Jeudi 6 janvier 2022

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Institutions européennes - Conseil européen des 16 et 17 décembre 2021 -Audition de M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes

M. Jean-François Rapin, président. - Permettez-moi de vous souhaiter une bonne et heureuse année 2022, marquée par les élections et surtout par la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE), dont la dimension parlementaire ouvrira dès la réunion au Sénat des présidents de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). Nous fêterons à cette occasion les vingt ans de l'euro.

Nous accueillons ce matin le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, qui va nous rendre compte de la dernière réunion du Conseil européen qui a eu lieu les 16 et 17 décembre 2021. À cause de l'interruption de fin d'année, ce compte rendu intervient malheureusement plus de deux semaines après cette réunion des chefs d'État ou de gouvernement des 27 États membres. Nous sommes d'autant plus impatients de vous entendre. J'avais moi-même dû manquer le débat préalable à ce Conseil européen qui s'était tenu dans l'hémicycle le 8 décembre, car j'étais retenu par un déplacement en Grèce avec le Président du Sénat. Le vice-président Alain Cadec vous avait néanmoins fait part de trois sujets de préoccupation pour notre commission.

Tout d'abord, concernant la crise sanitaire, nous nous inquiétions de savoir comment préserver la liberté de circulation face à la disparité de la couverture vaccinale entre États membres, à laquelle s'ajoutent aujourd'hui de nouvelles divergences entre les États membres quand certains créent une obligation vaccinale ou transforment le passe sanitaire en passe vaccinal. Le Conseil européen a lui-même souligné l'importance d'une approche coordonnée concernant la validité du certificat numérique covid européen : qu'en est-il à ce jour ? Cette question se pose dans tous les pays et préoccupe beaucoup les transfrontaliers.

Ensuite, nous attendions du Conseil européen des avancées pour répondre à la flambée des prix de l'énergie. Or la question n'est même pas évoquée dans les conclusions de sa réunion en décembre : pouvez-vous nous dire pourquoi ? Nous guettions à ce moment-là la publication de l'acte délégué sur la taxonomie des investissements considérés comme verts : elle est intervenue finalement le 31 décembre, du moins sous forme de projet d'acte délégué. Quelle est votre appréciation par rapport à cette proposition de la Commission, qui traite finalement le nucléaire et le gaz à la même enseigne ?

Enfin, le Conseil européen de décembre était attendu sur les sujets sécurité et défense, alors que la Boussole stratégique est sur la table et que l'Union européenne se doit d'envisager quelle réponse apporter en cas d'attaque russe dans le Donbass. Le sujet reste brûlant, d'autant que les États-Unis ont hier encouragé l'Allemagne à utiliser Nordstream 2 comme un levier dans ce bras de fer avec la Russie. Le Conseil européen a aussi invité la présidence du Conseil à donner une nouvelle impulsion à la politique migratoire extérieure de l'Union européenne : quelles sont les intentions de la présidence française qui vient de démarrer ?

Bien évidemment, nous vous écouterons volontiers évoquer plus largement les priorités de cette présidence : nous avions débattu à ce propos en novembre avec le ministre Jean-Yves Le Drian, mais ces priorités n'avaient pas encore été présentées par le Président de la République. Elles l'ont finalement été le 9 décembre, soit le lendemain précisément du débat en séance plénière au Sénat préalable au Conseil européen ; nous n'avons donc jamais eu l'occasion d'en parler avec vous. Nous ne pouvons pas laisser passer cette occasion.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. - Merci de votre invitation. Je suis très heureux de vous retrouver et vous adresse mes meilleurs voeux. Le contexte sanitaire reste difficile, même s'il est meilleur que l'année précédente. La PFUE débute en effet pour six mois.

À l'ordre du jour du Conseil européen, il y avait ces trois sujets d'actualité : crise sanitaire, politique énergétique et politique extérieure.

Nous sommes revenus sur trois aspects de notre action collective en Europe sur la crise sanitaire.

Sur la vaccination, les mesures adoptées d'un pays à l'autre ne sont pas les mêmes dans cette nouvelle vague. Ce n'est pas totalement anormal, en raison des différences de situation. Mais les mesures des derniers mois n'ont pas été les mêmes avant l'arrivée du nouveau variant. Par exemple, la France a très rapidement adopté un passe sanitaire et maintenu un couvre-feu jusqu'à l'été dernier, soit plus longtemps que d'autres pays.

La solidarité internationale est une question qui n'est pas annexe dans ce dossier. Ce n'est pas seulement une question morale, mais notre intérêt le plus direct. Nous n'arriverons pas à bout du virus si nous n'aidons pas les autres pays, notamment africains, à se vacciner. Cela va au-delà de la question des brevets. Lors de la préparation du futur sommet UE-Afrique, nous avons échangé avec les dirigeants africains : le nombre de doses envoyé est certes insuffisant, mais beaucoup sont jetées, par manque de confiance ou de logistique. Nous devons accélérer les dons de doses et aider à déployer la vaccination, notamment en Afrique - la Commission européenne y réfléchit. Malgré les limites de cette politique mondiale de solidarité, l'Union européenne est le premier donateur et le premier exportateur de vaccins, et de loin. Nous devons accélérer dans cette direction. C'est le message que portent les chefs d'État ou de gouvernement.

La coordination a été améliorée dans les mesures d'urgence vis-à-vis de l'extérieur de l'Union européenne, notamment lors de l'apparition du nouveau variant sud-africain il y a quelques semaines, grâce à la mise en place sur proposition franco-allemande d'un frein d'urgence décidée après la découverte du variant brésilien : suspensions de vols, restrictions d'accès au territoire - comme le protocole écarlate en France. En un week-end, 23 pays européens ont activé ce frein d'urgence.

