Mardi 6 avril 2021

- Présidence de Mme Annie Le Houerou, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Précarité alimentaire - Audition de MM. Yves Mérillon et Louis Cantuel, responsables des relations institutionnelles des Restos du coeur, Yann Auger, directeur général de l'Association nationale des épiceries solidaires, Nicolas Champion, membre du Bureau national du Secours populaire français, Jean-Baptiste Favatier, président de l'Ordre de Malte - France, et Claude Baland, président de la Fédération française des banques alimentaires

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Mes chers collègues, nous commençons notre programme de ce mardi par un échange sur la précarité alimentaire.

Nous avons le plaisir d'accueillir les représentants de cinq organisations actives en matière de lutte contre la précarité alimentaire : MM. Yves Mérillon et Louis Cantuel, responsables des relations institutionnelles des Restos du coeur, M. Yann Auger, directeur général de l'Association nationale des épiceries solidaires, M. Nicolas Champion, membre du Bureau national du Secours populaire français, M. Jean-Baptiste Favatier, président de l'Ordre de Malte - France et M. Claude Baland, président de la Fédération française des banques alimentaires.

Je vous remercie d'avoir accepté l'invitation du Sénat. Notre mission d'information est chargée de comprendre et de proposer des solutions face au phénomène de précarisation et de paupérisation d'une partie des Français, c'est-à-dire au mouvement de fragilisation qui frappe certains de nos concitoyens, non seulement dans la crise actuelle, mais également depuis la précédente. Le covid est un événement exceptionnel en ce qu'il fait basculer dans la précarité des personnes qui ne s'y attendaient pas.

Je vous propose de débuter cette audition par un bref propos liminaire de sept à huit minutes chacun, qui permettra de bien identifier le rôle respectif de vos organisations. Vous pourriez également nous faire part de vos principaux constats quant aux grandes tendances de l'évolution de la précarité alimentaire, notamment quant aux nouvelles populations qui font appel à vos services depuis la crise liée à l'épidémie de covid-19, mais aussi, le cas échéant, avant celle-ci.

M. Yves Mérillon, responsable des relations institutionnelles des Restos du coeur. - Un an après le début de la crise, nous nous interrogeons fortement sur la façon dont nous remplissons nos missions. Les Restos du coeur aidaient environ 900 000 personnes avant la crise, grâce à l'aide de 75 000 bénévoles, dans 2 000 centres en France. Nous distribuons, chaque année, 135 millions de repas.

Nous ne sommes pas seulement une association d'aide alimentaire. L'aide alimentaire est la porte d'entrée vers toute une série d'activités, d'actions d'inclusion sociale : soutien à la recherche d'emploi, accès à la culture, microcrédit, conseil budgétaire, accès au droit, lutte contre la fracture numérique... Nous avons aussi des activités d'insertion : nous gérons une centaine d'ateliers et de chantiers d'insertion ainsi que des centres d'hébergement et des résidences sociales.

La crise précédente, en 2008, s'était traduite, pour les Restos du coeur, par l'arrivée de 25 % de personnes supplémentaires en deux ans. Ce constat nous inquiète beaucoup, car il pourrait préfigurer les conséquences de la crise sociale que nous connaissons actuellement.

Le public reçu par les Restos du Coeur présente deux caractéristiques importantes. La première est sa jeunesse : 40 % des bénéficiaires sont des mineurs et 10 % sont âgés de 18 à 25 ans. Une personne inscrite aux Restos du coeur sur deux a donc moins de 26 ans. La seconde est l'isolement. La moitié des familles que nous recevons sont monoparentales. Dans 90 à 95 % des cas, il s'agit de femmes seules avec enfants. Nous accueillons, globalement, 40 % de personnes seules.

Quel a été l'impact de la crise sanitaire sur notre fonctionnement ? Nous avons bien évidemment été extrêmement perturbés au mois de mars 2020. Nous avons pu continuer notre action moyennant un certain nombre d'adaptations, qui sont autant de dégradations du service rendu, mais qui étaient indispensables pour pouvoir continuer à fonctionner alors qu'une partie de nos bénévoles âgés s'étaient mis en retrait et que nous ne disposions pas de matériel de protection.

Nous avons pu continuer la distribution alimentaire en « drive », avec des colis confectionnés a priori. Cependant, les personnes accueillies n'avaient plus de choix, plus la possibilité de discuter et ne recevaient plus d'accueil.

Par ailleurs, nous avons dû arrêter la plupart des activités d'inclusion et d'aide à la personne, comme le soutien à la recherche d'emploi ou les cours de français, que nous ne pouvions plus proposer dans les conditions habituelles. Toute notre énergie est aujourd'hui concentrée sur le redémarrage de ces activités.

On a beaucoup parlé, durant cette crise, de l'arrivée de nouveaux publics. Ces derniers représentent à peu près 15 % des personnes que nous accueillons. Il s'agit de titulaires de petits boulots ou de CDD, d'intérimaires, d'étudiants, qui travaillaient notamment dans la restauration pour financer leurs études, sans parler des familles qui ont dû nourrir leurs enfants à domicile, les écoles et donc les cantines étant fermées.

Nous avons également des activités de rue. Dans certaines villes, comme à Paris et Toulouse, nous avons observé une très forte augmentation de la fréquentation de nos distributions dans la rue.

Dans quelle situation sommes-nous aujourd'hui ? Nous avons été aidés par les pouvoirs publics et par l'Europe, qui nous ont permis de passer le cap aigu de la crise. Aujourd'hui, nous sommes inquiets pour l'avenir : que va-t-il se passer lorsque les aides publiques aux entreprises s'arrêteront, lorsque la réforme de l'assurance chômage entrera en vigueur ? Tous ces éléments ne sont pas de nature à diminuer la fréquentation des publics des Restos du coeur. Ne va-t-on pas connaître une brutale augmentation du chômage, qui se traduira par celle de la fréquentation de nos centres d'activités ?

En arrière-plan, nous craignons une nouvelle augmentation de 25 % de la fréquentation, comme en 2008.

M. Louis Cantuel, responsable des relations institutionnelles des Restos du coeur. - Ce qui ressort de l'étude flash conduite juste après le premier confinement, au-delà de la dimension quantitative, est un phénomène d'aggravation de la précarité : la crise fait basculer ceux qui étaient déjà en situation de précarité ou de quasi-précarité.

Ce phénomène n'est pas encore visible dans les chiffres d'activité des associations, mais on pourra très probablement l'observer dans les prochains mois. La crise sera probablement durable et ses conséquences les plus massives risquent d'apparaître dans les prochaines années, comme cela s'est produit voilà dix ans.

S'agissant des aides, un plan d'urgence important a été débloqué, un plan de relance est en cours de déploiement et un soutien européen, à travers le programme React, bénéficiera aux quatre associations qui mettent en oeuvre le Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD). Cette aide est considérable et sera très utile, même si les conditions de sa mise en oeuvre ne nous paraissent pas tout à fait satisfaisantes, la gamme de produits concernés étant très réduite.

M. Yann Auger, directeur général de l'Association nationale des épiceries solidaires (Andes). - L'Andes fédère un réseau d'environ 420 épiceries solidaires, qui accompagnent environ 200 000 personnes chaque année, sous une forme spécifique qui allie aide alimentaire et accompagnement social. Notre volonté est de distribuer l'aide alimentaire dans des établissements qui ressemblent à des commerces de proximité quelconques, mais qui sont dédiés à des personnes en situation en précarité, lesquelles y font leurs courses pour un coût entre 10 et 30 % de la valeur marchande des produits pendant quelques mois. De fait, ces personnes sont censées ne faire que passer dans les épiceries avant de retrouver une « vie normale », même si, sur le terrain, ce n'est pas toujours aussi simple.

Nous avons d'autres activités : nos chantiers d'insertion livrent en particulier des fruits et légumes aux structures d'aide alimentaire, aux épiceries du réseau Andes, mais aussi à d'autres structures, y compris à certaines qui participent à l'audition d'aujourd'hui.

Pour ce qui concerne l'impact de la crise, la situation a parfois été fort complexe depuis un an, surtout lors du premier confinement. Petit à petit, les choses se sont structurées, mais le mode de fonctionnement dégradé est presque devenu la norme, ce qui n'est pas sans poser de nombreux problèmes et soulever maintes questions.

L'accompagnement social, les ateliers collectifs sont très fragilisés par la situation. En 2019, le réseau Andes avait organisé un peu plus de 12 000 ateliers à destination des bénéficiaires. En 2020, ce chiffre est tombé à 4 000. Ce n'est pas une très bonne nouvelle et cela nous inquiète sur notre capacité à accompagner les personnes autrement que par l'aide alimentaire, ce qui n'est absolument pas la vocation des épiceries solidaires.

Nous avons enregistré des hausses de fréquentation de 30 % en moyenne sur l'année 2020, avec des pics très élevés durant les confinements. L'augmentation a notamment été de 40 % en moyenne pendant le premier confinement. Toutefois, les situations sont extrêmement variables, avec des structures qui n'ont presque pas connu de hausse et d'autres qui font face à des augmentations de 100 %, voire 150 %, ce qui interroge quant à leurs capacités à absorber de telles évolutions.

Nous n'avons pas encore de visibilité sur le premier trimestre 2021, mais les chiffres devraient être connus assez rapidement. Il me semble que toutes les associations réunies aujourd'hui sont désormais amenées à produire des statistiques trimestrielles, sous l'impulsion de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), de l'Insee et de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Cela nous aidera à appréhender la situation de manière formalisée et standardisée, au-delà des enquêtes que l'on peut faire en interne.

Pour ce qui est des profils, je ne peux que confirmer ce qui a été dit précédemment : on retrouve beaucoup de personnes seules, de personnes ayant subi l'impact économique de la crise, beaucoup d'étudiants - certaines de nos épiceries leur sont dédiées -, des familles monoparentales, qui ont souffert de la fermeture des cantines scolaires au printemps dernier et en souffriront encore lors des prochaines semaines.

