Mercredi 26 janvier 2022

- Présidence de M. Bernard Jomier, président -

La réunion est ouverte à 18 h 30.

Audition de Mme Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile

M. Bernard Jomier, président. - Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir Mme Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (Fnehad).

L'hospitalisation à domicile (HAD) est portée par près de 300 structures dans notre pays. C'est une forme d'hospitalisation relativement peu connue, bien qu'elle se soit nettement développée ces dernières années puisqu'elle représente une part non négligeable (plus de 5 %) des capacités d'hospitalisation.

Nous souhaitons vous entendre sur la situation propre à vos structures, dans le contexte global des difficultés que connaît le secteur hospitalier. Nous voudrions également savoir dans quelle mesure l'hospitalisation à domicile peut constituer une réponse à ces difficultés. Vous évoquerez très certainement sur ce point la feuille de route pour les cinq années à venir qui a été présentée le mois dernier avec le ministère des solidarités et de la santé.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et je vous invite, Madame Hubert, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Élisabeth Hubert prête serment.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Merci Madame la Présidente de votre présence aujourd'hui.

En effet, nous sommes attentifs à l'hospitalisation à domicile et nous souhaitons avoir votre regard sur la situation de l'hôpital.

L'hospitalisation à domicile se concentre sur certains types de prise en charge : soins palliatifs, pansements complexes, assistance respiratoire ou nutritionnelle, chimiothérapies, soins à des patients lourdement dépendants.

Comme l'a indiqué Bernard Jomier, elle se développe, encore que, semble-t-il, d'autres pays européens y aient davantage recours. Vous nous direz ce qu'il en est.

Depuis le début de nos travaux, nous avons recueilli de nombreux témoignages sur les difficultés de l'hôpital en matière de ressources humaines, qui se sont accentuées avec la crise sanitaire même si elles préexistaient. Comment ce contexte général se traduit-il sur l'hospitalisation à domicile ? C'est une des questions que nous souhaitons aborder avec vous.

Nos travaux montrent également qu'une bonne partie des difficultés de l'hôpital trouvent leur source hors de l'hôpital, dans les dysfonctionnements ou les défaillances de l'organisation des soins, notamment le cloisonnement ou le manque de coordination entre les différents professionnels.

De ce point de vue, l'hospitalisation à domicile constitue une formule intéressante puisqu'elle repose précisément sur le décloisonnement et la coordination avec des intervenants issus du monde hospitalier, des professionnels médicaux ou paramédicaux installés en ville et, en ce qui concerne les patients les plus âgés, les structures médico-sociales.

L'hospitalisation à domicile peut-elle constituer une sorte de « laboratoire » de prises en charge mieux coordonnées et plus efficientes, dans lesquelles l'hôpital serait beaucoup moins qu'aujourd'hui, pour certains patients, une solution par défaut ? C'est également un point sur lequel nous souhaitons échanger avec vous.

M. Bernard Jomier, président. - Madame la Présidente, nous vous proposons de commencer par un exposé introductif suite aux premières interrogations qui viennent d'être formulées. Madame la Rapporteure aura ensuite certainement des questions à vous poser. Enfin, nos collègues, présents dans la salle ou en visioconférence, pourront intervenir. Vous avez la parole.

Mme Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile. - Je vous remercie de cette invitation et de l'opportunité qui m'est donnée d'aborder le sujet de de l'hospitalisation à domicile dans le cadre de cette commission d'enquête sur la situation de l'hôpital. En effet, il est important comprendre comment l'hospitalisation à domicile s'organise dans un environnement élargi.

La tension hospitalière est très régulièrement évoquée depuis deux ans. Or cette tension, dont je ne nie pas l'existence, ne se perçoit pas en termes d'activité d'hospitalisation à domicile. Les chiffres à fin novembre 2021 attestent bien d'une progression qui est habituelle d'une année sur l'autre depuis 15 ans, mais celle-ci s'est émoussée au cours de l'année 2021. En effet, l'augmentation du nombre de journées de HAD en 2020 était de 10,4 % alors qu'elle n'était que de 7,2 % au 30 juin 2021, en glissement sur un an. Cette baisse du taux de progression n'était alors ni inquiétante ni anormale, car elle était conjoncturelle, la covid ayant engendré une poussée de plus de 10 %. À fin septembre 2021, la progression n'était plus que de 5,2 % comparée à fin septembre 2020. Cette diminution est intéressante et s'explique par les mois d'été qui avaient permis de constater une érosion de cette progression et pendant lesquels le recours à l'hospitalisation à domicile s'était fortement émoussé. À fin novembre, le taux de progression n'était plus que de 3,8 %. Nous constatons donc que le recours à l'hospitalisation à domicile est beaucoup moins intense qu'il ne l'a été par le passé dans toutes les régions pour des raisons que nous percevons un peu, mais sur lesquelles il serait trop long de s'appesantir ici.

Il a été question des tensions et des difficultés dans des établissements hospitaliers pour prendre en charge les patients. Un certain nombre d'ARS l'ont parfaitement entendu également, car elles organisent des réunions avec les centres hospitaliers ainsi que les établissements de HAD afin de comprendre les raisons pour lesquelles, alors que les hôpitaux sont sous tension, les établissements de HAD peuvent prendre en charge des patients.

Il me semble important de clarifier la situation, ce qui constitue d'ailleurs tout l'intérêt de votre commission d'enquête, non dans le but d'accuser, mais pour décrypter les raisons d'un malaise. La réponse ne saurait se réduire à affirmer la nécessité d'augmenter le nombre de lits puisque nous voyons bien qu'aujourd'hui, les raisons des crises sont certainement diverses et s'inscrivent dans une échelle de temps qui n'est pas simplement conjoncturelle ou liée uniquement à la crise de la covid.

Tout d'abord, il est important de savoir qu'aujourd'hui en France, tous les territoires sont dotés d'une offre d'hospitalisation à domicile. Je n'affirme pas qu'elle est efficiente et optimale partout, mais tous les territoires français en sont dotés, y compris nos territoires ultra-marins. Mayotte a obtenu deux autorisations il y a quelques mois. La Réunion a reçu de très belles offres et des tentatives d'en créer en Nouvelle-Calédonie et Polynésie sont engagées depuis un certain temps.

À date, les besoins sont couverts territorialement. Le nombre d'établissements de HAD n'augmente plus et a tendance à diminuer, non pas parce que des territoires ne seraient plus couverts, mais parce que des regroupements ont eu lieu. En effet, quelques années auparavant, à une époque qui correspondait au remplacement des ARH par les ARS, des établissements de HAD ont été créés en contrepartie de suppressions de services hospitaliers (service d'obstétrique, service de chirurgie, etc.). Remplacer des services par des lits de HAD n'était pas obligatoirement un gage d'efficience. Des structures de petite capacité ont vu le jour sur des territoires trop restreints pour pouvoir développer l'activité telle que nous la concevons. C'est ce qui a conduit à des regroupements.

Vous avez évoqué les difficultés de l'hôpital et ses dysfonctionnements. Nous connaissons tous un problème de ressources humaines. Ce problème existe dans le médico-social, dans le sanitaire aussi bien à l'hôpital qu'en clinique et il se manifeste aussi chez nous de manière prégnante. Recruter des médecins en HAD est un parcours du combattant en raison des exigences salariales élevées que nous sommes obligés d'accepter, indépendamment des crédits Ségur. Il nous est déjà difficile de recruter en y mettant le prix, mais c'est une tâche impossible si nous nous y refusons, notamment dans les deux tiers du territoire français qui sont les plus au nord. Le recrutement de médecins est en effet un peu moins ardu au sud.

Actuellement, nous connaissons également des difficultés pour recruter des infirmiers, mais nous y parvenons tout de même, compte tenu du nombre d'infirmiers qui ont été formés et de ceux quittant l'hôpital et désirant connaître d'autres expériences.

Concernant les aides-soignants, nous faisons face à d'énormes difficultés de recrutement, comme tout le monde. Malgré l'attractivité du travail offrant une plus grande autonomie, la possibilité de disposer de véhicules de société avec la prise en charge non négligeable des frais de carburant ainsi que des salaires en hausse, ces professionnels sont très difficiles à recruter. La cause principale est liée aux horaires coupés qui constituent un inconvénient majeur. En effet, en HAD, les aides-soignants travaillent avec des horaires coupés et subissent tous les inconvénients d'un travail qui commence tôt le matin, puis qui reprend en milieu d'après-midi.

Nous connaissons donc les mêmes difficultés de recrutement que les autres secteurs. Lorsque vous évoquez le dysfonctionnement de l'hospitalisation conventionnelle en proie aux insuffisances de coordination et d'organisation, nous en sommes à la fois les témoins et les victimes. En effet, les établissements de HAD sont des structures d'aval : quatre fois sur cinq, la demande de HAD émane d'un praticien hospitalier. Une fois sur cinq, elle provient d'un praticien du libéral, notamment lorsque des établissements ont davantage développé les relations avec le secteur libéral. Un patient sur quatre ou cinq vient d'une hospitalisation conventionnelle qui a précédé son séjour en HAD. Cependant, nous constatons toujours des appels au dernier moment.

A l'occasion d'une réunion organisée ce matin même, j'ai pris connaissance de statistiques indiquant que sur dix demandes faites en HAD, trois ou quatre ne seront pas honorées.

Dans un bon nombre de cas, les demandes de HAD ne sont pas honorées, car le patient est finalement orienté vers une autre destination (Ehpad, SSR etc.). En réalité, l'organisation utilise un logiciel d'orientation dénommé « Trajectoire » qui est un très bon outil, mais plutôt utilisé comme un « arroseur ». Après avoir renseigné un certain nombre d'informations, la demande est envoyée à tous les établissements connectés sur le territoire donné et le premier établissement qui répond est pris en considération même s'il ne représente pas la meilleure solution pour le patient. Ce système n'est pas respectueux des patients ni de leurs choix. Ce logiciel permet effectivement d'aider aux orientations et favorise une certaine fluidité du système, mais il méconnaît très largement la situation des patients.

Parfois, les demandes ne sont tout simplement pas adaptées et concernent des soins qui peuvent être dispensés en ambulatoire par une infirmière seule, alors que nous représentons un évitement à l'hospitalisation conventionnelle pour des soins complexes, lourds et techniques, comme vous l'avez rappelé. Les mots ont un sens et une HAD reste une hospitalisation. Nous menons des réflexions sur ces sujets, mais nous dépendons d'une tarification à l'activité. Par conséquent, si nous ne pouvons pas établir une cotation, nous ne pourrons pas prendre en charge le patient. Ce travail pédagogique est encore et toujours d'actualité. En 2017, la Haute Autorité de santé a diffusé un outil d'aide à l'orientation des patients en HAD, intitulé l'ADOP-HAD. Cette application, simple d'utilisation, propose également d'appeler l'établissement de HAD pour de plus amples informations.

Or les demandes sont souvent trop tardives et nous sommes confrontés à des situations où le patient ne pourra pas être transféré en HAD, car il est décédé ou parce que son état s'est trop aggravé. Ces demandes trop tardives ne sont, encore une fois, pas respectueuses des patients. Nous avons même parfois des demandes de prise en charge de patients complètement débranchés et pour lesquels il ne reste aucun espoir. Ces demandes devraient nous parvenir dix à quinze jours plus tôt pour nous permettre de proposer un véritable accompagnement d'une fin de vie.

Nous assistons donc encore à d'énormes problèmes d'organisation, d'appropriation des rôles ainsi que de compréhension de ce qui peut être réalisé au domicile. Je trouve que de nombreux médecins et praticiens, ayant une culture très hospitalière et uniquement hospitalière, n'ont pas du tout perçu l'évolution et la possibilité offerte par le domicile au regard des progrès thérapeutiques et des progrès des techniques médicales. Aujourd'hui, nous pouvons réaliser à domicile des pansements complexes qui étaient inconcevables lorsque j'exerçais moi-même en tant que médecin. Nous pouvons diffuser des produits dont nous n'imaginions pas qu'ils seraient un jour diffusables à domicile. Paradoxalement, durant cette crise, il nous a été demandé de réaliser des perfusions de chimiothérapie, d'anticorps monoclonaux, qui nécessitent tout de même un minimum de procédure et de règles établies. Or nous sommes souvent contraints de répondre dans l'urgence.

Des patients qui nécessitent des soins pour lesquels les gestes sont connus et maîtrisés ne nous sont pas confiés alors que nous recevons des demandes de prises en charge de patients qui nécessitent des actes plus délicats et risqués. Nous pouvons les prendre en charge, mais un dialogue est nécessaire afin de mettre en place les protocoles nécessaires au bon suivi du patient. Cette contradiction pèse sur le fonctionnement. Elle trouve son origine dans les problèmes de compréhension de l'activité des acteurs du soin, de leurs capacités, d'une organisation à l'intérieur des établissements qui continue à être évaluée au nombre de lits alors que la règle de calcul a changé, des difficultés de recrutement et des insuffisances de personnel.

