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COMMISSION MIXTE PARITAIRE CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DU PROJET DE LOI RELATIF À LA RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL

Lundi 15 novembre 1999

- Présidence de M. Jean Delaneau, président - La commission a d'abord procédé à la désignation de son bureau. Elle a élu :

- M. Jean Delaneau, sénateur, président ;

- M. Jean Le Garrec, député, vice-président ;

- M. Louis Souvet, sénateur, rapporteur pour le Sénat ;

- M. Gaëtan Gorce, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions du texte restant en discussion.

M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a souhaité revenir brièvement sur les modifications apportées par le Sénat au texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture ; il a observé que le terme " modifications " pouvait d'ailleurs paraître faible, vu l'étendue des désaccords.

Il a rappelé que le Sénat était favorable à la réduction du temps de travail, comme l'avait montré l'adoption de la loi de Robien du 11 juin 1996. Il a souligné que les désaccords reposaient avant tout sur le rôle qui devait être dévolu à la réduction du temps de travail dans le cadre de la politique de l'emploi et de la politique économique.

Il a observé que le Gouvernement, comme la majorité des membres de l'Assemblée nationale, semblait convaincu que la généralisation de la réduction du temps de travail, à travers l'abaissement de la durée légale du travail, devait permettre d'obtenir des résultats en termes de créations d'emplois supérieurs à ceux résultant de la simple croissance économique.

Il a déclaré que la majorité des membres du Sénat était convaincue, quant à elle, que la loi et la réglementation ne pouvaient constituer une source de créations d'emplois.

Il a considéré que la réduction du temps de travail pouvait être une chance supplémentaire pour l'emploi, à condition de reposer sur la négociation volontaire entre les partenaires sociaux, l'État se bornant à un rôle d'accompagnement et d'incitation.

M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a estimé, ce faisant, que le présent projet de loi était inacceptable pour le Sénat, au moins pour tout ce qui relevait de l'abaissement de la durée légale du travail.

Il a observé que la majorité des membres de la Haute Assemblée n'avait fait que traduire sa conviction en supprimant plusieurs articles qui lui semblaient incompatibles avec sa vision de l'entreprise, de l'activité économique et de la réduction du temps de travail.

Il a rappelé que le Sénat avait supprimé le principe de l'abaissement de la durée légale à 35 heures (article premier), ainsi que notamment les articles 2 (régime extrêmement complexe des heures supplémentaires), 11 (allégement de cotisations sociales pour les entreprises ayant conclu un accord de réduction du temps de travail), 12 (définition d'un nouveau régime d'allégements de cotisations sociales), 16 (" double SMIC ") et 17 (application des 35 heures aux professions agricoles).

Il a souligné que la suppression de l'ensemble de ces articles ne signifiait nullement, comme on avait pu l'entendre, que le Sénat était opposé à la réduction du temps de travail, ou qu'il refusait d'accorder des garanties aux salariés à l'occasion de la réduction de la durée légale.

Il a observé qu'ayant supprimé le principe de l'abaissement de la durée légale, le Sénat devait logiquement supprimer l'ensemble des articles qui n'en constituaient que le prolongement.

Il a déclaré que le Sénat avait également supprimé de nombreux articles additionnels adoptés par l'Assemblée nationale, et notamment les articles premier bis (contreparties à l'aménagement du temps de travail), 2 bis (durée maximale hebdomadaire du travail), 6 bis (suppression de l'allégement de cotisations sociales pour les salariés à temps partiel).

Il a observé qu'il avait modifié substantiellement certains articles importants sans rapport avec l'abaissement de la durée légale, évoquant par exemple les articles 3 (régime unique de modulation) et 6 (travail à temps partiel), ces modifications ayant eu pour objet, chaque fois que cela était possible, de favoriser la négociation entre les partenaires sociaux.

Au-delà de ce " nettoyage " juridique, M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a estimé que la Haute Assemblée avait souhaité insister sur quatre points essentiels qui avaient pris la forme d'articles additionnels. Il a observé que ces quatre articles constituaient un geste fort en faveur d'une autre vision des relations qui devaient exister entre les partenaires sociaux et l'État.

Il a rappelé que le premier de ces articles additionnels appelait à la tenue d'une conférence nationale sur le développement de la négociation collective, ayant pour objet d'étendre le champ de la négociation collective, de promouvoir la négociation collective dans les petites et moyennes entreprises et d'améliorer la représentation des salariés.

