Mardi 1er février 2022

- Présidence de M. Michel Canévet, président -

La réunion est ouverte à 17 heures.

Audition de scientifiques autour de MM. Philippe Charvis, directeur délégué à la science à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique et Didier Lahondère, adjoint au directeur des géoressources du service géologique national (BRGM)

M. Michel Canévet, président. - Bienvenue à cette nouvelle réunion de la mission d'information du Sénat sur l'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins.

La semaine passée, nous avons organisé une table ronde de scientifiques avec l'IFREMER, le SHOM et le CNRS. Nous avons souhaité en organiser une deuxième cette semaine, à laquelle ont été conviés l'Institut de recherche pour le développement (IRD), qui présente la caractéristique de travailler en partenariat et au bénéfice des pays et territoires concernés, et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), service géologique national, établissement public de référence dans le domaine de la gestion des ressources du sous-sol dans une perspective de développement durable.

Nous accueillons pour ce faire, en visioconférence, M. Philippe Charvis, directeur délégué à la science à l'IRD, ainsi que M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique, et M. Didier Lahondère, adjoint au directeur des ressources du BRGM, en présentiel. Je les remercie.

La stratégie « grands fonds marins » du Gouvernement présente trois facettes : d'une part, une stratégie d'exploration et d'exploitation des ressources minérales, qui a été relancée l'an passé sous l'égide du Secrétariat général de la mer ; d'autre part, un volet financier qui est l'une des priorités du plan France 2030 ; enfin, une stratégie propre au ministère des armées, qui doit être présentée prochainement.

Nous souhaitons, avec nos interlocuteurs, faire le point sur les moyens actuels de la recherche française dans le domaine des grands fonds marins, et évoquer les perspectives qui s'annoncent dans le cadre des financements ouverts par France 2030, ainsi que les besoins supplémentaires qu'ils estiment nécessaires.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Merci pour le temps que vous acceptez de consacrer à cette mission d'information. Je commencerai par rappeler les questions, qui vous ont été transmises par écrit, afin que vous puissiez éclairer la mission.

Comment votre organisme a-t-il été associé à l'exploration et à l'exploitation minière des grands fonds marins ainsi qu'au plan France 2030 ? Comment envisagez-vous d'y participer ?

Comment voyez-vous la synergie entre les acteurs de la recherche et le monde de l'industrie ? Comment mieux associer la sphère publique et les opérateurs industriels privés ou semi-privés à la mise en oeuvre de la stratégie nationale ?

Les chiffres évoqués lors de nos précédentes auditions confirment qu'on ne connaît pas grand-chose des grands fonds marins et que beaucoup reste à découvrir. Comment appréhendez-vous le défi que représente l'amélioration des connaissances ?

Allez-vous développer de nouveaux outils de suivi et d'évaluation des situations ?

Dispose-t-on d'informations sur l'emplacement possible, dans nos zones économiques exclusives (ZEE) et au plan mondial, des nodules polymétalliques, amas sulfurés et encroûtements cobaltifères ?

Peut-on parler de pollution dans les grands fonds et à quel degré, la mission d'information traitant également de protection et de préservation, outre l'exploration et l'exploitation éventuelles ?

Quelles peuvent être les implications en termes industriels de ces ressources minérales des grands fonds ?

Quelles sont les perspectives ouvertes par la présence d'espèces vivantes dans les grands fonds ? Vous demander des conclusions sur ce qu'on ne connaît pas encore constitue certainement un défi, mais peut-être suivez-vous plus particulièrement certaines pistes.

Que sait-on de la fonction des grands fonds marins dans la régulation des océans ? Quelles projections peut-on faire sur les coûts environnementaux générés par une exploitation éventuelle des ressources de ces grands fonds ?

Enfin, l'association des populations locales est un enjeu crucial. Le sénateur de Polynésie française que je suis ne peut éluder ce thème. Comment informer et associer en amont les collectivités et les populations d'outre-mer ?

M. Philippe Charvis, directeur délégué à la science à l'IRD. - L'une des particularités de l'IRD est d'être pluridisciplinaire. Cela nous permet d'aborder un certain nombre de questions de manière globale.

L'IRD a participé au groupe coordonné par Jean-Louis Levet et a contribué à la réflexion concernant la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins.

L'IRD a aussi coordonné plusieurs expertises collégiales en Polynésie française sur les grands fonds marins. Une seconde étude a été lancée à Wallis et Futuna, mais n'a pu aboutir. Nous coordonnons deux actions récentes financées par le ministère de la mer, qui démarrent cette année, l'une pour construire un cadre de gouvernance participative en matière d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins, et une seconde portant sur une étude pluridisciplinaire sur les enjeux liés à l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins, un peu sur le format de celle qui avait été coordonnée en 2014-2016 en Polynésie française, mais étendue aux trois territoires du Pacifique et aux eaux internationales.

Nous avons coordonné cette expertise avec nos collègues de l'IFREMER, du CNRS, des universités et du BRGM.

Nous avons aussi participé à la rédaction de la lettre d'intention, déposée dans le cadre de l'appel de la vague 2 des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), intitulé : « Grands fonds marins : vers une vision holistique des grands fonds océaniques, ressources, fonctions, connaissances pour fonder des usages durables ». Nous en étions corapporteurs avec le CNRS et l'IFREMER. Ce projet n'a pas été retenu, mais il pourrait être soumis à nouveau dans le cadre de France 2030, sous une forme ou une autre.

Nous sommes également porteurs de plusieurs projets scientifiques présélectionnés dans le cadre de l'appel lancé par l'Agence nationale de la recherche (ANR) « Un océan de solution », qui s'inscrit dans le programme prioritaire de recherche « Océan et climat », afin de comprendre et prévoir les vagues de chaleur marine, de révéler les abysses, de traiter de la médiatisation scientifique et des défis sociétaux dans le Pacifique. Un autre projet porté par l'IFREMER, auquel nous sommes associés, concerne la vulnérabilité des écosystèmes profonds face à leur exploitation potentielle.

S'agissant de la synergie entre les différents acteurs de la recherche, toutes les unités de l'IRD sont mixtes. Nous sommes associés aux universités et à nos partenaires. 75 % de nos unités travaillent avec le CNRS, et quelques-unes collaborent avec l'IFREMER, le BRGM et d'autres organismes.

Je laisserai mon collègue du BRGM détailler les choses pour ce qui est de la synergie avec les industriels. Il me semble important de construire une approche avec les acteurs de la recherche, mais aussi avec la société civile, les acteurs économiques et les entrepreneurs.

Quelques mots sur l'observation et les outils de monitoring. Mes équipes et moi-même avons par le passé beaucoup travaillé en mer et contribué au développement des observatoires sous-marins, en particulier acoustiques, sismologiques et géodésiques.

Plus récemment, nous avons travaillé sur l'utilisation des câbles sous-marins pour le monitoring de l'environnement.

Je souligne que si l'on souhaite maintenir une observation pérenne dans le Pacifique, il est indispensable de disposer d'une plateforme. Or le navire océanographique Alis, ex-IRD, géré par l'IFREMER pour la flotte océanographique française, doit être remplacé. Il l'est, temporairement, par un navire qui est selon moi peu adapté au Pacifique. Dans les années à venir, il faudra un navire moderne de type semi-hauturier d'une quarantaine de mètres pour pouvoir intervenir en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. C'est vital si l'on veut notamment déployer des drones.

La thématique de l'hydrogène naturel en milieu marin peut être également intéressante.

Pour ce qui est de la pollution, on connaît très mal les grands fonds marins, peut-être moins bien encore que la surface de la Lune. Mais il suffit d'aller sur Internet pour constater que le spectacle est parfois inquiétant. Oui, les grands fonds marins sont pollués. On s'est aperçu que même l'Antarctique est pollué par des microplastiques. C'est général, les grands fonds n'y échappent pas.

Pour ce qui est des espèces vivantes, les grands fonds marins constituent un environnement extrême, avec une très haute pression, une absence de lumière et de hautes températures à proximité des sources hydrothermales, avec peu ou pas d'oxygène. Des formes de vie s'y sont développées, résistant à des températures extrêmes sans oxygène. On trouve des bactéries chimiotrophes, du dioxyde de soufre, avec tout un cycle particulier, ainsi que des molécules parfois originales.

Par exemple, il existe un ver dont l'hémoglobine permet à la fois de transporter de l'oxygène et des sulfures. Plus de 500 espèces animales ont été décrites, dont 75 % sont endémiques au milieu. Il existe donc un intérêt fort des biotechnologies pour cette vie dans les grands fonds, en particulier les micro-organismes, qui peuvent être utilisés dans des processus enzymatiques pour des traitements industriels, etc. Cette ressource vivante peut se révéler d'une importance fondamentale.

On pense enfin que le rôle des grands fonds dans la régulation des océans est essentiel. Un certain nombre de grands programmes approuvés par les Nations unies ont été lancés pour la compréhension des grands fonds. Le stockage du carbone est réalisé dans les grands fonds, et c'est ce qui nous protège en partie de l'effet de serre, mais ces grands fonds se réchauffent du fait du changement climatique.

Ceci peut entraîner une perte d'oxygène, les zones devenant alors inhospitalières pour de nombreuses espèces marines. L'azote, le carbone, le silicium et le fer sont exportés de la surface vers les grands fonds, où ils sont reminéralisés et stockés. Les grands fonds sont donc importants dans la machine océanographique et climatique. Leur déstabilisation pourrait avoir de graves effets.

M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du BRGM. - Le BRGM, créé en 1959, a une double casquette. En tant que service géologique national, il est porteur des connaissances sur l'ensemble du sous-sol et des ressources associées. C'est aussi un établissement de recherche qui, à ce titre, fait progresser les connaissances sur ces sujets.