Pourquoi ne pas mettre en place une gestion mutualisée, notamment des hospitalisations des week-ends ? Cette suggestion n'est pas dénuée d'intérêt, car les personnels hospitaliers, infirmiers et aides-soignants, travaillent un week-end sur deux, notamment dans le public.

Ces dysfonctionnements d'organisation pèsent sur la capacité à interroger la justification de l'hébergement hospitalier, c'est-à-dire de se demander si la situation d'un patient arrivé aux urgences justifie qu'il soit dans un lit. Aujourd'hui, ce mode de pensée ne prédomine pas et nous évoluons même plutôt dans une culture à rebours de cette philosophie.

M. Bernard Jomier, président. - Selon vous, pourquoi ce mode de pensée persiste-t-il ?

Mme Élisabeth Hubert. - Je pense que les raisons sont nombreuses, mais que l'une d'entre elles a trait à la formation des médecins. En effet, cette formation hospitalo-universitaire se déroule dans un univers formaté et conditionné qui a fait disparaître certaines pratiques comme l'interrogatoire du patient et de son entourage, la sémiologie ou l'étude des signes. Les examens complémentaires étaient demandés seulement après cette première étape. De nos jours, les différents examens sont prescrits alors que le patient est déjà dans un lit : radio, scanner, prise de sang, etc. Ce tropisme technique conduit à moins mesurer et prendre en compte les éléments diagnostics cliniques. Il s'agit d'un problème de formation et de « tunnellisation ». Il y a une sous-segmentation des disciplines en médecine. En caricaturant un peu, un médecin de garde spécialiste de la hanche préfèrera attendre le lendemain pour confier à l'orthopédiste un patient qui s'est cassé le bras. Les spécialisations se sont multipliées en cardiologie, telles la rythmologie ou l'hypertensiologie. Je ne prétends pas que cela n'a que des défauts, car nous avons des professionnels qui sont parfaitement experts dans leur domaine. Néanmoins, ce n'est pas parce qu'un professionnel est hyperspécialisé dans un domaine qu'il n'est pas compétent dans d'autres.

Je considère que la formation est un élément extrêmement important sur lequel il faut insister, non pas en allongeant la durée de formation, mais en s'efforçant de l'adapter davantage aux besoins de la population qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Vous avez fait allusion au fait que nous pouvions être une sorte de « laboratoire ». Nous le sommes, ce qui constitue à la fois un avantage et un inconvénient. Nous sommes hybrides, car nous appartenons à un domaine, celui de l'hospitalisation, mais notre hospitalisation relève du domaine de l'ambulatoire. Ce caractère hybride est une immense chance. La taille de nos structures et le fait que nous ayons finalement des investissements extrêmement légers grâce au numérique nous permettent une grande adaptabilité. Avoir cette capacité d'adaptation est un élément important pour mieux prendre en compte les besoins qui nous sont exprimés, mais a contrario, il n'est pas toujours aisé de nous identifier.

De plus, l'hospitalisation à domicile est non seulement un dispositif sanitaire dans les conditions que je viens d'évoquer, mais lorsque nous effectuons des évaluations de prise en charge d'un patient, elles comportent trois dimensions :

- une dimension médicale en premier lieu avec un projet thérapeutique curatif ou palliatif ;

- une dimension soignante et organisationnelle avec une évaluation de l'organisation à mettre en place (le nombre de passages d'infirmiers, la prévision d'une aide-soignante si le patient est dépendant, le matériel) ;

- une troisième dimension psychosociale très importante, avec des lectures parfois un peu compliquées des situations. Par exemple, dire à un médecin que nous prenons en charge un patient un peu limite, car il existe un tel problème social dans son environnement que nous devons accompagner la mise en place de l'APA, et répondre à ce même médecin le lendemain que nous refusons un patient du même âge et présentant la même pathologie, peut être à l'origine d'incompréhensions. Or, le deuxième patient a un entourage et un environnement favorables, son autonomie n'est pas meilleure, mais notre intervention n'aurait pas été psychosociale. Elle aurait été uniquement soignante et du domaine d'une infirmière.

Ma dernière réponse concerne votre question sur les autres pays européens. Même si mon propos peut vous apparaître un petit peu sévère, il n'est pas un plaidoyer pro domo pour l'hospitalisation à domicile telle que nous la pratiquons, mais l'emploi des mêmes termes ne recouvre pas obligatoirement une réalité semblable à l'étranger. Le home care à l'étranger, notamment dans les pays anglo-saxons, ne recouvre pas toujours les mêmes situations. Un champ plus extensif existe, à mi-chemin entre l'hospitalisation à domicile de la France et l'ambulatoire, dans lequel sont intégrés un certain nombre de soins réalisés aujourd'hui en France par des prestataires. De plus, une étude datant de quatre ou cinq ans et réalisée par un étudiant de l'École des hautes études en santé publique nous a permis de comprendre que l'on qualifiait d'hospitalisation à domicile en Angleterre, au Danemark, dans les pays nordiques, au Canada, en Espagne, en Italie, en Australie, des prises en charge comparables à l'hospitalisation à domicile en France, mais sur un champ territorial beaucoup plus limité. Par exemple, en Espagne, on trouve dans la région de Valence une activité se rapprochant beaucoup de l'hospitalisation à domicile, avec les mêmes champs et les mêmes organisations. Il en était de même pour une province en Australie. Ailleurs, nous nous sommes aperçus de similitudes pour certaines typologies de patients, comme les patients âgés pour les soins palliatifs par exemple. L'hospitalisation à domicile correspond donc à une réalité plus segmentée à l'étranger. Nous avons constaté que nous étions le seul pays doté d'une démarche aussi exigeante, technique et complexe, diffusée sur tout le territoire, avec un champ aussi large qui allait du nourrisson à la personne très âgée, et qui était solvabilisée par l'assurance maladie.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - J'ai une première question : par rapport à la prise en charge hospitalière, quelle est l'intensité en personnel requise pour une HAD ? En d'autres termes, est-ce que l'hospitalisation à domicile est plus ou moins exigeante en personnels médicaux et paramédicaux ?

Par ailleurs, peut-on dire que nous avons une couverture territoriale homogène ? Des disparités existent-elles ?

Vous avez évoqué la comparaison avec les autres pays. Lorsque vous expliquez que le nombre de lits n'a pas besoin d'être augmenté, qu'entendez-vous par « lits » ? Un lit peut-il être vide une partie du temps, mais avec du personnel qui y est affecté ? Qu'entendez-vous précisément par ce terme de « lit » ?

Par ailleurs, la Cour des comptes avait évoqué la possibilité d'envisager une HAD pour des patients arrivés aux urgences sous réserve d'avoir des organisations très réactives. Avez-vous eu des expériences en ce sens ?

Sur le financement, vous avez évoqué la tarification à l'activité. Le financement actuel de l'hospitalisation à domicile est-il satisfaisant ou plaidez-vous pour des réformes ?

Mme Élisabeth Hubert. - Concernant l'intensité en personnel, la situation a beaucoup évolué au fil des années et les chiffres que je vais vous communiquer correspondent à des moyennes.

Je commencerai par les médecins, non pas parce que je privilégie la profession, mais parce qu'ils sont les plus difficiles à recruter comme je vous l'expliquais précédemment.

Aujourd'hui, nous estimons que, compte tenu de la complexité des patients, l'idéal est d'avoir un médecin pour 40 à 45 patients maximum. Ce ratio permet aux médecins d'avoir une bonne connaissance de leur patientèle et d'assurer pleinement leur rôle de médecins-praticiens en HAD. Ils ne se substituent pas aux médecins traitants, mais agissent comme de véritables experts. Ils sont les praticiens du suivi des patients. Cependant, cette configuration idéale reste rare. Certains établissements y parviennent, mais temporairement seulement, car il suffit d'une absence ou d'une grossesse pour revenir à des situations moins confortables d'un médecin pour 50, 60, voire même 70 patients. La difficulté à recruter des médecins est bien entendu la première cause de ces difficultés.

Le deuxième poste est celui des infirmières, sachant que deux modes de travail coexistent en HAD.

Certains établissements, notamment les plus anciens, travaillent majoritairement avec des infirmières salariées. Ces établissements assurent le service auprès des patients comme à l'hôpital.

Mais de plus en plus d'établissements travaillent aujourd'hui avec des infirmières libérales. Une infirmière est ainsi affectée à un patient, qu'elle continue de suivre en HAD. Pendant des années, ce mode de travail a été conflictuel et difficile, mais nous constatons aujourd'hui une entente globalement satisfaisante sur le terrain. Certes, quelques frictions persistent, mais cette démarche est devenue commune et nous permet de nous adapter. Aujourd'hui, les infirmières libérales sont nombreuses et cette situation nous permet d'être moins dépendants des embauches. Par contre, nous sommes de plus en plus dotés d'infirmières-coordinatrices dans nos établissements de HAD. Elles représentent les chevilles ouvrières de l'organisation : elles se rendent au domicile pour observer la situation, évaluer si le circuit est respecté, si la traçabilité est satisfaisante et si les soins sont bien délivrés. Certains établissements de HAD comptent une infirmière-coordinatrice pour huit patients pour des raisons qui sont celles de leurs territoires. D'autres, notamment quand ils ont encore des infirmières salariées, comptent une infirmière-coordinatrice pour douze ou quinze patients. Leur nombre dépend des organisations internes, mais nous avons effectivement des infirmières coordinatrices en nombre assez important.

Concernant les aides-soignantes, le nombre idéal dépend de la proportion de patients qui ont besoin de soins de l'intime et cet équilibre peut être très variable selon les périodes et les territoires. Les territoires très ruraux ou très urbains comme Paris connaissent des temps de déplacement importants. Sur ces territoires, s'occuper le matin de cinq voire six patients s'avère être le maximum.

Nous avons également des temps de psychologues qui sont très variables, car certaines zones géographiques concentrent un nombre important de psychologues exerçant en libéral.

Nous avons tous des temps d'assistantes sociales qui peuvent être également variables. L'assistante sociale peut être celle de l'hôpital de rattachement.

Concernant la couverture territoriale, nous pourrons vous fournir les chiffres et je ne vais pas trop m'appesantir sur des différences qui sont encore très fortes selon les régions.

Certaines régions ont déjà atteint un taux de recours proche de trente patients pour 100 000 habitants. Ces taux correspondent à ceux fixés huit ans auparavant dans un précédent texte. Or aujourd'hui, certaines régions atteignent péniblement un taux d'une vingtaine de patients pris en charge pour 100 000 habitants. Il faut toutefois rester prudent avec les chiffres puisqu'ils recouvrent des réalités différentes. Ils peuvent notamment être faussés par des durées moyennes de séjour plus ou moins longues.

Pour revenir à votre question, je sais que de très beaux établissements ont réussi à se développer en zone très rurale. Le « très rural » n'est pas un inconvénient pour mettre en place de l'hospitalisation à domicile. D'ailleurs, les relations avec les infirmières libérales sont souvent bonnes en zone rurale. Certes, les médecins sont des espèces rares en zone rurale, mais ils ne se posent pas la question de savoir si l'hospitalisation à domicile est utile ou pas. Ils ne seront pas obligés de chercher des aides ou de monter des dossiers, car nous nous en occupons. Installer de l'hospitalisation à domicile en zone rurale est parfois compliqué, car certains hôpitaux subissent un fort déclassement, ce qui peut avoir une incidence sur l'hospitalisation à domicile. Néanmoins, les patients sont toujours présents et ont besoin d'un suivi.

Quand j'évoquais précédemment les lits, je parlais des lits d'hospitalisation conventionnelle, car je n'utilise pas le mot « lit » pour l'hospitalisation à domicile.

Je pense qu'on mesure encore trop les situations par rapport aux nombres de lits hospitaliers. Or, ce ne sont pas les lits qui manquent, mais le personnel. Il y a 25 ans, lorsque j'occupais d'autres fonctions, je travaillais avec une collaboratrice qui considérait que le lit, c'était « quatre roues avec une paillasse dessus » et donc que les « quatre roues avec la paillasse dessus » pouvaient bouger. Je crois que nous sommes encore dans une organisation qui dépend trop des chambres et des lits.

Concernant l'hospitalisation à domicile et les urgences, je peux vous donner l'exemple de l'ARS Occitanie qui a initié un processus intéressant. À l'aide d'une médecin référente de l'hospitalisation à domicile, très active et proactive, Pierre Ricordeau avait donné son aval pour mener une action auprès des urgences. Ils ont réuni les établissements pour leur demander ce qui serait nécessaire pour améliorer la coordination avec les urgences. Tous les acteurs ont souligné la nécessité de disposer de postes d'infirmiers. L'Occitanie a donc financé un temps d'infirmière de liaison pour une durée de six mois par département, l'idée étant de générer de l'activité permettant ensuite de financer le poste.

L'infirmière de liaison est HAD, mais par contre, elle est présente. Dans les endroits à forte densité, elle travaille au sein même de l'hôpital comme à Toulouse ou Montpellier, car elle a constamment du travail et des évaluations à faire. En Lozère, les urgences étant moins denses, elle n'est pas présente à demeure à l'intérieur de l'hôpital, mais elle y passe tous les matins pour vérifier si des patients seraient éligibles.