Il a observé que le deuxième de ces articles validait pour cinq ans les clauses des accords collectifs conclus en application de la loi du 13 juin 1998, sous réserve qu'elles ne comportent pas de dispositions contraires à l'ordre public social absolu.

Il a souligné que le troisième de ces articles donnait une portée législative à l'accord signé le 8 avril 1999 par les partenaires sociaux reconduisant pour trois ans le mandatement tel qu'il avait été défini par l'accord interprofessionnel de 1995.

Il a rappelé que le dernier de ces articles additionnels disposait que les établissements du secteur sanitaire, social et médico-social soumis à la procédure d'agrément pourraient bénéficier de l'aide prévue par la première loi Aubry jusqu'au 1er juin 2000 afin de tenir compte de la situation particulièrement dommageable qui serait celle de ces établissements du fait des délais consécutifs à la procédure d'agrément.

Au-delà des désaccords profonds entre l'Assemblée nationale et le Sénat, M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a souhaité attirer l'attention des députés sur deux points qui méritaient, à son sens, un accord en nouvelle lecture : la prise en compte de la durée d'habillage et de déshabillage dans la durée du travail effectif et la validation législative des rémunérations versées au titre des permanences nocturnes en chambre de veille dans le secteur social et médico-social.

Il a rappelé que le premier alinéa de l'article L. 212-4, tel qu'il résulte de la loi du 13 juin 1998, était le fruit d'une synthèse de la position de l'Assemblée nationale, qui avait souhaité actualiser la définition du travail effectif au regard de l'évolution de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, et de la position du Sénat, qui entendait transcrire fidèlement dans le code du travail l'article 2 de la directive européenne du 23 novembre 1993.

Il a observé que le second paragraphe toujours en vigueur excluait du décompte de la durée du travail effectif le temps nécessaire à l'habillage, au " casse-croûte " et les périodes d'inaction en prévoyant toutefois une possibilité de rémunération.

Il a souligné l'anachronisme de la rédaction de ce second alinéa, rappelant qu'il avait été envisagé de le supprimer purement et simplement en 1998.

Il a considéré que cette suppression aurait permis d'éviter de rouvrir un débat délicat compte tenu du fait que le premier alinéa de l'article L. 212-4 se suffisait probablement à lui-même notamment pour ce qui était du décompte et de la rémunération des temps de pause et de restauration.

M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a rappelé que la Haute Assemblée avait souhaité faire un pas dans le sens de la simplification en n'abordant, dans sa nouvelle rédaction du deuxième alinéa de l'article L. 212-4, que la question des temps d'habillage et de déshabillage.

Il a observé que l'article premier ter, tel qu'il avait été adopté par l'Assemblée nationale, posait un problème redoutable à nombre d'entreprises.

Il a considéré que l'assimilation du temps d'habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif lorsque celui-ci était la conséquence d'une obligation pourrait réduire de manière considérable le temps de travail effectif productif.

Il a considéré que ces temps pourraient représenter au minimum 3 heures 15 par semaine pour les entreprises de la filière de l'abattage et de la transformation des viandes. Il a observé que les entreprises de ce secteur avaient conclu des accords de réduction du temps de travail sur la base de 35 heures payées 39 heures hors temps d'habillage et de déshabillage et que cette nouvelle rédaction pourrait menacer, outre l'équilibre des accords, l'avenir des entreprises elles-mêmes.

Il a souligné que toutes les entreprises qui rencontraient des contraintes semblables du fait de précautions liées à l'hygiène ou à la sécurité étaient également inquiètes notamment dans la filière nucléaire.

Il a observé que les entreprises du secteur des parcs d'attraction rencontraient des problème similaires.

Afin de résoudre ce problème, M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a rappelé que les modifications adoptées par la Haute Assemblée prévoyaient que " le temps nécessaire à l'habillage et au déshabillage, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions législatives ou réglementaires ou par le règlement intérieur, est rémunéré selon des modalités fixées par convention ou accord collectif de travail lorsque cet habillage ou ce déshabillage doivent s'effectuer sur le lieu de travail en vertu des textes précités ".

Il a considéré que cette rédaction constituait une rupture avec le droit en vigueur, puisqu'elle prévoyait le principe d'une rémunération des temps d'habillage et de déshabillage, sans toutefois les inclure dans le temps de travail effectif.

Il a rappelé que, lors du débat au Sénat, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, avait reconnu la nécessité de modifier le second alinéa de l'article L. 212-4, estimant par ailleurs qu'il convenait de retravailler la rédaction adoptée à l'Assemblée nationale.

