Table des matières
- COMMISSION MIXTE PARITAIRE CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE LOI PORTANT AMÉLIORATION DE LA COUVERTURE DES NON-SALARIÉS AGRICOLES CONTRE LES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET LES MALADIES PROFESSIONNELLES
- COMMISSION MIXTE PARITAIRE CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE LOI RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS À L'EMBAUCHE ET DANS L'EMPLOI
COMMISSION MIXTE PARITAIRE CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE LOI PORTANT AMÉLIORATION DE LA COUVERTURE DES NON-SALARIÉS AGRICOLES CONTRE LES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET LES MALADIES PROFESSIONNELLES
MERCREDI 10 OCTOBRE 2001
- Présidence de M. Jean Le Garrec, président. La commission a d'abord procédé à la désignation de son bureau qui a ainsi été constitué :
- M. Jean Le Garrec, député, président ;
- M. Nicolas About, sénateur, vice-président ;
- M. Jacques Rebillard, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;
- M. Bernard Seillier, sénateur, rapporteur pour le Sénat.
La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen du texte.
M. Bernard Seillier, rapporteur pour le Sénat, a tout d'abord insisté sur le consensus existant entre les deux assemblées : l'assurance obligatoire des exploitants agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles mérite, à l'évidence, une réforme.
Il y a accord sur les trois grands principes qui doivent guider cette réforme :
- l'universalité de l'assurance : aucun exploitant agricole ne doit plus échapper à cette obligation ;
- l'amélioration des garanties proposées : les rentes d'inaptitude à la profession agricole doivent être relevées ;
- la définition d'une politique de prévention : une telle politique est la seule susceptible de diminuer le nombre d'accidents du travail en agriculture. Cette politique de prévention nécessite une connaissance statistique approfondie du risque accidents du travail : en conséquence, le Sénat a, non sans débat, confirmé la séparation entre les accidents de la vie privée et les accidents du travail.
Pour autant, la disparition du régime concurrentiel n'est pas la seule voie pour améliorer la couverture sociale des exploitants agricoles pour le risque des accidents du travail et des maladies professionnelles. En effet, deux techniques s'opposent :
- soit la création d'une branche de la sécurité sociale, où les cotisations seraient fixées par arrêté ministériel et les prestations définies par la loi : c'est la voie que l'Assemblée nationale a choisie en première lecture ;
- soit le maintien d'un régime concurrentiel, où les prestations minimales seraient strictement définies par la loi, mais où la liberté de cotisation serait préservée.
La création d'une branche accidents du travail et maladies professionnelles pour les exploitants agricoles, dans les mêmes conditions que les branches existantes, est incontestablement cohérente avec l'organisation de notre protection sociale. Le Sénat s'est simplement posé la question suivante : est-ce le meilleur moyen d'assurer l'intérêt général et l'intérêt des exploitants agricoles ?
Les longs débats parlementaires qui ont permis le vote de la loi de 1966 avaient été marqués par deux soucis qui expliquent le choix finalement retenu d'un mécanisme d'assurance : le souci de ne pas grever les charges publiques et le souci de ne pas augmenter les charges des exploitants agricoles.
Le Sénat a estimé que les termes du débat étaient aujourd'hui strictement identiques. Il a ainsi constaté que le financement du nouveau régime reposait sur des estimations fragiles, variables et contestables. A ce titre, il est regrettable qu'une étude d'impact fouillée n'ait pas été communiquée au Parlement.
La transformation de cotisations librement définies en cotisations fixées par arrêté du ministre chargé de l'agriculture a mécaniquement pour effet d'augmenter le volume des prélèvements obligatoires. La création, dans ces conditions, d'une quatrième branche a également pour effet d'augmenter les dépenses publiques. Certes, des dépenses mises aujourd'hui à la charge de l'assurance maladie des exploitants agricoles (AMEXA) sont en fait du ressort de l'AAEXA. Il est toutefois difficile d'en apprécier le montant exact.
