Projet de loi Financement de la sécurité sociale pour 2026
Direction de la Séance
N°901
16 novembre 2025
(1ère lecture)
(n° 122 , 131 , 126)
AMENDEMENT
| C | |
|---|---|
| G |
présenté par
Mmes PONCET MONGE et SOUYRIS, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, MM. JADOT et MELLOULI, Mme OLLIVIER, M. SALMON et Mmes SENÉE et Mélanie VOGEL
ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 11 SEPTIES
Après l’article 11 septies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 6 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat est abrogé.
Objet
Le présent article 8 instaure un prélèvement social réduit sur les Tickets restaurant de 8 %, mettant fin à une exclusion des accessoires de salaires à l’assujettissement aux prélèvements sociaux. Cette mesure, qui permettrait un gain estimé de 950 millions pour les comptes sociaux (en calculant l’ensemble des accessoires nouvellement assujettis au taux réduit de forfait social à 8 %), s’inscrit dans la continuité des mesures qui ont porté atteinte à l’objet social du titre restaurant via la prolongation, année après année, de la dérogation instituée lors du projet de loi Pouvoir d’Achat en 2022, permettant l’utilisation des titres restaurants pour acquitter en tout ou partie le prix de tout produit alimentaire, qu’il soit ou non directement consommable. Cette disposition fut encore prolongée jusqu’au 31 décembre 2026 par une PPL en janvier 2025, contre l’avis des quatre collèges du CNTR, lequel alertait en vain sur les conséquences délétères de cette dérogation qui transformait le titre restaurant en dispositif de soutien au pouvoir d’achat, soit un substitut de salaire fragilisant, dès lors, son exemption de prélèvements sociaux et fiscaux, comme l’a aussi rappelé la Cour des comptes.
Nous avions également alerté sur ce risque lors de l’examen des deux PPL qui ont permis l’extension de la dérogation depuis le PJL Pouvoir d’achat, en 2024 et 2025.
Or, les dispositions du présent article concrétisent nos craintes, sans en étudier pour autant les conséquences. L’Annexe 9 précise qu’évidemment « L’assujettissement des compléments de salaire à forfait social à hauteur de 8 % est de nature à avoir des effets comportementaux des employeurs entraînant la réduction de leurs attributions de ces avantages aux salariés » , sans indiquer d’estimation des pertes pour les salariés et du nombre d’entreprises qui en viendrait à supprimer cet avantage.
Ironiquement, la dérogation instaurée en 2022 afin de soutenir le pouvoir d’achat des salariés risque donc de se retourner contre eux et contre les intentions officielles du Gouvernement, puisqu’aucune protection du pouvoir d’achat par le biais du titre restaurant n’est désormais garantie si l’entreprise décide d’en supprimer l’octroi du fait de son nouvel assujettissement au forfait social.
En parallèle, les effets macro-économiques de la mesure n’ont pas fait l’objet d’une étude de la part des autorités, alors que 15 % du chiffre d’affaires des restaurants dépendent du titre-restaurant et alors que la dérogation a provoqué un transfert d’activité de près de 600 millions d’euros vers la grande distribution en une seule année de dérogation. Dans le même temps, les marges de l’agroalimentaire ont augmenté indument à la faveur de l’inflation de 28 % à 48 % entre 2021 et 2023 selon le Centre d’étude et de prospective, alors que dans le même temps pour les restaurateurs et commerces assimilés de proximité, sur la même période, entre 2022 et 2023, la Banque de France comptabilisait une hausse de 69 % des défaillances de restaurant.
