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Mardi 8 juillet 2003

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, vice-président. -

Environnement - Mise en oeuvre du réseau Natura 2000 - Communication

La commission a entendu une communication de M. Jean-François Le Grand sur la mission d'information qu'elle lui a confiée, le 12 mars 2003, sur la mise en oeuvre du réseau Natura 2000, afin d'examiner les principales orientations du rapport qui sera présenté à la rentrée d'octobre.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a tout d'abord indiqué qu'il avait souhaité rencontrer le maximum d'acteurs locaux, d'élus et de structures concernés par la mise en oeuvre de la directive « Habitats », tels l'Association des Maires de France, l'Association nationale des Élus de la montagne, le Groupe des neuf, qui réunit l'ensemble des propriétaires et gestionnaires des milieux agricoles, forestiers, cynégétiques et piscicoles, ainsi que les gestionnaires d'espaces remarquables, comme le Conservatoire du littoral, la Société nationale de protection de la nature, la Fédération des parcs naturels régionaux ou encore les Conservatoires régionaux d'espaces naturels.

Evoquant les trois déplacements effectués dans l'estuaire de la Seine, la plaine de la Crau ou le marais Atlantique, il a fait valoir que son objectif était, au vu des réussites, mais aussi des difficultés rencontrées, de dégager, de manière pragmatique, les lignes directrices d'une méthodologie applicable, tant pour la désignation que pour la gestion des sites.

Il a également indiqué s'être rendu à Bruxelles pour rencontrer, outre les représentants de Bird Life International et de l'Organisation européenne de la propriété rurale, deux associations particulièrement concernées par Natura 2000, des fonctionnaires de la DG Environnement, de la DG Agriculture et de la DG Régions chargés de la mise en oeuvre de la directive.

Il a enfin relevé qu'au cours du colloque du 26 juin dernier, intitulé « Réseau Natura 2000 - Pour une mise en valeur concertée du territoire », qu'il présidait et qui fut clos par Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, M. Christian Poncelet, Président du Sénat, avait souligné l'intérêt de la démarche menée à partir d'exemples concrets d'expériences conduites en différentes parties du territoire national, pour dépasser les « maladresses » commises par les autorités européennes et nationales lors du « lancement » du réseau Natura 2000. Il a également réaffirmé l'adhésion du Sénat à l'objectif poursuivi, à savoir la préservation de la diversité biologique à travers un réseau écologique européen identifiant des zones protégées, dès lors que l'on assure une mise en oeuvre fondée sur la concertation avec l'ensemble des acteurs locaux et la contractualisation des modes de gestion des espaces concernés.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a ensuite rappelé que la transposition de la directive « Habitats » avait été réalisée par l'ordonnance du 11 avril 2001, celle-ci ayant été ratifiée par la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.

D'autre part, a-t-il ajouté, les décrets du 8 novembre et du 20 décembre 2001 arrêtent les modalités d'application de la directive, en matière de transmission des propositions de sites à la Commission européenne et de mesures de gestion dans le réseau ainsi constitué, plusieurs circulaires étant venues également compléter ce corpus réglementaire.

S'agissant des désignations, et malgré un certain retard, qui a valu à la France d'être condamnée à deux reprises par la Cour de justice des Communautés européennes, il a considéré que la France avait réalisé des avancées significatives, en proposant près de quatre millions d'hectares au titre de la directive « Habitats », ce qui représente 7,6 % du territoire national et 1.202 sites, et 930.000 hectares au titre de la directive « Oiseaux », soit 1,7 % du territoire et 119 zones de protection spéciale. Il a néanmoins relevé que, pour tenir ses engagements européens, la France devait principalement compléter le réseau des zones de protection spéciale.