Les compagnies d'assurance ne contestent pas l'existence d'un tel transfert. Elles estiment cependant qu'il est limité aux dépenses hospitalières et de nature transitoire, un certain temps s'écoulant entre le moment où les frais d'hospitalisation sont effectivement engagés et celui où la MSA présente sa demande de remboursement à l'assureur AAEXA. En sens inverse, les accidents de la vie privée, aujourd'hui pris en charge par l'AAEXA, seront désormais du ressort de l'AMEXA : le Gouvernement estime ce transfert de charges entre 220 à 320 millions de francs, à partir d'une transposition du coût des accidents de la vie courante dans le total des prestations maladie du régime général. Dans le cas où serait vérifié a posteriori un équilibre entre les différents transferts entre l'AAEXA et l'AMEXA, il n'en reste pas moins certain qu'une pression à la hausse s'exercera sur les prestations de l'AMEXA en raison de la présence, dans cette assurance, d'un ticket modérateur et de l'absence d'indemnités journalières.
A terme, il sera difficile de maintenir en AMEXA des pensions d'invalidité aussi faibles (moins de 24 000 francs par an), alors que les pensions AAEXA auront été fortement revalorisées. Le coût d'un alignement des pensions invalidité sur le niveau des prestations accidents du travail s'élèverait à 500 millions de francs en coût brut et à 400 millions de francs en coût net, compte tenu des économies réalisées par le fonds spécial invalidité (FSI). Cette tendance à la hausse des prestations AMEXA aura pour conséquence inéluctable une augmentation des charges publiques, le régime de protection sociale des exploitants agricoles étant, compte tenu de sa situation démographique particulière, pris en charge par la solidarité nationale à hauteur de 80 %.
Le financement des rentes, dans un contexte de diminution des actifs cotisants, posera inévitablement problème à long terme, même si le texte prévoit un fonds de réserve bénéficiant de provisions. De ce point de vue, la technique assurantielle apparaît incontestablement mieux armée que la logique sécurité sociale pour répondre à ce défi. En conséquence, le Sénat a souhaité le maintien d'un régime concurrentiel ; il a estimé que les primes ou cotisations versées par les assurés devaient être fixées librement par les organismes assureurs, ce qui permet une véritable concurrence entre les différents acteurs ; il a toutefois souhaité que deux garde-fous soient posés à cette liberté de tarification :
- les cotisations correspondant aux garanties minimales obligatoires ne pourraient pas excéder un plafond fixé par arrêté du ministre chargé de l'agriculture ;
- les cotisations seraient modulées par le classement des exploitations dans des catégories de risques. Ce mécanisme, présent dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, est apparu tout à fait pertinent.
Le Sénat a proposé de maintenir un régime concurrentiel pour une raison supplémentaire : il importe que les charges des agriculteurs restent à un niveau modéré. Le système proposé par l'Assemblée nationale présente pour les agriculteurs l'inconvénient d'être un carcan, en prévoyant l'intégralité des garanties prévues dans le régime général. Si le relèvement des pensions d'invalidité et l'inclusion d'indemnités journalières dans le régime obligatoire sont souhaitables, il n'en va pas de même des rentes servies aux ayants droit. Naturellement, un tel dispositif est généreux, mais il risque de faire peser petit à petit un grand poids sur le régime.
Le maintien d'un régime concurrentiel n'est pas incompatible avec la plupart des nouvelles missions confiées à la mutualité sociale agricole. Le Sénat a confirmé son rôle clef dans trois domaines : le contrôle de l'obligation d'assurance, l'animation de la prévention et le contrôle médical.
En bref, le Sénat a tenté en première lecture de chercher une troisième voie. Bien évidemment, le texte adopté est techniquement perfectible. Il faut toutefois souligner que son organisation générale a été approuvée par la FNSEA et le CNJA. Ce texte a été qualifié par Groupama de « texte de compromis de nature à satisfaire l'ensemble des acteurs concernés, agriculteurs, MSA et assureurs ».
L'enjeu est avant tout de faire bénéficier les exploitants agricoles d'une meilleure protection sociale, au meilleur coût, et de diminuer le nombre d'accidents du travail. Dès lors, il s'agit de savoir si l'Assemblée nationale - qui a montré, au sujet de la composition des conseils d'administration des caisses de MSA, qu'elle savait entendre la voix du Sénat - souhaite un texte consensuel et de compromis, ou si elle préfère réitérer à l'identique sa position de première lecture.