Quant au financement, la situation est toujours la même : nous sommes dépendants à 95 % de la tarification à l'activité et n'avons pas de frais annexes, à l'inverse des hôpitaux. Nous souhaitons simplement que notre tarification à l'activité soit plus adaptée à nos patients et aux soins actuels, alors qu'elle a été définie il y a bientôt vingt ans lorsque l'hospitalisation à domicile n'avait rien à voir avec la forme qu'elle a prise à présent.

M. Bernard Jomier, président. - Merci beaucoup pour tous ces éléments.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Quand vous parlez de l'organisation en milieu rural, quelles sont vos collaborations ? Est-ce plus facile en présence d'une CPTS ?

L'organisation des soins au niveau du territoire est-elle un facteur favorisant ? Si oui, quel est le meilleur système ? Peut-on considérer qu'il existe une diversité d'outils dans la boîte à outils et que c'est au professionnel de prendre celui qui correspond ?

Mme Élisabeth Hubert. - Il n'y a pas de lien de cause à effet. La présence de CPTS, dont il faut bien reconnaître qu'elles ne sont pas encore pleinement efficaces dans tous les territoires, n'est pas obligatoirement un gage de qualité parce qu'elles ne sont justement pas assez nombreuses ou pas encore efficaces pour que cela puisse véritablement être considéré comme un critère ou un indicateur. En revanche, il est certain que nous nous efforçons de renforcer les liens. Dans cette perspective, nous avons signé, il y a quelques mois, une charte avec l'Union nationale des professions de santé (UNPS). Nous avons convenu d'en signer également une avec la fédération des CPTS. Nous voulons donc renforcer les liens. Nous sommes également extrêmement attentifs à la mise en place des dispositifs d'accompagnement à la coordination (DAC). Il y a quelques années, votre assemblée a voulu que tous les dispositifs qui existaient et qui étaient émiettés soient mieux réunis. La démarche a été initiée au Sénat et a abouti aux DAC.

M. Bernard Jomier, président. - Vous êtes à l'hôpital, vous êtes à domicile, donc vous avez un regard sur la façon dont l'hôpital s'intègre dans le parcours de soins et n'est pas uniquement centré sur lui-même. Vous avez souligné le facteur culturel et de formation dans la difficulté à transformer le modèle. Identifiez-vous d'autres motifs et surtout d'autres leviers sur lesquels agir ? Car l'activité de la HAD progresse, mais nous sommes quand même très loin d'une HAD qui couvre tout le champ des possibles. Des freins culturels sont connus dans de nombreux domaines de l'action publique, mais parfois des quotas, des indicateurs opposables, des outils réglementaires sont mis en place pour affirmer que telle ou telle pratique doit évoluer. Pensez-vous qu'il est nécessaire de mettre en oeuvre ce genre d'outils ? Si oui, lesquels ?

Vous nous avez expliqué que vous rencontrez des difficultés de recrutement, qui ne sont pas nouvelles et liées aux facteurs que vous avez expliqués. Avez-vous vécu une vague de départs comme celle observée à l'hôpital depuis la crise ? Si oui, quelle a été son ampleur ? Dans le cas contraire, pour quelle raison les personnels n'ont-ils pas quitté le secteur de la HAD ?

Mme Élisabeth Hubert. - Je commence par votre dernière question sur le recrutement et la fidélisation.

Nous ne rencontrons pas de problèmes majeurs. Parmi les professionnels de santé qui nous rejoignent, certains nous quittent parfois après quelques mois, souvent car ils désirent une plus grande proximité avec les patients. Nous arrivons cependant à en fidéliser d'autres, qui voient dans la HAD une forme d'aventure et une activité qui reste à défricher. Globalement, le recrutement pose problème et reste difficile ainsi que la fidélisation après plusieurs années d'exercice pour des questions salariales.

M. Bernard Jomier, président. - Observez-vous des vagues de départ ?

Mme Élisabeth Hubert. - Non, nous n'avons pas subi de vagues de départ.

Pour répondre à votre question sur la mise en place d'éléments un peu plus coercitifs, je dirais que je n'ai pas un penchant nature pour la coercition en règle générale. Néanmoins, la situation peut se révéler lassante à la longue.

À mon sens, trois actions sont à mener. Nous avons pu avoir satisfaction sur les deux premières, mais ce n'est malheureusement pas contrôlé.

En premier lieu, inscrire dans les contrats d'objectifs et de moyens des établissements hospitaliers le suivi du taux de recours, avec de objectifs à tenir. Beaucoup d'ARS l'ont fait, mais ce n'est pas le cas dans toutes les régions. Et lorsque cela a été fait, cela n'a pas partout été suivi d'effet : on constate que l'objectif n'a pas été atteint ou on argue de l'impossibilité de reconstituer le chiffre. On dispose donc d'un indicateur, mais il n'est pas suivi et n'est pas efficace. Il y a quelques années a été votée dans une loi de financement une disposition prévoyant qu'un établissement hospitalier qui conserverait ses patients et ne ferait pas appel ou quasiment pas aux prises en charge ambulatoires, puisse être mis sous entente préalable. C'est l'arme atomique ! Sans aller jusque-là, il faut qu'un objectif soit fixé dans les contrats d'objectifs et de moyens des établissements sanitaires et médico-sociaux et dans la pratique libérale, qu'il soit suivi et qu'il y ait des conséquences s'il n'est pas atteint.

Dans un second temps, il faut élargir notre champ du possible pour faire en sorte que le recours soit amélioré. Nous avons évoqué la chimiothérapie et je ne parle bien évidemment pas de la chimiothérapie orale même si cette dernière se développe de plus en plus. Je fais ici allusion à des cures de chimiothérapie injectable. Nous y travaillons, y compris avec Unicancer, pour surmonter des obstacles qui ne sont plus techniques, mais financiers. Il s'agit également d'élargir notre offre sur les soins de suite, car nous le pouvons techniquement et réglementairement, et de renforcer notre présence sur la pédiatrie. Le paradoxe est que nous accueillons épisodiquement des enfants en fin de vie dans le cadre d'une prise en charge en soins palliatifs pour les accompagner à leur domicile à la demande des familles.

Enfin, il faut développer le numérique sur des outils permettant à distance à un médecin spécialiste de maintenir le lien avec son patient et d'être averti en temps réel de la situation, de communiquer entre professionnels, de télé-consulter et donner de l'expertise, voire même, pourquoi pas, de télé-ausculter ou télé-administrer. Nous avons aujourd'hui des pompes connectées permettant de surveiller à distance des patients sous morphine ou Midazolam. Sur ce sujet, nous sommes éligibles au crédit Hôpital numérique ainsi qu'au Ségur numérique.

M. Bernard Jomier, président. - Merci beaucoup, je passe la parole à mes collègues sénateurs.

Mme Jocelyne Guidez. - Je vous remercie, car votre exposé était passionnant. Vous êtes assez directe et j'ai apprécié ce ton.

Je pense que l'hospitalisation à domicile est vraiment très mal connue. J'ignorais moi-même ses possibilités. Je vais simplement vous donner un exemple. Une personne âgée atteinte d'un cancer du pancréas n'a pas voulu rester à l'hôpital, car elle avait conscience d'être en fin de vie. Elle est donc retournée à son domicile, mais c'est sa famille qui a dû tout mettre en place. L'hospitalisation à domicile est méconnue. Si la famille avait eu conscience des possibilités offertes, elle aurait été soulagée et n'aurait pas eu à chercher une infirmière et à tout mettre en place elle-même. La possibilité de finir sa vie chez soi, entouré de ses proches, est une bien meilleure alternative que l'hôpital. Comment éviter d'être automatiquement adressé vers l'hôpital ? Comment obtenir une hospitalisation à domicile ?

Mme Élisabeth Hubert. - Merci. Je suis directe, car je suis passionnée et l'ai toujours été. Cet enjeu est merveilleux et constitue un véritable engagement pour moi. J'y crois très fort.

L'exemple que vous avez évoqué est malheureusement courant et je reçois régulièrement des interpellations analogues, y compris dans mon environnement amical. Je suis épouvantablement triste lorsque des relations ou des amis, en règle générale de milieux favorisés, m'expliquent qu'ils ne savent pas quoi faire ni à qui s'adresser alors qu'ils ont des relations et parfois même de l'argent. Je leur fournis les renseignements et les aide si je le peux, mais je me dis à chaque fois que si des personnes plutôt favorisées ignorent ces possibilités, alors des millions de Français sont totalement abandonnés dans l'accès à ces parcours de soins. Nous avons une tâche considérable pour faire connaître ces dispositifs. Nous avons effectivement un vrai problème de communication et il serait trop facile d'en imputer la responsabilité à d'autres. Nous sommes, sans doute, un milieu d'artisans. Les établissements de HAD ont longtemps été considérés comme des aventuriers. En réalité, nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation qui nous impose de pratiquer une forme de marketing avec des infirmières de liaison qui vont rechercher le patient. Nous devons impérativement pousser cette démarche plus loin. D'ailleurs, nous recrutons un chargé de communication avec l'intention de nous adresser directement au grand public et aux patients puisque les professionnels ne nous entendent pas et ne prescrivent pas la HAD alors qu'elle pourrait répondre à la demande des patients.

Au début de votre propos, vous avez évoqué des leviers, Monsieur le Président. Dans la feuille de route de la HAD, sortie récemment, le premier des axes est d'améliorer la connaissance de la HAD et l'attractivité de cette activité. Cela relève d'actions de communication. Figurent ensuite sept autres axes avec des actions précises.

Lorsque vous me posiez la question des leviers, je vous ai répondu en mentionnant les indicateurs de suivi. J'ajouterai que dans les 48 heures, tout patient passant par les urgences et entré à l'hôpital devrait être évalué afin d'apprécier la nécessité de le maintenir dans un lit hospitalier. Pour revenir au tableau de la personne évoquée par Mme Guidez, un cancer du pancréas sur une personne âgée, il s'agissait clairement d'un patient relevant de la HAD, sans équivoque.

M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie. Je crois que tous les membres de la Commission auront été passionnés par cet échange et par ce point de vue de l'hôpital sans bâtimentaire comme vous le dites fort bien. Il éclaire la crise de l'hôpital par contraste.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 40.

Jeudi 27 janvier 2022

- Présidence de M. Bernard Jomier, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de Mme Sophie Guinoiseau, présidente, et du Dr Jean-François Ricono, vice-président de la Fédération nationale des établissements de santé de proximité (FNESP)

M. Bernard Jomier, président. - Notre première audition de ce matin est celle de la Fédération nationale des établissements de proximité, représentée par sa présidente, Mme Sophie Guinoiseau, directrice du centre hospitalier de Layon-Aubance (CHLA), dans le Maine-et-Loire, et par son vice-président, le Dr Jean-François Ricono, président de la commission médicale d'établissement (CME) du centre hospitalier des Marches de Bretagne (CHMB), en Ille-et-Vilaine.

Nous sommes très heureux de vous accueillir. Avec votre audition, nous allons pouvoir évoquer la situation d'établissements hospitaliers situés hors des territoires urbains et métropolitains, ainsi que certaines problématiques spécifiques : les réponses aux besoins de santé dans des zones fortement touchées par la désertification médicale, ou encore la gradation des soins, c'est-à-dire la prise en charge au juste niveau, sans nécessairement recourir aux établissements équipés pour les soins les plus pointus.

Votre fédération, créée il y a quelques mois, est issue de l'association qui regroupait les ex-hôpitaux locaux. Elle présente l'originalité d'intégrer des professionnels libéraux. Je crois que vous-même, Docteur Ricono, exercez comme médecin libéral tout en présidant la CME d'un établissement.

Enfin, votre fédération est pleinement impliquée dans la réforme des hôpitaux de proximité, engagée par la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, et par une ordonnance du mois de mai dernier, même si vous représentez également d'autres établissements ne répondant pas à cette définition.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et j'invite chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sophie Guinoiseau et M. Jean-François Ricono prêtent successivement serment.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Je vous remercie de votre présence aujourd'hui. Étant représentante du département du Maine-et-Loire, je rencontrerai demain les acteurs concernés par le problème du centre hospitalier de Layon-Aubance.

Cette audition nous permet de croiser deux problématiques importantes : celle des restructurations hospitalières et de la pérennité de petits établissements, et celle de la coordination territoriale des acteurs de santé.

Les restructurations ont conduit à fermer de nombreux petits établissements ou à réduire la gamme de leurs activités. D'un côté, se posent la question de la « masse critique » des établissements, au regard de leur volume d'activité, mais aussi celle de l'attractivité, notamment pour les médecins, et nous souhaitons bien entendu savoir comment vos établissements font face dans le difficile contexte actuel. De l'autre côté, il faut répondre aux besoins de patients éloignés des principaux centres urbains et organiser la permanence des soins et la prise en charge des urgences.

Par ailleurs, comme l'a indiqué M. le président, la structuration des soins de proximité a fait l'objet de réformes récentes. Nous recevrons tout à l'heure les représentants des formes d'exercice regroupé, particulièrement concernés par la mise en place des hôpitaux de proximité.