Nous avons été aidés, en particulier en 2020, au travers des deux plans d'urgence, qui ont été mis en place de manière assez rapide et significative pour l'aide alimentaire. Nous nous interrogeons fortement sur la pérennité des moyens futurs, au-delà des enveloppes très importantes mais ponctuelles mises à disposition au travers du plan de relance. J'ignore comment nous pourrons faire face de manière relativement durable à une hausse de 30 % de la fréquentation.

Les épiceries représentent 5 à 6 % de l'aide alimentaire. L'une de nos principales sources de financement est le crédit national pour les épiceries sociales (CNES), qui permet de pallier le fait que les épiceries n'ont pas accès au FEAD, puisqu'elles ne pratiquent pas l'aide alimentaire gratuite - en tout cas pas majoritairement. La dotation du CNES n'a pas augmenté entre 2020 et 2021, alors même que les besoins sont en hausse de 30 % au sein des épiceries existantes et alors que s'ouvrent de nouvelles épiceries solidaires à peu près toutes les semaines. Nous nous demandons comment le CNES pourra évoluer dans les années à venir, au-delà des démarches ponctuelles menées au travers du plan de relance.

M. Nicolas Champion, membre du Bureau national du Secours populaire français. - Le Secours populaire français aide 1,8 million de personnes dans plus de 1 300 lieux d'accueil répartis sur l'ensemble du territoire français. C'est une association décentralisée, avec des fédérations départementales et des comités locaux. Cette organisation nous a permis d'être au plus près de la population durant la crise sanitaire. Le Secours populaire aidait, en 2009, 1,3 million de personnes. Ce chiffre est passé à 1,8 million en 2019, soit 500 000 personnes en plus en dix ans.

Concernant la typologie des publics, nos chiffres sont presque similaires à ceux des Restos du coeur. Ainsi, 42 % des personnes que nous accueillons sont mineurs. Cette proportion est stable.

D'après un sondage que nous avons réalisé avec Ipsos en septembre 2020, un Français sur trois avait connu une baisse de revenus liée à la crise sanitaire. Cela donne une idée de l'ampleur de la vague de précarité que nous nous apprêtons à subir.

Pendant le premier confinement, des populations ont été précarisées très vite. Je pense notamment aux personnes vivant de petits boulots ou de missions d'intérim. Depuis la rentrée scolaire, nous sommes touchés de plein fouet par une vague de précarité chez les étudiants. Nous multiplions les dispositifs pour aller vers ces derniers : antennes sur les campus universitaires, Solidaribus...

Ces publics qui ont basculé très brutalement dans la précarité se sont très vite trouvés en situation de précarité psychologique. À la suite du premier confinement, ils sont arrivés chez nous complètement désorientés, alors que l'organisation de la distribution alimentaire se faisait dans des conditions dégradées. Nous avons pu reprendre notre travail d'accompagnement et nos permanences d'accueil social. Nous avons innové. Nous avons essayé de continuer ce que nous faisons habituellement. Je pense au droit aux vacances. Ainsi, nous avons multiplié les grandes journées des oubliés des vacances. Nous avons organisé des « journées bonheur » pour permettre aux gens de souffler durant l'été.

Sur les perspectives, le sondage que nous avons réalisé récemment auprès de nos fédérations laisse apparaître une augmentation de 30 % des publics en 2020, même si les chiffres doivent encore être consolidés. Nous redoutons l'inscription de cette précarité dans le temps et que les financements exceptionnels de l'État, que je salue, ne perdurent pas.

M. Jean-Baptiste Favatier, président de l'Ordre de Malte - France. - Je parlerai de ce que fait l'Ordre de Malte en France, tout en rappelant que nous sommes présents dans 26 pays : nous menons des actions alimentaires notamment en Afrique de l'Ouest et dans l'océan Indien.

Nous avons une tradition sanitaire et sociale, car nous intervenons auprès des plus fragiles dans le domaine de la santé et dans celui de l'accompagnement social, y compris alimentaire. Cette approche a guidé la manière dont nous avons lu la crise et dont nous avons adapté nos dispositifs.

En France, l'Ordre de Malte compte 10 établissements médico-sociaux, 110 délégations et 12 000 bénévoles. Nous avons distribué environ 160 000 repas l'année dernière.

L'Ordre de Malte n'a pas l'ampleur d'autres grandes associations, mais il a une spécificité, qui est d'intervenir dans la rue et à partir de la rue, c'est-à-dire dans le dernier maillon, que ce soit sous forme de petits déjeuners, de maraudes alimentaires, via des dispensaires ou des péniches.

Avant le covid, les actions alimentaires que nous menions, à côté des actions sociales et médicales, étaient relativement résiduelles, puisqu'elles représentaient de 10 à 20 % de nos activités. Avec le covid, nous avons tout basculé, sauf le secourisme, en intégrant la dimension alimentaire. Ainsi, nous avons organisé des maraudes spéciales et créé un dispositif sanitaire, social et d'hygiène global, appelé Soli'Malte. Cela a été notre innovation majeure de l'année dernière. Nous avons basculé environ 60 % de nos activités sur des activités avec distribution alimentaire.

Pour ce qui concerne les publics, je ne peux que confirmer ce qui a été dit. Je veux ajouter deux catégories qui n'ont pas été évoquées.

Premièrement, nous commençons à voir arriver dans nos maraudes alimentaires ou les centres de distribution fixes des seniors précaires, âgés de 65 ou 70 ans. C'est la préfiguration d'un énorme choc de précarité à venir du fait du vieillissement de la population. À titre d'exemple, dans notre établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Saint-Étienne, un dossier d'admission sur deux concerne aujourd'hui des personnes « hyperprécaires », qui n'ont pas de ressources et ne peuvent pas se faire aider par leur famille. Nous sommes en train de réfléchir, dans le cadre de notre nouvelle stratégie, à l'accueil en établissement de ces personnes qui n'ont les moyens de vieillir ni à domicile ni en établissement.

Deuxièmement, au sein de la population sous le seuil de pauvreté se développe la part des personnes en situation d'extrême précarité. Il s'agit d'une tendance lourde que la crise pourrait accélérer. Ces personnes sont quasiment invisibles. Il faut aller les chercher. Elles sont souvent envoyées par des associations de proximité ou par des voisins. Elles n'ont même plus les ressources pour se tourner vers les aides d'urgence. Le nombre de ces hyperprécaires est assez important, bien qu'il soit difficile à évaluer : on peut penser qu'ils sont 300 000 à 400 000.

L'année dernière, nous avons vu arriver les déclassés du covid - il s'agissait souvent de familles - par les problèmes alimentaires, avec des personnes que l'on a pu voir dans certains cas devoir se nourrir dans les poubelles. Leur sentiment d'effondrement psychologique était très important et leur culture de l'aide d'urgence très faible : ils ne disposaient pas d'informations à ce sujet.

Quel a été l'impact du covid ? L'alimentation révèle de nombreux autres besoins, notamment psychologiques, mais également sanitaires. Notre premier souci a été de trouver des réponses de rue qui offrent une solution globale. Nous avons ainsi lancé, avec Soli'Malte, un nouveau type de maraudes. Les unités mobiles dédiées sont actuellement au nombre de 25, mais nous allons les étendre considérablement. Elles associent un professionnel de santé formé aux premiers secours, une distribution alimentaire, des conseils d'hygiène et un accompagnement social. Ce dernier est aujourd'hui réduit à ce que savent faire nos bénévoles, mais nous cherchons à le développer, en partenariat avec les collectivités locales et les grandes institutions, afin de pouvoir embarquer des travailleurs sociaux pour renseigner les personnes fragiles, très éloignées de toute structure institutionnelle, sur leurs droits. L'idée est d'amener le système aux personnes précaires, puisque ces dernières ne vont plus vers le système.

L'une de nos grandes préoccupations à cinq ans est d'organiser dans la rue un véritable système sanitaire et social, avec des réponses pérennes. C'est le changement que doit induire l'évolution quantitative et qualitative de la précarité.

Nous n'avons bénéficié d'aucune aide de la Commission européenne. Nous avons répondu à un appel d'offres pour une douzaine d'épiceries solidaires dans le cadre de France relance, mais nous nous sommes débrouillés tous seuls, sans toucher un centime. Il faut dire que nous ne sommes pas référencés parmi les grandes associations. Pourtant, nous avons travaillé avec de nombreux interlocuteurs, notamment les collectivités locales. Nous avons même été amenés à intervenir pour le compte d'autres associations spécialisées dans la distribution alimentaire, comme la Banque alimentaire, dont les bénévoles sont plus âgés que les nôtres. Les nôtres sont plus jeunes - en tout état de cause, plus jeunes que les personnes considérées comme étant à risque face au covid. Cette action partenariale a permis que les distributions soient maintenues dans certains départements.

Nous avons bénéficié de dons privés, des dons d'entreprises, voire, de manière très résiduelle, de dons de certaines collectivités locales, mais nous sommes restés en dehors des dispositifs d'aide.

La fermeture de centres de distribution fixes a mis dans la rue beaucoup de personnes précaires, qui avaient l'habitude de trouver des points fixes de distribution institutionnelle. Pour nous, l'enjeu est gigantesque. Il faut parvenir à une coordination et une continuité entre associations pour fournir trois repas par jour à tous et sur tout le territoire, même pour ceux qui vivent dans la rue. J'ai très souvent pu observer, au cours des maraudes auxquelles j'ai participé, de tels problèmes de coordination dans la métropole parisienne.

Nous cherchons à monter des architectures en partenariat avec les autres associations localement pour offrir des solutions très avancées, avec différents niveaux de prise en charge, mais cela nécessite une importante coordination. Les collectivités locales doivent en être la cheville ouvrière, du fait de leur proximité et de leur connaissance du tissu associatif. Les centres communaux d'action sociale (CCAS) devraient être le maillon qui, demain, permettra de monter ces architectures. Un projet est en cours à Toulon, associant la mairie et les associations.