M. Jacques Rebillard, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a estimé que les deux chambres ont fait le même constat sur la situation actuelle de l'AAEXA : ce régime propose des prestations indécentes compte tenu de la situation économique dans laquelle se retrouvent les agriculteurs victimes d'accidents du travail.
Pour assurer une véritable couverture du risque, trois principes doivent être retenus : la garantie de l'universalité de l'assurance, l'amélioration des prestations et la mise en oeuvre d'une politique de prévention efficace pour diminuer le nombre des accidents. Par ailleurs, il est apparu nécessaire, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, de distinguer les accidents intervenant dans la vie privée des accidents professionnels.
L'ensemble des organisations professionnelles agricoles a pris acte du constat d'échec du système assurantiel : le rapport existant entre le montant des cotisations et les prestations versées est par trop défavorable aux assurés. Ce système, profitable aux assureurs privés, ne peut se réformer de lui-même. C'est pourquoi la nécessité de créer une quatrième branche pour les assurances sociales agricoles s'est imposée à l'Assemblée nationale.
L'Assemblée nationale a pu apprécier la qualité des débats menés au Sénat, qui n'a pas invoqué l'article 40 de la Constitution pour ne pas examiner une réforme essentielle. Le Sénat a reconnu à la MSA un rôle pivot dans la gestion du risque et il a prévu à juste titre l'entrée en vigueur du nouveau régime au 1er avril 2002. Cependant, il a maintenu un système assurantiel, certes encadré par une cotisation plafond, et il a préféré la notion d'inaptitude à celle d'incapacité pour l'attribution des rentes. Par ailleurs, il n'a pas retenu la création d'une rente pour les ayants droit.
De fortes différences séparent donc les deux assemblées. L'Assemblée nationale souhaite créer un véritable régime de sécurité sociale alors que le Sénat souhaite maintenir un système privé.
En contrepoint de cette réforme se pose effectivement la question de l'amélioration du niveau de prestations du régime d'assurance maladie des exploitants agricoles. L'amélioration globale du niveau de protection sociale du monde agricole, notamment par un alignement des prestations de l'AMEXA sur la nouvelle AAEXA, demeure un souci constant de la majorité à l'Assemblée nationale.
M. Jean Le Garrec, président, a relevé le consensus existant entre les deux assemblées sur le mauvais état du régime actuel d'AAEXA et sur la nécessité de le réformer. Il a constaté que chaque assemblée, avec sa logique propre, a suivi une voie différente pour atteindre cet objectif.
M. Nicolas About, vice-président, a admis que ces deux voies pouvaient difficilement se rejoindre.
M. Charles de Courson, député, soulignant l'ampleur des transferts existant entre l'AMEXA et l'AAEXA, a indiqué qu'à la suite des contrôles qu'il avait été amené à effectuer en tant que rapporteur spécial du BAPSA pour l'Assemblée nationale, il avait pu observer que plus de 60 % des accidents dont sont victimes les agriculteurs étaient pris en charge au titre de l'AMEXA. Il faut donc mettre de l'ordre dans ces transferts réalisés sans contrôle. Il doit en résulter une augmentation mécanique de la charge de l'AAEXA, qui n'est pas liée à la présente réforme.
Si on peut également constater la non-exhaustivité de l'assurance accidents du travail des agriculteurs, il faut en désigner le responsable sans pour autant vouloir réformer tout le système. Il est facile de croiser les fichiers des assureurs privés et de la mutualité sociale agricole pour savoir qui n'est pas assuré. Ces fichiers sont transmis aux services déconcentrés du ministère de l'agriculture, qui n'effectuent pas le contrôle adéquat.
Il faut enfin rappeler que la condition préalable au transfert des accidents de la vie privée vers l'AMEXA devrait être l'amélioration des prestations de cette assurance. Sinon, les agriculteurs se rendront vite compte de la baisse de leurs prestations de remplacement.
M. François Guillaume, député, a salué le souci de conciliation du Sénat qui a proposé d'améliorer les prestations du régime sans pour autant augmenter les prélèvements sur les agriculteurs. Le texte adopté par l'Assemblée nationale ne suit pas cette logique car il dénature et remet en cause un régime qui fonctionne. Les agriculteurs peuvent très bien, dans le cadre de ce système, faire pression sur les assureurs pour qu'ils augmentent leurs prestations. Celles-ci peuvent aussi être augmentées par décret. Il n'est donc pas nécessaire de changer de système.