Nous avons aussi amélioré la coordination interne, pour que les frontaliers puissent circuler. Nous avons un passe sanitaire commun. Cependant, tous les pays n'ont pas démarré l'administration de la troisième dose de vaccin en même temps. En France, la troisième dose est exigée pour les plus de 65 ans, et le sera pour tous à partir du 15 janvier, probablement dans le cadre d'un passe vaccinal.

La distinction entre passe « activités » et passe « frontières » n'est pas théorique. Il est normal qu'un ressortissant belge devant aller en France soit soumis, dans notre pays, aux mêmes règles de passe vaccinal pour les activités qu'il y exerce. Nous ne voulons pas empêcher la circulation aux frontières. Si en Belgique, la troisième dose n'est pas exigée, ce Belge, pourra quand même traverser la frontière, mais il ne pourra pas accéder sur notre territoire aux activités pour lesquelles le passe vaccinal est requis. Nous avons un régime commun pour circuler, mais pour les activités, chaque pays applique des règles spécifiques. La Commission européenne a pris en décembre un acte délégué, qui s'applique à tous, pour établir que la durée du passe sanitaire ou vaccinal est de six mois pour circuler, avec une marge de trois mois. Le certificat européen aux frontières vaut donc pour neuf mois, même si en France nous exigeons la troisième dose avant.

M. Jean-François Rapin, président. - Pour le passe vaccinal, il y a des délais de troisième vaccination de quatre à sept mois après la deuxième dose selon les pays. L'accès à certaines activités en France sera donc réduit pour certains Européens ?

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Pour les activités - théâtre, cinéma, transport... - soumises au passe vaccinal, nos règles s'appliquent à toutes les personnes présentes sur le territoire français. Un ressortissant allemand voulant prendre un TGV sera soumis aux mêmes exigences qu'un citoyen français à partir du 15 janvier.

En revanche, pour traverser une frontière, le schéma vaccinal complet de deux doses est valable au maximum neuf mois. C'est une règle plus souple pour la circulation, afin de couvrir toutes les situations européennes. Cette durée va probablement être réduite.

M. Jean-François Rapin, président. - Il y aura une harmonisation vaccinale de fait.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - L'objectif est de ne pas entraver la circulation.

Mme Patricia Schillinger. - J'habite dans une zone frontière proche de l'Allemagne et de la Suisse. Le passe européen est-il harmonisé avec la Suisse ? Pensez bien à tous les frontaliers.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Oui, nous sommes très attentifs à ce que la circulation transfrontalière ne soit pas entravée. La Suisse reconnaît le passe européen.

Certains pays mettent en place des règles spécifiques, au-delà de ce passe européen, pour entrer sur leur territoire. Cela a parfois été le cas de la Suisse, et c'est le cas de l'Italie actuellement - mais pas de la Suisse. Nous devons traiter les problèmes au cas par cas pour limiter les exemptions. Ce cadre de 6+3 mois s'appliquera aussi en Suisse ; c'est en train d'être acté par la Commission.

Malheureusement, vous l'avez dit, le Conseil européen n'a pas adopté de conclusions communes sur l'énergie, malgré un constat commun ainsi que la nécessité reconnue par tous de mettre en place des mesures de soutien au pouvoir d'achat, via la fiscalité ou un soutien direct. De telles mesures se mettent en place localement. Mais le débat a été entravé par la question du classement de différentes énergies au sein de la taxonomie, qui n'était pas l'objet direct du Conseil européen, mais qui s'est imposée.

Entretemps, dans la soirée du 31 décembre, la Commission européenne a présenté aux États membres un pré-projet d'acte délégué sur la taxonomie des investissements couvrant certaines activités dans les secteurs du nucléaire et du gaz. Les deux énergies figurent dans le pré-projet et relèvent de la même catégorie juridique, mais avec deux particularités : le nucléaire n'est pas qualifié d'énergie de transition, ce qui veut dire qu'il est reconnu durablement comme une énergie décarbonée. C'est important pour la France, car cela signifie qu'on peut le conserver plus durablement dans le mix énergétique.

La Commission a proposé deux clauses de rendez-vous : pour le parc nucléaire existant, tous les investissements de modernisation, de renouvellement ou de mise en sécurité sont labellisés verts dans cette taxonomie jusqu'en 2040. Pour le parc nucléaire nouveau, les investissements sont ainsi labellisés jusqu'en 2045. Il y aura une clause de rendez-vous en amont de ces deux échéances assez lointaines. On pourra décider alors soit d'une nouvelle date, soit d'une autre clause.

Le gaz est traité de manière différente, puisqu'il est qualifié spécifiquement d'énergie de transition. Des règles sont fixées pour que les centrales à gaz qui seraient labellisées dans cette taxonomie aient des seuils d'émission relativement élevés jusqu'à 2030, puis de plus en plus faibles. Ce traitement réservé au gaz n'était pas une demande spécifiquement française car il occupe une faible partie de notre mix énergétique. Mais d'autres pays, comme l'Allemagne, y tenaient particulièrement.

À mon sens, c'est une bonne chose que le nucléaire soit ainsi reconnu pour permettre les investissements nécessaires. Il y a une phase de consultation juridiquement prévue par les règles européennes, qui doit s'achever le 12 janvier, avant l'adoption formelle de l'acte délégué par la Commission européenne d'ici à la fin du mois de janvier. Si c'est le cas, et sauf objection - improbable - de la majorité du Parlement ou de vingt des États membres au Conseil, dans un délai de quatre mois, il pourra s'appliquer pleinement à partir de la fin du printemps, donc sous présidence française de l'Union européenne.

La question de la Russie et de l'Ukraine a été évoquée à l'occasion de ce Conseil européen, même si de nombreux développements, notamment une reprise des discussions diplomatiques entre les États-Unis et la Russie, sont intervenus depuis. Les Européens souhaitent être associés et même partie prenante de l'accord : on ne peut pas discuter de sécurité européenne sans l'Union européenne. Nous devons être présents dans le jeu. Ce fut le message du Conseil européen. Cela donnera lieu à des discussions au sein de l'OTAN et entre les ministres européens des affaires étrangères.

