COMPTE RENDU DES ENTRETIENS A BRUXELLES

Lundi 5 mars 2007

I. Entretien avec M. Marcel Bial, secrétaire général de l’Union pour la coordination du transport d’électricité en Europe (UCTE)

M. Marcel Bial a rappelé en introduction que, conformément aux conclusions de plusieurs rapports d’enquête publiés après celui de l’UCTE, l’origine de la panne d’électricité du 4 novembre 2006 était liée à une erreur humaine et au fait qu’E.ON Netz, l’un des gestionnaires du réseau de transport (GRT) allemand, avait enfreint certaines règles de sécurité de l’UCTE. Il a estimé que, si cet incident avait mis en lumière un dysfonctionnement chez un opérateur ainsi qu’un manque de coordination entre des GRT allemands ce jour-là, il était abusif d’étendre cette critique à l’ensemble des GRT pour toutes leurs activités. Il a par ailleurs considéré que les cinq facteurs aggravants de cette panne, mis en évidence par le rapport d’enquête de l’UCTE, avaient été sous-estimés dans divers commentaires de l’événement.

Puis, après avoir souligné qu’au sein de l’UCTE, le Réseau de transport d’électricité français (RTE) avait fortement contribué, par les délestages de consommation opérés en France, à limiter les conséquences de la panne en Europe, M. Marcel Bial s’est interrogé sur l’ampleur des délestages réalisés dans les différents pays touchés par la panne, notant à titre d’exemple qu’au Portugal, ils avaient correspondu à quelque 20 % de la consommation nationale. Il a ainsi jugé souhaitable de mener, dans le cadre de l’UCTE, une réflexion plus approfondie sur les effets des plans de délestage existants dans les différents pays composant un système synchrone, cette réflexion devant aboutir à une meilleure péréquation des effets de telles mesures qui sont nécessairement déclenchées en temps réel, donc par automatismes, pour la sauvegarde du grand réseau européen.

M. Marcel Bial a par ailleurs relevé que tous les GRT ne disposaient pas de l’ensemble des leviers d’action nécessaire pour assumer équitablement, au-delà de leur rôle individuel dans leur pays, la responsabilité collective de la sécurité de leur réseau que leur confère de facto la physique des grands systèmes. S’il a admis que la situation actuelle pouvait être améliorée, notamment en rendant plus rigoureux l’application et le contrôle des règles de sécurité définies par l’UCTE, il a considéré que, pour nécessaire qu’elles soient, ces mesures ne pourraient à elles seules résoudre la question de la sécurité dans un vaste système synchrone. Précisant son propos, il a estimé qu’une panne comme celle du 4 novembre révélait également la nécessité d’un accord politique des Etats concernés sur les objectifs et les effets d’une politique commune de sécurité (par exemple, les mesures mises en œuvre en cas d’incident doivent-elles donner la priorité à la sauvegarde d’un réseau européen ou à celle de l’alimentation de consommateurs nationaux ?). Il a jugé qu’en matière de sécurité, il était judicieux de ne pas s’en remettre exclusivement à l’effet de l’action des marchés - surtout lorsqu’ils ne sont ni parfaits, ni inscrits dans un cadre de régulation harmonisé au niveau européen - mais bien de concevoir la fiabilité des réseaux comme son préalable.

A cet égard, M. Marcel Bial a rappelé que la création de l’UCTE résultait d’une initiative volontaire d’entreprises verticalement intégrées participant au plus grand réseau synchrone européen, recommandée par l’OCDE en 1951. Il a souligné que la transformation de cette initiative du secteur électrique d’après-guerre en un véritable « bras armé » au service de la sécurité des grands réseaux dans le contexte de la libéralisation des marchés en ce début de XXIème siècle impliquerait de donner à cette ambition d’abord une légitimité politique. Il a estimé que cette légitimité permettrait notamment d’imposer aux GRT, mais aussi, là où cela s’avérerait nécessaire, aux acteurs du marché de l’électricité, des règles plus contraignantes, étant entendu que la libéralisation du marché a conduit à une utilisation des réseaux de transport qui ne correspond plus aux objectifs pour lesquels ils avaient été conçus. Il a ainsi considéré, en d’autres termes, qu’il serait illusoire d’envisager pour solution au problème de la sécurité la seule amélioration de la coordination entre GRT, fondée sur des règles d’exploitation difficilement imposables du fait de cadres législatifs et de régulation trop disparates.

