Projet de loi Financement de la sécurité sociale pour 2026

Direction de la Séance

N°954

16 novembre 2025

(1ère lecture)

(n° 122 , 131 , 126)


AMENDEMENT

C
G  

présenté par

Mmes PONCET MONGE et SOUYRIS, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, MM. JADOT et MELLOULI, Mme OLLIVIER, M. SALMON et Mmes SENÉE et Mélanie VOGEL


ARTICLE 8 SEPTIES

Consulter le texte de l'article ^

Supprimer cet article.

Objet

Introduit par amendement lors des débats à l’Assemblée nationale, le présent article vise à déplafonner l’exonération de cotisations sociales en place sur les heures supplémentaires en élargissant la déduction de 0,50 euro par heure rémunérée aux entreprises de plus de 250 salariés.

Le présent article, qui ajoute une dépense en amplifiant l’exonération NON compensée de cotisation vieillesse sur les heures supplémentaires, laquelle représente déjà une perte de près de 2,38 milliards en 2026 selon l’Annexe 4, soit l’essentiel des exonérations ciblées NON compensées par le budget de l’État de 2,8 milliards.

L’amendement adopté ayant introduit cet article indique que la désocialisation et la défiscalisation sur les heures supplémentaires constituaient « une mesure emblématique du quinquennat de Nicolas Sarkozy » , en oubliant de de mentionner que, durant ce même quinquennat, ces exonérations étaient strictement compensées et n’ouvraient pas de droits puisque non contributifs.

Dès lors, les étendre, sans revenir sur la non-compensation instaurée lors du rétablissement de la désocialisation et de la défiscalisation représente une perte conséquente pour les comptes sociaux difficilement acceptable au regard de la trajectoire budgétaire de la Sécurité sociale.

Il est contradictoire de prétendre rétablir l’équilibre des comptes sociaux tout en déplafonnant une mesure coûteuse et non compensée.

Par ailleurs, le déplafonnement de cette mesure fait fi des multiples travaux d’évaluation sur le dispositif de désocialisation et de défiscalisation des heures supplémentaires qui ont conduit à sa suppression.

En déplafonnant le montant pour les entreprises de plus de 250 salariés, l’amendement omet de mentionner que le rapport d’évaluation du dispositif TEPA sous Nicolas Sarkozy par l’Assemblée nationale démontrait que le dispositif n’a pas abouti à la création d’heures supplémentaires de plus « supplémentaires en quelque sorte » et a surtout permis un effet d’aubaine massif dans les grandes entreprises et parmi les cadres. Les rapporteurs de l’Assemblée nationale soulignent dans ce rapport « qu’aucune des personnes entendues par les rapporteurs n’a pu démontrer que le dispositif avait suscité directement la réalisation d’heures supplémentaires » supplémentaires « , heures de travail qui auraient été exclusivement imputables à la mesure ».

Concernant les cadres et les grandes entreprises, les rapporteurs se heurtent surtout à la difficulté d’analyser le temps de travail déclaré, notamment pour les cadres, dont l’autonomie plus élevée au travail permet souvent le maintien d’une « zone grise » , c’est-à-dire, d’heures supplémentaires non déclarées habituellement ou modulées sans grande rigidité en accord avec l’entreprise. Or l’exonération et la défiscalisation des heures supplémentaires ouvrent pour ce public, et leur entreprise, une double niche sociale et fiscale incitant les entreprises, tout autant que les cadres, à déclarer ces heures de « zone grise » afin de bénéficier du dispositif (défiscalisation et désocialisation augmentant le gain des heures supplémentaires dans les foyers fiscaux imposables ; et désocialisation augmentant l’intérêt d’une déclaration des heures supplémentaires également du côté des entreprises).

Ainsi, selon le rapport de l’AN : « De manière générale, la théorie économique estime qu’utiliser la durée du travail comme base taxable n’est pas efficient, car il est difficile de la mesurer et donc de la vérifier. Le contrôle par l’administration est en effet réputé difficile, la durée du temps de travail étant souvent déclarée d’un commun accord par l’employeur et le salarié. Dans cette perspective, la mesure évaluée comporte des risques substantiels de subvention d’heures supplémentaires déjà réalisées et de substitution d’heures supplémentaires subventionnées à des heures » normales « . (…) La loi Tepa a pu contribuer à changer ces comportements : l’employeur a été incité à déclarer des heures supplémentaires effectives, heures jusqu’alors payées » Des primes ont pu être transformées en paiement d’heures supplémentaires. (…) Cette sous-déclaration des heures supplémentaires « structurelles » constituait une sorte de gisement naturel pour l’effet d’aubaine. Elle a pu conduire après le 1er octobre 2007 à une hausse du nombre d’heures supplémentaires déclarées sans que la durée du travail effective n’augmente. « .

Ainsi, en réalité, comme le souligne la Cour des comptes : « Certaines entreprises, notamment les plus petites, n’ont pas modifié leur organisation du travail sur des durées de 35 heures et rémunérèrent donc des heures supplémentaires sur une base régulière. (…) [De sorte que] le dispositif aurait conduit pour l’essentiel à subventionner les heures supplémentaires » structurelles « qui auraient été effectuées en l’absence du dispositif Tepa. La stabilité de la durée effective moyenne est en effet compatible avec les effets d’aubaine et d’optimisation mentionnés plus haut. ».