Alors même que la présente taxation du titre restaurant découle logiquement du dévoiement de son rôle pourtant inscrit dans le code du travail, comme l’avaient souligné le CNTR et la Cour des comptes, l’Annexe 9 du PLFSS justifie néanmoins la présente disposition par l’effet de substitution du titre restaurant : « Du fait de leur régime avantageux, les compléments de salaire susmentionnés prennent une place croissante dans la structure globale de rémunération des salariés, leur augmentation constituant un moindre coût pour les employeurs. À titre illustratif, la valeur des titres-restaurant distribués a progressé de 5,1 % par an en moyenne depuis 2000, contre 3 % pour la masse salariale soumise à cotisations sociales. Les effets de substitution sont bien documentés, et se manifestent par exemple par la mention fréquente de ces avantages dans les offres d’emploi, par la mention fréquente des titres-restaurant comme d’un élément de rémunération important par les salariés ou par l’évolution des usages (partage du titre-restaurant avec les proches, diversification des achats), alors que le dispositif avait initialement pour but d’offrir une alternative à l’obligation de mise en place d’un local de restauration dans les petites entreprises. ».
Là encore, le Gouvernement dévoie le rôle attribué aux titres restaurant. Le principe du ticket restaurant consiste, en l’absence d’un restaurant d’entreprise, à faciliter la prise d’un repas, en théorie en restauration assise, comme son nom l’indique, lors de la pause entre deux séquences d’un même jour travaillé. En l’état, il ne peut donc constituer une substitution au salaire, de fait, puisqu’il n’est pas un complément de rémunération, mais une compensation à l’absence de restaurant d’entreprise.
Ici le Gouvernement tire une équivalence entre le Titre Restaurant et l’épargne salariale et les primes, lesquelles, pourtant, ne font l’objet dans le présent PLFSS d’aucune disposition visant à atténuer leur effet substitutif alors qu’il est avéré et que cela est indiqué dans les Annexes du présent PLFSS ! Ainsi, citant un rapport du comité d’évaluation des niches fiscales et sociales, l’Annexe 4 indique : « si plusieurs des objectifs poursuivis par les dispositifs d’épargne salariale sont effectivement atteints (comme les objectifs de flexibilité des rémunérations, de motivation et d’enrichissement des stratégies de ressources humaines), sa faible diffusion dans les PME conduit en fait à une dualisation du marché du travail, tandis que les revenus distribués se substituent aux salaires ».
Cela a été par ailleurs également démontré par le CAE en 2023 qui a démontré qu’à part la Participation, « la plupart des autres mécanismes de partage de la valeur (intéressement, PPV) semblent conduire à d’importants effets de substitution ».
L’effet substitutif n’est potentiel que parce que, contrairement à l’esprit initial du titre restaurant, son élargissement l’a transformé en dispositif de pouvoir d’achat permettant de faire ses courses. Si effet substitutif il y a, ce qui reste à démontrer, il n’existe qu’à cause des dispositions prises par le Gouvernement en 2022.
Dans leur rapport, Pour un redressement durable de la Sécurité sociale, les trois hauts Conseils abondent en ce sens : « les titres restaurants se sont éloignés de leur logique initiale qui consiste en une compensation aux salariés du surcoût généré par des repas pris hors du domicile (…) les assouplissements consentis pendant la crise sanitaire ont encore éloigné le dispositif de l’esprit initial de l’exonération ». Ils recommandent ainsi la suppression de cette dérogation (et préfèrent d’ailleurs cette mesure à l’instauration d’un forfait social sur les accessoires de salaire et les titres restaurant : « Plusieurs voies d’évolution sont possibles sur ce sujet : Intégrer dans l’assiette du forfait social les éléments actuellement exonérés (titres restaurant, CESU préfinancé, chèques vacances) ? Cette solution reviendrait à rompre partiellement la cohérence du prélèvement social, puisque sont soumis au forfait social les éléments de rémunération ou de gain non soumis aux cotisations sociales, mais assujettis à la CSG ; or, ces éléments d’assiette ne sont pas soumis à la CSG. » ).
Dans cette optique, cet amendement propose d’abroger les dispositions de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 et d’ainsi rétablir le rôle du titre restaurant. Conformément aux estimations des trois Hauts Conseils, reprise par la MECSS dans sa boite à outils, la mesure devrait rapporter entre 0,2 Md € et 0,5 Md € aux comptes sociaux.