Réuni le mercredi 19 janvier 2022, sous la présidence de M. Hugues SAURY (Les Républicains – Loiret), président délégué pour le Soudan, le groupe d’amitié France – Pays de la Corne de l’Afrique s’est entretenu, par visioconférence, avec Mme Raja RABIA, Ambassadrice de France au Soudan.

Ont également participé à la réunion : MM. Cédric PERRIN (Les Républicains – Territoire de Belfort), président, Olivier CIGOLOTTI (Union centriste – Haute-Loire), président délégué pour Djibouti, Olivier CADIC (Union centriste – Français établis hors de France), vice-président, Michel CANÉVET (Union centriste – Finistère), et Mme Vivette LOPEZ (Les Républicains – Gard).

Mme Raja RABIA a indiqué que la situation politique soudanaise était marquée par une instabilité chronique depuis le soulèvement, fin 2018-début 2019, qui a conduit au renversement, le 11 avril 2019, d’Omar EL-BECHIR et ouvert la voie à une transition démocratique. Abdallah HAMDOK, qui avait vécu essentiellement à l’étranger, a été choisi comme Premier ministre par les Forces de la déclaration pour la liberté et le changement (FFC), avec l’aval du pouvoir militaire, incarné par le chef de l’État, le Général AL-BURHAN. En 2019, les FFC et les autorités militaires de transition avaient réussi à consolider un Document constitutionnel, signé par l’ensemble des parties le 17 août 2019, avec le soutien de l’Union africaine, puis, l’année suivante, le Premier ministre HAMDOK avait réussi à conclure les accords de paix de Juba. La situation économique et sociale, quant à elle, reste très difficile : le taux d’inflation est de plus de 300 % et les infrastructures de base sont le plus souvent absentes (hôpitaux inexistants, routes en mauvais état, effondrement du système universitaire, etc.). Le plan proposé par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale avait été adopté en 2020, et commençait à porter ses fruits, sans toutefois réussir à améliorer la situation sociale, ce qui a conduit récemment les Nations unies à accroître leur soutien financier au Soudan à hauteur de 1,9 milliard de dollars.

L’Ambassadrice a fait observer que, sur le plan international, le Soudan était parvenu à sortir de son isolement, grâce aux engagements de la communauté internationale à soutenir la transition, à l’accord conclu avec Israël ou à la conférence de Paris, organisée par le Président de la République, le 17 mai dernier. Un projet d’aide ambitieux avait été conclu avec les agences des Nations unies et des pays occidentaux, dont la France, qui prévoyait notamment l’effacement de la dette bilatérale soudanaise à hauteur de 3,7 milliards d’euros. Toutefois, le climat politique intérieur a continué de se détériorer. Quoique la société civile soudanaise soit divisée, elle était déterminée à obtenir le transfert du pouvoir à des autorités civiles et le retour des militaires dans leurs casernes.

Mme Raja RABIA a indiqué que c’est dans ce contexte compliqué pour la transition que le Général AL-BURHAN a réalisé un coup d’État, le 25 octobre 2021. Cette décision a eu pour conséquence la suspension immédiate des programmes de soutien bilatéral, mais aussi multilatéral, au Soudan. Depuis lors, la tension ne s’était pas relâchée : la société restait fragmentée, le pouvoir militaire sûr de son bon droit, et les manifestations, sporadiques et difficiles à contrôler, se poursuivaient, faisant de nombreuses victimes – 71 morts depuis le coup d’État, dont 17 depuis le début de l’année. Une forte répression touchait les activités politiques, les syndicats, les médias et les artistes. Le Premier ministre HAMDOK, revenu au pouvoir après sa mise en résidence surveillée temporaire à la suite du coup d’État, a finalement démissionné, le 2 janvier dernier, étant très contesté par la rue et entretenant des relations difficiles avec l’armée, qui contrôle très largement l’économie. Depuis lors, la fonction de Premier ministre est restée vacante.

L’Ambassadrice a indiqué que le Secrétaire général de l’ONU avait confié à son Représentant spécial pour le Soudan, l’Allemand Volker PERTHES, la conduite de consultations avec les différentes parties soudanaises pour favoriser le dialogue, avec l’appui de la communauté internationale et de l’Union africaine. Des initiatives pour renouer le dialogue ont également été prises très récemment, telles que la réunion, à Riyad, des Amis du Soudan. Alors que le pays était dépourvu d’Assemblée constituante, des élections avaient été annoncées pour juillet 2023, mais il n’existait aucune garantie sur le processus électoral. La France plaidait pour une implication de l’Union africaine qui avait contribué au Document constitutionnel de 2019 et aux accords de paix de Juba de 2020.

Mme Raja RABIA a noté qu’il y avait eu 200 morts au Darfour depuis le coup d’État d’octobre 2021, en raison d’un affaiblissement sécuritaire, les forces de sécurité ayant été redéployées pour sécuriser d’abord la capitale. Le Darfour apparaît comme un pays étranger vu de Khartoum. L’actuelle crise de confiance touche non seulement la capitale, mais aussi tout le pays. Il est très difficile de connaître la situation réelle aux frontières où se trouvent de nombreux groupes armés. Les relations avec l’Égypte sont confiantes, mais il est évident que les Égyptiens n’ont pas intérêt au succès d’une transition démocratique soudanaise. Les pays du Golfe jouaient un rôle important, les Émirats en premier lieu.