Puis M. Marcel Bial a jugé qu’un pas important vers cette légitimité serait que les transporteurs européens puissent se constituer en groupe formel, à l’image du groupe européen des régulateurs (ERGEG), en vue d’institutionnaliser l’interface nécessaire entre opérateurs et régulateurs en guise de préalable aux choix politiques nécessaires en matière de sécurité, comme ceci est déjà le cas pour la sécurité du trafic aérien ou la sûreté nucléaire. Il a rappelé que « l’Europe de l’électricité » regroupait en fait cinq réseaux distincts (continental, scandinave, anglais, irlandais et balte, ce dernier étant interconnecté au grand réseau russe), dont quatre couvrent des pays non membres de l’Union européenne et non reliés entre eux de manière synchrone, ceci ayant entre autres pour effet de prévenir une propagation de pannes au‑delà des limites de ces systèmes. Il en a conclu qu’en matière de sécurité d’exploitation des grands réseaux européens, chacun de ces systèmes devait être clairement reconnu comme entité solidaire, et donc indivisible en matière de sécurité, et que cette diversité structurelle devait être dûment traduite dans de nouveaux mécanismes ou structures de sécurité électrique.

Par ailleurs, après avoir rappelé que l’UCTE comprenait à l’origine huit membres (et qu’elle en compte aujourd’hui vingt-huit), M. Marcel Bial a noté qu’elle avait aussi pour mission le traitement des dossiers d’extension du réseau européen. Ainsi, elle examine aujourd’hui en parallèle quatre demandes de raccordement en synchrone au réseau : celle de la Turquie, celle de la grande interconnexion du Grand Est européen autour de la Russie, la demande commune de l’Ukraine et de la Moldavie et celle des pays du Mashrek, qui pose la question de la fermeture de la « Boucle Méditerranéenne ». Il a souligné que les GRT européens œuvrant au sein de l’UCTE (que la géographie rend seule apte à s’étendre) n’étaient pas demandeurs de telles extensions, mais qu’ils répondaient à la question de la faisabilité technique de requêtes inspirées par les marchés et soutenues par les institutions européennes.

Il a ajouté que de tels élargissements du système UCTE accroissaient sensiblement les problèmes liés à la gestion des congestions, problèmes qui sont loin d’être entièrement résolus à ce jour. En effet, les flux d’électricité ne sont pas orientés par les décisions commerciales des opérateurs mais par des phénomènes physiques : à titre d’exemple, l’interconnexion entre l’Autriche et l’Italie, de capacité notoirement insuffisante, est saturée en raison des « flux de bouclage » avant même que les opérateurs italiens et autrichiens n’aient décidé de procéder eux-mêmes à des échanges commerciaux.

En conclusion, M. Marcel Bial a espéré que l’UCTE soit investie des missions de poursuivre l’amélioration de la qualité des règles d’exploitation, de vérifier leur respect par les opérateurs et de favoriser une gestion plus stricte des infractions constatées. Il a considéré que cet ensemble de missions pourrait être défini dans le détail pour chacun des systèmes européens dans un mécanisme de coordination du transport d’électricité, fort d’une légitimité politique, qui pourrait de surcroît dégager des principes et des objectifs de sécurité européens communs à tous les systèmes.

II. Entretien avec M. Juho Lipponen, chef d’unité « Politique énergétique, énergies renouvelables et réseaux » chez Eurelectric

M. Juho Lipponen a tout d’abord indiqué qu’Eurelectric était une association regroupant les acteurs du secteur de l’électricité, plus particulièrement les producteurs, à l’exception des transporteurs réunis au sein de l’UCTE.

Il a souligné que la sécurité d’approvisionnement était une notion difficile à cerner et qu’elle recouvrait différentes réalités selon qu’elle était envisagée à court ou à long terme. Jugeant que cette sécurité était en très grande partie liée au volume des investissements, il a expliqué qu’Eurelectric avait estimé que dans les 27 pays de l’Union européenne il serait nécessaire, dans les 25 prochaines années, de mettre en service entre 700 et 1.000 gigawatts de capacités nouvelles de production, pour un montant d’investissement évalué à 1.000 milliards d’euros. Cet effort sera nécessaire pour remplacer des capacités de production vieillissantes et pour répondre à la croissance des besoins, estimée à environ 2 % par an en moyenne.