La question du partenariat oriental a fait l'objet d'une réunion en amont du Conseil européen. Des voies de mise en oeuvre des mesures de confiance ou de déconfliction entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan actées voilà quelques mois ont été recherchées. Une convergence dans la fermeté à l'égard de la Biélorussie est apparue entre les pays de l'Union européenne pour que l'ensemble des leviers disponibles puissent se déployer.

Sur la question des migrations extérieures, les plans d'action qui ont permis de mobiliser des financements supplémentaires pour le retour et l'aide au développement ont été confirmés et soutenus par les États membres. Ils concernent aujourd'hui huit pays : l'Irak, l'Afghanistan, la Tunisie, le Maroc, le Niger, le Nigeria, la Libye et la Bosnie-Herzégovine. Nous assurerons leur mise en oeuvre pendant la présidence française.

La présidence française du Conseil de l'Union européenne a commencé le 1er janvier. À mon sens, il y a trois sujets sur lesquels nous pouvons avoir des résultats tangibles, même si ce sera difficile : la question climatique, la question numérique et la question sociale.

Sur la question climatique, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières fait l'objet d'une proposition législative depuis le mois de juillet dernier. Il est nouveau, soulève un certain nombre de questions juridiques et techniques et suscite, certes de moins en moins, des interrogations, voire des oppositions de certains États membres. J'accueille avec optimisme l'accord de coalition allemand, qui est ouvert sur ce point, même si c'est avec des conditions. De même, le nouveau contrat de coalition aux Pays-Bas est un bon signal. J'espère que nous pourrons obtenir une majorité et un accord politique sur ce dossier sous présidence française.

Sur la question numérique, nous avons obtenu un accord au Conseil sur le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Il reste à en trouver un avec le Parlement européen ; nous espérons finaliser ces deux textes sous présidence française.

Sur la question sociale, il y a des avancées récentes importantes, par exemple sur le travail détaché. Nous nous battrons pour faire également aboutir sous présidence française la directive sur les salaires minimums en Europe, qui a fait l'objet d'un premier accord politique.

Je pourrais également évoquer d'autres sujets, comme la question migratoire, avec la réforme de Schengen, ou les relations avec l'Afrique, qui feront l'objet d'un sommet les 17 et 18 février entre l'Union européenne et l'Union africaine sur la question sanitaire, la question écologique, le développement ou la sécurité. D'autres dossiers seront à l'ordre du jour, en particulier les crises internationales.

Le Président de la République souhaite avancer sur le sujet d'un nouveau modèle d'investissement et la croissance en Europe. Cela a trait aux règles budgétaires, à la capacité d'investissement et à l'identification de secteurs stratégiques. Comme le spatial, les microprocesseurs, etc.

Je crois que l'Europe a été au rendez-vous pendant la crise pour soutenir l'économie et au rendez-vous en matière de relance. Nous devons construire encore, faute de quoi les Américains et les Chinois pourraient prendre de l'avance. Tout cela fera partie des discussions politiques lors du sommet informel des 10 et 11 mars.

M. Jean-François Rapin, président. - Pouvez-vous nous confirmer que, dans le cadre de la taxonomie, les investissements nucléaires ne sont pas considérés comme relevant d'une énergie de transition ?

Je m'interroge sur la clause de revoyure de 2045. Sachant qu'il faut une dizaine d'années pour construire un EPR, si une décision était prise en 2022, 2023 ou 2024, les travaux seraient achevés en 2042 ou en 2043. Quel est le sens d'une clause de revoyure deux après seulement ? Nous savons qu'un équipement nucléaire est conçu pour durer une quarantaine ou une cinquantaine d'années.

M. Jean-Yves Leconte. - Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières fait partie d'un bloc plus large. Il est difficile d'envisager cela sans l'élargissement du marché carbone aux transports et aux bâtiments. Souhaitez-vous une telle évolution, sachant que ce mécanisme pose des difficultés, notamment en termes de compétitivité à l'export vers les pays où il n'y a pas de marché carbone ? Quid d'un financement à long terme pour le plan de relance ? Rien n'est prévu ensuite. Sans un tel financement, un certain nombre de pays risquent de ne pas pouvoir suivre. La mise en place ne risque-t-elle pas d'être négociée en échange d'arrangements sur l'État de droit ?

L'Europe voit malheureusement aujourd'hui l'Afrique uniquement comme un problème migratoire, voire sécuritaire. Pour construire une vraie relation avec l'Afrique, il faut être capable de travailler sur le développement économique et la mobilité. Comment peut-on favoriser cela avec une telle obsession européenne sur les questions migratoires ? Un certain nombre de pays majeurs en Afrique ont suspendu leur ordre constitutionnel. Certes, l'Europe n'a ni la force, ni les moyens, ni la légitimité pour imposer ses conceptions en Afrique. Mais envisagez-vous d'inscrire à l'agenda de la rencontre entre l'Union européenne et l'Union africaine des échanges sur un certain nombre de principes en la matière ?

M. André Gattolin. - Sur le contrôle aux frontières, alors qu'une sorte d'« Union européenne du passe sanitaire » semble se créer, on a le sentiment d'un effondrement complet de la zone Schengen, notamment en termes de liberté de circulation. Les incidents en la matière se multiplient et je peux personnellement en témoigner. Je ne savais pas qu'il y avait une suspension de l'espace Schengen...

Sur les ressources propres, un paquet a été présenté le 22 décembre par la Commission européenne, incluant le mécanisme d'ajustement aux frontières. La redistribution aux États membres d'une part des bénéfices des multinationales à la suite des accords à l'OCDE et au G20 est aussi un mécanisme intéressant, censé rapporter « entre 2,5 milliards et 4 milliards ». La fourchette est tout de même assez large. Y a-t-il des études d'impact, y compris au niveau national ? L'accord est positif, et nous l'avons soutenu. Mais le risque est qu'il ne rapporte pas tant d'argent que cela.

