Commission d’enquête sur l'immigration clandestine


Mardi 29 novembre 2005

- Présidence de M. Georges Othily, président.

Audition de M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire

La commission d'enquête a entendu M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

Soulignant que la constitution d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine n'était pas anodine, M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a constaté, pour s'en féliciter, que l'immigration clandestine n'était plus un sujet tabou parce que, depuis 2002, la lutte contre l'immigration clandestine était devenue une des actions prioritaires du gouvernement.

Il a relevé que les résultats positifs déjà obtenus démontraient que la France n'était pas forcément destinée à subir des vagues toujours plus nombreuses de clandestins, affirmant que tout était affaire de volonté et de méthode : il faut nommer et poser clairement le problème et se donner les moyens de le résoudre, sans prêter attention aux « donneurs de leçons ».

Insistant sur la nécessité de comprendre et de mesurer l'immigration clandestine, le ministre d'Etat s'est dit frappé par les insuffisances de l'appareil statistique national. Constatant que la Commission européenne évaluait à 500 000 le nombre annuel des entrées illégales dans l'Union européenne, il s'est étonné que, sur la base des régularisations pratiquées par la gauche en 1997, un rapport de l'Institut national d'études démographiques ait pu évaluer, en janvier 2004, le flux d'immigration illégale à 13 000 personnes par an et il a jugé plus réalistes les estimations se situant entre 80 et 100 000 immigrants illégaux supplémentaires chaque année.

En ce qui concerne l'évaluation, tout aussi délicate, du nombre de migrants clandestins déjà présents en France, le ministre d'Etat a estimé que, sur la base du nombre de personnes bénéficiant de l'aide médicale d'Etat, ce nombre devait s'établir dans une fourchette de 200 à 400 000 personnes.

Il a souligné que la pression sur les institutions et la vie quotidienne résultant de l'immigration clandestine était très inégale selon les régions et il a évoqué la situation outre-mer, l'immigration clandestine représentant 22,5 % de la population totale en Guyane, 25 % à Mayotte.

Convenant que nul ne pouvait rester insensible aux images de détresse absolue et de désespoir total associées à l'immigration clandestine, M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a indiqué que la grande majorité des migrants entraient légalement sur le territoire de l'Union européenne avec un visa de court séjour, puis s'y maintenaient illégalement.

Il a souligné que bon nombre d'entre eux étaient exploités par des filières criminelles organisant les étapes de leur parcours, de l'obtention du visa sur la base de documents frauduleux à la mise en contact avec l'employeur : le prix d'un passage d'Afrique en Europe serait de 15 000 € et le produit de ce trafic pourrait représenter entre un quart et un tiers de celui du trafic de stupéfiants.

Il a souligné que des personnes vendaient ainsi tous leurs biens en quête d'un eldorado pour être exploitées par des passeurs criminels et trouver l'enfer de l'exploitation par les esclavagistes de notre temps dans le cadre du travail illégal.

Il a indiqué que dans certains secteurs d'activité -la restauration, le bâtiment, les emplois domestiques, l'agriculture- des employeurs sans scrupules faisaient massivement appel à cette main-d'oeuvre en situation illégale. Il a noté que les régularisations massives opérées dans certains pays voisins -700 000 en Italie en 2002, 600 000 en Espagne cette année- dangereuses parce qu'elles créaient un appel d'air considérable dans toute l'Europe, présentaient au moins l'intérêt de mettre en évidence le poids de l'emploi clandestin en Europe.

Le ministre d'Etat a souligné que le « quasi statut » identifié par le rapport de la Cour des comptes de novembre 2004 contribuait aussi à entretenir l'immigration illégale, dénonçant le « paradoxe de la situation française » qui veut que le migrant clandestin n'ait pas droit au séjour mais qu'il ait droit à l'aide médicale, à la scolarisation de ses enfants, à l'hébergement d'urgence.

Il a noté à cet égard que, s'il n'était pas question de laisser des personnes vivant sur le sol français sans secours, sans soins et sans accueil scolaire pour leurs enfants, les droits sociaux accordés aux clandestins étaient de nature à favoriser l'attractivité du territoire national : ils ne devraient donc pas être supérieurs à ceux qui sont prévus ailleurs en Europe et ils ne devraient se concevoir que de manière provisoire, dans les situations d'urgence et en attendant le retour dans le pays d'origine.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a évoqué un autre facteur d'attractivité du territoire : les passerelles entre l'immigration irrégulière et l'immigration régulière, telles les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers qui prévoient une régularisation « de droit » pour toute personne qui s'est maintenue illégalement pendant dix ans sur le territoire ou la régularisation des regroupements familiaux irréguliers.

Il a également cité les détournements du droit d'asile, beaucoup d'étrangers présentant une demande d'asile dans le seul but de se maintenir le plus longtemps possible sur le territoire, et il s'est félicité des progrès accomplis grâce à la suppression de l'asile territorial et à la réduction des délais d'examen des demandes de plus de deux ans à six mois. Il a cependant déploré que la France reste le premier pays au monde pour l'accueil des demandeurs d'asile, avec 65.000 demandes en 2004.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a ensuite exposé que la lutte contre l'immigration était un juste combat, les vrais ennemis des droits de l'homme étant ceux qui se rendaient complices des trafics et de l'exploitation indigne d'êtres humains vulnérables, et il s'est déclaré déterminé à ne pas accepter la mise en danger des migrants par des passeurs criminels, ni la réapparition d'une forme d'esclavage en France.

