Projet de loi Projet de loi de finances pour 2021

Direction de la Séance

N°II-269

23 novembre 2020

(1ère lecture)

SECONDE PARTIE

MISSION PLAN DE RELANCE

(n° 137 , 138 , 139, 142)


AMENDEMENT

C Défavorable
G Défavorable
Rejeté

présenté par

MM. RAYNAL, FÉRAUD, CARDON, MONTAUGÉ et KANNER, Mme BRIQUET, MM. COZIC et ÉBLÉ, Mme ESPAGNAC, MM. JEANSANNETAS, Patrice JOLY, LUREL

et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain


Article 33 (Crédits de la mission)

(État B)

Consulter le texte de l'article ^

I. – Créer le programme :

Expérimentation territoriale de la Dotation d’Autonomie pour la Jeunesse

II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

 

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Écologie

 

 

 

 

Compétitivité

 

100 000 000

 

100 000 000

Cohésion

 

 

 

 

Expérimentation territoriale de la Dotation d’Autonomie pour la Jeunesse 

100 000 000

 

100 000 000

 

TOTAL

100 000 000

100 000 000

100 000 000

100 000 000

SOLDE

0

0

Objet

Le présent amendement vise à financer la création d’une expérimentation territoriale pour la mise en place d’une « Dotation d’Autonomie pour la Jeunesse ».

Cette proposition part d’un constat : la pauvreté des jeunes en France. En 2018, le taux des 18-29 ans vivant sous le seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian s’élevait à 12,5 %, soit 4,2 points de plus que la moyenne nationale.

Concrètement, cela signifie qu’un million de jeunes vivent avec un revenu mensuel inférieur à 885 euros.

La situation va en s’aggravant puisque les 18-29 ans constituent la catégorie d’âge au sein de laquelle le taux de pauvreté au seuil de 50 % du revenu médian a le plus progressé depuis 2002 (+ 58,2 %, contre + 27,7 % pour l’ensemble de la population). Les jeunes sont en outre les premières victimes des chocs économiques : déjà en 2008-2009, leur taux de chômage avait augmenté de 6,2 points, contre 2,3 points pour l’ensemble de la population.

Les effets de la crise sanitaire se font à cet égard déjà sentir puisque le chômage des jeunes a bondi de 2,6 points sur un an au 3ème trimestre 2020 (contre 0,6 point en moyenne nationale), entraînant un fort risque d’éloignement précoce du marché du travail et d’un basculement durable dans la pauvreté. Une récente étude de l’Organisation internationale du travail a nettement souligné que les jeunes comptent, partout dans le monde, parmi les principales victimes de cette crise, qui est venue brutalement heurter leurs parcours d’études ou d’accès à l’emploi.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » lancé par le Gouvernement n’apporte à ce problème qu’une réponse lacunaire, puisqu’au jeune qui ne parviendrait pas à s’inscrire dans l’un des parcours d’insertion financés par la mission « Plan de relance », la « solution » proposée se limiterait aux deux aides ponctuelles de solidarité versées à l’été et à l’automne 2020. Si ce plan permet un renforcement bienvenu des différents dispositifs de la politique de l’emploi (aides à l’embauche, parcours emploi compétences, contrats uniques d’insertion, aides au poste dans le secteur de l’insertion par l’activité économique…), force est de constater que les objectifs qu’il vise paraissent quelque peu irréalistes, en particulier celui de la création de 35 000 postes dans le secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE). À supposer même que les cibles soient atteintes, rien ne garantit que les instruments mis en place bénéficient prioritairement aux jeunes les plus en difficulté et ne conduisent pas in fine, par effet d’aubaine, à des recrutements de jeunes qui auraient eu lieu sans aide publique.

Surtout, ce plan revêt un caractère strictement conjoncturel alors même que le problème de la pauvreté des jeunes, s’il est accentué par la crise, est bel et bien structurel. Dès 2021 et pour les années ultérieures, ceux-ci seront d’ailleurs fortement affectés par la décision obstinée du Gouvernement de maintenir la réforme de l’assurance chômage. En rendant plus restrictives les conditions d’ouverture des droits et en modifiant les modalités de calcul des allocations dans un sens défavorable aux personnes ayant alterné périodes de chômage et contrats courts, cette réforme pénaliserait avant tout les jeunes. L’Observatoire des inégalités a en effet montré que le taux d’emploi précaire (intérim, CDD, apprentissage) s’élevait en 2018 à 53,3 % chez les 18-24 ans, contre 11,5 % chez les 25-49 ans.