M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a souhaité que la nouvelle lecture soit l'occasion d'aboutir à un accord sur cet article essentiel.

Il a évoqué également l'article additionnel 14 bis adopté par le Sénat à l'initiative de MM. Jean Chérioux et Alain Gournac, ayant pour objet de procéder à la validation législative des rémunérations versées au titre des permanences nocturnes en chambre de veille dans le secteur social et médico-social.

Il a rappelé que les conventions collectives nationales du secteur sanitaire, social et médico-social privé sans but lucratif avaient prévu des régimes d'équivalence qui se trouvaient aujourd'hui confrontés à un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation. Il a évoqué un arrêt du 29 juin 1999 qui excluait de telles clauses, au motif que cette faculté dérogatoire était limitée aux conventions ou accords collectifs étendus ou aux accords d'entreprise ou d'établissement.

Il a observé que la situation semblait réglée pour l'avenir par l'article premier quater du projet de loi, mais que le coût des futurs contentieux concernant le passé pourrait avoisiner les 4 milliards de francs. Afin de conjurer ce risque d'insécurité juridique, il a rappelé qu'il était nécessaire de procéder à une validation législative des décisions, notamment salariales, prises sur la base des clauses des conventions collectives aujourd'hui contestées. Il a observé que le Conseil constitutionnel avait admis la procédure de validation pour " éviter que ne se développent des contestations dont l'aboutissement pourrait entraîner soit pour l'État, soit pour les collectivités territoriales, des conséquences dommageables ".

Il a observé que Mme Martine Aubry avait considéré, lors du débat au Sénat, qu'une telle validation lui semblait nécessaire et conforme aux critères posés par le juge constitutionnel, car elle reposait sur un motif d'intérêt général et ne portait pas atteinte aux décisions de justice devenues définitives, et qu'elle avait donné un avis favorable à cet amendement.

M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a souhaité que cet article, adopté à l'unanimité par le Sénat, soit voté de la même manière par l'Assemblée nationale.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a rappelé que le Gouvernement s'était engagé dans une démarche négociée de réduction du temps de travail accompagnée d'une phase de transition, d'incitations financières et d'un effort supplémentaire pour les entreprises de moins de vingt salariés. Il a déclaré que le projet de loi, tel qu'il avait été adopté par l'Assemblée nationale, tenait compte des accords signés par les partenaires sociaux sur la base de la loi du 13 juin 1998. Les clauses qui s'avéreraient contraires à la deuxième loi, une fois votée, devront être renégociées dans un délai d'un an.

Évoquant les modifications adoptées par le Sénat, il a observé que le recours à la modulation pourrait se faire sans accord collectif, de façon unilatérale, à l'initiative du seul employeur et sans justification de la part du chef d'entreprise. Il a également souligné que le régime des cadres pourrait être défini par accord collectif, directement, sans aucune protection d'ordre législatif.

Il a considéré qu'il n'était pas souhaitable de s'en remettre uniquement aux partenaires sociaux et sans aucun encadrement législatif pour définir les règles du droit du travail.

Évoquant plus particulièrement les articles premier ter et 14 bis, M. Gaëtan Gorce, rapporteur pour l'Assemblée nationale, s'est déclaré sensible aux arguments soulevés par le Sénat. Il a estimé que le débat était ouvert s'agissant de la possibilité de prévoir des contreparties, sous forme financière et sous forme de repos, pour les temps d'habillage et de déshabillage faisant l'objet d'une prescription obligatoire.

Il a considéré que l'article 14 bis, tel qu'adopté par le Sénat, devrait recueillir un large accord. Il a observé en revanche que les modifications apportées à l'article premier quater n'allaient pas dans le sens des dispositions retenues par l'Assemblée nationale. Il a également relevé l'antagonisme des conceptions du droit du travail que traduisaient les différences de rédaction entre les deux assemblées.

M. Jean Delaneau, président, a regretté que le Gouvernement ait déclaré l'urgence sur un projet de loi aussi important, réduisant de ce fait la possibilité d'accord partiel entre les deux assemblées durant la navette.

M. Jean Le Garrec, vice-président, a estimé que les résultats observés aujourd'hui en termes de signatures d'accords et d'engagements de créations d'emplois étaient la conséquence du recours à la loi pour promouvoir la réduction du temps de travail. Il a déclaré que l'Assemblée nationale tiendrait compte du travail et des réflexions du Sénat, notamment sur les deux points soulevés par son rapporteur M. Louis Souvet.