Il a souligné que l'immigration clandestine, inacceptable sur le plan moral, était également dangereuse et injuste sur le plan économique et qu'elle était un facteur de déstabilisation de la société, condamnant à l'exclusion une partie de la population vivant sur le territoire, préparant une société fracturée et «ghettoïsée», contribuant à produire la haine et la violence.

Evoquant les résultats déjà obtenus dans le cadre de la politique de « tolérance zéro » à l'égard de l'immigration illégale, M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a insisté sur trois axes forts de cette politique :

- la répression des filières criminelles, de l'immigration clandestine, du travail clandestin : au premier semestre 2005, les interpellations de migrants clandestins ont augmenté de 45 %, les arrestations de passeurs de 53 %, atteignant 1 300 sur six mois, les interpellations d'employeurs de 33 % et celle de travailleurs clandestins de 150 % ;

- la généralisation des visas biométriques, prévue par la loi du 26 novembre 2003, qui permettra de connaître et d'identifier les migrants en situation illégale entrés en France avec un visa ;

- une politique de reconduite systématique à la frontière a été engagée : grâce à l'allongement de la durée de la rétention administrative et aux objectifs chiffrés assignés aux préfets, le nombre des mesures d'éloignement d'étrangers en situation irrégulière a progressé de 10 000 en 2002 à plus de 20 000 en 2005, un objectif de 25 000 devant être fixé pour 2006.

Prenant les exemples du Calaisis et de l'Outre-mer, le ministre d'Etat a donné les précisions suivantes :

- à Sangatte, une borne EURODAC sera installée, ce qui permettra de renvoyer les demandeurs d'asile dans le pays où ils ont effectué leur demande ;

- en Guyane, le nombre des reconduites à la frontière, passé de 3 700 en 2000 à 5 500 à la fin de cette année, devrait atteindre en 2006 l'objectif de 7 500, les capacités du centre de rétention administrative de Rochambeau devraient augmenter de 38 à 62 places et l'affectation annuelle de 12 policiers de la police aux frontières est prévue, les effectifs supplémentaires devant ainsi atteindre 60 en 2008 ;

- en Guadeloupe, l'objectif est d'effectuer 2 000 reconduites à la frontière en 2006, soit une augmentation de 40 %, et il est aussi prévu de porter de 20 à 50 places la capacité d'accueil du centre de rétention ;

- à Mayotte, les reconduites à la frontière devraient également augmenter de 40 % pour atteindre le nombre de 12 000.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a ensuite déclaré qu'une nouvelle loi était nécessaire pour aller plus loin et il a annoncé le dépôt d'un projet de loi sur le bureau de l'une ou l'autre assemblée dans les tout prochains mois.

Il a exposé que ce texte s'inscrirait dans la continuité des lois du 26 novembre et du 10 décembre 2003 et qu'il aurait pour objectif principal la mise en place d'une régulation quantitative de l'immigration, afin de maîtriser l'immigration subie pour développer une immigration choisie.

Expliquant que l'immigration choisie devait permettre d'attirer en France des compétences dont elle a besoin -travailleurs qualifiés, créateurs d'entreprise, professeurs d'université, étudiants- le ministre d'Etat a estimé que cet aspect de la nouvelle politique d'immigration était essentiel car on ne pouvait lutter efficacement contre l'immigration clandestine que si l'on offrait des possibilités d'immigration à des fins de travail, dans des conditions compatibles avec la situation de notre marché du travail. Il a observé à cet égard que moins de 5 % des immigrés venaient en France pour répondre à des besoins précis de l'économie alors qu'en Grande-Bretagne ou en Australie cette proportion était de 50 %. Il a également noté qu'il fallait endiguer l'immigration clandestine et réguler l'immigration familiale pour rétablir un discours positif sur l'immigration.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a souligné qu'il était essentiel d'accueillir en France des étudiants étrangers, qu'ils viennent de pays développés ou en voie de développement, non pour piller ces derniers des « cerveaux » qui font leur richesse mais pour que les étudiants de talent ne continuent pas à aller étudier dans d'autres pays. Il a affirmé son intention de simplifier les procédures pour les étudiants, qui seraient choisis en fonction de leur projet d'étude et des intérêts de la France comme de leur pays d'origine, en les dispensant, lors de leur arrivée en France, de se présenter en préfecture pour obtenir un titre de séjour.