Nous serons donc très intéressés par vos appréciations sur les potentialités de cette ébauche d'organisation territoriale des soins, mais aussi éventuellement sur les obstacles ou les difficultés qu'elle pourrait rencontrer.

M. Bernard Jomier, président. - Je vais vous passer la parole à l'un puis à l'autre. Mme la rapporteure et nos collègues vous interrogeront à leur tour.

Mme Sophie Guinoiseau, présidente de la Fédération nationale des établissements de santé de proximité. - Je tiens tout d'abord à vous remercier, au nom des acteurs des hôpitaux de proximité, de nous associer à vos travaux sur la situation de l'hôpital et l'organisation du système de santé.

Que sont les hôpitaux de proximité ? Ce sont des établissements de santé, publics à 90 % et privés - principalement non lucratifs - pour 10 % d'entre eux. Dans une région, hors Île-de-France, ces établissements portent en moyenne 7 % à 12 % de l'offre publique de lits de médecine, et jusqu'à plus de 45 % de l'offre publique de lits de soins de suite et réadaptation (SSR).

Pour dresser un portrait type d'un hôpital de proximité sur la base d'une moyenne, je dirai que c'est un établissement en zone périurbaine ou rurale de 250 lits et places, sanitaire pour un tiers et médico-social pour deux tiers, souvent multisite avec des professionnels de santé salariés, mais également médicaux et paramédicaux en exercice mixte - vous l'avez souligné.

Premier niveau de la gradation des soins hospitaliers, l'hôpital de proximité partage une responsabilité territoriale avec les professionnels de la médecine ambulatoire ; quand il est public, il est membre d'un groupement hospitalier de territoire (GHT). En somme, l'hôpital de proximité est à la jonction de la ville et de l'hôpital, au croisement du sanitaire et du médico-social.

La Fédération nationale des établissements de santé de proximité (FNESP) représente les hôpitaux labellisés ou non comme vous l'avez dit, autonomes, en direction commune ou en sites rattachés. Notre structuration reflète le fonctionnement de nos organisations - vous l'avez également rappelé. Un premier collège représente les directions d'hôpitaux, un deuxième collège - le Dr Ricono en fait partie - représente les médecins, qu'ils soient libéraux ou salariés, et un troisième collège représente les élus et les usagers.

Les hôpitaux de proximité, c'est aussi une longue histoire avec des hauts et des bas. Regroupant les hôpitaux ruraux dans les années 1960, les hôpitaux locaux dans les années 1970, notre catégorie a intégralement disparu avec la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, avant de réapparaître en 2016 sous sa dénomination actuelle et d'être confortée dans ses missions par « Ma santé 2022 », qui ambitionnait initialement de labelliser 500 à 600 hôpitaux de proximité.

Quelques mois avant la crise sanitaire, nous étions dans l'attente de la mise en oeuvre de cette réforme avec espoir, après avoir vu les lits se fermer et le statut disparaître dix ans auparavant, creusant encore les inégalités d'accès aux soins sur nos territoires.

Aujourd'hui, deux ans après, nous tirons un constat difficile et plus global. Depuis le début de la crise, nos professionnels répondent présents et nos établissements assument, voire dépassent leur rôle premier. Vous l'avez entendu lors de précédentes auditions, les représentants des établissements de santé et médico-sociaux témoignent de l'intensité de l'effort et de l'usure des acteurs aujourd'hui.

Mais cette crise en suit une autre, structurelle et profonde. C'est une loupe grossissante mettant en exergue des difficultés préexistantes que vous connaissez : une offre déjà amputée - j'ai évoqué les lits de médecine, disparus dans nos structures - ; des ratios d'encadrement fragiles, voire clairement insuffisants sur le secteur médico-social ; des viviers de professionnels réduits, notamment pour les personnels médicaux ; des moyens de fonctionnement contraints, ne laissant plus de marge pour investir, qu'il s'agisse de moderniser le bâti ou de renouveler les équipements ; un manque d'attractivité en termes de rémunération.

À ces difficultés, il convient d'ajouter la spécificité de nos établissements : ils font partie des services publics hospitaliers ; à ce titre, plus que la continuité, ils assurent la permanence de l'accès aux soins. Un hôpital, un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou toute institution sociale et médico-sociale ne limite pas son activité aux horaires de bureaux. Ce fonctionnement entraîne des sujétions spécifiques affectant les hommes et les femmes qui y travaillent dans des conditions qui se sont dégradées ces dernières années.

Pour assurer notre mission, il nous faut recruter des effectifs en nombre suffisant. Pour ce faire, nous devons être attractifs et redonner plus de souplesse à l'institution et à ses acteurs. Le Ségur est un début de réponse, mais il faut aller plus loin. Et les investissements ne produiront leurs effets qu'au bout d'un certain temps. Or ce temps nous manque...

Sans reprendre les propositions déjà portées par mes collègues de l'hôpital, je souhaite insister sur deux points qui nous paraissent particulièrement importants.

Qu'il s'agisse des professionnels de santé à la ville ou de l'hôpital, nous sommes tous interdépendants, nous avons tous le même objectif : offrir le meilleur accompagnement possible aux patients et aux usagers, car chaque maillon est important. Pour une réelle gradation des soins, il faut un maillage adéquat. Par exemple, les adressages directs à l'hôpital doivent être possibles sans passer par les urgences déjà surchargées. Ce constat a été tiré pour les épidémies saisonnières. Il était visible en période estivale ; il est criant pendant la crise sanitaire. Nous pensons qu'il faut réarmer sans délai les lits de médecine fermés ces dernières années et revoir le maillage des hôpitaux de proximité, territoire par territoire pour renforcer cette chaîne.

Le système de santé s'appuie sur le sanitaire, le médico-social et le social. Délaisser l'un des acteurs, c'est fragiliser les autres. Les filières médico-sociales sont nécessaires au sanitaire ; leur réactivité est un facteur indéniable de fluidité du parcours des patients. Le sanitaire est aussi touché par les moyens alloués aux établissements médico-sociaux, quand par exemple, faute de personnels infirmiers de nuit, une personne âgée est adressée aux urgences.

Nous connaissons les mécanismes : les rapports les mettent en évidence, et les études démographiques confirment l'urgence. Pourtant, malgré les annonces, nous attendons encore cette grande loi qui reposera l'engagement de notre société auprès de ses aînés.

Je conclurai mon propos sur une note optimiste. Le projet pour la revitalisation de l'offre de soins de proximité est un pas dans le bon sens, alors que nous croyions ce modèle perdu voilà plus de dix ans. Cela démontre bien que, si nous écoutons les usagers et les acteurs de terrain, nous pouvons remettre du sens dans notre action et corriger les écueils. Il n'est peut-être pas trop tard pour donner un nouveau souffle à notre système de santé !

Docteur Jean-François Ricono, vice-président de la Fédération nationale des établissements de santé de proximité. - S'agissant de la présence médicale dans les établissements et du premier recours, j'ai une dizaine d'années d'expérience au sein de l'Association nationale des médecins généralistes d'hôpital local (AGHL). Avec mes collègues des différents territoires, je constate que tous les endroits où se trouvaient des hôpitaux locaux, avec la participation de médecins généralistes, ont plutôt bien résisté à la désertification et aux difficultés liées à la démographie médicale. Presque partout, ces hôpitaux locaux ont constitué le support de maisons de santé pluriprofessionnelles, de maisons de garde. Et nombre de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ont été créées autour de ces hôpitaux. Cette notion de territoire, avec la présence d'un hôpital local et des soins coordonnés autour, est le meilleur exemple pour résister aux difficultés, rester attractifs et fournir des soins de qualité à la population.

Concernant mon secteur, le CHMB est né d'un regroupement des hôpitaux locaux. Ont ensuite été créés autour des pôles de santé pluriprofessionnels, puis une CPTS, au sein du conseil d'administration de laquelle siégeaient le directeur de l'hôpital de proximité et des élus, afin de maintenir cette dynamique locale.

Comme partout, nous jonglons avec les difficultés du fait de tensions démographiques concernant le nombre de médecins et les effectifs d'infirmiers du centre hospitalier. Nos petites structures présentent néanmoins l'avantage d'être très agiles.

Dans les secteurs plutôt ruraux, la présence de lits de médecine est importante pour les soins ne réclamant pas une technique plus poussée et pour le maintien de soins palliatifs. Ces derniers sont souvent intégrés par les services d'hôpitaux locaux, car ils sont essentiels pour l'accompagnement du patient en fin de vie au plus près de sa famille.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Merci à tous les deux de cette présentation.

Le code de la santé publique prévoit désormais que les hôpitaux de proximité « assurent le premier niveau de la gradation des soins hospitaliers et orientent les patients qui le nécessitent ». Ce rôle assigné trouve-t-il sa place dans l'organisation des groupements hospitaliers de territoire, dont la vocation était de mieux structurer l'offre hospitalière, et qui produisent des résultats très variables ?

Par ailleurs, vous avez évoqué les liens entre les CPTS et les hôpitaux de proximité ? Existe-t-il beaucoup d'exemples comme le vôtre où les hôpitaux locaux sont dans les CPTS ? Quid de l'exercice mixte dans les hôpitaux de proximité que vous avez évoqué brièvement ? Qu'est-ce qui peut attirer des professionnels de santé dans ces hôpitaux, sachant que la notion de « désert » n'est pas très attractive et peut recouvrer des réalités urbaines, notamment à Paris.

M. Bernard Jomier, président. - À mon sens, ce n'est pas la bonne expression pour Paris.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Et pas non plus ailleurs.

M. Bernard Jomier, président. - J'évoquerai plutôt un « affaissement des soins de proximité », y compris en milieu urbain.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Oui, on pourrait aussi parler de « pénuries » dans certaines zones.

Combien d'établissements sont labellisés aujourd'hui ?

Mme Sophie Guinoiseau. - Il y en a 214, sur un total d'un peu moins de 400 hôpitaux de proximité. On en compte 20 de moins par rapport aux hôpitaux précédemment labellisés, mais seules 10 régions ont fait leur retour sur la première vague de nouvelles labellisations.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Dernier point : quel financement envisagez-vous pour les activités de médecine ? Qu'en est-il de l'actualisation de la dotation de responsabilité territoriale ? Si tout est compris dans une même enveloppe, cela changera-t-il grand-chose ?

Mme Sophie Guinoiseau. - Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ont fait couler beaucoup d'encre, notamment sur leurs fonctions de support mutualisé. Il serait dommage de réduire les GHT aux seules fonctions d'achat : ce n'est pas leur coeur de métier. Si des ajustements ont été nécessaires pour répondre à nos attentes en proximité - la baguette de pain est un exemple souvent cité -, ce n'est clairement plus aujourd'hui une difficulté majeure. Nous avons trouvé des solutions par rapport aux contraintes des achats groupés.

Le GHT, ce sont surtout les filières. L'outil encore un peu neuf et jeune, mais les notions d'infirmières en pratique avancée (IPA), de consultations avancées, d'équipes mobiles de gériatrie, d'hygiène ou autres se structurent avec les GHT. Ensemble, nous apportons des réponses aux populations.

La période covid a accéléré certains de ces travaux et en a peut-être ralenti d'autres. Aujourd'hui, on le sent, les établissements veulent réinvestir dans le maillage de proximité. À cette fin, ils savent qu'il faut pouvoir déployer les consultations avancées.

Notre fédération, même si les avis ne sont pas uniformes, témoigne d'un certain optimisme. Les choses vont dans le bon sens et nous sommes également mieux représentés dans la gouvernance. Le renforcement de ce maillage nous aidera à aller encore davantage dans ce sens.

S'agissant des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), la situation varie en fonction des territoires. Il existe de nombreuses maisons de santé pluridisciplinaires ; ça a pris du temps, mais c'est en place. Historiquement, nous travaillons avec elles, cela fait partie de notre culture. En ce qui concerne les CPTS, leur structuration appelle un travail administratif. Les partenaires et les acteurs sont sollicités. Nous voyons d'un bon oeil ce déploiement fortement incité par les agences régionales de santé (ARS) et les organismes représentatifs. Néanmoins, dans certains territoires, le déploiement pourra peut-être prendre un peu plus de temps en raison des freins administratifs.

L'exercice mixte - M. Ricono pourra compléter mon propos - constitue l'un des atouts majeurs de nos établissements. Aujourd'hui, on le sait, les professionnels médicaux et paramédicaux peuvent rechercher des modes d'exercice différents et vouloir exercer en cabinet, mais aussi à l'hôpital. Il y a dix ans, nous avions beaucoup de difficultés pour attirer des médecins dans mon bassin de population. Le président de la CME a fait découvrir aux internes de l'hôpital les atouts de la proximité. Grâce à cet effort, nous disposons aujourd'hui de cinq médecins, dont quatre de quarante ans : c'est l'avenir et ils sont attirés par cet exercice mixte. C'est un réel atout et une spécificité chez nous. Ce mouvement ne s'arrête pas aux médecins, il concerne également les personnels paramédicaux : ergothérapeutes, orthophonistes, etc. Nous n'avons pas forcément besoin de postes à temps plein ; un exercice à la fois en cabinet libéral et en structure hospitalière convient mieux à une organisation territoire fine.