M. Claude Baland, président de la Fédération française des banques alimentaires. - Je suis accompagné de Barbara Mauvilain, qui est la directrice des relations institutionnelles de la Fédération des banques alimentaires et qui a rédigé une note de treize pages sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui.

Voici les quelques idées que je vais développer : le réseau des 79 banques alimentaires est un outil de redistribution à bon compte pour l'État ; le confinement a accru le besoin d'aide alimentaire ; l'aide alimentaire a été bien soutenue et bien coordonnée par les pouvoirs publics au sens large. Je terminerai par évoquer quelques pistes.

Notre réseau comporte 79 banques alimentaires. Avec les annexes et les antennes, nous disposons de 108 établissements physiques, qui couvrent toute la France. Ce réseau assure 39 % de l'aide alimentaire en France.

Jusqu'au premier confinement, les banques alimentaires distribuaient non pas aux bénéficiaires finaux, mais à 6 011 associations, composées de CCAS, d'épiceries sociales et d'autres associations. En 2020, nous avons redistribué 103 681 tonnes à 2,1 millions de bénéficiaires, soit 224 millions de repas. Concrètement, cela fait 40,3 kilos par bénéficiaire final, soit l'équivalent d'une aide de 96 euros par mois.

Autrement dit, il s'agit d'une délégation de service public qui redistribue beaucoup et à moindre coût. En effet, le réseau coûte 35 millions d'euros par an
- rémunération des 567 salariés, frais de location de certains entrepôts et établissements, camions, réparations, etc. Cependant, il redistribue une valeur alimentaire de 442 millions d'euros, principalement grâce à l'action des bénévoles et surtout aux produits qui nous sont donnés. Toutefois, le covid a fait évoluer ces grands principes fondateurs des banques alimentaires.

La crise sanitaire et le premier confinement ont évidemment accru la demande d'aide alimentaire. De mars à fin juin 2020, le volume distribué a augmenté de 20 %, les stocks diminuant de 22 %. Le nombre d'associations partenaires auxquelles nous remettons cette aide alimentaire a augmenté assez fortement, puisqu'il est passé de 5 400 à 6 011 : 48,5 % d'entre elles sont des associations indépendantes, 26,3 % des grands réseaux caritatifs et 25,2 % des centres communaux d'action sociale (CCAS).

Au cours de l'année, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 6 %, tandis que le volume distribué a baissé de 1 %. Les nouveaux publics sont constitués de travailleurs précaires, d'autoentrepreneurs, de sans-abri, d'immigrés, etc. 35 % des personnes aidées ont déclaré avoir recours à l'aide alimentaire depuis moins de 6 mois. On a noté aussi un afflux de familles lorsque les cantines scolaires sont fermées. Nous avons également, à la demande des régions d'Occitanie et de Nouvelle-Aquitaine, distribué directement des colis aux étudiants, contrairement à notre tradition qui veut que l'on ne serve pas directement les destinataires finaux. La moitié des banques alimentaires continuent à servir des associations étudiantes et vingt-trois d'entre elles ont créé des épiceries solidaires à destination des étudiants, en partenariat avec d'autres associations ou avec des collectivités.

Les bénéficiaires de nos aides ont 48 ans en moyenne ; 70 % sont des femmes ; 30 % vivent dans des familles monoparentales ; 85% ont un logement ; plus d'un quart sont des chômeurs, tandis que 70 % de ceux qui ont un emploi travaillent à temps partiel. Leurs ressources financières sont limitées : 71 % disposent de moins de 1 000 euros par mois. Les bénéficiaires déclarent économiser en moyenne 92 euros par mois grâce à nos distributions, ce qui est significatif par rapport à leur revenu moyen de 839 euros.

Les banques alimentaires ont été plutôt bien soutenues par les pouvoirs publics : fonds européens, plan de relance, crédits exceptionnels, etc. Au total, le financement public a augmenté de 48 %. L'État français nous a versé trois subventions « covid » exceptionnelles, pour un montant de 4,948 millions d'euros. Les collectivités locales, aussi bien les régions que les départements et les communes, nous ont aussi aidés. La région Nouvelle-Aquitaine nous a ainsi subventionnés pour distribuer une aide aux étudiants. La région Auvergne-Rhône-Alpes nous a accordé 300 000 euros pour financer des projets innovants visant à distribuer de l'aide alimentaire dans les territoires reculés. La région Hauts-de-France nous a fourni une aide de 224 832 euros, etc. Les départements, les mairies nous ont aussi soutenus. Les aides peuvent être financières ou consister en la mise à disposition d'entrepôts, de locaux, voire d'agents municipaux, comme à Poitiers ou Strasbourg, pour pallier l'effondrement du nombre de nos bénévoles : comme ceux-ci ont, pour deux tiers d'entre eux, plus de 65 ans, on a préféré leur demander d'être prudents et de rester chez eux. On a aussi bénéficié d'aides de l'industrie agroalimentaire et des coopératives agricoles, dont les dons ont augmenté de 32 % entre mars et juin 2020.

Parmi les pistes d'amélioration que nous proposons, la première consiste à remédier à la baisse tendancielle de la ramasse quotidienne dans les supermarchés. La baisse, qui avait été amorcée dès avant la crise, s'est accélérée : entre mars 2019 et mars 2020, la ramasse a diminué de 32 % ; entre les mois d'avril 2019 et avril 2020, elle a diminué de 47 %. Cela est dû à une meilleure gestion des stocks, à la concurrence d'autres structures, à l'ouverture de solderies, etc. Cette évolution accentue l'institutionnalisation des dons. Alors que traditionnellement nous redistribuions 100 % de produits que l'on nous avait donnés, cette proportion a chuté à 77 %, le reste provenant de subventions des pouvoirs publics. Nos sources d'approvisionnement sont donc modifiées.

Nous plaidons aussi pour un assouplissement de la procédure retenue par FranceAgriMer pour utiliser les fonds européens : cinq appels d'offres lancés par FranceAgriMer en 2020 se sont avérés infructueux - notamment pour l'huile ou le lait, et plusieurs banques ont manqué de ces denrées. Autre conséquence, les livraisons ont eu lieu avec retard : 70 % des aliments achetés avec les fonds européens de 2020 ont ainsi été livrés en 2021. De même, la diversité des produits que l'on peut acheter avec ces fonds a été réduite. Alors que nous pouvions acheter 45 produits différents, on ne peut plus en acheter que 30.

Beaucoup de banques alimentaires espéraient bénéficier du plan de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté, mais l'enveloppe de 100 millions d'euros sera attribuée totalement lors du premier tour, et il n'y aura pas de nouvel appel d'offres. Or de nombreuses banques alimentaires voulaient déposer des dossiers pour créer des ateliers de transformation des aliments, des épiceries sociales, créer des réseaux de distribution en milieu rural, etc.

Il faut aussi coupler la distribution de l'aide et l'accompagnement social : 66 % des bénéficiaires disent en effet avoir besoin d'un accompagnement social - ce taux monte à 84 % parmi les personnes de plus de 70 ans. Le chèque alimentaire, tel qu'il est envisagé, risque de court-circuiter cet accompagnement social. Nous souhaitons reprendre, dès que la crise sera finie, nos ateliers consacrés à la lutte anti-gaspillage, la santé, la cuisine : en Gironde par exemple, nous avons des bus itinérants qui sillonnent le département pour apprendre aux gens à tirer parti des produits qu'on leur donne. Nous souhaitons continuer à délivrer directement les produits aux bénéficiaires finaux, car c'est un bon moyen de lutter contre la solitude ; beaucoup d'étudiants qui ont reçu des colis ont d'ailleurs renvoyé l'ascenseur en participant à nos opérations de collecte.

Nous voulons aussi développer l'aide alimentaire en milieu rural, ce qui est facile à dire, mais beaucoup plus dur à faire ! Dans le Morbihan, la banque alimentaire a acheté un car et a noué un partenariat avec la Croix-Rouge pour distribuer de la nourriture dans les cantons. Dans la Nièvre, nous cherchons à détecter les zones blanches en vue d'une distribution itinérante de l'aide alimentaire.

Il convient aussi d'améliorer la qualité nutritionnelle des aliments distribués dans les structures d'aide alimentaire : ceux-ci contiennent trop de féculents, de sucre, de produits cuisinés, mais pas assez de fruits, de viande ou de légumes. Les banques alimentaires sont candidates pour participer au nouveau dispositif du chèque alimentaire : elles pourraient les recevoir directement pour les distribuer en même temps que des produits secs afin que les bénéficiaires puissent acheter des produits frais. On pourrait aussi imposer d'utiliser ces chèques pour acheter auprès des agriculteurs locaux, comme cela se fait déjà en Nouvelle-Aquitaine où les aides de la région sont conditionnées à des achats aux agriculteurs locaux. La région Occitanie a acheté directement les aliments auprès des producteurs locaux avant de nous les distribuer. D'autres initiatives semblables se multiplient.

Enfin, nous proposons de renforcer les articulations entre les réseaux distributeurs d'aide alimentaire, qui existent déjà, mais de manière inégale selon les lieux, tout en respectant l'histoire et les spécificités de chacun.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Je veux tout d'abord vous remercier pour votre action. Les personnes qui font appel à vous ont parfois tout perdu, y compris parfois leur dignité, et n'ont souvent d'autre choix que de se tourner vers vous. À l'occasion de la crise sanitaire, un grand nombre de dispositifs ont été créés qui visaient à embrasser toutes les situations, celles des demandeurs d'emploi, des personnes en difficulté, des familles en détresse à cause de la fermeture des cantines scolaires, etc. En dépit de cela, le nombre de personnes qui s'adresse aux banques alimentaires augmente. Comment l'expliquer ? Est-ce lié à un non-recours au droit ou à des trous dans les dispositifs classiques de solidarité ?