M. Jean Chérioux, sénateur, a salué l'accord de principe entre les deux assemblées sur l'article 14 bis relatif à la validation législative des rémunérations versées au titre des permanences nocturnes en chambre de veille dans le secteur social et médico-social. Il a estimé néanmoins que les réserves soulevées par M. Gaëtan Gorce, rapporteur pour l'Assemblée nationale, quant aux modifications apportées par le Sénat à l'article premier quater, pourraient constituer une source de difficultés pour les établissements du secteur social et médico-social.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, député, a déclaré partager la conception du Sénat sur la réduction du temps de travail. Observant que cette dernière devait constituer avant tout un progrès social, elle a considéré que la réduction du temps de travail devait résulter de la négociation collective. Elle a souligné que le texte voté par le Sénat assurait le respect complet des accords signés sur le fondement de la loi du 13 juin 1998 et levait de nombreuses zones d'ombre. Elle a rappelé que le dispositif adopté par l'Assemblée nationale n'était toujours pas bouclé financièrement.

M. François Goulard, député, a considéré que le travail du Sénat avait permis d'améliorer substantiellement le projet de loi et qu'il conviendrait d'en tenir compte lors de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale.

Mme Nicole Borvo, sénateur, a souhaité que la rédaction de l'Assemblée nationale, qui inclut le temps d'habillage et de déshabillage dans la définition du temps de travail effectif, lorsque celui-ci est la conséquence d'une obligation, soit maintenue.

Abordant l'examen des articles restant en discussion, la commission mixte paritaire n'a pas adopté, par six voix contre six, l'article premier A du projet de loi adopté par le Sénat.

M. Jean Delaneau, président, a alors constaté que la commission mixte paritaire n'était pas en mesure d'adopter un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

COMMISSION MIXTE PARITAIRE CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DU PROJET DE LOI RELATIF À LA MODERNISATION ET AU DÉVELOPPEMENT DU SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ

Jeudi 18 novembre 1999

- Présidence de M. Jean-Paul Durieux, président. -

La commission mixte paritaire a d'abord procédé à la désignation de son bureau, qui a été ainsi constitué :

M. André Lajoinie, député, président,

M. Jean François-Poncet, sénateur, vice-président.

La commission a ensuite désigné :

M. Christian Bataille, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;

M. Henri Revol, sénateur, rapporteur pour le Sénat.

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen du texte.

M. André Lajoinie, président, a tout d'abord rappelé les dispositions de l'article 45 de la Constitution et précisé qu'une commission mixte paritaire ne pouvait parvenir à un accord que lorsque les positions des deux assemblées étaient proches. Un accord partiel n'étant pas possible, un seul point de désaccord peut empêcher la commission mixte de parvenir à un compromis.

Il a donc estimé qu'il convenait d'éviter que la commission mixte aboutisse à un accord factice qui risquerait ensuite de ne pas être approuvé par chacune des deux assemblées.

M. Christian Bataille, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a indiqué que la commission mixte paritaire constituait une étape importante dans le processus de transposition en droit français de la directive européenne sur l'électricité adoptée fin 1996. Il a rappelé que le projet de loi transposant cette directive dans notre droit a été déposé il y a un an environ, et a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale et par le Sénat, respectivement en février et en octobre derniers.

Ce calendrier n'a pas empêché le processus de libéralisation de se mettre en oeuvre, puisque près du quart du marché, environ (correspondant aux clients consommant plus de 100 GWh par an), est d'ores et déjà soumis à la concurrence. Par ailleurs, d'autres dispositions du projet de loi, comme celles portant sur la traduction pratique du droit à l'électricité pour tous, dépendent plus de la volonté d'EDF que de l'adoption du projet de loi.

La majorité de gauche de l'Assemblée nationale a adopté en début d'année un texte qui était le fruit d'un équilibre délicat. Cet équilibre vise à conjuguer le strict respect des dispositions contenues dans la directive européenne (en prévoyant en particulier un rythme d'ouverture du marché n'allant pas au-delà des exigences de Bruxelles) et les exigences liées à la préservation du service public. Or, certaines dispositions adoptées par le Sénat sont trop éloignées de la rédaction proposée par l'Assemblée nationale. Mises bout à bout, elles aboutissent à un texte différent par sa nature et sa tonalité.

Le meilleur service qui puisse être rendu au secteur de l'électricité est de le doter d'une législation qui soit à la fois durable et acceptée.