Notre activité est équilibrée entre la recherche que l'on mène en partenariat avec d'autres établissements et l'appui aux politiques publiques à tous les niveaux, depuis les administrations centrales, jusqu'aux services déconcentrés et aux collectivités territoriales.

Notre établissement compte environ un millier de salariés, dont 700 ingénieurs-chercheurs, qui sont présents dans l'ensemble des régions, dont les territoires d'outre-mer, avec des directions régionales largement implantées qui s'impliquent dans leurs échanges avec les acteurs locaux.

Nos missions sont structurées autour de huit programmes scientifiques. Trois d'entre eux sont destinés à capitaliser notre connaissance du sous-sol métropolitain et de nos territoires d'outre-mer.

Sur la base de cette connaissance, nous répondons à un certain nombre d'enjeux sociétaux directement couplés avec les objectifs du développement durable concernant la gestion des eaux souterraines face aux aléas du changement climatique, les ressources minérales et l'économie circulaire, l'utilisation du sous-sol dans la transition énergétique et la problématique des risques naturels ou industriels.

La thématique des grands fonds marins est à l'interface de trois de nos grands programmes, puisqu'elle joue un rôle particulièrement important dans la géologie et le fonctionnement de la Terre, mais aussi en matière de ressources minérales, sans oublier le travail que nous menons autour des risques actifs, comme à Mayotte, avec le nouveau volcan apparu récemment.

Les grands fonds marins restent un monde méconnu mais qui, pour le géologue, joue un rôle fondamental dans la mécanique de la Terre. C'est en effet au niveau des dorsales que vont se créer les plaques océaniques, avec une activité volcanique et hydrothermale particulièrement importante, qui amène à la concentration d'un certain nombre de ressources minérales.

Ces plaques océaniques vont être « recyclées » dans les fosses de subduction et passer sous les plaques continentales, ce qui contribue à une activité particulièrement importante. Certains édifices volcaniques sont également associés à des points chauds, avec des remontées de magma profond qui créent des édifices volcaniques.

C'est un univers particulièrement complexe et très peu connu. On estime que 6 % des fonds marins sont aujourd'hui cartographiés correctement en termes de bathymétrie. On est donc loin d'avoir une connaissance exhaustive de ce qui peut s'y dérouler.

Quelles sont les ressources ? On trouve d'abord des nodules polymétalliques, ces fameuses boules de cinq à dix centimètres qui contiennent des éléments en grande quantité, notamment du manganèse et du fer, que l'on trouve généralement au-delà de 4 000 mètres de profondeur, dans des milieux très particuliers.

Les encroûtements sont bien plus épais, jusqu'à 25 centimètres d'épaisseur localement, avec des teneurs en éléments métalliques assez importantes, à des profondeurs plus faibles, entre 400 et 4 000 mètres, sans qu'on sache bien dire aujourd'hui quelles en sont les conditions de formation.

Enfin, on a ces fameux amas sulfurés hydrothermaux, où l'eau chaude est relâchée depuis la croûte océanique, avec une précipitation importante d'éléments métalliques, notamment de métaux rares. Ils peuvent former des édifices de plusieurs dizaines de mètres de haut.

On commence à avoir une compréhension de la manière dont se forment ces ressources, mais elle est loin d'être exhaustive.

C'est dans ce cadre qu'ont été délivrés des permis d'exploration, portés par l'IFREMER pour la France, pour couvrir et mieux connaître ces différents environnements.

Quel est l'intérêt stratégique de ces ressources ? Il s'agit de matières relativement riches : plus de 27 métaux ont été identifiés par l'IFREMER. Beaucoup de ces éléments sont indispensables pour réaliser notre transition énergétique, puisqu'on en a besoin dans nos batteries, nos éoliennes, nos panneaux solaires, etc.

Ces éléments sont intéressants d'un point de vue qualitatif, dans un contexte où beaucoup de questions se posent sur la manière d'approvisionner nos filières industrielles afin d'assurer la transition énergétique. Je ne peux, sur ce sujet, que vous renvoyer vers le rapport Varin, remis à la ministre de la transition écologique et à la ministre déléguée à l'industrie le 10 janvier, qui établit une photographie de cette question, à propos de laquelle un certain nombre d'actions ont été engagées par l'État, impliquant notamment le BRGM.

En revanche, d'un point de vue quantitatif, on est très loin de connaître les volumes que cela représente. Une ressource n'est pas une réserve. Rien ne garantit qu'elle soit intéressante sur les plans économique, technologique et environnemental.

La méconnaissance que l'on a des fonds marins et des procédés à mettre en oeuvre fait qu'il est aujourd'hui très difficile d'établir une évaluation réaliste et raisonnable de leur intérêt économique.

Ceci mérite de réaliser un gros plan sur l'impact environnemental. Il faudra être vigilant, car tout ceci est loin de notre proche environnement. La tentation pourrait donc être de dire qu'il vaut mieux que cela se passe là-bas plutôt que chez nous - le fameux syndrome NIMBY, « not in my backyard », bien connue en sociologie.

S'agissant de l'impact environnemental, la vie est très présente dans ces milieux profonds, malgré les conditions extrêmes. C'est une flore et une faune qu'on ne connaît pas. Quoi qu'on fasse, effectuer des prélèvements dans ces environnements sera perturbant en termes physico-chimiques, acoustiques, lumineux, électromagnétiques, etc.

La question - aujourd'hui très difficile à évaluer - est de connaître l'impact que cela aura sur la biodiversité de ces milieux.

Dans les zones des nodules polymétalliques, on voit encore la trace de ce qui a été prélevé il y a plusieurs dizaines d'années. Autrement dit, ces milieux se renouvellent assez lentement.

La question n'est pas tant de connaître l'impact environnemental que cela peut avoir que de savoir s'il vaut mieux aller chercher ces éléments dans la croûte terrestre ou dans les milieux profonds. Si on ne retrouve pas un certain nombre de désordres environnementaux classiques - consommation d'eau, émissions de CO2, etc. - par rapport aux prélèvements que l'on fait à terre, les fonds marins subissent néanmoins des dégradations suite au traitement du minerai. Cette partie représente entre 40 et 50 % de l'impact.

Ce n'est donc pas parce qu'on va aller chercher des ressources dans les grands fonds marins qu'on aura résolu les problèmes d'impact environnemental - sans préjuger de l'impact sur la biodiversité.

Nous sommes sollicités à triple titre, en tant qu'établissement de recherche sur les géosciences, en tant que service national et en tant que spécialiste des ressources minérales.

Nous avons à ce jour quatre actions principales. Nous travaillons pour le ministère de la transition écologique, avec l'IFREMER, sur l'évolution des ressources minérales des grands fonds marins. Nous avons participé à la définition du projet de programme exploratoire prioritaire de recherche mentionné par Philippe Charvis. Nous avons également fondé un partenariat avec la société Créocéan pour aider à la caractérisation de la zone de Clarion-Clipperton, où se trouvent des nodules polymétalliques, programme géré par l'IFREMER. Nous participons enfin à des expertises scientifiques collectives sur la problématique des grands fonds marins.

L'important, s'agissant des ressources minérales, est d'être capable de prendre correctement en compte l'ensemble des impacts et non uniquement la quantité de matière présente, et de mettre cela en regard des autres ressources disponibles. Notre connaissance de l'ensemble des procédés et des ressources potentielles auxquelles on pourrait faire appel permet d'avoir une vision d'ensemble intéressante de ces thématiques.

Je me permets enfin de vous indiquer qu'il existe un site internet rassemblant toutes les connaissances sur les ressources minérales, qui permet de remettre en perspective l'ensemble des éléments par rapport à ce qui est présent dans les grands fonds marins.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Bien que l'outre-mer soit concerné par ces ressources, curieusement, la Polynésie ne figure pas dans vos cartes, alors que nous avons, avec l'IRD, trouvé des ressources cobaltifères et un peu de nodules métalliques dans les îles Sous-le-Vent.

La Polynésie a-t-elle été volontairement éludée de cette carte ?

M. Christophe Poinssot. - J'ai fait le choix d'utiliser une carte tirée de la littérature scientifique qui n'est pas complète. Je suis entièrement d'accord avec votre remarque.

Ces cartes ne rassemblent pas l'intégralité de la connaissance, mais définissent plutôt les grands champs tels qu'ils sont connus aujourd'hui. Ayez bien à l'esprit qu'on est loin de connaître l'ensemble des grands fonds marins. Il est probable qu'il existe d'autres sites qu'on n'a pas encore identifiés.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Quelles leçons peut-on tirer de l'expérience de Wallis et Futuna ?

Dans le Pacifique, les îles Cook expriment une volonté de passer directement à une phase d'exploitation, pour des raisons qui leur sont propres. On sent une pression grandissante dans ces États océaniens du Pacifique sur la question de l'exploration et de l'exploitation.

M. Philippe Charvis. - Il faut noter que le statut de Wallis et Futuna est particulier et très différent de celui de la Polynésie française ou de la Nouvelle-Calédonie, où il existe localement un transfert partiel des compétences de l'État. À Wallis et Futuna, le pouvoir exécutif est confié au préfet, même si les autorités coutumières sont reconnues.

Les campagnes réalisées dans les années 2010-2012 avaient été menées sans réelle consultation des autorités locales, politiques ou coutumières, avec une communication en direction de la population sans doute un peu minimaliste.

L'assemblée territoriale a adressé à l'IRD une demande initiale en 2015 pour une expertise collective. La première mission préalable n'a eu lieu que fin 2018. Entre-temps, d'autres enjeux liés au foncier, sans rapport direct avec les grands fonds marins, sont apparus. Une forme de défiance locale vis-à-vis de l'État s'est renforcée, conduisant au rejet de l'expertise.

Un moratoire sur l'exploration et l'exploitation a été déclaré par l'assemblée territoriale et les autorités coutumières, et la relation avec l'État continue à être très tendue.

