Proposition de résolution Accord avec le Mercosur
Direction de la Séance
N°1 rect.
16 décembre 2025
(1ère lecture)
(n° 157 , 156 , 147)
Question préalable
| C | Défavorable |
|---|---|
| G | Sagesse du Sénat |
| Rejeté | |
Motion présentée par
MM. CADIC et MEIGNEN
TENDANT À OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE
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En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de résolution européenne relative à l’accord de partenariat entre l’Union européenne et le Mercosur (n° 157, 2025-2026).
Objet
La proposition de résolution européenne soumise au Sénat appelle le Gouvernement à s’opposer à la signature et à la conclusion de l’accord de partenariat entre l’Union européenne et le Mercosur.
Sous couvert d’une posture de principe, elle installe en réalité une logique de repli stratégique contraire aux intérêts fondamentaux de la France, de ses entreprises, de son agriculture et de sa capacité d’influence internationale.
Dans un monde marqué par le retour des rapports de force, la fragmentation des échanges et la remise en cause du multilatéralisme, l’Amérique latine est redevenue un champ de compétition géopolitique majeur. Les États-Unis et la Chine y déploient des stratégies offensives d’influence économique, industrielle, financière et normative.
Dans ce contexte, appeler la France à se retirer ou à bloquer l’un des accords structurants de la politique commerciale européenne revient à affaiblir durablement notre présence dans une région stratégique et à abandonner le terrain à des puissances qui ne partagent ni nos exigences sociales, ni nos standards environnementaux, ni nos valeurs démocratiques.
La résolution soumise au Sénat ne protège ni notre agriculture, ni l’environnement, ni notre souveraineté. Elle se limite à une position de blocage sans effet concret, qui prive la France et l’Union européenne de tout levier d’influence sur leurs partenaires.
Refuser de signer un accord n’améliore pas les standards environnementaux ; c’est, au contraire, renoncer à les imposer. L’expérience démontre que l’absence de cadre contraignant n’empêche ni la déforestation, ni les pratiques agricoles extensives, ni les dérives sociales : elle laisse simplement le champ libre à d’autres acteurs économiques moins-disant.
En demandant explicitement au Gouvernement de s’opposer à la signature de l’accord, la résolution franchit un seuil politique et institutionnel préoccupant. Elle transforme un outil d’expression parlementaire en instrument d’injonction diplomatique, au risque de fragiliser la crédibilité internationale de la France, de brouiller la lisibilité de sa parole et d’affaiblir la cohérence de la politique commerciale européenne, qui relève d’une compétence exclusive de l’Union.
Surtout, cette résolution envoie un signal profondément contradictoire. Elle prétend défendre une « Europe puissance » tout en appelant à l’affaiblir ; elle revendique une souveraineté européenne tout en cherchant à saboter un accord négocié collectivement depuis plus de vingt ans ; elle invoque la protection de l’environnement tout en abandonnant le terrain aux puissances qui refusent toute conditionnalité écologique ou sociale. Une Europe qui renonce à conclure ses propres accords stratégiques n’est pas une Europe souveraine : c’est une Europe marginalisée.
À l’inverse, l’accord de partenariat entre l’Union européenne et le Mercosur constitue un levier majeur au service des intérêts économiques, industriels et stratégiques de la France. Il ouvre un marché de près de 270 millions de consommateurs, caractérisé par l’émergence de classes moyennes demandeuses de produits de qualité, sûrs, traçables et à forte valeur ajoutée.
Les exportations françaises vers les pays du Mercosur représentent déjà plus de 5,6 milliards d’euros, avec une balance commerciale globalement excédentaire. La réduction significative des droits de douane, qui peuvent atteindre jusqu’à 80 % sur certains produits industriels et agroalimentaires, renforcerait la compétitivité de nos entreprises et soutiendrait l’emploi sur le territoire national.
Les secteurs industriels français sont parmi les premiers bénéficiaires de l’accord. L’automobile, la chimie, la pharmacie, les cosmétiques, l’aéronautique, les équipements industriels et les services trouveraient dans le Mercosur des débouchés durables.
Des grands groupes français déjà fortement implantés, ou encore les entreprises du secteur énergétique et des infrastructures, bénéficieraient d’un cadre juridique stabilisé et de conditions d’accès au marché plus prévisibles. Ces implantations ne sont pas des délocalisations : elles sont des relais de croissance, des vitrines du savoir-faire français et des points d’appui pour nos chaînes de valeur. La France est déjà le premier employeur étranger au Brésil.
L’agroalimentaire français, souvent présenté de manière caricaturale comme la principale victime de l’accord, figure également parmi ses bénéficiaires. L’accord prévoit la protection de 52 indications géographiques laitières européennes, sécurisant ainsi la valeur de produits emblématiques face aux usurpations et à la concurrence déloyale.
