COMPTE RENDU DES ENTRETIENS AU ROYAUME-UNI

Mercredi 18 avril 2007

I. Entretien avec MM. William Rickett, directeur général de l’énergie au ministère du commerce et de l’industrie (DTI), Tim Abraham, directeur des marchés européens de l’énergie, Bryan Paynes, chargé de mission Politique durable de l’énergie, Steve Davies, chef du service de la sécurité de l’approvisionnement énergétique, Mme Sue Harrison, responsable des marchés européens de l’énergie, et M. Nick Trowell, analyste

M. William Rickett a indiqué que le Royaume-Uni faisait face à deux « grands défis » : la sécurité d’approvisionnement et la lutte contre le changement climatique. Le pays s’inscrit depuis toujours dans un cadre concurrentiel et ne souhaite pas « créer d’obstacles inutiles aux investisseurs ». Ainsi, le gouvernement ne définit pas lui-même le bouquet de production électrique, l’ensemble des nouvelles installations (de production, de transport, etc.) devant être le fruit de l’initiative des acteurs privés. Mais pour parvenir aux objectifs fixés pour répondre aux défis, il convient d’orienter le marché, en particulier en « reflétant le coût du carbone » dans ses mécanismes.

M. William Rickett a estimé que l’analyse de la libéralisation du secteur au Royaume-Uni, engagée il y a 17 ans et dont le principe fait l’objet d’un consensus dans l’opinion publique, démontre que le marché répond de façon adéquate aux besoins du pays, même si des tensions sont apparues au cours de l’hiver 2005-2006 en raison de la crise gazière, et si certaines infrastructures peuvent sembler devoir être modernisées ou augmentées. Le gouvernement britannique doit publier à la mi-mai 2007 un livre blanc exprimant ses grandes orientations stratégiques en matière d’énergie. Ce document devrait évoquer la question de la production d’électricité par des centrales nucléaires, mode sur lequel les consultations doivent reprendre afin d’aboutir à une décision définitive à l’automne 2007.

S’agissant de la prise en charge du démantèlement des sites nucléaires, M. William Rickett a distingué le présent du futur. Il a ainsi expliqué que le solde de l’héritage du passé relevait de l’Autorité de démantèlement nucléaire (NDA), créée par la loi en 2005 et dont le budget, soit 3 milliards de livres (environ 4,5 milliards d’euros) par an, provient pour moitié d’une subvention du gouvernement et pour l’autre moitié du revenu de ses activités commerciales, la NDA possédant les centrales nucléaires (de ce fait, la part des subventions est appelée à croître au fur et à mesure que les centrales fermeront). Quant à l’avenir, le secteur privé choisissant d’exploiter de nouvelles centrales devra en assumer le coût complet, démantèlement et coût de gestion des déchets inclus.

Puis il est convenu que, les ressources gazières de la mer du Nord déclinant et n’assurant d’ores et déjà plus l’autosuffisance du pays, la sécurité d’approvisionnement constituera un défi. Marginale aujourd’hui (de l’ordre de 4 %, contre environ 35 % pour le charbon, 40 % pour le gaz et 20 % pour le nucléaire), la production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables (ENR) devra, grâce à un mécanisme de soutien, passer à 10 % en 2010 et 20 % en 2020.

La question de la création d’un régulateur européen de l’électricité et du gaz lui semble prématurée pour ce qui concerne la « régulation normative ». Elle ne paraît même pas souhaitable s’il entrait dans les compétences d’un tel organisme de réguler le fonctionnement des marchés, qui restent largement à harmoniser. Puis, expliquant la hausse des prix de l’électricité par celle du pétrole et du gaz, M. William Rickett a exprimé sa conviction qu’un marché libre était le meilleur moyen d’avoir des prix bas sur le long terme. Admettant l’impact sur les prix que devrait avoir la taxe carbone, il a estimé possible que le seul jeu du marché permette la construction de nouvelles centrales nucléaires.

