mission principale.

Mme Isabelle Braun-Lemaire. - Pour conclure, je vous ferai part des axes de travail qui sont les nôtres. L'accord de retrait et le régime préférentiel - les règles d'origine - continuent de nous occuper pour l'information et l'accompagnement des entreprises. Ces dernières doivent bien appréhender toutes les conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et de l'accord de retrait. Nous devons également continuer notre travail d'amélioration du processus douanier à la frontière, qui est déjà bien engagé. Les Britanniques ont certes bien progressé sur ce point, mais une asymétrie demeure, car ils ont supprimé les contrôles à l'importation ; ceux-ci seront rétablis en cours d'année. Les processus devront être adaptés en fonction de l'évolution de la réglementation britannique.

Le trafic voyageur reste une inconnue. Aujourd'hui, du fait de la crise sanitaire, la circulation se limite à un Eurostar par jour et à de rares traversées en ferry, très loin des trafics habituels. L'arrivée progressive des voyageurs va sans doute nous conduire à engager des actions de communication et de contrôle. Enfin, j'ai demandé à mes collaborateurs, notamment à ceux qui se trouvent sur la frontière transmanche et en particulier à
Jean-Michel Thillier, puisque 97 % du trafic a lieu dans les Hauts-de-France et le reste en Normandie - le bilan est en période ordinaire beaucoup plus homogène - d'établir un bilan RH et organisationnel de ce qui s'est produit. Nous avions prévu des effectifs et une organisation qui tenaient compte de plusieurs paramètres, tels que le trafic de jour et le trafic de nuit. Dans les Hauts-de-France, nous avons décidé de créer trois bureaux, à Dunkerque, à Calais/port et à Calais/tunnel, qui travaillent vingt-quatre heures sur
vingt-quatre, ce qui n'existe nulle part ailleurs dans le reste des services de la douane française. Résultat, si nos ressources ont été renforcées depuis le démarrage du Brexit, grâce aux sous-activités ailleurs, nos effectifs mériteraient sans doute d'être augmentés, notamment pour soulager les agents soumis à une cadence plus élevée qu'anticipée, et notamment la nuit.

M. Claude Raynal, président. - Merci à tous les deux. Je vous poserai quelques questions, avant de donner la parole au rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » qui comprend les moyens de la douane, M. Claude Nougein, puis au rapporteur général, Jean-François Husson. Vous disposerez d'un premier temps de réponse avant le débat général avec l'ensemble des sénateurs.

Pourriez-vous illustrer ce que vous appelez « la frontière intelligente » ? J'imagine que les camions sont tracés et que, au moment de leur passage à la frontière, il suffit de lire leur plaque d'immatriculation pour décider de leur sort. Il y a donc ceux qui peuvent directement passer parce que tout est prêt, ceux qui doivent s'arrêter parce qu'il leur manque, par exemple, un document administratif et ceux qui doivent être soumis à des contrôles plus longs et exhaustifs. Disposez-vous de données sur la fréquence de ces trois situations ?

Comment les choses se passent-elles avec les douanes des autres pays de l'Union européenne, qui doivent se mettre, tout comme leurs entreprises, au diapason ? Des difficultés existent-elles à ce sujet ?

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Lors de votre audition devant notre commission au moment de l'examen du projet de finances pour 2021, vous nous aviez indiqué ne pas avoir procédé à tous les recrutements prévus en vue du Brexit par manque de visibilité. Qu'en est-il aujourd'hui ? Il resterait une centaine d'ETP à recruter, mais la situation est biaisée par l'impact de la crise sanitaire qui se poursuit, ce qui n'était pas forcément anticipé. N'avez-vous pas trop recruté pour le Brexit ? Du fait du report de l'accord, les 600 ou 700 personnes embauchées se sont retrouvées très longtemps en formation, voire redéployées sur d'autres activités. Seriez-vous prêts à absorber la reprise des échanges en vous passant des derniers 100 ETP ?

Par ailleurs, la Cour des comptes européenne a souligné l'hétérogénéité des contrôles effectués par les États membres. Lorsqu'il était encore ministre de l'action et des comptes publics, M. Darmanin avait admis que certains services douaniers étaient plus tatillons que d'autres. Où se situent les douanes françaises par rapport à la moyenne européenne ? Ces différences dans la fréquence et dans l'intensité des contrôles menés ne peuvent-elles pas nuire à l'attractivité de certains points d'entrée pour les marchandises et notamment à l'attractivité des points d'entrée français ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je reviendrai sur des sujets que nous avons abordés lors des derniers projets de loi de finances, notamment le transfert progressif d'une partie des missions fiscales de la douane à la direction générale des finances publiques (DGFiP), sachant qu'une majorité de ces dispositifs doit être mise en oeuvre par voie d'ordonnance. Pourriez-vous nous exposer l'état d'avancement de ces différents transferts et de l'impact à attendre, notamment pour les services des Douanes ?

Par ailleurs, pour compenser la disparition des frontières commerciales au sein de l'Union européenne avec le marché unique, certaines emprises douanières, notamment au sud et à l'est de la France, s'étaient reconverties en services à fiscalité spécialisée, par exemple à Metz pour la fiscalité routière ou à Nice pour la fiscalité environnementale. Ces transferts en cours auront-ils des conséquences sur ces services spécialisés dans ces territoires, et avec quelles compensations ?

Enfin, la proposition de mise en oeuvre d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne, que la Commission européenne devrait publier d'ici à l'été, pourrait voir le jour au 1er janvier 2023, si les États membres donnent leur accord. Quelles en seraient les conséquences pour les services douaniers, à l'échelon national ou européen ?

Mme Isabelle Braun-Lemaire. - « La frontière intelligente », c'est d'abord des entreprises qui doivent déclarer en amont du passage de la frontière. Cette déclaration est dématérialisée : le chauffeur doit avoir avec lui le code barre de la déclaration, qui est associé à la plaque d'immatriculation du véhicule. Durant la traversée, on étudie les déclarations, on regarde si elles sont suffisantes et nous vérifions s'il y a matière à contrôle. Avant l'arrivée, on indique au chauffeur s'il doit s'arrêter ou non : à la sortie, des panneaux indicatifs orientent ainsi les chauffeurs, grâce aux plaques d'immatriculation, en leur signalant s'ils sont en « circuit vert » ou en « circuit orange » ce qui correspond à un arrêt au bureau des douanes. Il existe plusieurs motifs à ces arrêts. Il y a tout d'abord les déficits déclaratifs, qui étaient très nombreux au début de l'année : il s'agit soit de l'absence pure et simple de déclaration, soit d'une déclaration partielle qui nécessite un contrôle douanier ou sanitaire. Un chiffre est constant depuis le début de l'année, celui des contrôles sanitaires ou phytosanitaires, à 3 % dans tous les reportings. En revanche, le nombre d'arrêts a beaucoup diminué.

M. Jean-Michel Thillier. - Je vous donne les chiffres du mois de mars, où l'on se situe à 95 % du trafic normal. Dans la région des Hauts-de-France, qui concentre à elle seule 97 % du flux, nous avons reçu 145 000 camions à l'importation et un nombre équivalent à l'exportation. Parmi ceux liés à l'importation, 67 000 camions étaient vides. Habituellement, ces camions vides en provenance du Royaume-Uni représentent 30 % du flux. Cette année, le taux est un peu plus important ; il se situe, aujourd'hui encore, à environ 40 %. Cela montre que le trafic à l'importation du Royaume-Uni n'est pas encore totalement revenu la normale.

Parmi les camions à l'importation, 128 000 ont bénéficié d'un feu vert - ils sont passés comme ils seraient passés avant le 31 décembre 2020 ; 15 000 ont reçu un feu orange - ils se sont rendus sur les parkings créés dans le cadre du Brexit, afin d'y subir soit un contrôle documentaire, soit un contrôle douanier physique des marchandises contenues dans les camions ; enfin, 1 700 camions ont été contrôlés au titre des formalités sanitaires, par les agents du ministère de l'agriculture.

Au total donc, sur les 145 000 camions présentés à l'importation, 17 000 ont subi un contrôle, soit un taux assez classique d'un peu moins de 15 %, sachant que la plupart de ces camions - plus de 80 % - roulent sous le régime du transit et que les opérations de dédouanement sont réalisées au point de destination, celui-ci pouvant se situer en France ou dans 80 % des cas, dans un autre État membre. Dans 20 % des cas, les camions arrivent avec une déclaration d'importation déposée en France ; c'est vers eux que s'orientent la plupart de nos contrôles.

La situation dans les autres États membres concernés par le Brexit - les pays du Benelux, l'Allemagne et, dans un moindre mesure, l'Irlande - n'est pas tout à fait comparable à la situation française. Quelques points, cependant, sont communs à tous et sont régulièrement évoqués dans les réunions auxquelles nous participons avec ces pays et la Commission européenne : le manque de préparation des opérateurs ; les difficultés avec l'administration britannique ; ou encore, la faible qualité des documents sanitaires émis par les autorités sanitaires britanniques, même si tous notent les progrès réalisés dans ce domaine.