Il a souligné en outre que, contrairement à beaucoup d'autres Etats membres, la France s'était, parallèlement à cette première phase de désignations, engagée résolument dans la deuxième étape de mise en oeuvre de la directive à travers la rédaction de documents d'objectifs, en cours dans près de 600 sites et achevée pour 170 d'entre eux, l'objectif étant d'en réaliser 300 fin 2003.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a ensuite présenté les propositions de son rapport, soulignant que les acteurs locaux et les pouvoirs publics étaient désormais convaincus de la nécessité de préserver la diversité biologique des territoires naturels. Il s'agit, a-t-il ajouté, d'un enjeu majeur, tant au niveau mondial qu'européen, car tout affaiblissement de la diversité biologique menace la survie de l'espèce humaine. Au-delà de cet objectif, il s'est déclaré convaincu de la nécessité de définir de nouvelles règles du jeu afin de replacer Natura 2000 au coeur d'un aménagement partagé et concerté des territoires concernés.

En ce qui concerne la désignation des sites, et plus particulièrement des propositions de sites d'intérêt communautaire, il a souhaité que la concertation se poursuive en toute transparence et à travers une meilleure information des gestionnaires et des ayants droit des territoires concernés. Il conviendra ainsi, a-t-il relevé, de réfléchir sur la nécessité, après que ces sites eurent été validés par la Commission européenne, de préciser leurs périmètres en s'appuyant notamment sur des limites physiques clairement identifiées, et de favoriser une meilleure information, notamment par un affichage de ces sites en mairie, voire une transmission aux chambres consulaires.

A propos des zones de protection spéciale, il a jugé indispensable que la démarche reprenne pour compléter les désignations françaises, traduire la diversité des espèces d'oiseaux présentes sur le territoire national et préserver leurs habitats, tout en veillant à ce qu'elle s'inscrive dans une procédure concertée confiant aux comités de pilotage concernés le soin de définir ce qui relève de la perturbation ou du dérangement.

En ce qui concerne les documents d'objectifs (DOCOB), il a rappelé que leur procédure d'élaboration relevait de la seule responsabilité de l'administration déconcentrée, qui a mis en place une étroite concertation avec les acteurs de terrain et les élus locaux à travers un comité de pilotage propre à chaque site. Ce comité, a-t-il ajouté, est présidé par le préfet, ce dernier choisissant un opérateur technique chargé de l'élaboration du DOCOB, qu'il approuve et dont il devra assurer l'évaluation tous les six ans.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a fait valoir qu'au vu des remontées d'expérience, la réussite d'un DOCOB était largement fonction de l'implication des collectivités territoriales, qui faisaient alors de Natura 2000 un outil d'aménagement et de mise en valeur de leur territoire. C'est pourquoi il a proposé que la présidence du comité de pilotage soit confiée aux collectivités territoriales, à charge pour elles de définir le bon échelon de compétence, lequel peut varier selon la taille du site, sa diversité et son organisation territoriale. Dans ce cadre, le choix de l'opérateur reviendrait alors au comité de pilotage. Il a considéré que cette proposition était essentielle pour permettre aux élus locaux de s'approprier la démarche Natura 2000.

En revanche, a-t-il précisé, l'approbation du DOCOB doit rester de la compétence du préfet, de même que son évaluation tous les six ans, compte tenu des obligations de l'Etat français vis-à-vis de l'Union européenne. D'un point de vue méthodologique, il a indiqué s'inspirer de la procédure d'élaboration d'une charte de parc naturel régional, qui relève des régions avec l'accord de l'ensemble des collectivités territoriales concernées et en concertation avec les partenaires intéressés, mais dont l'approbation résulte d'un décret, qui vaut classement pour dix ans.

Sur le fond, il a précisé que le DOCOB, qui définit les objectifs et les moyens à mettre en oeuvre pour gérer l'espace dans l'esprit de ces objectifs, doit rester un document consensuel sans portée juridique directe et insusceptible d'opposabilité aux tiers.

S'agissant du comité départemental de suivi, instance d'information et de communication sur Natura 2000 au niveau départemental, M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a proposé, outre sa reconnaissance dans le corpus réglementaire, qu'il soit coprésidé par le préfet et le président du conseil général et que son rôle soit renforcé afin d'assurer une réelle cohérence territoriale de l'ensemble des DOCOB et de jouer un éventuel rôle d'arbitrage en cas de désaccord local.