Le retour au texte adopté par l'Assemblée nationale ne répondrait aucunement aux besoins des exploitants agricoles et n'aboutirait qu'à l'étatisation de la gestion du régime, la MSA n'ayant aujourd'hui plus aucune autonomie. La MSA risque en effet de s'approprier la gestion du système, dessaisissant ainsi les assureurs privés dont l'indemnisation à titre compensatoire doit être sérieusement mise à l'étude. En tout état de cause, le législateur doit laisser les agriculteurs eux-mêmes arbitrer entre les différents organismes susceptibles de leur proposer des prestations sociales.
M. Joseph Parrenin, député, a tenu à rendre hommage au rôle important joué par la MSA, qui demeure un régime actif, responsable et autonome, en faveur des agriculteurs et en partenariat avec les assureurs privés. La majorité à l'Assemblée nationale a d'ailleurs tenu, lors du vote en deuxième lecture du projet de loi de modernisation sociale, à laisser aux exploitants agricoles une petite majorité au sein des conseils d'administration des caisses de MSA.
Le nouveau régime proposé par l'Assemblée nationale a une vertu essentielle, celle de la transparence. Personne ne sait aujourd'hui, parmi les agriculteurs, comment sont assurés les accidents du travail, notamment en raison de l'existence de contrats d'assurance multi-risques. En raison des transferts entre AMEXA et AAEXA relevés par M. Charles de Courson, le coût supplémentaire du régime accidents sera compensé par une baisse des dépenses en maladie. Enfin, le nouveau régime permettra vraiment d'assurer une politique de prévention efficace car il y a encore trop de matériels agricoles vendus sans dispositifs de protection adéquat.
M. Bernard Seillier, rapporteur pour le Sénat, a regretté que le Gouvernement ait déclaré l'urgence sur ce texte, ce qui limite toujours les possibilités d'accord entre les deux Assemblées.
M. Jacques Rebillard, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a souligné que cette réforme était justifiée par des problèmes de fonctionnement du régime actuel reconnus par tous. Le nouveau système peut entraîner des charges nouvelles, qui ont été estimées, mais les expériences concrètes, comme celle du Puy-de-Dôme, montrent qu'une politique de prévention dynamique permet de réduire les risques d'accidents, ce qui est un élément important de la maîtrise des coûts.
M. Charles de Courson, député, a rappelé que trois caisses de MSA gèrent déjà actuellement l'assurance accidents du travail et que deux d'entre elles se limitent à l'assurance de base. Elles connaissent de ce fait une très forte chute de leurs parts de marché car elles sont confrontées à la concurrence des assureurs privés qui, par des produits unifiés, proposent à la fois une couverture de base et une couverture complémentaire. De plus, dans le Puy-de-Dôme, la fixation des tarifs s'opère aujourd'hui sur la base de tables de mortalité datant des années soixante-dix ; des provisions sont rendues nécessaires par l'actualisation des risques.
La position de l'Assemblée nationale n'est pas cohérente. Alors qu'il existe un accord sur le maintien de la pluralité des assureurs, les conséquences n'en ont pas été tirées : les cotisations sont fixées au niveau national, les fonds sont centralisés par la MSA qui exerce également le contrôle médical. Il ne reste donc en réalité aucun élément de pluralisme et de concurrence.
Enfin, la question de l'expropriation des assureurs actuels n'a pas été soulevée alors qu'une indemnisation avait été prévue lors du vote de la loi de 1972 sur les accidents du travail des salariés agricoles.
M. Nicolas About, vice-président, a signalé que la solution assurantielle avait la préférence des gestionnaires dans le Puy-de-Dôme.
M. Jacques Rebillard, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a confirmé que le but était bien la mise en place d'un système de sécurité sociale de base et d'une complémentaire assurantielle, ce qui était le cas dans le Puy-de-Dôme.
M. Bernard Seillier, rapporteur pour le Sénat, a souligné qu'il n'avait pas soulevé le problème de l'indemnisation évoqué par M. Charles de Courson car son propos s'inscrivait, bien évidemment, dans la logique du texte adopté par le Sénat.