Vous avez parlé de « pauvreté », de « grande pauvreté », de « précarité », de « grande précarité », etc. Attribuez-vous un sens précis à ces termes ? Comment apprécier la différence entre pauvreté et précarité ? Nous avons en effet beaucoup de mal, dans notre pays, à quantifier « en temps réel » l'évolution de la pauvreté. Dans la mesure où vous constituez un thermomètre de la situation sociale, il serait utile que vous fassiez remonter vos données, pour aider à faire en sorte que nos politiques publiques soient plus efficaces. Estimez-vous que vos structures aient besoin d'aides supplémentaires des pouvoirs publics, et si oui dans quelle proportion  ? Vous avez tous exprimé votre inquiétude de voir arriver de nouveaux publics avec la fin des aides en faveur de l'emploi. Existe-t-il des besoins qui ne seraient pas couverts ?

Enfin, vous avez beaucoup parlé des grandes villes, mais qu'en est-il de la ruralité ? Quel est l'état de la précarité dans ces territoires ?

M. Louis Cantuel. - Avec le confinement et la fermeture des cantines scolaires, nous avons vu affluer de nouveaux publics. Mais ce n'est pas une nouveauté : on enregistrait déjà une hausse de nos activités de distribution de rue dès que les cantines scolaires étaient fermées, notamment le mercredi. La crise a fragilisé les personnes qui étaient déjà en situation précaire et qui se sont retrouvées totalement démunies : saisonniers, travailleurs précaires, étudiants, etc. Nous craignons un phénomène massif au cours des prochaines années.

Nous travaillons déjà avec l'Insee, la direction générale de la cohésion sociale ou la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) pour faire remonter nos données sur une base trimestrielle.

Les aides qui ont été mises en place sont ponctuelles. Certaines ont été difficiles à mettre en oeuvre, comme les aides du plan d'urgence qui étaient très décentralisées. L'intégralité de l'enveloppe du plan de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté sera débloquée en un seul appel à projets et non en deux. Il conviendrait de revenir sur cette décision. Nous avons aussi des difficultés pour avoir des locaux adaptés à l'accueil des personnes en difficulté.

Grâce au Sénat et à une initiative de MM. Retailleau et Féraud, le plafond des dons possibles dans le cadre de la « loi Coluche » est passé de 500 à 1000 euros en 2020 et 2021. J'espère que ce dispositif sera prolongé.

M. Yves Mérillon. - Le non-recours au droit nous préoccupe beaucoup, en effet. On constate que 80 % des salariés dans nos chantiers d'insertion obtiennent un nouveau droit en y participant.

Venir aux Restos du coeur n'est jamais une démarche aisée. Beaucoup préfèrent se débrouiller seuls. Mais la crise a fait que des personnes qui hésitaient à venir nous voir ont basculé.

La pauvreté en milieu rural est un sujet de préoccupations, car il y a de nombreuses zones blanches dans ces régions. Nous ne pouvons couvrir tout le territoire ; or, pour les personnes pauvres, faire une quinzaine de kilomètres pour venir nous voir est parfois problématique. Nous réfléchissons à des camions mobiles pour parcourir les villages afin d'aller vers ces personnes qui sont, pour le moment, invisibles, alors qu'elles auraient droit à notre aide.

Je veux enfin souligner, comme M. Baland, que la crise ne doit pas être un prétexte pour sacrifier la qualité de l'alimentation. Nous devons continuer à fournir une aide alimentaire variée et de qualité. Nous nous efforçons déjà avec l'aide de certains départements d'acheter local et bio. C'est un sujet sur lequel nous devrons être vigilants dans le cadre du chèque alimentaire ou de la sécurité sociale alimentaire.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Et sur la terminologie ?

M. Nicolas Champion. - Il est difficile de répondre. Nos associations constituent un baromètre de la précarité et de la pauvreté. Nous avons dû être très réactifs : à peine quinze jours après l'annonce du confinement, on a vu arriver de nouvelles populations. Il est très important pour nous de disposer de stocks alimentaires : grâce à nos entrepôts, nous avons pu réagir rapidement et organiser des distributions alimentaires. Nous bénéficions d'aides européennes et d'aides publiques, mais nous regrettons que certaines aides déconcentrées n'aient été versées que plusieurs semaines plus tard.

Le plan de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté sera débloqué en une seule fois, mais plus de 2 600 projets ont été déposés. C'est révélateur du sous-financement du monde associatif : nous manquons de locaux, de moyens, de systèmes d'information, etc. L'idéal serait de disposer de financements pérennes, sous forme de dotations pluriannuelles.

Avec la crise, des personnes qui étaient à la limite entre la précarité et la pauvreté se sont tournées vers nous : certaines ont malheureusement basculé, d'autres ont eu recours à notre aide avant de rebondir. La distinction entre les personnes pauvres et celles en voie de précarisation tient, selon nous, à la longueur de la prise en charge dans nos dispositifs.

M. Yann Auger. - Les différences de vocabulaire que vous avez relevées sont dues au fait que nos associations ne s'adressent pas aux mêmes publics. Il est donc normal que nous ne qualifiions pas les situations de la même manière. Cela met aussi en évidence l'absence de planification des réponses en fonction des différentes situations de précarité. Il est regrettable qu'aucune autorité ne s'empare du sujet de manière globale, pour apprécier le besoin d'aide alimentaire en le segmentant selon les publics. Il est vrai que cela serait très difficile à faire, car les associations sont autonomes et ont chacune une approche différente.

Pouvons-nous apprécier l'ampleur des besoins non pourvus ? Par définition, nous ne voyons que les personnes qui frappent à notre porte. Il me paraît ensuite difficile de mesurer précisément les besoins supplémentaires.

Cela pose la question du non-recours au droit. En effet, dès avant la crise, l'aide alimentaire ne couvrait que 50 % des besoins des personnes vivant sous le seuil de pauvreté : alors que l'on estime à 8 millions le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, 5,5 millions de personnes avaient recours à l'aide alimentaire, avec vraisemblablement de nombreux doublons. On peut donc estimer que la moitié du public qui pouvait y avoir droit ne fréquentait pas les associations d'aide alimentaire. Une appréciation dynamique de l'évolution de ce ratio est difficile mais l'ordre de grandeur est aujourd'hui celui-ci.

M. Claude Baland. - Vous nous avez demandé pourquoi les besoins alimentaires étaient moins bien satisfaits dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Il me semble que cela tient pour beaucoup aux mentalités. La pauvreté est souvent minorée dans les zones rurales. Vivre à la campagne est souvent associé à l'idée d'autosuffisance, chacun pouvant produire sa nourriture grâce à son jardin. Mais cela n'est pas toujours le cas ! La pauvreté y est souvent aussi perçue comme le résultat d'une insuffisance personnelle, d'un manque d'efforts. Beaucoup de maires nous disent d'ailleurs qu'il n'y a pas de pauvres dans leur commune ; cela complique nos démarches. Il faut aussi rappeler qu'il n'y a pas d'anonymat à la campagne : tout se sait ! Imaginez un car d'aide alimentaire dans un village : certains auront honte d'y aller, tandis que ceux qui s'y adresseront risqueront d'être l'objet de commérages - est-il aussi pauvre qu'il ne veut le faire croire ? Par pudeur, beaucoup n'osent pas révéler qu'ils n'arrivent pas à subvenir à leurs besoins. Si l'on distribue un chèque alimentaire sous la forme d'un bon d'achat, il est probable que ses bénéficiaires n'oseront pas aller acheter leurs produits à proximité immédiate de chez eux, de peur de révéler qu'ils sont en situation de dépendance. Pourtant, je suis persuadé que la misère dans les zones rurales est aussi forte que dans les métropoles : il n'est que de penser à ces agriculteurs qui touchent des pensions de 700 ou 800 euros et qui n'ont plus la possibilité de cultiver leur jardin.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - La pauvreté et la précarité ne concernent pas que l'alimentation, mais aussi l'accès au logement, aux soins, à l'énergie, à l'eau, etc. Je partage ce que vous avez dit sur la pauvreté en milieu rural. Toutefois, dans le Pas-de-Calais, département durement frappé par la crise et rural à 63 %, aucun maire ne me dit que sa commune est épargnée !

On constate une augmentation du nombre de travailleurs pauvres : beaucoup de salariés qui touchent le smic sont en train de basculer dans la pauvreté. Même s'ils ont continué à toucher leur salaire grâce au chômage partiel, ils ont perdu leurs primes.

Je suis très souvent sollicitée par les associations sur le manque de locaux. Même les bailleurs sociaux ont du mal à répondre à vos demandes. Or, il est important que les associations soient installées à proximité des personnes qu'elles aident, car lorsque l'on est dans la précarité, on n'a souvent pas les moyens de se déplacer. Que pourrait faire le législateur pour vous aider à cet égard ?

M. Alain Duffourg. - Avec la crise, le nombre de personnes qui s'adressent aux associations d'aide alimentaire a augmenté. Quels critères utilisez-vous pour distinguer celles qui ont vraiment besoin de votre aide des autres ?

Mme Annick Jacquemet. - Les chiffres de M. Baland sur la baisse de la ramasse me semblent considérables. Dans le Doubs, Emmaüs a fait un don de 3 000 euros à la Banque alimentaire. Cette piste vous paraît-elle envisageable pour compenser la baisse de la ramasse ?

Vous avez aussi indiqué qu'il était possible de faire mieux en ce qui concerne l'articulation entre les différents réseaux d'aide alimentaire. Je vous rejoins. Lorsque j'étais vice-présidente du conseil départemental du Doubs, chargée de la solidarité, nous avions du mal à faire un lien ou un maillage entre les différentes associations. Que proposez-vous pour améliorer leur collaboration, d'autant plus complexe qu'elles n'ont pas les mêmes critères ? Enfin, comment faites-vous pour vous assurer qu'une personne ne tape pas à plusieurs portes à la fois ?