En quoi notre situation est-elle différente ? La région des Hauts-de-France concentre 85 % des traversées de ferries ; les enjeux quantitatifs ne sont donc pas les mêmes que pour les autres pays. Nous devons également gérer un important trafic de remorques accompagnées - avec un chauffeur à l'intérieur - et donc une obligation de minimiser les arrêts. Ce n'est pas le cas pour les ferries accostant à Zeebruges, Anvers ou Rotterdam, dans lesquels on retrouve des remorques non accompagnées, induisant une organisation logistique différente. Dans ces pays, non seulement les traversées sont plus longues - plusieurs heures contre 1h30 maximum en France depuis Dunkerque - mais, en plus, ils doivent convoquer un chauffeur pour qu'il vienne récupérer la remorque éventuellement contrôlée, ce qui laisse davantage de temps pour s'organiser.

Mme Isabelle Braun-Lemaire. - Parmi les difficultés rencontrées avec les Britanniques, le régime du transit n'est pas très clair mais ces processus techniques sont communs à tous les États membres. C'est pour cette raison que la Commission européenne nous a réunis avec les cinq États membres les plus concernés par le Brexit pour résoudre ces difficultés. Nous ne partageons pas, en revanche, la logistique de la frontière transmanche, propre à la France. Nous sommes cependant plutôt réactifs et, avec la Commission européenne qui suit de près le sujet, nous essayons d'avoir une approche collégiale.

Un élément complémentaire au sujet du Brexit : les recrutements. Nous avions prévu trois vagues de recrutement : la première, lancée en 2018, a permis de recruter 250 personnes ; la deuxième, en 2019, 350 personnes ; la dernière devait se dérouler en 2020. Avec le peu de visibilité dont nous disposions alors sur la date du Brexit, nous avons pris deux décisions, qui concernent notamment les trois bureaux liés au Brexit dans les Hauts-de-France : la première a été de reporter les 100 recrutements prévus pour la dernière vague à 2021 ; la deuxième a consisté à redéployer les effectifs - soit 120 personnes réaffectées sur des postes vacants, ce qui nous oblige d'ailleurs à lancer une nouvelle vague de recrutement pour les Hauts-de-France, et indépendamment de la dernière tranche d'effectifs à recruter.

A-t-on encore besoin de recruter les 100 personnes prévues pour cette année ? La réponse est oui, sans équivoque. Nous avons recruté des personnes pour pallier les effectifs redéployés. Nous avons largement dépassé l'effectif prévu de 700 personnes, qui correspondait à la fourchette basse des estimations. Ce chiffre, aujourd'hui, n'est pas suffisant : la charge et le rythme de travail sont en effet très supérieurs à ce que nous avions imaginé, alors même que le flux voyageurs est encore loin d'être revenu à la normale.

M. Jean-Michel Thillier. - Les Britanniques ont également appris à « lire » l'accord signé le 24 décembre avec l'Union européenne. Ils se sont aperçus que toute une série d'opérations habituellement réalisées par leurs entreprises - des ouvraisons superficielles, du reconditionnement de marchandises, du e-commerce également - s'avèrent compliquées et coûteuses. Le gouvernement britannique a donc demandé à certaines de ces entreprises présentes dans ces secteurs de s'implanter et de créer des filiales sur le territoire communautaire. Dès aujourd'hui, on peut voir les premiers effets de cette demande, avec des trafics dont les opérations douanières ne sont plus réalisées au
Royaume-Uni mais en France, et notamment dans les Hauts-de-France. Deux entreprises de
e-commerce se sont notamment implantées dans le Pas-de-Calais, mobilisant des flux supplémentaires de 100 000 déclarations par mois, ce qui correspond au flux normal d'un bureau de taille conséquente. De nouvelles activités apparaissent donc, avec de nouvelles charges de travail, du fait de l'adaptation des opérateurs britanniques au Brexit ; ce phénomène risque de s'amplifier dans les mois à venir.

Mme Isabelle Braun-Lemaire. - Vous avez posé la question de l'hétérogénéité des contrôles dans les États membres. L'objectif est d'avoir des contrôles proportionnés, de manière à protéger notre territoire sans nuire à la fluidité du trafic. Certains pays sont plus « laxistes », effectuent moins de contrôles.

Prenons l'exemple de la crise sanitaire. Au début de l'année dernière, il a fallu dédouaner des millions de masques, tout en s'assurant de la conformité pour protéger les consommateurs, avec une réglementation très complexe qui avait été adaptée pour pouvoir recevoir des masques d'origine étrangère, et notamment chinois, et une pression forte, des hôpitaux notamment. Nous avons mis en place un processus spécifique et une organisation dédiée afin de fluidifier le trafic. En dépit des échos négatifs sur les arrêts en douane des masques, la grande majorité a été dédouanée en très peu de temps - 90 % en moins d'une journée. Nous avions donc ce dilemme, mais notre organisation a permis d'assurer la fluidité des flux tout en nous permettant d'arrêter des masques non conformes voire contrefaits.

Je peux citer un autre exemple lié à l'attractivité du territoire. On nous a demandé de rendre nos ports plus attractifs et compétitifs. Nous avons créé un système informatique - France Sésame - qui se déploie au Havre, à Marseille et à Dunkerque. Il s'agit d'un portail qui doit permettre de faciliter les démarches avec l'ensemble des administrations et constituer un point de contact unique pour les logisticiens, afin de réduire les délais de traitement et de rendre nos ports plus attractifs. L'objectif sera prochainement de mieux organiser la frontière avec la Suisse, ainsi que la gestion des autres ports et des aéroports, grâce au déploiement de ce portail.

L'idée est bien d'avoir un niveau de contrôle proportionné, avec une interrogation permanente sur le bon niveau de contrôle. Le rapport auquel vous faites référence est assez limité, car il ne présente que les taux de contrôle, pas les taux de contrôle positifs. Beaucoup de nos contrôles s'effectuent désormais par ciblage et c'est ce type d'efficacité que l'on cherche à développer. On a revu nos politiques de contrôles pour déployer nos outils de ciblages et améliorer l'efficacité de nos contrôles.

Un sujet important concerne les transferts des missions fiscales de la douane vers la DGFiP. La dernière loi de finances a donné le calendrier de ces transferts : en 2022, nous aurons le transfert des taxes intérieures de consommation (TIC), du droit annuel de francisation et de navigation (DAFN) et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) import ; en 2023, ce sera le transfert des amendes et, en 2024, celui de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) dans son intégralité, ainsi que, pour les contributions indirectes, celui du remboursement.

Cela représente une charge de 702 ETP, répartis de 2022 à 2024. Plusieurs types de services sont touchés : les recettes interrégionales en charge du recouvrement ; les bureaux spécialisés dans la fiscalité énergétique à Strasbourg, Tours, Lyon, Lille, Dunkerque ; les bureaux DAFN également. Nous avons une visibilité assez nette jusqu'en 2024, ce qui nous a permis d'engager le processus Ressources Humaines (RH). Les négociations avec les organisations syndicales ont débuté. Nous nous appuyons notamment sur ce que permet la loi de transformation de la fonction publique. L'objectif, d'ici la fin du semestre, est de finaliser la manière dont ces reclassements vont s'effectuer. Nous avons également lancé un processus ad hoc avec la DGFiP afin que les agents des douanes qui le souhaitent puissent se voir offrir des postes à la DGFiP.

Deux services sont des cas un peu particuliers. L'un, à Nice, concernait la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ; en 2019, les agents ont été reclassés. Un autre service a été restructuré à plusieurs reprises : le service national douanier de la fiscalité routière (SNDFR), en charge du remboursement de la TICPE à Metz et qui sera très fortement affecté par les transferts en 2024. D'ici 2024, nous avons le temps d'y réfléchir, c'est même un peu trop lointain pour apporter l'ensemble des garanties dès à présent, mais nous sommes confiants dans notre capacité à pouvoir reclasser les personnes. Deux raisons expliquent cette confiance : il y a un turnover important à Metz et on a des besoins de douane autour de Metz. La DGFiP pourra également accueillir certains personnels.

Cela ne répond pas à la question de la compensation et notamment aux questions des élus sur l'implantation des services dans leur territoire. Si je prends l'exemple de Metz où 80 personnes seront concernées, la douane ne peut répondre toute seule à cette question. J'ignore si nous pourrons trouver une nouvelle activité douanière, mais nous disposons d'un peu de marge d'ici 2024 pour trouver une solution au sein de l'État.

Concernant l'ajustement carbone, c'est encore prématuré, je n'ai pas de réponse précise à apporter. On y a participé et on en a mesuré les impacts, mais nous attendons encore les résultats définitifs.

M. Antoine Lefèvre. - Le Brexit a entraîné un certain nombre de travaux et d'aménagements. Avez-vous une idée du montant total de l'investissement pour les douanes ?

Autre question : quel est le montant des taxes récupérées en 2020 concernant les tabacs ?

M. Michel Canevet. - Ma première question porte sur le système ETIAS - (European Travel Information and Authorisation System) et le sujet des transferts de voyageurs hors de l'espace Schengen. Comment les ports seront-ils accompagnés dans la mise en place de ce dispositif, prévue pour 2022 ?

Vous avez évoqué les questions d'effectifs et de périmètres. La Cour des comptes avait souhaité, au travers d'un plan stratégique, lui-même traduit par un contrat de performance, l'élaboration d'un schéma d'adaptation du réseau territorial de la DGDDI. Où en sommes-nous de ce dispositif ?

La direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) participe activement, avec l'organisme Tracfin, à la lutte contre le blanchiment d'argent. Pouvez-vous nous indiquer combien d'avoirs criminels ont été saisis en 2020 ?

En septembre 2020, la Cour des comptes avait estimé que les mutations actuelles devaient pousser la DGDDI à se réorganiser et à faire évoluer ses missions, en se recentrant notamment sur la protection des frontières et le contrôle des flux. Comment, aujourd'hui, sont articulées les missions entre votre direction générale et la police de l'air et des frontières ?

Mme Christine Lavarde. - Je souhaite évoquer le sujet des systèmes et des réseaux d'information, perfectibles. La remontée d'informations au niveau national n'était donc pas toujours complète. Le transfert des recouvrements va-t-il s'accompagner d'une amélioration des systèmes d'information, permettant ainsi de préciser le chiffrement des dépenses fiscales sous-jacentes ?

M. Éric Bocquet. - Ma première question concerne l'accroissement du trafic dans le port de Dunkerque. Effet imprévu du Brexit, une nouvelle liaison maritime a été ouverte, le 1er janvier, entre le port de Dunkerque et celui de Rosslare en Irlande. Elle connaît un succès impressionnant, puisque, le 1er avril, un quatrième ferry a été mis en service pour répondre à la demande. Cela nécessite, sur place, un renforcement des équipes de douaniers. Comment avez-vous appréhendé cette croissance de trafic ? Avez-vous initié un redéploiement des moyens humains du port de Calais vers Dunkerque ?

Le Gouvernement britannique a annoncé, fin 2019, la création de huit ports francs sur le territoire britannique. En général, les ports francs sont à proximité des aéroports ou des ports maritimes. Ce sera le cas. Les biens qui sont envoyés dans les ports francs ne sont pas soumis aux droits de douane, et les droits ne sont dus que lorsque les marchandises en question quittent ces ports pour être envoyées vers d'autres destinations, hors du Royaume-Uni. À ma connaissance, il s'agit rarement de produits de première nécessité. Bien plutôt, ce sont des produits de grande valeur, comme des tableaux de maître. Comment allez-vous appréhender ce genre de flux, à destination des ports francs dont le gouvernement britannique a annoncé la création dans les prochains mois ?

M. Philippe Dallier. - On a entendu dire en début d'année que le trafic de marchandises entre la Grande-Bretagne et la République d'Irlande était en augmentation. D'après les informations disponibles sur ce sujet, il était dit que, même si la traversée en bateau pour rejoindre le continent était plus longue, il y a avait un avantage parce que les choses étaient « moins compliquées »... Je ne sais pas ce qu'on met derrière ces deux mots. Comment les contrôles sont-ils effectués sur cette frontière ? Y a-t-il un système de frontière intelligente ? Une forme d'interopérabilité ? Avez-vous une vision du trafic de marchandises qui la traverse ? Ou bien vous interdisez-vous de contrôler le travail fait par les Irlandais sur cette frontière ?

M. Marc Laménie. - Je voulais vous interroger sur les moyens humains et les effectifs. Nous sommes tous attachés à la présence de l'administration des douanes sur l'ensemble de nos territoires et départements, frontaliers ou non. Partout, en matière de contrôles, l'administration des douanes joue un rôle très complémentaire de celui des autres forces de sécurité intérieure. Il faut que ces effectifs soient maintenus sur l'ensemble des territoires de métropole et d'outre- mer.

Quels sont les dispositifs pour lutter contre les trafics de toutes natures ? Dans mon département des Ardennes, frontalier, je vois de plus en plus de poids lourds, à toute heure du jour ou de la nuit, de toutes origines. Je vois en parallèle régulièrement, aussi, les véhicules de l'administration des douanes, mais celle-ci ne peut pas tout faire en matière de contrôles. Il y a la lutte contre le trafic de stupéfiants, contre le trafic de tabacs ou encore contre la contrefaçon. J'avais vu il y a quelques années un contrôle effectué à l'aide d'un scanner, qui permet d'analyser le contenu de certains poids lourds. Il me semble qu'un tel équipement est rare. Des investissements sont-ils prévus pour en acquérir davantage ?

M. Hervé Maurey. - Ma première question portera sur la mise en oeuvre de la loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), qui a créé un droit à l'erreur. Votre prédécesseur nous disait il y a un peu moins de trois ans que cette loi devait modifier radicalement les conditions d'exercice de vos missions en matière de fiscalité. Quel bilan pouvez-vous en tirer quant à la charge de travail de vos services, à l'organisation du travail et, surtout, à vos relations avec les entreprises et les assujettis ?

La loi de finances pour 2020 a autorisé votre direction, comme la DGFiP, à collecter et analyser par le biais de traitements informatisés le contenu des plateformes pour déceler d'éventuelles fraudes à la TVA ou contrefaçons. Certes, le décret n'est sorti qu'en février dernier. Pouvez-vous néanmoins nous dire ce que ce dispositif a concrètement apporté - ou ce qu'il va concrètement apporter ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Le rapport de la Cour des comptes pointe une insuffisance de culture de la performance et de service à l'usager. Il est d'ailleurs assez sévère, puisqu'il rappelle que ces motifs d'insatisfaction demeurent au fil des ans et qu'il témoigne de la réaction des usagers, qui parlent de dysfonctionnements trop fréquents, de pannes, de lenteurs, de déconnexions, de problèmes d'accès, etc. Quelles mesures avez-vous d'ores et déjà prises pour remédier à cette situation ?

Vous parliez tout à l'heure de l'activité intense que vous avez eue durant la période d'acquisition des masques. Je fais partie de ceux qui ont commandé des masques, en ma qualité de président de l'Association des maires ruraux de la Moselle, et je dois dire que j'ai eu très peur à ce moment-là, car les masques ont passé beaucoup plus de temps dans l'entrepôt de l'aéroport qu'ils n'en avaient mis à faire le trajet ! Le douanier préposé considérait qu'ils étaient de trop bonne qualité pour être commandés par des maires - et d'ailleurs, pourquoi des maires auraient-ils commandé des masques ? Bref, j'ai dû faire intervenir le préfet, qui m'a aidé à me tirer d'affaire.

Enfin, sur la restructuration, d'ici à 2024, de l'antenne de douane de Metz, je serai, comme vous, très attentif à ce que les choses se passent pour le mieux.

M. Victorin Lurel. - Dans les outre-mer, les douanes ne sont pas ou peu équipées de scanners. On en a demandé en Guyane, notamment l'ancien ministre Christian Eckert avait décidé d'un programme pour équiper les ports et les aéroports de scanners et, à l'époque, les régions étaient prêtes à les cofinancer avec l'État. Plusieurs années après, on manque encore de ces équipements. Je ne sais pas si on a installé un scanner en Guyane, et je n'en sais pas plus pour les autres territoires. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ? Il y a eu des regroupements de brigades, de postes, des suppressions d'effectifs... Le résultat est que des containers qui arrivent dans l'Hexagone ne sont pas contrôlés. Or le trafic de stupéfiants notamment est un vrai sujet.

Enfin, sur le commerce en ligne, on a du mal à appliquer la taxation et l'octroi de mer. Amazon ou d'autres entreprises de France ou d'ailleurs m'ont confirmé qu'elles ne livraient pas dans les outre-mer parce que c'était trop compliqué. Il y a un problème de mutualisation et de centralisation. Pourriez-vous nous éclairer sur l'avenir du commerce en ligne dans les outre-mer ? Il y a là une perte de recettes considérable...

M. Jean-Michel Thillier. - Vous avez évoqué les ferries qui viennent depuis l'Irlande, État membre, vers notre territoire. Ils arrivent essentiellement à Cherbourg et Dunkerque, à raison de mille camions par port - à comparer aux quelque 145 000 camions qui nous arrivent directement du Royaume-Uni, par Dunkerque, par Calais ou par le tunnel. Il ne s'agit donc d'une partie marginale du trafic, mais en croissance, et nous sommes en train de nous pencher sur la question. Il s'agit d'un trafic intracommunautaire, et il n'y a donc pas de formalités douanières à accomplir, puisque la République d'Irlande est un État membre. Il n'y a pas interopérabilité à proprement parler, nous utilisons les systèmes d'information de l'Union européenne de manière différente.

Nous n'avons pas de certitudes sur l'étanchéité de la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Le risque, pour nous, est que des produits arrivent du Royaume-Uni ou de pays tiers sur le territoire communautaire, mais sans les formalités nécessaires et sans remplir les conditions de normes qui s'attachent à certains produits. Nous y sommes attentifs.

La réponse communautaire donnée à cette problématique figure dans le protocole nord-irlandais annexé à l'accord de retrait signé en mars de l'année dernière. Des équipes de supervision de la Commission européenne sont en place depuis le 1er janvier. Elles comptent une dizaine de personnes, en poste en Irlande du Nord pour observer comment le Royaume-Uni, et notamment sa douane, surveille ce qui se passe pour les marchandises qui passent de l'île d'Angleterre vers l'Irlande du Nord. Deux anciens douaniers français font partie de cette équipe, que la Commission a renforcée depuis le 1er avril - un troisième douanier français vient de partir rejoindre ces douaniers allemands, anglais, néerlandais, etc. Le but de cette équipe de supervision est de regarder les flux qui arrivent en Irlande du Nord, et de s'assurer que ce qui entre en Irlande du Nord reste en Irlande du Nord, et ne s'introduit pas de manière subreptice en République d'Irlande. Pour l'heure, on ne nous a pas signalé de fraudes avérées. C'est une priorité de la Commission européenne et des États membres les plus concernés, d'où notre participation à cette équipe qui regarde également comment les Britanniques s'organisent pour gérer cette frontière.