Ainsi, le dispositif « n’a pas conduit à une augmentation significative des heures supplémentaires travaillées ou de la durée moyenne du travail. Un effet d’aubaine est observé, avec des heures supplémentaires précédemment non déclarées bénéficiant des allègements fiscaux et sociaux. »

Cette conclusion du rapport de l’Assemblée nationale a été confirmée par plusieurs études et notamment par celle de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo. Les deux chercheurs concluent à un effet d’aubaine du dispositif profitant largement aux cadres et professions intellectuelles supérieurs bénéficiant de la zone grise, mais également plus enclin à être imposable et ainsi avoir un intérêt accru à bénéficier de la défiscalisation sur les heures supplémentaires. Le dispositif a donc surtout permis à ces populations de bénéficier d’une optimisation fiscale sans augmenter le volume réel de travail effectué : « Les résultats indiquent que la défiscalisation des heures supplémentaires n’a pas pleinement atteint son objectif : si les salariés concernés ont bien bénéficié d’un surcroît de rémunération, ce n’est pas en moyenne en travaillant plus. La réforme n’a eu aucun impact significatif sur le nombre d’heures travaillées. Elle a en revanche suscité une optimisation fiscale des salariés qualifiés qui ont déclaré plus d’heures supplémentaires – afin de bénéficier de la défiscalisation – mais qui n’ont pas travaillé plus. ».

Ainsi, si l’objectif du présent article introduit par amendement est d’augmenter la quantité de travail, il manque totalement son objectif, puisque la défiscalisation et la désocialisation des heures supplémentaires n’a aucun impact dessus.

Concernant l’emploi, la mesure aurait même un effet contre-productif et cela a été souligné par le CAE et deux études de l’OFCE.

Selon le CAE qui souligne les effets d’aubaine à son tour : « » la détaxation des heures supplémentaires aurait un effet incertain sur l’emploi, encourageant des comportements de fraude et favorisant les insiders (ceux qui ont des revenus d’activité) vis-à-vis des outsiders, avec le risque d’un coût non négligeable pour les finances publiques. « .

Et selon l’OFCE, en basse conjoncture, la mesure sur les heures supplémentaires aurait un effet négatif sur l’emploi : « » dans un contexte conjoncturel dégradé, comme cela est le cas dans la période récente, la défiscalisation des heures supplémentaires apparaît clairement inadaptée et contre-productive pour l’emploi. Face à un choc négatif imprévu, les entreprises commencent généralement par réduire le temps de travail, puis se séparent de leurs emplois précaires et en particulier de leurs intérimaires, avant finalement de procéder à des licenciements économiques. « cet ordre serait inversé par la mesure pour une perte d’environ 52 000 à 95 000 emplois.

Ainsi, en comptant les externalités négatives sur l’emploi amplifiant le manque à gagner pour les comptes publics, l’OFCE considère que le dispositif TEPA a coûté 6 ,8 milliards aux comptes publics en 2011 à la veille de son extinction.

Actuellement, la mesure de désocialisation et de défiscalisation des heures supplémentaires réinstaurée en partie en 2019 continue de bénéficier majoritairement aux cadres.

L’économiste Stéphane Carcillo, membre du Cercle des économistes, professeur à Sciences-Po, l’a de nouveau répété dans un article publié par le journal Les Échos très récemment : « En comparant les heures des salariés travaillant en France à proximité de nos frontières – qui bénéficiaient de ce type d’exonération – à celles de ceux traversant la frontière chaque jour pour aller travailler – qui n’en bénéficiaient pas -, il s’avère que la défiscalisation des heures supplémentaires sur cette période n’a eu aucun effet significatif sur le volume global de travail. La raison en est simple : pour de nombreux salariés, la quantité exacte d’heures travaillées n’est pas une donnée facilement observable par l’administration, si bien qu’employé et employeur peuvent s’accorder pour déclarer chaque mois des heures supplémentaires fictives afin de bénéficier des allègements et se partager cette manne fiscale. Or ce sont surtout les travailleurs qualifiés – cadres, experts, professions autonomes – qui sont le plus en mesure de profiter de ce type d’optimisation, car leurs horaires de travail sont facilement manipulables. Nos députés devraient pourtant savoir que toute mesure fiscale doit porter sur une base facilement vérifiable. ».

In fine, les réels bénéficiaires du rétablissement de la mesure sont les cadres et les entreprises, a fortiori celles où les cadres sont les plus présents, donc les plus grandes entreprises, qui profitent d’un effet d’aubaine à mieux déclarer les heures supplémentaires, que les catégories populaires qui effectuaient des heures avant le rétablissement du dispositif.

En conséquence, le présent article ne pourra qu’amplifier cet effet aubaine, sans effet significatif sur le nombre d’heures travaillées, avec des externalités négatives sur l’emploi et sur les comptes publics. Augmenter la quantité de travail est en effet un levier à examiner pour rétablir les comptes sociaux, mais les heures supplémentaires ne le permettent pas, à la différence de la création de nouveaux emplois.

Ce sont les multiples raisons pour lesquelles cet amendement se propose de supprimer cette nouvelle disposition adoptée par l’AN.