Quant aux financements, nos établissements pratiquent tous des soins de suite et de réadaptation (SSR), financés à 90 % par une dotation et à 10 % par la modularisation. Nous sommes donc moins concernés par la tarification à l'activité (T2A). Pour la médecine, les évolutions législatives nous donnent davantage de sécurité et privilégient une vision non plus de court terme, mais de moyen et de long termes, ce qui nous permettra de piloter plus sereinement nos projets.

La dotation de responsabilité populationnelle est une nouveauté. En quelque sorte, nous allons expérimenter la confiance donnée aux acteurs de terrain pour porter la qualité et la prévention sur le territoire, de manière coordonnée. C'est un point positif, nous espérons simplement que les financements seront à la hauteur afin d'épargner à nos structures des effets de trésorerie quelque peu délétères. Quoi qu'il en soit, j'ai confiance.

Docteur Jean-François Ricono. - L'exercice hospitalier est attractif pour les jeunes médecins, car il amène de la richesse au niveau professionnel, il favorise la diversité et il permet de travailler en équipe. La plupart d'entre eux sont issus de l'internat. Ils connaissent donc déjà bien l'hôpital, ça ne leur fait pas peur.

La difficulté reste toujours de trouver un point d'équilibre entre l'exercice de ville et l'exercice hospitalier. Mais quand l'offre hospitalière est associée à la possibilité d'avoir un exercice libéral de qualité, avec une bonne organisation, de bons locaux et une coopération interprofessionnelle valable, c'est attirant. Dans mon territoire, nous avons enregistré de nombreux départs à la retraite ces dernières années, mais nous avons aussi réussi à avoir huit installations de jeunes médecins, preuve qu'ils répondent présents si l'offre est qualitative en termes d'exercice, que ce soit sur l'hôpital ou sur la ville.

En ce qui concerne le secteur hospitalier, ce qui peut parfois constituer un frein, ce sont les contraintes administratives : traçabilité dans les logiciels, certifications, etc. Le ratio entre le temps passé auprès du patient et celui passé dans le service hospitalier est de un à trois. Malgré tout, ça fonctionne.

Vous avez posé une question sur l'articulation entre les CPTS et l'hôpital. Il existe d'abord peu de CPTS. Par ailleurs, seulement un petit nombre d'entre elles ont d'emblée intégré l'hôpital de voisinage dans leur conseil d'administration. Quoi qu'il en soit, toutes ces structures travaillent avec l'hôpital, c'est quand même l'objectif. Une CPTS doit intégrer tous les acteurs du soin sur le territoire, y compris les hôpitaux de proximité et les représentants du secteur médico-social.

M. Bernard Jomier, président. - Vous avez dit, Madame Guinoiseau, que vous étiez en attente d'une loi : nous avons tous compris qu'il s'agissait de la loi sur la dépendance et l'autonomie. Qu'en attendez-vous pour les hôpitaux ?

Quelle est l'adéquation entre vos capacités d'accueil en matière de formation et le nombre d'internes que vous recevez ? Leur proposez-vous un exercice mixte ?

Mme Sophie Guinoiseau. - Nous attendons beaucoup de la loi grand âge dans nos établissements, car le médico-social représente deux tiers de notre activité. Nous devons donc faire avec deux nomenclatures budgétaires différentes et deux logiques de financement parallèles. Pour atteindre l'équilibre, les hôpitaux de proximité doivent jongler, d'un côté, avec le département et l'ARS pour le volet médico-social et, de l'autre, avec l'ARS pour le volet sanitaire. Ce n'est pas toujours très simple, car les outils ne sont pas les mêmes.

Au-delà de ces modalités d'échanges budgétaires, notre société se pose la question du ratio d'accompagnement. Quel sera demain le taux d'encadrement de nos aînés dans les structures ? La dépendance augmente, les perspectives démographiques sont très claires : les personnes accueillies aujourd'hui en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) nécessitent plus d'accompagnement qu'hier. Et pourtant, nous peinons à trouver des moyens pour financer les postes nécessaires auprès des malades. La sanitarisation des Ehpad est nécessaire.

M. Bernard Jomier, président. - Appelez-vous à une majoration des ratios d'encadrement ?

Mme Sophie Guinoiseau. - Nous demandons plus de moyens pour recruter des personnels au bénéfice de nos usagers.

M. Bernard Jomier, président. - Lorsqu'elle était ministre, Agnès Buzyn avait annoncé un plan pour mettre en place des infirmières de nuit dans tous les Ehpad. Où en sommes-nous ?

Mme Sophie Guinoiseau. - Il ne s'agit pas aujourd'hui d'une pratique « classique » puisqu'il n'y a pas, à l'heure actuelle, d'infirmière de nuit dans les Ehpad. Il peut exister, en revanche, des expérimentations territoriales visant à mettre en place une garde infirmière itinérante entre plusieurs établissements, ce qui n'est pas tout à fait la même chose en termes de services rendus. Surtout, tous les établissements ne sont pas engagés dans cette démarche faute de ressources ou de financements.

Docteur Jean-François Ricono. - Vous nous avez interrogés sur les lieux de formation. Il est fondamental, pour favoriser l'installation, d'accueillir les internes dans les territoires ruraux et les hôpitaux de proximité, voire dans les maisons de santé adossées à ces hôpitaux. Presque tous les praticiens qui se sont installés chez nous ont d'abord fait de l'internat dans ces structures.

Mais il est difficile pour un hôpital local d'accueillir des internes en raison de ce qui est demandé dans les maquettes par les ARS et les départements de médecine générale. Je pense, notamment, à la seniorisation : un interne doit en effet pouvoir être chapeauté et assisté par un médecin en cas de difficulté, ce qui nécessite l'embauche d'un médecin salarié à temps plein ou de deux médecins à temps partiel. Il y a aussi des problématiques de distance et de logement.

Se pose également la question de l'adéquation par rapport au poste : quand il y a 100 internes à placer dans une subdivision de faculté et que les plus gros hôpitaux décident d'en garder 95 %, les petits hôpitaux ne ramassent que les miettes !

M. Bernard Jomier, président. - L'ARS pourrait ne pas accepter cet état de fait !

Docteur Jean-François Ricono. - Il existe à Rennes une commission d'adéquation à laquelle participent l'ARS, les internes et l'université. Il y a sept ou huit ans, le centre hospitalier des Marches de Bretagne avait récupéré un interne, mais pas les urgences de l'hôpital de Vannes...

M. Bernard Jomier, président. - Les CHU ont du mal à lâcher du personnel...

Mme Florence Lassarade. - Je remercie nos deux intervenants, qui apportent un peu d'optimisme. Les patrons des centres hospitaliers et universitaires (CHU) ne se rendent pas compte de tous les services que leur rendent les structures de proximité : ce sont elles qui leur permettent de se concentrer sur l'exercice de leurs spécialités !

Ma question porte justement sur le taux de spécialistes intervenant dans vos structures. J'ai été moi-même pédiatre dans le secteur à la fois libéral et hospitalier. Avez-vous facilement recours aux spécialistes ? Quid de vos relations avec le CHU ? Il est beaucoup question, en ce moment, du dossier médical numérisé. Une des priorités ne serait-elle pas d'harmoniser l'ensemble des pratiques afin de gagner du temps ? Enfin, comment est rémunéré l'exercice mixte dans vos hôpitaux ? S'agit-il de vacation ? Partagez-vous du personnel avec les CHU ?

M. Laurent Somon. - Les maisons médicales manquent de praticiens spécialisés. On espère pouvoir les trouver dans les hôpitaux de proximité. Rencontrez-vous des difficultés de recrutement ? Existe-t-il des expérimentations en termes de télémédecine, par exemple via la spécialisation d'infirmières pour accompagner de telles consultations ? Avez-vous développé des solutions alternatives aux consultations de spécialistes dans les hôpitaux de proximité ?

Mme Sophie Guinoiseau. - En ce qui concerne les spécialités dans les hôpitaux de proximité, nous nous basons avant tout sur un principe premier, qui est la complémentarité avec l'offre du territoire et non la concurrence avec elle. S'il y a assez de cardiologues sur un bassin de population, à quoi bon ajouter une offre supplémentaire ? Cela suppose, bien évidemment, de bien connaître son territoire, ainsi que les professionnels sur le départ ou ceux qui prévoient de s'y installer.

À l'heure actuelle, nos demandes portent sur la dermatologie, la cardiologie, l'ophtalmologie et les soins dentaires. Nous avons d'ailleurs beaucoup de mal à trouver des solutions sur ce dernier volet. Nous commençons à avoir des réponses en matière d'ophtalmologie et de cardiologie. En tout état de cause, les choses se structurent, mais avec les spécialistes présents dans les gros centres hospitaliers et les établissements supports de GHT qui, eux-mêmes, font parfois face à une pénurie. Ils essaient donc de changer les choses en sanctuarisant du temps pour nos établissements, via leurs propres professionnels ou par des réseaux associés à l'établissement support.

Pour les dossiers, vous avez totalement raison, la fracture numérique n'est pas récente, qu'il s'agisse de la télé-expertise, de la télémédecine ou du dossier patient. Sur ce point, le GHT a tout son sens pour harmoniser les outils et les pratiques, ce qui suppose un certain nombre de financements. Sur ce chapitre, les choses prennent du temps à se mettre en place.

En revanche, à l'heure actuelle, les acteurs sont plutôt prêts, formés et opérationnels en ce qui concerne les outils de télémédecine et de télé-expertise. Reste à trouver les médecins spécialistes pour pratiquer les consultations et à installer le matériel nécessaire : loupes grossissantes, appareils déportés, etc. C'est un système qui peut également servir à organiser un suivi pour préparer à distance la consultation, si celle-ci ne peut pas avoir lieu en télé-médecine. Nous attendons également avec impatience l'arrivée d'IPA sur notre territoire, notamment en neurologie et pour la filière AVC. Il est important de décloisonner nos pratiques. Pour obtenir des réponses sur toutes ces spécialités, il faut aussi faire fructifier les expertises de chaque professionnel.

En ce qui concerne la rémunération, nous avons recours à des praticiens hospitaliers, mais aussi à des vacations. Pour ceux qui interviennent chez nous en exercice mixte, par exemple, cela peut faire l'objet d'une convention. Pendant la crise, nos structures ont enregistré une diminution des prises en charge de patients : cela a incité nos partenaires de la ville à revenir vers nous en interrogeant ces modes d'exercice. Nous appelons effectivement à une revalorisation de l'exercice mixte ville-hôpital. Il est dommage de ne pas davantage consolider ce lien par manque d'attractivité eu égard à l'exercice en cabinet.

Docteur Jean-François Ricono. - On trouve effectivement toutes formes de statut dans les hôpitaux de proximité : praticien contractuel à temps plein ou à temps partiel ; rémunération à titre libéral, etc. La pratique reste relativement souple. Il importe, néanmoins, de préserver l'attractivité financière, ce qui est toujours compliqué. La présence des spécialistes s'est organisée avec l'aide des GHT, parfois aussi avec celle des médecins libéraux des grandes villes du voisinage. Les situations sont très variables selon les territoires. Chez moi, par exemple, les consultations de spécialité sont un peu compliquées à organiser du CHU vers les hôpitaux de recours, a fortiori vers les hôpitaux de proximité. L'articulation avec les centres hospitaliers plus importants s'opère de mieux en mieux au niveau des services d'urgence. Les gros hôpitaux ne cherchent plus, comme il y a vingt ans, à aspirer tous les patients de la région. Les services d'urgences sont saturés de patients, en particulier âgés et polypathologiques instables. Quand les hôpitaux de proximité peuvent leur permettre de trouver rapidement un lit d'aval pour un patient admis en service d'urgence, nous sommes toujours les bienvenus ! Des relations se sont tissées un peu avant l'apparition des GHT, mais encore plus depuis leur création.

Dans mon hôpital, par exemple, qui est à la croisée du CHU de Rennes, mais aussi de l'hôpital de Fougères et de celui d'Avranches, notre cadre de santé du service de médecine communique tous les matins le nombre de lits disponibles aux trois services d'urgence de façon à pouvoir accueillir des patients de notre secteur qui y seraient arrivés dans la nuit.

Mme Marie-Christine Chauvin. - De plus en plus de structures mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR) ferment sur le territoire. Or ces antennes ont toute leur utilité pour réguler les patients et éviter l'embouteillage vers les services d'urgence des centres hospitaliers régionaux universitaires (CHRU). Quelle est votre analyse ?

Docteur Jean-François Ricono. - La réduction de l'offre de soins dans beaucoup de services d'urgence est un problème récent, mais majeur puisqu'il ne cesse de prendre de l'ampleur depuis deux ans. Cette difficulté s'explique à la fois par des raisons démographiques, mais également par un manque d'attractivité des postes de médecin urgentiste dans les hôpitaux. Il s'agit, en effet, de postes difficiles ; peu de médecins font toute leur carrière aux urgences.