Ceci me permet de revenir sur une des questions qui nous a été adressée sur la vulgarisation des enjeux. Il ne s'agit pas d'une simple vulgarisation. Au-delà de la pédagogie, il faut réussir à établir un dialogue et un véritable débat public. Je pense qu'il faut associer les autorités locales sous une forme à définir, ainsi que la population, à propos de décisions qui vont sans doute affecter leur environnement et leurs pratiques.

Cependant, les cadres juridiques que constituent les aires marines protégées ou gérées sont des éléments importants.

Même si la médiation scientifique n'est pas suffisante, il existe une certaine méconnaissance du sujet, y compris le fait de présenter tout ceci comme un eldorado minéral ce qui, à écouter Christophe Poinssot, est quelque peu abusif pour le moment.

S'agissant de Wallis et Futuna, il reste beaucoup à faire. L'évaluation des ressources à proprement parler n'a pas été faite. Il existe des sites dits inactifs potentiellement exploitables. Tout cela est à définir de manière plus précise.

Une campagne, en 2019, a été portée par le CNRS. Elle avait pour but d'étudier la faune hydrothermale depuis la Papouasie-Nouvelle-Guinée jusqu'à Futuna. Ce n'était pas une recherche sur les ressources minérales, mais une recherche de contexte intéressante.

Il y a eu une certaine confusion entre étude scientifique, potentialités et intérêt géostratégique. Tout cela a pesé sur la situation et les relations avec les autorités locales de Wallis et Futuna. Il est sans doute important de rétablir un climat de confiance.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je suis d'accord avec vous s'agissant de la vulgarisation. Il conviendrait de parler plutôt de partage de l'information et de coconstruction concernant les démarches, particulièrement en Océanie.

Cela m'amène à poser une question à vos deux organismes : quels sont le degré et l'intérêt d'une coopération internationale avec d'autres organismes ? Travaillez-vous déjà avec d'autres pays ? Y a-t-il un intérêt à développer une telle coopération, sachant que nous sommes dans une stratégie nationale d'acquisition de connaissances, même s'il y a là aussi une notion de compétition ?

M. Christophe Poinssot. - Nous nous positionnons par rapport à la connaissance de la géodynamique et sur la mise en perspective des ressources minérales.

Nous accompagnons plutôt des initiatives ou des projets de programmes portés par les établissements dont c'est la mission. Je pense en particulier à l'IFREMER, avec lequel nous partageons des liens très étroits.

Nous n'avons pas la capacité à nous projeter ni à intervenir sur ces milieux très complexes d'accès. Nous le faisons toujours avec l'IFREMER, qui travaille lui-même avec le CNRS, l'IRD, etc.

Nous sommes entièrement ouverts à des discussions et à des partenariats internationaux. La recherche fonctionne ainsi, mais nous accompagnerons plutôt l'IFREMER dans ses initiatives s'agissant des ressources minérales, sans être à l'origine d'un programme de ce type.

M. Philippe Charvis. - Il existe deux types de collaboration, d'abord avec les grands pays océanographiques que sont, en Europe, l'Allemagne et le Royaume-Uni et, sur le plan international, les États-Unis et le Japon. Nous avons un certain nombre de coopérations sur des projets comme les grands observatoires qui traitent du fond des mers. Il existe de grands projets communs avec les Japonais, les Américains, etc. Ce sont des coopérations qui impliquent les grands organismes outre-mer, le CNRS, l'IRD, etc.

Je voudrais revenir sur un autre type de collaboration plus spécifique entre l'IRD et de petits États insulaires des bassins océaniques. L'IRD est présent outre-mer, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, à la Réunion et en Guyane. Les petits pays de la zone sont très importants dans la réflexion globale sur les enjeux des ressources minérales. Les États insulaires du Pacifique, comme Fidji, les îles Cook, Samoa ou Tonga détiennent un certain nombre d'éléments importants dans ce dossier.

Quand on parle de coopération scientifique, on est très en amont des problématiques d'exploitation. La concurrence n'est pas encore très vive. Cela peut éventuellement évoluer à l'avenir.

M. Michel Canévet, président. - La parole est aux commissaires.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Vous l'avez souligné, l'exploration et, par conséquent, l'exploitation des fonds marins représentent un enjeu déterminant sur le plan économique, ce qui suscite une forte appétence en termes d'exploitation.

Vous savez que l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), lors de son congrès mondial, qui s'est tenu à Marseille en septembre dernier, a voté un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins sur lequel la France s'est abstenue. Avez-vous un avis à ce sujet ?

Par ailleurs, lorsqu'on exploite des ressources, il faut se préoccuper des incidences que cela peut avoir sur l'environnement et de la gestion des sites. Travaillez-vous sur un cahier de bonnes pratiques en la matière ? Existe-t-il des organismes qui traitent de ce sujet ?

M. Christophe Poinssot. - S'agissant du moratoire, il me paraît important pour le moment d'avancer dans la connaissance des grands fonds marins, d'un point de vue géologique, océanographique, et en ce qui concerne la faune et la flore. Avant toute décision éventuelle sur l'exploitation, il me paraît indispensable de faire progresser les connaissances. L'ensemble des êtres vivants qui vivent dans ces conditions si particulières ont sûrement beaucoup de choses à nous apprendre.

Concernant l'après-mine, vous savez que nous gérons les anciens sites miniers français pour le compte de l'État. Le BRGM travaille également beaucoup sur la notion de mine responsable : comment peut-on concevoir, au XXIe siècle, une mine qui n'ait plus grand-chose à voir avec Zola, mais où l'on se soucie de l'impact environnemental au moment de l'exploitation et dans la phase de post-exploitation, et où l'on se préoccupe d'intégrer les populations locales dans la gouvernance et la coconstruction du projet ?

C'est un prérequis pour une véritable réappropriation de l'activité minière. Ces principes devraient s'appliquer de la même manière dans les grands fonds marins ou à terre. La déclinaison concernant les grands fonds marins n'est pas prête, mais la réflexion sur les principes pour une déclinaison à terre est en train de s'établir, avec une véritable volonté d'harmoniser ces approches à l'échelon européen, afin que cela devienne un référentiel commun, notamment dans le domaine de la batterie. Vous savez qu'un tel règlement est en discussion. L'enjeu est de pouvoir contrôler nos importations aux frontières sur ces bases.

M. Philippe Charvis. - S'agissant du moratoire, il est absolument fondamental de développer les activités d'exploration pour mieux comprendre le milieu. Sans doute va-t-il s'écouler un certain nombre d'années avant qu'on puisse envisager l'exploitation. Malgré tout, on a bien vu qu'il s'agit de ressources probablement fondamentales pour la transition énergétique. On est là dans une problématique qui n'est pas sans impact sur l'environnement, et pas seulement dans les grands fonds marins.

S'agissant de l'après-mine, j'ai créé en 2017 le réseau « Activité minière, environnement, développement économique et éthique » (Amédée), avec des partenaires de 25 pays de la zone méditerranéenne et tropicale.

Il s'agissait d'une plateforme collaborative regroupant des projets interdisciplinaires de recherche d'actions, d'innovations, de formations dans le domaine de l'activité minière responsable, telle que Christophe Poinssot l'a définie.

L'idée était de mettre en connexion des acteurs de la recherche pour accompagner les opérateurs privés ou les décideurs publics qui oeuvrent sur les projets miniers. On a beaucoup de projets artisanaux qui ne sont pas forcément sans effet, mais d'autres sont industriels ou semi-industriels. Le but est de mieux comprendre et de réduire les impacts négatifs de l'exploration de ces mines et de leur abandon en fin d'exploitation.

L'implication des populations relève des sciences humaines et sociales. Elle suppose un travail de coconstruction et une réflexion globale entre scientifiques, industriels et décideurs publics.

Ce projet ne porte pour l'instant que sur l'impact sur le milieu continental. Un certain nombre de ces réflexions et de ces règles devraient s'appliquer aux grands fonds marins. Toutefois, si l'on maîtrise relativement bien ce qui peut se passer à terre, on maîtrise mal les conséquences chimiques, physiques, etc., d'une exploitation dans les grands fonds marins.

Encore une fois, je pense que ceci nous oblige à développer la recherche à ce sujet.

M. Christophe Poinssot. - On commence à voir sortir dans la littérature scientifique des articles sur l'évaluation environnementale d'une potentielle exploitation des grands fonds marins.

Je ne peux qu'encourager à la plus grande prudence. La plupart de ces articles ne se focalisent que sur l'impact en termes de CO2. Au-delà de cet indicateur, on est aujourd'hui devant une feuille blanche. Ne sachant pas comment fonctionnent les grands fonds, c'est une gageure de vouloir évaluer l'impact environnemental d'une quelconque exploitation dans ces environnements. La première étape consiste donc à progresser dans la connaissance.

Mme Vivette Lopez. - Vous avez évoqué le volcan qui a menacé Mayotte.

Depuis quand l'avez-vous découvert ? Comment évolue-t-il ? Existent-ils d'autres menaces de ce type ailleurs ?

D'autre part, on entend souvent dire que nos chercheurs partent à l'étranger parce qu'ils ne sont pas assez considérés ou reconnus en France. Qu'en est-il réellement concernant les chercheurs sur les grands fonds marins ?

M. Christophe Poinssot. - L'île de Mayotte a été brutalement secouée en mai 2018 par un séisme assez significatif.

Le BRGM, qui possède une direction régionale sur place, a été saisi instantanément. Il nous a fallu un peu de temps pour avoir l'explication de cette activité sismique. La confirmation est venue d'une campagne en mer dans les mois qui ont suivi. On a profité du passage d'un bateau de la flotte océanique, et on a découvert, à 50 kilomètres à l'Est de Petite-Terre, un nouveau volcan apparu tout récemment, qui mesure environ 800 mètres de haut par rapport aux fonds marins. On estime que 6 à 7 kilomètres cubes de lave ont été émis. Cela en fait la plus grande éruption volcanique depuis le volcan Laki, au XVIIe siècle, en Islande. Il s'agit donc d'un évènement qui ne se produit pas fréquemment.

