MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE DE DRESSER LE BILAN DE LA DÉCENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMÉLIORATIONS DE NATURE À FACILITER L'EXERCICE DES COMPÉTENCES LOCALES

Table des matières




Mardi 9 novembre 1999

- Présidence de M. Michel Mercier, rapporteur.

Audition de M. Daniel Hoeffel, vice-président de l'Association des maires de France

La mission d'information a tout d'abord procédé à l'audition de M. Daniel Hoeffel, vice-président de l'Association des maires de France (AMF), sur les conditions d'exercice des mandats locaux.

M. Daniel Hoeffel
, a rappelé que la question de leur statut était une des préoccupations centrales des élus locaux. Il a indiqué que la législation française relative aux conditions d'exercice des mandat locaux se distinguait nettement de celle des autres pays européens. Il a notamment souligné les différences relatives à la durée des mandats et au mode de désignation des maires. Rappelant qu'en Allemagne le maire dirigeait à la fois la municipalité et les services administratifs de sa ville, M. Daniel Hoeffel a estimé qu'une telle " professionnalisation " des mandats locaux ne pouvait être envisagée en France. En l'absence de mouvements importants de regroupement et de fusion, les collectivités territoriales françaises n'atteignent pas en effet une taille justifiant cette évolution des fonctions électives.

M. Daniel Hoeffel a ensuite indiqué que l'AMF présenterait lors de son 82e congrès un livre blanc, organisé autour de sept axes, proposant des réponses précises et concrètes aux difficultés que soulève l'exercice de mandats locaux. Il a estimé que la réflexion engagée par l'AMF semblait indispensable dans la mesure où les dispositions relatives aux mandats locaux, prévues par la loi n° 92-108 du 3 février 1992 n'étaient plus adéquates face à l'extension constante des tâches et des responsabilités des maires.

M. Daniel Hoeffel a présenté le premier axe de réflexion de l'AMF, portant sur la compatibilité du mandat avec l'exercice d'une activité professionnelle. Il a constaté que trop souvent les droits reconnus aux élus ne trouvaient pas à s'appliquer. Il a ajouté que les élus éprouvaient des difficultés à faire valoir les droits sociaux que leur reconnaît pourtant la loi du 3 février 1992 et que leurs employeurs les incitaient souvent à accepter contractuellement une réduction de leur temps de travail, les incitant ainsi à puiser sur leur temps libre pour exercer leur mandat.

En conséquence, M. Daniel Hoeffel a estimé qu'il conviendrait de clarifier les modalités de calcul des cotisations sociales sur les périodes d'absence, de maintenir le montant actuel des crédits d'heures, nonobstant la réduction de la durée légale du temps de travail, et de clarifier les conditions d'une adaptation au profit des élus des droits dont bénéficient actuellement les délégués syndicaux.

M. Daniel Hoeffel a ensuite abordé le deuxième axe de réflexion de l'AMF : la question de l'indemnité de fonction des élus. Il a indiqué que l'AMF proposait de mettre en place les modalités d'une juste compensation des charges liées à l'exercice de fonctions électives. Il a recommandé de prévoir d'accorder automatiquement aux élus le montant maximum de l'indemnité de fonction prévue par les textes sans intervention du conseil municipal et de définir légalement la nature de l'indemnité de fonction qui n'est ni un revenu, ni un traitement, ni un salaire. Il a ajouté qu'il semblait nécessaire d'établir que la fraction de l'indemnité de fonction dite " représentative de frais " ne puisse être saisie dans le cadre d'une condamnation et ne soit soumise ni au paiement de la contribution sociale généralisée (CSG), ni au remboursement de la dette sociale (RDS). Enfin, il a plaidé pour une revalorisation du montant des indemnités de fonction, mais s'est déclaré conscient des difficultés qui pourraient se poser dans cette perspective aux petites communes.

Abordant la troisième orientation du livre blanc de l'AMF, relative à la protection sociale des élus, M. Daniel Hoeffel a rappelé que dans les 35.000 communes de moins de 10.000 habitants, les maires qui cessaient d'exercer leur activité professionnelle pour se consacrer à l'exercice de leur mandat ne bénéficiaient pas de protection sociale dans le cadre de leur fonction élective. Il a préconisé de mettre en place un régime de protection sociale obligatoire au profit de tous les élus locaux qui choisissent de se consacrer à leur mandat, quelle que soit la taille de leur commune et d'étendre la possibilité de suspension du contrat de travail et du droit à la réinsertion à tous les élus qui le souhaitent.

