Mardi 13 avril 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, et projet de loi organique modifiant la loi organique relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution - Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

M. Laurent Lafon, président. - Madame la ministre, chère Roselyne Bachelot, nous sommes particulièrement heureux de vous retrouver aujourd'hui. Je ne saurais commencer cette audition sans vous témoigner notre soutien après les jours difficiles que vous avez connus, et mes collègues se joignent à moi pour vous souhaiter un prompt rétablissement.

Le projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, que vous allez nous présenter, comprend une vingtaine d'articles, dont la majorité est issue du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère du numérique qu'avait élaboré votre prédécesseur Franck Riester. L'examen de ce texte a été interrompu au début du mois de mars 2020 à l'issue de son examen par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale.

Le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui est bien moins ambitieux que celui de votre prédécesseur qui comportait une réforme globale de l'organisation et de la gouvernance de l'audiovisuel public - une réforme attendue et nécessaire. L'abandon de ce texte a pour conséquence de limiter les synergies entre les différentes sociétés de l'audiovisuel public, comme le montre aujourd'hui l'incapacité de France Télévisions et de Radio France à s'entendre pour développer une offre territoriale numérique commune.

La création d'une gouvernance commune devait permettre de concevoir une stratégie numérique audacieuse et puissante pour répondre au défi des plateformes américaines ; cette absence de gouvernance commune devrait donc durablement affaiblir le secteur de l'audiovisuel public, ce que nous regrettons.

J'ajoute que la réforme de la contribution à l'audiovisuel public - l'ex-redevance - aurait dû constituer le second pilier de la réforme de l'audiovisuel public. Celle-ci a été également abandonnée alors même qu'elle ne présentait aucune difficulté particulière, si ce n'est la nécessité de faire entendre raison au ministère des finances, qui a toujours du mal à reconnaître l'intérêt de préserver l'indépendance de l'audiovisuel public.

Cela étant, le Sénat étant saisi, en premier, de votre projet de loi, notre commission l'examinera de manière constructive en tâchant de nous limiter à son nouveau périmètre, qui porte sur les dispositions relatives à la régulation du secteur des médias et d'accès aux oeuvres. Nous espérons qu'il sera possible de l'enrichir pour tenir compte de la nécessité d'aider nos entreprises à se renforcer pour produire et diffuser des contenus aussi attractifs que ceux des plateformes. Si nous arrivons à moderniser notre réglementation en ce sens, ce projet de loi aura été utile et constituera une étape importante avant l'indispensable réforme de la loi de 1986 que notre commission appelle de ses voeux depuis 2015, avec les propositions de nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin.

Je rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site du Sénat.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. - Monsieur le président, je tiens à vous remercier pour les mots de sympathie que vous m'avez adressés et remercier également tous les sénateurs et sénatrices qui, quelle que soit leur appartenance politique, m'ont adressé des messages de soutien et d'amitié au cours de ces dernières semaines - j'en ai été profondément touchée.

Je suis heureuse de vous présenter aujourd'hui le projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, car le calendrier est extrêmement chargé, sans compter les prochaines échéances électorales.

Vous l'avez rappelé, même si la crise sanitaire a bouleversé la poursuite de l'examen du projet de loi sur l'audiovisuel, les mesures prévues conservent toute leur importance et leur force pour répondre aux attentes des professionnels.

Pour tenir compte du bouleversement du calendrier parlementaire, le Gouvernement fait un triple choix.

Premièrement, le Gouvernement a choisi de recourir aux ordonnances. La loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière a permis au Gouvernement de transposer plusieurs directives importantes pour le secteur culturel. Ainsi, l'ordonnance relative au service des médias audiovisuels a été promulguée le 21 décembre dernier ; les ordonnances permettant de transposer la directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique et la directive Câble-Satellite sont en préparation et devraient être présentées en conseil des ministres au cours du deuxième trimestre.

Deuxièmement, le Gouvernement a choisi de ne pas reprendre le volet législatif concernant la transformation de l'audiovisuel public, mais les objectifs de renforcement des coopérations entre les différentes entreprises du service public de l'audiovisuel ont néanmoins été confirmés dans les contrats d'objectifs et de moyens, qui sont en cours de finalisation.

Troisièmement, enfin, le Gouvernement a fait le choix de présenter un projet de loi resserré et recentré sur un nombre de dispositions urgentes et consensuelles, en vue de son adoption avant la fin de cette année.

Trois enjeux forts structurent ce projet de loi.

Le premier enjeu est le renforcement de la lutte contre le piratage. Ces dispositions ont une acuité particulière en raison du contexte sanitaire. L'enquête portant sur les pratiques culturelles des Français en période de confinement qui a été réalisée par mon ministère montre que l'offre numérique culturelle a été fortement sollicitée pendant cette période, confirmant en cela une tendance observée depuis une dizaine d'années. Cette forte augmentation de la consommation de biens culturels numériques dématérialisés s'est accompagnée d'une hausse des pratiques illicites, ce qui justifie d'autant plus les dispositions prévues dans ce projet de loi.

La lutte contre le piratage se voit ainsi renforcée par plusieurs dispositions de fond, qui ciblent non pas les internautes, mais les sites internet qui tirent un profit commercial de la mise en ligne d'oeuvres, en violation des droits des créateurs. Il est prévu de dresser une liste noire des sites internet dont le modèle économique repose sur l'exploitation massive de la contrefaçon. Le projet de loi contient des mesures de nature à lutter plus efficacement contre les sites miroirs, ceux qui réapparaissent sous une autre adresse URL après fermeture d'un site jugé illicite. Il prévoit, en outre, un dispositif spécifique de référé pour lutter contre le piratage sportif. La lutte contre le piratage sportif exige la mise en place de mesures adaptées pour les retransmissions audiovisuelles de manifestations sportives en direct. Un mécanisme ad hoc de référé est susceptible de produire des effets pendant toute la durée de la saison sportive.

Ce projet de loi vise donc à accompagner les internautes dans leurs pratiques numériques vers des usages responsables, notamment au regard des règles de la propriété intellectuelle.

Le deuxième enjeu concerne la modernisation de la régulation des contenus audiovisuels et numériques. Pour tenir compte de la convergence progressive de l'audiovisuel et du numérique et de la nécessité de rationaliser l'organisation administrative en matière de régulation des contenus, le projet de loi fusionne la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) en une nouvelle autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

Ce nouveau régulateur, qui sera compétent pour ce qui concerne les contenus audiovisuels et numériques, sera mieux armé et plus efficace grâce à trois évolutions : son collège sera recomposé, ses missions seront élargies et ses pouvoirs de contrôle et d'enquête étendus. Cette modernisation permettra de mieux réguler les communications sur internet, de protéger les oeuvres culturelles et de veiller au respect du droit d'auteur et des droits voisins.

Le troisième et dernier enjeu a trait à la protection de l'accès du public aux oeuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises, un chapitre nouveau par rapport au texte examiné par l'Assemblée nationale. Les catalogues de nos oeuvres cinématographiques et audiovisuelles constituent notre patrimoine ; ils forgent notre identité culturelle et sont un élément de notre souveraineté nationale.

Aujourd'hui, le public a la garantie d'avoir accès aux oeuvres françaises, car les producteurs établis en France qui les possèdent sont tenus à une obligation de recherche d'exploitation suivie prévue par le code de la propriété intellectuelle. Cette obligation leur impose de conserver les supports des oeuvres en bon état et de faire en sorte que l'oeuvre puisse être exploitée en France et à l'étranger. Or le risque existe aujourd'hui que de grandes sociétés de production - ou simplement leur catalogue - soient rachetées par des entreprises éloignées de tout objectif culturel. Ces acheteurs pourraient décider de retirer temporairement ces oeuvres du marché pour en faire monter les prix ou d'exploiter seulement les films les plus rentables.

L'article 17 du projet de loi, qui étend à toutes les personnes qui rachètent une ou plusieurs oeuvres françaises l'obligation de recherche d'exploitation suivie, prévoit que tout projet de cession d'oeuvres doit faire l'objet d'une déclaration préalable auprès du ministère de la culture au moins six mois avant la date de l'opération engagée.

Pour conclure, je veux dire que ce texte est urgent, car il reprend les dispositions du projet de loi initial les plus attendues par les secteurs concernés. Il est important, car il apporte des réponses concrètes à trois enjeux majeurs dans le domaine de la communication audiovisuelle : la protection des droits, ceux des auteurs, des producteurs, des diffuseurs, des fédérations sportives ; l'organisation de notre régulation, qui doit être rationalisée et modernisée ; et la défense de l'accès du public aux oeuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises dans un contexte où la demande n'a jamais été aussi forte. Il est cohérent, car ces trois chapitres sont étroitement liés entre eux : la lutte contre le piratage et la protection des catalogues participent d'un même objectif, celui de la défense de notre création culturelle, avec un régulateur solide et puissant ainsi que des outils innovants et ambitieux. La création de l'Arcom marque à la fois la volonté de passer à la vitesse supérieure en matière de lutte contre les sites pirates et d'inscrire cette action dans une politique de régulation plus large.

Je sais que votre travail de qualité permettra à la commission de conserver la cohérence que le Gouvernement a souhaité donner à ce texte, mais également de l'enrichir à bon escient. Je serai très attentive à vos propositions car je suis très attachée au travail parlementaire.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Certaines chaînes s'interrogent aujourd'hui sur l'avenir de la télévision numérique terrestre (TNT) et estiment que les contraintes qui y sont attachées sont trop importantes compte tenu de la baisse de la part de cette technologie dans les modes de réception de la télévision. Ce projet de loi ne pourrait-il pas permettre de lever certains obstacles concernant l'avenir de la TNT ? Je pense, en particulier, à la nécessité pour le CSA de lancer un appel à candidatures pour le second renouvellement des autorisations d'émettre, ainsi qu'à la possibilité d'imposer la norme HbbTV sur les téléviseurs afin de favoriser l'interactivité.

Par ailleurs, pour quelles raisons ce projet de loi ne reprend-il pas les dispositions prévues par le texte de votre prédécesseur quant à l'expérimentation de l'ultra haute définition (UHD). Quel est votre avis sur l'UHD hertzien alors que plusieurs chaînes s'interrogent sur le coût d'une telle technologie qui nécessiterait de changer les téléviseurs ?

Enfin, ma troisième question portera sur les programmes et plus précisément sur la réglementation de la production. La situation actuelle est marquée par la persistance d'une très forte asymétrie entre les nouveaux acteurs comme Netflix et les acteurs historiques. Les chaînes françaises ont besoin de maîtriser les droits attachés à la production pour concurrencer les plateformes. Quid d'une règle des 50-50 : 50 % de recours à la production indépendante et 50 % de souplesse, ce qui permettrait aux chaînes de produire en interne ou de conserver les droits négociés de gré à gré sur la moitié de leurs investissements ?

Ma quatrième et dernière question porte sur la lutte contre le piratage.

Le projet de loi procède à la fusion du CSA et de la Hadopi au sein d'un nouveau régulateur, qui devrait bénéficier de deux pouvoirs supplémentaires, avec l'établissement d'une liste noire et la lutte contre les sites miroirs, mais la réponse graduée en elle-même n'évolue qu'à la marge. Beaucoup auraient pourtant souhaité étendre plus encore les pouvoirs du régulateur, notamment par l'institution d'une transaction pénale établie par l'ARCOM pour éteindre l'action publique, suivant en cela les recommandations d'un rapport d'Olivier Dutheillet de Lamothe et Bethânia Gaschet. Ne serait-il pas temps d'introduire cette disposition dans notre législation ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Pour répondre à votre première question, le Gouvernement a choisi de présenter un texte resserré en vue d'une adoption rapide. Les mesures proposées sont très attendues et cohérentes entre elles. C'est la raison pour laquelle il n'a pas été décidé de reprendre certains volets du projet de loi sur l'audiovisuel, comme les dispositions relatives à la modernisation de la TNT. Je le sais, le Sénat a la volonté d'avancer sur le sujet ; Mme Morin-Desailly a d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens.

Le Gouvernement demeure favorable aux mesures prévues dans le projet de loi précité. Permettez-moi tout de même de rappeler que si des amendements étaient déposés sur ce sujet - je les examinerai avec bienveillance -, ils seraient susceptibles d'être déclarés irrecevables au regard de l'architecture actuelle du texte ou a posteriori comme cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel.

La norme HbbTV permet de combiner les avantages de la diffusion hertzienne et ceux des services OTT - Over The Top. Le CSA a lancé des expérimentations que nous suivons avec attention, mais il est trop tôt pour envisager d'imposer cette norme aux équipementiers. En outre, cette mesure serait fragile d'un point de vue juridique. En revanche, nous avons introduit dans l'ordonnance du 21 décembre 2020 un principe d'intégrité du signal sur lequel le CSA pourrait s'appuyer pour s'assurer que le distributeur n'ampute pas le signal de l'éditeur lorsque celui-ci fait le choix de recourir au HbbTV.