Dans le domaine des réseaux, de transport et surtout de distribution, il a considéré que les montants financiers en jeu étaient moins importants, atteignant cependant 500 milliards d’euros sur la même période. Il a toutefois jugé nécessaire de relativiser ces montants en rappelant qu’un effort comparable d’investissement avait déjà été consenti par le passé dans les années 70 et 80, tout en reconnaissant qu’à cette époque, de tels investissements étaient planifiés, qu’il n’existait pas de marché et que les prix de l’électricité étaient moins fluctuants. Il a considéré à cet égard que, dans le contexte d’un marché libéralisé, le niveau des prix de marché devait constituer un signal déclenchant la réalisation des investissements nécessaires.

M. Juho Lipponen a estimé à ce titre que la formation des prix sur le marché devait se faire indépendamment des moyens de production utilisés et uniquement par la simple confrontation entre l’offre et la demande. Il a en effet considéré que les moyens de production relevaient de choix politiques et n’avaient pas de rapport avec les processus de formation des prix. Dans cette perspective, il a considéré que d’autres politiques étaient de nature à orienter les choix énergétiques, à l’image de la mise en place d’un marché des permis d’émissions de dioxyde de carbone ou les démarches volontaires des fournisseurs, à l’image des fournisseurs allemands, tendant à proposer aux consommateurs des offre d’approvisionnement comportant une proportion d’électricité verte, moyennant un prix plus élevé.

Il a ensuite convenu que le marché de l’électricité n’était pas en mesure d’orienter l’ensemble des aspects de la politique énergétique, s’agissant notamment de l’évolution du secteur sur longue période. Dans ces conditions, il s’est interrogé sur le rôle des Etats et de l’Union européenne pour réguler le marché électrique. Il a tout d’abord affirmé que les compétences des régulateurs européens devaient être élargies pour mieux contrôler les acteurs. Puis, tout en jugeant intéressante l’idée de réaliser au niveau européen une programmation pluriannuelle des investissements de production électrique, il a fait part de ses interrogations sur le caractère éventuellement contraignant d’un tel document, reconnaissant néanmoins qu’un exercice de cette nature permettrait d’améliorer l’identification des besoins. Il a rappelé à ce sujet que la Commission avait proposé, dans le cadre du « paquet énergie », de mettre en place un Observatoire de l’énergie.

S’agissant de la nécessité d’investir dans la production au plus près des besoins, M. Juho Lipponen a considéré que les acteurs, au niveau microéconomique, orientaient les décisions en fonction de cette considération mais que les régulateurs ainsi que les transporteurs avaient également un rôle à jouer pour orienter les investissements de production. Il a estimé que la tarification pouvait également jouer un rôle d’orientation.

Puis, il a observé qu’il existait désormais un consensus sur la nécessité d’augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen, ce qui n’était pas le cas au début du mouvement de libéralisation. Il a estimé que, dans l’Union européenne, il était possible d’augmenter la part de l’électricité d’origine renouvelable jusqu’à un tiers de la production totale. Il a cependant reconnu que la part croissante de l’éolien serait de nature à compliquer la régulation du réseau de transport et que cela occasionnerait des coûts qui seraient supportés par les GRT. Toutefois, il a souligné que l’amélioration des prévisions météorologiques permettrait de lever une partie de ces difficultés. Il a jugé que des progrès devraient être réalisés pour améliorer la rentabilité de cette électricité et qu’il serait souhaitable qu’une installation éolienne puisse fonctionner entre 4.000 et 5.000 heures par an, alors que la durée moyenne de fonctionnement d’une installation se situe aujourd’hui entre 2.000 et 3.000 heures. Enfin, il a estimé que les énergies nouvelles (géothermique, photovoltaïque et marémotrice) seraient expérimentales jusqu’en 2030 au moins.

Sur la constitution de géants énergétiques européens, il a précisé qu’une telle évolution ne poserait pas de problème si elle se réalisait en parallèle avec une meilleure intégration des marchés. Or, il a constaté que la concurrence était encore faible sur certains marchés nationaux et que tous les marchés n’étaient pas encore interconnectés.

