Projet de loi Financement de la sécurité sociale pour 2026
Direction de la Séance
N°905
16 novembre 2025
(1ère lecture)
(n° 122 , 131 , 126)
AMENDEMENT
| C | |
|---|---|
| G |
présenté par
Mmes PONCET MONGE et SOUYRIS, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, MM. JADOT et MELLOULI, Mme OLLIVIER, M. SALMON et Mmes SENÉE et Mélanie VOGEL
ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 28
Après l’article 28
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° du de financement de la sécurité sociale pour 2026, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les causes encore inexpliquées des arrêts maladie.
Objet
Selon la DREES, les journées indemnisées sont en augmentation depuis 2019, puisqu’elles seraient passées de plus 2,3 % par an entre 2010 et 2019 à plus 3,9 % en moyenne pour la période 2019 2023, pour un coût estimé en 10,2 milliards d’euros en 2023, soit 6,3 % d’augmentation depuis 2019.
Plusieurs facteurs expliquent cette augmentation. Il y a d’abord des facteurs démographiques, puisque, comme le soulignent la DREES et le Comité d’Alerte sur l’ONDAM, l’augmentation est due à deux classes d’âge bien définies, les jeunes et les travailleurs séniors : « Sur le champ du régime général de sécurité sociale, la croissance en volume des indemnités journalières en 2024 (+ 3,9 points, contre + 3,6 points en valeur) dépasse celle qui pouvait être constatée en moyenne entre 2016 et 2019. Les deux classes d’âge extrêmes (les moins de 29 ans et les 60 ans et plus) contribuent pour plus de moitié à la hausse des dépenses ; c’est aussi pour ces deux classes d’âge que le nombre moyen de jours d’arrêt de travail augmente le plus. ». Or, il s’agit ici des deux populations les plus impactées à la fois par la dégradation documentée des conditions de travail et de la qualité de l’emploi.
Ainsi, la part des jeunes en CDD de moins de trois mois selon la Cour des comptes en 2023 est de 6,6 %, contre 2 % dans l’ensemble de la population. Et la Cour d’ajouter que, si cette part des jeunes en CDD est plus basse qu’en 2017 de 8 points, cela est uniquement dû à l’alternance dont le coût pour les finances publiques et les effets négatifs sur la productivité ont été démontrés. Or, les statistiques tendent à négliger l’impact du travail discontinu, des emplois courts et de la précarité sur la santé. Selon la DARES dans son rapport d’évaluation sur le PJL Plein Emploi, « L’hypertrophie des débats sur les rapports » stratégiques « à l’allocation concourt ainsi à négliger les impacts sur la santé qu’a le travail et tout spécialement le travail en emploi discontinu. ». Ce que la réforme semble dès lors avoir oublié, en se focalisant sur la figure fantasmée du demandeur d’emploi stratège qui refuse des offres pour profiter de ses allocations chômage, c’est une multiplication de travailleurs à la santé dégradée du fait d’une trajectoire professionnelle précarisée, heurtée, faite de contrats courts, aux conditions de travail dégradées.
Ces jeunes sont aussi parmi les premières victimes d’un management à la française que l’IGAS a récemment considéré comme « médiocre » , lequel, selon l’IGAS toujours, « détermine de façon sûre la santé des salariés, la qualité de l’emploi et la qualité du travail. » , deux critères pour lesquels la France sous performe. Selon une étude européenne, la France est en queue de peloton concernant les perspectives de carrières, la reconnaissance au travail, les risques physiques, les risques biochimiques, la formation en emploi, la qualité de l’environnement de travail et l’intensité au travail. En conséquence, selon le Baromètre Malakoff Humanis, 66 % des jeunes actifs de moins de 30 ans sont en état de stress au travail, 23 % sont en situation d’isolement au travail. Et quant aux impacts des conditions de travail : 56 % des jeunes évoquant une ambiance dégradée ont eu au moins 1 arrêt prescrit ; 54 % des jeunes ne se sentant pas reconnus pour leurs efforts ont eu au moins 1 arrêt prescrit. Enfin, les jeunes sont particulièrement touchés par une crise de la santé mentale. 55 % des jeunes de 18 à 24 ans ont déjà été affectés par un problème de santé mentale, et ils sont 20,8 % à être concernés par la dépression en 2021, contre 11,7 % en 2017. Or ce qui est vrai pour les jeunes de 24 ans est vrai aussi pour les jeunes actifs, puisque, selon le baromètre Malakoff Humanis, les troubles psychologiques (dépression, anxiété, stress, épuisement professionnel, troubles alimentaires...) sont le 2e motif d’arrêt chez les moins de 30 ans, après les maladies ordinaires : 39 % des arrêts de travail des jeunes de 18-29 ans concernent la santé mentale en 2024.
Pour autant, selon la DREES, si les arrêts de moins de 8 jours représentent la moitié des arrêts indemnisés, c’est pour seulement 4 % de la dépense. À l’inverse, les arrêts longs de plus de six mois représentent seulement 7 % des arrêts, mais 45 % de la dépense. Or, la durée moyenne des arrêts est plus élevée parmi les salariés âgés. En d’autres termes l’augmentation du taux d’emploi des seniors, à la suite notamment des reports successifs de l’AOD en parallèle d’une dégradation continue des conditions de travail, a pour externalité négative d’augmenter les arrêts de travail longs parmi les travailleurs séniors.
Ces deux facteurs démographiques se combinent aux facteurs économiques en lien avec les revalorisations exceptionnelles du SMIC depuis octobre 2021 consécutives à l’inflation et expliquent, selon la DREES, 60 % de la croissance des IJ.
L’ancienne ministre du Travail en concluait que les 40 % restant et, a priori inexpliqué, constitueraient une présomption de fraude justifiant certaines mesures de restriction des arrêts maladie, dont quelques-unes se retrouvent dans le présent PLFSS.
Pourtant, l’intensification du travail en France depuis plus de 30 ans documentée par la DARES et plusieurs études n’est pas prise en compte. Les chercheurs Christine Erhel, Malo Mofakhami et Mathilde Guergoat-Larivière parlent pourtant d’une « contre-performance » française en matière de conditions effectives de travail, avec des écarts à la moyenne conséquente eu égard à la plupart des pays européens, démontrant une intensification marquée du travail en France. C’est particulièrement le cas sur les facteurs d’exposition aux risques physiques (ergonomie et risques biochimiques), environ 15 % supérieurs à la moyenne européenne en 2021, alors que la France se démarque par une structure de l’emploi relativement peu industrielle. Les travailleurs français déclarent plus souvent que leur travail implique des postures douloureuses, des ports de charges lourdes, des mouvements répétitifs ou des situations perturbantes que l’Allemagne, le Danemark ou les Pays-Bas ainsi que la moyenne en UE et souffrent aussi plus que leur voisin de TMS, d’anxiété ou de mal de dos.
Pourtant l’amélioration des conditions de travail peut s’avérer un outil utile à l’amélioration de la productivité, comme cela fut souligné par les chercheurs Christine Erhel, Mathilde Guergoat- Larivière et Malo Mofakhami : « Les gains de productivité potentiels visés par des investissements en compétences et en technologie semblent peu dissociables d’une amélioration conjointe des conditions de travail, de la stabilité des emplois et de la qualité de l’environnement social. »
Par conséquent, il semble crucial d’investiguer les facteurs restant a priori inexpliqués concernant la croissance des IJ.
C’est l’objet de cet amendement qui demande ainsi une étude sur la question.