L'UHD a, en effet, un coût pour le producteur, l'éditeur et le téléspectateur. Mais c'est une question de compétitivité de la plateforme TNT face aux autres modes de diffusion, qui évoluent progressivement vers l'UHD et qui vont donc mécaniquement conduire les téléspectateurs à s'équiper. Je le redis, je suis d'accord sur le fond avec les dispositions qui figuraient dans le projet de loi initial, et qui sont reprises dans la proposition de loi de Mme Morin-Desailly, mais je doute de la possibilité de les introduire par voie d'amendements. Je le répète, il est nécessaire d'en rester à un texte resserré.

La question de la réglementation de la production est très importante. Vous pointez à juste titre celle du rééquilibrage des obligations entre acteurs historiques et nouveaux entrants en matière de financement de la production. Ce rééquilibrage est déjà en cours. Au niveau législatif, nous avons transposé la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) par l'ordonnance du 21 décembre dernier. Nous pouvons désormais appliquer notre régime de contribution à la production, aux chaînes et plateformes de vidéo à la demande étrangère. Au niveau réglementaire, un décret d'application relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) qui tend à fixer le nouveau régime de contribution à la production d'oeuvres et à s'appliquer tant aux services relevant de la compétence de la France qu'aux services étrangers visant la France est en cours d'examen au Conseil d'État. J'ai par ailleurs invité l'ensemble des parties prenantes à discuter d'ici à la fin avril de la révision du décret qui fixe le régime de contribution. D'ailleurs, le niveau de la part indépendante ne relève pas du domaine législatif. J'ajoute que tous les acteurs historiques ne souhaitent pas forcément faire baisser ce niveau. Mon objectif est de construire un nouveau cadre basé sur un consensus entre les éditeurs et les producteurs.

Enfin, concernant la lutte contre le piratage et la transaction pénale, j'entends la volonté de certaines parties prenantes d'aller plus loin, mais ce sujet est complexe. De longs débats ont eu lieu sur ce sujet à l'Assemblée nationale, et le Gouvernement avait alors été défavorable à l'introduction de ce dispositif. Ce serait une erreur de se focaliser sur le mécanisme de réponse graduée qui cible uniquement les échanges de pair à pair et ignorer les autres formes de piratage, telles que la lecture en flux ou le téléchargement direct, qui représente d'ailleurs la majorité des piratages.

Le projet de loi prévoit pour la première fois des dispositions visant à lutter efficacement contre les sites pirates, en vue de responsabiliser les entreprises ayant des liens commerciaux avec eux, ainsi que contre les sites miroirs. Un référé spécifique est prévu pour les compétitions sportives et un régulateur unique est chargé de la lutte contre le piratage.

Le grand public est très sensible à la question de la répression des pratiques des internautes, je me permets de le rappeler. Aussi, il serait inopportun de durcir la répression, surtout dans le contexte actuel. Le succès de la transaction n'est par ailleurs en aucune manière garanti.

M. David Assouline. - Avant toute chose, madame la ministre, je vous souhaite un complet rétablissement.

Il n'y a aucune raison réelle, en termes d'agenda, de ne pas avoir fait passer le précédent projet de loi au Sénat, la discussion du texte étant quasiment achevée à l'Assemblée nationale. Si je ne soutenais pas l'ensemble des dispositions de ce texte, je partageais du moins son ambition, qui était d'engager une discussion globale sur le nouveau paysage audiovisuel et de cesser de mettre des pansements à la loi de 1986. Ce débat était nécessaire pour la société, dans son rapport aux nouveaux usages, aux plateformes, aux nouvelles technologies. À chaque nouveau quinquennat, on nous annonce une grande loi audiovisuelle, et à la fin on a une petite loi !

Nous sommes donc ici face à une petite loi, qui s'attaque à des problèmes dont je me suis fait l'écho. Dès 2013, dans le cadre de la loi relative à l'indépendance de l'audiovisuel public, j'ai été au centre d'une polémique pour avoir voulu déposer un amendement demandant la fusion entre la Hadopi et le CSA, partant du constat que les contenus audiovisuels circulent davantage sur le net qu'à la télé. Comment interdire la publicité avant les émissions pour enfants sur l'audiovisuel public si l'on n'en fait pas autant sur YouTube ? Quoi qu'il en soit, en cas de fusion, une gigantesque tâche de régulation incombera à l'Arcom : il lui faudra des moyens importants. Nous serons donc attentifs aux budgets.

J'étais favorable à la réduction du nombre des membres du CSA, qui est passé à sept. Pour autant, il importe de garantir l'indépendance de l'autorité : un membre est nommé par le Président de la République, trois membres sont désignés par le président de l'Assemblée nationale et trois autres par le président du Sénat. Voilà pourquoi le CSA n'a jamais été contesté dans son pluralisme. Or ce texte affaiblit le Parlement puisqu'une nomination incombera désormais au Conseil d'État et une autre à la Cour de cassation. J'aimerais que l'on y réfléchisse, car l'époque est à l'affaiblissement du Parlement dans tous les domaines. Nous sommes trop souvent contournés : tout se fait par ordonnance ou sur décision unilatérale de l'exécutif. Par exemple, on redéfinit le périmètre de France Télévisions, on supprime deux chaînes, mais cela n'est pas voté par le Parlement. Il s'agit d'une simple décision gouvernementale ! Or nous sommes unanimes, y compris notre président de commission, pour demander le maintien de France 4.

De surcroît, les ordonnances traînent à être publiées, même si nous les acceptons et les votons dans leur principe afin d'aller vite et d'aider le secteur.

Dans ce débat, des amendements sur des sujets annexes, mais touchant à l'audiovisuel, pourront se trouver frappés par l'article 45 de la Constitution, ce qui reviendrait à interdire des discussions qui se sont pourtant tenues à l'Assemblée nationale. J'appelle donc mes collègues à faire preuve d'ouverture en matière d'irrecevabilités !

J'approuve votre ligne sur le piratage, à savoir s'attaquer aux sites qui en font commerce. Mais je ne suis pas ravi que l'on ait mélangé le piratage concernant le sport avec le sujet dont nous discutons. Il nous est possible de faire prendre conscience aux jeunes qu'il n'est pas acceptable de pirater la culture alors que des millions de gens en vivent pauvrement. Mais quid du sport, surtout en période de pandémie, alors que les joueurs sont payés des millions ? Cela vient perturber le message pédagogique.

M. Michel Laugier. - Madame la ministre, je suis très heureux de vous retrouver. Je regrette le périmètre très réduit de la loi, d'autant que l'on cherche paradoxalement à y faire entrer beaucoup de choses !

En ce qui concerne les sites sportifs illégaux de piratage, j'abonderai dans le sens de David Assouline. En cette période de pandémie, nos concitoyens n'ont pas d'autre choix que d'être devant leur poste de télévision. Or suivre des matchs de football coûte très cher aujourd'hui. Nous serons attentifs aux moyens mis en oeuvre pour lutter contre ce piratage. Je suis favorable à la fusion du CSA et de la Hadopi. Je m'interroge néanmoins sur l'article 17 et les risques liés à la recherche de l'exploitation dans le cas d'une vente d'oeuvres. Le Conseil d'État a estimé, dans son avis, que les obligations imposées à l'acheteur devraient être assorties d'une compensation financière de l'État. Or rien n'est prévu aujourd'hui dans le texte.

M. Jérémy Bacchi. - En ce qui concerne la protection des catalogues, pouvons-nous imaginer un système de préemption par l'État d'oeuvres françaises ? Si oui, sur quelles bases de choix d'oeuvres afin de les protéger et surtout de les rendre accessibles ? Toujours en ce qui concerne la protection des catalogues, qu'en sera-t-il en matière de coproductions ? Imaginons, par exemple, un film cofinancé par M6 Studio et Netflix. Si le groupe de Nicolas de Tavernost envisageait de céder une partie de ses droits à Netflix, le ministère aura-t-il son mot à dire ? Ma dernière question concerne la concentration des médias : les jauges actuelles prévues par le CSA seront-elles amenées à bouger ?

Mme Laure Darcos. - Madame la ministre, je suis très heureuse de vous retrouver. Je partage l'avis de mes collègues, nous sommes tous frustrés quant au périmètre de la loi. Les questions posées par le rapporteur sur la TNT valent la peine d'être soulevées. Cette loi est importante à la fois pour la Hadopi et le CSA. L'ancien président de la Hadopi a reconnu que cela devenait très compliqué en termes de personnels et de motivation des équipes. Pour l'Arcom à venir, il est important d'aboutir enfin à cette transformation.

En ce qui concerne les dispositions relatives à la protection des catalogues audiovisuels remarquables, je me fais la porte-parole des sociétés de production, qui ont été étonnées de trouver de telles mesures dans le texte, en dehors de toute concertation préalable. Ces sociétés sont déjà fragilisées par la crise sanitaire et la baisse drastique des aides du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) pour le secteur patrimonial. Que recouvre la notion de catalogues audiovisuels remarquables ? Le fait de garantir l'accès au public contrevient au code de la propriété intellectuelle, qui met à la charge du producteur une obligation de moyens et non une obligation de résultat. Tous ces sujets sont anxiogènes pour ces sociétés. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Julien Bargeton. - Je suis ravi de vous retrouver, madame la ministre. Si ce nouveau projet de loi est plus resserré que le précédent, il conserve néanmoins des dispositions consensuelles et ambitieuses, notamment sur le piratage, grâce à la fusion de la Hadopi et du CSA. Le précédent projet de loi avait également pour ambition affichée la souveraineté culturelle à l'ère numérique, une notion qui n'apparaît plus dans l'intitulé du nouveau projet de loi. Quels outils dans le texte permettront de renforcer cette souveraineté culturelle indispensable à l'heure du numérique ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Je remercie l'ensemble des sénatrices et des sénateurs de leurs voeux de bon rétablissement. Je suis toujours en convalescence, mais je reste à la manoeuvre pour gérer les dossiers importants en cette période compliquée, qu'il s'agisse des travaux qui permettront la réouverture des lieux culturels ou de sujets plus oubliés, comme le plan de relance et les énormes crédits consacrés au patrimoine.

Monsieur Assouline, je me suis expliquée sur les raisons qui ont conduit à ce texte resserré. Vous étiez, dès 2013, un militant de la fusion de la Hadopi et du CSA, qui nécessitera, bien évidemment, des moyens renforcés ne relevant pas de ce texte architectural, mais plutôt d'un texte budgétaire. Les besoins de la future Arcom émargeront aux services du Premier ministre.

Vous m'avez également interrogée, ainsi que plusieurs de vos collègues, sur la composition de l'Arcom. Le collège de la future Arcom comprendra, outre son président, deux membres désignés par le président de l'Assemblée nationale, deux membres désignés par le président du Sénat et deux magistrats, chargés notamment de la réponse graduée prévue par le code de la propriété intellectuelle. Dès le projet de loi de 2019, la composition du collège de la future Arcom répondait à l'objectif de ne pas augmenter le nombre de ses membres. Ce texte introduisait au sein du collège de l'Arcom un magistrat désigné par le Président de la République, chargé de la réponse graduée, et un membre du collège de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).

Pour maintenir le nombre de membres du collège à sept, le projet de loi réduisait donc de trois à deux les membres désignés par les présidents des deux assemblées. Le présent projet de loi maintient ce principe en l'adaptant : il ne prévoit plus la présence au sein du collège de l'Arcom d'un membre de l'Arcep ni la présence réciproque d'un membre de l'Arcom dans le collège de l'Arcep. Comme les deux autorités l'ont souligné dans leurs avis respectifs, le renforcement de la coopération entre elles est déjà largement engagé et rend moins nécessaire l'instauration de ce mécanisme complexe de participation croisée.

En revanche, le texte prévoit que le collège accueille deux nouveaux membres désignés respectivement par le vice-président du Conseil d'État et le premier président de la Cour de cassation, en lieu et place de deux des six membres nommés par les assemblées parlementaires.

La présence au sein du collège de membres ayant le statut de magistrat a semblé souhaitable au Gouvernement, pour deux raisons : au regard des enjeux, notamment juridiques, attachés à la mission de réponse graduée aujourd'hui dévolue à la commission de protection des droits de la Hadopi ; et au regard de la nécessité d'apporter toutes les garanties nécessaires dans la mise en oeuvre de cette procédure de nature pré-pénale. La sensibilité des atteintes à la vie privée et à la liberté de communication justifient que ces fonctions soient confiées à des personnes présentant des garanties renforcées.

La présence de magistrats au sein du collège de l'Arcom est, de plus, parfaitement cohérente avec les nouvelles missions, au-delà du champ de la propriété intellectuelle, qui sont confiées à l'autorité, hier par la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information, demain par la loi confortant le respect des principes de la République, après-demain par le Digital Services Act (DSA) en matière de liberté d'expression, de lutte contre la haine en ligne et de lutte contre la désinformation.

Par ailleurs, le CSA s'est interrogé dans son avis sur la question de savoir qui des deux magistrats serait le titulaire de la réponse graduée et qui serait le suppléant. Le texte a été précisé depuis sur ce point puisqu'il est prévu que l'Arcom désignera celui des deux magistrats qui sera titulaire pendant les trois premières années de son mandat ; l'autre magistrat le remplacera les trois années suivantes.

