Mercredi 22 juin 2022

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Contrôle budgétaire - Fonds exceptionnel d’investissement (FEI) - Communication

M. Claude Raynal, président. – Nous entendons aujourd’hui une communication de nos collègues Georges Patient et Teva Rohfritsch, rapporteurs spéciaux de la mission « Outre-mer », sur le fonds exceptionnel d’investissement outre-mer.

Je vous informe par ailleurs, en ce qui concerne l’agenda de la commission, que nous essayons, avec M. le rapporteur général, d’organiser assez rapidement une table ronde sur le thème de l’inflation, la problématique ayant sensiblement évolué depuis notre dernière réunion sur le sujet.

M. Georges Patient, rapporteur spécial. – Le fonds exceptionnel d’investissement outre-mer (FEI) avait fait l’objet d’un précédent rapport de la commission des finances du Sénat, publié en 2016, rapport qui formulait alors dix recommandations. Le présent contrôle a donc été l’occasion de réaliser un suivi de ces recommandations, mais également d’analyser l’évolution du FEI sur la période 2016-2022 et les problèmes persistant dans sa gestion et sa gouvernance.

Pour mémoire, le FEI a été créé en 2009 avec pour objectif principal d’apporter une aide financière de l’État aux personnes publiques qui réalisent, en outre-mer, des investissements portant sur des équipements publics collectifs.

En effet, de manière structurelle, les infrastructures publiques en outre-mer présentent des déficits et défaillances qui s’expliquent par plusieurs facteurs, notamment la topographie des territoires qui rend difficiles les travaux de construction et d’entretien, les risques naturels qui nécessitent des normes de construction spécifiques et des investissements passés très insuffisants.

Ainsi, les besoins d’équipements publics concernent aujourd’hui quasiment tous les domaines : les infrastructures de transport, les réseaux d’eau et d’assainissement, les logements, les équipements scolaires et les établissements de santé, pour ne citer que les plus importants.

Si, dans de rares domaines, comme les maternités ou les structures d’enseignement, les taux d’équipements en outre-mer sont équivalents voire très légèrement supérieurs à ceux de la métropole, quand ils sont ramenés aux besoins réels de la population au regard de l’évolution démographique et de la pyramide des âges des territoires d’outre-mer, les taux sont alors nettement inférieurs à ceux constatés en métropole.

Ce constat général de besoins en équipements publics est ancien. Il avait d’ailleurs déjà été établi par l’inspection générale de l’administration (IGA) dans un rapport de 2012, ainsi que dans le précédent rapport fait au nom de notre commission.

Aussi, force est de constater que malgré les outils d’aide à l’investissement développés depuis plus de dix ans, dont fait partie le FEI, que nous saluons, les besoins d’investissement sont toujours importants, avec des écarts avec la métropole qui peinent à se réduire.

De surcroît, malgré un niveau de dépenses d’équipement global plus élevé en outre-mer qu’en métropole, les investissements réalisés ne suffisent pas pour faire face aux besoins réels des populations. Cette situation s’explique par les retards importants en matière d’équipements publics en outre-mer, qui nécessitent un surplus d’investissements par rapport à la métropole, mais également par des coûts de construction et d’entretien des équipements publics supérieurs dans les territoires ultramarins, qui renchérissent le coût des investissements.

Aussi, en raison d’une situation financière dégradée des collectivités d’outre-mer, il est indispensable d’accroître les moyens permettant aux collectivités de poursuivre et même d’amplifier leurs investissements.

Le FEI est donc un outil indispensable qui doit permettre un rattrapage de niveau en équipements publics entre les territoires d’outre-mer et la métropole.

Pour ces raisons, il nous paraît indispensable de pérenniser cet instrument. En 2018, le Gouvernement s’était engagé à mobiliser près de 500 millions d’euros sur le quinquennat en faveur du FEI. Si cet engagement a été tenu, il existe aujourd’hui une incertitude importante sur les montants qui seront ouverts lors des prochains projets de loi de finances. Il est impératif de fixer une nouvelle trajectoire pluriannuelle, pour le prochain quinquennat en fonction des besoins réels constatés dans les collectivités outre-mer.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. – Pour atteindre les objectifs qui ont présidé à sa création, le FEI doit évoluer.