La commission mixte paritaire est ensuite passée à l'examen des articles restant en discussion.
La commission mixte paritaire a rejeté par sept voix contre sept l'article 1er dans le texte de l'Assemblée nationale, puis elle a rejeté par sept voix contre sept l'article 1er dans le texte du Sénat.
M. Jean Le Garrec, président, a alors constaté que la commission mixte paritaire n'était pas en mesure d'adopter un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la présente proposition de loi.
COMMISSION MIXTE PARITAIRE CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE LOI RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS À L'EMBAUCHE ET DANS L'EMPLOI
MERCREDI 10 OCTOBRE 2001
- Présidence de M. Jean Le Garrec, président.- La commission a d'abord procédé à la désignation de son bureau qui a ainsi été constitué :
- M. Jean Le Garrec, député, président ;
- M. Nicolas About, sénateur, vice-président.
La commission a ensuite désigné :
- M. Philippe Vuilque, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;
- M. Louis Souvet, sénateur, rapporteur pour le Sénat.
La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen du texte.
M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a rappelé que les quatre premiers articles de la proposition de loi constituent une reprise des articles 46 à 49 du projet de loi de modernisation sociale déposé à l'Assemblée nationale le 24 mai 2000. Ils ont été disjoints à un moment où l'examen de ce texte semblait incertain. Depuis lors, celui-ci a finalement été inscrit à l'ordre du jour, ce qui a eu pour conséquence un examen en parallèle de cette proposition de loi et du projet de loi de modernisation sociale (adopté hier en deuxième lecture par le Sénat).
Des liens subsistent néanmoins entre les deux textes puisque si l'objet premier de cette proposition de loi consiste à aménager le régime de la charge de la preuve dans le cas de conflits portant sur une discrimination (liée à la race, au sexe, à la nationalité), le projet de loi de modernisation comprend des dispositions similaires concernant la lutte contre les discriminations dans l'accès au logement (article 50) et la lutte contre le harcèlement moral au travail (article 50 ter).
Outre les quatre articles d'origine, la proposition de loi s'est enrichie au cours de la navette de plusieurs articles concernant l'égalité de rémunération (article 5), l'irrecevabilité des listes présentées aux élections prud'homales par une organisation politique prônant des discriminations (article 6), la nullité d'un licenciement d'un salarié ayant témoigné de mauvais traitements (article 7), la création d'un service d'accueil téléphonique gratuit (article 8), l'extension de la compétence du fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (article 9) et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique (article 10).
La poursuite de la navette au cours de la deuxième lecture a permis d'enrichir sensiblement le texte. Ainsi, à l'initiative du Sénat a été intégré l'âge parmi les motifs de discrimination (articles 1er et 2). Plusieurs autres articles ont également vu leur rédaction améliorée du fait de l'une ou de l'autre des Assemblées.
Aussi, les désaccords ne concernent plus que trois articles de la proposition de loi (articles 1er, 2 et 4). Force est cependant de constater que ces divergences ne sont pas négligeables, puisqu'elles concernent la principale disposition du texte, c'est-à-dire l'aménagement de la charge de la preuve.
En effet, en cas de litige, l'Assemblée nationale propose que le salarié « présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination » alors que, par deux fois, le Sénat a souhaité que le salarié « établisse des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination ». Cette dernière rédaction serait d'ailleurs conforme à la lettre de l'article 8 de la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique.
Enfin, l'Assemblée nationale a prévu que la partie défenderesse se devrait, en réponse, de prouver que sa décision est « justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination », alors que le Sénat a préconisé qu'elle prouve que sa décision n'est « pas contraire » aux principes de non-discrimination.
Outre le régime de la charge de la preuve, un différend demeure également à propos du fait de savoir si un syndicat peut, ou non, se dispenser de l'accord du salarié pour entreprendre et poursuivre une action en justice en son nom.
A l'heure d'examiner si un accord est possible entre les deux assemblées, force est donc de constater que la distance qui les sépare n'a rien d'incommensurable, puisque est partagé le même objectif, celui de lutter contre les discriminations.