Michel Laugier s'est aussi intéressé à la question du sport. Je trouve quand même un peu curieux que vous militiez en faveur d'une sorte de droit au piratage des manifestations sportives. Je signale, d'ailleurs, que les dispositifs qui combattent le piratage de ces manifestations n'ont pas la même nature que ceux qui concernent les biens culturels. Par définition, le bien culturel est pérenne alors que les manifestations sportives ne le sont pas puisqu'elles s'inscrivent dans une saison sportive. Le sport, ce n'est pas seulement le football, c'est aussi tout un catalogue de manifestations. Je ne peux pas défendre l'idée d'un droit au piratage illimité des manifestations sportives, ce qui serait gravement dommageable à l'ensemble du sport français.

M. David Assouline. - Je n'ai pas dit ça !

M. Michel Laugier. - Moi non plus !

Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Jérémy Bacchi et Laure Darcos m'ont interrogée sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur, à savoir la protection des catalogues. Sans doute n'ai-je pas été assez complète dans ma présentation liminaire. Laure Darcos a raison, le terme « remarquable » n'apparaît plus dans le texte, car cela peut poser un problème de définition juridique. La protection des catalogues de nos oeuvres cinématographiques est un enjeu très important pour les Français, à la fois en termes de patrimoine, d'identité et de souveraineté nationale - cela répond en partie à la question qui m'a été posée par Julien Bargeton.

J'ai évoqué, à travers des grandes sociétés comme Gaumont, Pathé, Studiocanal, les grandes oeuvres des cinémas français. Aujourd'hui, le public a la garantie d'avoir accès aux oeuvres françaises, car les producteurs établis en France et qui possèdent ces oeuvres sont tenus à une obligation de « recherche d'exploitation suivie » prévue par le code de la propriété intellectuelle. Cette obligation essentielle leur impose de conserver les supports des oeuvres en bon état et de fournir leurs meilleurs efforts pour que l'oeuvre puisse être exploitée, et donc vue par le public en France et à l'étranger.

Ces grandes sociétés de production ou leurs catalogues peuvent être achetés par des entreprises qui ne sont pas tenues, en l'état du droit, à cette obligation de recherche d'exploitation. On pense, évidemment, aux fonds d'investissement. Ainsi, les oeuvres rachetées par des entreprises américaines ou chinoises pourraient, du jour au lendemain, être inaccessibles au public français. Ces acheteurs pourraient décider de les retirer temporairement du marché ou d'exploiter uniquement les productions les plus rentables. Ce risque est d'autant plus inacceptable que les oeuvres françaises ont le plus souvent - pour ne pas dire totalement - été financées par des fonds publics, notamment via le soutien du CNC ou des différents dispositifs fiscaux.

Par ailleurs, des concertations ont été menées par le CNC. Elles se poursuivent avec les différentes parties prenantes sur ce sujet. Il y a donc bien eu concertation, je ne comprends pas cette polémique.

Nous soumettrons les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles à un dispositif de protection quand elles sont rachetées par des entreprises qui aujourd'hui ne sont pas tenues à ce principe d'exploitation suivie. L'article 17 étend donc à toutes les personnes qui rachètent une ou plusieurs oeuvres françaises l'obligation de recherche d'exploitation suivie. Tout projet de cession d'oeuvre doit faire l'objet d'une déclaration préalable auprès de mes services au moins six mois avant la date de l'opération envisagée. Ce délai permet de vérifier que l'acheteur présente bien toutes les garanties pour assurer la recherche d'une exploitation suivie. À défaut, des garanties peuvent lui être imposées par une commission de protection de l'accès aux oeuvres. C'est un dispositif nécessaire, c'est un dispositif proportionné. Nous ne pouvions d'ailleurs pas, en l'état du droit, aller plus loin. La liberté de circulation des capitaux telle que définie dans le droit de l'Union européenne nous interdit de soumettre les projets de rachat à une autorisation préalable et de faire juridiquement obstacle à la vente.

Ce projet est soutenu par toutes les organisations de cinéastes et par de nombreux producteurs. C'est un premier pas important dans la défense de notre souveraineté culturelle. Nous poursuivons la réflexion. Je pense, en particulier, à la protection de notre réseau de salles de cinéma. La protection de nos actifs culturels stratégiques est aussi, Julien Bargeton, une question de souveraineté nationale.

Finalement, l'ensemble du texte est une défense de la souveraineté. L'interdiction du piratage, la création d'une autorité indépendante pour garantir des mesures efficaces en matière de lutte contre le piratage, la protection des catalogues : tout cela est une question de souveraineté nationale !

Je suis toujours étonnée que l'on oppose trop souvent le droit des consommateurs à ce texte. Le droit des consommateurs, c'est aussi le droit d'avoir une souveraineté sur des biens culturels et de garder la propriété de ces oeuvres. Pourquoi certains s'indignent-ils d'une perte de souveraineté dans la recherche pharmaceutique ou la construction automobile, mais ne s'émeuvent pas de laisser les biens culturels à disposition, sans que les créateurs ne soient rémunérés pour leur travail et leur créativité ? Ce débat est toujours devant nous !

M. David Assouline. - Madame la ministre, je n'appelle pas au piratage. Je trouve simplement dommage que cette loi n'aborde le sport à la télévision que sous le prisme de la lutte contre le piratage. Cela dénature le débat. Il y a cinq ans, à la demande du Gouvernement, j'ai remis un rapport pour l'accès du plus grand nombre au sport à la télévision, de façon gratuite. Le gouvernement auquel vous appartenez, malgré ses promesses, n'a donné aucune suite à mes préconisations. Je suis contre le piratage, mais je suis favorable à ce que nos concitoyens aient accès au sport de manière démocratique.

Mme Monique de Marco. - Le bilan de la Hadopi a montré que l'outil le plus efficace pour lutter contre le piratage des oeuvres est de proposer une offre légale séduisante. Je pense à Netflix. Concernant les retransmissions sportives, l'éclatement de l'offre a largement contribué à diminuer l'accès légal aux matchs en direct, favorisant le retour des plateformes de piratage. Pensez-vous que ce projet de loi permettra de développer et d'encourager davantage l'offre légale de contenus ? Quels moyens pourraient être envisagés à cette fin ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Le piratage a augmenté à due proportion de l'augmentation des propositions commerciales de Netflix. Il n'est donc pas juste de créditer Netflix de la diminution du piratage. Quant à l'augmentation de l'offre légale de contenus, elle n'est pas l'objet du projet de loi. La France, grâce à des mécanismes publics extrêmement puissants d'aide à la création cinématographique et audiovisuelle, participe comme aucun autre pays européen à la création d'une offre diversifiée et de qualité. Cette politique publique a également été à l'oeuvre durant la crise sanitaire et elle n'a pas défailli. Elle a permis de soutenir les créations et le tournage de films, que j'ai autorisés et que j'ai permis de financer. Elle a protégé le système de distribution à travers nos 2 000 salles de cinéma. Mon ambition est de protéger à tous les stades de l'industrie cinématographique et audiovisuelle cette offre légale de contenus. Nous pouvons être collectivement fiers d'un système que d'ailleurs nous avons tous défendu, quelles que soient nos sensibilités.

M. Laurent Lafon, président. - J'ai deux questions à vous poser qui sont davantage des questions d'actualité. La première concerne Culturebox, initiative de France Télévisions que vous avez beaucoup soutenue et qui arrive à échéance à la fin du mois d'avril. Malheureusement, la crise sanitaire est toujours présente, ainsi que les restrictions en matière d'activités culturelles. Le Gouvernement envisage-t-il de soutenir Culturebox pendant encore quelques semaines ou quelques mois ? Concernant la vente de M6, l'État privilégierait - à en croire la presse - le rachat par TF1. Existe-t-il réellement un scénario privilégié par le Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Si la crise continue, la prolongation de Culturebox est effectivement à envisager. J'ai beaucoup milité, avec Roch-Olivier Maistre, pour la création de cette chaîne. S'agissant de la vente de la part de M6 détenue par Bertelsmann, nous n'avons pas à ce stade de scénario privilégié. Je ne ferai pas état des bruits de couloir, mais je ne manquerai de vous informer lorsque les choses seront officialisées et stabilisées.

M. Jean-Pierre Decool. - Madame la ministre, je ne vous cache pas mon plaisir de vous retrouver en forme ascendante. Ce projet de loi est de bon aloi. Toutefois, je m'interroge sur le volet relatif à la protection de l'oeuvre à l'heure du numérique. Vous n'êtes pas sans savoir que nombre de jeunes artistes, créateurs ou artisans sont contraints, à des fins de communication, de diffuser leurs oeuvres sur les réseaux sociaux.

Cette pratique, bien que de nature à les exposer au plagiat et à toutes sortes de dépossessions de leur création, est incontournable pour quiconque aujourd'hui se lance dans une carrière créative. Certaines grandes marques de prêt-à-porter se sont déjà fait remarquer par des faits litigieux à cet égard.

Comment protéger l'image des oeuvres sur les réseaux sociaux ? L'Arcom sera-t-elle chargée de cette mission ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Vous êtes, cher Jean-Pierre Decool, au coeur d'un débat. À partir du moment où un créateur choisit, pour des raisons commerciales, d'abandonner la possibilité de défendre sa propriété intellectuelle, comment le suppléer ? Nous pouvons, bien sûr intervenir, sur un certain nombre de supports. Mais si quelqu'un décide qu'il est plus intéressant pour lui de perdre son droit à la propriété intellectuelle pour assurer un meilleur rendement de sa capacité créatrice, comment l'en empêcher ? Il y va de la liberté du créateur. Je conçois difficilement que l'Arcom puisse intervenir dans le cadre des réseaux sociaux. Vous confiriez à l'Arcom une obligation démesurée qu'elle serait bien incapable de remplir !

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie de l'ensemble de vos réponses, madame la ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, et projet de loi organique modifiant la loi organique relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution - Audition de M. Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos auditions consacrées au projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique en accueillant M. Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Le nouveau projet de loi n'a pas l'ampleur que nous aurions souhaitée, mais il n'en marque pas moins une étape essentielle pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), engagé dans une fusion avec la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). Cette fusion est supposée améliorer la lutte contre le piratage des oeuvres, un phénomène qui prive les détenteurs de droits de plusieurs milliards d'euros de revenus chaque année. L'institution que vous présidez, déjà chargée de lourdes missions, deviendra demain, avec l'adoption de ce texte, le grand régulateur du numérique, parachevant un mouvement amorcé avec la loi sur les fausses informations.

Au-delà, force est de reconnaitre que le projet de loi modifie assez peu les conditions de lutte contre le piratage, avec la seule adjonction des deux dispositifs que sont l'établissement d'une liste noire et la possibilité de blocage des sites miroirs. La réponse graduée elle-même ne bénéficie que d'évolutions à la marge, alors même que son efficacité est régulièrement décriée.

Notre commission est donc impatiente de vous entendre, à la fois sur les conditions concrètes de cette fusion, mais également sur le nouveau cadre juridique de lutte contre le piratage des oeuvres qui sera incarné par l'Arcom. Je rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site du Sénat.

M. Roch-Olivier Maistre, président du CSA. - Je suis heureux d'être auditionné par votre commission. Lors de ma dernière audition, en décembre, j'avais plaidé pour un rapprochement du CSA avec la Hadopi et un renforcement de la lutte contre le piratage. Je ne peux donc que me réjouir de voir ce projet de loi inscrit à l'ordre du jour. Le CSA s'est prononcé favorablement dans son avis du 22 mars.

Une des principales avancées est la création d'une Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) : bien plus qu'un simple changement de sigle, il s'agit, avec cette fusion, de créer un régulateur intégré compétent sur toute la chaîne de création, depuis les obligations imposées aux diffuseurs jusqu'à la protection des droits d'auteur, du soutien à la création jusqu'à la lutte contre le piratage. Le projet de loi modernise à bon escient la lutte contre le piratage. Le CSA ne s'est pas prononcé sur ce dernier volet dans son avis, laissant le soin à la Hadopi de le faire, mais nous soutenons la réforme proposée.

Cette réforme s'ajoutera aux nombreuses évolutions législatives ou réglementaires en cours : transposition de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA), projet de loi confortant le respect des principes de la République, avec ses dispositions contre la haine en ligne, ou encore certaines dispositions du projet de loi Climat. Les missions du CSA n'ont eu de cesse de s'étendre ces dernières années. L'Arcom disposera de prérogatives d'enquête renforcées et d'un pouvoir de sanctions révisé, afin qu'elles soient dissuasives - nous avions insisté sur ce point.

Depuis un an, le CSA et la Hadopi préparent ce projet ; dès janvier 2020, nous avons conclu une convention de préfiguration et nos équipes travaillent déjà ensemble. Elles ont par exemple publié une étude en commun sur la VOD par abonnement.

Toutefois, nous attirons votre attention sur certains points, à commencer par les conséquences budgétaires de cette fusion. Alors que nos missions ont eu tendance à croître, notre dotation est restée stable. Nos efforts de gestion atteignent leurs limites.

D'autres chantiers doivent aussi être menés à bien, comme celui de la modernisation de la plateforme de la télévision numérique terrestre (TNT), essentielle dans la mesure où 20 % des Français n'ont pas d'autres modes d'accès à la télévision (fibre, IPTV, satellite, etc.). La TNT touche 95 % de la population, y compris dans les zones rurales. Il importe donc d'éviter le décrochage technologique de cette plateforme en réussissant le défi de la ultra-haute définition en 2024 ou l'interactivité. Deux expérimentations sont en cours avec Arte et Salto sur des services interactifs. Nous avons formulé des propositions concrètes dans notre avis.