M. Daniel Hoeffel a ensuite présenté les orientations définies par l'AMF en matière de formation des élus, quatrième axe de réflexion de l'association. Il a indiqué qu'il convenait d'adapter le contenu de la formation dispensée par les organismes agréés aux besoins des élus locaux en l'articulant autour de trois grands thèmes : le management politique, la gestion locale et l'exercice des fonctions régaliennes. Il a également insisté sur la nécessité de mettre en place un programme de formation spécifique à destination des nouveaux élus. Enfin, il a estimé qu'il convenait de prévoir l'instauration d'un " budget formation " minimum obligatoire.

En ce qui concerne la dotation particulière " statut de l'élu ", cinquième orientation définie par le livre blanc de l'AMF, M. Daniel Hoeffel a rappelé que les communes éligibles à cette dotation étaient les communes de moins de 1.000 habitants dont le potentiel fiscal est inférieur à celui de la moyenne de cette strate en métropole, et toutes les communes de moins de 5.000 habitants outre-mer. Il a proposé d'étendre le bénéfice de ce dispositif à toutes les communes de métropole de moins de 3.500 habitants en maintenant toutefois le critère d'un potentiel fiscal inférieur à la moyenne.

M. Daniel Hoeffel a ensuite présenté le sixième axe de réflexion de l'AMF, relatif aux questions de retraite et de fiscalisation des cotisations. Il a indiqué que les élus regrettaient la faiblesse du montant des pensions de retraite tenant à la fois à l'assiette et aux taux de cotisations. Il a plaidé pour une revalorisation de 4,5 % à 8 % du taux de cotisation à l'IRCANTEC, calculée sur une l'indemnité de fonction fixée au taux plafond prévu par les textes. Il s'est également prononcé en faveur de l'instauration de la déductibilité dans le cadre de l'imposition sur le revenu du montant des cotisations de retraite complémentaire acquittées par les élus en contrepartie du renoncement à la déductibilité partielle de la rente.

Abordant le septième axe de réflexion de l'AMF portant sur la protection juridictionnelle des élus locaux, M. Daniel Hoeffel a regretté que les frais de procédure liés à la défense de l'élu ne puissent être pris en charge par la commune. Il a estimé que dans le contexte actuel de juridiciarisation de l'exercice de la fonction locale, il convenait de permettre aux élus locaux de s'assurer pour leur responsabilité personnelle et aux communes de prendre en charge cette assurance, à l'instar des dirigeants d'entreprises qui peuvent être assurés par leur entreprise pour leur protection juridique. Il a également souhaité que les juges respectent strictement les textes en matière d'outrage, de diffamation ou d'injure à l'encontre du premier magistrat de la commune.

M. Daniel Hoeffel a ensuite donné quelques indications sur la structure sociologique de la représentation municipale en France. Il a indiqué que le nombre de maires agriculteurs avait largement diminué de 1989 à 1995, passant de 28 % à 20% et que dans le même temps, le nombre de maires retraités avait augmenté de 22 % à 30 %. M. Daniel Hoeffel a précisé que les cadres de la fonction publique représentaient 10,7 % des maires, soit une proportion stable depuis 1989, les salariés du secteur privé, 16 %, les enseignants, 8,7 %, les chefs d'entreprise, 8 % et les professions libérales, 5 %. Il a ajouté que l'augmentation du nombre de maires retraités entraînait une certaine stabilité de la répartition par âge des maires, soit 30,5 % des maires ayant 60 ans et plus, 30,8 % ayant entre 50 et 60 ans, 31 % ayant entre 40 et 50 ans et 7,4 % ayant moins de 40 ans. Enfin, il a relevé que la féminisation de la fonction de maire restait très faible (7,5 % des maires sont des femmes) et que 37,5 % des maires élus en 1995 exerçaient ce mandat pour la première fois.

Commentant ce dernier chiffre, M. Daniel Hoeffel a souligné qu'il était difficile de savoir pourquoi certains maires ne s'étaient pas représentés aux élections de 1995 ou avaient démissionné depuis. Prenant l'exemple de son département dans lequel 1,5 % des maires ont démissionné depuis 1995, il a noté que ces départs pouvaient avoir pour cause des problèmes de santé, une mise en minorité au conseil municipal ou la confrontation avec une fonction trop lourde et comportant trop de responsabilités. Il a conclu qu'il ne fallait pas chercher à expliquer une démission par une seule raison et a rappelé que des maires novices pouvaient se familiariser rapidement avec leurs nouvelles fonctions.

