Projet de loi Lutte contre les fraudes sociales et fiscales

Direction de la Séance

N°123

9 novembre 2025

(1ère lecture)

(PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE)

(n° 112 , 111 , 104, 106)


AMENDEMENT

C
G  

présenté par

Mmes PONCET MONGE et SOUYRIS, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, MM. JADOT et MELLOULI, Mme OLLIVIER, M. SALMON et Mmes SENÉE et Mélanie VOGEL


ARTICLE 27

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I. – Alinéa 5

Remplacer les mots :

manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses

par le mot :

fraude

II. – Alinéas 7 et 8

Supprimer ces alinéas.

Objet

L’article 27 du projet de loi propose, d’une part, de permettre à l’opérateur France Travail de réaliser des saisies à tiers détenteurs en cas de manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses et, d’autre part, de permettre la retenue intégrale des versements à venir pour rembourser un trop-perçu de prestations chômage résultant de tels agissements.

D’une part, concernant le fait de permettre à l’opérateur France Travail de réaliser des saisies à tiers détenteurs en cas de manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses, le Défenseur des droits relève que la notion de manœuvres frauduleuses ne correspond à aucune qualification expressément prévue par la réglementation d’assurance chômage, tandis que celle de manquement délibéré ne renvoie qu’à la pénalité prévue à l’article L. 5426-5 du code du travail. La disposition prévoyant la retenue intégrale des versements est amenée à s’appliquer à l’issue de décisions de radiation et de suppression des allocations pour une durée de 6 à 12 mois. Or, aux termes des articles L. 5412-1 IV et R. 5412-3-1 du code du travail, ces décisions interviennent uniquement en cas de fraude ou de fausses déclarations. Il apparaît dès lors nécessaire d’harmoniser les qualifications utilisées afin de garantir la sécurité juridique des demandeurs d’emploi concernés.

Par conséquent, la Défenseure des droits recommande au législateur de ne permettre à l’opérateur France Travail de réaliser des saisies à tiers détenteurs ou la retenue intégrale des versements à venir pour rembourser un trop perçu de prestations chômage qu’en cas de fraude.

Outre la préservation de la sécurité juridique en ne mobilisant qu’une seule qualification, cette approche permettrait de distinguer clairement les situations où l’intentionnalité est établie des erreurs ou négligences.

D’autre part, concernant le fait de permettre la retenue intégrale des versements à venir pour rembourser un trop-perçu de prestations chômage résultant de manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses, le Conseil d’État constate « qu’aucun élément de l’étude d’impact ne permet d’apprécier l’importance des situations, vraisemblablement marginales (…) et que le Gouvernement n’a pas été en mesure de lui apporter plus d’informations au cours de l’examen du projet de loi. Il souligne ensuite les difficultés d’articulation de la mesure avec la mise en œuvre des dispositifs visant à garantir un niveau de ressources minimal. Dans ces conditions et au regard des objectifs poursuivis par le projet de loi, le Conseil d’État suggère de ne pas retenir la mesure envisagée ».

Dans la continuité de l’analyse du Conseil d’État, le Défenseur des droits attire spécifiquement l’attention du législateur sur le risque que cette mesure entraîne des privations du droit à bénéficier de moyens convenables d’existence. La mise en œuvre de ce principe en matière d’assurance chômage repose notamment sur l’article L. 5428-1 et suivants du code du travail, aux termes duquel les aides, prestations et allocations versées par France Travail sont cessibles et saisissables dans les mêmes conditions et limites que les salaires. Ces retenues sont strictement encadrées par la fraction saisissable prévue à l’article L. 3252-2 du code du travail et suivants, qui fixe le montant maximal de la saisie, en fonction des revenus et de la composition familiale du demandeur d’emploi. De plus, cette fraction peut être saisie dans la limite d’une fraction des revenus totalement insaisissable, garantissant qu’une somme équivalente au montant forfaitaire du revenu de solidarité active pour une personne seule demeure insaisissable. Ces mécanismes assurent au salarié comme au demandeur d’emploi un reste à vivre, permettant de subvenir à ses besoins essentiels. Or, le projet de loi envisage de rendre inapplicable ces dispositions pour le remboursement des sommes indûment versées en cas de manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses. Les trop-perçus seraient alors intégralement récupérés par France Travail sur les échéances à venir. Cependant, le fait d’avoir bénéficié de prestations indues, y compris dans le cadre d’une fraude, ne devrait en aucun cas priver une personne de moyens convenables d’existence. Si la volonté d’améliorer le recouvrement des trop-perçus frauduleux est légitime, elle ne saurait se faire au détriment des allocataires les plus précaires, jusqu’ici protégés par les règles de quotité et de fraction saisissable. Par ailleurs, compte tenu du caractère vraisemblablement marginal des situations concernées (au sein d’une fraude aux prestations chômage représentant 0,3 % des prestations versées) l’efficacité réelle d’une telle mesure en matière de recouvrement demeure incertaine, tandis que son impact concret sur les demandeurs d’emploi peut s’avérer particulièrement important.

Par ailleurs, contrairement à ce que suggère l’étude d’impact, les rares demandeurs rouvrant des droits à l’assurance chômage après une radiation pour fraude le font sur la base de droits nouveaux ou de la reprise d’anciens droits acquis de manière légitime. En effet, lorsque les droits attribués résultent uniquement d’une fraude, ils sont systématiquement annulés. Les prestations susceptibles d’être entièrement récupérées correspondent donc à des droits légalement obtenus et financés par les cotisations sociales.

Par conséquent, afin de garantir le respect du droit à bénéficier de moyens convenables d’existence, nous proposons de supprimer la disposition permettant la retenue intégrale des versements à venir pour rembourser un trop-perçu de prestations chômage résultant de manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses.

Cet amendement de repli reprend deux suggestions contenues dans l’avis du Défenseur des droits n° 25-08 relatif au projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.