M. Yves Mérillon. - Nous n'avons pas de chiffre précis sur les travailleurs pauvres, mais on a constaté, lors du premier confinement, un afflux de personnes dont le petit boulot avait cessé et qui se retrouvaient sans activité brutalement, à l'image des livreurs des plateformes.

Le seul critère pour bénéficier de nos aides est un critère de revenu : on apprécie le reste à vivre et on le compare à un barème. En moyenne, nous distribuons six repas par semaine et par personne. Je ne suis donc pas choqué que certains, qui connaissent de grandes difficultés, s'adressent aussi à d'autres associations pour essayer de s'en sortir.

La plupart du temps, nos locaux sont mis à notre disposition par les collectivités locales, rarement par des bailleurs sociaux, à titre gratuit. Toutefois, l'enjeu n'est pas tant de trouver des locaux que des locaux adaptés à notre activité. Avec la crise sanitaire, nous avons dû réduire nos activités d'inclusion, comme nos cours de français par exemple, car nous ne pouvons plus accueillir autant de personnes dans les salles à cause des normes sanitaires.

Enfin, je vous rassure, entre associations, nous nous parlons ! Dans mon département, l'entrepôt des Restos du coeur est à 300 mètres de celui de la Banque alimentaire, et chaque fois que cela est nécessaire nous nous entraidons. Toutefois, il me semble difficile d'aller plus loin dans le rapprochement. Chaque association a son histoire et ses principes. Ainsi, la gratuité est centrale chez nous. Comme en matière de biodiversité, la diversité des associations est une richesse dont on se priverait en voulant centraliser et uniformiser. Cela ne nous empêche pas de travailler ensemble ; nous avons ainsi été contactés par des associations intervenant pour gérer des hôtels sociaux réquisitionnés pour abriter des sans-abri, ou par des associations d'étudiants, etc.

M. Claude Baland. - La baisse de la ramasse peut-elle être compensée par d'autres formes de dons ? Cela a été le cas pendant le confinement, au cours duquel les dons en provenance des industriels ont explosé. Il y a aussi eu les aides « covid » de l'État. Mais la ramasse est une ressource pérenne. Dès le deuxième trimestre, les aides des industriels ou des coopératives agricoles ont diminué... La baisse de la ramasse est nette, aussi bien en quantité qu'en qualité. Si les produits sont impropres à la consommation, cela ne sert à rien. La baisse a aussi des causes pérennes : meilleure gestion des stocks, achats de plus en plus locaux, solderies, etc. J'alerte aussi sur certains effets pervers de la loi du 11 février 2016, dite « loi Garot » : les grandes surfaces préfèrent revendre leurs invendus à des soldeurs et bénéficier d'avantages fiscaux, plutôt que de les donner aux associations d'aide alimentaire. Alors qu'en 2019, 44 % des produits que nous distribuions venaient des grandes surfaces, ils ne sont plus que 38 % en 2020.

J'en viens à la coopération. Pour répondre à mon collègue des Restos du coeur, la coopération existe déjà, mais elle dépend des personnalités - du président de la banque alimentaire comme de celui des Restos du coeur. Certains coopèrent, d'autres moins : c'est un état d'esprit...

Il y a encore des effets d'affichage. Il nous est arrivé de prêter un camion à l'une de nos grandes associations partenaires. Celle-ci nous l'a rendu parce que son président préférait que son propre logo figure sur le camion. Ce genre de comportements est ultraminoritaire, mais symbolique : je pense que l'on peut encore faire mieux.

Le premier confinement a parfois agi comme un accélérateur d'initiatives sociales positives. Ainsi, dans certains quartiers de Châteauroux, nous avons organisé des distributions directement avec les Restos du coeur. Dans le Morbihan, la distribution en milieu rural s'est faite en pleine concertation avec la Croix-Rouge. La tradition veut que, l'été, à Bordeaux, tous les grands réseaux demandent aux banques alimentaires d'assurer les distributions auprès de leurs usagers pour compenser le légitime départ en vacances de leurs bénévoles. Nous avons créé des épiceries sociales en commun, entre autres pour les étudiants. Nous ne décidons jamais seuls de distributions en milieu rural : l'initiative est toujours partagée avec une grande association.

Outre les actions, les mutualisations peuvent aussi concerner les équipements. Nous cherchons tous à créer un niveau régional de mutualisation. Cela peut être, par exemple, un entrepôt commun, sans que nos stocks soient mélangés. Cela peut aussi être le prêt d'un camion.

La coopération existe donc déjà. La relation d'écoute au niveau national est très bonne. Nous nous voyons régulièrement. Cependant, je pense que l'on pourrait parfois aller plus loin. Je le dis sans vouloir critiquer quiconque : mon propos vaut aussi pour nous.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - C'est la richesse des associations : chacune a sa personnalité et ses manières de faire.

Je vous remercie tous très sincèrement de vos contributions. Peut-être pourrez-vous nous transmettre par écrit les réponses aux questionnaires qui vous ont été adressés ainsi qu'aux questions posées par les sénateurs et les sénatrices.

Je vous souhaite une bonne continuation. Merci également à tous vos bénévoles ! Par les temps qui courent, leur engagement est très important et incontournable. On ne pourrait se passer du travail que vous effectuez au quotidien auprès des personnes les plus en difficultés.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 heures 15.

- Présidence de Mme Annie Le Houerou, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 20.

Accès au droit, aux soins et aux prestations - Audition des administrations et organismes de sécurité sociale

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Bonjour à chacun et chacune, et à nos deux invités avec lesquels nous poursuivons nos travaux de cet après-midi sur la précarisation. Nous procèderons donc à l'audition de la Direction de la sécurité sociale et de plusieurs organismes de sécurité sociale sur l'accès aux droits, soins et prestations.

Nous avons le plaisir d'accueillir M. Denis Le Bayon, sous-directeur de l'accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail à la direction de la sécurité sociale du ministère des solidarités et de la santé et Mme Fanny Richard, directrice de l'intervention sociale et de l'accès aux soins de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). Malheureusement, deux invités n'ont pu se joindre à nous cet après-midi : la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et la Caisse centrale de la mutualité agricole (CCMSA). Nous organiserons donc avec chacun de ces deux organismes et notre rapporteur Frédérique Puissat, de nouveaux échanges ultérieurement, la CNAF versant un grand nombre de minima sociaux et la CCMSA étant à la pointe sur la question de l'accès aux droits dans le monde rural.

Je vous propose de démarrer cette audition par un propos liminaire de dix à quinze minutes chacun. Vous pourriez notamment nous préciser en quels termes se pose, pour votre administration ou votre organisme, la question de l'accès aux droits, et les actions concrètes que vous conduisez afin de minimiser le non-accès. Nous ouvrirons ensuite une phase d'échanges, en commençant par les questions de notre rapporteur, Mme Frédérique Puissat, et en continuant avec les questions des sénateurs et sénatrices membres de notre mission d'information.

Je rappelle que cette audition fera l'objet d'une captation vidéo, qui sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable à la demande.

Mme Fanny Richard, directrice de l'intervention sociale et de l'accès aux soins de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). - Indépendamment de l'« effet crise », depuis 2016 la CNAM engage des travaux d'accompagnement et d'« aller vers » des publics fragiles. Nous avons totalement abandonné la logique originelle de guichet depuis la naissance de la sécurité sociale, au profit d'une logique d'accompagnement des publics jusqu'à la réalisation du soin. Ce dispositif est totalement intégré depuis la fin 2018 (après une phase d'expérimentation sur quelques caisses de 2016 à 2018), sur la base de travaux de diagnostics territoriaux que nous avions menés avec l'Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore), travaillant lui-même en lien avec l'Inserm. Ces diagnostics qualitatifs, issus de questionnaires couvrant les territoires, ont permis de déterminer les profils de populations concernées et l'état des inégalités sociales et territoriales sur un territoire donné.

Sur cette base, nous avons mis en place les missions accompagnement santé dans chacune des caisses primaires, étant précisé toutefois que ce service n'est pas encore totalement installé en outre-mer. Cette installation est en cours. Des missions accompagnement santé sont déployées depuis le 1er janvier 2021 en Martinique, Guadeloupe et à La Réunion. En Guyane et à Mayotte, nous y procèderons plutôt dans un deuxième temps, dans la mesure où le contexte très particulier de ces territoires nécessite une adaptation du processus.

Ce dispositif nous permet de tisser des relations partenariales étroites avec des associations au niveau local et les autres branches, en particulier la branche famille, ce qui favorise la détection de situations fragiles en matière de non-recours à des droits ou de difficultés d'accès, de renoncement aux soins, voire d'écart aux soins. Pour ce faire, nous avons une relation à la fois nationale et locale avec ces partenaires. Tous les trimestres, nous rencontrons environ soixante-dix associations de la solidarité et l'ensemble des coordonnateurs régionaux des permanences d'accès aux soins des hôpitaux. Grâce à ces rencontres, nous sommes en mesure d'échanger sur les problématiques, d'identifier les situations de blocage et surtout d'aménager nos processus en fonction des retours de nos partenaires. Puis, au niveau local, les conventionnements se mettent en place et facilitent les signalements vers les missions accompagnement santé.

Nous travaillons également beaucoup avec nos données et avec des requêtes que nous internalisons. Nous construisons un observatoire des fragilités, qui permettra de disposer de faisceaux d'indices suffisamment fins pour procéder de façon plus large à des opérations de « aller vers » en direction des publics « invisibles ».