Abordant le troisième axe de réflexion de son rapport, consacré au financement de Natura 2000, il a souligné que l'Etat devait dégager les moyens nécessaires pour poursuivre la réalisation des documents d'objectifs et financer les études, les équipes d'animation et les opérateurs, afin de ne pas casser la dynamique enclenchée.

S'agissant de la mise en oeuvre des mesures de gestion, il s'est félicité de ce que la France entende privilégier la voie contractuelle, tout en rappelant que les différentes réglementations nationales relatives à la protection de l'environnement s'appliquent de la même manière, qu'il s'agisse d'un site Natura 2000 ou d'un territoire « banal ». En revanche, la mise en oeuvre des objectifs fixés par la directive « Habitats » ne doit pas conduire, a-t-il ajouté, à davantage de réglementation, mais passer par une contractualisation avec les gestionnaires des espaces concernés, ce qui rend par conséquent essentiel leur financement.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a fait valoir qu'une bonne partie des objectifs de conservation des sites avait pu, et pouvait continuer, d'être atteinte par le maintien des activités qui s'y pratiquaient et qui ne nécessitaient donc pas de financements spécifiques. S'agissant des activités agricoles, qui sont largement concernées par les sites Natura 2000, il a ainsi souligné que l'application d'un socle de bonnes pratiques permettait de remplir une grande partie des objectifs. Au-delà, il a souhaité mobiliser des mesures spécifiques afin de rémunérer les agriculteurs qui s'engagent dans des pratiques culturales respectueuses de l'environnement allant au-delà de la réglementation, évoquant, à titre d'exemple, l'impact très positif des Opérations locales agri-environnementales ciblées sur les zones humides, et qui devront pouvoir être pérennisées au-delà de 2002-2003. Il a ajouté que la définition et la mise en place des contrats d'agriculture durable devaient également permettre d'apporter une réponse spécifique aux territoires à enjeu particulier.

Il a par ailleurs préconisé la mobilisation d'une palette d'outils financiers ou fiscaux pour soutenir les efforts engagés par les collectivités territoriales et les acteurs de terrain pour gérer un site Natura 2000, évoquant à ce titre une dotation globale de fonctionnement bonifiée pour les communautés de communes gérant des sites Natura 2000 au titre de leur compétence environnement, ou encore les propositions concernant la fiscalité des zones humides envisagées dans le projet de loi relatif aux affaires rurales et qui pourraient être appliquées également en contrepartie d'un engagement de gestion pris dans le cadre d'un contrat Natura 2000. Il faut aussi réfléchir, a-t-il ajouté, à l'utilisation de la taxe départementale sur les espaces naturels sensibles pour financer ces mesures de gestion.

S'agissant des cofinancements communautaires prévus pour certains coûts liés à la gestion des sites du réseau, il a regretté qu'aucun cadre précis n'ait été encore établi pour gérer leur programmation et évaluer les montants nécessaires.

En conclusion, M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a souligné que ces propositions permettaient de réfléchir à ce qui devait être fait pour protéger et mettre en valeur le patrimoine naturel, à l'instar de ce qui se fait pour le patrimoine architectural, en favorisant l'appropriation de cette démarche par les collectivités territoriales et les acteurs locaux afin de la mettre en oeuvre de manière pragmatique et financièrement raisonnable.

Un débat s'est ensuite instauré.

M. Jean-Pierre Vial, évoquant les difficultés rencontrées lors de la désignation des propositions de sites Natura 2000 en Savoie, s'est déclaré assez inquiet des effets liés à la mise en place de ce réseau écologique européen et moins convaincu que le rapporteur des opportunités offertes en termes d'aménagement. Relevant que nombre d'élus locaux avaient plutôt le sentiment d'être pris en otage lors du processus de désignation des sites, il a considéré indispensable que le préfet conserve un pouvoir d'arbitrage et souhaité que les périmètres des sites proposés à la Commission européenne puissent être également révisés pour tenir compte de l'évolution des habitats. Il a ensuite regretté que la portée juridique des documents d'objectifs ne soit pas définie avec plus de rigueur, relevant que l'exemple des zones naturelles d'intérêt faunistique et floristique (ZNIEFF) pouvait faire craindre, à terme, que tout projet de développement économique soit remis en question dans un site Natura 2000 au nom de la protection d'un habitat ou d'une espèce. Evoquant enfin la sanctuarisation induite dans le périmètre d'un parc national, en termes d'activités, il a déclaré craindre que, sur de plus grands espaces, l'instauration de Natura 2000 aboutisse au même résultat.