Rappelant qu'il fallait être ouvert à l'immigration choisie mais ferme à l'égard de l'immigration subie, le ministre d'Etat a fait remarquer que le législateur devrait se pencher sur la question des conditions particulières de l'immigration clandestine outre-mer et que la réforme en préparation serait à la mesure des problèmes posés : contrôle renforcé des véhicules et des personnes, immobilisation et destruction des moyens de transport de clandestins, suppression du caractère suspensif de certains recours pour accélérer la mise en oeuvre des mesures d'éloignement.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a indiqué que, plus généralement, le législateur devrait traiter le problème récurrent des détournements de procédure en matière de droit au séjour et qu'il faudrait mettre fin aux entrées clandestines ou avec des visas de court séjour dans la perspective d'une régularisation automatique. Il a sur ce point indiqué que :

- les régularisations au titre de la vie privée et familiale devraient revêtir un caractère exceptionnel, limité à des cas humanitaires spécifiques ;

- les règles en matière d'immigration familiale devraient être fondées sur l'octroi en amont d'un visa de long séjour, lorsque les conditions de logement et de ressources sont réunies.

Sur la question du mariage, le ministre d'Etat a souhaité que l'on revienne à « un peu de bon sens », en supprimant le lien automatique entre le mariage et le titre de séjour.

En matière d'asile, il a jugé nécessaire de raccourcir encore le délai moyen d'examen des dossiers par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission de recours des réfugiés et il a évoqué les dispositions du projet de loi de finances tendant, afin de faciliter le rapatriement des demandeurs d'asile définitivement déboutés, à lier l'octroi de l'allocation dite d'insertion à l'acceptation d'un hébergement dans des structures contrôlées par l'Etat.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a souligné que le dispositif envisagé s'articulait avec les initiatives des Etats européens voisins de la France, une solidarité européenne étroite étant, dans le contexte de la libre circulation, la condition de la réussite. Il a rappelé à cet égard que plusieurs « vols groupés » communs avaient été organisés avec le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Allemagne et que, dans le cadre du G 5, de nouvelles initiatives étaient en cours, par exemple pour accélérer la généralisation des visas biométriques.

Le ministre d'Etat a relevé que, compte tenu de la « fracture planétaire », l'immigration clandestine était un des grands enjeux de notre temps et qu'il fallait une mobilisation générale de l'Union européenne et de toutes les grandes puissances pour mettre l'Afrique sur la voie du développement, développement auquel l'Union européenne a prévu de consacrer 25 milliards d'euros d'ici 2010 : il a jugé que c'était une grande ambition autour de laquelle l'Europe devait d'urgence se rassembler.

Il a rappelé qu'il s'était rendu en Roumanie, en Chine et au Mali pour mettre en place des filières d'immigration positive et qu'il était également allé en Libye pour évoquer ce sujet. Il a souhaité que la France et les Etats européens se mobilisent sur la conclusion d'accords de coopération avec les pays d'émigration prévoyant à la fois des clauses de réadmission et une ouverture en matière d'immigration régulière à des fins de travail ; il a également jugé nécessaire que la Commission européenne mette rapidement en oeuvre le programme MEDA, destiné à développer les capacités opérationnelles du Maroc pour lutter contre l'immigration illégale.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a souligné en conclusion que la lutte contre l'immigration clandestine était un enjeu aux dimensions multiples, nationales, européennes et planétaires, un immense défi dont il a annoncé qu'il avait l'intention de le relever.

Le ministre d'Etat a enfin proposé à la commission d'enquête, si tel était son souhait, de revenir devant elle pour répondre à ses questions sur ce sujet complexe et difficile.

Remerciant le ministre d'Etat de son exposé ainsi que de sa proposition, M. Georges Othily, président, a cependant souligné que les membres de la commission d'enquête souhaiteraient sans doute lui poser dès à présent quelques questions sur différents points de son exposé.

M. Christian Demuynck, après avoir également remercié le ministre d'Etat de sa proposition, qu'il a jugée excellente, de revenir ultérieurement devant la commission, l'a interrogé sur les réactions des pays d'origine des migrants au développement des reconduites à la frontière.

Répondant à cette question, M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a tout d'abord souligné qu'il était chargé de la coordination de la politique de l'immigration, ce qui constituait une novation utile dans l'organisation du travail gouvernemental, chaque ministère compétent ayant sa logique propre, axée pour le ministère des affaires étrangères sur le rayonnement de la France, pour le ministère chargé des affaires sociales sur la générosité et l'humanité et pour le ministère de l'intérieur sur le souci de l'ordre public. Il a indiqué que dans le cadre de sa coopération étroite avec le ministre des affaires étrangères, il avait proposé à ce dernier, qui avait bien voulu l'accepter, de conditionner l'augmentation du nombre de visas à la bonne volonté de nos partenaires en matière de laissez-passer consulaires.

Il a estimé que cette question devait en effet être clairement posée, sachant que la France délivrait 1,9 million de visas de court séjour par an, pour 500 000 refus, l'ensemble des pays de l'espace Schengen en délivrant dix millions, tandis qu'il n'y avait que quelques milliers de demandes annuelles de laissez-passer consulaires. Il a indiqué qu'à la suite de cette démarche la situation s'était améliorée avec un certain nombre de pays, mais devait encore s'améliorer avec d'autres.

Mme Alima Boumediene-Thiery a approuvé le ministre d'Etat d'avoir évoqué l'enfer vécu par les immigrants clandestins et les responsabilités des esclavagistes. Elle a cependant estimé que la lutte contre l'immigration clandestine n'était pas une solution et qu'il vaudrait mieux lutter contre les trafiquants, les employeurs « au noir », les donneurs d'ordres ou les marchands de sommeil que contre les immigrés, qui ont fui la misère ou les dictatures dans l'espoir de trouver en Europe un havre de paix et qui se retrouvent dans la situation de victimes.