Interrogé par les sénateurs sur la façon dont le Royaume-Uni entendait atteindre les objectifs européens en matière d’ENR tout en laissant agir le marché, il a résumé l’action du gouvernement en trois points : obligation pour les fournisseurs d’électricité d’acheter une proportion d’électricité d’origine renouvelable ; obligation, pour ces mêmes acteurs, d’investir dans les économies d’énergie ; régulation en matière de normes de construction et d’appareils électriques. Le livre blanc devrait cependant préconiser un traitement différencié entre les ENR, le système actuel favorisant surtout les sources « presque » matures, comme les éoliennes. En outre, ont précisé ses collaborateurs, le gouvernement publie une documentation abondante et précise sur l’évolution des besoins et du marché afin que les acteurs de la filière puisse faire leurs choix de façon rationnelle et optimale.

Ceux-ci ont ensuite défendu la séparation patrimoniale entre producteurs d’électricité et gestionnaires de réseaux de transport (GRT) de façon à éviter les situations de conflits d’intérêts et à assurer un jeu de la concurrence transparent. Il revient, d’autre part, au régulateur de s’assurer du respect des normes de fonctionnement du réseau et de contrôler l’adéquation des investissements.

Puis, ayant constaté que le réseau britannique avait été construit de façon à assurer l’autosuffisance d’un pays insulaire, ils se sont déclarés favorables au principe de développement des interconnexions avec le continent, tout en laissant au marché la responsabilité de la construction de telles infrastructures. Au sujet de l’opérateur British Energy, exploitant de centrales nucléaires qui a dû être sauvé de la faillite par l’Etat en 2002, six ans après sa privatisation, ils sont convenus qu’une telle faillite n’aurait pas été acceptable, tout en la situant dans le cadre d’un passé regrettable qu’il convenait de solder.

Enfin, pour ce qui concerne la recherche en matière d’énergie, les collaborateurs de M. William Rickett ont reconnu une baisse des investissements ces dix dernières années, à laquelle le gouvernement compte répondre par des partenariats public-privé et par la création d’un Institut de l’énergie (Energy Technology Institute - ETI) réunissant des chercheurs des secteurs public et privé. Au niveau international, le Royaume-Uni joue un rôle au sein de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et participe à des programmes-cadres, notamment sur les ENR. La philosophie générale du gouvernement concernant la recherche est qu’il revient aux entreprises de faire de la R&D proche du marché et à l’Etat d’opérer une recherche plus en amont, le Royaume-Uni consacrant environ 3 milliards de livres (4,5 milliards d’euros) par an à cet effort.

II. Entretien avec M. Steve Smith, Manager Director Markets de l’Office of Gas and Electricity Markets (OFGEM), Mme Sonia Brown, directrice de la stratégie européenne et des marchés durables, et M. Philip Davies, directeur des marchés britanniques

Après avoir affirmé que la réussite de la libéralisation du marché de l’électricité et du gaz engagée il y a dix-sept ans - qui a permis le remplacement des centrales à charbon par des centrales à gaz, le maintien d’un prix moyen de l’électricité très bas, de hauts niveaux d’investissement et le développement d’une large gamme de produits bien adaptés aux besoins des industriels et des consommateurs - confirme que le marché et la concurrence permettent de répondre de façon adéquate aux défis actuels du remplacement du parc nucléaire et de l’amélioration de l’efficacité énergétique, M. Steve Smith a estimé que le marché de l’électricité britannique fonctionne désormais comme le marché hypothécaire. Puis il a précisé que si l’OFGEM a le pouvoir, en tant que régulateur, d’imposer ou de suivre un plan pluriannuel d’investissement, notamment par l’émission des licences d’exploitation, il avait renoncé à l’exercer de manière délibérée, pariant sur le fait que le marché serait à même de procéder aux choix les plus efficients en la matière, y compris en ce qui concerne les investissements dans les capacités de pointe. Dans ce contexte, le rôle de l’OFGEM se borne à informer les acteurs du marché de la manière la plus précise possible, en particulier par la publication de rapports prospectifs, et la plus rapide, puisque le temps de réaction des investisseurs est très raccourci face à la volatilité toujours plus grande des prix.