M. François Fortassin a déclaré souscrire à nombre de propositions du rapporteur, qui induisent des changements heureux dans la concertation avec les élus locaux et les acteurs de terrain, qu'il a jugée actuellement très insuffisante. Se déclarant favorable à l'instauration d'une coprésidence du préfet et du président du Conseil général pour le comité départemental de suivi de Natura 2000, il a appelé au pragmatisme et au bon sens dans la définition des exigences de protection et des mesures de compensation induites par la mise en place du réseau Natura 2000.

M. Gérard Bailly a souhaité voir privilégier le principe du « service minimum » pour la mise en oeuvre de Natura 2000 et l'adoption de mesures de gestion peu coûteuses, dénonçant le gaspillage des deniers publics si ces mesures ne pouvaient pas être financées de façon pérenne.

Mme Evelyne Didier a relevé la difficulté pour les élus locaux à mettre en place et faire accepter une politique dont les objectifs se définissent à moyen et long terme sans répondre à un besoin immédiat. Considérant que la préservation du patrimoine naturel était un enjeu essentiel, elle a souligné tout l'intérêt de le prendre en compte dans un projet d'aménagement partagé au niveau local. Elle s'est déclarée favorable à l'instauration d'un lieu de coordination et d'arbitrage au niveau départemental, afin de prendre du recul par rapport aux pressions de certains lobbies particuliers, comme les chasseurs ou certains défenseurs « intégristes » de la nature. Elle a enfin souligné la nécessité d'adopter une réflexion interdépartementale pour les sites Natura 2000 géographiquement importants.

M. Jean-Paul Emorine, président, a replacé l'enjeu de ce réseau écologique européen dans le contexte de l'adoption de la Charte de l'environnement et de la réforme de la politique agricole commune (PAC), qui mettent l'accent sur une meilleure prise en compte de la préservation de l'environnement. Il a considéré que les mesures agri-environnementales et les nouvelles orientations retenues par la PAC pouvaient contribuer au financement des mesures de gestion adoptées dans certains sites Natura 2000. Enfin, il a approuvé les préconisations du rapporteur allant dans le sens d'une réappropriation de cet objectif par les élus locaux.

M. Hilaire Flandre a considéré que la richesse du territoire national en termes d'habitats et d'espèces recensés dans le réseau Natura 2000 témoignait de la prise en compte, par les agriculteurs, de l'environnement et des paysages, et estimé que la préservation de ces habitats était assurée dès lors que l'activité agricole était maintenue.

M. Jean-Paul Emin a souligné que le réseau Natura 2000 devait rester sélectif et ne retenir que des sites exemplaires, pour lesquels il fallait définir des mesures de gestion pragmatiques et réalistes au plan financier.

En réponse, M. Jean-François Le Grand,rapporteur, a apporté les précisions suivantes :

- l'implication des élus locaux dès la désignation des sites et pour la définition des mesures de gestion constitue un facteur de réussite au vu des expériences locales observées ;

- la gestion d'un site Natura 2000 ne s'apparente pas à la réglementation d'un parc national mais offre beaucoup de similitudes avec celle arrêtée de manière concertée dans un parc naturel régional ;

- l'objet de la mission d'information est de définir les voies et moyens de répondre de manière appropriée à l'objectif de préservation de la biodiversité affiché par la directive « Habitats » ;

- la définition des notions de perturbation et de dérangement doit se faire en concertation au niveau local pour arrêter des décisions adaptées à chaque site ;

- lors de la rédaction d'un document d'objectifs et à l'occasion de son évaluation, il doit pouvoir être possible de modifier le périmètre d'un site en fonction de l'évolution d'un habitat ou d'une espèce pour lesquels le site a été désigné ;

- la définition des mesures de gestion doit être pragmatique, réaliste et adaptée aux moyens financiers disponibles.