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  • Mercredi 25 avril 2001
    • Audition de MM. Louis Pascal-Mahé et François Ortalo-Magné, auteurs du livre " Politique agricole commune : un modèle européen "


Mercredi 25 avril 2001

-  Présidence conjointe de M. Jean Huchon, vice-président, et de M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne.

Audition de MM. Louis Pascal-Mahé et François Ortalo-Magné, auteurs du livre " Politique agricole commune : un modèle européen "

La commission des affaires économiques, conjointement avec la délégation pour l'Union européenne, a procédé à l'audition de MM. Louis Pascal-Mahé et François Ortalo-Magné, qui ont présenté les propositions de leur livre " Politique agricole commune : un modèle européen ".

M. François Ortalo-Magné a tout d'abord précisé que son ouvrage proposait une redéfinition non des objectifs, mais des instruments de la Politique agricole commune (PAC), afin de tenir compte des nouvelles attentes des consommateurs et des citoyens en termes d'environnement, d'éthique, et d'activités de loisir liées à l'utilisation de la nature.

Après avoir rappelé que le secteur agricole se caractérisait à la fois par l'exploitation d'une ressource limitée -la terre-, par une faible mobilité de la main-d'oeuvre et par la fourniture, à la fois, de biens marchands et de biens non marchands, M. François Ortalo-Magné a estimé que la réforme de la PAC répondait d'abord à des exigences d'ordre interne, telles que l'impératif de maîtrise des dépenses, la nécessaire redistribution du revenu agricole, et la réconciliation souhaitable de l'agriculture et de l'environnement. Il a fait observer que cette réforme placerait également l'Europe en position de force pour la négociation du volet agricole dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

S'agissant des aides aux agriculteurs, il a condamné les principes des subventions aux investissements et de soutien des prix, et a plaidé en faveur d'aides personnelles -afin de les orienter au mieux vers les agriculteurs aux revenus les plus modestes-, viagères, et conditionnées à la fourniture de biens publics ruraux, sans exclure toutefois d'autres mesures ponctuelles, destinées notamment à empêcher les faillites d'agriculteurs endettés. Il a souhaité la mise en place d'un système d'autosélection des agriculteurs qui formulent une demande d'aide publique.

Abordant la question de l'environnement, il a d'abord précisé que la pollution agricole était un problème local, puis a préconisé la tenue d'un " registre vert " des épandages définissant le pouvoir d'absorption des cultures, la mise en place du principe " pollueur-payeur ", et la limitation des épandages à la capacité d'absorption des terres.

Après avoir rappelé que la préoccupation environnementale n'était pas incompatible avec le principe de la préférence communautaire, M. Louis Pascal-Mahé a proposé d'instituer un zonage systématique de l'espace rural, fondé sur un plan d'utilisation des sols et sur la définition de quatre zones différenciées selon le type d'agriculture pratiqué et le niveau souhaitable de protection environnementale : les " zones grises ", ou " zones agro-industrielles ", à faibles contraintes environnementales, qui seraient consacrées au développement économique ; les " zones blanches " ou " zones d'agriculture raisonnée ", abritant des activités économiques sans impacts négatifs notables sur l'environnement, et qui appelleraient donc des normes de rejet plus strictes que les zones grises ; les " zones vertes " ou " zones préservées ", réservées à la conservation de la flore et de la faune sauvages, des petits sites naturels et des espaces boisés ; et enfin, les " zones bleues " ou " zones intégralement protégées ", qui seraient des " zones sanctuaires " pour la nature, proches du dispositif des parcs nationaux actuels. Il a relevé la nécessité, pour la mise en place d'un tel zonage, d'un niveau de décision adéquat, qui ne devait pas se limiter aux acteurs locaux.

M. Louis Pascal-Mahé a souligné que les objectifs de ce zonage systématique, dont certains aspects figuraient dans la directive Natura 2000, étaient d'adapter les contraintes liées à l'environnement à la vocation économique locale -en tenant compte des fonctions " récréatives " de l'agriculture-, de favoriser les interactions positives entre les usagers de l'espace afin de maximiser le revenu local, et enfin de faire de ce zonage un outil de politique environnementale. Il a distingué les services marchands -y compris le tourisme rural, la chasse et la randonnée- ayant vocation à reposer sur le principe du paiement des aménités par l'usager, des services non marchands, qui doivent donner lieu à une rémunération publique, ciblée sur l'effectivité du service, capable de pallier l'insuffisance des paiements versés par les usagers.

Il a ensuite prôné une extension des droits à un accès organisé du public, en contrepartie du versement d'aides publiques.

