Proposition de loi Lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur

Direction de la Séance

N°1

2 juillet 2025

(Commission Mixte Paritaire)

(PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE)

(n° 800 rect. , 799 )


Exception d'irrecevabilité

C Défavorable
G Défavorable
Rejeté

Motion présentée par

M. SALMON

et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires


TENDANT À OPPOSER L'EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

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En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur (n° 800, 2024-2025).

Objet

Par la présente motion, le groupe Écologiste – Solidarité et territoires propose de déclarer irrecevable, en application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le texte issu de la commission mixte paritaire de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, dont certains articles portent de graves atteintes à des dispositions constitutionnelles et au droit de l’Union européenne.

Plusieurs dispositions de la présente proposition de loi méconnaissent en effet des droits garantis par la Charte de l’environnement. En particulier celui de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (article 1er), le devoir de prendre part à la préservation de l’environnement (article 2) et le principe de précaution (article 5).

Dans sa décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, le Conseil constitutionnel a en effet considéré que le législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, est tenu de « prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement mentionné à l’article 2 de la Charte de l’environnement et ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement. » Or l’objet affiché de ce texte est précisément de supprimer des dispositions dont l’objectif est de contribuer à garantir ce droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé.

C’est le cas à l’article 2, qui prévoit la possibilité, pour le ministre chargé de l’agriculture, de déroger à l’interdiction, inscrite à l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances ainsi que des semences traitées avec ces produits.

Cette autorisation à titre dérogatoire n’est assortie d’aucune limite de durée, de types d’usages et d’évaluation, en passant outre les procédures d’autorisation de l’ANSES. Les effets des néonicotinoïdes, dont l’acétamipride, sur les insectes pollinisateurs, la faune du sol et les oiseaux sauvages, la qualité de l’eau ou encore la santé humaine sont largement documentés par les scientifiques. De plus, cette réautorisation ne s’accompagne pas d’une évaluation scientifique indépendante qui permettrait d’estimer ses conséquences pour la biodiversité, la qualité de l’eau et la santé humaine. Dès lors, cette disposition s’oppose au droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et au principe de précaution inscrits dans la Charte de l’environnement. En écartant l’ANSES de la procédure d’autorisation de mise sur le marché, cette disposition est par ailleurs contraire au Règlement UE N° 1107/2009 qui définit les modalités d’évaluation et de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques par les agences habilitées des États membres.

Ce même article prévoit des évolutions dans le processus d’examen des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES). Les dispositions adoptées par la commission mixte paritaire ouvrent la voie à la mise en place de contraintes au travail de l’ANSES, ce qui serait contraire au droit de l’Union européenne, dont le Règlement N° 1107/2009 qui garantit que l’évaluation en vue d’autorisation de mise sur le marché doit être « indépendante, objective et transparente, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles en utilisant les documents d’orientation disponibles au moment de la demande » (article 4) ; et que l’État doit « applique[r] les principes uniformes d’évaluation et d’autorisation des produits phytopharmaceutiques » (article 36).

L’article 3 est également contraire au principe de précaution consacré par l’article 5 de la Charte de l’environnement, puisqu’il vise à exclure de nombreux projets d’élevages du régime d’autorisation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), sans que cette disposition ait été préalablement évaluée à l’aune de ses conséquences environnementales et économiques.

Ce même article prévoit de limiter les procédures de consultation du public pour les installations d’élevages bovins, avicoles et porcins relevant du régime d’autorisation ICPE. La suppression des réunions publiques sur ces projets constitue un grave recul démocratique. Ces dispositions sont contraires à l’article 7 de la Charte de l’environnement, qui garantit à toute personne le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. Dans les faits, sans réunions publiques sur les projets susceptibles d’avoir des conséquences pour les personnes vivant à proximité, ce droit ne serait plus assuré. Car ce sont ces réunions publiques, bien plus que les consultations en ligne, qui permettent aux citoyens concernés d’échanger avec les porteurs de projet et d’avoir accès aux informations.

Les dispositions relatives aux ouvrages de stockage de l’eau prévues par l’article 5 constituent également un recul important en matière de protection de l’environnement. La destruction des zones humides et le dérèglement du cycle de l’eau sont en effet des causes majeures de la perte de la diversité biologique, qui elle-même compromet le droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Outre les effets locaux immédiats de la construction d’infrastructures de prélèvement et de stockage d’eau en surface, cet article exclut en grande partie ces projets des procédures prévues par le droit français et par celui de l’Union européenne (Directive 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement). En ce sens, il méconnaît le principe de précaution comme le droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Au-delà des articles 2, 3 et 5, c’est bien ce texte dans son ensemble qui constitue une atteinte lourde de conséquences au principe de précaution inscrit dans la Charte de l’environnement, au droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et au principe de non-régression consacré par le code de l’environnement.