Je me réjouis qu'il y ait bien, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, une conférence à Marseille les 8 et 9 mars sur l'espace européen de la recherche. Un appel de Marseille devrait en découler. Nous sommes très attachés à la coopération internationale en matière d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation. La proposition de résolution européenne que nous avons adoptée le 8 décembre dernier prône un véritable soutien à la liberté académique en Europe.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Je le confirme : dans le projet que la Commission a publié le 31 décembre, l'énergie nucléaire n'est pas qualifiée d'énergie de transition. C'est très important pour donner un signal clair durable aux investissements dans ce domaine.

Je souhaite apporter une précision par rapport aux dates que vous avez rappelées, monsieur le président. Ce qui est exigé pour 2040, c'est la revoyure, et non la fin du projet. Si la France ou d'autres pays veulent investir dans le renouvellement, la modernisation ou la sécurisation du parc nucléaire au-delà, la taxonomie le permet. Idem pour 2045 : l'autorisation peut être accordée jusqu'à cette date, mais le projet en lui-même peut ensuite durer plusieurs décennies. En outre, les modalités et les éventuelles conséquences à tirer de la clause de revoyure ne sont pas encore définies. Les deux dates retenues sont sécurisantes et conviennent à la plupart des investissements pouvant être envisagés dans les années à venir. Nous veillerons à faire en sorte qu'elles ne soient pas trop contraignantes. C'est un enjeu pour la France et, plus encore, pour les États membres qui envisagent de relancer des programmes nucléaires.

Monsieur Leconte, vous avez raison sur l'articulation entre le mécanisme d'ajustement carbone et le Pacte vert. Il faudra à l'évidence à un moment un accord d'ensemble. Mais je crois que nous pouvons aller plus vite sur le mécanisme d'ajustement carbone : sans être complètement isolé du reste, il est juridiquement, politiquement et conceptuellement détachable du débat plus général sur les normes imposées à tel ou tel secteur. Les secteurs qui sont « protégés » par le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, ceux qui sont très exposés à la concurrence internationale et au dumping environnemental de certains pays sont aussi souvent ceux qui bénéficient aujourd'hui de quotas gratuits. Les deux mécanismes ne pourront pas fonctionner ensemble dans la durée.

M. Jean-Yves Leconte. - Mais il faut assurer la compétitivité à l'export, là où il n'y a pas de marché carbone.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Exactement. Nous tiendrons compte des positions de chacun. Celle de la France est que le rythme de sortie programmée des quotas gratuits ne doit pas être trop rapide. La Commission européenne propose dix ans de maintien des quotas gratuits. Cela fera l'objet d'une discussion entre les États membres et avec le Parlement européen. S'il ne pourra pas y avoir éternellement deux mécanismes, une période transitoire de coexistence sera tout de même nécessaire.

Sur la compensation économique et sociale du Paquet climat, vous avez entièrement raison : le Pacte vert est une transition écologique qui entraîne des conséquences sociales. Si le coût de l'énergie dans certains secteurs augmente, il faut une compensation pour les plus modestes. C'est ce que la Commission appelle le fonds social, à propos duquel nous avons une double inquiétude. D'une part, s'il est trop compliqué et apporte une compensation illisible, partielle et tardive, trois ou quatre ans après l'augmentation des prix de l'énergie, cela ne sert à rien. D'autre part, l'extension des Emissions Trading System (ETS), autrement dit des prix du carbone, est proposée par la Commission à certains secteurs. Nous avons fait part de notre très grande inquiétude à ce sujet, car les deux secteurs principalement concernés par l'extension, à savoir le logement et le transport routier, par le biais de l'isolation et du carburant, sont extrêmement sensibles. Beaucoup de pays européens s'en inquiètent, car si le système d'extension choisi emporte au final une augmentation massive et rapide des coûts supportés par les ménages, il soulèvera évidemment un problème social d'acceptabilité.

Je peux vous rassurer officiellement sur le fait qu'aucune transaction n'a été conclue entre État de droit et ralliement à une position que certains pays essaient d'imposer, par exemple dans le domaine énergétique. Les pays qui sont parfois visés par les procédures d'État de droit, en particulier la Pologne et la Hongrie, ne sont pas hostiles à ce mécanisme d'ajustement carbone aux frontières mais peuvent être réservés par rapport à l'extension du système ETS. Ils ne chercheraient pas forcément un échange de mauvais procédés, même si la tentation peut exister.

Sur les relations euro-africaines, je rejoins votre approche. L'objet du Sommet des 17 et 18 février prochains est de parvenir à une forme d'alliance euro-africaine concernant l'investissement, les échanges universitaires et économiques, le recentrage de notre aide au développement sur l'éducation et la transition climatique, l'accès vaccinal, la production locale, la protection intellectuelle, etc. Les questions de sécurité et de migration ne seront pas absentes du débat, mais le partenariat euro-africain doit être étendu à toutes les problématiques.

Les principes européens de bonne gouvernance ou d'État de droit seront-ils bien pris en compte lors du Sommet ? Oui, tel sera le cas. Quant aux leviers européens que vous évoquiez, il y va de notre relation avec l'Afrique comme avec nos voisins. L'Europe est souvent non consciente de ses forces, alors que, dans nombre de pays africains, nous sommes encore les premiers investisseurs, bailleurs de développement, contributeurs de solidarité vaccinale, les principaux financeurs de la transition énergétique. Ces leviers sont insuffisamment mis en avant lors de notre partenariat.

Monsieur Gattolin, soyons clairs et justes : la crise sanitaire aurait pu être la mort de Schengen ; ce ne fut pas le cas. Je précise que la France n'a jamais fermé ses frontières intérieures ; elle a plaidé pour la fermeture des frontières communes extérieures. Qu'il y ait eu des frictions, des imperfections, c'est un fait. Un contrôle sanitaire via le passe est nécessaire ; c'est pourquoi nous avons demandé aux compagnies ferroviaires et aériennes de mieux le vérifier. En revanche, ce ne doit pas être un prétexte pour rétablir des contrôles d'identité Schengen systématiques. Si cela survient, c'est anormal. Chaque fois que nous en avons connaissance, Gérald Darmanin et moi-même veillons à ce que les vérifications soient bien ciblées.