III. Entretien avec M. Jan Willem Goudriaan, secrétaire général adjoint de la Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP)

Après avoir précisé que la Fédération européenne des syndicats de service public regroupait 220 syndicats, M. Jan Willem Goudriaan a expliqué que celle-ci avait suivi avec attention le mouvement de libéralisation dans le secteur de l’électricité et du gaz. Il a souligné que cette politique communautaire avait contribué à la destruction de nombreux emplois dans ces branches, évalués, compte non tenu des phénomènes d’externalisation, à 250 000 entre 1990 et 2000, évolution confirmée par une étude récente réalisée pour le compte de la Commission européenne qui montre également qu’environ 250 000 emplois ont été détruits sur la période 1995/2004.

Il a ensuite estimé que la libéralisation au niveau européen présentait un triple risque au niveau des investissements, des prix et de la sécurité d’approvisionnement européenne, faisant référence au phénomène de concentration entre les énergéticiens. Il a ainsi considéré que la concurrence n’était pas adaptée au secteur de l’électricité, relevant que le marché présentait un certain nombre de dysfonctionnements au quotidien et jugeant qu’il ne permettait pas de concilier un niveau optimal de sécurité d’approvisionnement, la réalisation des investissements nécessaires et le développement des énergies renouvelables.

Puis, il a relevé que la Commission européenne souhaitait procéder à une séparation entre producteurs et transporteurs, ainsi qu’entre activités de distribution et de fourniture, et mettre fin au système des tarifs réglementés. Il a jugé que la transition entre un système au sein duquel les prix sont fixés par les autorités politiques et un système totalement libéralisé risquait de se traduire par une hausse des prix, préjudiciable aux consommateurs individuels comme aux grands industriels, et que la Commission européenne n’avait donné aucune indication précise pour gérer au mieux cette transition. Estimant en outre que la Commission n’avait pas précisé clairement l’objectif poursuivi par ses propositions en matière d’unbundling, fondées sur les résultats de l’enquête sectorielle réalisée par la DG Concurrence, il a affirmé que cette stratégie était de nature à favoriser la multiplication de black out à l’image de celui ayant frappé la Californie en 2003.

M. Jan Willem Goudriaan a alors estimé qu’un système de coopération entre les Etats dans le domaine de l’énergie pouvait constituer une alternative à la concurrence. En effet, la Commission européenne juge que la concurrence est de nature à répondre à tous les défis posés par la politique énergétique. Or, une mesure -  par exemple l’unbundling - peut avoir des effets positifs dans un pays mais pas dans un autre. C’est pourquoi, a-t-il ajouté, il est nécessaire de revenir à un système plus coopératif, même si cela n’est pas dans l’air du temps, ou, à tout le moins, d’instituer une clause d’opting-out dans le domaine de la politique énergétique.

Évoquant ensuite les questions de régulation des marchés de l’énergie, il a estimé que la création d’un régulateur unique européen pourrait certainement être pertinente pour examiner les problèmes liés aux interconnexions transfrontalières. Observant toutefois qu’une telle instance aurait moins de légitimité et d’utilité pour les autres aspects de la politique énergétique, il a mis en évidence les problèmes démocratiques que poserait son fonctionnement, considérant qu’elle aurait des difficultés à entendre les préoccupations des citoyens et des associations catégorielles.

Il a enfin fait part de ses réflexions sur les marchés de l’électricité. Nordpool est, a-t-il estimé, le seul marché véritablement liquide en Europe. Toutefois, on constate une insuffisance des investissements puisque le prix est, sur ce marché, trop fluctuant, ce qui soumet les nouveaux entrants à des incertitudes trop importantes. S’agissant du marché anglais, qui, au contraire, manque de liquidités, il a souligné les prix très élevés du gaz et de l’électricité depuis deux ans, qui résultent d’insuffisances de capacités dues à l’absence d’investissements, et indiqué qu’ils allaient encore augmenter dans les cinq années à venir, pour la même raison. Il en a conclu que, contrairement aux affirmations des tenants du libéralisme, les signaux envoyés par le marché de l’électricité n’étaient pas pertinents pour favoriser l’investissement.

Il s’est donc demandé si les consommateurs étaient prêts à payer plus cher leur électricité en contrepartie d’une garantie de sécurité d’approvisionnement.

En conclusion, M. Jan Willem Goudriaan a considéré que les Etats membres de l’Union européenne avaient fait une erreur en laissant la Commission européenne construire un marché intérieur de l’électricité et du gaz et a jugé que les Etats auraient dû limiter son mandat au développement des échanges transfrontaliers.

Mardi 6 mars 2007

IV. Petit-déjeuner de travail avec Mme Lise Deguen, conseillère à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, chargée des questions énergétiques

Après avoir indiqué qu’en l’absence d’un fondement juridique spécifique  autorisant la mise en œuvre d’une politique commune de l’énergie, l’action communautaire s’était longtemps cantonnée à une approche fragmentée, fondée sur le « Marché intérieur » du gaz et de l’électricité, sur quelques textes relatifs à la sécurité d’approvisionnement et sur des textes à caractère environnemental, Mme Lise Deguen a présenté les grandes étapes du processus engagé au Conseil informel d’Hampton Court en octobre 2005 qui, au travers du Livre vert sur « Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable», adopté en mars 2006, et du Paquet Energie présenté le 10 janvier 2007 par la Commission européenne, doit aboutir au « Plan d’action pour une politique européenne de l’énergie » qui sera adopté par le Conseil Européen des 8 et 9 mars.

Soulignant que tous les Etats membres étaient favorables à l’approche stratégique fondée sur les trois piliers que sont la sécurité d’approvisionnement, la préservation de l’environnement et le développement de la compétitivité, elle a évoqué les différentes pistes ouvertes par la Commission en ce qui concerne notamment :

- la diversification des sources et des routes d’approvisionnement ;

- l’approfondissement du dialogue (« Parler d’une seule voix ») avec l’ensemble des pays producteurs et de transit des matières premières, ainsi que des grands pays consommateurs (exemples des dialogues avec les Etats d’Asie centrale et du futur accord de partenariat et de coopération avec la Russie…) ;

- l’achèvement du marché intérieur : l’amélioration des interconnexions transfrontalières (coordinateur à désigner pour les quatre projets considérés comme prioritaires), l’harmonisation européenne des normes techniques, l’harmonisation des pouvoirs et le renforcement de l’indépendance des régulateurs nationaux, l’amélioration de la coopération de ces régulateurs pour la gestion des interconnexions (et l’hypothèse controversée de la création d’un régulateur communautaire), l’approfondissement de la coopération entre les gestionnaires de transport des Etats membres.

Sur ce chapitre marché intérieur, une orientation est particulièrement débattue : pour relancer les investissements de production et de transport, la Commission européenne, et en particulier la DG Concurrence, considèrent que le paradigme de la concurrence et la disparition des entreprises intégrées qui résulterait de la séparation patrimoniale entre la production et le transport (« unbundling ») suffiraient à créer un marché intérieur dont le fonctionnement équilibré susciterait un haut niveau d’investissements. Partagée par un certain nombre d’Etats membres, cette analyse est cependant contestée par plusieurs d’entre eux comme la France, l’Allemagne, la Lettonie, la République tchèque, la Slovaquie, voire l’Autriche ou le Luxembourg, qui estiment primordiale une certaine stabilité réglementaire et considèrent que la législation actuelle, dès lors qu’un niveau adéquat de régulation est assuré, permet de garantir la séparation effective des activités de production et de transport. La France plaide également pour la réalisation d’un bilan prospectif des évolutions de l’offre et de la demande au niveau communautaire (par l’Observatoire des politiques de l’énergie proposé par la Commission) pour assurer aux opérateurs des perspectives de marché à moyen terme ;

- la composition du bouquet énergétique européen : compte tenu des objectifs stratégiques de lutte contre le changement climatique que le Conseil européen s’apprête à arrêter (notamment l’objectif unilatéral de réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020), cette question revêt une particulière importance. L’objectif portant sur l’efficacité énergétique est à la fois ambitieux et consensuel : il vise à économiser 20 % de la consommation énergétique de l'UE par rapport aux projections pour l'année 2020 (grâce, par exemple, à la révision et à l’approfondissement des directives actuelles relatives aux bâtiments, aux transports, à l’étiquetage, etc.). Mais les Etats-membres restent souverains en ce qui concerne le choix de la composition de leur palette énergétique, même si la Commission européenne, observant que les choix de chacun auront un impact sur la capacité collective à atteindre les objectifs, préconise en conséquence un recours très largement accru aux énergies renouvelables pour qu’elles atteignent 20 % de la palette énergétique en 2020.

En la matière, la France considère que l’ampleur du défi climatique justifierait de donner la priorité à l’utilisation optimale, adaptée aux évolutions technologiques, de tous les modes de production faiblement carbonés (énergies renouvelables mais aussi énergie nucléaire et « charbon propre », avec le captage et la séquestration du carbone). Il lui semble en effet essentiel de tenir compte des différences qui existent actuellement entre les bouquets énergétiques des Etats membres, ainsi que des avantages offerts par l’énergie nucléaire, reconnus par la Commission, en ce qui concerne le coût de l’électricité produite, l’absence d’émission de gaz à effet de serre et la stabilité de la fourniture d’électricité.

Dans la perspective du Sommet des 8 et 9 mars, Mme Lise Deguen a souligné les priorités que la France souhaitait voir prise en compte sur chacun de ces différents aspects du dossier (en particulier le caractère non obligatoire de l’unbundling et la reconnaissance de la contribution de toutes les énergies faiblement émettrices de carbone, parmi lesquelles l’énergie nucléaire, à la lutte contre le changement climatique), fait part des positions contrastées des Etats membres et évoqué les majorités pouvant se dégager sur les propositions de la Commission européenne, et souligné qu’au-delà des décisions de principe susceptibles d’être prises par le Conseil européen, de nombreuses mesures législatives devront être négociées ultérieurement entre la Commission et les Etats membres.

V. Commission européenne - Réunion avec Mme Ana Arana Antelo, chef de l’unité « Electricité et gaz » de la direction générale « Energie et transports », et M. Emmanuel Cabau, administrateur

La direction générale « Energie et transports » (DG TREN) considère que la cause première de la panne électrique du 4 novembre 2006 provient du caractère tardif et incomplet de la coopération entre les gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (GRT), l’extension de ladite panne étant plus particulièrement due au non respect des règles de sécurité et des protocoles de communication.

Constatant que seul le « code de bonne conduite » du manuel de l’Union pour la coordination du transport de l’électricité (UCTE) fixait des règles, non contraignantes, en la matière, la Commission européenne a proposé, en janvier 2007 :

- la création d’un régulateur européen des marchés de l’électricité et du gaz, mais cette idée a suscité des oppositions ;

-une harmonisation des règles à partir du Groupe des régulateurs européens de l’électricité et du gaz (ERGEG), qui pourrait proposer des lignes directrices législatives à la Commission européenne et, par ailleurs, se voir habilité à édicter des règles particulières relatives à des cas précis.

Mme Ana Arana Antelo a souligné la détermination de la DG TREN à agir pour renforcer la coopération entre GRT, y voyant le « point-clé » de la sécurité de l’approvisionnement électrique de l’Europe. Elle a, d’autre part, expliqué que ces règles auraient vocation à s’appliquer aux pays du « Sud-est européen » (Balkans) qui ont signé, en octobre 2005, un traité y rendant applicable l’acquis communautaire en matière électrique, ainsi qu’en Suisse, la Commission européenne devant disposer d’un mandat de négociation avec ce pays pour parvenir à cette fin. Des discussions sont également engagées à ce sujet avec les pays du Maghreb, moins essentiels pour la sécurité électrique de l’Europe toutefois.

A propos de l’équilibre à long terme entre l’offre et la demande d’électricité, Mme Ana Arana Antelo a constaté qu’aucun incident passé n’était dû à une sous-production électrique, soulignant qu’un objectif essentiel du marché intérieur consistait en la mise en place d’un cadre incitatif pour l’investissement productif. Elle a, à cet égard, plaidé pour un fort développement des interconnexions entre pays européens afin de pallier les déséquilibres régionaux.

Dans un tel schéma, la séparation patrimoniale entre producteurs et GRT (qui concerne déjà quatorze Etats membres de l’Union européenne) lui semble l’option la plus à même d’assurer un tel développement dans la mesure où les sociétés productrices n’ont, lorsqu’elles sont propriétaires du réseau, pas intérêt à favoriser des interconnexions susceptibles de faciliter l’accès de concurrents étrangers à leur marché domestique.

VI. Commission européenne - Réunion avec M. Herbert Ungerer, directeur « Energie » à la direction générale « Concurrence », et M. Philippe Chauve, administrateur

La direction générale de la concurrence estime qu’afin de relever efficacement ses défis énergétiques, l’Union européenne doit :

- établir, pour les entreprises du secteur énergétique, une base de marché européenne et non plus seulement nationale ;

- parvenir à l’objectif de 20 % d’énergies renouvelables dans sa consommation énergétique totale en 2020, là aussi en élargissant le marché des entreprises, qui pourront alors avoir « une vision plus large » ;

- pour atteindre les deux objectifs précités, pousser la libéralisation et la concurrence dans le secteur de l’énergie.

M. Herbert Ungerer a particulièrement insisté sur l’importance de développer les interconnexions entre pays afin d’établir un véritable marché européen de l’électricité, estimant nécessaire, pour y parvenir, d’imposer la séparation patrimoniale des producteurs et des GRT (undbundling).

Afin de démontrer qu’une telle position n’a rien de « dogmatique », contrairement à certains commentaires, il a, à partir de l’exemple allemand, montré les limites d’une simple séparation juridique (filialisation des GRT), les producteurs actionnaires des GRT n’ayant pas intérêt à investir dans des développements de réseaux pouvant profiter à leurs concurrents et les conflits d’intérêts continuant à se manifester sous la forme de partage informel d’informations. Evoquant l’existence de nombreux exemples concrets recueillis par ses services dans plusieurs pays lors de l’enquête sectorielle menée par la DG et des visites faites dans les entreprises, il a également noté que, tant que le GRT fait partie d’un groupe, les membres du management du GRT réalisent une carrière au sein du groupe et ne vont donc pas, à l’occasion de décisions importantes, faire du tort aux intérêts de fourniture de celui-ci.

Il a, au contraire, souligné que des GRT complètement indépendants pourraient élaborer leur propre vision et, ce faisant, faciliter le développement des interconnexions et de la coopération nationale et communautaire entre GRT. Il a souligné que, dans l’Union européenne, un peu plus d’une dizaine de GRT, parmi plus de trente, avaient déjà fait l’objet d’une séparation patrimoniale et que cette opération avait porté ses fruits : leurs investissements ont augmenté et six d’entre eux font partie des dix GRT européens les plus fiables (par référence au nombre moyen annuel d’heures de black-out).

D’après M. Herbert Ungerer, la séparation patrimoniale favoriserait une « concurrence durable » et une sécurité de production électrique à long terme, les investisseurs potentiels ne pouvant que souhaiter, pour leurs unités de production, une connexion facile au réseau de transport et une réelle fluidité des interconnexions. Il estime, au contraire, que la structure actuelle de certains GRT est de nature à obérer la confiance des nouveaux entrants, ce qui risque de pénaliser l’investissement productif.

Il est cependant à noter que, pour la Commission européenne, une telle séparation n’est pas incompatible avec la propriété publique des GRT, même à 100 %. En outre, M. Herbert Ungerer a relevé que tout fournisseur d’électricité, quelle que soit sa nationalité, ne pourrait pas prendre le contrôle d’un GRT après la séparation patrimoniale.

Enfin, selon la direction générale « Concurrence », cette séparation ne dispenserait pas les Etats membres de faire appliquer une régulation stricte du secteur, mais elle souligne que, dans un tel cadre, les régulateurs n’auraient pas à consacrer l’essentiel (et autant) de leurs efforts à traquer et combattre les situations de conflits d’intérêts.

VII. Déjeuner de travail avec M. Jean-Paul Decaestecker, chef d’unité « Energie et questions atomiques » au Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne

Avant d’examiner l’origine et les conséquences de la panne électrique du 4 novembre 2006, M. Jean-Paul Decaestecker a souhaité souligner que cet incident d’une heure, pour grave qu’il a été, ne doit pas faire oublier que le système électrique européen a correctement fonctionné l’an dernier pendant 364 jours et 23 heures, malgré son gigantisme et son extrême complexité résultant du nombre très important d’acteurs qu’il mobilise.

Causée par une erreur humaine et un défaut d’information, problèmes consécutifs à l’installation d’un effet de routine qui n’est pas spécifique au réseau électrique mais inhérent à la gestion des systèmes complexes, cette panne n’a pas pour origine des difficultés de production ni de transport. Sa diffusion à toute l’Europe a toutefois révélé un véritable manque d’homogénéité des procédures et des normes de sécurité, ainsi que des lacunes dans la collaboration des gestionnaires des réseaux de transport.