Où en est-on aujourd'hui ? Les choses sont suivies de très près grâce à une mobilisation extrêmement forte de tous les établissements de recherche - BRGM, CNRS, Institut de physique du globe de Paris, IRD, IFREMER -, avec une coordination collective qui fonctionne bien.

Nous suivons ce volcan au travers de l'activité sismique et des campagnes en mer qui ont lieu tous les six mois environ. Il continue à être en éruption, mais de manière moins violente qu'au début.

En revanche, on enregistre une activité de type hydrothermale, avec des émissions de gaz, d'eau chaude, etc., qui se sont relocalisées à une dizaine de kilomètres à l'Est de Petite-Terre, sans doute sur l'emplacement d'un ancien volcan, avec une activité croissante dans cette zone à ce stade.

On est en train d'installer, en recourant à un financement dans le cadre du plan d'investissement d'avenir (PIA), un réseau de surveillance permanent au fond de la mer pour avoir un suivi 24 heures sur 24.

Il est très difficile de savoir, à ce stade, comme les choses vont évoluer. Il s'agit d'un événement atypique. Il n'existe pas d'autres cas de ce type.

M. Philippe Charvis. - S'agissant des autres éruptions, il faut bien entendu mentionner Tonga, sur la ceinture de feu du Pacifique, site particulièrement actif.

Rien de similaire ne va arriver en Polynésie ou en Nouvelle-Calédonie, mais il existe des activités très fortes qui peuvent produire des phénomènes catastrophiques difficiles à anticiper, d'où les observations que nous menons.

Pour en revenir aux chercheurs en océanographie, je pense que la France est l'un des grands pays océanographiques, avec les États-Unis, le Japon, l'Angleterre, l'Allemagne et quelques autres. Nous figurons parmi les pays les mieux équipés.

Nous disposons notamment d'une flotte océanographique, gérée par l'IFREMER. C'est un point très important. Un certain nombre de laboratoires sont également impliqués, avec des chercheurs de l'IFREMER, du CNRS, des universités, à Brest, Paris, Nice, Toulouse, Marseille ou Montpellier. Ils travaillent sur différents sujets liés à l'océan, pas tous sur les géosciences, mais sur les ressources minérales ou l'environnement. C'est ce qui fait notre force. Le fait qu'il existe des équipes qui travaillent sur de nouveaux instruments, comme des drones pour ce qui est de l'IFREMER, permet de faciliter l'exploration. On a évoqué l'utilisation des fibres optiques pour l'observation : ce sont des éléments nouveaux qui vont sans doute produire beaucoup de résultats.

On est dans un mercato global : les pays s'échangent des chercheurs, comme les équipes de football, mais nous disposons d'atouts de haut niveau, grâce à nos équipements et à nos laboratoires. Nous avons par ailleurs des compétences dans le domaine de la modélisation, qui nécessite de gros calculateurs.

Tout cela a un coût mais, pour l'instant, je pense que la France fait encore partie du top 10 des grands pays océanographiques.

M. Michel Canévet, président. - Nous ne connaissons pas de problème de recrutement de chercheurs dans le domaine de l'océanographie, compte tenu de la formation...

M. Philippe Charvis. - On se bat toujours pour avoir les meilleurs.

M. Michel Canévet, président. - On a l'impression que les choses avancent difficilement, bien que vous ayez évoqué des enjeux de transition énergétique conséquents et urgents, avec des ressources en matières premières dont beaucoup de nos territoires sont dépourvus, qui permettraient d'engager et de démultiplier cette transition écologique.

Ne serait-il pas souhaitable qu'on puisse avancer dans l'exploitation de ce qu'on connaît aujourd'hui ? Je pense par exemple aux nodules polymétalliques.

M. Christophe Poinssot. - Vous estimez que la France ne dispose pas de beaucoup de ressources. Ce n'est pas tout à fait le cas.

Notre connaissance du sous-sol français est assez ancienne. Elle date de campagnes de caractérisation menées dans les années 1970, avec des techniques qui ne permettaient pas d'aller beaucoup plus loin que quelques centaines de mètres de profondeur et des performances inférieures à celles réalisées aujourd'hui.

Étant donné la structure de notre sol, compte tenu de travaux de métallogénie prédictive, notre pays est plutôt bien pourvu. Le potentiel minier de la France est loin d'être anodin. Il convient de se saisir à nouveau de cette question et de mener une campagne de caractérisation beaucoup plus précise de notre sous-sol.

Les pays scandinaves se sont lancés dans l'exercice il y a quelque temps et ont pu découvrir de nombreux gisements.

Notre potentiel est donc méconnu. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de relancer un programme de caractérisation géophysique aéroportée, qui va démarrer cette année dans le massif central, pour essayer de mieux comprendre et connaître les richesses de notre sous-sol.

S'agissant de l'exploitation des nodules à proprement parler, il me paraît extrêmement important, avant de se lancer dans une campagne à grande échelle, d'avoir une évaluation solide, l'ensemble des points de vue ayant été pris en compte, sur l'impact environnemental que cela pourrait avoir. Il faudra du temps avant que l'on soit capable de connaître la dynamique des grands fonds marins.

Or on sait qu'il existe une urgence en matière de transition énergétique. Sera-t-on en mesure de déployer des technologies nouvelles dans les années qui viennent ? Je crains qu'on ne soit pas au rendez-vous à temps.

M. Philippe Charvis. - Je suis totalement en phase avec ce qui vient d'être dit. Il me semble qu'on devrait se focaliser sur des sites expérimentaux durant quelques années pour avoir une meilleure vision des choses.

Il faut parvenir à se forger un avis sur les gisements. On a mené énormément de travaux sur les grands gisements à l'époque de la prospection pétrolière. Des travaux doivent être menés sur les nodules polymétalliques situés à 5 ou 6 000 mètres de fond. Une connaissance cartographique des gisements est nécessaire.

La transition énergétique ne peut attendre. La ressource sous-marine est-elle le choix le plus adapté ? Cela se discute.

M. Michel Canévet, président. - On dispose sans doute de ressources sur le continent, mais on voit bien, avec les éoliennes, la difficulté à ouvrir de nouveaux chantiers.

Dans mon territoire, il a été fait état d'un gisement de lithium. Les comités de défense de toute nature se sont immédiatement emparés du sujet.

La France possédant le second espace maritime le plus vaste au monde, une action prioritaire est-elle menée pour améliorer la connaissance sur les espaces maritimes dont nous avons la responsabilité ?

Qu'est-ce que cela suppose en termes de moyens ?

M. Philippe Charvis. - C'est un vaste sujet. On a eu, par le passé, des projets internationaux de cartographie des fonds marins dans le cadre de l'extension des zones économiques, mais il s'agissait de travaux assez grossiers.

Je pense qu'on n'a pas aujourd'hui une stratégie nationale concertée d'exploration de notre zone économique exclusive. Sans doute serait-il important d'y réfléchir. Encore une fois, la connaissance des fonds marins ne porte pas seulement sur la topographie. C'est un travail assez long.

La France est relativement performante dans le domaine des développements technologiques instrumentaux, qui demandent des investissements publics mais aussi privés. J'ai évoqué les drones sous-marins, outils essentiels pour acquérir jour et nuit un certain nombre de données, ou l'utilisation des câbles optiques de télécommunications. D'autres dispositifs restent éventuellement à inventer. Il y a vraiment là un volet de développement technologique fondamental, l'exploitation marine demandant des moyens très modernes. Cela avance sans arrêt, et nécessite des moyens renouvelés.

M. Christophe Poinssot. - Vous évoquiez l'opposition qui se manifeste dès que l'on parle d'un projet minier en France.

Une partie de nos concitoyens ont oublié que, derrière tous les services et les développements numériques, il existe une réalité physique : l'essentiel des activités extractives ne se situe pas en France et reste donc invisible. Elles sont souvent menées dans des pays lointains, avec un impact environnemental d'ailleurs assez fort.

Le débat que vous ouvrez me paraît très important et doit, de mon point de vue, appeler deux réponses. Tout d'abord, il faut que l'on prenne conscience que même l'usage de nos téléphones et de nos réseaux informatiques nécessite des ressources importantes. Tout prélèvement de ressources, quelle que soit la méthode, aura un impact environnemental.

On a intérêt à investir dans cette notion de mine responsable. Sans doute sera-t-il, à terme, préférable d'exploiter proprement chez nous, plutôt que de le faire très loin, de manière non contrôlée. Pour une partie de l'opinion publique, prélever ces ressources minérales dans de grands fonds marins éloignerait les impacts de notre environnement visible, alors qu'on détruira peut-être des environnements plus importants pour la biodiversité et l'avenir de la planète que dans le fond de nos jardins.

Il faut rester vigilant sur ce syndrome NIMBY, qui conduit à avoir une réaction moins violente lorsque les choses se déroulent loin.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Une étude de l'IRD de 2019 a démontré la possibilité de détecter la propagation d'ondes sismiques grâce aux câbles sous-marins de télécommunications. Ces câbles pourraient-ils contribuer à une meilleure connaissance des grands fonds marins ?

A-t-on envisagé de développer les technologies embarquées sur ces câbles et d'améliorer le multiusage, au-delà de la fonction de transport des télécommunications ? Existe-t-il des projets en cours dans ce domaine ?

Par ailleurs, des hydrocarbures sont-ils, selon vous, présents dans les grands fonds marins ? Quel serait leur degré d'exploitabilité ?