S'agissant de la politique de la qualité, il a souhaité que les revenus tirés d'une appellation d'origine contrôlée bénéficient exclusivement à la région de production, plaidant en particulier pour la suppression du contrôle de l'offre des produits concernés et pour l'encadrement des prises de contrôles capitalistiques des entreprises les fabriquant.

Après l'intervention de M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, qui s'est interrogé sur l'opportunité d'appliquer ces mesures à l'ensemble de l'espace rural, M. Jean Huchon, président, a d'abord évoqué son expérience passée d'exploitant agricole, ainsi que ses contacts avec René Dumont, qui, dans les années d'après-guerre, l'avaient sensibilisé à l'impérieuse nécessité de moderniser les techniques agricoles et d'intensifier la production, la priorité étant alors pour la France d'atteindre l'autosuffisance. C'est par la suite, a-t-il rappelé, qu'il avait fallu s'adapter à des contraintes nouvelles, notamment celle d'écouler les surplus. Il s'est élevé contre une critique systématique d'un soi-disant " productivisme " agricole, avant de mettre en cause la grande distribution, qui a capté les revenus des petits producteurs agricoles.

Puis M. Jean-Paul Emorine a soutenu avec force l'idée selon laquelle les agriculteurs doivent d'abord vivre des revenus tirés de leur production. Il a prôné une agriculture raisonnée, c'est-à-dire durable et capable d'éviter les gaspillages. Il a, en revanche, jugé pour le moins sévères les propos des auteurs de l'ouvrage quant aux effets négatifs de l'agriculture intensive sur le paysage.

Il a partagé le point de vue de MM. Louis Pascal-Mahé et François Ortalo-Magné sur l'utilisation de l'espace, notamment en ce qui concerne la prise en compte des aménités, à condition de respecter le droit de propriété. Néanmoins, a-t-il conclu, " l'environnement ne doit pas se substituer à l'agriculture ".

Après avoir soutenu certaines des propositions défendues par les auteurs, M. Marcel Deneux a appuyé le point de vue de MM. Jean-Paul Emorine et les remarques de M. Jean Huchon, président, sur la grande distribution. Il a jugé que l'ouvrage aurait gagné à être plus pédagogique. Il a, par ailleurs, regretté que celui-ci n'ait pas suffisamment insisté sur les évolutions marquantes de la PAC, évoquant par exemple les effets du règlement céréalier de 1962 qui, en augmentant en France les prix des céréales de 25 % pour les aligner sur les prix allemands, avait créé entre productions végétales et productions animales une distorsion de concurrence dont les effets persistent encore aujourd'hui. Il a également cité, à l'inverse, la prise de conscience trop tardive de la nécessité d'infléchir l'orientation productiviste de la PAC après 1978.

Puis M. Marcel Deneux a dit partager, dans une certaine mesure, les propos des auteurs sur l'Organisation mondiale du commerce, tout en précisant que la France, dans ces négociations, soutenait les positions communes adoptées par l'ensemble des membres de l'Union européenne. Après avoir relevé que le revenu moyen des agriculteurs était inférieur à la moyenne nationale, et insuffisamment attractif pour les jeunes, il a exprimé son désaccord avec l'idée d'exonérer les productions sous label de qualité de l'obligation de respecter les quotas. Enfin, M. Marcel Deneux a jugé difficile à mettre en oeuvre la proposition de supprimer certaines aides à l'exportation, qui permettrait certes d'aplanir les conflits commerciaux avec les Etats-Unis, mais qui entraînerait une détérioration du solde extérieur.

Sans nier les effets négatifs du productivisme, M. Dominique Braye a néanmoins mis en garde contre un " retour de balancier ", qui conduirait à des dérives dans le sens inverse.

En réponse aux intervenants, M. Louis Pascal-Mahé a considéré que les effets pervers du progrès technique ont été aussi importants que ceux liés à l'évolution de la politique agricole commune. Rejoignant l'analyse, sur ce point de vue, de M. Marcel Deneux, il a reconnu que l'orientation de la PAC après 1978 n'était plus adaptée à la situation de l'Europe. Il a estimé que la logique des subventions à l'exportation n'était pas justifiée d'un point de vue économique - car de telles aides déstabilisent les marchés mondiaux sans créer de valeur - tout en reconnaissant que le principe de la préférence communautaire devait être préservé pour certains secteurs.

M. François Ortalo-Magné a, enfin, convenu que les difficultés rencontrées par les jeunes désireux de s'installer contribuaient à obscurcir l'avenir de l'agriculture.