Désormais, les Britanniques ont décidé de reculer de six mois, comme ils l'ont fait pour les formalités d'importation, les formalités d'exportation entre le Royaume-Uni et la République d'Irlande. La réponse de la Commission est en train de s'organiser, pour voir comment l'étanchéité de la frontière nord-irlandaise sera garantie par les autorités britanniques.

Il y a dix projets de ports francs au Royaume-Uni. Ce qui est recherché dans ces ports francs ne relève pas tant du douanier que du domaine fiscal et social. Nous suivons la question avec notre ambassade, pour appréhender les marchandises qui seraient susceptibles d'être concernées en fonction des avantages qui seraient donnés dans ces ports francs. Nous n'en connaissons pas encore le contour réglementaire précis, ni les possibilités de stockage, de manipulation et de livraison qui seront autorisées. Nous serons attentifs aux courants de marchandises qui pourraient ensuite revenir dans les États membres.

Mme Isabelle Braun-Lemaire. - Le Brexit nous a coûté 70 millions d'euros : 53 millions d'euros pour la masse salariale et 17 millions d'euros pour l'informatique.

Le transfert des missions fiscales à la DGFiP est l'occasion d'une réingénierie des processus. Les taxes seront traitées en s'appuyant en priorité sur le système d'information de la DGFiP et rejoindront un cycle de gestion, taxation et contrôle proche de celui d'autres taxes gérées par l'administration fiscale. Ces réseaux ne seront pas forcément nouveaux. Plusieurs taxes seront déclarées dans les CA3 (formulaires utilisés pour les déclarations mensuelles de TVA et taxes assimilées), par exemple, et suivront les systèmes d'information correspondants. Ce transfert des missions fiscales nous impose une vraie gestion des ressources humaines, afin de veiller à ce que tous les agents concernés puissent, s'ils le souhaitent, rester dans leur résidence. C'est notre engagement commun avec la DGFiP.

Cela nous a conduit en parallèle à nous demander où allait la douane, et quelles devaient être ses missions. Nous définissons la douane post-transfert de fiscalité comme l'administration de la frontière et de la marchandise. Parmi les sujets qu'elle doit embrasser figure celui du contrôle migratoire, en lien avec la police aux frontières (PAF). Pour assurer pleinement ce contrôle, la douane dispose de marges de progrès, alors qu'elle doit être à l'état de l'art dans ce domaine, et dégager davantage de synergies avec la PAF. Un audit Schengen par la Commission est prévu. Il sera l'occasion de préciser nos axes de progrès. Nos missions comportent aussi, bien sûr, la douane traditionnelle, pour la lutte contre tous les trafics, et la douane facilitatrice, ce qui touche le e-commerce et la réingénierie de nos frontières terrestres, maritimes et numériques. Nous souhaitons faire figurer ces objectifs dans un contrat, qui précisera les moyens qu'on y affecte.

Nous réfléchissons aussi à la manière d'accomplir nos missions. Nous souhaitons être encore plus attentifs aux conditions de travail et d'exercice, avec de meilleurs outils et davantage d'équipement. L'usage des scanners est l'un des sujets qui nous préoccupent, notamment pour le contrôle du e-commerce avec le ciblage des colis, ou dans les ports, où il y a de la fraude et du trafic de stupéfiants.

L'optimisation de nos ressources concerne aussi la géographie de nos services. La Cour des comptes avait en effet appelé à cette rationalisation. Jusqu'en 2018, nous avons fait beaucoup d'efforts en ce sens. Il y a eu la centralisation comptable, et une forte massification. Des fragilités viennent toutefois d'apparaître, liées au transfert de la fiscalité vers la DGFiP : huit sites sont particulièrement affectés. L'apparition de ces fragilités conduit à s'interroger sur le maintien de l'implantation, ce qui ne signifie pas nécessairement une fermeture. Ainsi, en Auvergne, contrairement à ce qu'on avait imaginé par le passé, on a choisi de renforcer notre présence dans ce territoire et nous envisageons d'y implanter un service national, dans le cadre de la « démétropolisation » des services publics des administrations centrales. Pour chaque zone fragilisée, nous nous posons la question du besoin de douane, en fonction également de la géographie terrestre et routière.

La performance fait partie de notre projet stratégique. En termes de suivi de notre activité, nous avons quelques marges de progrès. Nous menons un grand chantier autour des données et de leur valorisation, sur deux volets en particulier. Le premier concerne la façon dont nous pouvons mobiliser l'ensemble des données pour un meilleur ciblage des contrôles. C'est la mission du service d'analyse de risque et de ciblage (SARC). Le second concerne l'amélioration du pilotage de l'activité. De manière générale, nous faisons le constat que nos données ne sont pas encore pleinement utilisées. Nous allons essayer de les mettre davantage au service de nos activités opérationnelles - par exemple, pour conseiller une entreprise, ou pour être en mesure de nous projeter sur un territoire avec tout l'historique des contentieux locaux, afin de construire des dispositifs opérationnels plus efficaces.

Je ne suis pas sûre qu'on puisse encore tirer un bilan de la loi Essoc, car l'année dernière a été très particulière et nous avons dû réorienter certaines de nos activités.

Vous avez évoqué le web scraping et la manière de collecter du contenu sur les réseaux sociaux et d'en faire bon usage, en tout cas pour lutter contre la fraude. Nous examinons les dispositions du décret pour déterminer comment conduire ces expérimentations.

M. Jean-Michel Thillier. - Concernant l'outre-mer, nous n'avons pas de scanners dans les ports mais nous en avons dans les aéroports, pour le contrôle des bagages et du fret lié à l'e-commerce. Les ports des territoires ultramarins sont des zones sensibles car ils sont situés non loin des zones de production et que ce sont également des ports de correspondance, avec des transbordements entre les bateaux. Ils font donc partie de nos priorités en termes d'équipement. Nous analysons les fonds communautaires à disposition pour acquérir ce genre de matériel.

Mme Isabelle Braun-Lemaire. - Plus généralement, pour notre équipement, nous mobilisons au maximum les fonds disponibles. Un fonds européen vient d'être créé, notamment, à compter de 2021. Nous sommes donc en train de recenser tous les équipements dont nous aurions besoin pour répondre aux appels à projets de l'Union européenne.

M. Jean-Michel Thillier. - Sur la question de l'octroi de mer, nous sommes très attentifs à sa perception. Il n'y a pas d'impossibilité technique, informatique ou organisationnelle pour percevoir l'octroi de mer, y compris sur des activités de e-commerce. Les difficultés avec les opérateurs de e-commerce surviennent en réalité davantage dans leurs déclarations en douane, car les codes spécifiques liés à cette fiscalité changent d'un département à l'autre.

Mme Isabelle Braun-Lemaire. - Vous nous avez enfin demandé le montant des recettes sur les tabacs : 15 milliards d'euros perçus par la douane, essentiellement au titre des droits de consommation, et 4 milliards d'euros de TVA perçus par la DGFiP. S'agissant du blanchiment d'argent, nous avons 217 cas de blanchiment douanier, et 304 millions d'euros redressés.

M. Claude Raynal, président. - Merci à tous pour votre participation.

La réunion est close à 16 h 10.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 7 avril 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 10 h 35.

Audition de M. Martin Vial, commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'Agence des participations de l'État

M. Claude Raynal, président. - Nous avons le plaisir de recevoir ce matin M. Martin Vial, commissaire aux participations de l'État et directeur général de l'Agence des participations de l'État.

Plus de deux années se sont écoulées depuis votre dernière audition par la commission, en février 2019. Force est de constater que le contexte a sensiblement changé : à cette époque, la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite « Pacte », était en cours d'examen ; elle visait notamment à autoriser la privatisation de la Française des jeux et d'Aéroports de Paris. Ces deux dossiers n'ont pas évolué tout à fait de la même manière depuis la promulgation de la loi.

Au-delà de ces deux sujets, que nous continuons de suivre, nous avons souhaité vous entendre aujourd'hui pour revenir sur l'utilisation des 20 milliards d'euros de crédits exceptionnels ouverts en 2020 afin de renforcer les capacités de soutien de l'État actionnaire et faire le point sur la situation financière des entreprises à capitaux publics.

Plus d'un an après le début de la crise sanitaire, nous sommes confrontés à un paradoxe. Alors que nous débutons une troisième période de restrictions nationales pour endiguer la propagation du virus, les marchés financiers en ont effacé les stigmates, le CAC 40 ayant retrouvé la semaine dernière le pic atteint en février 2020. Comme en témoignent les résultats annuels publiés, davantage de temps et d'efforts seront néanmoins requis pour surmonter les effets de la crise sanitaire sur la situation financière des entreprises.

M. Martin Vial, commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'Agence des participations de l'État. - Je voudrais tout d'abord revenir sur l'année 2020, qui a fortement mobilisé l'Agence des participations de l'État (APE) avant de vous faire part de l'évolution de notre stratégie de gestion du portefeuille, laquelle a été affectée par la crise sanitaire.

Revenons d'abord rapidement sur l'année 2020, et sur la façon dont l'État actionnaire a été amené à intervenir. De façon immédiate, il a fallu assurer un suivi de la gestion opérationnelle du Covid-19 par les sociétés du portefeuille. Lors du premier confinement en mars 2020, nous sommes intervenus de concert avec les ministères concernés et les entreprises du portefeuille sur la continuité des activités, la gestion du chômage partiel, etc. Dès la fin du mois de mars, nous avons effectué un suivi hebdomadaire des besoins de financement des entreprises du portefeuille de l'État actionnaire, pour s'assurer qu'elles ne se retrouvent pas dans une situation délicate. À la demande du Gouvernement, nous sommes aussi intervenus sur les rémunérations des dirigeants et des membres de conseil d'administration. Comme vous le savez, la plupart ont soit renoncé à leur part de rémunération variable, soit consenti une forte diminution.

Surtout, nous avons fait un très gros travail pour identifier les entreprises stratégiques - qu'elles soient à participation publique ou non - rendues très vulnérables par la crise. C'est ce que nous avons appelé le « projet Gaïa ». Il en est ressorti une liste d'une vingtaine de grandes entreprises françaises. En complément, le Parlement a voté à l'occasion de la deuxième loi de finances rectificative une ouverture exceptionnelle de vingt milliards d'euros pour accompagner la recapitalisation de ces entreprises.

Au-delà, l'APE a directement participé aux négociations relatives aux évolutions successives du cadre temporaire des aides d'État défini par la Commission européenne en réponse à la crise sanitaire. C'est dans ce cadre que les négociations ont été entreprises avec les services de la Commission européenne, notamment pour Air France-KLM. De façon spécifique, nous avons accompagné la mise en place des prêts garantis par l'État octroyés à Renault et à Air France-KLM, et nous sommes intervenus directement en capital au sein de la SNCF en fin d'année dernière. Enfin, l'année dernière, nous avons souscrit à des fonds dédiés aux filières aéronautiques et automobiles.

Bien évidemment, notre stratégie de gestion du portefeuille a été fortement affectée sous l'influence de la crise sanitaire. Je distinguerai quatre inflexions. La première concerne notre politique de gestion du portefeuille. Désormais, notre priorité est le sauvetage et la sécurisation des entreprises en difficulté et dont le modèle économique est bouleversé. Il s'agit du secteur des transports, de l'aéronautique ou de l'automobile. Pour certaines entreprises, nous sommes déjà intervenus de façon parfois massive, avec plus de 4 milliards d'euros d'augmentation de capital de la SNCF, 3 milliards d'euros d'avance d'actionnaire à Air France-KLM au printemps 2020 puis désormais une opération de renforcement des fonds propres.

Mais il nous revient aussi d'accompagner les entreprises qui se portent bien. Certaines entreprises du portefeuille n'ont pas été spécifiquement affectées par la crise. Je pense par exemple à Orange : le secteur des télécommunications a été très résilient et a connu un fort développement. Je pense aussi à la Française des jeux, qui a vu son activité préservée et sa valeur s'apprécier. Nous devons aussi accompagner les entreprises qui ont des opportunités de développement.

La deuxième inflexion concerne la protection des intérêts économiques français. La crise a révélé la fragilité de la situation financière de certaines entreprises, que l'État soit présent au capital ou non. Je pense aussi à des entreprises à capitaux intégralement privés, pour lesquelles la dispersion du capital constitue une source de fragilité : des prédateurs pourraient profiter de leur forte baisse de valorisation pour effectuer des opérations inamicales et non souhaitées. Vous avez suivi les débats concernant Carrefour ou Danone : je ne dis pas que l'État interviendra, mais il apparaît clairement que la question de la souveraineté économique des grandes entreprises françaises a été renforcée par la crise. C'est dans cet état d'esprit que le fonds « Lac d'argent » pourra être amené à intervenir dans des entreprises françaises cotées pour lesquelles il paraît nécessaire de conserver des intérêts économiques français - même si ce fonds a été créé par Bpifrance avant la crise sanitaire.

La troisième inflexion relève davantage d'une accélération : loin de diminuer les exigences environnementales, la crise les a renforcées. Ce mouvement a d'ailleurs été souhaité et appuyé par le Parlement à l'occasion des lois de finances rectificatives successives en 2020, en plaçant l'éco-conditionnalité comme une référence des objectifs des grandes entreprises du portefeuille. C'est une caractéristique qui constitue dorénavant un pilier de nos interventions de gestionnaire de portefeuille public.

La dernière inflexion concerne la maîtrise des risques, exigence renforcée par la crise. L'APE gère un portefeuille de 85 entreprises : nous intervenons dans tous les conseils d'administration et dans toutes les instances de gouvernance de ces sociétés, dont les comités des risques. Notre vigilance en matière de maîtrise des risques sera renforcée, à la fois pour les risques opérationnels et pour d'autres types de risques - cyber, financiers, etc.

M. Claude Raynal, président. - Je souhaiterais aborder trois points de précision. Tout d'abord, quelle est la valorisation actuelle du portefeuille géré par l'APE, par rapport à la fin 2019 ?

Ensuite, quelle est la consommation des 20 milliards d'euros adoptés en deuxième loi de finances rectificative pour 2020 pour renforcer les participations financières de l'État ?

Enfin, s'agissant d'Air France-KLM, quelle va être la forme de l'aide annoncée au groupe, et quelles en seront les contreparties ? Y aura-t-il des conséquences sur le niveau de détention du capital du groupe par l'État français ou sur ses droits d'actionnaire, bien que cette possibilité semble compliquée par la présence de notre partenaire néerlandais.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il me semble qu'à peine la moitié de l'enveloppe des 20 milliards d'euros a été consommée à ce jour. Pouvez-vous expliquer ce décalage par rapport aux prévisions ? Est-ce à dire que le recours à l'endettement a finalement été privilégié par l'État actionnaire ?

Ma deuxième question concerne l'assouplissement temporaire de l'encadrement des aides d'État qui a été décidé pour autoriser des interventions en capital dans des entreprises particulièrement touchées par la crise sanitaire. Comment nos partenaires européens ont-ils fait usage de cette possibilité ? En outre, quel sera le traitement comptable opéré par Eurostat de ces opérations d'intervention en capital ? Seront-elles considérées comme des opérations financières, neutres du point de vue des critères de Maastricht ?

Je souhaiterais enfin évoquer la question de la privatisation de la Française des jeux, que je suis avec un regard particulier compte tenu que j'étais le rapporteur sur ce sujet pour le projet de loi qui l'avait portée. J'en profite d'ailleurs pour relever que, vu la suite des évènements, l'État n'aurait pas fait une mauvaise affaire en cédant Aéroports de Paris... Il a été prévu d'accorder une prime de fidélité sous la forme d'une attribution gratuite d'actions de la Française des jeux au terme d'un délai de dix-huit mois de détention. Nous y serons dans un mois. Cette prime de fidélité s'ajoutera à la multiplication du cours par deux depuis l'introduction en bourse. Comment cette attribution va-t-elle s'organiser, et quel bilan tirez-vous de cette opération de privatisation ?

M. Martin Vial. - La valeur du portefeuille coté de l'APE a connu une baisse de 5 % au 31 décembre 2020 par rapport au 31 décembre 2019. Le portefeuille s'est donc bien tenu sur l'année : après une baisse très importante au printemps 2020, soit au plus fort de la crise, le cours est remonté dans la deuxième partie de l'année. À titre de comparaison, les valeurs du CAC 40 en 2020 se sont dégradées de 7 %. En complément, le rendement actionnarial du portefeuille coté de l'État s'est dégradé d'un peu moins de 5 %, soit dans les mêmes proportions que pour le CAC 40. L'effet de la crise s'est à cet égard nettement fait ressentir puisque, sur les dix dernières années, ce taux de rendement actionnarial a été de 3,4 % en moyenne. Si l'on ne tient pas compte des entreprises énergétiques, il est même proche de 10 %. Depuis la fin décembre 2020, la valeur du portefeuille coté s'est ensuite stabilisée à une valeur d'un peu moins de 70 milliards d'euros. L'année 2020 a donc bien sûr affecté la valeur du portefeuille mais pas dans des proportions dramatiques.

S'agissant des performances financières du portefeuille, les résultats ont été davantage affectés, car le chiffre d'affaires des entreprises du portefeuille a diminué de 15 % en 2020 par rapport à 2019 et la marge brute a diminué de 29 %. Ces phénomènes ne sont malheureusement pas spécifiques au portefeuille de l'État actionnaire et se retrouvent dans l'ensemble de l'économie...

Sur l'enveloppe de 20 milliards d'euros affectés au programme 358 qui permet de financer les interventions en capital de l'État en faveur d'entreprises en difficulté, nous avons consommé un peu plus de 8,1 milliards d'euros à fin mars 2021 : 3 milliards d'euros d'avance en compte courant d'actionnaire ont été versés à Air France au printemps 2020 ; 4,05 milliards d'euros ont été mobilisés en décembre pour la recapitalisation de la SNCF et fléchés vers SNCF-Réseau ; un peu plus de 1 milliard d'euros d'obligations convertibles en actions d'EDF ont été souscrites en septembre 2020 ; enfin, 150 millions d'euros ont été souscrits en faveur du fonds aéronautique et un peu plus de 100 millions d'euros en faveur du fonds automobile. À date, seuls 40 millions d'euros ont toutefois été effectivement consommés s'agissant de ces deux fonds, les décaissements intervenant à mesure de leur mobilisation pour soutenir les entreprises.

Il reste donc 11,5 milliards d'euros disponibles sur l'enveloppe initiale. Comment expliquer ce décalage par rapport aux prévisions ? Lorsque nous avions passé en revue les entreprises du SBF 120, nous avions identifié une perte potentielle de fonds propres pour ces entreprises nous conduisant, sur la base de nos estimations économiques sur l'impact de la crise, à chiffrer des besoins en capital à horizon 2022 nettement supérieurs aux 20 milliards d'euros de crédits ouverts. Mais les instruments mis en place par ailleurs, en particulier les prêts garantis par l'État (PGE), ont permis à ces entreprises d'éviter de recourir à des recapitalisations. À titre d'exemple, le PGE de 5 milliards d'euros consenti à Renault est sans doute le plus grand PGE mis en place en Europe. Le groupe Air-France-KLM a également bénéficié d'un PGE très important, à hauteur de 4 milliards d'euros On observe d'ailleurs de manière générale que l'année 2020 se caractérise par un taux de faillites très inférieur aux prévisions, et même inférieur à celui de 2019. Les besoins en fonds propres ont donc été décalés dans le temps, de sorte que les années 2021 et 2022 vont constituer une heure de vérité s'agissant de la recapitalisation des fonds propres.

Prenons l'exemple du transport aérien : pour Lufthansa, l'Allemagne a fait le choix d'aller chercher du capital immédiatement, dans un contexte où la visibilité sur la situation du secteur était encore faible. Une première opération de recapitalisation se montant à plus de 6 milliards d'euros a ainsi été menée dès l'été 2020. Celle-ci s'est avérée insuffisante, et une nouvelle opération de recapitalisation pour un montant très substantiel de 5 milliards d'euros a été décidée très récemment. Sur notre portefeuille, nous avons privilégié des opérations de financement sous forme de PGE dans le transport automobile et aérien. Les 11,5 milliards d'euros qui nous restent seront utilisés en 2021 et 2022, non seulement pour les entreprises du portefeuille mais aussi pour un certain nombre d'entreprises au capital desquelles l'État n'est aujourd'hui pas présent - notamment de grandes entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou des « petites » grandes entreprises, qui sont confrontées à de vraies difficultés sur leur bilan et devront reconstituer leurs fonds propres.

Air France-KLM est un bon exemple de ce que nous avons voulu faire. Avec les confinements successifs le transport aérien s'est trouvé dans une situation dramatique : une difficulté supplémentaire tient à ce que la fermeture des frontières ne se fait pas de façon coordonnée et simultanée. Aujourd'hui, le groupe Air France-KLM se retrouve dans une situation délicate, à l'instar de toutes les compagnies européennes. Pour cette raison, nous avons privilégié, l'année dernière, le recours à un prêt de l'État actionnaire de trois milliards d'euros ainsi que le prêt garanti par l'État de 4 milliards d'euros que j'ai évoqué, afin de disposer de plus de visibilité. À l'été dernier, nous pensions que le plus fort de la crise était passé. Par précaution, nous avions estimé qu'il n'était pas urgent de procéder à une opération d'augmentation de capital dans la mesure où nous devions d'abord être certains que l'ampleur de la crise impliquait de renforcer les fonds propres du groupe.

La réalité est celle que vous connaissez : un deuxième confinement en France à l'automne mais également en Europe, puis la fermeture du Royaume-Uni et des fermetures en nombre de frontières européennes cet hiver. Nous avons donc préparé avec le groupe une phase de recapitalisation car il était nécessaire avant l'assemblée générale qui se tiendra dans quelques semaines de pouvoir envoyer le signal aux actionnaires et aux créanciers que l'État et les grands actionnaires étaient présents pour soutenir l'entreprise.

Nous avons annoncé une opération de renforcement des fonds propres à travers deux leviers. D'une part, l'émission d'un titre subordonné, c'est-à-dire de la dette perpétuelle, par le groupe à hauteur de 3 milliards d'euros qui sera souscrit intégralement par l'État au travers de la transformation de notre prêt d'actionnaire. Au plan comptable, ces titres sont assimilés à des quasi-fonds propres. D'autre part, le groupe a annoncé qu'il lancerait le moment venu une opération d'augmentation de capital dans un montant maximal de 1 milliard d'euros. Il fera appel aux actionnaires existants mais également au marché. Nous avons annoncé vouloir souscrire à cette augmentation de capital et porter notre participation à un peu moins de 30 % afin de ne pas passer le seuil de l'offre publique d'achat. L'ensemble permettrait donc au groupe d'augmenter son capital de 4 milliards d'euros sans accroitre son endettement au plan comptable.

Pour préparer cette opération, nous avons été en contact permanent avec l'État néerlandais comme nous le sommes depuis deux ans. Hier, Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance et Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ainsi que leurs homologues néerlandais ont affirmé le soutien commun des deux États à cette opération de renforcement des fonds propres.

Toutefois, l'État néerlandais est dans une situation particulière. Il n'y a pas encore de gouvernement définitif puisque les négociations faisant suite aux élections sont encore en cours. Ensuite, le gouvernement néerlandais souhaite surtout soutenir KLM. À cette fin, l'État néerlandais a octroyé à KLM un prêt d'actionnaire d'un milliard d'euros cet été. S'il souhaitait renforcer les fonds propres de KLM, l'État néerlandais devrait obtenir l'autorisation de la Commission européenne puisqu'il s'agirait d'une aide d'État - autorisation qu'il n'a pas encore sollicitée.

De notre côté, nous avons négocié avec la Commission européenne pendant plus de quatre mois ; les négociations ont été difficiles. Dans sa logique, la Commission européenne considère qu'une aide d'État doit s'inscrire dans le cadre temporaire fixé au printemps dernier. Lorsque l'aide est massive, elle considère que le bénéficiaire doit accorder des contreparties dans la mesure où l'aide modifie le fonctionnement de la concurrence. Elle a, par exemple, imposé à Lufthansa la cession de quarante-huit créneaux en contrepartie de l'aide qu'elle a reçue de la part de l'Allemagne.

Dans le cadre de l'accord trouvé avec la Commission européenne, il a été décidé qu'Air France céderait dix-huit créneaux à Orly au profit de ses concurrents. Cela nous semble très équilibré dans la mesure où nous avons exigé et obtenu que les éventuels bénéficiaires de ces créneaux appliquent strictement les règles fiscales et sociales en vigueur pour Air France à Orly. Il est donc clairement prévu qu'aucun bénéficiaire ne pourra se voir attribuer un créneau s'il ne dispose pas déjà d'une « base » à Orly, c'est à dire des avions, des équipages et des charges payées en France.

Le groupe a également annoncé hier que cette opération de renforcement des fonds propres ne serait pas la dernière, à l'instar de ce qui s'est passé pour Lufthansa et IAG. Une deuxième opération pourrait donc se produire d'ici l'assemblée générale de 2022. Cette première opération pourra, en tout cas, permettre à Air France-KLM de se trouver dans une situation plus favorable pour aborder la reprise de l'activité que nous espérons tous à l'été. Je précise qu'il n'y a pas de problème de liquidité à court terme pour le groupe.

M. Claude Raynal. - Nous allons prendre les questions des autres membres de la commission, dont celles du rapport spécial du compte d'affectation spéciale « participations financières de l'État » et vous pourrez intégrer les réponses à celles posées par le Rapporteur général dans vos réponses à venir.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - L'Assemblée nationale poursuit actuellement l'examen du projet de loi « Climat ». Initialement, le Gouvernement envisageait de recourir à ce texte pour solliciter une habilitation à légiférer par ordonnance afin de procéder à la réorganisation d'EDF. Le projet Hercule rencontre des difficultés tant vis-à-vis de la Commission européenne que des employés du groupe qui s'inquiètent d'un risque de démantèlement. Où en sont les négociations avec la Commission européenne ? Comment assurer la pérennité financière du groupe alors que des rumeurs circulent ce matin même sur un rachat éventuel par l'État des parts détenues par les actionnaires minoritaires à hauteur de 10 milliards d'euros ?

La crise sanitaire a modifié l'approche du Gouvernement en matière de participation publique. L'élément de langage de 2017 d'une « respiration du portefeuille » prend aujourd'hui tout son sens. À l'époque, dans mon rôle de rapporteur spécial, j'avais critiqué cette doctrine. Il me semble que d'une phase d'expiration, on est passé à une période d'inspiration. Avant, il fallait vendre alors qu'aujourd'hui, une toute autre logique prévaut ! Si la doctrine de 2017 est caduque, est-il prévu de formaliser une nouvelle doctrine d'intervention actualisée à l'aune des crédits exceptionnels que nous avons votés ?

Je souhaite également que vous nous parliez du fonds pour l'innovation et l'industrie (FII). Comment le financer ? Faut-il le maintenir ?