Selon M. Christian Bataille, rapporteur pour l'Assemblée nationale, un texte de compromis ne peut répondre à ces exigences. Sans remettre en question l'efficacité des commissions mixtes paritaires, il a jugé que, seule, une nouvelle lecture se rapprochant le plus possible du texte déjà adopté par l'Assemblée nationale, assemblée parlementaire représentative de l'équilibre des forces politiques du pays, peut garantir à la loi une réelle longévité. Il est clair que ce texte n'aura pas la durée de vie plus que cinquantenaire de la loi de 1946 mais on peut raisonnablement espérer légiférer sur ce point pour les dix ou quinze prochaines années, et ce d'autant plus que seule la version de l'Assemblée nationale garantit une acceptation de la loi " sur le terrain ".

Il a conclu en rendant hommage à l'important travail du Sénat qui, pour des raisons essentiellement politiques, a abouti à un résultat ne permettant pas, selon lui, d'entrevoir un accord en commission mixte paritaire. Il appartiendra en conséquence au débat en nouvelle lecture de conforter la cohérence de ce texte et de consolider ses bases politiques.

Après avoir relevé la franchise des propos du rapporteur pour l'Assemblée nationale, M. Jean François-Poncet, vice-président, a exprimé ses regrets, au nom de la majorité sénatoriale, devant la position adoptée par les députés. Il a souligné que le Sénat avait travaillé dans un esprit constructif, en vue d'un accord entre les deux assemblées et en étroite liaison avec le Gouvernement et l'opérateur national. Tout en se déclarant ouvert à la possibilité de modifier le texte du Sénat, il a pris acte des propos du rapporteur, qui ne faisaient, a-t-il estimé, que confirmer les annonces de la presse, qui semblait informée plus complètement et plus rapidement que les membres de la commission mixte paritaire sur l'issue des travaux de cette dernière.

M. Jean François-Poncet, vice-président, a jugé que le retard dans l'adoption définitive de la loi qui résulterait d'un échec de la commission mixte paritaire aurait des conséquences très préjudiciables pour Électricité de France. Il a relevé que s'il s'éloignait par trop de la directive, le texte adopté par le Parlement devrait, en outre, être inévitablement revu pour être mis en conformité avec celle-ci.

M. Henri Revol, rapporteur pour le Sénat, a fait valoir que la Haute Assemblée avait étudié avec pragmatisme le texte adopté par les députés en première lecture. Considérant que la loi de nationalisation de l'électricité de 1946 avait permis la constitution d'un opérateur national fort, il a indiqué que le Sénat avait souhaité préserver cet acquis et doter l'entreprise nationale d'atouts supplémentaires. Il a fait état des vives préoccupations émanant de l'industrie française, pour laquelle le coût de l'électricité est déterminant en termes de compétitivité - et donc d'emploi - face à la concurrence européenne et mondiale.

Le rapporteur pour le Sénat a également observé que si les sénateurs avaient présenté 440 amendements au projet de loi, dont 256 avaient été adoptés, le Gouvernement avait émis un avis favorable sur 178 des amendements déposés au Sénat, chiffre qui témoigne de la volonté de compromis de la Haute Assemblée. S'inscrivant en faux contre les propos du rapporteur de l'Assemblée nationale, il a tout d'abord considéré que la transposition de la directive devait s'effectuer au plus vite, la France étant le dernier État d'Europe à transposer ce texte, théoriquement applicable depuis le 19 février 1999. Il a ensuite rappelé que les sites consommant plus de 100 Gigawattheures par an étaient, d'ores et déjà, éligibles. Il a estimé que tout retard handicaperait la stratégie internationale d'Électricité de France, nombre d'États membres ayant fait part de leur intention de mettre en oeuvre les mesures de rétorsion permises par la clause de réciprocité de la directive, alors qu'EDF est engagé dans plusieurs négociations stratégiques sur leurs marchés.

M. Henri Revol, rapporteur pour le Sénat, a enfin exprimé sa grande déception face à l'attitude des députés, relevant que le Sénat s'était, quant à lui, gardé de tout " ultra libéralisme ", souhaitant, dans l'intérêt national, procéder à une discussion ouverte avec l'Assemblée nationale, dans la perspective d'un accord. Il a observé qu'un rapprochement des positions des deux assemblées était possible, trois grands points de désaccord seulement subsistant, de l'aveu même du ministre. Sur chacun de ces points, le rapporteur du Sénat s'est déclaré ouvert à la discussion. 