Enfin, le belge GSR ou le canadien The Metals Company sont aujourd'hui positionnés dans la course aux grands fonds marins. Avez-vous connaissance de leurs initiatives ? Les États sont-ils derrière ? On l'imagine, compte tenu des sommes engagées...

Quel est votre avis quant à la prise en compte des enjeux environnementaux par ces champions étrangers ?

M. Christophe Poinssot. - Vous avez raison concernant l'utilisation des câbles comme possibles détecteurs de séismes et, par là même, comme moyen pour sonder la structure de la couche du sous-sol océanique. C'est une technique encore balbutiante. On est dans les premières étapes de développement.

Des choses similaires ont été faites à plus petite échelle pour caractériser des ouvrages en génie civil ou des ouvrages souterrains. Cela fait partie des techniques qui ont été envisagées pour caractériser un stockage de déchets nucléaire, mais à l'échelle de quelques dizaines ou centaines de mètres. C'est le même principe physique. Il y a un vrai potentiel qui mérite d'être étudié.

Il peut en effet y avoir des hydrocarbures dans les grands fonds marins. Pour la transition énergétique, il vaut mieux qu'ils restent où ils sont !

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Cela peut susciter des appétits.

M. Christophe Poinssot. - En effet. Pour ce qui est des entreprises étrangères, je n'ai pas d'information.

M. Philippe Charvis. - Plusieurs de nos chercheurs de très haut niveau sont impliqués dans le dossier des câbles sous-marins, mais il n'y a pas que l'IRD qui travaille sur ce sujet. Des collègues du CNRS et de l'Observatoire de la Côte-d'Azur sont aussi très impliqués.

Il se trouve que c'est un domaine sur lequel j'ai travaillé. Nous avons une certaine expérience sur les dispositifs d'écoute marine ou les bouées dérivantes.

S'agissant des câbles de fibre optique habituellement utilisés pour les télécommunications, il existe deux technologies. L'une permet de mesurer des déformations, des températures et d'enregistrer les ondes sismologiques. La fibre optique joue le rôle de capteur et permet de réaliser des mesures à des intervalles très proches - tous les dix mètres sur plus de 150 kilomètres à partir de la côte.

Un certain nombre de projets sont en cours, en particulier à l'Observatoire sous-marin de Mayotte, dans le cadre du PIA 3 Marmor. Un projet en mer de Ligurie est porté par des collègues de mon laboratoire, à Nice. Un projet en sismologie vient d'être financé au Chili, porté par Diane Rivet, de l'Observatoire de la Côte-d'Azur.

Plusieurs projets sont financés dans le cadre du PEPR « Un océan de solutions », ou par l'ANR, principalement portés par Anthony Sladen, du CNRS ou des collègues de l'IRD.

La seconde technologie est souvent appelée « smart cable », le mot « smart » signifiant « science monitoring and reliable communications ». Un amplificateur présent sur le câble tous les 100 kilomètres permet au signal optique d'être reçu de l'autre côté de l'océan.

Chaque amplificateur peut recevoir des capteurs environnementaux - mesures de la chimie, températures, vitesse du courant, etc. Il existe en particulier un projet de déploiement d'un câble de télécommunication par l'Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie entre la Nouvelle-Calédonie et le Vanuatu, sur lequel nous souhaitons développer un certain nombre de capteurs environnementaux.

Ce sont des technologies très compétitives. Nous avons connu un certain succès avec des financements de jeunes chercheurs - et c'est très bien.

Il faut dire que toutes les grandes universités américaines, japonaises, etc. développent ces capteurs et mettent des millions d'euros sur la table. Nous sommes cependant encore dans la course, car nous sommes créatifs.

Je pense que c'est l'avenir : ces câbles sillonnent déjà l'océan, et on va pouvoir réutiliser éventuellement d'anciens câbles qui ne seraient plus utilisés pour des raisons d'obsolescence. C'est un peu sensible, car il ne faut pas qu'on puisse espionner ce qui se passe à l'IRD, mais quand on déploie un nouveau câble, on peut sanctuariser un certain nombre de fibres pour travailler dessus.

Il faut bien avoir conscience que ces sujets ne vont pas aboutir dans six mois, mais plutôt dans cinq à dix ans. Pour l'instant, c'est encore expérimental.

M. Michel Canévet, président. - Les acteurs privés comme les Belges ou les Canadiens sont-ils actifs dans le domaine de l'exploration marine s'agissant des ressources minérales ?

M. Philippe Charvis. - Des acteurs privés ont en effet émergé. L'installation de ces câbles requiert évidemment une technologie très particulière.

M. Christophe Poinssot. - Certains pays comme le Canada, l'Australie, la Chine, etc. sont très investis industriellement en matière de ressources minérales, vraisemblablement aussi bien à terre qu'en mer, mais je n'ai pas d'exemple précis.

M. Michel Canévet, président. - L'enveloppe prévue dans le cadre de France 2030, de l'ordre de 300 millions d'euros, vous semble-t-elle de nature à satisfaire les ambitions que l'on vient d'évoquer pour améliorer la connaissance de l'ensemble des fonds marins ?

M. Christophe Poinssot. - Toute la difficulté est d'accéder aux grands fonds marins. Cela représente un coût, étant donné la complexité des technologies à mettre en oeuvre. Je n'ai pas d'idée de ce que peuvent coûter des opérations à ces profondeurs, habitées ou via des drones, mais je pense que cela permettra de faire progresser très significativement notre connaissance de ces environnements. Je ne puis toutefois dire si ce sera suffisant.

M. Philippe Charvis. - À titre de comparaison, le coût de construction du navire de 40 mètres évoqué pour aller dans le Pacifique, qui est de taille relativement modeste, représente environ 30 à 35 millions d'euros. Il faut ensuite financer l'opération.

M. Michel Canévet, président. - Cela représente 10 % de l'enveloppe.

M. Philippe Charvis. - Cela me paraît suffisant pour commencer. France 2030 concerne surtout le volet industriel. On évoque ici le volet relatif à la recherche...

M. Michel Canévet, président. - En effet. Merci d'avoir participé à cette audition. N'hésitez pas à nous faire parvenir par écrit vos éventuelles observations complémentaires.

Nous pensons rendre notre rapport à la fin du premier semestre 2022. Votre éclairage nous est très utile.

La réunion est close à 18 h 35.

Mercredi 2 février 2022

- Présidence de M. Michel Canévet, président -

La réunion est ouverte à 17 heures.

Audition de MM. Francis Vallat, président d'honneur et Alexandre Luczkiewicz, responsable des relations et des actions Outre-mer, Cluster maritime français

M. Michel Canévet, président. - Je remercie le président Francis Vallat d'être présent aujourd'hui devant la mission d'information du Sénat sur les grands fonds marins.

Vous êtes, M. Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français (CMF), dont vous présidez le groupe de travail sur les grands fonds marins depuis une douzaine d'années. Le Cluster maritime français rassemble tous les protagonistes de l'écosystème maritime. C'est une entité importante pour la concertation entre les différents acteurs.

Comme vous le savez, le gouvernement a décidé de relancer sa stratégie sur les grands fonds marins qui constitue l'une des priorités du plan France 2030. Cette stratégie requiert des moyens financiers importants. Les entreprises ont besoin de visibilité. L'environnement actuel vous paraît-il favorable à l'investissement ? Les grands fonds marins demeurent très mal connus. Or ils recèlent un certain nombre de matières premières qui pourraient se révéler stratégiques pour accélérer la transition énergétique. Il serait intéressant également que vous évoquiez les coopérations internationales susceptibles de se mettre en place dans ce domaine.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - L'océan est une cause que nous défendons communément avec passion. La stratégie nationale d'exploration et d'exploitation minières des fonds marins a mobilisé beaucoup d'acteurs. Le président de la République a annoncé le plan d'investissement France 2030, dont le dixième objectif comprend 300 millions d'euros d'investissement pour les grands fonds marins. Je sais que vous avez participé activement à la mise en place de cette stratégie nationale au travers des groupes de travail animés par le Secrétariat général de la mer. Quel bilan en tirez-vous ? Comment vous projetez-vous à l'horizon de 2030 ? Quelles sont les lacunes éventuelles de cette stratégie ? Suivez-vous par ailleurs le sujet du « démonstrateur » et que pouvez-vous nous en dire ?

Le Cluster maritime français a mis en place un échéancier en dix phases pour passer d'une exploration à une éventuelle exploitation. Où en êtes-vous ? Quels constats en tirez-vous à ce stade ? Quelles sont les synergies entre ce programme de travail et la stratégie nationale lancée par l'État ?

L'exploration des grands fonds marins est assurée, pour ce qui concerne les espaces maritimes français et les permis d'exploitation confiés par la France à l'AIFM, par des instituts de recherche publics, à titre principal l'Ifremer. Quel rôle peut jouer le secteur privé français ? L'intérêt du Cluster maritime français est, me semble-t-il, de faire travailler ensemble les acteurs publics et privés.

Vous avez mentionné à plusieurs reprises, lors de vos interventions publiques, les campagnes d'exploration minière dans les eaux de Wallis et Futuna, qui se sont tenues dans les années 2010. Ces campagnes furent d'un aveu commun, notamment celui du Secrétariat général de la mer, que la mission a auditionné mi-janvier, un échec, sous l'angle de la communication, de la concertation et de la mobilisation des populations locales. Partagez-vous ce constat et quelles raisons voyez-vous à cet échec ? Quelles leçons peuvent en être tirées afin de procéder différemment dans ce Grand Pacifique qui me tient à coeur ?

Certains permis d'exploration ont été accordés par l'AIFM à des entreprises, sous le patronage d'États tels que la Chine, Tonga, le Royaume-Uni ou le Japon. Dans l'hypothèse où la France ferait le choix d'associer le secteur privé à l'exploration, disposerait-t-elle d'entreprises au savoir-faire suffisant ? Quelles sont les coopérations envisageables au plan international ?