M. Jean Le Garrec, président, a précisé qu'il avait demandé que ce texte soit, en raison de l'acuité du problème soulevé, disjoint du projet de loi de modernisation sociale et non en raison d'une éventuelle incertitude sur l'inscription à l'ordre du jour de celui-ci, incertitude levée à ce moment.
M. Philippe Vuilque, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a relevé que les navettes successives entre l'Assemblée nationale et le Sénat avaient permis d'enrichir le texte et de rapprocher les points de vue des deux assemblées. Des précisions utiles ont notamment été apportées en ce qui concerne la discrimination en raison de « l'âge » et le rôle joué par l'inspection du travail. Les articles 1er, 2 et 4 n'en restent pas moins en discussion. Les divergences constatées sont ainsi de deux ordres :
- Du point de vue symbolique, l'intitulé de la proposition de loi a été restreint au champ de l'emploi et de l'embauche par le Sénat ; il est souhaitable de revenir à l'intitulé adopté par l'Assemblée nationale en raison de la présence dans le texte de plusieurs articles excédant largement ce champ (articles 6, 8 et 9).
- Sur le fond, subsistent deux points de désaccord essentiels relatifs au régime de la charge de la preuve et à la possibilité pour une organisation syndicale d'agir en justice pour le compte de la personne victime de discrimination.
S'agissant de l'aménagement de la charge de la preuve, la disposition essentielle de la proposition de loi, le Sénat a prévu que le plaignant doit « établir des faits permettant de présumer l'existence d'une discrimination », et non « présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence de cette discrimination » comme le souhaite l'Assemblée nationale. Le dispositif adopté par le Sénat tend en réalité à renforcer la part de la preuve à apporter par le salarié. L'aménagement de la charge de la preuve est le seul moyen de mettre fin à l'insidieuse discrimination subie par nombre de salariés. Il importe de rendre l'action en justice efficace. A défaut d'un réel partage de la charge de la preuve, la situation des victimes ne sera pas améliorée.
Le Sénat a mis en avant la gêne que cela pourrait occasionner aux entreprises : s'il n'y a pas de phénomènes de discrimination, la gêne sera nulle. Il appartiendra en tout état de cause au juge d'apprécier la recevabilité des actions.
M. Jean Le Garrec, président, a souligné l'importance que revêtait la lutte contre les discriminations dans le contexte actuel.
M. Guy Fischer, sénateur, s'est déclaré pleinement en accord avec le texte adopté par l'Assemblée nationale, qu'il s'agisse de l'aménagement de la charge de la preuve ou de l'intervention des organisations syndicales. Ces dispositions fondamentales revêtent un caractère d'une grande actualité. Il faut en effet être conscient du fait qu'une partie de la population est aujourd'hui quotidiennement victime de discriminations.
M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a fait part de deux objections aux propositions de l'Assemblée nationale :
- l'aménagement de la charge de la preuve dans le sens souhaité par l'Assemblée nationale risque d'engendrer des abus au préjudice de l'employeur qui devra perpétuellement se justifier ;
- l'intervention d'une organisation syndicale sans l'accord de l'intéressé est une atteinte inadmissible au respect de la volonté de la personne.
M. Rudy Salles, député, après avoir exprimé l'accord du groupe UDF avec la philosophie générale d'un texte abordé sans a priori, a apporté son soutien à la position exprimée par le Sénat.
Mme Catherine Génisson, députée, a estimé que l'aménagement du régime de la charge de la preuve constituait une avancée fondamentale pour le salarié, en particulier en matière d'embauche, de même que la possibilité d'action en justice des organisations syndicales.
M. Jean Chérioux, sénateur, après avoir souligné l'aspect très subjectif du sentiment de discrimination, a considéré que cette proposition de loi risquait d'augmenter considérablement le nombre des actions contentieuses. Celles-ci risquent d'être souvent pour les salariés l'occasion de se dissimuler leurs propres insuffisances.
M. Philippe Vuilque, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a estimé que cet argument était à double tranchant : la subjectivité est à l'évidence présente dans la pratique insidieuse consistant à éliminer les noms à consonance étrangère lors de l'examen des candidatures à l'embauche. Au demeurant, l'évolution de la pratique de certaines entreprises (comme dans le secteur de l'intérim) depuis le début des travaux parlementaires atteste de la pertinence du dispositif envisagé. Le législateur a un devoir d'efficacité.