Parmi les ressources propres que la Commission a mentionnées fin décembre, figure la déclinaison au niveau européen de l'accord international de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le pilier 1 pourrait rapporter entre 2,5 milliards et 5 milliards d'euros de ressources annuelles à l'Union européenne. Un débat s'engagera, car les Pays-Bas notamment sont favorables à l'accord, mais opposés à l'affectation de cette ressource au budget européen.

Ma position personnelle, vous la connaissez : le remboursement obligatoire de notre plan de relance doit passer non pas par l'augmentation des impôts des citoyens et des entreprises européennes, mais par la contribution des profiteurs de l'Europe, en particulier les grandes multinationales et les entreprises du numérique. Ces ressources potentielles liées au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières devront être affectées, au moins en partie, au budget européen. C'est une occasion historique de créer de nouvelles ressources propres et de financer des investissements ou le remboursement du plan de relance commun européen. Je suis un fervent militant de cette affectation. Sinon, le budget national devra contribuer de nouveau au budget européen - autant s'épargner un tel tour de manège ! Quoi qu'il en soit, avec Bruno Le Maire, je veillerai à la défense de nos intérêts financiers.

Mme Laurence Harribey. - Certes, l'Union européenne est le premier producteur et donateur de vaccins ; mais quid de la levée des brevets ? Quelle sera la position de la France à ce propos, sachant que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a alerté sur les déséquilibres de la vaccination qui empêchent de venir à bout de cette pandémie ?

Monsieur le secrétaire d'État, je vous ai écouté avec attention dimanche dernier, lors de votre entretien sur France info à propos du salaire minimum. La directive européenne ne prévoit aucune obligation, et seulement 21 pays sur 27 se sont dotés d'un salaire minimum légal. Pourriez-vous nous donner des précisions sur la position de la France ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - L'examen des solutions de la gestion de la hausse des prix de l'énergie a été reporté au Conseil européen, les 24 et 25 mars prochains. Or cela pèse très lourdement sur les ménages et les entreprises, particulièrement les électro-intensives des secteurs de la métallurgie, de la papeterie et du verre. Vous avez certes évoqué des mesures de soutien, telles que le chèque énergie, le bouclier tarifaire et la baisse de la contribution du service public de l'électricité. De plus, les entreprises bénéficient de mécanismes d'amortissement naturel comme les contrats fournisseurs ou la répercussion sur les prix de vente. Néanmoins, cette crise, qui aurait pu être ponctuelle, s'inscrit dans la durée. Quelles seront les propositions lors du prochain Conseil européen pour régler la déliaison éventuelle du prix du gaz et de l'électricité, notamment la révision du prix du dernier kilowattheure produit ?

Mme Colette Mélot. - Je voudrais revenir sur le sujet énergétique. La Commission européenne a proposé un Paquet climat Fit for 55 ayant pour objectif d'adapter les politiques européennes en vue d'atteindre moins de 55 % d'émissions de gaz à effet de serre en 2030, puis un solde d'émissions net nul d'ici à 2050. Les transports sont ciblés : pour l'aérien, une taxation progressive sur le kérosène est proposée sur les vols intraeuropéens, outre l'imposition d'un taux minimal de biocarburant, ce qui a fait réagir le milieu de l'aviation, déjà engagé sur la voie de la décarbonation ; par ailleurs, dans le sens du développement d'avions électriques et à hydrogène, Airbus a réaffirmé son plan vers un premier avion zéro carbone pour 2035. Dans le Paquet climat, ne sont toujours pas pris en compte les vols extraeuropéens, qui représentent plus de 60 % des émissions ; non plus que les émissions autres que le CO2, qui concernent pourtant entre la moitié et les deux tiers de l'impact de l'aviation sur le climat.

Monsieur le secrétaire d'État, où en est la taxation du kérosène pour les vols commerciaux ? Quel sera le calendrier de sa mise en place et comment sera-t-elle utilisée ?

M. Pascal Allizard. - Monsieur le secrétaire d'État, vous avez à juste titre évoqué la stratégie globale d'investissement de l'Europe. Quelle est la vision de la présidence française sur le projet Global Gateway, rival de l'initiative chinoise ?

Ma seconde question a trait à l'actualité. Quelle est votre analyse de la situation au Kazakhstan, pays important de l'Asie centrale, pôle de stabilité et partenaire européen qui a entretenu une très bonne collaboration avec la France lors de la vague d'attentats ?

M. Jacques Fernique. - Ce Conseil européen a aussi été marqué par la nouvelle coalition allemande et l'arrivée officielle de notre nouveau partenaire, Olaf Scholz. L'accord de coalition allemand montre une nette détermination en faveur d'un renforcement européen, dont l'influence pourrait être positive pour la démarche de la Conférence sur l'avenir de l'Europe. À la faveur de ce contexte, quelles initiatives concrètes pourraient trouver un écho dans la société réelle et devenir un sujet phare du débat public ?

Vous dites que le débat sur la taxonomie a empêché d'aboutir à des conclusions communes sur le prix de l'énergie. Comment débloquer les divergences sur cette question ? Un compromis similaire à ce que le Gouvernement souhaitait vient d'être proposé par la Commission. Les Verts sont mécontents, de même que les inconditionnels du nucléaire, en raison des garanties qui seraient exigées en matière de traitement des déchets et de démantèlement des installations nucléaires en fin de vie. Notre collègue Gremillet n'a pas le sentiment que la résolution adoptée par le Sénat ait été satisfaite. Tout cet assemblage manque de crédibilité !