Elle a dit sa crainte que les amalgames entre immigration et terrorisme, la suspicion à l'égard des mariages mixtes, la « criminalisation » des sans-papiers arrêtés, mis en centre de rétention et expulsés de manière parfois douloureuse, ne créent des peurs susceptibles d'attiser la haine et la xénophobie.

Elle a relevé une contradiction entre la volonté exprimée par le ministre d'Etat d'aider au développement des pays du Sud et sa position en faveur de l'immigration choisie, qui revient à prendre dans ces pays les « cerveaux » et la main-d'oeuvre dans l'intérêt des pays du Nord, ce qui constitue une nouvelle forme de colonisation et un pillage de leurs richesses.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a tout d'abord souligné, sur la lutte contre le travail au noir, qu'il avait été le premier à prendre un décret, tout récemment publié, qui met à la charge des employeurs de travailleurs clandestins le prix de leur retour, compris entre 5 000 et 10 000 euros. Il a également indiqué que sur les mois de septembre et d'octobre 2005, 380 opérations de lutte contre le travail clandestin avaient donné lieu à 10 500 contrôles, 178 procédures, 600 gardes à vue ainsi qu'à l'interpellation de 360 employeurs et de 450 étrangers en situation irrégulière.

Sur le pillage des cerveaux, remarquant tout d'abord que l'immigration choisie pouvait aussi concerner des maçons ou d'autres travailleurs, il a souligné que bien souvent les pays en développement n'avaient pas d'emplois à proposer aux plus qualifiés de leurs enfants. Il a également relevé qu'il ne fallait pas croire que les emplois procurés aux ressortissants de pays en développement ne bénéficient pas à ces pays, leurs traditions culturelles et familiales voulant que les membres de la diaspora envoient tout ou partie de leur gains chez eux : s'il ne faut certes pas « piller les cerveaux », il n'est donc pas complètement négatif d'employer des jeunes qui ne trouveraient pas dans leur pays des postes correspondant à leur qualification.

Approuvant à son tour l'intention du ministre d'Etat de revenir devant la commission d'enquête lorsqu'elle arriverait au terme de sa réflexion, M. Alain Gournac a également soutenu l'idée d'accueillir en France des jeunes travailleurs et a souhaité que les accords passés avec leurs pays d'origine permettent de leur assurer, pendant leur séjour en France, des formations répondant aux besoins de ces pays.

Mme Catherine Tasca, indiquant qu'elle ne réagirait pas sur le fond aux propos du ministre d'Etat, l'a interrogé sur la date de dépôt du projet de loi annoncé et sur ses intentions à l'égard des enfants de migrants irréguliers scolarisés en France, parfois depuis plusieurs années.

Rejoignant les propos de M. Alain Gournac, M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, lui a répondu en évoquant le problème des étudiants étrangers qui, à l'issue de leurs études, veulent s'installer en France, avec cette conséquence que leur séjour n'aboutit pas alors à former les futurs cadres de leurs pays, mais à « sortir » des cadres de ces pays. Il a donc souhaité une réflexion sur le problème des cartes de séjour accordées aux étudiants, qui ne doivent pas emporter systématiquement un droit au travail.

En réponse à Mme Catherine Tasca, le ministre d'Etat a ensuite apporté les précisions suivantes :

- le dépôt du projet de loi devrait être une question de semaines ;

- la décision a été prise de ne plus expulser pendant l'année scolaire, pour des raisons d'humanité, les migrants irréguliers dont les enfants sont scolarisés. Il n'est cependant pas possible d'aller plus loin, sauf à créer une nouvelle filière d'immigration illégale au profit des parents d'enfants scolarisés.

Mercredi 30 novembre 2005

- Présidence de M. Georges Othily, président.

Audition de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer

La commission d'enquête a entendu M. François Baroin, ministre de l'outre-mer.

A titre liminaire, M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a expliqué qu'il avait évoqué une modification du droit de la nationalité applicable à Mayotte afin d'attirer l'attention de l'opinion publique sur les conséquences dramatiques de l'immigration clandestine dans certaines collectivités situées outre-mer.

Se réjouissant que le Parlement se soit saisi de cette question, il s'est fixé pour objectif de lancer un débat approfondi permettant de parvenir à un texte consensuel dans un délai raisonnable, selon la méthode retenue pour la loi interdisant les signes religieux à l'école.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a ensuite présenté la situation préoccupante de certaines collectivités.

Il a ainsi indiqué que près de 40 % des 160.000 habitants de Mayotte, soit environ 60.000 personnes, étaient des étrangers, dont les trois quarts étaient en situation irrégulière. Il a observé qu'avec une proportion identique, la métropole aurait sur son sol plus de 18 millions d'immigrés clandestins.

Il a également souligné qu'un quart environ des 185.000 habitants de la Guyane était en situation irrégulière, 19.000 étrangers en situation régulière étant par ailleurs recensés.

Il a évalué le nombre des étrangers en Guadeloupe à 23.000, celui des clandestins à 10.000 et indiqué que les demandes d'asile, émanant pratiquement toutes d'Haïtiens, étaient passées de 1.544 en 2004 à 2.352 pour les huit premiers mois de l'année 2005. Il a ajouté que le problème de l'immigration clandestine était particulièrement délicat dans l'île de Saint-Martin, en raison de la localisation de l'aéroport international Princess Juliana dans la partie néerlandaise de l'île et de l'absence de contrôle à la frontière entre les deux parties de l'île.

En revanche, il a jugé que la Martinique était peu touchée par l'immigration clandestine, le nombre d'étrangers en situation irrégulière étant estimé à 500, mais que sa situation restait fragile en raison du risque d'un effet de transfert des flux migratoires depuis la Guadeloupe.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a observé que le nombre des naissances avait augmenté à Mayotte de 50 % en dix ans et de 10 % pour la seule année 2004, l'hôpital de Mamoudzou étant ainsi devenu la première maternité de France. Il a précisé que sur 7.676 naissances enregistrées en 2004, près de 70 % (5.249) concernaient des Comoriennes en situation irrégulière. Il a également relevé qu'en Guyane, la moitié des accouchements pratiqués à la maternité de Saint-Laurent-du-Maroni entre 1994 et 2004 avaient été le fait de femmes surinamiennes ayant franchi le fleuve à cette fin.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a indiqué que l'activité des services de l'Etat témoignait, elle aussi, du caractère massif et déstabilisant de l'immigration clandestine. Il a communiqué les chiffres des reconduites à la frontière en 2004 : près de 8.600 à Mayotte, en progression de 38 % par rapport à 2003 et de 132 % par rapport à 2001, soit plus du quart du total des reconduites effectuées en France ; 5.318 en Guyane, en progression de 80 % par rapport à 2001 ; 1.083 à la Guadeloupe, contre 678 en 2001, et 297 à Saint-Martin, contre 181 en 2001.

Il a souligné que cette immigration non maîtrisée avait pour conséquences un développement du travail dissimulé déstabilisant des économies jeunes et fragiles, une charge financière insupportable pour les collectivités publiques résultant de besoins sans cesse croissants en équipements (écoles, collèges, hôpitaux...) et un risque d'affrontements et de désordres publics résultant d'une montée de la xénophobie, illustré par les manifestations survenues à Mayotte avant la période du ramadan.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a indiqué que la politique de lutte contre l'immigration clandestine du gouvernement reposait sur trois piliers : le renforcement des moyens opérationnels des services, des actions de coopération avec les pays sources et les pays de transit des immigrants et l'adaptation des règles de droit.

Au titre du renforcement des moyens opérationnels des services, il a mis en exergue l'augmentation de 10 % des effectifs de la gendarmerie et le recrutement de 30 fonctionnaires de la police aux frontières à Mayotte depuis 2002. Il a indiqué que cet effort serait poursuivi en 2006 avec le recrutement de 10 agents à la police aux frontières et l'affectation de 14 policiers supplémentaires à la direction de la sécurité publique. Il a ajouté que la gendarmerie mobile disposait désormais d'un escadron complet pour participer, en permanence, au maintien de l'ordre public.

Il a souligné qu'en Guyane, 60 fonctionnaires de la police aux frontières seraient affectés, dans un délai de cinq ans, à Saint-Georges de l'Oyapock, en prévision de la construction du pont international à la frontière brésilienne, précisant que les 24 fonctionnaires déjà affectés en 2004 et 2005 seraient rejoints par 12 agents en 2006. Il a ajouté que 20 fonctionnaires de police supplémentaires seraient affectés à la direction départementale de la sécurité publique en 2006.

Il a précisé qu'en Guadeloupe, la mise aux normes du centre de rétention administrative s'accompagnerait d'un renfort de 27 fonctionnaires du corps d'encadrement et d'application pour assurer son bon fonctionnement, 8 fonctionnaires de la police aux frontières devant par ailleurs être affectés à Saint-Martin au cours du premier trimestre 2006.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a indiqué que les moyens matériels, notamment nautiques, des services seraient accrus. Il a ainsi annoncé, d'une part, que deux vedettes supplémentaires seraient livrées en 2006 à la police aux frontières de Mayotte et, d'autre part, qu'un moyen nautique rapide serait affecté à la surveillance du canal des Saintes en Guadeloupe.

Il a ajouté que l'un des deux radars prévus à Mayotte, afin de déceler les embarcations en provenance d'Anjouan, venait d'y être installé et avait permis l'interception de quatre « kwassa-kwassa » au cours des trois premiers jours de sa mise en service. Il a observé que l'efficacité de cette surveillance démontrait également l'ampleur de la pression migratoire et la gravité de la situation dans l'archipel.

Enfin, il a annoncé qu'une délégation conduite par le secrétaire général à la mer procèderait prochainement à une expertise des besoins en matériels de détection qu'il conviendrait de déployer en Guadeloupe.

Soulignant la nécessité non seulement de renforcer les moyens mais également d'optimiser leur mise en oeuvre, M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, s'est félicité que le dispositif maritime de lutte contre l'immigration clandestine, faisant intervenir la marine nationale lors de nombreuses opérations conjointes, soit désormais placé sous l'autorité directe du préfet.

Il a considéré que ces efforts étaient rendus nécessaires non seulement par une pression migratoire croissante mais aussi par l'organisation toujours plus élaborée des filières d'immigration clandestine. Pour illustrer son propos, il a mentionné l'interpellation de deux Anjouanais en situation irrégulière qui faisaient usage d'une radio à bande latérale unique pour organiser la venue de clandestins en « kwassa-kwassa » et réaliser des opérations bancaires entre Mayotte et Anjouan pour le compte de Comoriens vivant à Mayotte en situation irrégulière. Il a également indiqué que de véritables villages clandestins, abritant de 500 à 1.000 personnes, avaient été découverts et détruits dans le cadre des opérations « Anaconda » conduites en Guyane en 2004.

Enfin, il a rappelé qu'il avait invité les préfets, en juillet 2005, à mener une action résolue contre le travail dissimulé, en collaboration étroite avec l'autorité judiciaire, dans le cadre du comité départemental de lutte contre le travail illégal.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a déclaré que le volet diplomatique de la politique de lutte contre l'immigration clandestine comportait deux types d'actions à l'égard des pays d'origine et de transit : une politique de retour des étrangers en situation irrégulière par la conclusion d'accords de réadmission et le développement de la politique de coopération.

Il a expliqué que des accords de réadmission avaient été signés avec le Brésil, le 28 mai 1996, et Sainte-Lucie, le 23 avril 2005, des projets d'accord étant en cours de négociation avec le Guyana, la Dominique, la Barbade et Trinidad et Tobago.

Rappelant que les flux migratoires clandestins tenaient à la différence importante de niveau de vie entre les collectivités ultra-marines et les Etats voisins, il a souligné la nécessité d'actions d'aide au développement. Il a annoncé que le comité interministériel de contrôle de l'immigration du 29 novembre 2005 avait retenu deux orientations stratégiques : d'une part, veiller à mieux concentrer les efforts sur les principaux pays sources d'immigration en soutenant les projets créateurs d'emplois susceptibles de contribuer à un développement durable, d'autre part, intensifier les actions de co-développement visant à faire participer les immigrés au développement de leur pays d'origine, notamment en facilitant leur retour dans le cadre de projets de création d'activités. Enfin, il a rappelé que le ministère de l'outre-mer versait déjà une dotation aux fonds de coopération régionale permettant aux départements d'outre-mer et à Mayotte de financer des programmes de formation professionnelle, d'aide hospitalière, de gestion de l'eau potable et d'échanges culturels, notamment aux Comores et dans la Caraïbe.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a jugé nécessaire, en dernier lieu, d'améliorer les instruments juridiques de la lutte contre l'immigration clandestine, dans le respect de l'unité de la République.

Après avoir rappelé qu'à l'exception de la Nouvelle-Calédonie, les collectivités situées outre-mer étaient régies soit par l'article 73, soit par l'article 74 de la Constitution, il a expliqué que l'article 73, relatif aux départements et régions d'outre-mer, posait le principe de l'assimilation juridique tout en permettant des adaptations législatives « tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités », tandis que l'article 74, applicable à Mayotte, régissait les collectivités d'outre-mer dotées d'une « organisation particulière » tenant compte des « intérêts propres » de chacune d'elles au sein de la République.

Se référant à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il a estimé que le droit applicable dans les collectivités relevant de l'article 74, comme par exemple le droit des étrangers à Mayotte, pouvait largement différer du droit en vigueur en métropole, sous réserve du respect des principes constitutionnels, tandis que les possibilités d'adaptation dans les départements d'outre-mer étaient bien plus limitées et devaient répondre à des situations particulières, identifiées, localisées et justifiées. Il a observé que le Conseil constitutionnel avait validé en 1993 l'absence d'effet suspensif du recours contentieux formé contre un arrêté de reconduite à la frontière en Guyane et dans l'île de Saint-Martin, ainsi que le contrôle sommaire de certains véhicules n'appartenant pas à des particuliers dans un périmètre strictement délimité des zones frontalières en Guyane.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a rappelé que le comité interministériel de contrôle de l'immigration du 27 juillet 2005 avait préconisé les mesures législatives suivantes :

- l'extension à la Guadeloupe et à Mayotte, dans une zone de quelques kilomètres à partir du littoral, du contrôle de l'identité de toute personne ;

- la visite sommaire des véhicules circulant sur la voie publique, à l'exclusion des voitures appartenant à des particuliers, en vue de rechercher et de constater les infractions aux règles relatives à l'entrée et au séjour des étrangers ;

- l'extension à la Guadeloupe des dispositions actuellement applicables en Guyane et à Saint-Martin, selon lesquelles le recours contentieux formé contre un arrêté de reconduite à la frontière n'a pas de caractère suspensif ;

- l'autorisation donnée au procureur de la République, dans les départements et les collectivités d'outre-mer, d'ordonner l'immobilisation ou la destruction des véhicules terrestres ou des embarcations fluviales ayant servi à commettre les infractions d'entrée et de séjour irréguliers.