Récemment, un médecin urgentiste de Saint-Malo a quitté son poste pour se tourner vers la médecine d'expertise et un urgentiste de Rennes, très apprécié, a ouvert une librairie tellement il en avait ras-le-bol. Ces quelques exemples doivent nous amener à nous demander ce que notre société est capable d'offrir à des praticiens expérimentés. Dans certains endroits, la saturation professionnelle est extrême.

Je suis également médecin pompier dans mon secteur. Il est relativement rare, lorsqu'on dérange une équipe SMUR, que le patient ne soit pas conduit dans un service d'urgence. En général, il s'agit de pathologies graves qui nécessitent des soins techniques. En revanche, il me paraît important d'avoir une réponse de premier niveau sur place. Il est notamment essentiel, de ce point de vue, d'avoir des infirmières de nuit dans les Ehpad afin d'éviter que les aides-soignantes n'appellent le 15 dès qu'un problème les dépasse, d'autant qu'il peut s'agir parfois uniquement d'une sonde urinaire bouchée !

Il faut aussi prévoir une meilleure articulation avec les médecins libéraux pour permettre le maintien sur place des patients. En général, dans nos services de SSR ou de médecine, une réponse médicale est possible la nuit. Quoi qu'il en soit, les difficultés rencontrées par les services d'urgence dans les centres hospitaliers mériteraient, à elles seules, la création d'une commission d'enquête !

M. Bernard Jomier, président. - Vous nous avez indiqué que vous souhaitiez une augmentation du nombre de lits de médecine. En manquez-vous ? Avez-vous des estimations à ce sujet ?

Mme Sophie Guinoiseau. - Nous demandons une réouverture des lits de médecine qui ont été massivement fermés. Nous en manquons, mais il est difficile de donner un chiffre précis, parce que depuis la loi HPST la catégorie juridique des hôpitaux locaux a disparu. Aujourd'hui, parmi les anciens hôpitaux locaux, 150 n'ont plus que du SSR, mais ils n'ont pas pour autant arrêté de prendre en charge des patients. Nous continuons cette activité avec les moyens que nous avons, sans reconnaissance par les autorités de la situation. C'est vraiment un problème majeur, que les grands centres hospitaliers partagent : nous avons bien vu pendant l'épidémie de covid l'importance de disposer de lits de médecine pour assurer de la fluidité au système. Reconnaissez qu'il n'est pas idéal d'armer des lits covid à partir de lits de soins de suite... Dans mon établissement, nous avons des lits de soins palliatifs, ils ne sont plus reconnus comme des lits de médecine, mais la prise en charge existe toujours.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de représentants de formes d'exercice regroupé : Dr Pascal Gendry, président d'Avenir des équipes coordonnées (AVECsanté), Dr Claude Leicher, président de la Fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et Dr Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé

M. Bernard Jomier, président. - Nous recevons maintenant les représentants des formes d'exercice regroupé ou coordonné et je suis heureux d'accueillir le docteur Pascal Gendry, président d'Avenir des équipes coordonnées (AVECsanté) et le docteur Claude Leicher, président de la Fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Le docteur Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé, va nous rejoindre en cours de réunion.

Notre commission d'enquête a pour objet la situation de l'hôpital, mais celle-ci est pour partie tributaire - cela a été souligné tout au long de nos travaux - de ce qui se passe hors de l'hôpital. C'est pourquoi nous avons souhaité échanger avec des représentants de la médecine de ville, libéraux ou salariés, qui ont pour point commun d'exercer dans un cadre structuré : maisons de santé pluriprofessionnelles, CPTS, centres de santé.

C'est donc sur l'articulation, dont on parle souvent, entre soins de ville et recours à l'hôpital que nous souhaitons aujourd'hui vous entendre et vous interroger.

Je vous rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat, qu'elle fera l'objet d'un compte rendu qui sera publié et qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. J'invite donc chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Pascal Gendry et Claude Leicher prêtent serment.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Vous représentez différentes formes d'exercice, les unes déjà anciennes, les autres plus récentes, qui ont en commun de participer à la structuration de l'offre de soins sur les territoires. Comme l'a indiqué Bernard Jomier, ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est d'évoquer avec vous les interactions entre votre domaine d'intervention et le secteur hospitalier.

Le recours à l'hôpital est parfois une solution par défaut, comme l'illustre l'activité croissante des urgences. De même, les conditions ne sont pas toujours réunies pour garantir le bon suivi des patients en sortie d'hospitalisation. Nous pourrons ainsi évoquer avec vous les conditions d'accès aux soins primaires et la question de la permanence des soins. Nous souhaitons également connaître votre regard sur les difficultés actuelles du système hospitalier et voir avec vous dans quelle mesure vous pouvez contribuer à les réduire, en construisant une meilleure organisation territoriale des soins.

Docteur Pascal Gendry, président d'Avenir des équipes coordonnées (AVECsanté). - Je vous remercie de votre invitation. Mon profil est un peu atypique, puisque je suis médecin généraliste en zone très rurale et que j'exerce aussi en libéral dans un hôpital de proximité. Je participe également au fonctionnement d'un groupement hospitalier de territoire (GHT).

De manière liminaire, il faut bien avoir conscience, vous l'avez dit, que ce qui se passe en ville a un impact sur l'hôpital et réciproquement, tant pour l'aval que pour l'amont. De plus, l'hôpital, même en crise, reste très performant en France - nous devons là aussi en être conscients - et nous avons besoin de cette qualité, parce que les patients sont de plus en plus âgés et précaires et que les maladies chroniques se développent.

Il existe des tensions que je qualifierai de réciproques. L'hôpital connaît des tensions démographiques, des services ferment et des lits disparaissent, ce qui pose des difficultés pour nous, à la fois lorsque nous adressons des patients et lorsque nous récupérons des patients qui ne sont pas entièrement stabilisés. Nous pouvons donc être une variable d'ajustement des tensions hospitalières. De notre côté, nous avons aussi des problèmes démographiques, ce qui peut notamment entraîner des difficultés à la sortie de l'hôpital en termes d'offre de soins.

Comment assurer la continuité des prises en charge dans ce contexte de tensions ? Beaucoup de travail reste à faire en la matière, notamment pour mieux anticiper. Même quand une hospitalisation est programmée, les conditions du maintien à domicile après le séjour à l'hôpital ou en soins de suite et de réadaptation (SSR) ne sont pas toujours anticipées.

Or je crois qu'il est tout à fait possible de mieux organiser les relations entre la ville et l'hôpital. Deux exemples concrets : durant l'épidémie de covid, les pharmacies hospitalières ont rendu d'énormes services aux professionnels de santé de ville ; des consultations avancées de la part de spécialistes hospitaliers sont parfois disponibles dans nos structures.

Pour autant, nous rencontrons plusieurs difficultés.

Les équipes de soins primaires sont là pour assurer la coordination du parcours des patients, mais il arrive que des patients nous « échappent » pendant une certaine durée : c'est par exemple le cas pour ceux pris en charge en néphrologie ou en cancérologie. Ainsi, les hôpitaux « captent » des patients qui vivent pourtant chez eux et nous n'avons pas nécessairement toutes les informations à leur sujet, alors que nous les voyons régulièrement soit pour une autre pathologie, soit en cas de crise aiguë. J'ajoute que le développement des nouvelles technologies va certainement amplifier ce phénomène : ainsi, la télésurveillance ne s'organise pas toujours en coordination avec les professionnels en ville. Pour simplifier, je dirais que l'hôpital débarque à la maison, mais sans qu'il y ait une articulation optimale avec les autres professionnels du territoire.

Une autre difficulté est la méconnaissance que les uns ont des autres. La notion d'équipe de soins primaires, qui nous est chère, n'est pas toujours connue à l'hôpital qui raisonne d'abord en termes de médecin traitant. Or le patient qui sort de l'hôpital a souvent besoin d'une prise en charge par une équipe - médecin, pharmacien, infirmier, masseur-kinésithérapeute...

Nous avons aussi des difficultés de communication. Chacun connaît des histoires de lettres de sortie qui n'arrivent pas, mais c'est aussi le cas dans l'autre sens pour le volet médical de synthèse. Nous devons travailler ensemble pour améliorer les choses. Il est par exemple difficile d'obtenir un avis spécialisé, parce que chaque service hospitalier a son propre parcours et qu'il est difficile pour nous de nous y retrouver. Il faut donc réfléchir à la mise en place de cellules de coordination internes à l'hôpital auxquelles les professionnels de ville pourraient s'adresser. Il ne s'agit pas seulement de mettre en place une messagerie sécurisée, mais d'identifier des personnes qui peuvent répondre de manière réactive aux demandes.

Il en est de même dans l'autre sens : les hospitaliers doivent identifier facilement une personne qu'elles peuvent contacter dans nos structures et qui est spécifiquement chargée de faire cette interface, notamment pour faciliter les sorties des patients. Cela permettra aussi, de notre point de vue, de libérer du temps médical. Nous devons structurer nos équipes dans ce sens. Nous avons besoin de structures solides avec des systèmes d'information adaptés et interopérables.

Enfin, je mentionnerai l'importance de la fluidité des parcours et la nécessité de produire des efforts en termes de formation, tant en ville qu'à l'hôpital, afin de changer nos cultures et d'éviter les cloisonnements.

Docteur Claude Leicher, président de la Fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé. - Médecin généraliste, je travaille dans une maison de santé pluridisciplinaire (MSP) depuis 2003 et nous sommes en CPTS depuis 2020. En 2002, j'ai participé à la création des maisons médicales de garde.

La crise de l'hôpital était prévisible ! Chacun a pu la voir venir depuis de nombreuses années ; elle prend notamment sa source dans l'accès direct aux services d'urgence. D'ailleurs, pendant longtemps, on a privilégié l'expression urgence plutôt que celle de soins non programmés. Nous portons aussi notre part de responsabilité dans cette situation.

Pour autant, cette crise n'est pas seulement celle de l'hôpital ou, de manière un peu plus large, celle de notre système de soins, elle est d'abord celle de notre système de santé. C'est d'autant plus important de faire ces distinctions que nous changeons de période, comme la crise actuelle le montre. Le système est en train de se transformer, mais il est vrai que cela prend du temps.

Aujourd'hui, l'hôpital sert de vase d'expansion pour toutes les demandes qui soit sont vues comme urgentes, soit n'ont pas obtenu une autre réponse. D'ailleurs, les maisons médicales de garde sont elles-mêmes devenues des lieux de consultation pour des gens qui ne trouvent pas de réponse auprès des professionnels de ville, notamment pour ceux qui ne trouvent pas de médecin traitant : elles fixent des rendez-vous et il n'y a parfois plus de disponibilités sans rendez-vous...

Depuis 1958, la France a investi dans les hôpitaux, qui sont aujourd'hui de très grande qualité.

Je rappelle que notre métier tourne autour du patient. Avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) arrive le temps de ce qu'on appelle la responsabilité populationnelle. Elles proposent des solutions qui concernent l'ensemble de la population.

Nous avons arrêté de projeter le modèle hospitalier à l'extérieur de l'hôpital ; je prends l'exemple des réseaux par spécialité - cardiologie, addictologie, périnatalité, etc. - qui ne servaient à rien : sur les 2 millions de diabétiques, il y en avait entre 100 000 et 150 000 qui étaient inscrits dans les réseaux de diabétologie... Aujourd'hui, les dynamiques sont différentes et ce sont les médecins généralistes et les structures de ville qui, dès le soin primaire, s'intéressent à des questions qui auraient auparavant été traitées par des spécialistes - c'est par exemple le cas, lorsque nous sommes attentifs aux risques d'obésité chez l'enfant.

Jusqu'à présent, notre responsabilité populationnelle n'était pas gérable, mais elle le devient avec le développement des structures d'exercice coordonné ou regroupé et celui des équipes de soins primaires et, plus récemment, des équipes de soins spécialisés.

En ce qui concerne les conditions de prise en charge des patients, notre CPTS a mis en place depuis deux ans une cellule de coordination ville-hôpital, notamment pour mieux organiser les sorties des patients. C'est un sujet très important et il nous faut anticiper les choses pour que la prise en charge soit prête, lorsque le patient rentre chez lui. Souvent, on nous demande de mettre les choses en place, alors que le patient est déjà chez lui. Cette coordination et cette anticipation sont facilitées par les nouvelles technologies - groupes de discussion, etc. À Valence, nous avons aussi mis en place une inter-CPTS qui regroupe plusieurs CPTS autour de l'hôpital de Valence.

Les difficultés dans l'articulation entre la ville et l'hôpital sont le premier sujet de préoccupation des CPTS. C'est aussi le lieu de l'articulation entre les soignants et le médico-social. Si le système de santé n'est pas correctement connecté avec le médico-social, il ne peut tout simplement pas fonctionner. C'est pourquoi nous avons créé une commission des cas complexes avec le concours de l'hôpital. Nous prenons en charge à domicile des situations de plus en plus lourdes et complexes, mais nous pouvons faire mieux : aujourd'hui, des patients qui reçoivent de la chimiothérapie en ambulatoire en prennent parfois ensuite par voie orale, toujours en ambulatoire, et nous allons mettre en place un protocole avec le centre Léon Bérard de Lyon pour prendre en charge certains de ses patients.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Comment voyez-vous concrètement l'organisation des cellules de coordination que vous avez évoquées ?