M. Jean Le Garrec, président, a souligné l'importance de la question du partage de la charge de la preuve. La disposition adoptée par l'Assemblée nationale est un signal aux entreprises destiné à faire évoluer la situation.
M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a convenu que chacun pouvait tout à fait trouver des arguments parfaitement objectifs pour défendre ses positions, mais les entreprises ne fonctionnent pas comme semble le penser l'Assemblée nationale. Dans les grandes et moyennes entreprises en tout cas, ce n'est pas le chef d'entreprise qui embauche, mais un directeur des ressources humaines, et ce sont avant tout des compétences qui sont recherchées. Les personnes chargées des recrutements ne s'arrêtent pas à un nom ou à une origine ethnique.
Il a enfin observé que si chacun reste campé sur ses positions et n'envisage pas d'évoluer vers les propositions de l'autre assemblée, il n'est pas utile de se réunir en commission mixte paritaire.
M. Jean Le Garrec, président, a rappelé que l'Assemblée nationale étudiait toujours avec beaucoup d'attention les débats du Sénat et prenait souvent en compte ses observations. Il n'en demeure pas moins que lorsque les divergences sur le fond sont trop importantes, les deux assemblées ne peuvent qu'en prendre acte.
M. Jean-Pierre Michel, député, a considéré que les deux points de désaccord entre l'Assemblée et le Sénat n'étaient pas de même nature.
Sur le partage de la charge de la preuve, la position de l'Assemblée est incontestablement la bonne. Elle ne fait que reprendre le droit commun en matière de diffamation. La solution retenue par le Sénat interdirait en pratique toute action judiciaire à une personne qui aurait le sentiment d'être victime d'une discrimination.
En revanche, en ce qui concerne l'action des syndicats et des associations, la position peut être plus nuancée. En matière pénale, on ne voit pas de cas où l'action d'un syndicat ou d'une association puisse se faire sans l'accord de l'intéressé. Bien sûr, la personne victime de discrimination subit parfois des pressions telles qu'elle peut renoncer à agir en justice, mais il n'est pas certain qu'elle ait intérêt à ce qu'un syndicat ou une association agisse pour son compte sans son accord.
Mme Catherine Génisson, députée, a rappelé que la règle du partage de la charge de la preuve était déjà appliquée en matière de discrimination salariale.
M. Nicolas About, vice-président, a considéré que, dans la présente proposition de loi, le champ de définition de la discrimination était beaucoup plus large qu'en matière salariale. Dans le présent texte, l'accumulation des critères permet en pratique de toujours déceler une source possible de discrimination. Il y a donc un risque d'extension considérable des procédures. De ce fait, le choix du Sénat en matière de charge de la preuve est simplement raisonnable.
En revanche, pour ce qui concerne l'action des syndicats et des associations, un rapprochement entre les deux assemblées semble possible. Il serait ainsi envisageable de prévoir au minimum que l'intéressé peut, à tout moment, mettre un terme à la procédure.
Enfin, sur le titre de la proposition de loi, le Sénat n'a fait que prendre acte du contenu du texte. Il serait donc regrettable qu'un accord d'ensemble ne puisse pas être trouvé.
M. Jean Le Garrec, président, a demandé au rapporteur de l'Assemblée nationale d'étudier la suggestion faite par le Sénat en ce qui concerne l'arrêt de l'action des syndicats.
Il a ensuite considéré que sur le problème du partage de la charge de la preuve, la divergence entre les deux assemblées était trop forte pour pouvoir faire l'objet d'un rapprochement. Il n'y a évidemment pas, dans ce constat, de jugement sur le souci de chaque assemblée de régler le problème des discriminations dans l'entreprise.
La commission mixte paritaire s'est prononcée sur l'article premier dans le texte de l'Assemblée nationale et l'a rejeté par sept voix contre sept.
Elle a ensuite rejeté, par sept voix contre sept, l'article premier dans le texte du Sénat.
M. Jean Le Garrec, président, a alors constaté que la commission mixte paritaire n'était pas en mesure d'adopter un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations.