Table des matières


Mardi 6 février 2001

- Présidence de M. Jean François-Poncet, président. -

Nomination d'un rapporteur

La commission a tout d'abord procédé à la nomination, à titre officieux, de M. Ladislas Poniatowski en qualité de rapporteur sur le projet de loi n° 2396 (AN) relatif à la modernisation du service public du gaz naturel et au développement des entreprises gazières.

Energie - Sécurité de l'approvisionnement énergétique - Communication

Puis la commission a entendu une communication de M. Jacques Valade, au nom du groupe d'études de l'énergie, sur la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans le cadre communautaire.

M. Jean François-Poncet, président, a rappelé que les travaux du groupe d'études de l'énergie avaient été menés par M. Jacques Valade, vice-président du groupe d'études, en collaboration avec son président, M. Henri Revol, et que ce dernier, en mission, regrettait de ne pouvoir participer à la présente réunion.

M. Jacques Valade s'est tout d'abord réjoui de l'initiative prise par la Commission européenne de lancer un vaste débat à la suite de la diffusion d'un Livre Vert sur la sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Union européenne. Saluant le courage de Mme Loyola de Palacio, Commissaire européen à l'énergie et aux transports, qui a su conduire cette réflexion avec réalisme et objectivité, il a indiqué que le groupe d'études avait souhaité participer dans de brefs délais à ce débat, par le biais d'un rapport qui répond précisément aux questions posées par le Livre Vert.

M. Jacques Valade a ensuite exposé que ce débat résultait du problème de la dépendance énergétique croissante de l'Union Européenne qui passerait, si rien n'était fait, d'ici 2020, de 50 à 70 % : il s'agit donc de savoir si l'Europe tente de répondre à ce défi, et par quels moyens. Tel est l'objet des treize questions posées par le Livre Vert.

Abordant la première de ces questions, M. Jacques Valade a proposé que l'Union Européenne limite sa dépendance énergétique, à l'horizon 2020, à son niveau actuel, cette stabilisation représentant déjà un effort considérable. Deux types de politique devraient permettre de contenir cette dépendance :

- la diversification de la nature et des sources d'approvisionnement extérieures à l'Union ;

- le recours à tout l'éventail des ressources énergétiques pouvant être produites par les Etats membres.

Pour le groupe d'études, l'approche en la matière ne doit être ni totalement économique, ni seulement géopolitique, soit, en quelque sorte, un " ni-ni énergétique ".

M. Jacques Valade a ensuite indiqué la répartition qui lui semblerait adéquate des compétences entre les institutions communautaires et les Etats membres : il appartient à l'Europe de fixer un cadre général et des objectifs, chaque Etat membre devant participer avec son génie propre à la réalisation de ces objectifs. L'Union Européenne devrait ainsi veiller au bon fonctionnement et à l'effectivité du marché intérieur, en particulier à l'harmonisation des modes de régulation.

M. Jacques Valade a évoqué les risques que la libéralisation pourrait faire peser sur la sécurité d'approvisionnement, si elle conduisait à trop privilégier le court terme, au détriment du long terme. A cet égard, il a souhaité que l'Union européenne analyse les causes de la crise énergétique que connaît aujourd'hui la Californie, utile " contre-exemple " de dérégulation ratée. Il a jugé qu'entre le monopole et la dérégulation sans borne, l'Europe devait continuer à rechercher et à poursuivre une troisième voie. L'Union européenne disposant d'ores et déjà de nombreux leviers pour agir à la fois sur la demande et sur l'offre énergétique, il lui appartient, a-t-il affirmé, d'assurer prioritairement la cohérence et la coordination de l'ensemble des politiques communes.

Il a souligné que toutes les énergies seraient utiles, mais que le choix du " mix énergétique " devait, dans le respect de certains objectifs fixés au niveau communautaire, relever de la décision de chaque Etat.

Abordant ensuite la question de la fiscalité énergétique, M. Jacques Valade a jugé son harmonisation indispensable, en particulier dans le domaine des accises et des diverses taxes fiscales nationales sur les carburants. Sans doute, a-t-il déclaré, la fixation de " fourchettes " de taux serait-elle de nature à favoriser leur rapprochement, ces " fourchettes " devant être progressivement réduites en application d'un calendrier. L'unanimité des voix étant difficile à atteindre au sein du Conseil des ministres européen, M. Jacques Valade s'est réjoui de l'avancée majeure obtenue au Sommet de Nice, qui devrait permettre de développer une coopération renforcée dans ce domaine.

S'agissant de la mise en place d'une éventuelle écotaxe, il paraît cohérent, a-t-il poursuivi, qu'une telle taxe soit proportionnelle au contenu en carbone des productions énergétiques et que son produit soit principalement affecté à l'amélioration de l'environnement.

En ce qui concerne les relations avec les pays producteurs, M. Jacques Valade a considéré leur consolidation comme nécessaire, un dialogue permanent avec nos fournisseurs devant permettre de mieux connaître et de mieux concilier les intérêts de chacun. L'Europe devrait rechercher tout particulièrement la concertation avec les pays producteurs ayant fait preuve de leur fiabilité. Le groupe d'études de l'énergie, a-t-il observé, soutient la nécessité d'un tel dialogue, devant déboucher sur un partenariat à long terme avec les territoires disposant d'immenses ressources en énergies fossiles, tels que la Fédération de Russie, l'Ukraine ou les pays de la mer Caspienne. Au demeurant, la question du financement des investissements gigantesques que nécessitera la création de nouveaux gazoducs et oléoducs reste posée.

Le Livre Vert pose ensuite la question de la constitution de stocks de réserve. Si le système de stockage des produits pétroliers semble pouvoir être poursuivi dans les conditions actuelles, et s'il semble possible d'envisager le stockage de charbon, la constitution de stocks de gaz paraît beaucoup plus difficile et pose des problèmes tant physiques que financiers. En tout état de cause, le groupe d'études n'envisage pas la création de mécanismes communautaires de solidarité en matière d'approvisionnement, chaque État membre devant organiser ses stockages de la façon la plus adéquate.

M. Jacques Valade a ensuite souligné la nécessité de développer et d'améliorer le fonctionnement des réseaux de transport d'énergie dans l'Union et dans les pays avoisinants : ceci implique le développement des interconnexions intra-communautaires, la mise en place des conditions susceptibles d'encourager le développement des investissements et une régulation concertée. Il conviendra de favoriser une plus grande acceptation par les opinions publiques locales, qui s'opposent bien souvent au renforcement des réseaux pour des raisons essentiellement environnementales.

Le développement des énergies renouvelables s'imposera et le groupe d'études souscrit au souhait en ce sens exprimé par la Commission européenne. Ces énergies ne peuvent en effet que contribuer à la diversité, et donc à la sécurité, de l'approvisionnement énergétique. Elles représentent un potentiel sur certains territoires et leur production mérite d'être encouragée. M. Jacques Valade a toutefois fait valoir que leur contribution au bilan énergétique resterait limitée et que l'on tromperait les gens si on leur laissait penser que les énergies renouvelables pourraient se substituer aux énergies conventionnelles.

Puis M. Jacques Valade a rappelé les avantages que présente l'électricité d'origine nucléaire en termes tant de sécurité d'approvisionnement que de compétitivité ou d'environnement. Sa production s'accompagne certes de déchets, que l'on peut cependant traiter et stocker dans des conditions parfaitement rigoureuses, sachant que la totalité des déchets ultimes produits depuis le début de l'exploitation du parc électronucléaire français représente un volume que contiendrait une piscine olympique...

Pour le groupe d'études, les problèmes liés aux déchets sont parfaitement maîtrisables et doivent être traités sous le contrôle des Etats, l'Europe ayant un rôle fondamental à jouer, en particulier pour l'édiction des normes et le contrôle de leur respect.

M. Jacques Valade a insisté sur le fait que l'Europe aurait besoin de toutes les sources d'énergie, y compris l'électricité d'origine nucléaire, et qu'il convenait de n'en proscrire aucune. Il a souhaité que les efforts de recherche soient poursuivis, en particulier au travers des programmes européens, et a fait part des espoirs qu'il mettait dans la fusion, mode de production qui ne produira pas de déchets. Il a aussi souhaité qu'un prototype du réacteur EPR (European Pressurized Reactor) soit rapidement construit sur le territoire européen.

S'agissant de la politique en matière d'économies d'énergie, qu'il a souhaité voir revenir sur le devant de la scène grâce en particulier à une amélioration de l'efficacité énergétique, M. Jacques Valade a dénoncé le paradoxe qui fait que, dans les enceintes internationales, on confie au seul Conseil des ministres de l'Environnement la responsabilité de la maîtrise des problèmes énergétiques et environnementaux. Comment ces problèmes peuvent-ils, dans ces conditions, être étudiés avec toute l'objectivité et la sérénité nécessaires ?

M. Jacques Valade a ensuite exprimé le souhait du groupe d'études de voir les biocarburants et autres carburants de substitution occuper toute leur place, ce qui passe par une politique européenne volontariste. Une coordination européenne serait également nécessaire au niveau de la distribution des carburants, afin d'en harmoniser les conditions.

S'agissant des économies d'énergie dans les bâtiments, le groupe d'études souscrit aux propositions du Livre Vert et insiste sur la nécessité d'y optimiser l'utilisation de l'énergie. M. Jacques Valade a cité l'exemple du remplacement de l'alimentation des feux de croisement de la ville de Bordeaux par une alimentation en énergie basse tension, laquelle a permis d'économiser 50 % de leur consommation électrique.

Le groupe d'études de l'énergie, a-t-il poursuivi, juge également fondamentale la réalisation d'économies d'énergie dans le secteur des transports, de personnes comme de marchandises. Dans cette perspective, l'intermodalité doit bien sûr constituer une priorité.

M. Jacques Valade a ensuite confirmé que l'Union européenne devait indiquer les grandes orientations énergétiques grâce à une vision à long terme des choix stratégiques. Il a estimé qu'à cet égard, elle pourrait s'inspirer de l'expérience réussie des politiques menées sur le fondement des traités basés sur l'énergie (CECA et EURATOM). Il importe de réfléchir à un " code de bonne conduite ", ainsi que de définir les modalités permettant aux Etats membres de respecter les règles formulées par l'Union européenne et garantissant, dans le respect de l'environnement, la croissance, la solidarité et la compétitivité de l'Europe et de ses entreprises sur le marché mondial.

M. Jacques Valade a, par ailleurs, indiqué que l'énergie d'origine nucléaire avait de nouveau le " vent en poupe " en Amérique du Nord et que les préoccupations et critiques actuelles concernaient aujourd'hui davantage la dégradation de l'atmosphère que le nucléaire, ce qui allait dans le sens d'une sérénité retrouvée.

Relevant l'intérêt et la grande qualité de cet exposé, M. Jean François-Poncet, président, a souligné l'importance de l'enjeu de la sécurité d'approvisionnement énergétique pour la compétitivité de l'Europe. Evoquant les énergies renouvelables, il a insisté sur la nécessité de développer la filière bois. Il s'est en outre interrogé sur l'opportunité de poursuivre les recherches en matière de stockages souterrains de déchets nucléaires, dans la mesure où, selon le rapporteur, les déchets produits par un pays comme la France " tiendraient dans une piscine olympique ".

M. François Gerbaud a souligné que l'énergie était l'un des grands défis -environnemental, économique et politique- de ce siècle. C'est à travers cette préoccupation de sécurité d'approvisionnement, a-t-il poursuivi, que l'Europe pourra, à l'heure des doutes politiques, retrouver l'esprit des signataires du Traité instituant la Communauté du charbon et de l'acier (CECA). Rappelant son attachement au programme électronucléaire engagé par la France après le premier choc pétrolier, il a insisté sur l'effort d'information indispensable pour dédramatiser la peur moyenâgeuse qu'inspire cette énergie, en raison notamment du problème des déchets. Il a, à cet égard, déploré que l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), lorsqu'elle effectue des recherches sur le terrain pour l'implantation de laboratoires, joue un rôle d'" accélérateur de peur " et suscite l'inquiétude des populations.

M. Philippe François, après s'être interrogé sur la réaction des autres Etats européens par rapport au Livre Vert, a abordé le problème de l'accès aux immenses réserves en gaz des pays d'Asie centrale. Il a souligné que la difficulté résidait dans l'accès au réseau de transport du gaz jusqu'à l'Europe, en raison des relations politiques avec certains pays riverains, et estimé qu'il appartenait aux Etats plutôt qu'aux entreprises de prendre en charge ce transport, privilégiant ainsi l'approche géopolitique. S'agissant des carburants de substitution, il a rappelé que la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie du 30 décembre 1996 avait prévu l'obligation, pour les flottes de plus de vingt véhicules des grandes agglomérations, de fonctionner à l'aide de carburants dont le taux minimum d'oxygène a été relevé. Il a déploré que cette mesure intéressante pour l'environnement soit restée lettre morte, faute de décret d'application.

M. Gérard César a affirmé le caractère " incontournable " de l'énergie nucléaire pour la sécurité énergétique de l'Europe et s'est interrogé sur la position de l'Assemblée nationale dans ce domaine.

M. Jacques Bellanger, après avoir salué la qualité et l'intérêt du Livre Vert, s'est réjoui que le Sénat soit une des premières institutions à apporter une réponse aux questions de la Commission européenne et a dit partager les grandes orientations présentées par l'intervenant. Il a toutefois estimé que l'on ne pouvait se limiter à une approche économique du problème de l'énergie, secteur dans lequel les considérations politiques et sociales demeuraient primordiales, soulignant que si le marché avait un rôle à jouer, il ne pouvait être le deus ex machina. Il s'est ainsi interrogé sur le rôle des contrats comme régulateurs du marché et a vivement souhaité " que la libération soit encadrée ". Il s'est prononcé en faveur d'une régulation européenne, tout en s'interrogeant sur sa compatibilité avec celle assurée par les Etats membres.

M. Marcel Deneux a approuvé les conclusions du groupe d'études de l'énergie, notamment quant à l'impérieuse nécessité de réduire les émissions de CO2 dans le secteur des transports -si l'on voulait respecter les engagements de Kyoto-, et a noté l'importance, dans cette perspective, du développement des biocarburants. Il a insisté sur la nécessité d'améliorer l'information dans le domaine nucléaire, critiquant le déficit de communication et l'opacité comptable d'EDF quant au prix du kilowattheure nucléaire. Il a cependant estimé que le rapport n'était pas assez audacieux sur les contraintes que le défi environnemental faisait peser sur les populations européennes, soulignant qu'il faudrait nécessairement dépenser plus pour lutter contre l'effet de serre. Il a fondé de grands espoirs sur l'amélioration de l'efficacité énergétique dans les bâtiments, le développement de la cogénération et l'essor du transport fluvial, dont il a souhaité que le rapport fasse mention.

M. Rémi Herment a souligné que le Livre Vert s'inscrivait dans la continuité du rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la politique énergétique de la France publié en mai 1998, s'agissant, notamment, de l'affirmation du rôle de l'énergie nucléaire en Europe. Il a toutefois estimé que l'avenir du nucléaire dépendait essentiellement de la capacité des Etats à rassurer les populations, jugeant indispensable la poursuite des recherches sur l'évolution des déchets ultimes, si l'on voulait convaincre les opposants à cette énergie. Il s'est déclaré partisan, à cet égard, de la création des laboratoires souterrains expérimentaux prévus par la loi Bataille -rappelant que son département s'était porté candidat à une implantation- et a indiqué qu'après des " dérapages " regrettables, l'ANDRA avait amélioré sa communication sur le terrain.

Après avoir, à son tour, remercié l'intervenant d'avoir apporté une contribution très rapide au débat lancé par Mme Loyola de Palacio, dont il a approuvé l'initiative, M. Ladislas Poniatowski a affirmé la nécessité de ne se priver d'aucune énergie pour préserver l'indépendance de l'Europe en ce domaine. Partageant l'analyse faite sur le nécessaire développement des énergies renouvelables dans le futur paysage énergétique européen, il a toutefois dénoncé le manque de sérieux de ceux qui prétendent les substituer au nucléaire dans le bilan énergétique. Abordant la fiscalité énergétique, il s'est indigné que l'on puisse taxer de la même manière les énergies polluantes et les énergies propres et il a souhaité instamment que le produit des taxes soit affecté exclusivement à des usages énergétiques.

En réponse aux intervenants, M. Jacques Valade a estimé que les stockages souterrains de déchets nucléaires répondaient à une nécessité de sécurité physique, en raison de la vulnérabilité des stockages aériens ou de sub-surface aux risques de séismes, voire d'attaques terroristes.

S'agissant des réseaux de transport d'énergie, il a estimé que l'aide financière des Etats était indispensable, compte tenu des coûts financiers très élevés de ces infrastructures -plusieurs centaines de millions d'euros pour un pipeline ou un gazoduc-, comme en témoignait la récente construction de l'ouvrage reliant l'Algérie à l'Espagne.

Il a estimé que le développement des biocarburants était certes une bonne façon de se libérer de la contrainte de fourniture d'énergie, mais qu'il ne résolvait pas le problème des émissions de CO2.

A l'issue de cet échange de vues, les conclusions du groupe d'études de l'énergie ont été approuvées à l'unanimité par la commission, qui, en outre, en a autorisé la publication sous forme d'un rapport d'information.