Or, notre modèle de protection sociale semble en tout état de cause bien mal armé pour faire face à ce phénomène dans la durée. Les conditions d’accès des jeunes aux minima sociaux sont particulièrement limitées. En particulier, le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) est réservé, pour les personnes âgées de moins de 25 ans, aux jeunes parents, ou mariées avec une personne de plus de 25 ans, ou ayant travaillé au moins deux ans à temps plein au cours des trois dernières années. Près d’un million de jeunes peuvent certes bénéficier des aides au logement, qui permettent de diminuer le coût de leur loyer mais ne sauraient être assimilées à un revenu d’existence. La Garantie jeunes, pilotée par les missions locales, constitue un dispositif important d’accompagnement vers l’autonomie des jeunes les plus éloignés du marché de l’emploi, mais avec un peu moins de 100 000 bénéficiaires en 2019 et une éligibilité limitée à 18 mois, elle ne saurait apporter de réponse globale au problème de la pauvreté des jeunes.

La France constitue, avec le Luxembourg et la plupart des régions d’Espagne, l’un des seuls pays européens dans lequel les minima sociaux ne sont pas accessibles aux jeunes de moins de 25 ans, témoignant du souci de privilégier la solidarité familiale.

Comme l’a souligné en 2016 le rapport « Repenser les minima sociaux » de Christophe Sirugue, cette restriction traduit le choix sous-jacent de privilégier le soutien familial, qui est porteur d’inégalités puisque celui-ci est d’autant plus élevé que la famille est aisée alors que ce sont précisément les jeunes issus de milieux défavorisés qui rencontrent des difficultés d’insertion et ont besoin d’un soutien monétaire.

L’épreuve de la crise doit constituer pour nous l’occasion de reconstruire un lien de confiance entre les générations, en pensant collectivement un nouveau cadre pour favoriser l’émancipation des jeunes adultes.

C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste, écologiste et républicain propose de financer en 2021 le lancement d’une expérimentation territoriale visant à instituer une « Dotation d’Autonomie pour la Jeunesse » permettant d’apporter un soutien monétaire aux jeunes émancipés.

Celle-ci serait mise en œuvre pour une durée de deux à trois ans dans un nombre limité de territoires. Elle pourrait concerner une vingtaine de départements volontaires répondant à un cahier des charges précis, sur la base d’une contractualisation avec l’État. Pour mémoire, fin 2018, la volonté de 18 présidents de conseils départementaux d’expérimenter la mise en place d’un revenu de base avait déjà donné lieu au dépôt de deux propositions de loi à l’Assemblée nationale et au Sénat. Ce sont aujourd’hui près de 40 Départements qui souhaitent expérimenter un tel dispositif.

Des mesures législatives et réglementaires devraient être prises pour dessiner les contours du dispositif, qui pourraient être ajustés selon les territoires en laissant d’importantes marges de manœuvre aux départements, afin que tout un panel d’options puisse être expérimentées. Devraient en particulier être précisés les critères précis d’éligibilité, le montant de l’aide, son articulation avec les autres dispositifs d’aide sociale existants et les modalités de son inscription dans un parcours d’accompagnement.

Alors que les premières études réalisées sur le sujet suggèrent que l’accès aux minima sociaux n’a pas d’effet désincitatif sur l’entrée dans l’emploi des jeunes, une évaluation scientifique rigoureuse des expérimentations devrait permettre de dépassionner le débat et de créer les conditions d’un consensus sur la question.

Une enveloppe d’environ 100 millions d’euros pourrait être nécessaire pour financer le lancement du dispositif expérimental et, si possible, le versement des premières dotations à l’horizon de la fin de l’année 2021.

L’amendement propose ainsi une ouverture de crédits à hauteur de 100 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiements sur le programme (nouveau) « Expérimentation territoriale de la Dotation autonomie jeunesse » composé d’une action unique au même intitulé.

Pour des raisons de recevabilité financière, celle-ci serait gagée en autorisations d’engagement et en crédits de paiements sur les crédits de l’action 04 « Mise à niveau numérique de l’État, des territoires et des entreprises – Modernisation des administrations régaliennes » du programme 363 « Compétitivité ». Les auteurs de l’amendement tient cependant à souligner qu’il n’a aucune intention de minorer l’ouverture de crédits demandée sur ce programme et invite le Gouvernement à lever le gage.