Puis, M. Philip Davies a expliqué le fonctionnement de l’OFGEM, qui est financé par un prélèvement sur les factures des consommateurs particuliers et industriels de gaz et d’électricité. Il a précisé que son président, nommé par une autorité indépendante du pouvoir et ne pouvant être démis, est totalement indépendant du Gouvernement, qu’il peut du reste critiquer s’il estime que la protection des clients actuels et futurs des marchés du gaz et de l’électricité n’est pas assurée par les décisions publiques.

En ce qui concerne les prix, M. Steve Smith a reconnu que l’insuffisance des capacités de production comme une organisation du marché qui était inflationniste ont pu faire craindre, au début, une hausse pour les industriels. Mais la transparence et la compétitivité sur le marché de gros, ainsi que les capacités de négociation des industriels, tant sur les prix que sur l’adaptation à la demande des produits offerts, ont rapidement conduit à un équilibre satisfaisant. Quant aux ménages, dont la moitié a changé de fournisseur depuis la libéralisation du marché des particuliers, il y a neuf ans, le rôle des pouvoirs publics se limite à les informer et les éduquer pour les aider à effectuer le meilleur choix, et à s’assurer que les groupes de clients vulnérables, tels les retraités ou les personnes de revenus modestes, peuvent accéder correctement au marché, sans être victimes d’abus de faiblesse.

Après que Mme Sonia Brown eut indiqué que la séparation patrimoniale (unbundling) en Angleterre et au Pays de Galle avait été plus facile à réaliser dans le secteur du gaz que dans celui de l’électricité, et que l’Ecosse avait choisi le modèle ISO, M. Steve Smith a précisé qu’une étude universitaire avait démonté que les investissements guidés par le marché avaient spontanément fait émerger un bouquet énergétique ne se distinguant que de quelques dixièmes de points de ce que serait le modèle théorique optimal pour la Grande-Bretagne, y compris en ce qui concerne les sources d’approvisionnement en gaz, qui sont nombreuses et diversifiées. Il a ajouté que seuls les réseaux de transport, qui sont des monopoles, font tous les cinq ans, à l’issue d’un long processus de dix-huit mois d’enquêtes tous azimuts, l’objet d’une décision publique, susceptible d’appel, sur la rentabilité des investissements qui, dans l’électricité, est de l’ordre de 4 % après impôt. Ayant observé que les gestionnaires de réseaux semblent satisfaits de ce mécanisme puisqu’ils investissent, qu’aucune décision de l’OFGEM n’a donné lieu à un appel depuis dix ans et que pratiquement toutes les sociétés de réseaux ont changé de propriétaire, il a précisé que les amendes décidées par l’OFGEM en cas d’inobservation de certains obligations de la licence pouvaient représenter jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires et que leur produit était versé au ministère des finances.

Indiquant ensuite que plus de trois millions de foyers consacrent plus de 10 % de leurs revenus à leur facture énergétique, il a estimé que c’est principalement la conception de l’habitat qui posait problème car elle conduit à une forte déperdition de l’énergie. Il a donc jugé qu’il revenait à la puissance publique d’engager une politique d’aide à l’amélioration de l’efficacité énergétique de l’habitat et non d’influer artificiellement sur le marché pour faire baisser le prix de l’électricité, voire d’aider financièrement des clients dits vulnérables à la payer.

S’agissant enfin de la perspective de créer un régulateur européen, M. Steve Smith, après avoir rappelé que le président en exercice de l’ERGEG est Sir John Mogg, le président de l’OFGEM, et souligné la nécessité que des régulateurs efficaces et indépendants promeuvent les mécanismes de marché et luttent contre des « géants » qui s’opposent à ces mécanismes, a estimé que, face aux obstacles politiques manifestes, le pragmatisme devait l’emporter et se satisfaire d’une situation où les régulateurs nationaux, les coopérations régionales et le partage des expériences permettent d’assurer une régulation globalement correcte.

Jeudi 19 avril 2007

III. Entretien avec M. Vincent de Rivaz, directeur général d’EDF Energy

A l’occasion de sa présentation de l’activité d’EDF Energy - qui, au Royaume-Uni, est notamment le leader de la distribution et l’entreprise qui alimente le plus grand nombre de clients industriels - et de l’organisation du marché britannique de l’électricité, qui s’est fortement consolidé avec la libéralisation engagée il y a plus de quinze ans M. Vincent de Rivaz a souligné l’âpreté de la compétition concurrentielle dans le pays, qui lui semble être la plus dure en Europe. Il a toutefois relevé la très grande crédibilité du régulateur, qui dispose des outils adaptés à sa mission et les utilise avec efficacité, notamment lors de la fixation, tous les cinq ans, du régime tarifaire d’accès et d’utilisation des réseaux. Il a ajouté que, pour ce qui concerne les activités non régulées, l’OFGEM s’efforce d’intervenir le moins possible, s’attachant à vérifier que le marché fonctionne correctement, que la concurrence est respectée par tous les acteurs et que les prix, qui se forment librement, ne sont suspects d’aucune entente.

Après avoir considéré que les prix britanniques de l’électricité s’inscrivaient dans la moyenne européenne, il a indiqué que le taux de retour sur investissement dans les réseaux de transport, en s’établissant à environ 9 %, était très supérieur à la limite inférieure fixée par le régulateur. A cet égard, il a observé que la bonne santé de National Grid, le le gestionnaire du réseau de transport, s’exprime par sa cotation en bourse et par le fait qu’il réalise hors du Royaume-Uni la moitié de son chiffre d’affaire. Il a par ailleurs estimé que la liaison sous-marine transmanche, qui fonctionne dans les deux sens puisqu’il arrive que le Royaume-Uni approvisionne la France, avait vocation à voir sa capacité augmenter pour améliorer la connexion entre la Grande-Bretagne et le continent.

Puis M. Vincent de Rivaz a expliqué le contenu de l’Energy Rewiew, revue de politique énergétique du gouvernement britannique ayant pour fil conducteur que les réponses aux problèmes énergétiques du pays, en matière de sécurité d’approvisionnement, d’impact environnemental et de compétitivité des prix, doivent être conçues comme un accompagnement du marché. S’agissant plus particulièrement de la sécurité d’approvisionnement, il a souligné que le gouvernement prenait en compte, depuis deux ans environ, les conséquences géopolitiques d’un recours massif aux importations de gaz entraîné par l’arrêt programmé des centrales à charbon et la fermeture des centrales nucléaires à partir de 2017, qui font courir au pays un risque portant sur près du tiers de ses capacités de production actuelles. Il est donc nécessaire de donner dès aujourd’hui aux investisseurs les signaux leur permettant d’engager un programme, notamment nucléaire, visant à éviter que, dans les années 2020, 80 % de la production britannique d’électricité soit assurée par du gaz importé.

Soulignant que jamais les conditions n’avaient été aussi favorables à la relance de la filière nucléaire au Royaume-Uni, il a indiqué qu’EDF Energy était d’ores et déjà en mesure de proposer un projet de centrale répondant aux critères fixés par le gouvernement pour garantir son acceptation politique et sociale. En particulier, ce projet ne nécessite aucune subvention publique, le marché étant à même de le financer totalement, y compris ses phases de démantèlement et de stockage des déchets (les coûts anticipés figurant au bilan de l’exploitant en tant qu’actifs dédiés, sous le contrôle d’une autorité de régulation). Après avoir souligné que le nucléaire contribuait, au sein d’un bouquet électrique, à une moindre volatilité des prix, M. Vincent de Rivaz a estimé que l’avenir dépendrait pour beaucoup de la capacité des pouvoirs publics à construire un système de tarification des émissions de CO2 qui soit crédible et permette aux investisseurs de bâtir des plans de financement stables, observant à cet égard que le coût prévisionnel du mégawattheure produit par l’EPR de Flamanville (46 euros) était parfaitement compétitif par rapport au coût de l’électricité produite au gaz ou charbon, y compris si le prix du carbone reste peu élevé. Il a cependant reconnu que l’acceptabilité sociale constituait également un élément essentiel de la problématique du nucléaire, observant que l’environnement était devenu un enjeu politique majeur au Royaume-Uni et que la défiance des Britanniques envers l’atome tenait pour beaucoup à la confusion historique, résultant de l’organisation de la filière dans le pays, entre le civil et le militaire. Sur ce dernier point, il a ajouté que si une Autorité de sûreté nucléaire, forte, indépendante et compétente, existe, l’effort de recherche et développement dans la filière est à la fois modeste et trop dispersé pour être efficace (inexistence d’un organisme comparable au CEA).

Enfin, aux questions des sénateurs, M. Vincent de Rivaz a répondu que les Britanniques, tout en prêtant au marché toutes les vertus, n’étaient pas opposés à des ajustements dans le domaine de l’énergie, comme en témoignent l’appel d’offres récemment lancé pour développer un prototype de centrale à charbon propre ou les efforts consentis en faveur de l’éolien, malgré les faiblesses et le coût élevé de ce mode de production. Puis, après avoir estimé que l’optimisation du marché européen de l’électricité passait par le développement des interconnexions, il a jugé que la séparation patrimoniale (unbundling) ne constituait pas un sujet pertinent et que la Commission européenne devrait davantage se préoccuper de la coordination entre les gestionnaires de transports comme entre les régulateurs, de l’harmonisation de leurs règles et de la mutualisation de leurs expériences.

IV. Entretien avec MM. Jean-Louis Malon, Executive director de Morgan Stanley, John Woodley, Managing Director, Benjamin Amsallem, Vice President, Mme Irene Otero-Novas, Executive Director, et M. François de Nanteuil, analyste

Après avoir brièvement présenté les activités de Morgan Stanley sur les marchés énergétiques depuis 25 ans, précisant notamment que sa société traite chaque année des volumes correspondant à la production d’EDF et qu’elle intervient également en tant qu’acteur sur le marché physique (cogénération aux Pays-Bas et aux Etats-Unis, réseau de transport, méthaniers…), M. Jean-Louis Malon a estimé que la sécurité de l’approvisionnement en électricité résultait essentiellement de l’efficacité du fonctionnement du marché.

Puis, expliquant qu’à l’instar de l’ensemble des prix, ceux de l’électricité se formaient, à tout moment, par la rencontre d’une offre et d’une demande sur un marché, M. Benjamin Amsallem a souligné la spécificité de la courbe de la demande d’électricité : sa grande inélasticité aux prix (cette courbe ne varie de façon significative qu’en cas de très forte hausse des prix). Cette caractéristique, combinée avec le caractère non stockable de l’électricité, explique la volatilité importante du prix de cette commodité, qui s’aligne sur le coût marginal d’exploitation de la dernière unité nécessaire pour satisfaire à la demande. Il a estimé qu’un tel fonctionnement était le seul possible dans un marché concurrentiel, tout autre calcul (en particulier celui du coût moyen pondéré) ne pouvant, faute de rentabilité garantie, inciter les opérateurs à investir dans des infrastructures qui, bien qu’elles ne fonctionnent que quelques heures par an, assurent la sécurité d’approvisionnement électrique du pays. Si ces « signaux » du marché sont donc indispensables, les acteurs ont toutefois la possibilité de se « couvrir » par des contrats à terme (contrats de base et contrats de pointe) pouvant servir de base, par la maîtrise des risques qu’ils autorisent, à la construction de nouveaux moyens de production.

M. Jean-Louis Malon a ensuite décrit l’action de National Grid, le gestionnaire du réseau de transport, responsable de la sécurité physique du système, qui gère les congestions internes en modifiant la répartition des producteurs et en achetant de la capacité de réserve, chaque jour ou à l’avance.

A cet égard, M. Benjamin Amsallem a exprimé l’opposition de Morgan Stanley au développement de l’intégration verticale (i.e. producteurs / fournisseurs) des acteurs du marché britannique de l’électricité, y voyant le signe d’un mauvais fonctionnement du marché de l’ajustement (i.e. les échanges marginaux effectués sous l’égide de National Grid pour ajuster à tout instant l’offre à la demande). A l’image de ce qui se passe en France, le système actuel propose deux prix différents pour les déviations à la hausse et à la baisse des programmes annoncés la veille par les opérateurs, qu’ils soient producteurs ou fournisseurs. Les prix sont déterminés par une enchère, les participants qui offrent une modification de leur programme obtenant dès lors un prix ne correspondant pas au prix marginal. Un tel système découragerait l’offre de services d’ajustement tant les nouveaux entrants non intégrés (car il augmente leur risque d’erreur) que les producteurs indépendants (une défaillance devenant trop pénalisante). De plus, il envoie un mauvais signal à d’éventuels nouveaux producteurs, qui ne pourraient vendre leurs éventuels excédents au prix « normal » du marché. Aussi, contestant que l’intégration verticale soit une tendance de fond plutôt positive, du fait de la lourdeur des investissements productifs à consentir, il a jugé qu’elle s’opposait à l’optimisation du marché, estimant qu’un producteur privilégiera les contrats à long terme et à coût complet, tandis qu’un fournisseur de détail voudra, lui, être payé pour la seule capacité qu’il utilise.

Enfin, après avoir montré la forte corrélation entre les prix du gaz et de l’électricité au Royaume-Uni, les centrales au gaz assurant la production marginale durant la grande majorité des heures de l’année, M. Benjamin Amsallem a insisté sur l’importance d’avoir une forte visibilité sur les courbes à terme à la fois sur l’électricité et sur les combustibles, et sur la nécessité de diminuer le risque politique. A cet égard, il a jugé indispensable de clarifier le fonctionnement du marché du carbone au-delà de 2012.

A l’issue de cet entretien, les responsables de Morgan Stanley ont fait visiter aux membres de la délégation sénatoriale la salle des marchés « Energie ».

V. Déjeuner de travail avec Mme Nicola Pitts, Head of UK and EU Public Policy de National Grid

Mme Nicola Pitts a tout d’abord précisé que National Grid gérait les réseaux de transport du gaz et de l’électricité en Angleterre et au Pays de Galle, une partie du réseau écossais et, en liaison avec RTE, l’interconnexion entre le Royaume-Uni et la France, dont la capacité pourrait être prochainement augmentée, ainsi que, dans un proche avenir, la liaison avec les Pays-Bas. Elle a ajouté que l’entreprise avait aussi une importante activité à l’étranger, notamment aux Etats-Unis où sa filiale occupe la deuxième place sur un marché extrêmement fragmenté et organisé autour du modèle ISO.

Puis elle a expliqué qu’alors que la responsabilité de la sécurité d’approvisionnement du Royaume-Uni en électricité dépend exclusivement, s’agissant du transport, de National Grid et des deux transporteurs écossais, la situation est plus partagée en ce qui concerne l’équilibre entre l’offre et la demande : en effet, si le marché est seul responsable à moyen et long terme, l’équilibrage à court terme dépend à la fois du marché et de l’ajustement réalisé par National Grid en flux tendu (on compte environ six cents actions par jour, les producteurs annonçant leur offre une heure avant l’horaire de référence et l’équilibre étant réalisé dans la demi-heure le précédant).

Après avoir considéré que l’adoption du nouveau « Paquet énergie » par l’Union européenne aurait un impact sur l’approvisionnement du Royaume-Uni en électricité, Mme Nicola Pitts a estimé que le terme de sept ans retenu pour les prévisions effectuées en matière de production et de consommation d’électricité était trop court, indiquant que des négociations étaient menées avec le ministère du commerce et de l’industrie (DTI) pour au moins rapprocher ce terme de celui en usage pour le gaz (dix ans), matière première dont la production d’électricité est du reste très dépendante, voire le porter à un plus long terme encore.

Elle a ensuite expliqué les modalités du contrôle du régulateur (l’OFGEM) sur les prix et la qualité de l’accès au réseau de transport (décision quinquennale après enquête sur l’établissement du tarif et adaptation annuelle), la manière dont tout producteur défaillant par rapport à son offre prévisionnelle est sanctionné par une amende, les contraintes du marché d’ajustement et leurs effets sur le prix de l’électricité lorsque la demande s’accroît brutalement (effet « five o’clock tea »), et les difficultés résultant des interconnexions entre des systèmes relativement différents, notamment en termes de régulation (la future liaison entre le Royaume-Uni et les Pays-Bas étant citée comme exemple). S’agissant du mix énergétique et de la localisation des centrales de génération, Mme Nicola Pitts a considéré qu’il revenait aux producteur d’en décider en fonction des indications du marché et sous la seule contrainte régalienne du respect des normes techniques permettant la connexion aux réseaux, lequel est vérifié par l’OFGEM lors de l’attribution de la licence d’exploitation. Elle a cependant reconnu que la question du nucléaire dépendait pour beaucoup des prochaines décisions politiques du Gouvernement en la matière, et que des paramètres « naturels » devaient également être pris en compte (le développement de l’électricité éolienne se faisant essentiellement dans le nord de l’Ecosse, où il y a beaucoup de vent mais peu de consommateurs, ce qui va nécessiter la constructions de nouvelles lignes de transport vers le sud du Royaume-Uni).

Elle a conclu sur la nécessité de faciliter, par la modernisation des procédures de consultation publique et le raccourcissement de leurs délais, la construction des ouvrages de génération comme de transport d’électricité, observant que les besoins seraient considérables au Royaume-Uni dans les quinze prochaines années pour satisfaire à l’accroissement de la demande d’électricité malgré la fin de la production charbonnière et l’arrêt progressif des centrales nucléaires actuellement en activité.

VI. Entretien avec M. Paddy Tipping, député du Labour Party, président du Parliamentary Group on Energy Sudies (PGES)

Abordant en premier lieu la question du nucléaire, M. Paddy Tipping a estimé que l’objectif du gouvernement britannique était clair : faire remplacer les centrales devant être démantelées par de nouvelles unités nucléaires exclusivement financées par le secteur privé, le soutien public devant s’exprimer par des moyens autres que financiers, tels que des facilités pour l’obtention des permis de construire ou l’encouragement au débat public sur des sujets controversés comme la gestion des déchets. Indiquant que la part de 20 % du bouquet électrique du pays représentée par du nucléaire serait très difficile à compenser si elle devait faire défaut à l’avenir, il a reconnu que 60 % des Britanniques étaient opposés à cette source de production électrique.

Puis il a relevé qu’en raison du déclin des ressources d’hydrocarbures de la mer du Nord, la sécurité de l’approvisionnement électrique du pays tendait à préoccuper les autorités britanniques davantage qu’auparavant. En effet, selon les estimations les plus récentes, 80 % de l’électricité du royaume aurait une origine gazière en 2050, 90 % du gaz devant alors être importé. Or, le pays « est en bout de pipe-line », les récentes crises ukrainienne et bélarusse ayant été particulièrement inquiétantes en illustrant sa dépendance à l’égard de la Russie. M. Paddy Tipping a d’ailleurs souligné que lorsque Gazprom a essayé d’acquérir l’énergéticien britannique Centrica, le gouvernement, afin de ne pas accroître davantage la dépendance du Royaume-Uni envers le gaz russe, a fait connaître son opposition à une telle opération, en contradiction complète avec sa politique traditionnellement libérale et non interventionniste à l’égard des investissements étrangers.

Il a ensuite déclaré que le Livre blanc du gouvernement sur l’énergie devant être publié dans le courant du mois de mai 2007 préconiserait sans doute une efficacité énergétique accrue ainsi qu’une augmentation substantielle de la part des énergies renouvelables (ENR) dans le bouquet énergétique. A cet égard, il a estimé que le premier objectif de 10 % d’ENR dès 2010 que fixera probablement ce Livre blanc serait plus sûrement atteignable en 2012 ou 2013, et que le second objectif de 20 % en 2020 semble lui aussi très ambitieux, au moment où l’éolien suscite une hostilité croissante des citoyens. En tout état de cause, il a indiqué que le gaz continuerait à être prépondérant dans le bouquet électrique britannique.

M. Paddy Tipping a, par ailleurs, estimé que la libéralisation du marché avait plutôt bien servi le consommateur britannique, malgré la hausse récente des prix dans le sillage de ceux du pétrole et du gaz, jugeant toutefois que la problématique de sécurité d’approvisionnement contraindrait peut-être les autorités à se montrer plus interventionnistes à l’avenir. Ainsi, il a souhaité que le Royaume-Uni soit mieux connecté avec le continent, ce qui diminuerait quelque peu la dépendance du pays à l’égard de la Russie. Invité à réagir sur la notion d’indépendance énergétique, après avoir jugé irréaliste l’ambitieux le plan britannique en faveur des ENR et relevé que le charbon dont dispose encore le pays présente le défaut d’être fortement émetteur de CO2, il a réaffirmé sa conviction qu’il est nécessaire pour le Royaume-Uni d’engager la construction de nouvelles centrales nucléaires. Se félicitant que le gouvernement ne cherche pas esquiver le sujet et qu’un groupe comme EDF soit prêt, avec sa filiale EDF Energy, à réaliser des investissements dans ce domaine, il a toutefois rappelé que la question est au cœur du débat politique, le parti travailliste se montrant à présent plus pro-nucléaire que le parti conservateur et surtout que le parti libéral-démocrate, et que le principal défi restait de vaincre les réticences des citoyens face au nucléaire.

Concernant l’hypothèse de la rédaction d’une programmation pluriannuelle des investissements de production électrique au Royaume-Uni, M. Paddy Tipping a souligné que pendant longtemps, le marché a défini seul et de façon efficace la taille et la composition de l’outil de production. Il a donc jugé que, si le gouvernement peut préconiser au moins certains éléments du bouquet électrique tels que la part des ENR, l’approche la plus efficace est celle d’un marché orienté, en particulier par la définition d’un coût du CO2 propre à inciter les investissements dans les nouvelles technologies.

Puis, au sujet de l’Europe de l’énergie, exprimant sa conviction que la tendance à la constitution d’un marché européen libéralisé de l’électricité, dominé par quelques entreprises de grande taille, ne se démentirait pas, il a estimé que le sentiment d’avoir été « trop loin » en matière de dérégulation grandissait, y compris au Royaume-Uni, et qu’il était de plus en plus reconnu que la responsabilité politique incombant à la puissance publique était majeure en matière d’électricité. Interrogé sur l’idée de créer un régulateur européen de l’électricité, il l’a jugée prématurée tout en estimant qu’elle devait constituer un objectif à terme.

Enfin, à propos des mesures prises en faveur de l’efficacité énergétique, M. Paddy Tipping a fait part d’un plan national d’isolation des logements d’ici à 2017 qui devrait figurer dans le Livre blanc, ainsi que de l’existence de subventions gouvernementales aidant les plus démunis à engager des travaux destinés à économiser l’énergie.