M. Claude Birraux a tout d'abord fait remarquer qu'il ne servait à rien de se lamenter sur le manque de considération dont souffrait le Parlement alors que les parlementaires eux-mêmes se référaient à la presse pour prendre connaissance des résultats d'une commission mixte paritaire à laquelle ils s'apprêtaient à participer ; il a estimé que la faute n'était donc pas à rejeter sur la presse, mais sur les parlementaires eux-mêmes.

Concernant l'urgence de l'adoption du texte soumis à la commission, il a noté que la France était le dernier pays européen à s'engager dans la transposition de la directive européenne et que la fin de la première lecture à l'Assemblée nationale avait coïncidé avec la date butoir fixée par la directive pour sa transposition. Il a déploré qu'une fois de plus, la France donne le mauvais exemple au sein de l'Union européenne et s'est déclaré surpris de constater que selon M. Christian Bataille, rapporteur pour l'Assemblée nationale, il n'y avait pas urgence. Il a estimé qu'une telle appréciation aurait pour conséquence de mettre EDF en difficulté, alors que cette entreprise a réussi à devenir un acteur majeur, comme en témoigne sa récente prise de participation dans un producteur d'électricité allemand. Il a jugé que tout retard dans le processus législatif créerait un climat de suspicion dommageable à EDF.

Puis M. Claude Birraux a estimé qu'il n'était pas correct de louer le travail fourni par le Sénat pour ensuite le rejeter en bloc. Il a souligné que les sénateurs avaient évité d'adopter une position très divergente de celle de l'Assemblée nationale, notamment en ne prévoyant pas une filialisation du gestionnaire du réseau de transport de l'électricité. Il a ensuite déploré qu'après la parodie de commission d'enquête sur Superphénix, qui n'avait pas mesuré l'impact de l'arrêt de cette installation sur les entreprises françaises, on puisse constater de nouveau une volonté de rupture du consensus traditionnel portant sur notre politique énergétique et qui a garanti le succès des entreprises françaises dans ce domaine. Il s'est donc déclaré déçu et a estimé que cette attitude augurait mal des projets de lois qui devront prochainement intervenir dans les domaines du gaz et de la sûreté nucléaire. Il a enfin exprimé sa crainte que le Premier ministre ne sacrifie la politique énergétique française sur l'autel de ses ambitions présidentielles.

M. Franck Borotra a vivement regretté que la commission mixte paritaire, institution strictement parlementaire, soit réduite à entériner des arbitrages politiques décidés par le Premier ministre. L'affirmation selon laquelle l'Assemblée nationale est seule représentative des forces vives de la Nation n'est pas admissible. Ces deux éléments contribuent à un abaissement général du Parlement que tous ses membres déplorent.

L'urgence actuellement constatée est due aux retards du Gouvernement, qui a laissé passer l'échéance de la transposition ; les difficultés se trouvent aggravées par le durcissement du texte en première lecture devant l'Assemblée nationale. Aux améliorations proposées par les députés de l'opposition, un refus de discuter a été opposé. Les choix opérés par la majorité résultent d'un arbitrage politique répondant aux intérêts du parti communiste, composante minoritaire de la majorité plurielle, au détriment de ceux d'EDF et du secteur électrique dans son ensemble. Après le cadeau aux Verts qu'a constitué l'arrêt de Superphénix, il s'agit maintenant d'un cadeau fait aux communistes.

Le texte voté par l'Assemblée nationale était dès l'origine contesté, y compris par la Commission européenne, sur le problème des coûts échoués liés aux retraites ou au surgénérateur Superphénix.

L'échec de la commission mixte paritaire serait susceptible d'entraîner plusieurs conséquences graves. Au plan communautaire, le retard dans la transposition de la directive expose la France à un recours en manquement introduit, par la Commission, devant la Cour de justice des Communautés européennes, et au risque de voir notre pays condamné sur ce moyen.

Ce retard pénalise EDF, dans la mesure où il risque de freiner sa politique d'acquisitions à l'étranger et de nourrir les critiques de nos partenaires commerciaux sur la réalité de l'ouverture du marché français. Or, cette ouverture peut légitimement être attendue en application du principe de réciprocité ainsi que cela était d'ailleurs convenu entre la France et l'Allemagne. La presse s'est d'ailleurs fait l'écho de menaces de représailles sur le marché espagnol. En outre, l'autorité de régulation de l'électricité italienne a indiqué vouloir réduire le montant des importations d'électricité en provenance d'États ayant insuffisamment libéralisé leur marché. Ce retard risque enfin de poser un problème pour le calendrier de la transposition de la directive sur le gaz.