Enfin, l'APE insiste depuis plusieurs années sur la prise en compte de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises. Cependant comme l'ont montré nos débats de l'an dernier, le Gouvernement refuse de concrétiser cette ambition sous la forme d'engagements réellement contraignants. Comment s'organise le suivi des engagements pris l'an dernier en matière de transition énergétique dans les entreprises où l'État est actionnaire ? Il serait regrettable de voir se répéter ce qu'il s'est passé chez Danone, où l'on a débarqué un directeur général parce qu'il était, semble-t-il, un peu trop social.

M. Jérôme Bascher. - Dans la perspective de la sortie de crise, vous avez évoqué le renforcement de l'intervention de l'APE. Selon quels critères seront définies les entreprises stratégiques, et à partir de quelle taille justifieront-elles l'intervention de l'agence ?

Par ailleurs, il me semblait que le projet « Lac d'argent » avait davantage vocation à attirer des capitaux étrangers qu'à viser spécifiquement des entreprises stratégiques. C'est en tout cas de cette façon que Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, nous a présenté le projet. Quelle est votre vision sur ce sujet ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Il est indispensable que les aides de l'État soient conditionnées, sous le prisme à la fois de l'efficience écologique et de la souveraineté économique. J'ai pu constater, dans mon territoire, que les grands constructeurs nationaux ne respectent pas cette conditionnalité : des modifications de cahier des charges et des délocalisations en Inde des unités de production ont été imposées à une entreprise industrielle de fabrication de roues. Je m'interroge donc sur la mise en oeuvre pratique de cette conditionnalité par les principaux constructeurs automobiles.

M. Vincent Capo-Canellas. - Vous nous avez présenté, avec nuance et discernement, le montage habile qui a été réalisé pour aider Air France-KLM. Un certain nombre d'inquiétudes demeurent. La question des besoins de liquidité a certes été traitée dès le début de la crise et nous en sommes désormais à celle des fonds propres. Il me semble cependant que nous n'avons pas entièrement résolue cette question dans la mesure où le plan prévu ne représente en réalité qu'un milliard d'euros de fonds propres. Les trois milliards d'euros restant correspondent à des obligations perpétuelles convertibles, qui sont considérées par l'analyse financière comme de la dette.

À la lecture des propos de Ben Smith, directeur général, dans le journal Les Échos de ce matin, on a l'impression que ces mesures ne suffiront pas. Si l'on a bien évité plusieurs écueils, il reste encore des choses à faire pour améliorer réellement le bilan de l'entreprise. Par ailleurs, vous l'avez abordé, nos amis néerlandais prennent un peu leur temps et nous avons le sentiment que ce n'est pas vraiment de bon augure. On a entendu parler de ségrégation des actifs, n'est-ce pas là un très mauvais signal et une source d'inquiétude pour l'avenir ?

M. Christian Bilhac. - Vous avez adressé un soutien important à la filière aéronautique, ce à quoi, en tant qu'élu d'Occitanie, je suis particulièrement sensible ! Cependant, le soutien de l'État, c'est le soutien du contribuable. Dans le cadre du groupe d'études sur l'aviation civile, nous avons interpellé ce matin la direction d'Air France-KLM sur la question de la desserte du territoire. En effet, Montpellier, Biarritz, Pau et Toulon vont désormais être desservis par Transavia. Pour les usagers, cela correspond à une baisse de la qualité des services et à des difficultés à l'occasion des correspondances. Ces villes sont pourtant à plus de trois heures et demie en train de la capitale. Je m'interroge donc : dès lors que l'on sollicite le contribuable, ne devrait-il pas y a voir davantage de contreparties demandées à Air France ?

M. Thierry Cozic. - Vous avez évoqué la défense de la souveraineté économique. Je souhaitais revenir sur le projet Hercule, évoqué par Victorin Lurel. Ce projet, préparé par la présidence de la République, vise à séparer EDF en trois entités distinctes. D'une part, « EDF bleu », détenu par l'État pour l'activité nucléaire et le réseau de transport. D'autre part, « EDF vert », correspondant à l'activité commerciale d'EDF, Enedis et les énergies renouvelables, qui faire l'objet d'une ouverture de 35 % du capital aux investisseurs privés, prélude, à mon sens, à une ouverture complète et à une privatisation. Enfin, « EDF azur », regroupant notamment les concessions l'hydroélectriques et ayant vocation, elle aussi, à être privatisée. Si EDF est encore un service public, c'est-à-dire, au sens du préambule de 1946, un bien commun de la nation, à ce titre inaliénable, ne pensez-vous pas que céder des parts de plus en plus importantes risque de mettre en cause la souveraineté économique et énergétique dont la France a tant besoin ?

M. Michel Canevet. - Pour faire face à la crise, on voit de plus en plus de fonds d'intervention, parmi lesquels le fonds d'innovation et les différents outils de Bpifrance. Quelle est aujourd'hui la cohérence dans les prises de participation des différents intervenants ? Dans le contexte post crise, et dès lors que l'intervention de l'APE ne se limitera pas aux grandes entreprises historiques, quelles sont vos principales orientations ? L'action de l'APE étant très concentrée sur l'énergie et le transport, envisagez-vous de renforcer vos interventions dans le transport maritime ?

Par ailleurs, lors de l'examen de son rapport sur le projet de loi de finances pour 2021, Victorin Lurel avait déploré les informations lacunaires transmises par l'APE. Quelles sont les évolutions envisagées pour renforcer l'information des parlementaires ?

M. Gérard Longuet. - L'État est encore, à ce jour, le principal actionnaire d'Engie. Avez-vous été associé et dans quelles conditions, à la décision d'Engie de céder sa participation dans Suez ?

Par ailleurs, le projet Hercule est la conséquence de l'échec de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh). Pensez-vous qu'il soit possible pour EDF de survivre à l'absence d'accord avec la Commission européenne, fixant un niveau raisonnable de tarification de l'Arenh ?

M. Éric Bocquet. - Je ne poserai qu'une seule question d'ordre général et historique. L'APE, créée en 2004, a vu son portefeuille se réduire au gré des cessions et des privatisations. Je souhaitais savoir s'il existait, au sein de l'APE, une doctrine officielle qui fixerait un seuil minimal de participation de l'État au sein de la sphère économique ? On voit bien que la tendance mondiale depuis quelques décennies est au retrait des États de l'économie pour le confiner à ses fonctions régaliennes. Existe-t-il, en France, un consensus, au-delà des alternances politiques, pour maintenir une part minimale de l'État dans l'activité économique, en particulier dans le secteur des transports ou encore de l'énergie ?

M. Martin Vial. - S'agissant de la Française des jeux, nous préparons l'attribution d'actions gratuites, conformément à ce qui avait été décidé lors de sa privatisation. Nous ne pouvons pas mesurer en temps réel le maintien de la détention des actions achetées à l'automne 2019 par les actionnaires individuels. Une grande partie des actionnaires initiaux seront attributaires de ces actions gratuites, car ils devraient avoir conservé leurs actions pendant dix-huit mois grâce à la performance de l'action. Il est donc probable que ces actionnaires se verront attribuer des actions gratuites. Nous avions prévu une enveloppe suffisante pour cela.

Pour revenir à la question du traitement maastrichtien des interventions en capital opérées par l'État actionnaire, il faut distinguer deux éléments. La dotation de vingt milliards d'euros va affecter la dette publique, car elle accroît le besoin de financement de l'État. Pour ce qui est de l'utilisation progressive de ces vingt milliards d'euros, Eurostat, qui est seul juge en la matière, décidera s'il s'agit ou non d'opérations financières selon le caractère avisé des opérations, c'est-à-dire selon la capacité de remboursement et de traitement de ces aides. Dans le cadre temporaire fixé par la Commission européenne l'année dernière, les aides d'État ont vocation à être remboursées, soit directement par l'entreprise soit lorsque l'État se défait dans des conditions financières de marché des actifs qu'il aura acquis par ces aides.

Concernant le projet Hercule, le projet de loi « Climat » n'a en effet pas prévu une réforme de la régulation de l'activité nucléaire d'EDF. Cette réforme aurait d'abord une vocation industrielle : le choix de la France est celui d'un mix entre énergie nucléaire et énergies renouvelables, qui va de pair avec un objectif de réduction de la part du nucléaire à hauteur de 50 % d'ici à 2035 ainsi qu'une montée en puissance progressive des énergies renouvelables. L'utilisation du parc nucléaire existant reste dans ce cadre un pilier majeur de la politique énergétique française et EDF est au coeur de cette politique.

La réforme doit permettre à EDF d'investir massivement dans les énergies renouvelables que sont le solaire ou l'éolien terrestre ou en mer. Or, si aujourd'hui EDF est une des entreprises françaises les plus rentables, et génère une marge brute de près de 17 milliards d'euros, cette marge est consommée par des investissements massifs, notamment dans le nucléaire. Le groupe a par conséquent des difficultés à faire face à la fois à ses besoins d'investissements dans le domaine nucléaire et dans les énergies renouvelables. Tout l'objectif du projet de régulation du nucléaire est que l'activité nucléaire soit autofinancée, c'est-à-dire que le prix payé par les clients d'EDF couvre l'intégralité des coûts historiques et des coûts actuels, afin de dégager des marges supplémentaires pour investir dans les énergies renouvelables.