S'il a jugé souhaitable que ces mesures soient rapidement adoptées, il a aussi marqué sa volonté de recueillir un consensus et d'attendre que les travaux d'information entrepris par le Sénat et l'Assemblée nationale aient suffisamment avancé avant de les soumettre au Parlement.

Convenant que des règles dérogatoires au droit commun avaient pu être adoptées en matière d'entrée et de séjour des étrangers dans les collectivités situées outre-mer, Mme Alima Boumediene-Thiery a jugé inédit et dangereux de vouloir remettre en cause l'unicité du droit de la nationalité, en traitant de manière différente les enfants nés en métropole et les enfants nés outre-mer. Elle a souligné qu'une telle différence de traitement n'existait dans aucun autre Etat, pas même les Etats fédéraux, et exprimé la crainte qu'elle ne conduise ces enfants à être considérés comme des « citoyens de seconde zone ».

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a indiqué qu'il avait provoqué ce débat à dessein, afin de faire prendre conscience de la situation dramatique créée par l'immigration irrégulière dans certaines collectivités.

Il a rappelé le destin tragique des immigrants souhaitant se rendre des Comores à Mayotte, rançonnés par leurs passeurs et entassés dans des embarcations de fortune, en précisant que, selon les estimations de plusieurs organisations non gouvernementales, 200 corps inanimés auraient été découverts sur les côtes mahoraises en 2005.

Il a également souligné que cet afflux massif d'immigrants, parmi lesquels de nombreuses femmes enceintes, sur un territoire grand comme l'île d'Oléron provoquait de vives tensions et des risques réels d'affrontements. A titre d'exemple, il a indiqué qu'à chaque rentrée scolaire, des mères mahoraises manifestaient pour protester contre l'inscription dans les écoles d'enfants d'immigrés en situation irrégulière.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a déclaré qu'il appartenait à la représentation nationale de trancher la question de la modification du droit de la nationalité applicable à Mayotte, précisant que l'article 74 de la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel permettaient de l'envisager. Il a ajouté qu'une telle modification ne constituerait, en tout état de cause, qu'une mesure parmi d'autres pour lutter contre l'immigration irrégulière, destinée à dissuader les Comoriens de se rendre à Mayotte.

Insistant sur l'importance des actions d'aide au développement, il a marqué l'intérêt de la proposition de M. Jacques Chirac, Président de la République, consistant à instaurer une taxe sur les billets d'avion pour les financer. Il a toutefois reconnu que pour être efficace, une telle taxe devrait également être instituée par les Etats membres de l'Union européenne et les Etats-Unis.

M. Louis Mermaz a rappelé l'importance du principe de l'unité de la République et marqué son opposition à toute remise en cause du droit du sol en matière de droit de la nationalité.

Il a observé que les difficultés rencontrées à Mayotte étaient aggravées par le refus des Comores de reconnaître la souveraineté de la France sur cette collectivité et, en conséquence, de délivrer des visas à leurs ressortissants. Il a estimé que le renforcement des coopérations régionales constituait le meilleur moyen d'enrayer l'immigration irrégulière.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a regretté la grande méconnaissance des larges possibilités d'adaptation de la législation et de la réglementation nationales aux particularités des collectivités situées outre-mer offertes par la Constitution.

Il a ainsi rappelé que les mesures de défiscalisation outre-mer étaient non seulement possibles mais également nécessaires pour permettre à ces territoires de se développer et s'est étonné qu'elles soient contestées alors que nul ne songeait à remettre en cause les zones franches urbaines créées dans les banlieues des agglomérations métropolitaines.

Il a précisé que sa proposition de modifier le droit de la nationalité applicable à Mayotte répondait à une demande des élus locaux et n'était pas sans précédent. Il a rappelé que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993, avait admis l'existence de dispositions spécifiques en matière de droit de la nationalité attachées à l'organisation particulière des collectivités régies par l'article 74 de la Constitution.

M. Bernard Frimat a souligné que la principale cause de l'immigration irrégulière était la différence de niveaux de vie entre la France et dans les pays d'origine des immigrants.

Il a demandé des précisions sur l'ampleur, les filières et les moyens de répression du travail dissimulé.

Rappelant l'annonce par M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, du prochain dépôt d'un projet de loi relatif à l'immigration sur le bureau de l'une ou l'autre assemblée, il a souhaité savoir quand ce dépôt interviendrait et si les dispositions propres à l'outre-mer feraient l'objet d'un texte spécifique.

Enfin, rappelant l'importance du principe d'égalité, il s'est interrogé sur les modifications du droit de la nationalité envisagées pour Mayotte.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a une nouvelle fois rappelé qu'il avait souhaité lancer mais non trancher le débat sur le droit de la nationalité applicable à Mayotte. A cet égard, il s'est félicité que ce débat se soit apaisé à mesure que progressait la connaissance de la situation de cette collectivité.

Il a précisé qu'il n'avait proposé aucune nouvelle mesure relative à l'outre-mer au cours de la réunion du comité interministériel de contrôle de l'immigration du 29 novembre 2005, préférant attendre les conclusions de la mission d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur la situation de l'immigration à Mayotte et de la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine.