Un autre point sur lequel nous devons être attentifs concerne les radios, qui ont été très touchées par la crise sanitaire. Je me réjouis du décret de décembre dernier portant création d'un dispositif de soutien exceptionnel à la diffusion hertzienne, qui était très attendu par les radios associatives notamment. Il faut aussi assouplir le régime des mentions légales dans les publicités radiophoniques, qui sont très longues. De même, l'obligation de veiller à la diversité musicale - les quotas - ne s'applique qu'aux radios et non aux plateformes de streaming.

Il faut aussi s'interroger sur notre mécanisme anti-concentration, qui date de la loi de 1986, une époque où le paysage audiovisuel était très différent... Ce mécanisme ne vise ainsi que la diffusion hertzienne. Il est illusoire de penser que les seules règles du droit de la concurrence pourraient réguler le secteur : celui-ci, en effet, est soumis à d'autres exigences, comme celle de pluralisme, objectif de valeur constitutionnelle. Il n'est donc pas anormal que le secteur soit régi par des règles spécifiques. Sans doute conviendrait-il de donner plus de place dans les critères aux audiences des médias et pas seulement à la couverture de la population. Nous appelons ainsi à un réexamen global de l'ensemble du dispositif.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Dans votre avis, vous avez émis des doutes sur l'intérêt de prévoir la présence de deux magistrats au sein du collège de l'Arcom au lieu de deux personnalités nommées par le Parlement. Que penseriez-vous de reprendre la composition du CSA pour le collège de l'Arcom, en prévoyant qu'il aura pour mission de désigner, parmi ses membres ayant une compétence juridique, celui qui aura pour mission de mettre en oeuvre la riposte graduée ?

Plusieurs chaînes historiques réfléchissent à quitter la plateforme TNT pour échapper à ses contraintes réglementaires : ne serait-il pas opportun de dépoussiérer la loi de 1986 ? Ne pourrait-on pas donner à l'Arcom la possibilité de renouveler les autorisations d'émettre des chaînes historiques pour une dernière période de cinq ans afin de prolonger l'attractivité de la TNT ? Ne faut-il pas permettre aux chaînes de mieux maîtriser les droits des productions qu'elles financent et porter à 50 % la part de la production réalisée en interne ou négociée de gré à gré avec des producteurs indépendants pour qu'elles puissent mieux concurrencer les plateformes ?

Le projet de loi ne modifie qu'à la marge le régime de la réponse graduée. Beaucoup auraient souhaité étendre les pouvoirs du régulateur en donnant notamment la possibilité à l'Arcom de conclure des transactions pénales pour éteindre l'action publique.

M. Roch-Olivier Maistre. - Le CSA a formulé plusieurs propositions concernant la composition de l'Arcom. Nous plaidons pour un collège à sept membres, meilleur chiffre selon nous pour garantir l'effectivité de la collégialité tout en permettant de bien répartir le travail. Avec davantage de membres, les délibérations sont moins efficaces. Le texte prévoit que l'effectif sera porté temporairement à neuf membres, puis ramené à sept à l'occasion du prochain renouvellement en 2023. L'intérêt d'un collège est de pouvoir accueillir différents profils, nommés par différentes autorités. Je n'ai pas d'opposition de principe quant à la présence de droit de juristes au sein du collège. Le collège du CSA comprend ainsi un conseiller d'État Jean-François Mary. Le Président du Sénat a désigné cette année l'ancienne directrice juridique de l'Autorité de la concurrence et je suis moi-même magistrat. La loi de 1986 permet au Président de la République, aux Présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat de désigner des personnalités en raison de leurs compétences, notamment juridiques, ce qu'ont fait les présidents des deux chambres. Il nous semblait toutefois important de préserver la diversité du collège, d'autant que les membres de l'Arcom, comme du CSA, siègent à temps complet. On comprend bien la volonté du Gouvernement de sécuriser les choses au regard des nouvelles compétences - sanction graduée, lutte contre la haine en ligne ou contre les infox, mise en oeuvre du futur règlement européen sur la responsabilité des plateformes. Je m'en remettrai, monsieur le rapporteur, à la sagesse du Parlement...

J'en viens à la plateforme TNT. Le cadre juridique est très contraignant quant aux durées d'autorisation et à la procédure de renouvellement des durées d'autorisation. La procédure est lourde et longue, d'une durée de dix-huit mois, comme pour Canal Plus l'année dernière - consultation publique, appel à candidatures, examen des candidatures, auditions, négociations pour rédiger la convention. Dès lors on peut s'interroger sur une modification de la législation, mais il faut tenir compte du droit européen, et notamment du paquet télécom. Les réformes doivent tendre à améliorer l'égalité de traitement entre les acteurs : c'est ce que nous avons voulu faire lors de la transposition de la directive SMA en faisant en sorte que les nouveaux acteurs participent eux aussi au financement de la création - c'est l'objet du décret SMA en cours d'examen par le Conseil d'État. Il faut que parallèlement les décrets portant les obligations des acteurs de la TNT et des opérateurs qui fonctionnent dans d'autres cadres de diffusion soient homogènes, pour éviter les inégalités de traitement ; il faut aussi tenir compte de la chronologie des médias. Une concertation est en cours à ce sujet.

Sur le piratage, je redis que nous avons laissé le soin à la Hadopi de se prononcer, parce que c'est l'autorité la mieux placée pour le faire ; je n'ai pas eu à mettre en oeuvre la procédure de réponse graduée, mais je peux vous faire part de deux convictions : la protection des droits est fondamentale, c'est pourquoi nous avons insisté pour que les sanctions soient durcies dans ce projet de loi en cas de non-respect des obligations de financement, nous sommes satisfaits sur ce point ; ensuite, je suis convaincu que l'enjeu de la nouvelle autorité, c'est de déployer une nouvelle politique publique de lutte contre le piratage, en s'attaquant aux sites illégaux, c'est la priorité pour protéger les droits des auteurs : c'est bien là qu'il faut faire porter nos efforts.

M. Michel Laugier. - Le contexte de confinement, mêlé aux prix élevés des retransmissions, a renforcé le piratage ; comme je l'ai dit à la ministre, nous demandons plus de moyens pour y faire face. La loi du 22 décembre 2018 contre la manipulation de l'information a renforcé le rôle du CSA contre le piratage : les moyens ont-ils suivi ?

Ensuite, le Parlement ne pourra pas saisir la nouvelle autorité, alors que nous pouvons saisir la Hadopi, c'est pourquoi nous nous sentons dessaisis : qu'en pensez-vous ?

M. David Assouline. - Votre rôle déjà très important va le devenir plus encore, j'ai toujours été pour ce renforcement - et j'avais subi des pressions gigantesques pour retirer mon amendement qui proposait la fusion du CSA et de la Hadopi. Cette fusion va dans le bon sens, mais pour éviter que vous ne puissiez, faute de ressources, exercer ces pouvoirs accrus, nous devrons veiller à ce que les moyens suivent pour réguler ce qui se passe sur le Net, donc que ces moyens soient à hauteur de ceux dont disposent les sites qui détournent la loi.

Sur la composition de la nouvelle autorité, j'étais favorable à la réduction du nombre de membres à 7, pour autant que l'équilibre de représentation du Parlement reste le même ; or, quand le Président de la République aura nommé le président de la nouvelle autorité et l'Assemblée nationale, deux membres, alors que le Sénat en aura aussi nommé deux, il pourra y avoir déséquilibre, deux postes étant réservés à des magistrats - du moins l'équilibre actuel consistant à rechercher un consensus au Parlement ne s'exercera-t-il pas dans les mêmes conditions : c'est cela que je n'ai pas envie de valider, en tant que parlementaire qui subit déjà une marginalisation du Parlement. Il y aurait une solution à 9 membres, je vais y réfléchir d'ici l'examen du texte, car nous devons trouver une solution qui ne passe pas par un recul du Parlement. Qu'en pensez-vous ?

Je salue la sanction que le CSA a prononcée à l'encontre de la chaîne CNews pour les propos d'Éric Zemmour : 200 000 euros, c'est une sanction qui commence à compter pour cette chaîne qui avait été prévenue. Considérez-vous que votre capacité de réagir rapidement face à de tels comportements puisse être diminuée par ce projet de loi ? J'ai envie de vous aider à agir contre des propos qui portent atteinte au pacte républicain, qui appellent à la haine : est-ce le cas dans la rédaction actuelle du projet de loi ?

Que pensez-vous, enfin, des dispositions sur la vente de catalogues et de la faculté ouverte aux organismes de gestion collective de saisir le CSA pour contester un prix trop bas qui braderait une part de notre patrimoine ? La conformité au droit européen, telle qu'interprétée par le Conseil d'État, ne conduit-elle pas à s'empêcher d'agir effectivement ? Que pensez-vous de l'idée consistant à prévoir qu'une partie de la vente aille au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), ou bien qu'elle doive être réinvestie dans les oeuvres françaises, ce qui serait une forme de retour au bénéfice de notre patrimoine ?

M. Jérémy Bacchi. - L'article 1er crée de nouvelles compétences, pour interrompre les sites miroirs qui répliquent des sites interdits. Cela va dans le bon sens, mais la rédaction actuelle, en utilisant des termes peu précis, donne une grande latitude à l'interprétation. Pensez-vous qu'il serait utile pour votre institution et par sécurité de prévoir dans la loi l'édiction de lignes directrices afin de bien encadrer ce pouvoir et de le rendre plus clair aux yeux des parties prenantes ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je salue l'équipe du CSA, qui fait un travail remarquable dans ces temps difficiles. Je regrette que ce projet de loi ne soit qu'une portion congrue de la loi audiovisuelle annoncée de longue date, vous en dites les manques en évoquant le chantier de la rénovation de la TNT. Je salue également le travail remarquable de Denis Rapone à la Hadopi, dont la fin de mandat est intervenue avant l'examen de ce texte, lequel était initialement prévu pour le mois de janvier, et je me félicite du maintien de l'objectif de fusion avec le CSA.

Il faut mieux lutter contre le piratage, qui représente un manque à gagner considérable pour les créateurs, une étude de la Hadopi l'a bien montré. Nous nous inquiétons des moyens de nos régulateurs dans le nouvel environnement numérique, nous avons ce débat aussi pour la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et pour l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). Les défis numériques imposent de s'interroger sur les moyens, sur les métiers nouveaux dont les régulateurs ont besoin : quelle est votre analyse ? Comment font vos homologues européens ? Quelles conséquences du Digital Services Act (DSA) pour lequel vous avez fait des propositions remarquables, sachant que l'efficacité du piratage dépend de l'ensemble de l'écosystème de la régulation numérique ?

S'agissant de la TNT, j'ai déposé une proposition de loi sur ce sujet important, en m'appuyant sur une étude du CSA suggérant que le législateur donne de nouveaux outils au régulateur pour mieux concilier les intérêts des acteurs audiovisuels et répondre aux attentes des téléspectateurs : vous avez mentionné l'avantage de la TNT pour la couverture du territoire : quels vous paraissent en être les autres avantages ?

Mme Laure Darcos. - Vous avez dit laisser à la Hadopi la question des sanctions, mais que pensez-vous du rejet de l'amendement d'Aurore Bergé, qui proposait une sanction financière dans certaines conditions contre le téléchargement illégal ? Quid de la faisabilité d'une telle sanction ? Je préfère que ce soit le vrai pirate qui paie, plutôt que tous les contribuables : est-ce si compliqué ? Ensuite, je regrette que les spots alertant sur le fait que le piratage représente du vol aient disparu des écrans. C'était un moyen utile pour que chacun se sente concerné, je l'ai expérimenté avec mon fils.

Enfin, l'article 1er mentionne l'objectif de faciliter l'accès des personnes en situation de handicap aux oeuvres protégées par un droit d'auteur, via le dépôt à la Bibliothèque nationale. J'ai abordé le sujet dans une proposition de loi sur le livre numérique. Il existe des problèmes précis de gestion des droits numériques (DRM) : sont-ils réglés par ce projet de loi ?

M. Roch-Olivier Maistre. - Le piratage s'est effectivement accentué pendant le confinement. Nous venons de rendre un avis à l'Autorité de la concurrence suite à la plainte de Canal Plus contre la ligue de football professionnel, c'est un vrai sujet - une spirale qui se traduit par l'inflation des prix des droits sportifs, laquelle évince l'accès aux manifestations sportives en clair, au profit de l'offre payante. Les études montrent que le consommateur s'en tient à un budget qui n'est pas extensible à l'infini. L'affaire de Mediapro a montré les limites. 25 euros pour un abonnement mensuel, c'est trop. M. Assouline a d'ailleurs fait des propositions dans son rapport à ce sujet. Nous appelons à une réflexion globale sur les procédures d'appel d'offres, car elles impactent les politiques publiques du sport, on l'a vu avec le football.

