Projet de loi Lutte contre la vie chère dans les outre-mer
commission des affaires économiques
N°COM-55
20 octobre 2025
(1ère lecture)
(n° 870 )
AMENDEMENT
Rejeté |
présenté par
Mme BÉLIM, MM. LUREL et OMAR OILI, Mme ARTIGALAS, MM. KANNER, BOUAD, CARDON, MÉRILLOU, MICHAU, MONTAUGÉ, PLA, REDON-SARRAZY, STANZIONE, TISSOT
et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 8
Après l'article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 420-2-1 du code de commerce, il est inséré un article L. 420-2-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 420-2-2. – I. – Constitue une pratique restrictive de concurrence le fait, pour une entreprise exerçant une activité intégrée de grossiste-importateur et de distributeur au détail, ou disposant d'une exclusivité de fait en tant que fournisseur de ses propres enseignes de distribution, de traiter de manière discriminatoire ses clients tiers par rapport à ses ventes intra-groupe, notamment en matière :
« 1° D'allocation des budgets de coopération commerciale ;
« 2° De conditions de prix, délais de paiement ou modalités de livraison ;
« 3° D'accès aux services logistiques, commerciaux ou informatiques ;
« 4° De respect des délais de réapprovisionnement ou de traitement des commandes ;
« 5° De communication commerciale et de visibilité de produits.
« II. – Cette pratique s'apprécie notamment au regard de :
« 1° L'existence d'une position dominante ou d'une exclusivité de fait du fournisseur intégré ;
« 2° L'écart de traitement entre clients tiers et ventes intra-groupe pour des prestations ou produits comparables ;
« 3° L'absence de justification objective et proportionnée pour cet écart de traitement ;
« 4° L'impact potentiel de cette discrimination sur la concurrence intra et intermarque.
« III. – Cette disposition s'applique aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution ainsi qu'aux collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna, où l'intégration verticale des acteurs de la distribution et de l'importation soulève des risques spécifiques de restriction concurrentielle.
« IV. – L'Autorité de la concurrence est chargée de veiller au respect de la présente disposition et peut prononcer des sanctions administratives conformément aux dispositions de l'article L. 462-1. »
Objet
Le présent amendement vise à renforcer la protection de la concurrence en Outre-mer en sanctionnant la discrimination commerciale que les acteurs intégrés verticalement (grossistes-importateurs disposant de leurs propres réseaux de distribution au détail) sont susceptibles d'exercer envers leurs clients concurrents comme recommandé par l’Autorité de la concurrence dans son avis 19-A-12 du 04 juillet 2019 concernant le fonctionnement de la concurrence en Outre-Mer. Le Conseil Economique, Social et Environnemental recommande également comme l’a fait l’Autorité de la concurrence, d’introduire dans le code de commerce une nouvelle disposition qui permettrait de sanctionner, dans les DROM, le fait pour un acteur intégré disposant d’une exclusivité de fait de discriminer ses clients tiers par rapport à ses conditions de ventes intra-groupes.
La distribution en Outre-mer repose sur un modèle très particulier dominé par l'importation de biens. Contrairement à l'Hexagone, la majorité des produits commercialisés en Outre-mer sont importés, soit directement par les distributeurs (circuit court), soit par des grossistes-importateurs (circuit long). Ce dernier circuit reste structurant en raison des services logistiques et commerciaux rendus par les grossistes et de la préférence des fournisseurs externes pour cette architecture commerciale.
Cette structure implique que les grossistes-importateurs jouent un rôle pivot dans l'approvisionnement de toute la filière de distribution ultramarine.
La loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à l'égalité réelle Outre-mer (dite « loi Lurel ») a introduit l'article L. 420-2-1 du Code de commerce, interdisant les accords exclusifs d'importation. Cette disposition visait à favoriser la concurrence entre grossistes-importateurs en empêchant qu'un fournisseur externe n'accorde l'exclusivité à un seul importateur par DROM.
Si cette mesure a contribué à une meilleure animation concurrentielle via le développement des procédures de mise en concurrence, elle ne couvre pas un risque majeur : celui exercé par les grossistes-importateurs qui disposent eux-mêmes de leurs propres réseaux de distribution au détail (intégration verticale).
Lorsqu'une entreprise exerce à la fois l'activité de grossiste-importateur et celle de distributeur au détail, elle crée une situation de conflit d'intérêt majeure. L'entreprise peut favoriser ses propres enseignes de distribution au détriment de ses clients concurrents (autres distributeurs à qui elle vend des produits importés).
Cette discrimination peut revêtir plusieurs formes particulièrement préjudiciables :
Discrimination en matière de budgets de coopération commerciale : L'entreprise intégrée peut réserver les budgets marketing, les réductions de prix ciblées, les remises conditionnelles à ses propres points de vente, tandis que les concurrents n'en bénéficient pas ; Discrimination logistique : délais de livraison plus courts, priorité d'approvisionnement, services informatiques ou logistiques améliorés accordés à ses propres points de vente ; Discrimination informationnelle : accès prioritaire à l'information commerciale, aux prévisions de demande, aux nouveaux produits ou aux campagnes marketing ; Discrimination tarifaire : prix d'achat à la gros plus élevés pour les concurrents, conditions de paiement moins favorables, seuils de commande minimum plus restrictifs.
L'Autorité de la concurrence a déjà relevé dans sa pratique en matière de contrôle des concentrations que l'intégration verticale soulève des risques de concurrence spécifiques, notamment en matière d'allocation des budgets de coopération commerciale. Cette observation empirique justifie une interdiction explicite dans la loi. L'amendement n'interdit pas l'intégration verticale en tant que telle (qui peut être légitime et efficace), mais seulement la discrimination qu'elle peut générer. Cette approche respecte la liberté contractuelle tout en sanctionnant les abus manifestes.
L'amendement vise spécifiquement les acteurs disposant d'une exclusivité de fait (c'est-à-dire ceux qui contrôlent effectivement l'approvisionnement en produits importés), les pratiques discriminatoires flagrantes envers les clients concurrents (le standard « sans justification objective et proportionnée » laisse place à des différenciations justifiées) et les domaines à risque élevé : budgets de coopération, conditions tarifaires, services logistiques.