Premièrement, la consommation des crédits ouverts au titre du fonds doit être améliorée.

En effet, les quatre dernières années d’exécution (2018-2021) révèlent une consommation inférieure aux objectifs, avec 246,9 millions d’euros en autorisations d’engagements (AE) et 180,3 millions en crédits de paiement (CP) consommés, soit en moyenne, respectivement, 66,7 % et 79 % des crédits ouverts. Ainsi, 123 millions d’euros d’AE et 47,7 millions d’euros de CP n’ont pas été consommés.

Cette sous-consommation s’explique en large partie par la pratique de redéploiements, quasi systématiques à compter de 2019, destinés à financer des opérations d’investissement ne relevant pas du FEI ou des dépenses supplémentaires apparues en cours de gestion. Entre 2019 et 2021, ces redéploiements se sont élevés à 74 millions d’euros en AE. Or le FEI ne peut pas être considéré comme une variable d’ajustement lors des arbitrages ministériels.

Ces redéploiements ont été rendus possibles par des sous-programmations en début de gestion, alors même que les élus auditionnés ont fait part de projets éligibles prioritaires non retenus pour un financement par le FEI, ce qui pose question en termes de procédures et de critères de sélection.

Le présent rapport développe à cet égard plusieurs pistes pour améliorer les taux d’exécution du fonds, comme la programmation intégrale des crédits en début de gestion, un renforcement de l’appui à l’ingénierie ou encore la possibilité de prolonger de manière plus souple et plus transparente les conventionnements de financement en cas de retard dans le commencement des opérations.

Par ailleurs, la gouvernance et la gestion du fonds mériteraient également d’être améliorées.

Actuellement, le FEI est administré par le ministre chargé de l’outre-mer qui détermine chaque année, dans le cadre d’une circulaire, la nature des opérations susceptibles de bénéficier du FEI. Les représentants de l’État déterminent ensuite les thématiques prioritaires locales, lancent l’appel à projets auprès des collectivités et fixent, après analyse des dossiers reçus, une liste des opérations. Le ministre arrête in fine la liste définitive des opérations sélectionnées, à partir des listes transmises par les préfets et hauts commissaires, pour bénéficier d’une subvention.

Les élus ne sont donc pas consultés dans les phases déterminantes de la procédure et leur consultation sur les projets envisagés reste variable selon les territoires, peu formalisée et non déterminante dans les sélections réalisées par les services déconcentrés, puis par le ministre.

Par ailleurs, le calendrier de sélection, très contraint, ne laisse pas aux collectivités le temps nécessaire à une préparation optimale des dossiers qu’elles souhaitent déposer et limite la procédure d’instruction des demandes.

Les critères de sélection, bien que précisés dans la circulaire annuelle, demeurent peu transparents, d’autant que les études d’impact ne sont pas obligatoires à l’appui des dossiers déposés et que les décisions de rejet ne sont ni notifiées ni expliquées aux collectivités.

Enfin, le suivi des projets sélectionnés est essentiellement financier. Il est réalisé selon des modalités très variables d’un territoire à l’autre et ne comporte aucune évaluation ex post de l’impact des équipements réalisés.

Si des améliorations sont donc possibles et souhaitables, nous insistons encore une fois sur le caractère indispensable de cet outil, qui est complémentaire à d’autres sources de financement de l’investissement outre-mer, notamment les fonds européens.

Nous notons également que cet outil a déjà évolué depuis sa création en 2009, puisque cinq des dix recommandations du précédent rapport de la commission ont été mises en œuvre et une est devenue sans objet. Souhaitons que les recommandations du présent rapport connaissent le même sort !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. – Vous mettez l’accent sur un sujet préoccupant. Selon la Constitution, notre République est décentralisée, mais dans les faits, l’on constate par exemple que pour le FEI, l’État a la mainmise totale. Cette absence d’échanges avec les élus d’outre-mer est absolument consternante. J’ai l’impression d’assister à des débats qui datent de dix ou quinze ans.