M. Jean-François Picheral a remarqué que les propositions de l'AMF trouveraient un écho favorable auprès des jeunes qui ne pouvaient prétendre aux fonctions électives faute de revenus suffisants ou de stabilité dans un emploi. Commentant les caractéristiques sociologiques des élus locaux, il a estimé que dans les prochaines années certains conseils municipaux pourraient être exclusivement composés de retraités ou de préretraités. Il a également indiqué que son conseil municipal respectait un stricte parité entre hommes et femmes.

M. Daniel Hoeffel, notant que les femmes et les retraités étaient souvent plus disponibles et plus impliqués dans les affaires du conseil municipal, s'est demandé si leur représentation majoritaire au sein d'un conseil ne risquait pas de créer quelques difficultés à l'égard des autres conseillers municipaux qui continuent à exercer leur activité professionnelle.

M. Jean-François Picheral s'est déclaré très favorable aux propositions de l'AMF relatives aux indemnités de fonction des élus locaux.

M. Michel Mercier, président, s'est demandé s'il était possible de prévoir une indemnité de fonction importante dans la mesure où la France compte autant d'élus locaux.

M. Daniel Hoeffel a admis qu'il s'agissait d'un problème essentiel. Il a estimé que l'éparpillement communal ne favorisait pas l'émergence d'un statut de l'élu local satisfaisant.

M. Jean-François Picheral a déclaré qu'il était important de revaloriser les indemnités de fonction des élus locaux pour leur permettre de continuer à travailler au moins à mi-temps.

M. Michel Mercier, président, a rappelé que la question du montant de l'indemnité ne suffisait pas à résoudre toutes les difficultés auxquelles sont confrontés les élus qui souhaitent poursuivre leur activité professionnelle.

M. Daniel Hoeffel a fait valoir que l'insuffisance de l'indemnité de fonctions pouvait inciter certains élus à participer à différentes structures syndicales à vocation unique ou à vocation multiple pour cumuler les indemnités. Il a regretté que la loi n° 99-585 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale n'ait pas abordé cette question. Il a considéré que seul le développement de l'intercommunalité permettrait de parvenir à des améliorations réelles du statut de l'élu local.

M. Michel Mercier, président, a estimé que la prise en charge par la commune de la prime d'assurance personnelle de l'élu local ne représentait pas une dépense importante et ne grèverait pas les budgets communaux, mais constituait une proposition intéressante.

M. Daniel Hoeffel a expliqué que cette prise en charge aurait un impact plus moral et psychologique que financier.

Audition de M. Bruno Odin, directeur de l'Association des maires de Charente-Maritime et président de l'association des directeurs d'associations des maires et de M. Michel Ocytko, directeur de l'Association des maires d'Indre-et-Loire et responsable de la formation des élus



La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Bruno Odin, directeur de l'Association des maires de Charente-Maritime et président de l'association des directeurs d'Associations des maires et de M. Michel Ocytko, directeur de l'Association des maires d'Indre-et-Loire et responsable de la formation des élus.

M. Bruno Odin a tout d'abord estimé que la loi du 3 février 1992, relative aux conditions d'exercice des mandats locaux, n'avait, malgré ses ambitions, pas réellement accru la formation des élus. Jugeant son application décevante, il a relevé que le nombre des départements mettant en oeuvre une formation des élus n'avait pas augmenté depuis son adoption. Il a considéré que la loi n'avait pas non plus entraîné d'augmentation de la demande de formation de la part des élus, malgré des besoins latents, révélés par différentes enquêtes.

M. Bruno Odin a jugé paradoxale la coexistence, concernant les premiers magistrats, entre un faible nombre d'actions de formations et une conscience accrue de leur part de la complexité et des risques liés à l'exercice de leur mission.

Analysant les causes de cette situation, M. Bruno Odin a mis en lumière les difficultés inhérentes à la formation des élus : hétérogénéité du public, absence de disponibilité, volonté de ne pas se déplacer et âge moyen élevé nourrissant une certaine réticence vis-à-vis de la formation. Il a observé que l'offre de formation était, quant à elle, peu structurée et insuffisante. Il a d'ailleurs relevé qu'il n'existait pas de document recensant l'intégralité des formations offertes.

Déplorant l'absence d'un financement adapté, qui empêche, à sons sens, la mise en oeuvre du droit à la formation reconnu par la loi aux élus, M. Bruno Odin a estimé que si la formation était une dépense obligatoire pour les collectivités territoriales, l'inscription d'une somme très modique au budget permettait toutefois de satisfaire à cette obligation légale, tout en contournant, en fait, le droit à la formation affirmé par la loi. Il a estimé que la nécessité d'une délibération de la collectivité constituait un frein à la mise en oeuvre de ce droit, les sommes recueillies étant de toutes façons très modestes dans les départements où existe une formation des élus, de l'ordre de 50.000 à 200.000  francs.