La démarche est d'aborder ces sujets en fonction de typologies et de profils d'assurés, car nous n'accompagnerons pas de la même façon une personne jeune, une personne âgée isolée et dépendante, une personne en situation de handicap, voire un travailleur indépendant. Nous sommes en effet amenés à intégrer cette nouvelle culture propre aux publics indépendants, qui tendent à ne pas se soigner ou à le faire trop tard, car ils cherchent d'abord à sauver leur entreprise.

Nos premiers bilans réalisés sur le dispositif de mission accompagnement santé nous permettent de constater l'existence de segments populationnels, notamment un grand nombre de familles monoparentales composées de mères seules avec de jeunes enfants, placées dans une situation de grande difficulté et pour lesquelles les soins ne sont pas perçus comme une priorité. Nous avons également affaire à de nombreux demandeurs d'emploi. À ce titre, nous avons signé une convention-cadre avec Pôle emploi pour engager une collaboration étroite au niveau local, afin que les demandeurs d'emploi puissent accéder plus facilement à leurs droits et à leurs soins. En effet, nous partageons le constat selon lequel les demandeurs d'emploi qui ne se soignaient pas, ne parvenaient pas accéder à un emploi.

L'ensemble de ces démarches nous a permis de disposer d'une ingénierie déjà en place au moment où la crise a frappé, et donc de détecter et d'accompagner des publics d'autant plus fragilisés par la celle-ci, mais aussi d'expérimenter un certain nombre de requêtes, notamment en sortie de confinement. Il ressort d'une étude menée avec l'Odenore que 60 % des personnes, pendant cette période, n'avaient pas réalisé leurs soins, en particulier des personnes en arrêt maladie pour affection de longue durée (ALD) nécessitant des soins continus. Par conséquent, il a été nécessaire de mettre en place des requêtes sortantes pour appeler ces personnes et faire un point sur leur situation, et ce indépendamment des mesures de consultations en sortie de confinement que nous avons mises en place.

Pour faire le lien avec le dispositif relatif à la précarité, il s'avère que ces publics que nous accompagnons, se situent juste au-dessus des seuils de la complémentaire santé solidaire (CSS). Mais un accident de la vie peut les mettre face à de grandes difficultés financières, de sorte que plus de 60 % des dossiers sont liés à un obstacle financier. Les 40 % restants relèvent de problématiques de lisibilité du parcours de santé, qui n'est pas toujours simple. Il existe des difficultés d'orientation, des difficultés pour trouver rapidement un médecin traitant ou un médecin spécialiste, en particulier dans les zones en sous-densité de population. Dans ces cas, nous nous appuyons beaucoup sur les centres de santé quand ils existent, mais également sur des dispositifs tels que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) en cours de déploiement, et les assistants médicaux qui aident les médecins généralistes dans leur quotidien.

Nous constatons également qu'un tiers de ces personnes n'ont pas de complémentaire santé. In fine lorsqu'elles ont été accompagnées, il s'avère que 60 % d'entre elles étaient éligibles à la complémentaire santé solidaire. Nous sommes en train de former nos agents pour aider au choix de la complémentaire santé, c'est-à-dire aider les personnes à lire un contrat de complémentaire santé pour leur permettre de faire un choix adapté en à leurs besoins et ressources.

En ce qui concerne l'action sanitaire et sociale, le bilan 2020 nous a permis de constater que de nouveaux profils étaient demandeurs. 71 % de nos organismes ont constaté l'existence de ces nouveaux profils, sachant que pour l'action sanitaire et sociale nous avons un barème de ressources qui ne correspond pas totalement au seuil de pauvreté. Par conséquent, nous avons intégré la notion de « reste à vivre » à ce barème.

Parmi ces nouveaux profils, les plus cités sont les travailleurs indépendants - puisqu'ils sont nos assurés depuis février 2020 - mais également des personnes fragilisées par la crise sanitaire et des personnes en situation de détresse psychologique, un grand nombre d'étudiants (intégrés depuis la rentrée 2019 au régime général) et de familles monoparentales (plus de 15 % des cas remontés).

Plus globalement sur l'ensemble de ces mesures et dispositifs d'accompagnements, l'objectif est de mettre en place un maillage pour orienter - et non pas seulement détecter - un assuré au terme de son accompagnement pour réaliser son soin, vers nos partenaires pour ne pas le laisser seul face à ses difficultés. Dans le cadre de notre service social, nous avons en 2020 pu accompagner plus de 540 000 assurés, ce qui a conduit à plus d'un million d'entretiens sociaux. Dorénavant, les personnes passent par la mission accompagnement santé. En cas de situation sociale complexe dépassant la problématique de santé, les personnes sont orientées en niveau 2 vers nos assistantes sociales, dont le nombre dépasse 1 600 dans notre réseau, pour permettre un accompagnement de plus longue durée. Il faut préciser que nos assistantes travaillent elles-mêmes en réseau avec d'autres assistantes sociales, des collectivités territoriales et des hôpitaux.

M. Denis Le Bayon, sous-directeur de l'accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail à la Direction de la sécurité sociale du ministère des solidarités et de la santé. - J'évoquerai dans mon propos liminaire trois axes.

Le premier axe concerne les enseignements à tirer de la crise actuelle, évidemment très partiels au vu du manque de recul. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la santé a documenté en juillet dernier que la crise avait été un révélateur des inégalités sociales face à la santé. En effet, 23 % des bénéficiaires de la CMU-C entre 45 et 65 ans avaient été pris en charge pour une pathologie considérée comme aggravante de la covid-19 en 2017, contre 16 % pour les non-bénéficiaires de la CMU-C du même âge. Par conséquent, il existe des facteurs aggravants à l'occasion de la crise sanitaire actuelle, liés à la fragilité des ressources financières. De même, la prévalence de l'obésité est deux fois supérieure parmi les 20 % de foyers les plus modestes à ce qui est observé au sein des 20 % de foyers les plus aisés.

Par ailleurs durant la crise sanitaire, nous avons mis en oeuvre une multiplicité de dispositifs dérogatoires aux conditions habituelles de prise en charge par l'assurance maladie, pour faire face aux situations nouvelles occasionnées par la crise. De ce fait, la modification du périmètre de l'assurance maladie a été manifeste. En premier lieu, la prise en charge des arrêts de travail dits « dérogatoires » a eu lieu dès le début de l'année 2020, y compris pour des motifs ne relevant pas d'arrêts maladie, tels que la garde d'enfant en cas de fermeture de l'école pour limitation de la propagation de la pandémie. Les dispositifs associés à ces cas dérogatoires ont été mis en oeuvre à la fois par la sécurité sociale et par le complément employeur.

La réactivité a en outre été forte pendant la crise, pour protéger les personnes vulnérables ne pouvant pas travailler pendant la crise de la covid-19. De ce fait, les dispositifs d'arrêts dérogatoires ont été déployés pour élargir le périmètre couvert habituellement par la sécurité sociale. De même, le complément versé par l'employeur a été accessible sans tenir compte de l'habituelle condition d'ancienneté d'un an, de sorte que l'ensemble des salariés ont été pris en charge par les dispositifs dérogatoires, y compris les salariés considérés comme « cas contact ».

En outre, la prise en charge à 100 % a été étendue à certains dispositifs : téléconsultation, tests, vaccination, certaines consultations de prévention, notamment à la suite du premier confinement, pour les personnes considérées comme « à risque ».

Finalement en cette période de crise sanitaire, une très forte réactivité a été de mise ainsi qu'un fort élargissement du périmètre de la sécurité sociale, dans l'optique de restreindre les freins à l'accès aux soins essentiels.

Le deuxième axe porte sur l'état de nos travaux relatifs au non-recours. Je développerai quelques éléments sur l'action du réseau des caisses d'allocations familiales (CAF), ainsi que sur les actions de l'Assurance maladie à la suite de la réforme majeure que constitue la complémentaire santé solidaire (CSS). Nous n'avons pas encore suffisamment de recul sur le rythme de la montée en charge de ce dispositif, mais savons d'ores et déjà qu'il est source de grande simplification des démarches pour les personnes qui bénéficiaient précédemment de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé. Avant la réforme, ces personnes devaient choisir entre trois niveaux de couverture et de primes à acquitter. Désormais, la CSS facilite le choix d'une complémentaire santé.

Par ailleurs, le nouveau dispositif de la complémentaire santé solidaire a pour objectif de faciliter les démarches des demandeurs. En particulier partir de la mi-2021 et à compter de 2022 de façon totale, les démarches de déclarations de ressources annuelles seront grandement simplifiées. Aujourd'hui, les personnes se voient demander de déclarer leurs revenus salariaux ou leurs ressources tirées des prestations sociales. Or il s'agit de ressources dont nous pouvons avoir connaissance par ailleurs, puisque les déclarations de salaires des employeurs ainsi que les versements des organismes sociaux sont connus. C'est pourquoi le nombre d'informations que les demandeurs de la CSS auront à renseigner sera drastiquement réduit.

S'agissant de la branche famille, j'évoquerai deux dispositifs. Le premier est le « Rendez-vous des droits », qui concerne chaque année 300 000 allocataires des CAF. Mis en place en 2014, il a lieu soit à la demande de l'allocataire, soit dans le cadre d'un dossier individuel présenté par les partenaires des CAF, soit encore dans le cadre d'une demande de revenu de solidarité active (RSA). Il peut également s'agir de rendez-vous pris dans le cadre de parcours spécifiques, par exemple dans l'hypothèse d'une séparation ou d'un décès. L'idée est de procéder, lors d'un rendez-vous d'une vingtaine de minutes à une demi-heure, à une revue de la situation administrative de la personne, pour l'orienter vers des droits auxquels elle n'aurait pas eu accès jusqu'à présent alors même qu'elle était éligible. Les enquêtes réalisées auprès des personnes ayant bénéficié de ces rendez-vous, révèlent un réel impact sur la situation des personnes. En effet pour 50 % d'entre elles, les rendez-vous des droits ont permis d'ouvrir des droits nouveaux, soit 1,5 prestation en moyenne (RSA, allocations logement, CSS...). Il y a donc aussi des éléments de convergence entre les différents réseaux de sécurité sociale.