Je vous remercie de l'attention que vous portez aux moyens et à l'organisation du CSA. Nous avons entrepris le chantier de l'adaptation du CSA, en créant une nouvelle direction « plateformes en ligne » et nous préparons un nouveau schéma d'organisation du CSA pour accueillir au mieux l'équipe de la Hadopi. Sur les moyens, nous sommes à la limite où nous ne pourrons pas faire à budget constant, d'autant que la fusion va entraîner des dépenses nouvelles, pour refondre le site, redéfinir les chartes graphiques, les systèmes d'information, les systèmes budgétaires et comptables. Ensuite, en rythme de croisière, nous devons monter en compétences. Cela suppose une connaissance des algorithmes, la capacité de manier des données de masse, nous en avons eu l'exemple avec l'étude des fausses informations diffusées sur Twitter. Nous devons également connaître les plateformes sur le plan économique, sociologique, ce qui suppose là encore la mobilisation de compétences et de moyens. La loi de finances pour 2020 a relevé notre plafond d'emploi de six équivalents temps plein, mais sans augmenter notre masse salariale. Nous avons pu faire des économies en cette année de pandémie, notamment de déplacement, et recruter nos emplois nouveaux, mais il nous faudra nécessairement augmenter nos moyens budgétaires.

Sur la composition du collège, le Parlement est souverain. J'entends la nécessité de préserver les équilibres, c'est indispensable au principe d'indépendance de l'institution et c'est pourquoi je suis favorable au renouvellement périodique. Je redis que je privilégie le scénario à sept membres. Des options sont envisageables pour préserver les équilibres tout en restant à sept membres, par exemple celle où le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat doivent désigner successivement un magistrat pour le renouvellement qui leur revient, ce qui garantira qu'il y ait toujours au moins un magistrat et que l'équilibre soit préservé.

Les questions de déontologie des programmes sont parmi les plus délicates, nous devons toujours rechercher l'équilibre entre la liberté d'expression - la loi relative à la liberté de communication est une loi de liberté, l'équivalent pour l'audiovisuel à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse -, y compris au titre du pluralisme, et les interdits posés par la loi, en particulier l'incitation à la haine ou à la discrimination. Le CSA remplira son office chaque fois qu'il estimera que les obligations qui incombent aux éditeurs auront été transgressées. Nous agissons certes dans le cadre de procédures contraignantes, car nous nous situons dans le champ des libertés publiques, c'est nécessaire aux garanties. Nous devons d'abord mettre en demeure, puis, si le manquement se répète, nous enclenchons une procédure de sanction, pour une instruction puis une délibération ; cela prend du temps, nous avons des efforts à faire de notre côté pour mieux prioriser les saisines et dans le dialogue avec le rapporteur indépendant. Faut-il modifier la loi, pour plus d'efficacité ? Nous devons, en tout état de cause, composer avec le principe constitutionnel exigeant une mise en demeure préalable à l'engagement de toute sanction. Nous en avons débattu avec le Conseil d'État à propos des sanctions en cas de manquements aux obligations de financement.

Sur les ventes de catalogues, je dirai que tout ce qui renforce la protection de notre patrimoine va dans le bon sens, mais il faut trouver le juste équilibre avec la liberté du commerce, c'est le sens des observations du Conseil d'État sur le projet de loi.

Le législateur a déjà défini des lignes directrices par rapport aux listes noires, par exemple dans loi du 22 décembre 2018 contre la manipulation de l'information, ou encore dans la loi sur les fausses informations ou encore dans la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Je n'ai personnellement rien contre une telle mention.

Une précision sur les moyens : notre homologue britannique, l'Ofcom, compétent en matière audiovisuelle et de télécoms, compte 850 collaborateurs ; nous en comptons 300 au CSA et 160 à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), cela donne une idée des renforts dont nous pouvons avoir besoin. Il faudra également que l'European Regulators' Group for Audiovisual Media Services (ERGA) se renforce quand la réglementation européenne issue de la DSA verra le jour. La réglementation européenne progresse, l'ERGA est favorable aux principes défendus par la DSA, mais elle est plus critique sur la gouvernance avec un board de délégués des autorités nationales, présidé par la Commission.

La TNT présente l'avantage de couvrir 95 % du territoire, mais aussi la gratuité, une offre élargie, l'anonymat puisqu'il n'y a aucun accès à l'usager et une possibilité de modernisation avec l'ultra-haute définition (UHD) et la norme technique HbbTV qui permet une forme d'interaction sur le téléviseur, puisqu'on se connecte à la plateforme en utilisant son téléviseur. Si le Parlement introduit la modernisation de la TNT, il paraît intéressant d'introduire aussi cette norme HbbTV.

Je crois que le point central de ce projet de loi est de mieux lutter contre les sites pirates. La Hadopi a été construite pour contrer le piratage peer to peer, la riposte graduée a des effets - 70 % des personnes à qui la Hadopi adresse un courrier, rebasculent sur une offre légale - mais la situation a changé, il faut se concentrer sur les sites pirates, c'est là que l'argent se fait et c'est là où nous devons agir, plutôt que d'aller chercher l'internaute.

M. Guillaume Blanchot, directeur général du CSA. - Sur l'accès des personnes en situation de handicap aux oeuvres, champ de compétence qui relève aujourd'hui de la Hadopi, le code de la propriété intellectuelle prévoit que les éditeurs mettent à disposition de la Bibliothèque nationale un fichier numérique à cette fin, pour une consultation plus large via par exemple les bibliothèques ; le projet de loi prévoit la possibilité de mettre en demeure les éditeurs de le faire, en cas de manquement.

Mme Monique de Marco. - Quel est le budget prévisionnel et les moyens humains de la nouvelle agence née de la fusion ?

M. Roch-Olivier Maistre. - Nous sommes aujourd'hui 300 collaborateurs au CSA et 50 à la Hadopi. Nous demanderons donc des créations d'emplois. Le CSA dispose d'un budget d'environ 37 millions d'euros, la Hadopi de 8 millions d'euros, ce qui fait un ensemble de 45 millions d'euros annuels. La nouvelle agence devrait être attachée au Premier ministre, comme nous le sommes aujourd'hui.

M. David Assouline. - On envisage l'addition de l'existant, mais il y a des défis nouveaux, en particulier numériques : envisagez-vous de réduire la voilure tout en acceptant davantage de missions ?

M. Roch-Olivier Maistre. - Non, je ne l'envisage pas, nous préparons nos demandes budgétaires, en partant d'une base de 350 emplois et 45 millions d'euros, nous allons redéfinir une maquette budgétaire, avec des renforts.

M. Laurent Lafon, président. - Merci pour vos réponses, nous vous recontacterons pour approfondir nos réflexions sur ce texte dont nous commençons l'examen.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 50.

Mercredi 14 avril 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Désignation de rapporteurs

La commission désigne Mme Céline Boulay-Espéronnier rapporteure sur la proposition de loi n° 252 (2020-2021), visant à améliorer l'économie du livre et à renforcer l'équité entre ses acteurs.

La commission désigne Mme Sylvie Robert rapporteure sur la proposition de loi n° 339 (2020-2021), relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique.

Premier bilan sur l'application en France de la loi relative aux droits voisins des agences et des éditeurs de presse - Audition de MM. Jean-Marie Cavada, président de l'Institute for digital fundamental rights (IDFR), ancien député européen, Fabrice Fries, président de l'Agence France-Presse (AFP), Alain Augé, président du Syndicat des éditeurs la presse magazine (SEPM), Jean-Pierre de Kerraoul, président de la commission juridique de l'Alliance de la presse d'information générale (APIG), Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée (FNPS), Augustin Naepels, vice-président en charge des affaires institutionnelles du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL), et Mme Florence Braka, directrice générale de la Fédération française des agences de presse (FFAP)

M. Laurent Lafon, président. - Nous sommes heureux que les agences de presse et les principales familles d'éditeurs de presse aient accepté notre invitation afin de nous tenir informés du déroulement des négociations en cours, des difficultés rencontrées à cette occasion et des attentes que vous placez, les uns et les autres, dans ces discussions. Nous entendrons bien sûr Google et Facebook dans les prochaines semaines pour aborder ce sujet et bien d'autres.

La France a été le premier pays à porter cette réforme ambitieuse, qui se trouve scrutée par l'ensemble de nos partenaires. Bien entendu, les plateformes n'ont pas accueilli avec joie les dispositions de cette loi, qui réduisent le value gap, et Google a usé et use encore de manoeuvres dilatoires pour trouver des interprétations à son avantage. Les difficultés de la presse ont de plus été accrues par la crise de la covid, qui a accéléré la digitalisation des contenus et renforcé les plateformes. Des recours ont été déposés devant l'Autorité de la concurrence ; tout laisse à penser qu'ils permettront de rétablir une part de bonne foi dans les négociations.

C'est donc un sujet complexe, épineux mais essentiel que nous traitons ce matin. Je proposerai à Jean-Marie Cavada de s'exprimer en premier, afin de nous exposer les ambitions de la directive d'avril 2019 et de nous donner un premier bilan au niveau européen de son application. Je donnerai ensuite la parole à l'auteur et rapporteur de la proposition de loi, notre collègue David Assouline, pour nous rappeler la lettre mais aussi l'esprit de cette loi sur les droits voisins. Il pourra à cette occasion, s'il le souhaite, interroger Jean-Pierre de Kerraoul, représentant de l'alliance de la presse d'information générale, Fabrice Fries, président de l'Agence France-Presse, Alain Augé, président du syndicat des éditeurs de la presse magazine, Florence Braka, directrice générale de la Fédération française des agences de presse, Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée, et Augustin Naepels, vice-président du syndicat de la presse indépendante d'information en ligne, en charge de l'institutionnel. A l'issue de leurs interventions, je passerai la parole à l'ensemble des sénatrices et sénateurs.

M. Jean-Marie Cavada, président de l'Institute for Digital Fundamental Rights (IDFR). - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, sénatrices et chers ex-collègues, car j'ai été journaliste, merci de votre invitation et de votre présence.

La construction de la directive droits d'auteur était l'aboutissement du travail d'une dizaine d'années. En effet, les Français étaient perçus, en Europe, comme les derniers défenseurs de ce qu'ils appelaient l'exception culturelle française. Notre travail de réunir des majorités pour faire voter des textes ne s'en trouvait pas facilité. Petit à petit, avec un certain nombre de nos collègues français, mais aussi italiens, belges, espagnols et parfois allemands, nous avons pu faire dominer l'idée selon laquelle le travail de création artistique d'une part, et de création journalistique d'autre part, supposait un investissement, et par conséquent méritait d'être traité comme une richesse. Ce travail a progressivement abouti. Ainsi, en 2016, la Commission a réfléchi à l'élaboration d'un texte de proposition de loi. Les deux co-législateurs que sont le Conseil des États membres d'une part, et le Parlement européen d'autre part, ont tenté de parvenir à un texte acceptable pour un maximum d'États membres et de groupes politiques. En 2019, le texte a été voté en commission des affaires juridiques, dont j'étais président. L'objectif était de trouver un affinage suffisamment représentatif des intérêts de la création d'une part, et acceptable par les groupes politiques d'autre part. Ce fut le cas fin mars ou début avril 2019. Nous nous sommes présentés en plénière, et avons été battus, Google s'étant en effet livré à un travail de lobbying et de propagande « extravagant ». Ce travail ne s'est pas limité à ce que le bon usage permettait d'accepter, à savoir avoir recours à des cabinets de conseil, d'avocats ou des entreprises de lobbying. De nombreuses menaces se sont également fait jour. Mon ordinateur et celui du président du Parlement européen ont ainsi été détruits. Des méthodes de voyou ont été employées pour essayer d'empêcher la loi d'aboutir. Après avoir perdu, nous avons continué à négocier tout au long de l'été 2018 et avons abouti en septembre, en plénière, où la loi a été adoptée. La période de préparation et d'écriture des décrets d'application, qui se nomme trilogue dans les institutions européennes, s'est ensuite ouverte. Nous avons abouti à un vote très clair et favorable. La loi « droits d'auteur et droits voisins » a ainsi pu être publiée.

La France a profité de cette occasion pour faire transposer cette loi. Ceci présentait toutefois le risque d'affaiblir le consensus nécessaire pour une application dans les mêmes conditions partout en Europe. La loi est aujourd'hui loin d'être transposée de façon importante. Elle a donné lieu à de nombreux débats. Le législateur, après avoir consulté la totalité des professions concernées par l'appauvrissement de la presse, n'a pas su garder, dans la plupart des pays, l'unanimité. Cependant, si l'Australie seule est un petit marché, Google ne peut se passer du continent européen, avec ses 400 millions de consommateurs.

Nous sommes très heureux de nous être battus pour que cette loi aboutisse, mais elle n'est qu'un début. Si celui-ci devait être suivi de mesures plus amples pour renverser le rapport de force, non seulement sur la concurrence, mais également sur des droits fondamentaux, il serait nécessaire de reconstituer une unanimité afin que les deux camps puissent converser d'égal à égal. La puissance financière permet en l'occurrence aux Gafam d'envisager de passer par-dessus les règles des États. Un nouveau texte, le Digital Services Act (DSA), et pour la concurrence le Digital Market Act (DMA), est arrivé au niveau européen. Il s'agit d'un virage historique, mais il ne va pas suffisamment loin, et une nouvelle bataille devra s'engager, pour que des groupes dont la richesse financière est une véritable menace, comme nous l'avons vu avec l'Australie, s'assoient autour de la table et acceptent les lois du marché sur lequel ils souhaitent exploiter leurs produits. Tel n'est pas encore le cas. De ce point de vue, les disparités fiscales qui ont cours dans l'Union européenne ne permettent pas d'obtenir une négociation d'égal à égal. Le biais de la concurrence par lequel se sont battues les entreprises de presse était de mon point de vue tout à fait souhaitable. Il faut à présent aller plus loin. J'invite les entreprises de presse à ne pas oublier les entreprises qui les fournissent, à savoir les agences, ainsi que celles qui illustrent leurs produits, et à se regrouper pour une deuxième étape qui sera absolument indispensable. S'agissant des informations, la loi de 1881 a réglé le problème de la liberté d'expression et de la responsabilité d'expression. Nous savons qu'il s'agit de la direction vers laquelle nous orienter, mais de nouvelles batailles devront être engagées. L'institut que nous avons créé avec des juristes sera à vos côtés dans cette voie.

