Projet de loi Financement de la sécurité sociale pour 2026

Direction de la Séance

N°940

16 novembre 2025

(1ère lecture)

(n° 122 , 131 , 126)


AMENDEMENT

C
G  

présenté par

Mmes PONCET MONGE et SOUYRIS, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, MM. JADOT et MELLOULI, Mme OLLIVIER, M. SALMON et Mmes SENÉE et Mélanie VOGEL


ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 8 SEXIES

Après l’article 8 sexies

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l’article L. 241-2-1, les deux occurrences du nombre : « 2,25 » sont remplacées par le nombre : « 2 » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 241-6-1, les deux occurrences du nombre : « 3,3 » sont remplacées par le nombre : « 2 ».

Objet

Cet amendement vise à limiter le champ d’application de l’allègement des cotisations familiales et maladie aux salaires inférieurs ou égaux à 2 SMIC.

Selon le Conseil d’Analyse Économique dans une étude de 2019, si les baisses de cotisations sociales sur les bas salaires ont pu avoir des effets sur l’emploi : « Les baisses de cotisations sociales sur les salaires plus élevés (au-delà de 1,6 SMIC) n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité » , et les chercheurs d’écrire : « nous recommandons une remise en cause des réductions du coût du travail au-delà du seuil de 1,6 SMIC ».

De même, le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale sur le contrôle et l’efficacité des exonérations de cotisations sociales de septembre 2023, indiquait que « le maintien des exonérations de cotisations familiales (dites » bandeau famille « ) portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 SMIC ne se justifiait pas, c’est pourquoi nous proposons de les supprimer. ».

Les auteurs du rapport ne trouvaient, tout comme le CAE avant eux, aucun effet probant des exonérations de cotisations sociales sur l’emploi ou la compétitivité des entreprises au-delà de 2 SMIC.

Au PLFSS 2025, la réforme des exonérations de cotisations faisant suite au rapport Bozio-Wasmer, n’a qu’imparfaitement corrigé la dynamique des exonérations de cotisations sociales. Si elle a permis de diminuer le coût des allègements généraux, les faisant passer, selon l’Annexe 4 du présent PLFSS, de 74,7 milliards en 2024 à 71,5 milliards en 2026, elle reste néanmoins insuffisante pour enrayer le poids des mesures en faveur de l’emploi sur le budget de l’État, alors même que les effets des exonérations au-delà d’un certain seuil ne sont pas démontrés, ni en termes d’effet emploi ni en termes de compétitivité.

Pire, selon le dernier rapport du Groupe d’Experts sur le SMIC en 2024, si le scénario de lissage des exonérations retenues lors du précédent PLFSS génère des économies, il est néfaste pour l’emploi : « le scénario envisagé en PLFSS 2025 – visant également une réduction des allègements au niveau du SMIC de 4 points, puis une diminution de ces derniers selon un profil convexe pour s’annuler à 3 fois le SMIC – détruit entre 85 000 et 127 000 emplois à l’horizon 2026, selon le niveau des élasticités retenues, et ce essentiellement à proximité du SMIC ».

Et le groupe d’experts de préciser qu’au contraire, une sortie des allègements au-delà de 2 SMIC n’entraîne aucun effet négatif sur l’emploi et permet une économie bien supérieure : « Quant au scénario de sortie des allègements à 2 fois le SMIC – qui ne modifie pas le niveau des allègements au niveau du SMIC – il génère des économies encore supérieures, de l’ordre de 7 milliards d’euros, mais cette fois-ci sans effet négatif sur l’emploi. Le scénario de sortie à 2 SMIC génère un effet global positif estimé entre 34 000 et 53 000 emplois, selon l’hypothèse retenue sur l’élasticité de la demande de travail au niveau du SMIC. Contrairement aux scénarios alternatifs – Bozio Wasmer (2024) et PLFSS à l’horizon 2026 – qui affichent des impacts négatifs sur l’emploi pour 2023, ce scénario présente des effets positifs, principalement liés à la création d’emplois à proximité du SMIC. Seuls les emplois au-delà de 1,8 SMIC sont légèrement affectés négativement en raison d’une baisse plus marquée des exonérations au-delà de 2 SMIC. »