Il faut une pratique différente, ce qui dépend de la volonté des hommes aux responsabilités. Cette ambition doit être relayée par notre Haute Assemblée. Il ne s’agit pas de moyens en plus mais bien de faire en sorte que les moyens prévus, fléchés, soient bien dépensés. Vous avez mon plein soutien pour vos recommandations.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois. – Je partage les remarques et recommandations de nos collègues rapporteurs spéciaux. Cette problématique des infrastructures est déterminante pour nos territoires, plus pour certains que pour d’autres.

Les enjeux sont énormes. Nous avons des populations jeunes à occuper, or il manque des salles de classe. Dans certains territoires, des systèmes de rotation ont dû être mis en place, ce qui est indigne du XXIe siècle. Il faut s’occuper aussi des moins jeunes pour éviter qu’ils ne sombrent dans la délinquance : nous avons besoin d’équipements sportifs et de loisirs.

Dans le renchérissement du coût des infrastructures, j’ajouterai la cause climatique.

J’insiste sur le fait qu’il y a une impérieuse nécessité à consommer tous ces budgets, mais beaucoup de nos territoires ont besoin d’une ingénierie spécifique pour y parvenir, et pas seulement de l’assistance des seuls services déconcentrés de l’État. Il y a sans doute quelque chose à inventer de ce côté-là. Je parle en tout cas pour mon territoire, Mayotte.

M. Claude Raynal, président. – Depuis huit ans que je suis au Sénat, j’ai l’impression d’assister aux mêmes débats sur ces sujets. Sans doute que des parlementaires plus anciens pourraient faire le même constat...

Cela n’est pas un sujet financier en soi. Il s’agit de mieux dépenser, avec une programmation pluriannuelle et des outils permettant de faire en sorte qu’elle soit bien réalisée. Il est aussi nécessaire de mieux associer les élus locaux, qui connaissent parfaitement les priorités pour leur territoire.

Je suis désolé de constater que l’on n’avance pas comme il faudrait le faire.

M. Vincent Capo-Canellas. – Je suis frappé par un chiffre à la lecture du document que vous nous avez communiqué : le taux d’équipement en bibliothèques serait trois fois moins important dans les collectivités d’outre-mer qu’en métropole. Je trouve cela choquant. Ne faudrait-il pas privilégier des investissements dans les équipements éducatifs et culturels ?

M. Michel Canévet. – Quand je vois le surcoût des infrastructures dans les îles bretonnes, j’imagine ce qu’il en est dans les outre-mer !

Vous avez évoqué les rapports de l’IGA en 2012 et de notre commission des finances en 2016, mais il y a aussi eu un rapport de la Cour des comptes, en 2022, qui a également fait le constat de ce sous-investissement. Moi aussi, j’ai du mal à comprendre, d’autant que les problèmes sont parfaitement identifiés.

Avez-vous une vision de l’ingénierie qui serait la mieux adaptée ? En Guyane, par exemple, quels sont les types de projets prioritaires ?

M. Claude Raynal, président. – Je pose la même question à Teva Rohfritsch pour la Polynésie.

M. Didier Rambaud. – Un des grands acquis de mon mandat de sénateur aura été de mieux connaître les outre-mer.

Cependant ils présentent des caractéristiques diverses. Est-ce que votre constat s’applique à tous les outre-mer ou certains territoires s’en tirent-ils mieux ?

M. Arnaud Bazin. – On constate aussi un retard important en matière de structures d’hébergement des personnes âgées dépendantes. Peut-on avoir des éléments d’analyse à ce sujet ?

M. Christian Bilhac. – S’agissant de la gouvernance, trop centralisée, pourquoi ne proposerait-on pas de faire comme dans nos territoires hexagonaux pour la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), c’est-à-dire en associant mieux les élus locaux ?