Les vins, spiritueux, fromages AOP/AOC et produits transformés de qualité disposent d’un potentiel de croissance important sur ces marchés. Les viticulteurs figurent parmi les grands gagnants de l’accord. Avec une réduction ou suppression des droits de douane, jusqu’à 27 % actuellement, certains vignerons estiment pouvoir augmenter leurs ventes de 10 à 20 % rapidement, voire multiplier leurs exportations par 1,5 grâce à la levée des taxes. À cet effet, une commanderie des vins de Bordeaux a été ouverte à Sao Paulo, le mois dernier.
Par ailleurs, des mécanismes de sauvegarde spécifiques ont été intégrés pour les filières sensibles, permettant de suspendre les concessions en cas de perturbation grave du marché ou de hausse brutale des importations.
Contrairement aux affirmations des auteurs de la résolution, l’accord Mercosur ne sacrifie ni l’agriculture européenne ni les exigences environnementales. Il introduit des clauses de conditionnalité, des engagements explicites en matière de respect de l’accord de Paris, ainsi que des dispositifs de suivi et de dialogue renforcés. La signature de l’accord constitue un point d’appui pour exercer une pression politique et économique sur nos partenaires. Le refus, en revanche, supprime tout levier et toute capacité d’influence.
L’accord présente également un intérêt stratégique majeur pour la transition écologique et industrielle de l’Europe. Les pays du Mercosur disposent de ressources clés, notamment en minerais critiques comme le lithium, indispensables à la production de batteries, au développement des énergies renouvelables et à la décarbonation de notre économie. Dans un contexte de dépendance excessive vis-à-vis de certains fournisseurs, diversifier nos approvisionnements est une nécessité stratégique. L’accord contribue à cet objectif, tout en permettant d’encadrer les conditions d’extraction et d’exploitation par des standards plus exigeants que ceux imposés par d’autres puissances.
Les petites et moyennes entreprises françaises sont également au cœur du dispositif. Un chapitre spécifique de l’accord leur est consacré, avec des procédures simplifiées, une meilleure transparence réglementaire et la désignation de points de contact dédiés. Ces dispositions répondent à une demande constante des PME françaises, qui peinent aujourd’hui à accéder à ces marchés en raison de barrières tarifaires et administratives élevées.
Dans cette dynamique, les chambres de commerce françaises à l’international et les conseillers du commerce extérieur de la France jouent un rôle déterminant. Au Brésil, la Chambre de commerce France-Brésil, forte de plus d’un siècle d’existence et de plusieurs centaines de membres, accompagne activement les entreprises françaises, facilite les partenariats industriels et veille à la bonne application des règles locales. En Argentine, au Paraguay et dans les autres pays du Mercosur, les réseaux consulaires et économiques français sont mobilisés pour soutenir nos entreprises, promouvoir des pratiques responsables et être des acteurs vigilants sur les enjeux agricoles et environnementaux. Ces acteurs de terrain confirment que l’accord est attendu, non comme un blanc-seing, mais comme un cadre structurant et sécurisant.
Le rapport des auteurs de la résolution offre un écho à une contre-argumentation reposant largement sur des postulats idéologiques et des scénarios alarmistes. Affirmer que « le Mercosur menace notre agriculture » revient à ignorer les mécanismes de protection ciblés et à sous-estimer la capacité de l’Europe à défendre ses filières. Soutenir que « l’accord détruit la forêt amazonienne » revient à confondre corrélation et causalité, et à nier que seuls des engagements contractuels permettent d’agir. Prétendre qu’il s’agirait d’une « trahison des normes sociales et sanitaires » oublie que la non-signature n’impose aucune norme et n’améliore aucune situation. Enfin, invoquer la nécessité d’attendre indéfiniment des garanties supplémentaires revient, de facto, à renoncer à toute ambition stratégique.
Le Sénat ne peut cautionner une telle posture. Il n’est ni dans son rôle ni dans l’intérêt national d’organiser un veto politique qui isole la France, affaiblit l’Union européenne et réduit notre capacité d’action dans une région clé du monde. Défendre la souveraineté, ce n’est pas refuser l’accord ; c’est être en position de force pour en faire respecter les clauses, les valeurs et les engagements.
Pour toutes ces raisons, la proposition de résolution apparaît politiquement irresponsable, stratégiquement dangereuse et profondément contre-productive. Elle ne constitue ni une protection efficace, ni une alternative crédible, ni un projet pour l’avenir.
Il n’y a donc pas lieu d’en poursuivre la délibération.
NB :La présente rectification porte sur la liste des signataires.