M. Bruno Odin a estimé que l'obligation d'inscrire au budget des collectivités, mais aussi de mandater, une somme minimale, qui serait versée à des organismes collecteurs mutualisant les fonds recueillis, permettrait de structurer l'offre de formation. Il a rappelé que la tarification actuelle, pourtant symbolique, -de l'ordre de 300 francs par jour- constituait en effet un frein au développement de la formation, nombre d'élus finançant sur leurs deniers personnels les frais occasionnés. Il a considéré que le niveau régional serait sans doute le plus pertinent, tant pour la mutualisation des fonds qui seraient ainsi recueillis que pour la création de supports pédagogiques et la mobilisation d'intervenants de qualité.

M. Bruno Odin a estimé que les organismes collecteurs pourraient être des syndicats mixtes, rassemblant les communes, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés et les associations de maires, ce qui permettrait aux élus de conserver un certain contrôle politique de ces structures.

Prenant l'exemple du département de la Charente-Maritime, il a fait valoir qu'une somme même modique, de l'ordre de 2.000 francs par commune, permettrait de disposer d'un budget d'environ 1 million de francs pour le département, et de 4 à 6 millions pour la région, chiffres présentant le double avantage d'être soutenables en termes de charges occasionnées aux communes et pertinents en termes d'organisation de la formation.

M. Bruno Odin a estimé que l'assistance et le conseil juridique fournis au quotidien par les associations de maires étaient complémentaires de la formation des élus, les associations d'élus devant, à son sens, être associées étroitement à la mise en place des actions de formation. Il a jugé qu'un effort de formation des responsables de structures intercommunales était particulièrement nécessaire, compte tenu de l'indigence de l'offre en la matière.

M. Michel Ocytko a ensuite détaillé l'expérience, en matière de formation et d'information des élus, de l'association des maires d'Indre-et-Loire. Il a indiqué que cette dernière organisait la formation sous forme de tables rondes faisant intervenir des personnalités extérieures. Une quarantaine de réunions annuelles, d'une durée d'environ trois heures, le plus souvent tenues hors du chef lieu du département permettaient, a-t-il poursuivi, d'aborder une vingtaine de thèmes -état civil, marchés publics, finances publiques, notamment- et de toucher environ 40 % des 4.265 élus municipaux d'Indre-et-Loire chaque année.

Il a relevé que cette activité était étroitement associée au conseil juridique aux élus, qui était la mission quotidienne de l'association départementale.

Evoquant les plafonds théoriques de crédits de formation posés par la loi de 1992, M. Michel Ocytko a observé que leur application aurait permis de recueillir 9 millions de francs dans son département, somme considérable au regard du budget annuel de l'association des maires, (2 millions de francs) et des crédits réellement consacrés à la formation (autour de 300.000 francs).

M. Daniel Hoeffel a considéré qu'en fonction des moyens et de l'état d'esprit de chaque département, la formation y était organisée différemment, ce pragmatisme étant, à son sens, souhaitable.

M. Michel Mercier, président, a demandé si l'attitude des maires à l'égard de la formation différait de celle des autres élus municipaux.

M. Michel Ocytko a répondu que les adjoints et les conseillers municipaux étaient, en effet, plus nombreux à se former que les maires, en raison de l'emploi du temps surchargé de ces derniers.

Revenant sur les propositions formulées en matière de recueil systématique de fonds destinés à la formation, M. Michel Mercier, président, s'est interrogé sur le degré de liberté qui devait être laissé aux collectivités, en termes tant de montants que de choix d'organismes collecteurs. Redoutant un encadrement trop rigide en la matière, il a cité l'exemple, plus souple, d'autres mécanismes législatifs, tels que le 1% logement ou le 1% formation.

M. Bruno Odin a relevé que la liberté totale laissée aux collectivités locales par la loi du 3 février 1992 n'avait pas permis d'obtenir de résultats significatifs. Il a jugé que la mise en place d'une cotisation minimale obligatoire n'empêcherait pas les collectivités qui le souhaitent d'aller au-delà de cette obligation, dans les proportions et la forme qu'elles souhaiteraient.

M. Michel Mercier, président, a considéré qu'au-delà du financement, la disponibilité et l'état d'esprit des élus constituaient un frein important à la formation. Il a jugé, par ailleurs, que la démocratie n'était pas le gouvernement des experts, les élus étant, avant tout, des non-spécialistes.