Une dernière thématique, à laquelle je sais que vous êtes particulièrement sensible, est celle de la pollution des grands fonds marins. Votre engagement contre la pollution marine, en particulier celle liée aux « navires poubelles » et aux dégazages en mer, est connu de longue date. Que connaissons-nous aujourd'hui de la pollution des grands fonds marins ?

M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français. - Merci de cette invitation et de vos questions. Quand j'ai créé le Cluster maritime français en 2005-2006, mon ambition était de rassembler les acteurs du monde maritime, nombreux, à qui il était temps de donner une voix. Deux axes ont guidé cette action : servir l'intérêt général et s'engager pour le Développement Durable. Si les océans meurent, en effet, la Terre et l'humanité suivront. Mais il faut aussi assurer une vie décente à une population mondiale en croissance. C'est ce qui fait du Développement Durable une nécessité absolue. Ce que je vais vous dire correspond à des engagements concrets. Il ne s'agit pas de communication.

Nous avons alors réalisé, avec Alexandre Luczkiewicz, qu'un certain nombre de pays s'intéressaient de près aux permis en haute mer, prévus par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) de Montego Bay en décembre 1982. Nous avons donc incité le gouvernement de l'époque à se rapprocher de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) et à réserver deux zones sur la dorsale atlantique.

Au fil des années, nous avons travaillé avec une centaine d'acteurs de toute taille. Nous rassemblons autour de la même table aussi bien des entreprises que des organismes publics ou de recherche tels que l'Ifremer, ou des ONG ou des administrations. Nos groupes de travail sont donc très représentatifs.

Au terme de quelques années de travail, en 2015, une première stratégie de la France pour les grands fonds marins a été élaborée par le Secrétariat général de la mer, en lien avec nous. On peut même parler de co-écriture au sens littéral. Ce travail commun a suscité un gros espoir. Malheureusement, cela n'a donné lieu à aucun contenu, aucun suivi matériel. Les cabinets des différents ministères s'en sont désintéressés. Cela traduit un manque de prise de conscience de notre pays quant à l'importance des enjeux.

Malgré tout, nous avons avancé avec des initiatives communes, comme le partenariat public-privé pour une campagne d'exploration à Wallis et Futuna, qui a donné lieu, en collaboration avec l'Ifremer, le BRGM, l'Agence des Aires Marines Protégées, Technip ou Eramet, à des investissements privés de l'ordre de 10 millions d'euros. Ces investigations liminaires ont abouti à des indices forts de présence sur site de mélanges sulfurés.

L'échec majeur subi à Wallis et Futuna est avant tout la conséquence d'une remarquable impréparation. Il faut admettre que l'approche des personnalités locales par l'administration hexagonale a été des plus maladroites, légitimant les pires soupçons. La délégation venue de métropole a été accueillie avec des pancartes de protestation et a quasiment dû rebrousser chemin sans pouvoir dialoguer. De cette maladresse, il conviendra de tirer des leçons.

En 2019, Jean-Louis Levet a été nommé au Secrétariat général de la mer comme conseiller spécial pour la stratégie nationale des grands fonds marins, pour donner enfin du contenu à la stratégie.

Entre temps, nous avions été contactés par des États et des opérateurs étrangers. Nous avions identifié dix phases de travaux très complexes pour passer de l'exploration à la production en respectant l'environnement. Nous étions alors le seul pays au monde à disposer de leaders mondiaux sur ces dix phases ! La motivation du Cluster était double : premièrement, donner à la France des chances de figurer en bonne place dans la connaissance du milieu marin et des ressources ; deuxièmement, lui permettre de vendre des services à forte valeur ajoutée et créateurs d'emplois aux nombreux pays intéressés par ces sujets. Nous avons été contactés par des Japonais et par des Allemands (au plus haut niveau : réception au Cluster, à Paris, d'une délégation menée par le ministre fédéral en charge accompagné de professionnels industriels et autres), qui nous ont invités à travailler en commun pour mutualiser les coûts et les risques. Nous avons donc signé un accord avec le cluster allemand DeepSea Mining Alliance (DSMA). Depuis cette date, chaque fois que se produit un changement de gouvernement en Allemagne, le ministre en charge du deep sea mining nous contacte et vient à Paris. Cela montre l'importance que les Allemands prêtent aux fonds marins,

Le travail de M. Jean-Louis Levet et du SG Mer doit être salué. Le groupe de travail est parvenu à faire travailler ensemble les sept administrations des ministères concernés, tous les instituts et nous-mêmes, y compris lors des périodes de confinement, durant lesquelles de nombreuses réunions de travail se sont déroulées. Ce travail a débouché sur le rapport présentant la « nouvelle » stratégie française des grands fonds, que nous avons tous approuvé après des débats substantiels. Cette stratégie a été validée par un Comité interministériel de la mer (CIMer) en janvier 2021, au cours duquel les priorités ont été arbitrées, dans le cadre d'un plan sur dix ans, comprenant les différentes étapes, le calendrier et les crédits correspondants. Cela ne pouvait que nous satisfaire.

Mais alors que toutes les administrations avaient contribué au rapport (faisant finalement consensus) et que chacun des ministres concernés avaient reçu des instructions formelles, rien n'a été entrepris. Jean-Louis Levet n'a même pas pu disposer de l'équipe nécessaire qui était pourtant certaine. Et cela malgré les lettres de relance du Premier ministre aux différents ministères, leur demandant de s'engager sur une période de trois ans.

Pour nous, il était important que cette stratégie aboutisse. Les engagements représentaient de 310 à 360 millions d'euros sur dix ans. La déception et l'inquiétude ont fini par l'emporter. Je suis fier de représenter tous ces acteurs qui ont énormément travaillé, et qui sont tous sollicités par des entreprises étrangères. Ils sont attachés à la France dont en particulier à l'Outre-mer. Nous avons d'ailleurs fait le nécessaire pour que soient créés des clusters maritimes dans chacun des territoires d'Outre-mer. Nous étions donc extrêmement déçus pour toutes ces entreprises, que nous avions réussi à convaincre qu'il restait encore une chance de faire aboutir ce qui avait été décidé en France, avec la nomination de M. Levet puis avec la publication de la stratégie assortie d'instructions du chef du gouvernement. Désormais, il y a le plan France 2030. Mais ce plan n'est en réalité pas du tout couplé avec la stratégie. Celle-ci n'a donc pas reçu d'application globale à ce stade.

Sur l'aspect budgétaire, alors qu'il devait y avoir confirmation des engagements budgétaires ministère par ministère, il nous a finalement été demandé de passer par le quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA4), c'est-à-dire de candidater par concours, avec les aléas que cela comporte, et avec 30 % (au mieux) de financements apportés par État. Jamais la filière nucléaire ou les énergies marines renouvelables n'auraient pu exister de cette façon...

C'était un contre-message : alors que le secteur privé avait déjà investi des fonds - notamment dans l'aventure de Wallis et Futuna - l'État employait une méthode qui était finalement l'inverse de l'affichage d'une stratégie.

Notre engagement insistant pour que quelque chose soit fait, a ensuite abouti à ce que les grands fonds marins soient pris en compte dans France 2030. Mais, entre la stratégie et le plan d'investissement, qui nous redonne une chance, il n'y a aucun couplage.

Ce plan d'investissement comporte des points positifs et des éléments inquiétants.

Parmi les points positifs, il faut citer en premier lieu la volonté exprimée par le président de la République de faire émerger des acteurs français industriels dans le domaine de l'exploration des grands fonds, pour que la France soit capable de produire des outils de rupture. Aujourd'hui, nous ne disposons pas des outils pour aller dans les grands fonds. Mais nous disposons de toutes les technologies indispensables pour construire ces outils, quels que soient les défis qu'identifiera la recherche, pour aller à 6 000 mètres. C'est un objectif que partage d'ailleurs la marine, en raison de la présence de câbles sous-marins à cette profondeur.

L'autre point positif, c'est que l'État s'engage financièrement. Nous avons besoin de commande publique. La commande publique nous donne de la lisibilité, contrairement au PIA4. La réalité, c'est qu'aucun industriel ni aucun institut n'investira dans une activité aussi aléatoire et aussi prometteuse si l'État ne garantit que 20 ou 30% des risques.

Mais de nombreuses inconnues entourent encore France 2030. Incompréhensiblement le mot de « démonstrateur pilote » ne peut plus être prononcé sans déclencher des protestations, alors qu'initialement il s'agissait d'une demande des défenseurs « officiels » de l'environnement. Nous n'en sommes pas du tout au stade d'une éventuelle exploitation. Nous avons pris l'engagement que rien ne serait entrepris dans les grands fonds marins tant que la connaissance et la recherche ne permettraient pas de définir à coup sûr une méthode adaptée et des modes de contrôle permettant de protéger les écosystèmes. La génération des dirigeants d'aujourd'hui a bien conscience des enjeux environnementaux. Elle est prête à se soumettre à tous les contrôles nationaux ou internationaux jugés indispensables. En outre, ces dirigeants ne prendront pas le risque de s'engager dans des investissements conséquents sans garanties sur la durabilité des opérations.

Le fait de ne pas pouvoir parler du démonstrateur est donc très étonnant. Ce démonstrateur a été discuté au sein du groupe de travail conduit par M. Levet, notamment - je le répète - à la demande des représentants environnementaux, pour mesurer les impacts d'éventuelles activités dans les grands fonds marins. Le démonstrateur a donc été conçu pour comprendre les interactions avec les écosystèmes sous-marins, analyser les impacts possibles, et in fine protéger les grands fonds. Tout ceci avec l'implication active du ministère de la transition écologique.