À partir de vos expériences respectives, quelles sont vos propositions pour désengorger l'hôpital de la prise en charge des soins non programmés ? Je suis d'ailleurs surprise d'entendre que les maisons de garde proposent des rendez-vous... Quelles sont vos propositions en ce qui concerne la permanence des soins ?

Dans certains pays, certains cabinets de ville pratiquent des actes de petite chirurgie. Qu'en pensez-vous ?

Lors de nos auditions, on nous dit souvent qu'il faut mettre tout le monde autour de la table à l'échelle d'un territoire - professionnels de ville, de l'hôpital et du médico-social. Est-ce possible ? Comment voyez-vous les choses ?

Docteur Claude Leicher. - Les cellules de coordination ville-hôpital sont un axe central de travail pour les CPTS, qui disposent de la légitimité sur le territoire.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Mais il n'y en a pas partout.

Docteur Claude Leicher. - En effet, mais aujourd'hui il y en a presque 800, en incluant celles qui sont en train de se mettre en place, ce qui fait quand même une très bonne couverture de la population. J'avais proposé la création des CPTS en 2012 à Marisol Touraine, alors ministre de la santé, justement parce qu'il n'existait pas de lieu où les professionnels de ville pouvaient se coordonner et discuter ensemble avec les responsables hospitaliers. Les cellules de coordination doivent être vues comme une interface. Nous nous saisissons de la totalité des sujets qui sont sur la table.

En ce qui concerne les soins non programmés, je veux d'abord rappeler que la très grande majorité des médecins généralistes, c'est-à-dire des médecins de premier recours, en prennent en charge tous les jours. C'est notre métier ! D'ailleurs, nous faisons en sorte de ne pas remplir entièrement notre carnet de rendez-vous pour nous donner de la souplesse et pouvoir accueillir des patients au dernier moment. Il arrive aussi que nous utilisions des plages dédiées à la permanence des soins pour prendre en charge des gens auxquels nous n'avons pas pu donner de rendez-vous dans la journée. Nous allons donc être certainement amenés à augmenter la taille des maisons médicales de garde pour prendre en charge de tels patients.

Ainsi, les soins non programmés sont loin d'être tous pris en charge par l'hôpital. Les médecins généralistes donnent chaque année 280 millions de consultations et les médecins spécialistes 100 millions, sans compter les actes techniques.

Docteur Pascal Gendry. - Les problèmes d'offre nous obligent parfois à coller des rustines - nous faisons comme nous pouvons ! Dans un monde idéal, les soins non programmés doivent être pris en charge par les équipes de soins primaires. Cela ne signifie pas nécessairement par un médecin généraliste ; nous devons travailler dans un cadre pluriprofessionnel à partir du moment où des protocoles sont en place, que les conditions de sécurité sont réunies et qu'il est possible de recourir à une consultation médicale en cas de besoin. Mais il faut que les équipes soient organisées pour cela et il faut qu'elles soient déployées en nombre sur le territoire.

Il est vraiment très important de mettre en place des cellules de coordination ville-hôpital, dans lesquelles une ou deux infirmières seraient chargées, au moins pendant les horaires de bureau, de répondre aux besoins des professionnels de ville. En effet, quand un médecin généraliste doit consulter dans des délais rapides un confrère spécialiste, c'est très difficile pour lui de savoir comment faire : la procédure sera différente selon les hôpitaux ! Il faut au minimum harmoniser les pratiques des hôpitaux.

M. Bernard Jomier, président. - Madame Colombani, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Hélène Colombani prête serment.

Docteur Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé. - L'explosion des maladies chroniques et l'évolution démographique justifient de travailler sur les relations entre la ville et l'hôpital. Depuis plusieurs années, ces relations se sont clairement améliorées et des expériences ont été menées en la matière. Ainsi, depuis les années 1990, les centres de santé accueillent des consultations avancées de spécialistes, ce qui est enrichissant pour tout le monde.

Aujourd'hui, nous rencontrons des difficultés pour accéder, dans des délais convenables et en secteur 1, à des soins de deuxième ligne et aux plateaux techniques. Dans les centres de santé - 25 % d'entre eux sont installés dans un quartier prioritaire de la politique de la ville -, le public est souvent précaire et pas en capacité de payer des dépassements d'honoraire.

Une autre difficulté réside dans les ruptures de charge à l'entrée, puis à la sortie de l'hôpital. Même si des expériences ont été menées, il reste beaucoup de travail à faire pour améliorer la fluidité des parcours de soins.

Par ailleurs, il n'existe aujourd'hui quasiment aucune instance de copilotage et de coordination entre la ville et l'hôpital sur un territoire donné. Une telle instance permettrait de coconstruire un projet partagé pour la population, à la fois en termes de prévention et de soins. Les CPTS sont un véritable outil pour cela, mais il faut qu'elles incluent l'ensemble des structures qui peuvent être concernées, y compris celles du secteur médico-social, ce qui est loin d'être le cas partout aujourd'hui.

Pendant l'épidémie, la CPTS de Nanterre et l'hôpital de la ville ont travaillé ensemble pour élaborer un document d'explication sur le parcours des patients covid, destiné aux patients et aux professionnels. Une telle démarche d'élaboration de protocoles cliniques et médico-sociaux pourrait se décliner pour d'autres maladies - le diabète, l'insuffisance cardiaque, etc. La première chose que demandent les professionnels, c'est souvent un annuaire expliquant les missions et compétences de chacun.

De nombreuses instances de coordination - conseils locaux de santé, conseils locaux en santé mentale, etc. - existent déjà dans les territoires, mais elles ne se parlent pas assez. Un travail de coordination est à faire, qui pourrait être mené au niveau des CPTS, à condition d'inclure tout le monde.

Sur les entrées et sorties dans les hôpitaux, il ne faut pas négliger l'importance de disposer d'un système d'information partagé. Faute d'interopérabilité entre les services d'information de l'hôpital et ceux des professionnels de santé du territoire, nous devons bricoler. Si certains utilisent la messagerie sécurisée de santé, beaucoup ne le font pas. Là encore, un travail reste à mener pour bâtir un système d'information partagé. Des réflexions sur le numérique ont été lancées dans le cadre du Ségur pour la médecine de ville, d'un côté, et pour l'hôpital, d'un autre côté, mais il manque une réflexion sur un système commun. On peut définir ensemble au niveau des territoires les outils à utiliser, mais cela suppose des financements, des compétences. Les médecins de ville manquent de moyens pour faire face à ces enjeux et ne peuvent pas s'appuyer sur des services informatiques.

En ce qui concerne les consultations avancées, plusieurs dispositifs ont été mis en place : assistants généralistes partagés, assistants spécialistes partagés, etc. Dans les centres de santé, on a ainsi pu intégrer un certain nombre de spécialistes et offrir à nos patients la possibilité de les consulter. On peut alors créer des parcours communs avec l'hôpital, ou définir des protocoles permettant un accès plus rapide aux plateaux spécialisés de l'hôpital sans passer par les urgences. Ce système mériterait d'être développé davantage : s'il est bien développé en Île-de-France, il l'est peu ailleurs, la situation étant très inégale selon les régions. En outre, si ce système est financé par les ARS pour l'hôpital, ce sont les gestionnaires des centres de santé qui doivent le financer pour la médecine de ville, ce qui n'est pas juste.

Au-delà, on pourrait développer des formations partagées entre la médecine de ville et l'hôpital, pour créer des parcours ou des échanges réguliers entre les centres de santé et les hôpitaux : cela permettrait aux uns et aux autres d'acquérir une meilleure connaissance réciproque, et de fluidifier les parcours.

Le développement de la télé-expertise dans certains domaines, comme la dermatologie ou la rétinographie pour les fonds d'oeil, constitue une avancée, mais l'intelligence artificielle ne sera pas la solution miracle aux déserts médicaux. Ils ne sont qu'un outil utilisable dans le cadre d'un parcours de soins.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Vous avez expliqué que le recours aux urgences pour les soins non programmés n'était pas toujours nécessaire ; il en va de même pour d'autres domaines, certaines situations de perte d'autonomie. Y a-t-il des situations dans lesquelles vous êtes contraints d'envoyer des patients à l'hôpital alors qu'une meilleure organisation des soins permettrait de ne pas le faire et d'éviter la saturation des hôpitaux ?

Ensuite, je n'arrive pas à comprendre vos propos sur la programmation des retours à domicile : souhaitez-vous qu'ils soient pris en charge par l'hôpital, par la médecine de ville ou par les deux ?

Mme Sonia de La Provôté. - On observe une évolution de la gestion de l'aval : des transmissions ne se font pas toujours ; pour des considérations économiques, on envoie le patient à sa sortie d'hôpital vers le médecin généraliste pour qu'il fasse l'arrêt de travail ; des prescriptions ne sont pas faites, et il n'est pas toujours simple au patient d'expliquer sa situation au médecin traitant pour qu'il fasse l'ordonnance - les patients n'ont pas toujours non plus la notion de l'urgence qu'il y a à consulter pour obtenir une ordonnance. La coordination est nécessaire. Une partie du secrétariat hospitalier ou encore des infirmiers référents faisaient ce travail de transmission, cela se fait moins. Il est problématique qu'un médecin généraliste apprenne le décès d'un de ses patients dans le journal...

Le Ségur de la santé n'a pas prévu d'investissements dans les soins primaires, dans les maisons de santé. Estimez-vous qu'il conviendrait de consacrer un Ségur aux structures qui ne sont ni des hôpitaux ni des Ehpad ?

La crise du covid est-elle une opportunité pour développer les CPTS ? Il me semble que l'on a fait comme M. Jourdain, et que l'on a commencé à fonctionner en CPTS à petite échelle, sans que cela n'en porte le nom. Un obstacle à leur développement est la crainte de la suradministration et d'un contrôle accru des ARS. L'initiative doit venir des territoires. Beaucoup de médecins ne veulent pas rentrer dans ce système, car ils ont peur qu'il ne soit une forme de contrôle déguisée des soins.

Enfin, la permanence des soins doit être aussi bien diurne que nocturne ; pour des raisons de démographie médicale, on manque d'une prise en charge en journée et les patients se reportent vers les urgences.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Nous voudrions aussi entendre votre réponse sur les services territoriaux de santé.

Docteur Pascal Gendry. - Sur la manière de prévenir des hospitalisations, notamment liées au grand âge, nous n'avons pas tiré toutes les conclusions de l'expérimentation Paerpa, relative aux personnes âgées en risque de perte d'autonomie, qui a été abandonnée alors qu'elle commençait à produire des effets. Quand, dans un territoire, on développe la coordination entre tous les professionnels de santé, et que l'on se donne des moyens pour recruter des infirmières de parcours ou développer des projets personnalisés de santé, on parvient à réduire les hospitalisations et à valoriser le maintien à domicile : on peut ainsi prendre en charge Mme Dupont qui a 80 ans et qui vient de se casser la figure. Certaines délégations départementales d'ARS disposent d'évaluations sur l'expérimentation Paerpa, qui montrent un moindre recours aux hospitalisations et une baisse des passages aux urgences. Mais ce processus demande du temps.

Les CPTS constituent une vraie opportunité, dès lors que l'on rassemble tous les acteurs qui veulent travailler ensemble, qu'elles ne sont pas limitées aux seuls professionnels libéraux et qu'elles sont ouvertes aux structures médico-sociales ou à l'hôpital. Ce dernier doit en être membre, et non simplement partenaire, pour pouvoir construire des parcours de soins, organiser la prise en charge des soins non programmés ou des urgences. Les CPTS ne doivent pas regrouper que des professionnels de santé en ambulatoire. Il faut agir au niveau du territoire de proximité, tel qu'il est ressenti par la population et par les professionnels de santé. Les GHT interviennent à une échelle beaucoup plus large, et cela pose un problème de coordination avec les CPTS. Il est difficile de construire des parcours de soins, de réfléchir sur les urgences ou les soins non programmés, si tous les acteurs ne sont pas intégrés dans la structure.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - La question du périmètre est centrale. Celui-ci est difficile à définir : faut-il fixer un seuil de population, une superficie géographique, etc. ? Les situations sont très variables selon les territoires. Les outils actuels - CPTS, GHT, etc. - sont-ils suffisants pour faire travailler tout le monde ensemble, ou bien faut-il créer une nouvelle structure de coordination ?

Docteur Claude Leicher. - Nous entrons dans une révolution organisationnelle qui doit commencer par l'ambulatoire - peu importe le mode d'exercice, libéral ou salarié, les centres de santé et les salariés ont toute leur place dans les CPTS. Si on place les praticiens en ambulatoire dans un système où ils ne savent plus très bien la place qu'ils occupent ni quels sont leurs partenaires, on ne pourra pas réussir !