Par ailleurs, est-ce que cette sous-consommation n’est pas liée aussi à la capacité d’autofinancement limitée des collectivités locales d’outre-mer ? N’y a-t-il pas une réflexion à mener de ce côté-là ? On proposerait moins de projets, mais on abaisserait les exigences en matière de capacité d’autofinancement.

M. Jean-Marie Mizzon. – Peut-on faire ce même constat de sous-consommation s’agissant d’autres fonds ou du plan de relance ?

M. Georges Patient, rapporteur spécial. – Est-ce que l’on doit traiter les collectivités relevant de l’article 73 ou de l’article 74 de la Constitution comme les territoires de l’Hexagone ? C’est la première question. Par ailleurs, il faut avoir conscience que les collectivités locales d’outre-mer n’ont pas toutes les mêmes problèmes. Par exemple, dans les Antilles, on assiste à un vieillissement de la population, contrairement à Mayotte, ce qui fait que les besoins ne sont pas les mêmes en matière d’équipements scolaires. Autre exemple, la Guyane a une superficie de 83 000 kilomètres carrés, contre 374 kilomètres carrés pour Mayotte : la problématique des infrastructures ne se pose pas dans les mêmes termes.

Pourtant, l’État central a tendance à traiter les outre-mer comme l’Hexagone et tous les outre-mer de la même façon : c’est une aberration ! Il faut mieux associer les élus locaux à la programmation. Certains territoires réclament également une évolution statutaire.

Il y a véritablement un risque d’explosion sociale : il n’y a qu’à voir les scores réalisés outre-mer par Marine Le Pen à l’élection présidentielle !

M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. – M. Canévet l’a rappelé, notre travail fait aussi suite à l’enquête qu’a récemment réalisée la Cour des comptes à la demande de notre commission. Je renvoie nos collègues aux pages 21 à 28 de ce rapport, où la Cour pointe notamment un problème d’accessibilité du foncier lié à l’insécurité juridique.

L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a représenté une avancée certaine, mais il faut savoir qu’il n’y a qu’un seul agent pour couvrir toutes les collectivités locales d’outre-mer.

Comme vient de le dire M. Patient, les problématiques démographiques sont différentes selon les territoires : en Polynésie, 50 % de la population a moins de 25 ans !

Enfin, j’insiste, les arbitrages ne font pas l’objet d’une concertation suffisante. De surcroît, il y a trop peu d’explications sur les décisions de rejet ou d’acceptation.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois. – Ces dernières années, on a entendu beaucoup de discours sur la différenciation. Il s’agit désormais de les concrétiser.

La loi pour l’égalité réelle en outre-mer est allée dans le bon sens, mais il y a un tel enchevêtrement de programmes qu’il serait bon de revenir à quelque chose de plus simple. Le Sénat est l’endroit idéal pour mener ce travail.

Songez qu’à Mayotte les collectivités locales, succédant à un système de chefferie, datent de 1977, la décentralisation de 2003 et la départementalisation de 2011 : cela explique largement nos déficiences en matière d’ingénierie.

S’agissant des priorités, comment parler de bibliothèques, quand il n’y a ni eau ni assainissement ?

La question statutaire se pose également à Mayotte : nous sommes devenus la première collectivité unique en 2011, mais nous ne sommes allés au bout ni de la départementalisation ni de la régionalisation.

M. Claude Raynal, président. – La question statutaire n’est pas de la compétence de notre commission. Cependant, j’ai bien conscience que l’outre-mer n’existe pas en tant que tel. Il y a bien des outre-mer très différents. Aussi, pourrions nous pour nos prochains travaux de contrôle sur ce sujet, développer une approche plus territorialisée. En effet, les moyennes sont peu parlantes. Nous devons vraiment faire bouger les lignes.

La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de leur communication sous la forme d’un rapport d’information.

La réunion est close à 10 h 20.