M. Jean-François Rapin, président. - Je m'associe à la remarque de Pascal Allizard sur le Kazakhstan, auquel il est très attaché et qui l'a récemment honoré !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Madame Harribey, notre objectif est de faire du vaccin un bien public mondial. La levée des brevets est un des éléments d'une stratégie plus large. Depuis avril 2020, nous avons mis en place le mécanisme ACT-A de diffusion des vaccins et de dons de doses, ainsi que Covax par lequel l'Union européenne, le plus gros donateur, centralise et transfère les dons. Nous nous sommes engagés à donner 700 millions de doses d'ici au printemps 2022. En dépit du retard pris au début, 300 millions de doses ont été données par l'Union européenne, et 100 millions par la France. Nous devons accélérer le processus pour remplir notre objectif.

Deuxième élément de la stratégie européenne : la production locale, dont dépend à court terme la disponibilité des doses. Pour ce faire, nous avons décidé de développer des hubs de production, en Afrique du Sud, au Sénégal - site le plus avancé - et au Rwanda, pour un financement européen total de 1 milliard d'euros.

La propriété intellectuelle est un obstacle potentiel. On peut déplorer une mauvaise communication de l'Union européenne, mais contrairement aux Américains, elle a été plus prudente sur la levée des brevets en préconisant un équilibre ne négligeant pas la défense de la propriété intellectuelle. L'OMS est empoisonnée par des querelles idéologiques et une absence totale de propositions américaines. L'Union européenne a suggéré un système de licences obligatoires. Si la propriété intellectuelle est un obstacle à l'accès gratuit ou abordable au vaccin dans certains pays, les laboratoires seraient contraints de céder leurs licences. Il faudra affiner cette proposition à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). L'Afrique du Sud et l'Inde se rallient à ce potentiel compromis, les États-Unis étant encore absents du débat. Il y a urgence à trouver une solution, même si Covax et la production locale concentrent toutes les préoccupations.

Sur le salaire minimum, il faut être très clair, la directive n'impose pas de SMIC européen, ce n'est du reste pas souhaitable parce qu'il tirerait vers le bas le salaire minimum français. En réalité, la directive pose des recommandations et des procédures : ce serait une avancée parce qu'elle obligerait chaque pays à avoir un processus de fixation d'un salaire minimum, alors que six pays européens n'en ont pas du tout, tout en laissant la liberté du modèle, que ce soit un modèle légal, comme nous le connaissons en France, ou un modèle de négociations collectives, comme au Danemark ou en Suède. Un point reste en discussion, sur le niveau du salaire minimum en pourcentage du salaire médian - on parle d'un niveau entre 50 % et 60 % - ; la Confédération européenne des syndicats, présidée par Laurent Berger, est très active en ce sens.

Sur la hausse des prix de l'énergie, liée à la reprise économique et à des sujets géopolitiques, les réponses sont d'abord nationales, avec par exemple le bouclier tarifaire de pouvoir d'achat tel qu'il est déployé en France, en Italie ou en Espagne, ou encore le chèque énergie : l'Europe encourage et facilite la mise en place de ces mesures de protection d'urgence nationale. À plus long terme, j'entends des critiques sur le fonctionnement du marché européen de l'énergie, mais je veux être clair : ce serait une erreur de casser l'intégration du marché européen de l'énergie et en particulier des prix de gros. C'est un avantage pour la France puisque nous produisons moins cher que le prix moyen et que nous exportons au prix du marché, avec des rendements importants dans ces périodes d'augmentation des prix - c'est d'ailleurs ce qui nous permet de financer les baisses de prix de l'énergie aux consommateurs.

En revanche, ce qui n'est pas normal, c'est que le faible coût de l'énergie dans un pays ne soit pas répercuté au consommateur : Bruno Le Maire s'est exprimé sur ce point - et la bonne réponse me semble de garder les mécanismes de régulation actuels, car ils nous permettent de prendre des mesures d'urgence. C'est un débat que nous avons avec Bruxelles depuis plusieurs années. Cela dit, il ne faut pas faire croire que l'énergie n'est pas au prix que l'on constate : les énergies fossiles vont être de plus en plus chères, c'est une motivation supplémentaire pour la transition énergétique par les énergies renouvelables et par le nucléaire, mais aussi pour des mesures d'accompagnement de cette transition, aussi bien que des mesures d'équité commerciale, via par exemple l'ajustement carbone, pour éviter d'importer des énergies plus polluantes.

Sur le transport aérien et la taxation du kérosène, nous évaluons les choses, au premier chef les effets de la proposition européenne de taxer le kérosène, avec le secteur et des organisations non gouvernementales, parce que, comme avec la taxe carbone, nous devons éviter que cette mesure ne bénéficie à des hubs aériens extérieurs au continent européen, au détriment des nôtres. Même raisonnement sur la fin des quotas gratuits pour le transport aérien : il faudra un effort écologique du transport aérien, mais il faut au préalable en évaluer les conséquences.

Mme Colette Mélot. - Il y a une forte attente du secteur aéronautique, qui considère que l'UE est frileuse sur le sujet.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Je l'avais compris comme cela.

Le Global Gateway représente une alternative européenne aux « routes de la soie » chinoises et aux grandes initiatives américaines, pour financer des investissements dans d'autres régions du monde. C'est une bonne initiative : l'Europe ne pouvait pas être la seule grande puissance dépourvue de stratégie économique d'investissement avec l'Asie, l'Amérique du Sud, l'Afrique en particulier. Le Global Gateway propose plus d'investissements publics par la Banque européenne d'investissement (BEI), avec parfois des préférences commerciales pour l'accès au marché européen, notamment pour les pays aux plus bas revenus. C'est un avantage pour eux, car on a vu ce à quoi peut mener la dépendance envers la Chine : nos principes de gouvernance sont plus clairs et plus transparents, la BEI n'impose pas de contreparties excessives, elle prend en compte la charge de la dette. Cela n'a pas toujours été le cas des Chinois : on l'a vu au Monténégro où les autorités peinent à rembourser des emprunts faits pour leurs infrastructures routières.