Le second dispositif est lié aux possibilités ouvertes et expérimentées prochainement, en vertu d'une disposition issue de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Ce texte réaffirme le principe de lutte contre le non-recours, pour toutes les caisses de sécurité sociale au-delà de leur mission traditionnelle de versement des prestations. Par ailleurs, le texte donne la possibilité, aux CAF notamment, d'exploiter des données d'autres organismes pour faire du data mining et cibler des situations de non-recours. Cette logique de data mining existe déjà au sein des CAF, mais seulement à partir des données qu'elles connaissent. L'objectif est désormais, dans le respect des dispositions du Règlement général sur la protection des données (RGPD), d'enrichir les données disponibles pour cibler les personnes non allocataires des CAF mais qui pourraient avoir droit à certaines prestations.

Le non-recours est bien documenté, en particulier par l'Odenore, adossé à l'université de Grenoble, qui a déjà été évoqué. Dans la mesure où un grand nombre de travaux ont déjà été menés pour expliquer le non-recours à l'ex-CMU-C ainsi que les grandes raisons d'un tel non-recours. Ces raisons tiennent notamment à l'absence de connaissance des dispositifs, à la priorisation d'autres besoins pour des raisons financières, et parfois au rejet des institutions. En outre, les travaux sont disponibles par dispositif. Par exemple sur l'aide médicale d'État (AME), un taux de 50 % de non-recours est constaté auprès des personnes potentiellement éligibles. Sur la CSS, les données ne sont pas encore parues, mais l'ex-CMU-C et l'ex-Aide à l'acquisition d'une complémentaire santé faisaient l'objet d'un non-recours important. Par conséquent, il est vraisemblable que la réforme de la CSS, en simplifiant les démarches, ait un effet sur le non-recours. Nous devrons ultérieurement mesurer ces éléments.

Le dernier axe que j'évoquerai brièvement est celui de la réforme du 100 % santé, qui part de constats préoccupants en termes de renoncement aux soins. Sur les trois secteurs concernés par la réforme, un taux de 17 % de renoncement aux soins dentaires (et de 20 % de foyers les plus modestes) était observé, de même qu'un taux de 10 % pour l'optique (17 % pour les 20 % de foyers les plus modestes) et un taux de non-équipement de deux tiers pour les audioprothèses, ce qui est très élevé. Depuis le 1er janvier 2020, le 100 % santé garantit de manière effective un reste à charge zéro sur des paniers de soins de qualité dans les trois secteurs précités, avec deux nouveautés au 1er janvier 2021. Désormais, le reste à charge zéro est obtenu sur les audioprothèses avec une complémentaire santé responsable, ce qui constituait la dernière étape de l'abaissement du prix limite de vente de ces équipements. De plus, le panier de soins dentaires s'est encore élargi au 1er janvier 2021, avec les prothèses amovibles.

S'il paraît encore prématuré de dresser un bilan de la montée en charge de la réforme du 100 % santé - d'autant que l'année 2020 a été perturbée - on constate déjà des taux d'équipements très élevés dans le secteur dentaire puisque 52 % des équipements dentaires en 2020 relevaient de l'offre 100 % santé. En matière d'audiologie et d'optique, les taux étaient supérieurs à 10 %, sachant que dans le secteur de l'audiologie, un effet d'attente s'est certainement produit à la fin 2020, jusqu'à la mise en place du vrai reste à charge zéro sur les audioprothèses.

Tels sont les éléments d'étape sur le 100 % santé, qui seront suivis avec une grande attention en 2021.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Merci pour ces propos liminaires. Madame Richard, vous avez évoqué votre action, déclinée de différentes façons avec notamment un observatoire sur le recours aux droits et les enjeux d'« aller vers ». Je parle peut-être à titre personnel, mais j'avoue qu'au niveau départemental je ne vois pas cette démarche d'« aller vers ». Pardonnez-moi d'être provocatrice, mais je constate plutôt des fermetures de centres, jusqu'alors décentralisés et désormais recentralisés au niveau des préfectures. L'action de l'« aller vers », qui paraît très intéressante quand vous l'énoncez, ne me semble pas suffisamment visible sur le terrain. Par conséquent, pouvez-vous préciser comment sont menées concrètement ces actions ? J'ai bien noté l'existence d'une porte d'entrée associative et d'un accès par les urgences, ainsi que d'une analyse sur les données en 2016. Avez-vous davantage de précisions à nous apporter sur ce sujet ?

J'aurai une autre question qui vous concerne tous les deux, mais plus généralement aussi les grandes administrations de l'État. Ne pensez-vous pas qu'une optimisation devrait être menée concernant les échanges de données entre organismes ? Nous avons tous connaissance de personnes en âge de la retraite, qui attendent parfois un an avant de percevoir leurs prestations. Ce retard incompréhensible les plonge parfois dans une situation de précarité et les empêche de se faire soigner. Ces personnes ont un sentiment d'injustice alors qu'elles ont cotisé toute leur vie, et qu'elles n'ont pas toujours d'argent de côté pour se permettre d'attendre le versement de leurs prestations. J'ai en tête de nombreuses situations qui plongent les gens dans la détresse, et pour lesquelles il n'y a pas d'autre explication que le manque de coordination entre services, aussi bien ceux de l'État que des collectivités territoriales et administrations de sécurité sociale.

Enfin sur les enjeux liés à la crise sanitaire, vous avez évoqué, Madame Richard, un certain nombre de publics nouveaux alors même que dans notre pays, nous pouvons considérer avoir déployé des dispositifs très importants pour trouver solution à chaque situation. Par conséquent, comment expliquez-vous qu'en ce qui concerne la santé - à l'exception des indépendants qui n'avaient pas tous de complémentaire santé - de nombreuses personnes aient basculé dans la précarité du fait de la crise sanitaire ?

Mme Fanny Richard. - Sur le premier point concernant la visibilité du dispositif - qui est encore jeune puisqu'en 2016 il s'agissait encore d'une expérimentation - le déploiement total a eu lieu à la fin 2018, avec une année pleine en France hexagonale à partir de 2019. En 2016, nous avons privilégié, dans un premier temps, les détections à l'accueil. Puis, à partir du déploiement, la stratégie partenariale a été renforcée. Au niveau associatif, il existe désormais une bonne connaissance (y compris au niveau local) de ce dispositif d'accompagnement attentionné. Nous sommes actuellement en cours d'amélioration de sa connaissance auprès des professionnels de santé, en particulier les médecins généralistes. Bien entendu, 2020 n'a pas été l'année parfaite pour cette promotion, même si les médecins généralistes sont très demandeurs de ce type de service pour orienter les patients « perdus ». Nous avions organisé un colloque en 2019, où beaucoup d'entre eux avaient pris la parole. Comme ces médecins l'expliquent, les patients viennent se soigner, repartent avec une prescription mais se retrouvent un an plus tard au même point, avec des actes non réalisés. Dans cette situation, l'état de santé se dégrade, ce qui occasionne une perte de chance.

Néanmoins, la promotion auprès des médecins généralistes reste encore limitée aujourd'hui.

Concernant les collectivités territoriales et les autres branches, nous collaborons de plus en plus avec les CAF. Nous travaillons actuellement à l'acquisition des connaissances des prestations et des droits des uns et des autres, y compris des offres, pour détecter les sujets et éviter de balloter les personnes d'une caisse à une autre. Nous tentons donc de nous coordonner et d'être cohérents, ce qui correspond aussi au « Dites-le-nous une fois ». Depuis quelques années, nous avons conclu une convention avec les conseils départementaux dans le cadre de la politique d'aide sociale à l'enfance. Ce dispositif a été conforté dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté. Pour les jeunes « en sortie sèche » qui s'apprêtent à avoir dix-huit ans, nous prolongeons leurs droits automatiquement jusqu'à leur dix-neuvième année, tandis que le conseil départemental nous éclaire sur la situation de ces jeunes. Par conséquent, nous faisons en sorte de les accompagner à leur dix-neuvième année, en lien avec la CAF, pour les aider dans la poursuite de leurs demandes de droits, dans l'apprentissage du système de santé et dans la connaissance des différentes aides de la branche famille. Nous abordons ces dispositifs par segments populationnels, statuts et problématiques car les démarches sont différentes en fonction des publics.

Je n'ai pas non plus évoqué l'action engagée sous l'impulsion de Marine Jeantet, depuis le 10 juillet 2020. Il s'agissait d'une action commune sur le terrain entre la CAF et la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) en équipes mobiles, auprès de l'ensemble des centres d'hébergement d'urgence et hôtels ayant hébergé des personnes sans domicile fixe pendant l'état d'urgence. Dans ce cadre, nous avons pu pratiquer l'« aller vers » présentiel dans une sorte d'opération « coup de poing », pendant trois semaines. L'Assurance maladie a ainsi pu ouvrir 6 000 actions d'ouvertures de droits ou de réalisations de soins. La CAF, pour sa part, a ouvert près de 3 000 dossiers de RSA.

Finalement dans une situation conjoncturelle donnée, nous sommes en capacité de co-construire, grâce à nos services qui sont désormais rodés et intégrés, un certain nombre d'actions. Nous avons de plus en plus de liens avec les collectivités territoriales sur ce sujet. Certes, vous avez plutôt le sentiment de fermetures, sur les territoires, de lieux d'accueil de proximité. Nous nous coordonnons beaucoup avec les structures France services. Celles-ci assurent l'accueil de proximité de niveau 1, tandis que nous gérons le niveau 2 d'ouverture de droits. Le dispositif a ainsi été conçu, pour permettre de retrouver un maillage de proximité et une réponse pour l'ensemble de nos concitoyens.