M. David Assouline. - Merci, monsieur le président, merci monsieur Cavada. Nous avions compris qu'il s'agissait d'un combat européen. Deux pays, l'Espagne et l'Allemagne, s'étaient risqués à un bras de fer mais n'ont pu tenir, face à la violence des rapports imposés par Google. L'attitude de ce type de plateforme est à ce point dominante qu'elle se permet une arrogance et des rapports de force très brutaux. Vous avez vous-même employé des termes sévères quant à leurs méthodes employées pour peser sur la démocratie.

Le Sénat a souhaité transposer rapidement le texte, en faisant deux paris. D'une part, l'objectif était d'encourager les autres pays à transposer également afin que le rapport de force s'établisse rapidement. D'autre part, dans la mesure où le législateur français a décidé d'un cadre, il était attendu des plateformes qu'elles s'associent à cet esprit. Enfin, le Sénat avait fait le pari de l'union de l'ensemble des acteurs bénéficiaires de cette loi, agences comme éditeurs, la réaction de Google en la matière ayant été anticipée. J'ai décidé d'engager ce combat, saisi d'abord par les agences de presse, qui souffraient de ce pillage. Avec des plateformes qui dominent la diffusion de l'information et de la communication en général, l'existence d'une presse professionnelle devient un enjeu démocratique majeur. Nous l'avons vu aux États-Unis. Si l'information peut supplanter tout ce qu'a constitué la presse comme apport au débat démocratique, qu'allons-nous construire ? Le fait de l'affirmer fortement aujourd'hui doit rappeler à ces plateformes qu'elles peuvent s'enrichir, mais pas au détriment des fondamentaux de l'avenir du monde.

M. Jean-Pierre de Kerraoul, président de l'Alliance de la presse d'information générale (APIG). - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, chers collègues, dans ce dossier des droits voisins, l'essentiel était et reste de faire exister un marché des contenus numériques. L'objectif est de rééquilibrer des rapports dont on sait qu'ils sont souvent terribles, entre les grands acteurs du numérique d'une part et les producteurs de contenus que nous sommes tous, agences ou éditeurs de presse, d'autre part. Le sort de ces contenus de presse et des entreprises qui les produisent est indissociable de la régulation du marché numérique en général. Nous ne pouvons ainsi raisonner indépendamment de ce dernier chantier, qui a été ouvert par l'Union européenne. Au-delà, le DSA et le DMA sont en discussion. Une nouvelle donne mondiale est ainsi en cours de construction. Nous voyons ce qui s'est déroulé en Australie et ce qui se joue actuellement aux États-Unis, où un accord bipartisan vise à autoriser les éditeurs à négocier collectivement leur situation pendant une durée de quatre ans, ce qui est un événement majeur. Ce mouvement mondial peut nous donner quelque optimisme.

L'Alliance de la presse d'information générale (APIG) a signé un accord-cadre avec Google après 16 mois de négociations extrêmement dures, et après avoir été l'objet de menaces et de chantages au mois de septembre 2019. Cette période de 16 mois a été marquée par plusieurs procédures contentieuses, qui sont toujours en cours. Comme l'a indiqué Monsieur Cavada, il s'agit d'une première étape. Un long chemin nous attend à présent. Nous avions deux préoccupations majeures au cours de cette négociation. La première concernait la reconnaissance du droit voisin. Comme vous l'avez souligné, pour des acteurs de cette dimension, la simple application de la loi n'est pas une évidence. La proposition de rémunérer des contenus est en effet absolument étrangère au modèle économique d'un géant mondial tel que Google. Nous avons obtenu cette reconnaissance claire et officielle de la part de Google dans cet accord-cadre. Désormais, les rémunérations qui pourront être versées aux éditeurs ou agences de presse le seront en vertu d'un droit et non plus d'une générosité, d'une subvention ou d'un mécénat occasionnel. Nous avons privilégié le moyen terme et l'intérêt collectif au court terme et à la rentabilité immédiate. Notre seconde préoccupation avait trait à l'universalité. Le sénateur Assouline a souligné son souhait que l'ensemble des acteurs soit concerné par une négociation. De fait, Google a strictement refusé toute négociation globale, mais a accepté une négociation avec l'Alliance, pour l'ensemble de ses éditeurs. Nous avons ainsi obtenu que la totalité des éditeurs de presse quotidienne, nationale, régionale ou hebdomadaire régionale, quelle que soit leur dimension ou la puissance de leur marque, soit concernée par cet accord de la même façon. Ce principe d'universalité a ainsi été reconnu, et Google ne peut, en vertu de cet accord, faire son marché au sein de la presse d'information politique et générale. Dans cette négociation, nous avions deux points d'appui : la directive et la loi française. Nous avons notamment obtenu l'appui de l'Autorité de la concurrence, sans laquelle nous n'aurions pu aboutir. Ni la directive ni la loi ne peuvent contraindre à un accord. En effet, la directive interdit le vol de contenus, mais n'impose pas leur achat. La loi introduit pour nouveauté la nécessité de négocier avec la presse pour obtenir des contenus, mais pas l'obligation d'aboutir à cette négociation. Une brique correspondant à une procédure d'arbitrage permettant de s'extraire de toute situation de blocage reste donc manquante.

Nous attendons les décisions de l'Autorité de la concurrence, et espérons qu'elles faciliteront la négociation. Ces négociations entre les entreprises et Google sont aujourd'hui suspendues, dans l'attente de ces résultats. Les décisions de l'Autorité de la concurrence devront être intégrées dans les contrats signés entre les éditeurs et Google. Nous espérons que le DMA nous aidera également au niveau européen.

M. Fabrice Fries, président de l'agence France-Presse (AFP). - À notre sens, le bilan d'application qui est l'objet de cette table ronde est inexistant. 19 mois après le vote de la loi et 10 mois après les injonctions des autorités, l'AFP ne se voit toujours pas reconnaître le bénéfice des droits voisins par Google. Des réunions extrêmement nourries se sont déroulées avec Google. Nous avons essentiellement discuté d'un partenariat commercial, à l'image de ce qui était proposé aux éditeurs. Dans notre cas, en revanche, Google refuse d'intégrer dans ce partenariat la reconnaissance de tout droit voisin. Nous voyons dans ce partenariat commercial, qui n'est pas inintéressant, une tentative de nous faire oublier l'objet initial de la discussion, à savoir le droit voisin. La tentation de conclure ce partenariat existe, car nous ne voyons pas le terme de ces procédures, qui sont longues et coûteuses. Certains nous encouragent ainsi à conclure le partenariat. Trois figures me viennent alors à l'esprit : Jean-Marie Cavada, ainsi que ses partenaires du Parlement européen et des institutions qui ont oeuvré pour la reconnaissance de ce droit, le sénateur Assouline, et Sammy Ketz, à l'AFP, qui a permis par sa tribune de réveiller les consciences lors du vote du Parlement européen.

J'ai entendu l'audition de la présidente de l'Autorité ici même, qui disait vouloir conclure avant la fin de l'année. Je me permets de souligner qu'un changement radical de méthode est à cet égard nécessaire. Un cadre contraignant doit ainsi être fixé pour une négociation de bonne foi, afin que nous évoquions le seul sujet d'importance : la reconnaissance de la valeur de nos contenus. Vous aviez redouté le front dispersé ; nous y sommes rapidement parvenus. Google a ainsi su diviser et laissé entendre que l'objet de la discussion n'était pas tant la valeur des contenus que le partage d'une enveloppe budgétaire préfixée, sous-entendant que les premiers signataires seraient les mieux servis. Cette situation regrettable explique que nous redoutions cette discussion, parce que nous ne sommes pas en situation de force.

M. Alain Augé, président du syndicat des éditeurs la presse magazine (SEPM). - Merci monsieur le président, merci mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs et merci monsieur Cavada, qui nous assure régulièrement de son soutien sur ce mouvement très important.

L'accord que l'APIG a signé avec Google est désolant. Il n'aboutit pas à la reconnaissance du droit voisin, mais à sa renonciation en échange de l'adhésion à un service, qui accentuera la discrimination entre les médias. S'agissant de l'universalité, l'APIG a fait fi du fait que l'ensemble de la presse devait négocier, y compris les agences.

Le SEPM a initié la procédure auprès de l'Autorité de la concurrence. Nous devons poursuivre cette bataille. Notre conseil d'administration a décidé à l'unanimité de continuer le contentieux. Nous ne sommes pas à un ou deux ans près, si l'enjeu est la domination des Gafam. L'AFP peut être assurée de notre entier engagement. Google doit accepter que l'ensemble de la presse soit rémunéré, comme le demande l'Autorité de la concurrence, sur la base de data claires, transparentes et éprouvées, de façon non discriminée et raisonnable. Selon Alfred Sauvy, peu importe qu'une personne soit riche ou pauvre ; dans le système économique, elle doit donner plus qu'elle ne reçoit. Google et Facebook assèchent quant à eux le sol qui les nourrit. Il est donc indispensable de corriger cet écosystème, pour éviter une rupture économique, mais aussi sociétale.

Nous sommes très engagés dans cette bataille auprès de l'Autorité de la concurrence. Les grands trusts américains savent que les autorités de la concurrence sont les seules capables de les réguler. Par ailleurs, nous devons arriver à une négociation de bonne foi. Pour cela, nous aurons certainement besoin d'une aide législative ou réglementaire sur deux sujets : d'abord une obligation de transporter l'information de façon égale, Google pouvant, avec Showcase, choisir quel média il exposera ou non, ensuite une obligation de trouver un système de mesure de la valeur, s'inspirant de l'audiovisuel et des systèmes de rémunération du cinéma français par les grandes chaînes de télévision, ce qui suppose de connaître le véritable chiffre d'affaires enregistré par Google en France.

Nous attendons d'une part que l'Autorité de la concurrence sanctionne Google pour l'évident irrespect des injonctions qui lui ont été faites, et d'autre part que s'ouvre une discussion avec un tiers, sous la double égide d'une rémunération de la création de presse dans son ensemble et d'une obligation de neutralité.

Mme Florence Braka, directrice générale de la Fédération française des agences de presse (FFAP). - Merci monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Je commencerai par une citation : «?Les agences de presse doivent avoir les moyens de poursuivre leurs missions et conserver leur rôle de référence pour toute la profession. Il est donc indispensable que leurs droits voisins, désormais reconnus au niveau européen et par la loi française, soient effectivement appliqués. Aucun acteur, quelle que soit sa taille ou sa nationalité, ne doit pouvoir s'affranchir des règles de partage équitable de la valeur qui garantissent les justes rémunérations à ceux qui produisent l'information.?» Ce sont les propos de Mme la ministre Bachelot lors de la table ronde organisée par la FFAP le 30 septembre dernier, et qui s'inscrivent dans le sens de l'intervention de David Assouline, que je remercie pour son soutien inébranlable depuis 2016.

Les agences de presse jouent un rôle dans la diffusion des informations, qu'elles collectent et recoupent, puis font vérifier par leurs journalistes. Elles proposent une offre éditoriale fondée sur une déontologie rigoureuse et un journalisme fondé sur l'investigation et l'enquête, qui permettent de nourrir la réflexion du citoyen, d'où leur rôle démocratique. Elles s'adaptent aux besoins de leurs clients, les éditeurs, anticipent leurs demandes et innovent, avec des coûts conséquents. Elles contribuent également à la lutte contre les fake news, qui constitue un enjeu démocratique. Les agences de presse, de fait, structurent le marché. Plus de 80 % des photographies publiées sont obtenues par des agences de presse. Depuis 2012, nous assistons à un appauvrissement, mais surtout à une disparition de ces agences, car un quart d'entre elles en moyenne a disparu, et 35 % en photographie. Les agences de presse cèdent des droits limités aux éditeurs de presse, qui excluent l'exploitation par des tiers. Les agences savent que les éditeurs ont un intérêt au référencement par Google de leur contenu. Aussi, leur but n'est pas d'interdire la diffusion de ce contenu au plus grand nombre, mais d'obliger ceux qui reprennent cette information originale et en tirent un bénéfice financier direct ou indirect à participer au financement de cette information en payant pour son utilisation. Le principe posé par la loi relative aux droits voisins repose bien sur l'autorisation de l'agence de presse avant toute reproduction ou communication au public, totale ou partielle, de ces publications de presse, sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne. L'intérêt de l'agence de presse et celui des éditeurs sont donc indissociablement liés, et la loi qui transpose la directive a pour but une juste rémunération des acteurs, par la protection de toute la chaîne de fabrication de l'information, de la collecte à la diffusion, pour éviter toute spoliation.

Dans son rapport, David Assouline tenait à préciser la notion de publication de presse et à conforter la situation des agences de presse s'agissant de la protection de leurs productions au titre du droit voisin. L'Autorité de la concurrence, dans sa décision portant «?mesures conservatoires?» du 9 avril 2020, considérait que «?les agences de presse s'inscrivent pleinement dans le champ d'application de la directive et de la loi relative aux droits voisins?». Cet aspect a été validé par la cour d'appel le 18 octobre 2020 : «?la loi de 2019, interprétée à la lumière des considérants 54, 57 et 58 de la directive qu'elle transpose, confère aux éditeurs et agences de presse des droits voisins et droits d'auteur.?» Les agences de presse disposent donc bien d'un droit voisin. Or, Google ne le reconnaît pas. En vertu de la décision du 9 avril 2020, nous avons entrepris des discussions avec Google dès le mois de juillet, après avoir recueilli 42 mandats auprès de nos adhérents et mis en place une charte assurant le respect des droits de la concurrence dans le cadre des négociations envisagées. Au terme de l'article 1er de la décision, l'Autorité de la concurrence enjoint Google de négocier, notamment avec les agences de presse, de bonne foi, la rémunération due par Google pour toute reprise des contenus protégés sur ces services, conformément aux modalités prévues à l'article 218-4 du Code de la propriété intellectuelle, selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires. Le délai imparti pour la négociation était de trois mois. Dans une note que nous avons fait parvenir à l'Autorité de la concurrence en février dernier, nous avons relevé que Google avait fait preuve d'une mauvaise foi caractérisée. Aucun accord n'a été trouvé avec les agences de presse, et Google a refusé de négocier de bonne foi. Il a notamment refusé pendant près de quatre mois de communiquer des critères, usé de pratiques dilatoires et n'a pas respecté le calendrier imposé par la décision. S'agissant des critères finalement transmis, ils étaient discriminatoires à l'encontre des agences de presse, car non adaptés à leur activité, mais à celle des éditeurs de presse. Selon ces critères, Google n'aurait dû rémunérer les droits voisins que pour les personnes morales qui diffusent elles-mêmes des publications de presse. Or, seuls les éditeurs de presse effectuent une telle diffusion dans les faits. En détournant la définition de «?publications de presse?», Google a de facto limité le périmètre de la négociation aux éditeurs de presse et a démontré dans les faits son opposition de principe à l'ouverture de la moindre négociation avec les agences de presse.

Nous considérons que Google s'est inscrit à l'encontre de la loi, alors que celle-ci est claire. Le seul but de Google est d'exclure sciemment les agences de presse du bénéfice des droits voisins pour son propre intérêt.

M. Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée (FNPS). - Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de nous accueillir. Je représente la presse spécialisée professionnelle, c'est-à-dire la presse verticalisée, soit 450 éditeurs, 450 services de presse en ligne et près de 5 000 journalistes.

Le droit voisin est un droit légitime, à part entière, qui ne doit pas être confondu avec la taxation. La taxation des revenus des Gafam est un sujet indépendant. Nous parlons aujourd'hui d'un droit au partage de la valeur, créé à partir de l'exploitation de nos contenus.

Par ailleurs, nous parlons essentiellement de la presse numérique. Cette exploitation numérique suppose d'adopter une vision qui n'est pas celle d'un journal consulté de façon transversale, mais d'un accès à l'information verticale, qui donne une visibilité à la diversité de la presse beaucoup plus importante. Se focaliser uniquement sur la presse d'information politique et générale, comme l'a fait Google, est dès lors un trompe-l'oeil qui affaiblit la mise en oeuvre de cette loi. L'union que M. le sénateur Assouline a appelée de ses voeux s'est créée, de fait, à Bruxelles, via le travail que nous avons conduit avec Monsieur Cavada. Nos deux organisations professionnelles, d'une part pour les quotidiens et d'autre part pour les magazines, ont travaillé ensemble. Lors de la transposition à l'Assemblée nationale, nous étions une fois encore tous ensemble. Malheureusement, la division est arrivée lorsque nous sommes arrivés au Sénat. Un premier amendement a été voté, qui avait pour objet de réserver l'accès aux droits voisins à la presse d'information politique et générale, qui correspondait à un axe de travail de Google, lequel a donc obtenu cet amendement. Lors de notre assemblée générale, à laquelle le ministre était invité, j'ai axé mon discours sur ce sujet. Le ministre nous a soutenus, avec M. Assouline, et nous avons obtenu un sous-amendement, qui a relativisé la référence à la presse d'information politique et générale en indiquant que la contribution à l'information politique et générale n'était qu'un des éléments d'évaluation de la rémunération. Malheureusement, cette mention d'information politique et générale a été le ferment de la division. Au sein de la presse d'information politique et générale, certains éditeurs ainsi que le président actuel de l'APIG étaient favorables à une négociation unie. Ils n'ont cependant pas été suivis, et la négociation s'est centrée sur l'APIG et Google, qui nous a écrit que nos contenus étaient substituables et qu'il était prêt à signer avec nous des licences à prix nul. Nous regrettons que l'accord signé reconnaisse la position de Google, qui consiste à proposer à la majorité des éditeurs et des journalistes une rémunération à prix nul. Nous n'aurions pas connu cette situation en restant unis.

Nous parlons aujourd'hui d'un accord que nous ne connaissons pas, à l'exception des éditeurs de l'APIG et de l'Autorité de la concurrence. Une entreprise en position dominante, avec 95 % de parts de marché en ce qui concerne le moteur de recherche, et dont la responsabilité dans la diffusion de l'information auprès des citoyens est telle, ne peut signer des contrats qui ne sont pas transparents. La transparence des accords doit figurer dans la loi et être imposée. Dans le cas contraire, il n'est pas possible de constater une discrimination. Les perspectives de parts de marché publicitaires aux États-Unis de Facebook et Google représenteraient 70 % en 2025. Nous ne pouvons traiter ces opérateurs comme nous traiterions des opérateurs commerciaux classiques.

Par ailleurs, s'agissant de la rémunération dans le cadre de l'accord, celle-ci est de nature commerciale. Nous demandons pour notre part la rémunération d'un droit, et non d'une prestation. Nous ne savons pas quelle assurance l'éditeur a d'une rémunération s'il refuse de participer à Google Showcase. Par ailleurs, un contrat Google Showcase que je me suis procuré inclut « Subscribe with Google », c'est-à-dire la possibilité d'acquérir des abonnés via les plateformes de Google, ainsi qu'une licence globale de la totalité des droits à Google et ses filiales sur la totalité de ses produits. Il s'agit donc de signer un accord commercial, en contrepartie duquel la totalité des droits est abandonnée.

M. Augustin Naepels, vice-président du syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL). - Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs. Je représente ici la presse indépendante d'information en ligne, soit environ 200 éditeurs, dont un tiers reconnu d'information politique et générale, la moitié de presse professionnelle et la moitié de presse grand public. Je partage une grande partie des remarques de mes collègues MM. Augé et Bérard-Quélin sur l'application actuelle du droit voisin. Les accords, tels qu'ils ont été conclus, nous préoccupent beaucoup, à plusieurs titres. D'abord, s'agissant de la notion de distorsion de concurrence, ces accords sont réservés à une seule famille d'éditeurs, à savoir les éditeurs d'information politique et générale. Dans notre compréhension du texte voté par le Sénat et de la directive européenne, cette notion n'est pas prévue par la loi. Par ailleurs, comme plusieurs de mes collègues l'ont souligné, nous nous inquiétons du fait que ces accords semblent être conditionnés à l'utilisation d'un produit commercial de Google, Google Showcase qui, lorsqu'il est couplé à un autre produit, « Subscribe with Google », favorise la remontée dans les résultats de recherche des éditeurs utilisateurs de ces deux produits. Ceci conduirait un éditeur qui n'utilise pas ces produits à être bien moins référencé qu'un concurrent qui en serait client. Cette situation renforce la dépendance de l'écosystème de la presse à Google, alors que les voisins étaient censés garantir une meilleure indépendance de la presse vis-à-vis des plateformes. Nous sommes également très préoccupés par l'opacité de ces acteurs, qui sont en position dominante et ont un très fort poids sur la distribution numérique de la presse. Le fait de ne pas connaître les termes de l'accord et les conditions accordées est particulièrement inquiétant pour les éditeurs indépendants que je représente. Nous souhaitons que le régulateur se saisisse du caractère oligopolistique de la distribution de la presse en ligne. Il importe, par exemple dans les discussions en cours sur le DSA et le DMA, de se pencher sur la régulation de la distribution en ligne de la presse.

S'agissant de l'union de la presse, nous avions décidé de ne pas négocier directement avec Google sur le sujet des droits voisins, considérant que notre poids était trop faible. En revanche, nous aurions été favorables à une approche de société de gestion collective, qui aurait permis de négocier au nom de l'ensemble de la presse. Nous appelons véritablement de nos voeux une union.

Enfin, il est nécessaire d'analyser les accords commerciaux conclus entre Google et un certain nombre de titres sur d'autres produits. Via « Subscribe with Google », Google peut par exemple financer des promotions pouvant apparaître comme des rémunérations déguisées.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits de la presse. - Je souhaite d'abord saluer l'ensemble des intervenants et les remercier pour la franchise de leurs propos. Je ne suis pas surpris des positions qui sont affichées. Nous sommes aujourd'hui dans une situation sanitaire complexe, et les moyens financiers que cette loi pourrait permettre d'obtenir sont particulièrement indispensables.

Une unanimité a été remportée au Sénat ainsi qu'à l'Assemblée. Je regrette que celle-ci se soit limitée aux hémicycles. Nous voyons que vous êtes divisés, et c'est ce qui fait la force des plateformes. J'attends aujourd'hui un front républicain de la part des agences et des éditeurs de presse. Je ne pense pas qu'il soit trop tard pour cela. Quelles que soient les négociations, Google a toujours accepté de payer. Il s'agit d'un pas. Nous sommes à présent scrutés par le monde entier, et avons donné l'exemple. J'espère que nous continuerons de le faire.

Je souhaite en outre m'adresser aux éditeurs. Avez-vous pris contact avec vos collègues européens, notamment allemands ? Enfin, je souhaiterais demander à M. Cavada où en sont les autres pays dans la transposition de la directive.

M. David Assouline. - Vos interventions résument où nous en sommes. Il n'est pas vrai que l'accord avec la presse d'information générale est insignifiant. Google niait notamment la reconnaissance du droit voisin. Le texte le reconnait quant à lui. Cependant, le montant reste humiliant. L'accepter serait une catastrophe pour tous. Je vais réfléchir, dès la première lecture au Sénat de la loi sur la protection de la production audiovisuelle numérique, au renforcement du contenu de notre loi qui n'a pas été compris ou a été contourné, en particulier par Google. Nous posions l'obligation de négocier, sans sanction associée. Les Australiens l'avaient quant à eux prévue. J'appelle le Gouvernement à entrer dans cette négociation, car il dispose d'autres moyens pour obliger des acteurs tels que Google à respecter la presse française. Cet acteur manque aujourd'hui dans le rapport de force.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie vivement le président Cavada pour ses propos, car il place les enjeux de notre débat au niveau de la souveraineté nationale. Il me semble que c'est à ce niveau que ce problème doit être traité. L'enjeu est d'éviter que nous ne devenions une colonie numérique des Gafam. En perdant cette souveraineté numérique, nous perdrions également notre souveraineté démocratique. La représentation nationale se trouverait privée de ce qui fait son essence, à savoir l'expression populaire, au profit de puissances supranationales non étatiques, qui sont aujourd'hui en capacité de contester la loi. Les Gafam contestent aujourd'hui une loi votée à l'unanimité par les deux chambres, et Google considère que le contrat lui est supérieur. Un principe de la République est ici mis en péril : la supériorité du droit et de la loi sur le contrat. Je ressens une forte humiliation, en tant que représentant de la Nation. Un défi nous est posé, que nous devons relever, car la souveraineté nationale est en jeu. Je suis tout à fait d'accord avec la proposition du sénateur Assouline ; nous devons nous saisir du prochain débat législatif contre l'avis du Gouvernement, pour ramener dans le débat public la question fondamentale de notre souveraineté numérique. Allons-nous accepter que Google foule une loi votée à l'unanimité par la représentation nationale ? Cet enjeu est déterminant. Je rappelle mon accord total avec l'expression du Président Retailleau, qui nous a mis en garde à plusieurs reprises, rappelant que nous ne devions pas devenir les colonies des Gafam.

M. Laurent Lafon, président. - Vous avez beaucoup parlé de Google, et non des autres Gafam. Où en êtes-vous des discussions avec Facebook ?

M. Jean-Marie Cavada. - Il ne s'agit que d'un premier pas, mais qui illustre une réussite due à des Français. Je parlais plus tôt de l'exception culturelle, que nous avons cultivée au Parlement européen pendant longtemps. Nous étions initialement minoritaires. Nos amis allemands n'étaient pas aussi ardents sur cette question. Ce premier pas a donc été réussi. Sur la question de la rémunération des contenus de presse et artistiques, la taxe des entreprises multinationales, et notamment numériques, est encore le fait de Français. Nous ne sommes à présent plus seuls. J'ai été très surpris que les États-Unis, dont les démocrates ont toujours soulevé la question tout en restant minoritaires, cherchent à approfondir, via l'administration Biden, la question de la concurrence. Une multitude de procès est en cours. Plus de 40 procureurs généraux d'une quarantaine d'État sont solidaires du Department of Justice. Une nouvelle attaque sérieuse de la commission fédérale de la concurrence est également à signaler. Les Américains abordent donc le problème par la question de la concurrence. Les conditions de rachat par Facebook de ses deux filiales, qui se sont caractérisées par un étouffement absolu de la concurrence, sont à l'étude.

Nous devons à présent penser à la seconde étape. A partir d'un certain seuil de parts de marché qu'il vous appartiendra de fixer, il conviendrait d'avancer la notion d'intérêt général, à partir de laquelle les régulations pourraient être durcies. Vous l'avez indiqué tout à l'heure ; lorsqu'un monopole de cette nature est exercé, les règles de bonne foi ne s'appliquent plus. Le continent européen doit prendre ce type de dispositions, et celles-ci sont toujours à l'initiative d'un État.

Enfin, il nous faudra aller vers la question de la gestion collective des intérêts de la production de contenus, tous confondus, plutôt que vers des accords individuels. La proposition DSA cherche quant à elle à légiférer sur les contenus. Il s'agit d'un virage historique indiscutable. Il est désormais nécessaire de monter en puissance. L'accord est un très bon premier pas, mais il nous faut à présent aborder la deuxième étape : la concurrence d'une part, et le contenu des services d'autre part.

Lorsque nous avons élaboré le RGPD, nous avons reçu des sénateurs et députés du Congrès américain, démocrates comme républicains. Nous leur avons expliqué que l'information n'était pas un bien comme un autre, mais le sang qui irrigue la démocratie. Si des comportements qui vont à l'encontre de l'intérêt général y sont injectés, la démocratie s'en trouverait menacée.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Le droit d'auteur est un patrimoine français pour la presse comme pour la musique. C'est ce qui est combattu par l'option anglo-saxonne, à savoir les royalties, qui sont plus simples à manier mais piétinent le droit et la propriété morale.

Mme Florence Braka. - En ce qui concerne la concurrence, nous attendons avec impatience la décision de l'Autorité de la concurrence. Nous estimons que nous parviendrons certainement à nos fins en nous attaquant à l'argent de ces Gafam. Une sanction pécuniaire forte de l'Autorité de la concurrence pourrait les faire réfléchir.

En tant que fédération, nous n'avons pas engagé de discussion avec les autres plateformes, considérant qu'une condamnation de Google s'appliquerait également aux autres.

Concernant l'audiovisuel, l'exception culturelle française est très efficace. La production indépendante bénéficie ainsi d'une protection, avec des investissements de la part des diffuseurs et, demain, des plateformes. L'information est un bien tout aussi important que la culture. Une analogie pourrait ainsi être imaginée. Le projet de loi audiovisuel pourrait permettre de faire coïncider ces objectifs.

Enfin, s'agissant des organismes de gestion collective (OGC), l'article 12 de la directive sur les licences collectives étendues ne fait pas partie de l'ordonnance sur la transposition de la directive. L'article 10 quater de la loi LCAP permettait aux photographes d'être rémunérés par les moteurs de recherche. Cette disposition n'est pas effective aujourd'hui, du fait d'une obligation de gestion collective. La transposition de cet article 12 permettrait de contourner cette situation et de rendre le droit d'auteur effectif pour les photographes, ainsi que de permettre aux éditeurs et agences de presse de bénéficier de licences de gestion collective étendues pour traiter avec les Gafam.

M. Fabrice Fries. - Nous avons évoqué la division des acteurs. Sa source me semble être la posture mentale de certains, qui a consisté à raisonner en termes d'enveloppe budgétaire. Très tôt, Google a présenté une somme, qu'il a entrepris de répartir en choisissant ses cibles. L'esprit de la directive et de la loi consistait à déterminer de concert cette enveloppe. Vous appelez de vos voeux un front républicain, mais j'émets quelques doutes. Une grande partie des acteurs ont en effet déjà signé.

Vous avez en outre posé la question de la situation des autres pays européens. La France était très observée. Malheureusement, de nombreux pays tirent les mauvaises leçons de la situation. Les agences ne sont pas du tout confortées par les textes de transposition en Italie et en Allemagne, en raison de cette même approche budgétaire.

Enfin, le sénateur Assouline a souligné le poids du politique. J'ai étudié avec attention le cas australien ; j'adresse mes félicitations à l'ensemble de la classe politique australienne, qui s'est montrée unie devant des menaces de boycott. Un poids politique doit donc être insufflé dans cette négociation.

M. Laurent Bérard-Quélin. - Vous votez certes la loi, mais Google en détermine le périmètre et l'évaluation. Je vous citerai un exemple de négociation dans laquelle nous avons été unis. Le Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC) est une société de gestion collective, avec laquelle nous avons développé la rémunération pour l'utilisation de nos contenus dans les panoramas de presse, notamment professionnelle. Nous nous sommes tous assis autour de la table, et avions face à nous des annonceurs, qui n'entendaient pas nous payer pour nos contenus puisqu'ils annonçaient déjà dans nos pages. Nous avons distingué la négociation commerciale sur la publicité d'un droit qui nous était jusqu'à présent volé. Aujourd'hui, ceci représente 20 millions d'euros par an, soit le double de la somme négociée dans le contrat sur les droits voisins signé avec l'APIG. Le marché est évalué à 200 millions d'euros environ.

Je souhaite en outre insister à nouveau sur la nécessaire transparence des contrats. Il existe un consensus quant au fait que les algorithmes détenus et utilisés par ces plateformes doivent devenir transparents, au moins en partie. Il en va de même pour les contrats.

S'agissant de la gestion collective, nous devons réfléchir à son caractère obligatoire, qui permettrait de séparer le commercial de l'application du droit, mais aussi de contourner le problème des ententes. En l'absence de gestion collective, les gros acteurs bénéficient de l'opération. Les premiers à avoir signé, dans tous les pays, sont les plus gros éditeurs, qui ne sont pas toujours détenus par des entreprises dont il s'agit de la principale activité.

Enfin, du point de vue de la négociation avec Facebook, je ne vois pas comment le droit voisin pourrait s'y appliquer, contrairement à l'article 17, à savoir la possibilité pour les plateformes de signer des licences avec des détenteurs de droit, pour permettre à leurs utilisateurs de mettre en ligne des contenus protégés sur la plateforme. Dans le cadre des futures législations, j'attire votre attention sur la prise en considération de la nécessaire union de l'ensemble des éditeurs et journalistes. Ne créez pas dans les textes un point de division qui sera exploité par les personnes avec lesquelles nous allons négocier.

M. Alain Augé. - Je m'associe aux propos tenus dans cette enceinte. J'appelle solennellement l'APIG à renoncer à son accord avec Google et à se réunir avec les agences de presse, le SPIIL, la FNPS et le SEPM afin de former un front unique de négociateurs. L'APIG porterait une responsabilité politique qui la dépasse. Jean-Marie Cavada l'a indiqué ; la France est observée. Il est nécessaire de faire face à sa responsabilité et à cette question d'intérêt général, dont nos grands quotidiens doivent absolument se saisir.

Il est en outre nécessaire de dépasser l'opposition public/privé qui a épuisé le XXe siècle, afin d'arriver à la notion novatrice de l'intérêt général. L'idée de l'utilisation de la loi audiovisuelle et de la transposition de ce droit d'exception culturelle vers le droit de l'information paraît tout à fait positive.

Nous sommes en lien permanent avec la Sacem et le CFC. Nous appelons de nos voeux la formation d'un organisme de gestion collective dédié à cette collecte du droit voisin et à sa répartition.

Enfin, plusieurs questions se posent : le refus de payer le droit voisin, l'exposition par le moteur de recherche qui devient ouvertement inégalitaire en fonction des rapports commerciaux de Google avec les acteurs, l'importance croissante de l'outil « Subscribe », qui induit lui-même des discriminations, et enfin la publicité. Google et Facebook, qui représentent 70 % de la publicité, captent 110 % de la croissance publicitaire année après année. Pour éviter tout étouffement de la diversité et de l'exception culturelle et maintenir le droit à l'information, nous devons continuer de nous battre. Nous demandons à la profession de retrouver cette union sacrée, et espérons que l'Autorité de la concurrence imposera à Google une véritable négociation. Selon Google, le trafic publicitaire induit par l'activité au périmètre SEPM représentait trois fois le périmètre APIG. Nous voyons donc que Google entend sous-payer l'APIG, et ne pas payer le SEPM, le SPIIL et les agences de presse.

M. Augustin Naepels. - Nous nous inscrivons pleinement dans l'objectif d'une négociation collective via un organisme de gestion collective, qui nous paraît être le plus à même d'aboutir à des accords transparents, évitant le biais de l'entente. Nous appelons tous les syndicats de presse et d'agences de presse à se rassembler dans cette démarche. Nous avons observé avec intérêt la situation australienne et le soutien inattendu de Microsoft aux autorités australiennes dans leur bras de fer avec Facebook, preuve que le front des Gafam peut se fissurer lorsque leurs positions concurrentielles diffèrent. La concurrence entre ces mêmes plateformes peut être utilisée par le législateur européen.

Enfin, je suis en faveur d'un examen attentif des produits de gestion d'abonnement lancés par Google, et qui représentent un enjeu majeur, l'abonnement devenant une ressource stratégique pour la presse en ligne, notamment généraliste. Il nous paraît extrêmement dangereux que se développe un produit dominant qui proposerait à ses utilisateurs des conditions commerciales dépendant davantage d'un poids politique perçu par Google que de réalités commerciales, et dont l'utilisation favoriserait certains acteurs en termes de résultats de recherche. Il s'agit d'un enjeu majeur.

M. Jean-Pierre de Kerraoul. - Un grand merci à Jean-Marie Cavada pour ses actions et ses propos, auxquels nous souscrivons absolument.

Si nous souhaitons joindre nos forces, nous devons éviter les procès ou caricatures et retrouver un ton plus mesuré. L'Alliance n'a jamais contesté le droit voisin au profit des autres forces de presse. L'information politique et générale n'est qu'un critère de répartition. Toutes les formes de presse sont concernées par le droit voisin.

Par ailleurs, si un éditeur, au titre de l'accord-cadre que nous avons signé, n'était pas intéressé par Showcase, il n'aurait aucune obligation d'y souscrire. Dans ce cas, une négociation directe serait conduite entre cet éditeur et Google afin de négocier le droit voisin. Cet accord, en outre, n'évoque que le droit voisin. Il n'y est pas question de « Subscribe with Google ».

Comme plusieurs sénateurs l'ont rappelé, la situation de la presse est aujourd'hui très difficile, notamment du fait de la crise sanitaire. La force de Google ne réside pas dans les éventuelles divisions entre différentes formes de presse, mais dans sa puissance financière et dans notre faiblesse. La disproportion des moyens est telle que certaines formes de presse, les quotidiens en particulier, n'ont pas la possibilité d'attendre de meilleures conditions de négociation. Un certain nombre d'éditeurs, en France et en Europe, ont été conduits à prendre des décisions individuelles du fait de ces difficultés.

En Europe, à l'heure actuelle, seule la France a transposé la directive. Je remercie le Sénat et l'Assemblée nationale d'avoir été capables de créer cette loi en très peu de temps. En conséquence, Google essaie dans de nombreux pays d'obtenir des accords commerciaux individuels avec certains groupes ou éditeurs, qui ne sont pas nécessairement les principaux.

Mes collègues ont souhaité qu'un Français, en l'espèce moi-même, préside l'Association européenne des éditeurs de presse. Nous travaillons en très bonne intelligence avec nos collègues de la presse magazine. L'Association des éditeurs de magazines et celle des quotidiens ont la même équipe. Ce bon fonctionnement au niveau européen pourrait tout à fait se retrouver au niveau de la France.

Le premier accord que nous ayons conclu a une durée de trois ans. Nous commencerons donc à le renégocier dans deux ans. Les accords individuels, qui ne sont pas encore signés, vaudront pour deux ans. Il s'agit donc de décisions de court terme. Si nous obtenons un appui fort à la suite des décisions de l'Autorité de la concurrence, nous pourrons améliorer cet accord. Rien n'interdit alors d'aborder à nouveau le sujet ensemble. Nous avons depuis quelques semaines des échanges avec l'AFP pour déterminer si nos positions peuvent se coordonner. L'Alliance est toujours prête à échanger avec ses confrères sur toutes ces questions fondamentales pour notre avenir. Au-delà de nos entreprises, nous nous battons pour le respect de la souveraineté nationale et la création d'une souveraineté européenne, qui est la condition du respect d'une souveraineté nationale. Nous devons continuer d'être le flux sanguin de la démocratie.

M. Laurent Lafon, président. - Merci à chacun d'entre vous d'être intervenu ce matin. Le Sénat a été très actif sur ce sujet, par l'intermédiaire de David Assouline, qui a porté cette loi et dont nous avons à coeur de suivre l'évolution.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 24.