Sur le Kazakhstan, je serais prudent. Nous évaluons la situation. La France demande aux manifestants de s'abstenir de violences, et au gouvernement de respecter le droit de manifestation pacifique, ainsi que de ne pas recourir à la force de manière excessive, disproportionnée : nous appelons à une résolution pacifique de la situation via le dialogue entre tous les acteurs politiques.

La coalition allemande nous montre que le contexte est plus favorable, de nouvelles convergences sont possibles. Comment débloquer le sujet de la régulation de l'énergie relatif à la taxonomie ? La Commission européenne a consulté, puis elle a publié son projet d'acte le 31 décembre : il sera finalisé autour du 12 janvier et il s'appliquera quatre mois plus tard. Le texte, et ce n'était pas gagné, est équilibré : nous allons vers l'inclusion de l'énergie nucléaire dans un compromis avec le gaz dont nous n'étions pas des défenseurs acharnés, mais dont nous reconnaissons que cela faciliterait la transition pour certains pays.

Mme Gisèle Jourda. - Le Président de la République a annoncé que les questions de défense seraient prioritaires, cela ne me semble pas du tout aller de soi. Comment faire sans un sommet consacré à la défense européenne ? Nos partenaires européens sont-ils prêts à installer un groupe d'intervention rapide de 50 000 hommes qui serait indépendant des prises de décisions américaines ?

Quelle est la position de la France, ensuite, sur l'hypothèse d'une décision à la majorité qualifiée en matière de politique étrangère ?

Enfin, sur le partenariat oriental, il y a bien sûr les points chauds qui font l'actualité, mais il ne faut pas oublier la Moldavie ni la Géorgie, qui ont des contrats d'association avec l'Union et qu'il ne faut pas laisser tomber dans cette période particulièrement tendue.

M. Pierre Laurent. - J'ai beaucoup de mal avec la frilosité française sur la levée des brevets des vaccins contre le Covid-19, alors que le Parlement européen s'est prononcé pour cette levée. Ce n'est pas seulement une question de solidarité internationale, mais une solution à la crise sanitaire - sachant que si 92 % de Français sont vaccinés et 8 % ne le sont pas, la proportion est inverse en Afrique. Vous évoquez le sommet UE-Afrique : ne faut-il pas mettre à son agenda cette levée des brevets et la production locale de vaccins ? Parce que si les Européens et les Africains faisaient cause commune sur le sujet, le rapport de force s'inverserait.

Le débat sur le pacte budgétaire, ensuite, qui est annoncé pour deux ans, ne devrait-il pas être étendu au Parlement, et bien plus largement, même, à tous les citoyens ? Pourrons-nous débattre de la position que la France va défendre sur les critères du pacte budgétaire, donc sur le modèle de croissance que nous voulons ?

M. Didier Marie. - Lors d'auditions précédentes, vous évoquiez comme priorité la nécessité d'avancer sur la future directive sur le devoir de vigilance, mais vous n'en parlez pas aujourd'hui, et la Commission européenne, après l'avoir reportée, annonce la proposition, a priori au 12 février : quelle est la position française sur le sujet ?

Le contrat de coalition du gouvernement allemand, ensuite, appelle à ce que la Conférence sur l'avenir de l'Europe débouche sur une constituante, pour un fédéralisme assumé : que répond la France ? Comment voyez-vous les choses, dès lors que la France est à l'initiative de cette Conférence sur l'avenir de l'Europe : va-t-on vers une révision des traités ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci d'avoir réaffirmé la priorité française à l'adoption des règlements européens sur le numérique, le DSA et le DMA, nous y serons très attentifs. D'une façon plus large, quelle est l'ambition de la présidence française pour promouvoir les sujets culturels et patrimoniaux ?

Mme Christine Lavarde. - Vous évoquez le partenariat oriental ; qu'en est-il des sanctions envers le Liban ?

M. Ludovic Haye. - Les rapprochements récents en matière numérique entre la Chine et la Russie d'une part, les États-Unis et la Grande-Bretagne d'autre part, nous confortent dans notre appel à une politique stratégique européenne en matière numérique. Nous avons tort de traiter les sujets numériques en silos, entre la cybersécurité, l'innovation, les équipements. Nos voisins allemands investissent beaucoup : n'y a-t-il pas un alignement des planètes pour une politique numérique européenne forte ? Le délai de six mois devant lequel la France assume la présidence étant nécessairement court, ne faut-il pas au moins poser les bases d'une telle politique ?

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Sur la défense européenne, je crois que la prise de conscience des pays européens progresse pour renforcer notre autonomie stratégique et notre capacité d'intervenir. Des pays particulièrement atlantistes nous rejoignent dans le projet d'une task force, par exemple la Pologne, la Roumanie, l'Estonie, la Lituanie. Je crois qu'il ne faut pas se perdre dans un débat conceptuel, entre l'autonomie stratégique et la souveraineté européenne, et comprendre que ces notions n'ont pas le même sens sur tout le territoire européen. Les pays baltes ou la Pologne ne sont pas contre une action européenne - l'Estonie, par exemple, est avec nous au Mali -, mais ils tiennent à une parfaite articulation avec l'OTAN, ce qui se comprend étant donnée leur position géographique.

La boussole stratégique est une sorte de livre blanc pour définir les menaces et nos priorités. Nous espérons la faire adopter en mars prochain. En matière de cybersécurité, qui est une question majeure, les pays baltes sont très actifs et nous savons que nous avons besoin de faire face à l'échelle européenne. Sur la crise à la frontière biélorusse, qui est une guerre hybride, nous avons répondu en Européens, je crois qu'il faut le faire aussi sur d'autres sujets.