Globalement, les conséquences sur l'image de la France en Europe et sur EDF risquent d'être très dommageables.

Les débats au Sénat ont conduit à une réécriture plus conforme à l'esprit de la directive du texte rabougri, fermé, ratiociné et frileux voté par l'Assemblée nationale. La position tranchée du rapporteur apparaît donc inspirée par de strictes considérations politiciennes. La remise en cause des intérêts d'EDF et de ceux de la France qui en résultent, engagera la responsabilité du Gouvernement et de sa majorité.

M. André Lajoinie, président, a répondu qu'il était curieux de dénoncer le rôle de la presse pour, ensuite, mieux s'appuyer sur elle dans son argumentation. Il a souligné que les divergences existant entre les membres de la commission mixte paritaire étaient, avant tout, de nature politique. Les parlementaires sont des responsables politiques et le peuple ne pourrait adhérer à un Parlement qui ne serait pas politique.

En réponse, M. Franck Borotra a regretté que l'arbitrage sur ce texte ait été pris dans une enceinte autre que celle de la commission mixte paritaire. Il a reconnu l'attachement indéfectible, depuis cinquante ans, du parti communiste à la loi de 1946, texte qui, selon lui, a désormais sa place dans un musée d'archéologie. Il a en revanche dénoncé l'attitude d'un Gouvernement qui n'a pas recherché un consensus au sein du Parlement, mais a voulu satisfaire une seule des composantes de sa majorité " plurielle " alors qu'un consensus était possible. Ce choix politicien ne peut que porter préjudice aux intérêts d'EDF.

M. Gérard Cornu a déclaré souscrire sans réserves aux propos tenus par M. Franck Borotra. Soulignant le caractère purement politique de la position des députés, il a mis en valeur le travail accompli par le Sénat. Il a estimé que le déroulement de la commission mixte paritaire représentait un " mauvais coup " pour les institutions de la République et pour le bicamérisme. Il a jugé que la modération caractérisant le texte du Sénat satisfaisait à la fois les usagers, les collectivités locales, Électricité de France et les entreprises concernées. Il a estimé qu'un compromis était nécessaire entre les deux assemblées, au nom de l'engagement européen de la France, l'intérêt de notre pays devant prévaloir sur le seul jeu des intérêts partisans. Regrettant que la majorité plurielle ait préféré des considérations purement politiciennes à l'intérêt général, il a jugé que ce " cadeau de M. Jospin à M . Hue " se faisait au détriment d'EDF.

Relevant les propos du rapporteur de l'Assemblée nationale sur la soi-disant exclusivité de représentativité politique de cette assemblée, M. Gérard Larcher a rappelé que le Sénat n'était pas, lui non plus, coupé des " forces vives " et qu'il assure en outre, aux termes de la Constitution, la représentation des collectivités territoriales et des Français établis hors de France. Il a exhorté les députés membres de la commission mixte paritaire à un meilleur respect des dispositions constitutionnelles relatives aux deux chambres du Parlement.

Évoquant la commission mixte paritaire réunie en 1996 sur la loi de réglementation des télécommunications, dont il était le rapporteur pour le Sénat, M. Gérard Larcher a souligné que la représentation nationale avait su, à cette époque, trouver un équilibre politique plus large que celui de la seule majorité gouvernementale existant alors. Il a d'ailleurs relevé que le Gouvernement actuel n'avait pas remis en cause ces dispositions législatives, qui représentaient une étape majeure de la modernisation du service public des télécommunications. Revenant au projet de loi sur l'électricité, il a jugé que les membres de la commission mixte paritaire risquaient au contraire, en cas d'échec, de manquer une occasion historique de modernisation du service public de l'électricité, au nom d'une conception passéiste. Il a souhaité que les députés et sénateurs présents démentent le constat d'échec dressé prématurément par la presse et parviennent à une solution commune d'adaptation du service public de l'électricité.

M. Pierre Hérisson a salué " l'abnégation " du rapporteur de l'Assemblée nationale, ce dernier s'ingéniant subitement, malgré l'intention manifeste d'aboutir du Gouvernement, lors de la discussion au Sénat, à faire échouer un dialogue pourtant bien engagé. Estimant que les minorités commandaient trop souvent le choix des majorités plurielles, il a jugé que les députés mettaient le secrétaire d'État à l'industrie dans une position délicate pour la deuxième lecture à l'Assemblée. Reprenant le parallèle avec les télécommunications, il a rappelé que l'opposition virulente, à l'époque, de certaines centrales syndicales à l'ouverture à la concurrence - les mêmes arguments servant aujourd'hui à fustiger l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité - n'avaient pas empêché la libéralisation de profiter aux consommateurs, à l'opérateur, aux entreprises et à l'économie nationale. Il a souhaité que la commission mixte paritaire entame réellement l'examen du texte.