Un hôpital local a toute sa place dans une CPTS ou dans une maison de santé pluriprofessionnelle. Mais il ne semble pas pertinent que l'AP-HP soit présente dans les CPTS à Paris - on pensait d'ailleurs qu'il ne serait pas possible de développer les CPTS à Paris, en fait il y en a une dans presque chaque arrondissement. Inutile donc de créer des problèmes là où il n'y en a pas ! Le médico-social a toute sa place dans les CPTS, tout comme les usagers.

Un hôpital local ou de taille moyenne peut travailler avec une CPTS comme partenaire, il n'est pas nécessaire qu'il en soit membre. Je ne suis pas sûr d'ailleurs que l'hôpital souhaite entrer dans le système de gouvernance de la CPTS : il a besoin que ses cadres gèrent avant tout l'hôpital.

Il convient d'organiser un Ségur des soins primaires. Il semble difficile de demander au médecin traitant ou à l'aide familiale à domicile de faire en sorte de garder à domicile une femme dont le mari vient de mourir et qui perd son autonomie parce qu'elle est atteinte d'hémiplégie, dans un territoire où l'on manque de médecins, d'infirmières, d'aides à domicile, etc., si on ne leur donne pas les moyens de le faire, s'ils ne peuvent pas s'appuyer sur un réseau d'appui à la coordination ou sur le futur dispositif d'appui à la coordination (DAC). N'est-il pas risqué de laisser à domicile une personne âgée isolée dans ces circonstances : on a besoin d'une aide en urgence le soir pour que quelqu'un puisse venir passer la nuit avec elle, le temps de trouver d'autres solutions. Il faut que le législateur nous donne les outils pour nous permettre d'assurer le maintien à domicile.

M. Bernard Jomier, président. - On a inventé des tonnes d'outils au fil du temps. Les pouvoirs publics n'ont pas été avares de leur imagination. Pourquoi ces outils ne parviennent-ils pas à remplir leur tâche ?

Docteur Claude Leicher. - Parce que les outils n'ont pas été créés et ne sont pas gérés par les professionnels sur le terrain ! Quelle est la pertinence d'une plateforme gérontologique à 20 heures ?

Au contraire, nous voulons, dans les CPTS, que ce soient les acteurs de terrain qui se saisissent des outils et qui les créent - c'est, du reste, la raison pour laquelle cela ne va peut-être pas aussi vite que vous le souhaiteriez.

On m'a demandé de me saisir du futur DAC. Nous avons besoin d'être aidés par un service d'aide à domicile d'urgence, d'un petit pool dédié, que l'on peut mobiliser le soir grâce à un système d'astreinte, appeler, par exemple, pour une personne qui souffre d'hémiplégie et qui vit seule parce que son mari vient de mourir. Cela peut permettre de ne pas avoir à l'hospitaliser en urgence...

Il existe beaucoup d'outils, mais ils ne sont pas adaptés, n'étant pas gérés par les professionnels sur le terrain. La plupart du temps, on ne trouve pas les outils dont on a besoin.

Le retour à domicile doit-il être géré par l'hôpital ou par la ville ? Il faut une coordination ville-hôpital. Aujourd'hui, nous avons beaucoup facilité le travail des secrétariats hospitaliers grâce aux messageries sécurisées. L'Île-de-France, qui est toujours un peu en retard dans plein de domaines, l'est notamment dans celui-là. Pour notre part, nous avons, sur l'espace numérique de santé proposé par l'ARS, à la fois une messagerie sécurisée, qui s'appelle MonSisra, mais aussi la possibilité d'un dossier partagé, qui s'appelle MesPatients.

Nous allons également créer ce que l'on appelle le « bris de glace » pour que le médecin dispose du maximum d'informations sur le patient qu'il reçoit en urgence. Cela s'organise de façon collaborative. Je crois que c'est mis en place dans la région Auvergne-Rhône-Alpes depuis le début du mois de janvier.

Sur la gestion de l'aval, vous avez raison de dire que l'hôpital sert de déversoir. Nous remplissons également ce rôle sur tout un tas de sujets. Nous tâchons de jouer ce rôle en bonne intelligence. Il nous arrive de signer des arrêts de travail pour des patients immobilisés par une entorse ou un plâtre. Comme Hélène Colombani le disait tout à l'heure, le temps des diatribes est révolu. Petit à petit, l'idée d'un travail coordonné entre la ville et l'hôpital suit son chemin.

Oui à un Ségur des soins primaires ! Nous en serions très heureux.

Y a-t-il des CPTS qui se créent sans qu'il y ait rien dedans ? Il existe des indicateurs : si rien n'est fait de l'argent versé par l'ARS, il faudra bien le rendre tôt ou tard. Bien entendu, il faut vérifier que les fonds publics soient utilisés à bon escient.

Oui, la suradministration suscite des fantasmes, des peurs.

S'agissant du service public territorial de santé, je veux évoquer le rapport rédigé par Mme Devictor, à la demande de la ministre de l'époque, en préparation de ce qui allait devenir la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016. Que les ARS définissent les choses de manière autoritaire serait une catastrophe. La collaboration entre des acteurs qui n'ont pas l'habitude de la coopération nécessite une acculturation. Il nous semble plus opportun, dans notre pays libéral, au sens sociétal du terme, d'inciter les gens à être acteurs de leur métier et de leur vie.

Il est logique d'introduire les usagers dans les CPTS, comme on le fait dans les MSP depuis toujours - je ne parle même pas des centres de santé, car le principe est quasiment né avec eux.

Enfin, la permanence des soins (PDS) n'est qu'un concept d'organisation : la PDS, c'est quand les cabinets sont fermés. D'ailleurs, nous allons probablement de plus en plus utiliser les maisons médicales de garde, mais aussi les cabinets de médecine générale. Accueillir des patients en soins non programmés est quelque chose que l'on fait chaque jour : un patient qui nous appelle le matin et que nous réussissons à voir dans la journée, c'est du soin non programmé.

Docteur Hélène Colombani. - Tout d'abord, un Ségur des soins primaires me semble indispensable, de même qu'un Ségur de la santé publique. Nous avons formulé cette demande lors du Ségur de la santé. Il nous semblait difficile de pouvoir repenser le système de santé autrement que de manière globale. Il y avait des urgences du côté de l'hôpital. On nous avait promis, ensuite, un Ségur de la santé publique. Il faut dire que beaucoup de choses se sont passées depuis... L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande, pour un système de santé fort et structuré, des soins primaires forts et structurés. Il y a de quoi faire.

La prise en charge des soins non programmés appelle, me semble-t-il, plusieurs niveaux de réflexion. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a dressé la typologie des patients qui se présentent aux urgences : beaucoup s'y rendent pour des accidents ou des douleurs, souvent associées à d'autres pathologies. D'autres s'y rendent pour des maladies infectieuses.

S'agissant des accidents, certains centres de santé ont bénéficié d'un plateau de radiologie. Ils ont de quoi faire une radio des membres, une échographie, ce qui permet un certain débrouillage. S'ils pouvaient aussi faire des points de suture ou des plâtres, cela pourrait répondre à toute une partie de l'accidentologie qui arrive aux urgences sans y avoir forcément sa place. Il faut, d'ailleurs, un minimum de plateaux techniques : on sait que, dans la démarche clinique, il est désormais important, sur de nombreux sujets, de pouvoir faire un minimum d'examens biologiques et radiologiques. Il faut donc peut-être réfléchir à développer, en soins primaires, de petits plateaux au sein des centres de santé, des maisons de santé, des maisons de garde. Dans de nombreuses maisons de garde, il n'y a rien, si ce n'est un stéthoscope et, parfois, un électrocardiographe. Cela ne permet pas d'aller très loin.

J'ajoute à ce qu'ont dit Claude Leicher et Pascal Gendry que, dans beaucoup de territoires, notamment en zone urbaine, les médecins ne font plus de visite à domicile. En région parisienne, c'est très fréquent. Ils ne se déplacent pas, notamment pour des raisons de temps. Or, pour la prise en charge d'une personne âgée en perte d'autonomie, il est nécessaire d'aller de temps en temps la voir à domicile, dans son environnement, et de construire un plan personnalisé avec les autres acteurs qui la prennent en charge. Cela devient un problème dans certains départements.

D'autres propositions peuvent être faites.

On a parlé de la pratique avancée infirmière. Celle-ci peut trouver sa place dans les soins non programmés en soins primaires. Pour le moment, dans les soins primaires, la pratique avancée n'est considérée que pour les maladies chroniques stabilisées. Des évolutions peuvent être envisagées, notamment pour la visite à domicile. Des expériences se font en alternance avec le médecin traitant. Quasiment tous les médecins ont, dans leur agenda du jour, des plages réservées aux soins non programmés, mais elles se remplissent dès le début de la journée. Il faut donc une coopération entre professionnels. Dans les centres de santé, il y a souvent du personnel infirmier. Nous mettons en place avec celui-ci un travail de protocolisation. Par exemple, nous considérons qu'il faut apporter une réponse aux nourrissons, aux femmes enceintes et aux personnes âgées, que l'on ne saurait laisser dans la nature. Ces populations sont d'abord prises en charge par les infirmières, avant de rencontrer le médecin. Il est à noter que, pour les infirmières, il n'y a pas d'acte qui valorise cette prise en charge, qui est donc à la charge du gestionnaire.

Il faut, à mon sens, réfléchir à toutes les possibilités, en se fondant sur le soutien de l'ensemble des professionnels de santé. C'est toute l'équipe traitante qui doit, ensemble, trouver des solutions pour recevoir tous les patients et éviter, bien évidemment, que ces derniers ne se présentent aux urgences, faute d'avoir obtenu une réponse. Puisqu'il y a de moins en moins de personnels médicaux dans certaines régions, il faut s'appuyer sur toutes les forces en présence, mais cela oblige à repenser la rémunération des protocoles mis en place.

Qu'entend-on par « service public de santé » ? Il faut réfléchir à un maillage du territoire. Je me suis rendue à Gand, en Belgique, dans le cadre d'échanges organisés par un réseau de soins primaires européen. Les soins non programmés et la permanence des soins ambulatoires (PDSA) sont organisés suivant des mailles de 200 000 à 300 000 habitants, et tous les médecins du territoire, quels qu'ils soient, y participent - ils font quelques gardes dans l'année pour la maille dont ils relèvent. De la même manière, en Aragon, en Espagne, où je me rends très régulièrement, il existe un maillage, et une PDSA pour chaque maille du territoire.

En France, il n'y a pas du tout de permanences de garde organisées dans beaucoup d'endroits. Il faudrait peut-être réfléchir à un maillage pour les soins primaires courants, ce qui implique des moyens et une équipe - médecins généralistes, infirmiers en pratique avancée, assistants médicaux... - à même de prendre en charge un volume de population donnée et de la suivre, à la fois en termes de prévention, d'éducation thérapeutique, de soins...

Sur le terrain, les professionnels se sont organisés pour répondre à la crise. Par exemple, alors que de nombreux Ehpad, n'ayant pas de personnel infirmier de nuit, envoient les résidents aux urgences dès qu'ils ne vont pas bien pour ne pas prendre de risques, nous avons, dans les Ehpad de Nanterre, organisé, de manière expérimentale, une astreinte reposant sur un financement de l'ARS et sur les infirmiers libéraux du territoire, parallèlement à une astreinte au service de gérontologie de l'hôpital. Je sais que de telles astreintes se développent dans les Ehpad. C'est un exemple d'initiatives qui peuvent être prises.

M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie tous trois. Par vos témoignages, vous avez bien illustré les questions du parcours de soin, de la place de chacun et, par ricochet, du périmètre d'activité de l'hôpital, questions importantes que nous étudions dans le cadre de cette commission d'enquête.

Docteur Claude Leicher. - Les élus que vous êtes ne doivent pas oublier, dans la discussion, légitime, sur l'obligation d'installation de jeunes médecins - à laquelle je ne suis pas favorable -, que les ressources humaines n'existent plus. La première commune de France où il faudrait obliger les gens à s'installer ne se trouve au fin fond ni de l'Ariège ni de la Corrèze : c'est Paris.

Par ailleurs, le nombre de secteurs de garde est passé de 3 250 à 2 500. Il va désormais être ramené à 1 500, à la demande des ARS. Mon département, compte 22 secteurs de garde, qui fonctionnent tous.

Il faut en revenir aux réalités de terrain. Certes, SOS Médecins est présent dans les grandes villes, mais il y a énormément de généralistes qui sont toujours impliqués et dans les soins non programmés, et dans la permanence des soins, et dans la régulation. Certains sont même toujours attachés au service des urgences. Ne désespérons pas cette population qui continue de participer à ces actes difficiles, et faisons ce « Ségur de la santé des soins primaires » - la formule me va très bien -, de façon à mettre enfin les problèmes sur la table et à définir les moyens en fonction des objectifs que l'on se donne. Si nous ne mettons pas de moyens sur les soins primaires, dans dix ans, il y aura non plus 22 millions, mais 32 millions de passages aux urgences, ce qui n'est franchement satisfaisant ni pour vous ni pour nous.

M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie. Je pense que vous pouvez, en cette période préélectorale, adresser ces remarques aux différents candidats ; ils vous apporteront certainement des réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 55.