De manière générale, le Groupe d’experts se range du côté des analyses économiques dont le consensus est en effet que les exonérations de cotisations au-delà d’un certain seuil (2 SMIC) n’ont pas d’effet sur l’emploi et ne se justifient pas : « le profil de ces allègements est loin d’être optimal, en particulier parce qu’ils s’éteignent rapidement lorsque le salaire progresse, pour ensuite s’étaler jusqu’à 3,5 fois le SMIC sans effet avéré sur l’emploi au-delà de 2 ou 2,5 fois le SMIC. »

Ce consensus a été démontré par Antoine Bozio et Etienne Wasmer, dans leur rapport établissant un état de l’art de la recherche sur les politiques d’exonérations de cotisations sociales en France et en Europe, qui ne parviennent pas à démontrer un effet des exonérations de cotisations sur l’emploi au-delà d’un certain seuil. Les travaux cités du Conseil Supérieur de l’Emploi, des Revenus et des Coûts, le CSERC (1996), Laffargue (1996), Malinvaud (1998), Salanié (2000), Audric, Givord et Prost (2000), L’Horty (2000), et Laffargue (2000) mettent surtout en avant des effets importants sur l’emploi non qualifié avec une borne à 1,3 SMIC. Un article publié dans le Journal of Public Economics (Kramarz et Philippon, 2001) sur les réformes Juppé de 1995 et 1996 démontre des effets positifs s’arrêtant à 1 et 1,2 SMIC. Enfin la méta-analyse de Bunel, Emond et L’Horty (2012) également citée par Bozio et Wasmer semble aller dans le même sens puisque « leurs simulations indiquent qu’il est plus efficace de concentrer les réductions de cotisation sur les plus bas salaires ».

Si des mesures d’exonération de cotisation au-delà des bas salaires, peuvent parfois être efficace, c’est lorsqu’elles sont temporaires et ciblées, comme semble le démontrer l’expérience suédoise, citée par Bozio et Wasmer, qui a mis en place une exonération de cotisation de 31 % de 2008 à 2015 pour les moins de 26 ans, avec un fort effet sur l’emploi, lequel s’est maintenu même après la fin des exonérations de cotisations par la Suède en 2016. En définitive, les chercheurs observent que cette exonération a surtout servi à lever un effet discriminatoire : « la baisse des cotisations a permis aux employeurs d’incorporer de jeunes salariés contre lesquels il existait auparavant une forme de discrimination, et une fois ces jeunes en emploi, cet a priori négatif aurait disparu. ».

Enfin, les Évaluations interdisciplinaires des impacts du CICE en matière de compétitivité internationale, d’investissement, d’emploi, de résultat net des entreprises et de salaires, n’ont pas non plus conclu à de réels effets sur l’emploi : « En ce qui concerne l’emploi global, aucun impact significativement positif ne ressort de nos estimations, quelle que soit la spécification retenue. ». Bozio et Wasmer se tournent alors vers les potentiels effets « trappes à bas salaires » des exonérations, sans parvenir non plus à les démontrer.

Dès lors, pour les finances publiques comme pour les comptes sociaux, une remise en cause des exonérations à partir de 2 fois le SMIC réduirait massivement la dépense pour l’État en recentrant les exonérations sur les bas salaires, soit sur le dispositif initial.

Quelle que soit l’appréciation sur cette stratégie sur les bas salaires en contexte de fort chômage des non qualifiés, cela est plus efficace que la cure d’austérité préparée par le Gouvernement dans ses textes budgétaires 2026, puisque celle-ci aura, selon l’OFCE, un effet récessif de 0,8 point de PIB en 2026, alors qu’un point de sortie des exonérations de cotisations à 2 SMIC, n’aurait, selon l’économiste Anne Laure Delatte, dans le pire des cas, qu’un impact récessif mineur de 0,05 point de PIB et, selon le Groupe d’experts cités plus haut, des effets mêmes positifs sur l’emploi.

En conséquence, cet amendement déposé en commun avec les groupes parlementaires Communiste Républicain Citoyen Écologiste et Kanaky (CRCE-K), Socialiste Écologiste et Républicain (SER) et Écologiste – Solidarité et Territoires (GEST) propose de limiter ces exonérations aux salaires inférieurs ou égaux à 2 SMIC.