Nous sommes en discussion avec la Commission européenne pour obtenir cette nouvelle régulation et mettre fin à l'Arenh, qui est un système dissymétrique. Le prix de l'Arenh est fixé à 42 euros par mégawatts par heure. Si les prix de marché sont supérieurs à 42 euros, les concurrents d'EDF vont vers EDF pour s'approvisionner en énergie à ce prix. Dans le cas contraire, ils se fournissent directement sur le marché. C'est donc un système perdant-perdant pour EDF, qui ne peut donc pas être pérenne. Nous cherchons à élaborer un dispositif de régulation afin d'en sortir pour permettre à l'activité nucléaire d'autofinancer intégralement ses investissements.

Cette réforme se traduirait selon certains par la séparation d'EDF en trois entités ; il n'en est rien : EDF resterait un groupe intégré avec, à sa tête, la société-mère actuelle, EDF S.A. Elle regrouperait une filiale concernant l'activité hydraulique, qui serait détenue à 100 % par EDF, ainsi que d'autres filiales, comme c'est le cas aujourd'hui par exemple pour l'entreprise Enedis, Edfen pour le renouvelable ou Delkia pour les activités de services. L'idée est de regrouper les filiales du réseau de distribution au sein d'une même entité à l'intérieur du groupe, détenue très majoritairement par EDF S.A. pour développer les activités liées aux énergies renouvelables et attirer les investisseurs. Il s'agit donc de maintenir un groupe intégré. Les discussions avec la Commission européenne sont longues, car celle-ci veut s'assurer que la réforme de la régulation du nucléaire ne se traduit pas par une aide à des activités concurrentielles. Le Gouvernement poursuit ses échanges avec la Commission européenne ainsi qu'avec les organisations syndicales de l'entreprise. Si cette réforme était possible, le Parlement aurait à en connaître pour l'amender ou la faire évoluer.

Allons-nous modifier la doctrine d'intervention de l'État fixée en 2017 du fait de la crise sanitaire ? Nous avions fixé une nouvelle doctrine en 2017, qui a bien entendu évolué au cours des derniers mois. Nous espérons tous qu'au cours du second semestre nous pourrons stabiliser nos interventions, mais cette crise peut avoir des effets de long terme. S'agissant du fonds pour l'innovation de l'industrie, nous avons versé 1,9 milliard d'euros à l'été 2020, correspondant au produit de la privatisation de la Française des jeux, comme annoncé à l'automne 2019. Nous continuerons à l'approvisionner lorsqu'il y aura des recettes nouvelles.

Concernant la responsabilité sociale et environnementale (RSE), les engagements pris seront suivis. Le Parlement a fixé dans les deuxième et troisième lois de finances rectificatives en 2020 des obligations à l'État afin d'obliger les entreprises aidées à accroître leurs engagements en matière d'émissions de CO2. Nous devons rendre au Parlement un rapport sur ce sujet. L'APE a émis une charte RSE envoyée à tous les dirigeants d'entreprises du portefeuille pour fixer les objectifs en matière de responsabilité autour des thèmes suivants : intégrer la RSE dans la stratégie de l'entreprise qui doit comprendre la transition vers une économie bas carbone, agir en tant qu'employeur responsable et générer un impact sociétal positif. Je tiens cette charte RSE à votre disposition.

Monsieur Longuet m'a interrogé sur les conditions dans lesquelles l'État a pris part aux décisions concernant la stratégie d'Engie. Le conseil d'administration d'Engie, au sein duquel siège un représentant de l'État, a approuvé en juillet 2020 la stratégie consistant à se concentrer sur son coeur de métier afin de se développer en tant qu'entreprise tournée vers les réseaux et les énergies renouvelables. Engie a opéré un important mouvement qui consiste à se défaire d'actifs historiques sur les énergies fossiles, notamment en adoptant un programme de sortie du charbon, en adéquation avec les objectifs de la stratégie nationale bas carbone. En revanche Engie a beaucoup investi dans les réseaux, en France, en Europe, mais aussi en Amérique du sud et en Asie, ainsi que dans les services. De ce point de vue, la stratégie de concentration d'Engie sur ses coeurs de métier est essentielle, et, à l'instar d'EDF, Engie ne peut pas tout faire. Or, ces dernières années, Engie s'est un peu dispersée dans des activités variées, de services aux hôpitaux, aux armées, de gestion immobilière, autant de domaines assez éloignés de l'activité énergétique. C'est pourquoi la stratégie qui a été approuvée au mois de juillet dernier consiste à se concentrer sur le développement de la production d'énergies renouvelables et des réseaux, ainsi que des services qui accompagnent ces deux types d'activité. Par conséquent il faudra que, peu à peu, Engie se sépare des autres types d'activité. C'est dans ce cadre que la cession de l'activité eau à travers la participation d'Engie dans Suez a été actée. Ensuite, Véolia s'est manifestée rapidement et l'État s'est prononcé contre la cession du bloc Suez au conseil d'administration qui s'est tenu début octobre. À cette occasion Bruno Le Maire a considéré qu'une opération hostile n'était pas souhaitable entre ces deux opérateurs. L'État a donc approuvé la stratégie de reconcentration d'Engie sur ses activités mais a désapprouvé en conseil d'administration les modalités de cession du bloc de Suez.

S'agissant d'EDF, est-ce que l'Arenh devrait être supprimé et si oui quelle en serait la conséquence pour EDF ? Je voudrais tout d'abord noter que l'Arenh a une durée de vie limitée puisqu'au 31 décembre 2025, ce mécanisme prendra fin. Cette suppression est, en effet, inscrite dans le cadre juridique et il faudra ensuite que l'entreprise fonctionne dans les conditions du marché. Néanmoins, il paraît souhaitable sur le long terme que les consommateurs individuels puissent bénéficier d'un dispositif de régulation qui évite de les exposer à des fluctuations excessives et en particulier à des hausses massives des prix de marché. Les consommateurs français payent un prix très inférieur à la moyenne européenne, notamment à celui de nos voisins allemands. L'objectif est de conserver ces avantages de manière pérenne pour les consommateurs. Nous sommes dans une perspective où ce système asymétrique disparaîtra dans un peu moins de cinq ans et nous souhaitons à travers cette réforme fixer des règles de régulation qui soient durables.

Concernant la doctrine de l'APE, agence qui a été créée il y a maintenant près de dix-sept ans, M. Bocquet m'a interrogé pour savoir s'il existe un objectif visant un niveau minimal de détention. Le fait que l'État détienne des intérêts majeurs dans des entreprises relevant de la souveraineté me paraît faire l'objet d'un consensus, quelles que soient les majorités politiques. Dans la doctrine de 2017, il était très clair que nous devions garder voire réinvestir dans les entreprises de souveraineté nationale c'est-à-dire celles de défense ou relevant de l'indépendance énergétique et nucléaire, en particulier EDF et Orano. Ce pilier me semble commun à tous les courants politiques et restera au coeur de notre doctrine. Il y a aussi un consensus pour considérer que les grands services publics nationaux, tels que la SNCF ou La Poste, doivent rester sous le contrôle de l'État. À cet égard EDF est au croisement de ces deux considérations puisqu'il s'agit d'une entreprise qui exerce une activité de souveraineté dans le domaine nucléaire et qui assure un service public au niveau national.

Concernant les autres entreprises, il y a deux critères à prendre en considération lorsque l'État est amené à céder des participations. Le premier critère est de protéger les intérêts patrimoniaux de l'État en effectuant ces cessions dans des conditions économiques optimales. Le second est de s'assurer, si l'État venait à réduire ses participations ou à se retirer complètement de ces entreprises, qu'il y ait des actionnaires français puissants à sa place. Ainsi, les mouvements de sortie du capital des entreprises commerciales dans lesquelles l'État est présent aujourd'hui ne peuvent pas se faire du jour au lendemain en raison de l'exigence de souveraineté économique consistant à garder un minimum de présence actionnariale française. Cette doctrine rappelée en 2017 reste valable, a fortiori en cette période de crise sanitaire.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions et nous aurons plaisir, s'il en était besoin, à vous entendre à nouveau en fonction de l'actualité.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis

M. Claude Raynal, président. - Il vous est proposé que notre commission se saisisse pour avis du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et de désigner Mme Christine Lavarde comme rapporteur pour avis.

A ce stade, notre commission est plus particulièrement concernée par les articles 30, 32, 35 et 62 du projet de loi initial, sous réserve de l'ajout d'autres dispositions de nature financière à l'issue de l'examen du texte par l'Assemblée nationale.

La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi n°3875 rect. (A.N., XVe lég.) portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, sous réserve de sa transmission. Elle désigne Mme Christine Lavarde rapporteur pour avis.

Questions diverses

M. Claude Raynal, président. - Nos collègues Bernard Delcros et Frédérique Espagnac, respectivement rapporteurs spéciaux des missions « cohésion des territoires » (pour la politique des territoires) et « économie », m'ont fait savoir qu'ils souhaitaient poursuivre cette année le travail de contrôle budgétaire engagé sur les zones de revitalisation rurale, qui avait donné lieu à la publication d'un rapport d'information en octobre 2019. Ce sujet pourra faire l'objet d'un ajout au programme de contrôle de la commission.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 12 h 25.