En réponse à une question de M. Olivier CIGOLOTTI, président délégué pour Djibouti, sur la gestion de la crise sanitaire au Soudan, Mme Raja RABIA a indiqué que le premier cas de Covid-19 était apparu le 12 avril 2020. Les statistiques officielles, établies avec le soutien de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Unicef, ne refléteraient cependant que 20 % à 25 % de la réalité sanitaire. La jeunesse de la population soudanaise, l’étendue du territoire et l’absence d’hôpitaux contribuent à expliquer la difficulté à appréhender la réalité de la pandémie. Celle-ci aurait causé la mort de 3 184 personnes, chiffre qu’il faut probablement multiplier par quatre ou cinq pour approcher la réalité, ce qui reste limité. Le variant Omicron entraîne actuellement un pic de contaminations, mais aucune corrélation entre ce dernier et l’augmentation du nombre de victimes n’est observée. Le diabète et le cholestérol constituent les principaux facteurs de comorbidité au Soudan. La population ne se mobilise guère pour appliquer les mesures sanitaires, mais le tissu économique et la vie quotidienne ne sont pas véritablement affectés par la pandémie.

À M. Olivier CADIC, vice-président, Mme Raja RABIA a répondu que les positions soudanaises sur le barrage de la Renaissance avaient évolué. Dans le passé, le pays avait une position proche de celle de l’Éthiopie, mais il s’est désormais rapproché de l’Égypte, et les deux pays se trouvent opposés à l’Éthiopie. D’autant plus que la tension est montée entre le Soudan et l’Éthiopie à propos du conflit territorial à El-Fashaga, à la frontière entre les deux pays, et que le Soudan accueillait sur son territoire de nombreux réfugiés éthiopiens. Le récent remplissage du barrage n’avait pas provoqué de réaction officielle soudanaise – peut-être aussi du fait de l’acuité de la crise intérieure. En tout état de cause, la crise politique soudanaise se traduisait par un recul de l’influence régionale du pays qui contrôlait aujourd’hui très mal ses frontières.

En réponse à M. Michel CANÉVET, Mme Raja RABIA a indiqué que l’Agence française de développement (AFD) n’avait pas de bureau à Khartoum, le dossier soudanais étant suivi par celui de Nairobi. Selon un accord récent finalisé entre le Trésor français et l’ambassade du Soudan à Paris, les deux tiers du stock de la dette soudanaise envers la France, soit 3,7 milliards d’euros, devaient être annulés, et le solde en 2024, puis la conclusion d’un contrat de désendettement et de développement avait été envisagée. Depuis le coup d’État, cet accord est en suspens, mais les règles du FMI et de la Banque mondiale ne permettent pas une suspension trop longue. Le budget soudanais a été adopté jusqu’à la fin du mois de février, ce qui, au-delà de cette échéance, aura probablement des conséquences sur le versement des salaires des fonctionnaires et des soldes des militaires. Le risque que le Soudan devienne un État failli était réel. La société soudanaise, après trente ans de dictature, est toutefois résiliente : elle bénéficie de la solidarité des Soudanais de l’étranger et d’une forte solidarité familiale. L’ONU a récemment accru son aide humanitaire et alimentaire au Soudan, en la portant à 1,9 milliard de dollars. La France a elle aussi augmenté son aide, à 2,5 millions d’euros au titre de l’aide humanitaire et à 1,7 million au titre de l’aide alimentaire. Il n’y a toutefois pas d’urgence alimentaire pour l’instant. L’accès aux régions les plus reculées du pays, où se trouvent les personnes les plus démunies, reste très difficile. L’ambassade n’a pas encore installé le conseil local de développement prévu par le plan d’action, et la situation sécuritaire fait l’objet d’un examen régulier avec les ambassades européennes et celle des États-Unis, ainsi que des autres puissances amies et alliées, à Khartoum.

À Mme Vivette LOPEZ, Mme Raja RABIA a répondu que l’ambassade de France restait en prise avec la jeunesse et la société civile soudanaises. Elle soutenait plusieurs étudiants soudanais en France. Neuf représentants de la société civile soudanaise étaient présents au Sommet Afrique-France de Montpellier, le 8 octobre dernier. Des journalistes soudanais et des défenseurs des droits de l’Homme ont également été invités en France. Les Soudanais ne sont pas interdits de voyage et peuvent se déplacer en France et en Europe.

En réponse à des questions de MM. Olivier CIGOLOTTI, président délégué pour Djibouti, et Hugues SAURY, président délégué pour le Soudan, Mme Raja RABIA a rappelé que le Soudan avait, dans le passé, constitué une terre d’accueil pour certains terroristes célèbres tels que Carlos et Ben Laden. Cette époque est révolue. Le Soudan dispose d’excellents services de renseignement qui savent ce qui se passe sur le terrain, dans les villes en particulier. Des cellules terroristes avaient été démantelées en septembre dernier. Le régime militaire considérait que les manifestations actuelles étaient manipulées par le Parti communiste, qui attire les élites intellectuelles de Khartoum, et des activités extrêmes. Un général de police a été poignardé lors de ces manifestations. Dans le contexte actuel, de nombreux groupes armés sont présents au Soudan, mais sont d’origine très diverse, provenant notamment du Darfour et du Sud Soudan.

La communauté française au Soudan comprenait 220 personnes, dont la moitié d’expatriés et l’autre moitié de binationaux, 95 % vivant dans la capitale. Elle n’est pas inquiétée par les manifestations, et reste en contact étroit avec les services de l’ambassade. Des événements consolidant la relation bilatérale, avec la société civile, sont prévus : la création d’un club d’affaires, celle d’un club d’Alumni et, enfin, le musée du Louvre a programmé, à partir du 27 avril prochain, une exposition sur les trésors archéologiques du Soudan.

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