Après s'être réjoui des éloges faits par les parlementaires de l'opposition au secrétaire d'État à l'industrie, M. Alain Cacheux a observé que la libéralisation des marchés était loin d'avoir toujours bénéficié aux consommateurs sous forme d'une baisse des prix de l'électricité et d'un accroissement des services rendus.

Il a remercié M. Franck Borotra d'avoir souligné le caractère politique du texte voté par l'Assemblée nationale, qui atteste donc de son adéquation avec les options de la majorité.

L'invocation de l'urgence pour accélérer la procédure, présentée par les parlementaires de l'opposition, vise en réalité, a-t-il estimé, à obtenir une modification de l'équilibre du texte. Il a toutefois noté que même si le texte adopté par le Sénat n'était pas aussi caricaturalement libéral qu'on aurait pu le craindre, il reflétait toutefois une sensibilité sensiblement différente de celle de l'Assemblée nationale, traduction d'un désaccord politique réel, que la commission mixte paritaire ne peut, selon lui, que constater.

Il a enfin demandé à M. Franck Borotra pourquoi celui-ci avait négocié une directive dont il estimait aujourd'hui qu'on pourrait respecter la lettre, tout en altérant son esprit.

En réponse, M. Franck Borotra a rappelé l'impasse dans laquelle se trouvaient les négociations européennes lorsqu'il les a reprises en 1995 : celles-ci, laissées pendantes en 1990, étaient totalement bloquées, la France se trouvant isolée sur ses positions. Cette situation avait contraint à une discussion pied-à-pied avec nos partenaires pour aboutir à un compromis. Or, le texte, tel que voté par l'Assemblée nationale en première lecture, a vidé de son sens ce compromis. Cette loi ne devrait donc pas être durable, ce qu'a d'ailleurs admis le secrétaire d'État à l'industrie.

M. Jacques Desallangre, reprenant les propos introductifs de M. André Lajoinie, président, a estimé que les positions des deux assemblées n'étaient pas suffisamment proches pour aboutir à un accord. Il a déclaré comprendre l'amertume du Sénat, mais a noté que son texte était néanmoins profondément différent de celui de l'Assemblée nationale, notamment sur la définition du service public de l'électricité, sur la sécurité d'approvisionnement et sur les conditions de régulation du marché. Il a jugé qu'un compromis ne serait satisfaisant pour aucun des membres de la commission mixte paritaire et a souligné que l'absence d'un tel accord refléterait l'opposition des choix politiques de chacune des deux assemblées.

M. Jean François-Poncet, vice-président, a considéré qu'il s'écoulerait sans doute peu de temps avant que ne soit avérée l'incompatibilité de certaines dispositions du texte adopté par les députés avec le droit communautaire. Relevant à son tour les propos - à son sens choquants - du rapporteur de l'Assemblée nationale sur le soi-disant monopole de représentativité de l'Assemblée nationale, il a cité les appels de la CFDT à une réussite de la commission mixte paritaire, cette organisation - qui, tout comme le Sénat, n'est nullement coupée des " forces vives " - ne s'associant aucunement " à ceux qui, pour des raisons partisanes, veulent mettre en échec la commission mixte paritaire ", échec qui serait selon elle " le plus sûr moyen d'hypothéquer le service public et de ruiner les chances de développement d'EDF en Europe ".

S'associant aux propos du précédent orateur, M. Gérard Larcher a rappelé le rôle tenu par certaines organisations syndicales dans l'évolution du secteur des télécommunications.

M. Pierre Ducout a estimé que le texte voté par l'Assemblée nationale en première lecture établissait un équilibre garantissant l'avenir du service public et celui d'EDF et qu'il ne lui semblait pas envisageable de remettre en cause cet équilibre. Il a en particulier regretté que le Sénat se soit écarté de la position adoptée par l'Assemblée nationale, notamment en réduisant fortement le rôle et la responsabilité du ministre chargé de l'énergie, ce qui rompt avec plus de cinquante ans d'une pratique à l'efficacité prouvée.

M. André Lajoinie, président, a constaté l'échec de la commission mixte paritaire.