Quelle est notre position sur la majorité qualifiée en politique étrangère ? Le Président de la République avait levé le tabou en 2018 à Meseberg, je crois qu'il faut ouvrir le débat avec le plus grand calme, car on ne peut pas accepter longtemps qu'un seul pays européen prenne tous les autres en otage en bloquant toutes les décisions qui vont pourtant dans l'intérêt de tous.

Sur la Moldavie, vous avez raison, nous devons continuer à soutenir le gouvernement très pro-européen et le mouvement réformateur. Quant à la Géorgie, le déplacement qu'a fait le Président Charles Michel est de nature à contribuer à résoudre les principales difficultés.

Sur les brevets, on ne doit pas casser l'outil, qui est avant tout d'innovation. En revanche, les brevets ne doivent pas devenir un obstacle à l'accès au vaccin, c'est ce que nous disons en avançant la notion de bien public mondial. Nous avons besoin de l'industrie pharmaceutique, qui n'est pas composée uniquement de grands laboratoires. Je crois que nous poursuivons la bonne ligne en visant l'accès de tous aux vaccins. L'UE a été insuffisamment active dans la communication, car nous ne nous sommes pas opposés à la levée ni à l'adaptation des règles de la propriété intellectuelle. J'espère que l'OMC parviendra à convenir de licences obligatoires.

Sur le pacte budgétaire, soyons ouverts. Il y aura une proposition de la Commission européenne au printemps ; je suis favorable à un débat en amont, je veux bien relayer cette idée et venir débattre avec vous, la décision en revient cependant à Bruno Le Maire.

Sur le devoir de vigilance, je regrette comme vous le report annoncé par la Commission européenne. Il est lié à un débat interne sur les seuils et les modalités, mais il est acquis qu'il y aura une proposition sur le devoir de vigilance et sur le travail forcé, nous en discutons actuellement avec les services. Je suis pragmatique sur la question des seuils et du phasage - elle n'est pas neutre - et nous devons également négocier le critère de la responsabilité de l'entreprise - en France, nous raisonnons autour des relations commerciales établies, alors que d'autres pays raisonnent selon les chaînes de sous-traitants. J'espère que nous parviendrons à la formule la plus proche de nos pratiques habituelles.

Nous avons prévu de faire un compte rendu au mois de mai des travaux en cours de la Conférence sur l'avenir de l'Europe.

La révision des traités n'est ni un totem ni un tabou. Je me réjouis que les Allemands soient sur cette position. Comme l'a dit le Président de la République, même si ce n'est pas un objectif en soi, l'adaptation d'un certain nombre de politiques passe par la révision des traités. Mon sentiment est que nous aurons une révision au cours de la décennie à venir : la réforme institutionnelle et la différenciation des politiques européennes sont nécessaires.

En matière de valorisation culturelle de l'Europe, vous connaissez mon engagement pour mobiliser les acteurs de l'audiovisuel public. Je salue d'ailleurs notre service public audiovisuel, qui, au cours de ces derniers mois, a fait des efforts d'information factuelle sur cet enjeu démocratique qu'est l'Europe, de manière engagée et pluraliste.

Il y aura un événement avec les ministres de la culture et Roselyne Bachelot dès le mois de février sur le financement du patrimoine, les industries créatives et culturelles et le renforcement du droit d'auteur, au-delà du DSA/DMA et des directives récemment adoptées.

Le Président de la République souhaite en outre que puissent se tenir en deuxième partie de présidence, des assises européennes de la culture, ou un sommet autour de la culture sur ces différentes questions. Le débat reste ouvert là-dessus et je suis tout à fait preneur d'un échange ad hoc.

Enfin, un dernier projet de l'audiovisuel public qui nous tient tous à coeur, la grande chaîne Arte, qui fête ses trente ans, devient une plateforme multilingue de traduction de nombreux contenus et c'est une très bonne chose.

Le Président de la République a évoqué le Liban lors de son récent déplacement dans le Golfe. Le ministre des affaires étrangères suit au premier chef la question des sanctions, qui fait encore l'objet de discussions européennes.

Le plan de relance est l'occasion d'accélérer sur le cyber et l'économie numérique. Le commissaire européen Thierry Breton avait fixé un curseur : au moins 25 % des plans de relance consacrés au numérique. La moyenne sera sans doute supérieure à 30 %. Le défi est pris au sérieux. Des questions majeures sont à aborder avant le sommet de mars : identité numérique, cloud souverain...

Ne faisons pas de démagogie : tout ne sera pas fait sous présidence française. Néanmoins, le sommet des 10 et 11 mars sera l'occasion d'aborder les grands secteurs d'avenir, le numérique ou les régulations européennes. Je suis prêt à ce que l'on essaie de réfléchir ensemble à des idées susceptibles d'être intégrées dans les déclarations.

M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur le secrétaire d'État, nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions de manière aussi précise que possible.

Mes chers collègues, la question des ventes duty free dans le tunnel sous la Manche revient à l'ordre du jour avec le Brexit. Je souhaiterais que notre commission y apporte sa contribution par le biais d'un avis politique. Je vous propose d'y travailler moi-même comme rapporteur avec Patrice Joly en binôme, puisque nous sommes tous deux déjà chargés du suivi des questions budgétaires européennes au sein de notre commission.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Le Gouvernement s'est mobilisé sur ce dossier. Nous avons déjà obtenu la réouverture du duty free au terminal d'Eurotunnel.

M. Jean-François Rapin, président. - Tant mieux si l'avis politique de notre commission permet de conforter la position du Gouvernement.

Mes chers collègues, je pense que nous n'aurons pas l'occasion de refaire une réunion de bureau avant la suspension des travaux parlementaires. Mais je vous indique que nous essaierons de maintenir un rythme d'une réunion tous les quinze jours. Comme le débat préalable au Conseil européen ne pourra pas se tenir en séance pour cause de suspension, j'ai demandé au président Gérard Larcher que nous puissions l'avoir en commission, mais en l'ouvrant à tous les sénateurs.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 heures.