Quant à la date d'examen du projet de loi relatif à l'immigration, il a indiqué que le Premier ministre n'avait pas encore pris de décision.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a observé que le travail clandestin ne pouvait être appréhendé de la même façon à Mayotte et en métropole en raison du manque de structuration de l'économie et du fort taux de chômage, estimé à 50 % de la population active. Il a ajouté qu'il ne disposait guère d'éléments pour apprécier son ampleur, précisant toutefois que le travail clandestin était surtout répandu dans les secteurs du bâtiment, de l'hôtellerie et de la restauration et que les étrangers en situation irrégulière représentaient 80 % des travailleurs clandestins contrôlés en 2003 et 66 % en 2004.

Mme Catherine Tasca a déclaré que, si certaines mesures de défiscalisation contribuaient effectivement au développement des collectivités situées outre-mer, il en était d'autres qui servaient exclusivement les intérêts particuliers de leurs bénéficiaires.

Elle a estimé que les particularités de ces collectivités, notamment leur insularité, appelaient des mesures spécifiques, rappelant les initiatives prises par les gouvernements de M. Michel Rocard, puis de M. Lionel Jospin, en faveur de la Nouvelle Calédonie.

A la lumière des propos tenus la veille devant la commission d'enquête par M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, elle a formé le voeu que les dispositions relatives à l'immigration dans les collectivités situées outre-mer fassent l'objet d'un projet de loi spécifique.

Après avoir indiqué que les collectivités situées outre-mer devaient faire l'objet de mesures différenciées, quel que soit leur support législatif, M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a marqué sa volonté de parvenir à des solutions consensuelles. Il a rappelé que le taux de chômage et le nombre des bénéficiaires de minima sociaux - sauf à Mayotte - étaient en moyenne deux à trois fois supérieurs à ceux enregistrés en métropole, les retards en équipements publics et en logements sociaux étant également considérables.

M. Jean-Jacques Hyest a rappelé que la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République avait réécrit l'article 74 de la Constitution afin de permettre l'élaboration de statuts adaptés à la situation de chaque collectivité d'outre-mer. Il s'est demandé si le gouvernement disposait d'une estimation du nombre des étrangers en situation irrégulière ayant fait l'objet de plusieurs reconduites à la frontière. Enfin, il s'est enquis de l'état d'avancement de la constitution d'un état civil à Mayotte.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a indiqué que la mise en place de visas biométriques devrait permettre d'identifier les étrangers s'étant maintenus irrégulièrement sur le territoire national après y être entrés régulièrement. Il a reconnu qu'en dépit des efforts entrepris pour identifier les personnes reconduites à la frontière, le gouvernement ne disposait pas de données sur le nombre de ceux ayant déjà fait l'objet de telles mesures, soulignant l'importance et la régularité des flux migratoires entre les Comores et Mayotte. Il a ajouté que l'Etat versait une dotation aux communes mahoraises pour les aider à constituer un état civil moderne.

Rappelant qu'il représentait les Français établis hors de France, M. Jean-Pierre Cantegrit a souligné la nécessité de tenir compte des spécificités locales, de s'inspirer des expériences étrangères et de rechercher des solutions consensuelles. Il a évoqué les difficultés du secteur de l'hôtellerie dans les Antilles françaises et plus particulièrement à la Guadeloupe, soumis à la pression exercée par les bas salaires pratiqués dans les îles voisines. Enfin, il a exprimé le souhait que les Comores demandent à réintégrer le giron de la République française.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a indiqué que l'immigration était très préoccupante à Mayotte, en Guyane et à la Guadeloupe et qu'il convenait de veiller aux risques de répercussions sur la Martinique et La Réunion des afflux massifs d'immigrés clandestins en provenance d'Haïti et des Comores.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a souhaité savoir, d'une part, si les fonds de coopération régionale pouvaient financer des actions destinées à maîtriser les flux migratoires et, d'autre part, si le gouvernement disposait d'une évaluation du coût pour la collectivité de l'immigration irrégulière.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a indiqué que les fonds de coopération régionale, créés en 2001, avaient pour objet de faciliter la démarche d'insertion des départements d'outre-mer et de Mayotte dans leur environnement régional et finançaient principalement des projets d'échanges dans les domaines de la culture, du sport et de la santé. La lutte contre l'immigration clandestine ne faisant pas partie des missions initiales des fonds, il a précisé que les initiatives étaient rares et se limitaient pour l'instant à l'organisation de formations policières. Il a toutefois estimé que ces instruments pouvaient s'avérer utiles au regard de l'importance des besoins financiers en matière de coopération.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a ensuite mis en exergue la difficulté d'évaluer le coût pour la collectivité de l'immigration clandestine. Il a toutefois cité quelques chiffres concernant Mayotte où, en 2005 :

- le coût direct des éloignements (billets d'avion principalement) était estimé à 60 millions d'euros, sur la base de 6.000 étrangers reconduits à la frontière ;

- les dépenses au titre de l'aide médicale d'Etat s'élevaient à 6,5 millions d'euros ;

- les étrangers en situation irrégulière représentaient le quart des élèves de l'enseignement scolaire, dont le budget était de 150 millions d'euros ;

- la perte de cotisations sociales était estimée à 2,1 millions d'euros sur la base de 15.000 étrangers en situation irrégulière travaillant clandestinement et rémunérés au SMIC.