Concernant l'optimisation des échanges de données entre organismes, nous y travaillons actuellement dans le cadre de l'article 83 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Nous attendons la publication d'un décret en Conseil d'État listant un certain nombre de données croisées, à des fins d'ouvertures de droits. Nous préparons actuellement un travail interbranches - que nous soumettrons à la tutelle - avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), voire Pôle emploi afin de cartographier de façon large les différentes possibilités d'échanges de données susceptibles d'être intégrées dans le décret d'application.

Enfin sur les enjeux liés à la crise sanitaire, en dépit du dispositif de protection et des aides allouées par l'État, nous nous sommes trouvés face à des situations de santé compliquées. Un certain nombre de personnes âgées bénéficiant de l'ALD et de l'exonération du ticket modérateur, n'ont pas de complémentaire santé et se trouvent au-dessus du seuil pour bénéficier de la CSS. Nous avons notamment constaté que des hospitalisations pour cause de covid-19 occasionnaient néanmoins des factures très onéreuses en réanimation, dans la mesure où ces hospitalisations étaient sans lien avec la maladie pour laquelle ils sont indemnisés au titre de l'ALD. Ces situations peuvent donner lieu à des compensations financières dans le cadre de l'action sanitaire et sociale de l'Assurance maladie.

M. Denis Le Bayon. - En complément sur la question de l'optimisation des échanges, il convient de signaler plusieurs situations différentes. Dans certains cas, le droit à une prestation rend éligible à une autre prestation : c'est le cas de figure typique du RSA, qui rend éligible à la CSS. Pourtant, 20 % des bénéficiaires du RSA n'ont pas demandé à bénéficier de la CSS pour différentes raisons, qu'ils soient déjà couverts par ailleurs ou qu'ils ne comprennent pas le fonctionnement du système. Certaines personnes pensent que le fait d'être en ALD les couvre automatiquement, alors que la prise en charge du ticket modérateur n'intervient que pour les soins en lien avec l'affection. Par conséquent, il apparaît nécessaire d'améliorer l'information communiquée au demandeur de RSA, pour le conduire à émettre une demande de CSS.

Par ailleurs, il existe des situations où un élément précis peut donner un indice d'éligibilité à certaines prestations. Dans ces cas, les bénéficiaires d'une allocation donnée sont informés qu'ils sont potentiellement éligibles à une autre.

Enfin, je terminerai par toutes les possibilités de simplification des démarches des demandeurs, notamment de minima sociaux, au regard des déclarations de salaires des employeurs et des dispositifs en vigueur dans le cadre du prélèvement à la source. Nous constatons, s'agissant du RSA et de la prime d'activité, pour lesquels il est demandé chaque trimestre à l'allocataire de faire une déclaration de ressources, qu'il existe un nombre considérable d'erreurs dans ces déclarations. Par conséquent dans un cas sur quatre, ces erreurs donnent lieu à des trop-perçus dont la Caisse réclame restitution, mais aussi à une proportion considérable de compléments versés postérieurement (70 % pour les bénéficiaires du RSA et 60 % pour les bénéficiaires de la prime d'activité). C'est pourquoi dans les prochains mois, nous nous appuierons sur les déclarations de salaires des employeurs et les prestations versées par les organismes de protection sociale, pour pré-remplir les déclarations trimestrielles des allocataires du RSA et de la prime d'activité. De ce fait, les démarches seront simplifiées chaque trimestre et l'insécurité financière des bénéficiaires de prestations diminuera fortement.

Voici donc quelques exemples de pistes de travail en ce qui nous concerne.

Sur la crise sanitaire, Fanny Richard a exposé beaucoup de choses sur les apports de l'action sociale des caisses dans certaines situations d'hospitalisation pour covid-19. J'insiste une nouvelle fois sur l'extension très importante du périmètre de la sécurité sociale pendant la crise sanitaire. Nous ne nous serions pas douté, en décembre 2019, que des prestations sociales seraient versées à des personnes non malades, pour des motifs de garde d'enfant. En définitive, les organismes ont joué un rôle inattendu dans des délais extrêmement brefs, puisque des indemnisations ont été versées dès les premiers clusters en janvier 2020.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Je reviens sur les dossiers de retard d'accès aux prestations des personnes retraitées, qui durent parfois un an. Nous avons en effet constaté qu'il s'agissait d'un vrai enjeu pour des personnes d'un certain âge, et d'une source de fragilisation. Je rebondis aussi sur les enjeux de décentralisation et de maisons France services. Nous sommes d'accord pour constater que nous sommes passés du système des maisons des services au public (MSAP) à un système, avec les maisons France services, censé faciliter la tâche aux demandeurs grâce à la mise, en place en face de chaque correspondant France services, d'un interlocuteur dédié au sein des administrations. Force est pourtant de constater que ce système ne fonctionne pas bien dans les situations les plus délicates. Les personnes reçoivent la plupart du temps des réponses leur indiquant que leur dossier est en liste d'attente. Ne pourrions-nous pas, malgré tout, avec des relais locaux, recevoir les publics très fragiles proches de basculer dans la précarité et la pauvreté et leur donner accès aux organismes de façon privilégiée ? Nous ne parvenons pas à faire accélérer les processus dans les maisons France services. Je pense qu'il y a encore des choses à améliorer sur la longueur de l'accès aux droits et sur la capacité des agents sur le terrain à correspondre efficacement avec les interlocuteurs compétents pour résoudre les situations les plus délicates.

M. Denis Le Bayon. - Je partage bien évidemment le constat selon lequel l'un des motifs les plus prégnants du non-recours tient à la complexité administrative ressentie ou réelle, et à la longueur des délais de traitement. Il s'agit en effet de l'un des enjeux majeurs d'amélioration. Je ne pourrai pas vous répondre spécifiquement sur les délais d'accès aux prestations de retraite car je ne suis pas en charge de ce dossier. Néanmoins, le travail de récupération à la source des données des allocataires de RSA ou de prime d'activité pour leur éviter des démarches à remplir, participe d'une plus grande réactivité dans la liquidation des prestations. C'est en effet un enjeu majeur d'amélioration pour le service public de la sécurité sociale.

Mme Fanny Richard. - Il est vrai que les travaux que nous menons actuellement en interbranches avec la CNAV sont facilitants pour accompagner des jeunes retraités en difficulté. Nous tentons réellement de collaborer beaucoup plus étroitement entre nous, pour faire en sorte qu'à un moment de vie donné, nous puissions agir de concert. En particulier, nous effectuons des modélisations dans le cadre du parcours, pour nous coordonner. Avec Pôle emploi, nous menons un travail d'interconnexions à partir de cas pré-identifiés, tel que celui du demandeur d'emploi se retrouvant dans une sorte de « no man's land » au terme de son droit aux indemnités journalières.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Il est vrai que les personnes basculent souvent dans ces situations d'entre-deux. Il est ensuite très difficile de redresser ces situations, qui ne sont malheureusement pas isolées. Par conséquent, un travail de coordination doit être mené entre les différents services.

Mme Fanny Richard. - Concernant France services, qui est en pleine montée en charge, les structures ont à ce jour toutes été formées. Les structures agréées ont bénéficié d'une formation ad hoc par chacun des organismes, au-delà de la sécurité sociale. De plus au niveau local, les circuits se mettent en place actuellement. Certains peuvent encore être balbutiants, mais nous décomptons aujourd'hui 1 000 structures agréées. Pour celles qui étaient d'anciennes MSAP, la situation est plus facile car les échanges et la coordination étaient préexistants. Les difficultés de coordination concernent donc davantage les nouveaux sites et les anciens points d'information médiation multiservices (PIMMS) devenus des structures France services. Dans ce cas, un outil est géré en back office par les caisses.

M. Denis Le Bayon. - Je souhaite insister à nouveau sur le sujet de l'approche par les parcours, qui est crucial. J'évoquerai à titre d'exemple le parcours « séparation », mis en place par les CAF à compter de juin 2021. Dans ces moments de fragilité personnelle, où la situation administrative est bouleversée, il y a un besoin d'accompagnement. En la matière, les CAF développeront une offre d'information globale à l'intention des personnes en situation de séparation, tant sur leurs éventuels nouveaux droits que sur des actions d'aide à la parentalité ou des actions de versement de la pension alimentaire.

L'approche par les parcours est sans doute l'une des plus fructueuses pour aller au-delà de la complexité des dispositifs et des intervenants. C'est pourquoi nous souhaitons la renforcer.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Ma dernière question porte sur les conséquences du « tout numérique » vers lequel nous nous orientons. L'illectronisme est-il selon vous un facteur de non-recours ?

Mme Fanny Richard. - L'Assurance maladie ne sera jamais en « tout numérique », et ce choix est totalement assumé par le directeur général. Nous n'inciterons donc jamais une personne non autonome sur le plan numérique à ouvrir un compte Ameli. Ces personnes peuvent se déplacer ou prendre des rendez-vous téléphoniques, qui sont très bien vus par les intéressés. Nous préférons vraiment que ces personnes continuent à avoir une relation directe avec nos agents d'accueil et nos canaux de contact. En effet dès qu'un compte Ameli est ouvert, la personne non autonome numériquement n'a plus aucun contact avec nous, en raison de la suppression de tout document papier. En définitive, nous souhaitons vraiment préserver un espace non numérique et concentrer nos dispositifs pour accompagner ces publics.

Par ailleurs, les personnes détectées comme autonomes mais non familiarisées avec les services administratifs en ligne, peuvent bénéficier d'ateliers collectifs communs avec les CAF pour apprendre à utiliser nos téléservices. Ces personnes sont orientées vers les médiateurs du numérique pour recevoir une formation au long cours. Dans ce cadre, les médiateurs du numérique bénéficient de subventions de la part de l'action sanitaire et sociale.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Je vous remercie de ces échanges quelque peu limités par le nombre de personnes. Merci de votre présence et bonne continuation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 30.