Par ailleurs, autre sujet avec France 2030, comment garantir que les outils seront français ? Nous sommes en Europe. Il faudra être très attentif aux procédures sur ce point car de nombreux acteurs sont sur les rangs dans un monde concurrentiel.

Enfin, le plan France 2030 est moins bien doté financièrement que la stratégie « grands fonds marins ». Le montant est le même : 300 millions d'euros, mais sur une durée de huit ans. Et il existe une concurrence peu compréhensible et des querelles de pouvoir ou de pré-carré entre ministères. Normalement, France 2030 n'est pas conçu pour financer les plans de recherche ni pour abonder le capacitaire des armées (sauf éventuellement dans des cas très précis d'outils duaux). C'est un plan pour l'industrie, pour des outils. Nous sommes donc dans une compétition qui ne correspond plus au cadre de la stratégie définie par le CIMer début 2021.

Pardon d'y revenir mais même si nous ne souhaitons pas bloquer le processus en insistant sur le démonstrateur, la frustration est grande. C'est une erreur d'y renoncer alors que ce démonstrateur pourrait être une référence mondiale, une « première », et la France s'en prive.

Sur les dix phases de travaux techniques éventuels répertoriés dans notre matrice, évoquée en introduction, nous sommes à la phase zéro. Cette matrice est confidentielle. Elle fait état de notre savoir-faire national et des possibilités de coopération internationale. Dix phases sont identifiées, de l'exploration à la production, avec des paliers de validation, selon un système de « cliquets » permettant de ne pas s'engager, jamais, dans un processus irréversible. Cette matrice n'est donc pas un échéancier mais à la fois une méthode de travail et un support d'identification des acteurs concernés. Nous avons d'ailleurs identifié une cinquantaine d'entités de toutes tailles, prêtes à s'investir. L'État doit désormais prendre ses responsabilités.

Comme nous l'avons vu, le rôle du secteur privé a été très moteur. Je ne sais pas à quel moment l'État se serait impliqué si nous n'étions pas intervenus. A bien des égards, nous (certaines entreprises) jouons ou pouvons jouer un rôle de sous-traitants des instituts tels que l'Ifremer. Nous avons intérêt à nous répartir le travail, en développant la complémentarité des moyens et des compétences. C'est évident entre la société Abyssa et l'Ifremer par exemple. Un consortium important d'acteurs privés est d'ailleurs en train de se créer. Nous travaillons ainsi en complète confiance avec l'Ifremer. Mais nos entreprises travaillent aussi avec des pays comme la Norvège, le Portugal, la Pologne. Cela doit permettre, du moins peut-on l'espérer, de créer enfin la filière sous leadership français que nous appelons de nos voeux et qui bénéficiera de toutes les complémentarités mises en place entre instituts et entreprises privées.

La première campagne de Wallis et Futuna avait été en elle-même un succès. Elle a été réalisée sans préparation particulière. Sur place, les membres du consortium de l'époque (donc Eramet, Technip, Ifremer, BRGM et l'Agence des Aires Marines Protégées) étaient présents sur le bateau de l'Ifremer. Les responsables wallisiens ont été reçus à bord et, de façon informelle, tout s'est bien passé. Puis, comme vous le savez, il y a eu l'échec de la deuxième mission, menée par l'Institut de recherche pour le développement (IRD), pas de leur fait à eux bien sûr. Le ministère des outre-mer a commis des erreurs. Il aurait fallu expliquer pourquoi l'État n'évoquait pas encore la répartition des éventuelles richesses ; expliquer pourquoi et comment l'État veillerait à ce que l'environnement ne soit pas abîmé. Pour les habitants de Wallis et Futuna, une partie des mers est sacrée « religieusement ». Il aurait fallu mieux prendre en compte cette dimension culturelle et coutumière, expliquer qu'avant de poser la question de la répartition des richesses, il convenait déjà de savoir si des ressources étaient présentes et exploitables de façon respectueuse sur le plan environnemental etc...etc.

La leçon que nous en avons retirée c'est qu'il faut prendre du temps, expliquer, et surtout tenir un langage de vérité. Car le résultat de cette campagne, c'est que Wallis et Futuna a demandé un moratoire de cinquante ans sur l'exploration et l'exploitation.

Pour répondre à une autre de vos questions, Monsieur le Rapporteur, il faut bien entendu que les entreprises privées soient associées aux travaux d'exploration. Comme je le disais tout à l'heure, il faut développer des complémentarités et bâtir une vraie équipe de France. Concernant la pollution, il faut admettre que nous ne savons rien ou trop peu. C'est pourquoi nous avons besoin d'exploration et de connaissance. Le chef de l'État a affirmé de manière très claire qu'un moratoire sur la connaissance relèverait de l'obscurantisme, au nom même de la défense des océans. Comment prétendre défendre les océans sans les connaître ? Qui dit exploration ne dit pas nécessairement exploitation. Il suffit de mettre des garde-fous, d'avoir des acteurs qui prennent des engagements, et de veiller à ce que l'État et les régulateurs jouent leur rôle. On ne connait que 5 % des fonds au maximum. Il y a 20 ou 30 ans, on pensait qu'il n'y avait pas de vie dans les abysses, alors qu'elle y est foisonnante sous de multiples formes. On observe que le plastique peut descendre à des profondeurs abyssales mais on ne sait pas quelle est la qualité de l'eau en profondeur. Les courants se modifient probablement, à l'instar du Gulf Stream, mais on ignore si c'est la cause ou la conséquence du dérèglement climatique. Toutes ces inconnues rendent l'exploration nécessaire.

M. Alexandre Luczkiewicz, responsable des relations et des actions Outre-mer, Cluster maritime français. - Les permis qui sont délivrés par l'AIFM le sont à des États membres qui peuvent décider de transférer ces contrats à des sous-traitants. Je crois que vous allez bientôt auditionner Olivier Guyonvarc'h, ambassadeur de France à la Jamaïque et représentant de la France à l'AIFM. Il ne manquera pas de vous éclairer sur le sujet.

La France dispose aujourd'hui de deux permis : l'un dans la zone Clarion-Clipperton sur les nodules et un autre sur la dorsale médio-atlantique concernant les sulfures. Les pays peuvent sous-traiter ces permis d'exploration à des organismes de recherche océanographiques ou à des sous-traitants privés, comme c'est le cas pour la Chine, Tonga, le Royaume-Uni, le Japon, la Russie ou la Corée du sud, ainsi que la Pologne, l'Allemagne ou les îles Cook. Il est intéressant d'identifier les différents modèles mis en place. Beaucoup d'États décident de sous-traiter à des entreprises du secteur privé en complément de leurs organismes de recherche.

S'agissant de la coopération entre les entreprises françaises ou étrangères, et comme l'a dit Francis Vallat, la France a établi des liens avec les Japonais, avec la DeepSea Mining Alliance allemande ou avec la Norvège. Des coopérations avec d'autres pays sur les permis internationaux sont tout à fait envisageables.

M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français. - Des scénarios de coopération sur les permis internationaux ont en effet été travaillés.

Il est possible de renverser la situation. Les grands fonds marins inquiètent et c'est normal : personne ne veut abîmer des océans déjà fragiles qui représentent 60 % de la machine climatique. Les océans sont une immensité qui représente 71 % de la surface terrestre. En même temps, c'est un univers limité et fragile. Nous pourrions faire du dossier des fonds marins un dossier exemplaire de ce que peut être le développement durable, en travaillant en transparence, en introduisant ce que j'appellerais un moratoire conditionnel. Si l'on prend les précautions indispensables. On pressent, avec les connaissances disponibles, que les minerais sulfurés peuvent, par exemple, posséder des densités représentant jusqu'à cinquante fois celles des minerais terrestres. Tout ce qui apparaissait comme de la science-fiction il y a 15 ans apparaît aujourd'hui comme possible. Ce serait irresponsable de le négliger mais ça ne veut pas dire qu'il faut le faire à tout prix ou de manière irresponsable.

Il faut aussi évoquer la question des minerais stratégiques qui, à l'instar des terres rares, revêt une importance cruciale. Nous dépendons par exemple de la Chine pour les terres rares ; de la République démocratique du Congo pour le cobalt. La croissance démographique exigera de trouver des métaux dont on sait qu'ils sont présents au fond des océans. Il faudra aller étudier s'il est possible d'aller les chercher en respectant l'environnement.

On peut d'autant plus poser cette question que le monde a changé. Les générations nouvelles ont parfaitement compris ce que les Pères fondateurs de la convention de Montego Bay ont mis en place, à savoir que la haute mer est un bien commun de l'humanité. Un reversement aux pays en voie de développement est donc prévu. C'est un mécanisme unique dans l'histoire de l'humanité. De la pédagogie et du courage seront nécessaires. Mais je pense possible d'avancer ainsi de manière exemplaire dans l'esprit des Pères fondateurs.

M. Michel Canévet, président. - Je vous remercie. Votre exposé nous a permis de mieux comprendre l'histoire du Cluster maritime français et de mieux appréhender les difficultés de mise en oeuvre de la stratégie française en matière de grands fonds marins. La volonté affichée doit se traduire concrètement par des actes. Il convient donc de définir les orientations souhaitables pour concrétiser nos ambitions légitimes en la matière.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Merci pour ces éclairages passionnants. Vous avez évoqué le partage des richesses avec les pays en développement. Cela m'amène à poser la question de l'économie des territoires et des collectivités d'outre-mer. La crise sanitaire a montré la nécessité de diversifier ces économies fortement dépendantes du tourisme. La crise économique a été d'autant plus aiguë dans ces mono-économies qu'elles dépendent fortement, non seulement du tourisme, mais aussi des transferts financiers publics.

Ces territoires ultra-marins font face à un paradoxe : d'un côté, un rapport particulier au sacré, à la nature, à l'environnement ; et de l'autre, la nécessité de diversifier les économies locales. À mon sens, ces deux aspects ne sont pas contradictoires. La course internationale en haute mer afin de décrocher des permis et de se positionner sur des zones qui ne sont pas localisées dans la ZEE française pourrait faire craindre une mise à l'écart, au moins dans une première phase, de nos collectivités d'outre-mer. Nous aurions l'impression de voir passer une comète. En d'autres termes, tout espoir de retour sur le plan économique serait-il vain ? Les territoires ultramarins pourront-ils être associés à la stratégie en servant par exemple de base de mise en oeuvre pour des technologies et solutions ?

M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français. - Votre préoccupation est parfaitement légitime. Nous avons déjà évoqué le sujet au sein du Cluster pour voir ce qui pouvait être envisagé. Premièrement, il y a la question des encroûtements cobaltifères au large de la Polynésie. S'il s'avère, à la suite de l'exploration, qu'ils peuvent représenter une réelle opportunité pour le territoire polynésien, la question du partage des richesses se posera. Il faut espérer que les leçons de Wallis et Futuna auront été retenues. La protection des fonds, des eaux, le respect de ce que sont les Polynésiens, ainsi que le partage des richesses éventuelles seront les questions majeures qui se poseront.

Concernant les perspectives de développement industriel in situ : je pense qu'il n'y aura jamais dans un territoire d'outre-mer - à cause de leur situation géographique - de site industriel énorme pour, par exemple, développer et fabriquer des outils lourds et de pointe, car cela exige l'existence de tout un tissu industriel.

En revanche, s'agissant de la Polynésie, le port de Tahiti, par exemple, est bien placé pour constituer une base maritime dans le Pacifique, non seulement pour les activités des entreprises française, mais aussi pour celles des États environnants, notamment les îles Cook. Nouméa est, de la même façon, remarquablement placée dans le Pacifique ouest, avec la proximité de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie.

Globalement, si l'exploitation se révélait possible dans le respect de l'environnement, les industriels misent sur la création de centaines de milliers d'emplois de toutes catégories dans le monde. Il s'agirait d'une véritable révolution industrielle. D'où la nécessité absolue de la corréler au souci de l'environnement, afin de dissiper les craintes légitimes.

Pour répondre à votre question, Monsieur le Rapporteur, la Polynésie ne constituera jamais, à mon sens, une base industrielle au sens traditionnel du terme. Mais des développements économiques considérables y sont parfaitement possibles au service de toute cette zone maritime.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Nous connaissons votre engagement pour préserver l'environnement. Cette préoccupation est-elle une exception française ? La France a-t-elle un rôle moteur à jouer dans ce domaine ?

M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français. - Dans les ZEE nationales, il n'existe guère de moyen de contrecarrer l'action des États. L'expédition Nautilus en Papouasie Nouvelle Guinée est le type même du contre-exemple. Mal préparé, le projet, dont les moyens mis en oeuvre étaient d'ailleurs contestables voire choquants, a fait faillite. En mer de Chine, inutile de dire qu'il sera difficile de procéder à des contrôles...

En revanche, dans les ZEE de nos partenaires, il sera de plus en plus difficile d'agir en se camouflant. Tout se voit, rien ne peut se réaliser à la sauvette. Là où la réglementation ne sera pas assez forte, la pression politique pourra l'être. Il s'agit peut-être d'un excès d'optimisme de ma part, mais quand nous avons commencé le combat contre le dégazage et le déballastage sauvages à la mer, personne n'y croyait, tant les forces contraires étaient puissantes. Le combat a pourtant été victorieux et, du fait de la réglementation, de la meilleure connaissance, du poids des sanctions, il n'y a quasiment plus de dégazage dans les eaux européennes. Repensons aussi à la couche d'ozone, dont tout le monde pensait qu'on n'y arriverait jamais. Tous les combats méritent d'être menés.

Concernant le modèle français de préservation des océans, il faut noter que nous avons convaincu les Allemands en ce qui concerne le comportement vis-à-vis des grands fonds marins, ce qui n'est pas rien. Par ailleurs, il faut savoir que le code minier de l'AIFM, qui verra probablement le jour en 2023, sera probablement extrêmement strict du point de vue environnemental (à vérifier bien sûr). Certaines ONG sont plus puissantes, plus présentes à Kingston, disposent de plus de moyens et sont mieux organisées que les États sur ce dossier. En outre avec les réseaux sociaux, tout se sait, la transparence est là. Personne ne s'exposera au risque de tout perdre. La France n'est pas seule dans ce combat, d'autres pays tiennent le même langage vertueux, et, sans excès d'optimisme, on peut avancer que tous les pays devront se conformer peu ou prou aux règles en vigueur.

M. Alexandre Luczkiewicz, responsable des relations et des actions Outre-mer, Cluster maritime français. - Pour compléter le panorama de ce qui se pratique à l'international, on peut citer l'Inde qui est en train d'élaborer un code environnemental. La Norvège a déjà mené deux campagnes d'exploration à l'aide d'AUV (Autonomous Underwater Vehicle) dans ses eaux territoriales concernant les sulfures hydrothermaux. Les Japonais ont également testé des outils dans leurs eaux territoriales. Ces États sont scrutés de très près sur la façon dont ils dirigent ces travaux. Les Norvégiens se servent du foncier dont ils disposent - à savoir tous les minerais stratégiques des fonds marins ? pour accompagner leur transition post-pétrole. L'or gris succédera ainsi peut-être à l'or noir avec les précautions nécessaires pour que cette exploitation soit durable.

M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français. - C'est une chance de compter la Norvège parmi les pays en pointe car, outre le fonds souverain dont elle dispose, c'est l'un des États les plus fiables du monde du point de vue environnemental.

M. Alexandre Luczkiewicz, responsable des relations et des actions Outre-mer, Cluster maritime français. - Dans la démarche générale des contractants à l'AIFM, il faut aussi tenir compte de ce que pointe le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie, à savoir la demande croissante en matières premières destinées à accompagner la transition écologique et la neutralité carbone. Celle-ci engendrera une multiplication par 40 de la demande de minerais critiques ou stratégiques.

M. Michel Canévet, président. - Vous avez beaucoup évoqué les difficultés à avancer dans notre pays depuis 2015. Il y a eu, cependant, depuis lors, l'annonce de France 2030. Comment verriez-vous s'organiser le pilotage de la stratégie française ? Est-ce le rôle du ministère de la Mer de la piloter ou celui du Secrétariat général de la mer ? Comment associer l'ensemble des parties prenantes ? L'État ne peut tout faire seul. Les États membres de l'UE ayant déjà de nombreuses compétences dans le domaine maritime, une stratégie européenne est-elle envisageable en mobilisant les forces vives de chacun des États ?

M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français. - En tant que cluster, il est dans notre rôle de rassembler et de représenter les acteurs privés. En France, de manière générale, les acteurs privés et publics se connaissent bien depuis fort longtemps. Il y a d'ailleurs des consortiums à dominance française qui sont en cours de discussion. Je vous recommande à ce sujet d'auditionner les dirigeants de l'Ifremer ou de sociétés comme Abyssa, ou encore Technip FMC, qui a des contacts avec des Européens.

Il faudra travailler avec les Européens, mais l'Union européenne a des actions ponctuelles et parfois contradictoires. Il n'existe pas aujourd'hui de vraie stratégie de l'UE en la matière.

S'agissant de l'État, il est évident que le ministère de la Mer doit figurer au premier rang. À la suite du CIMer 2021, le Premier ministre a confié à ce ministère la mise en oeuvre de la stratégie nationale. Lors de nos nombreux contacts, nous avons rencontré à tous les niveaux des personnes de bonne volonté mais il est apparu qu'il y avait un vrai problème d'ancrage et de poids politique, comme je l'ai déjà évoqué.

M. Michel Canévet, président. - Nous avons la volonté d'identifier les points sur lesquels la France n'avance pas assez vite. Il faut essayer de comprendre pourquoi la France, avec les atouts dont elle dispose et l'ambition affichée, ne parvient pas à mettre en oeuvre la stratégie définie.

M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français. - Peut-être faudrait-il nommer une personnalité forte en charge de cette question des grands fonds marins, c'est-à-dire un homme ou une femme disposant d'un poids politique lui permettant de parler d'égal à égal avec les ministres, et rattaché directement au Premier Ministre.

M. Michel Canévet, président. - Comment se passent les relations avec les instituts de recherche et les acteurs professionnels ? Y-a-t-il des points de blocage ?

M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français. - Le dialogue a été excellent dans le cadre du groupe de travail conduit par M. Levet. Notre principal interlocuteur est l'Ifremer, avec qui les relations sont très bonnes. Nous entretenons aussi de bonnes relations avec le CNRS.

Si le dialogue avec les ONG est difficile, il est néanmoins possible de dialoguer avec certaines d'entre elles, comme le WWF, qui a pourtant une position très vigilante.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - La semaine prochaine se tiendra le One Ocean Summit à Brest, ville de métropole la plus proche de la Polynésie... Le thème des grands fonds marins y sera-t-il abordé ? Que peut-on attendre de cet événement ? Les grands fonds marins ne mériteraient-ils pas d'être évoqués lors d'un événement spécifique qui permettrait de faire connaître la position de la France, en matière d'environnement notamment ?

M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français. - Une cinquantaine de forums et d'ateliers seront au menu du One Ocean Summit. Le président de la Polynésie française sera présent. La question des grands fonds sera très certainement abordée lors des différents ateliers. Le sujet ne sera pas absent.

M. Michel Canévet, président. - Il serait peut-être judicieux d'organiser un événement autour des grands fonds marins pour que ce sujet reste au-devant de l'actualité dans les années à venir.

Je vous remercie, Messieurs, pour votre contribution.

La réunion est close à 18h30.