S’agissant de l’énergie nucléaire, les positionnements des Etats réticents ne sont pas nécessairement définitifs : l’Allemagne n’a jusqu’à présent fermé que deux centrales qui l’auraient été de toute manière pour obsolescence, et il n’est pas exclu que les Suédois procèdent à un troisième référendum sur cette question. Quant aux risques d’approvisionnement en uranium, ils sont extrêmement faibles, tant parce que les Etats producteurs sont stables que parce que les routes maritimes se sont, jusqu’à présent, montrées sûres.

En ce qui concerne la sécurité d’approvisionnement à long terme, la Commission européenne comme certains Etats membres (tels que Royaume-Uni, Etats scandinaves, Etats ibériques) sont convaincus des vertus du marché tandis que d’autres, à l’instar de la France, préconisent le maintien des contrats à long terme. Il y a sur cette question une véritable opposition dogmatique liée à une appréciation différente des facteurs qui favorisent ou entravent la concurrence sur les marchés de l’énergie.

En matière de planification des investissements, le problème est extrêmement complexe car, alors qu’il est nécessaire d’aborder globalement les deux questions des capacités de production et des réseaux, le marché n’est pas en mesure d’émettre des signaux de prix pertinents sur ces deux secteurs, sans compter qu’il n’est pas davantage en mesure d’arbitrer sur la localisation et sur le niveau de ces investissements, qui seront extrêmement lourds.

S’agissant enfin de l’approvisionnement des partenaires de la France au sein de l’Union européenne, certains d’entre eux connaissent un déficit chronique de production (pays Baltes, Italie, Grèce…) qui les contraint à de fortes importations. C’est pourquoi la recherche de nouvelles sources ou routes d’approvisionnement (telles que le projet de gazoduc Nabucco transportant du gaz d’Azerbaïdjan jusqu’à l’Autriche via la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie) est importante pour l’Union, tout comme le renforcement des interconnexions communautaires pour matérialiser la solidarité entre les Etats membres.

VIII. BUSINESSEUROPE – Réunion avec M. Daniel Cloquet, responsable de la politique industrielle

BUSINESSEUROPE adhère à l’approche générale de la Commission européenne sur les questions énergétiques, mettant sur le même pied la sécurité d’approvisionnement de l’Europe, la compétitivité de son industrie et la protection de l’environnement.

Pour ce qui concerne les sujets plus particulièrement abordés par la mission commune d’information, la position de BUSINESSEUROPE, exprimée par M. Daniel Cloquet, est la suivante :

- les investissements visant à développer les interconnexions des réseaux de transport d’électricité sont trop faibles (200 millions d’euros par an), ce qui pose des problèmes aigus de congestion et empêche la création d’un véritable marché intérieur de l’électricité ;

- les propositions de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne visant à imposer des règles afin d’assurer une bonne coordination entre les GRT vont dans le bon sens ;

- pour obtenir un régime de séparation efficace des activités de transport/distribution et de production, qui augmente notamment la concurrence sur la base de l’infrastructure existante tout en encourageant de nouveaux investissements en matière d’infrastructures, l’approche logique doit commencer par la mise en œuvre complète, selon la lettre et l’esprit, de la réglementation existante en matière de séparation juridique et de séparation fonctionnelle. Ce n’est qu’au cas où cette réglementation s’avérerait insuffisante pour atteindre les objectifs ainsi décrits qu’une nouvelle initiative de la commission serait nécessaire. Cette position a été rendue publique par BUSINESSEUROPE le 5 mars ;

- la coopération entre les régulateurs nationaux des marchés de l’électricité et du gaz étant encore trop faible, notamment du fait de la diversité de leurs compétences, il convient d’harmoniser ces dernières en renforçant celles des régulateurs les plus faibles et de prévoir une représentation de la Commission européenne aux débats, la création d’un régulateur européen apparaissant en revanche prématurée ;

- le développement des capacités de production électrique à l’échelle de l’Europe ne passe probablement pas par une programmation pluriannuelle des investissements (PPI) européenne, qui mobilise peu les Etats membres autres que la France et à laquelle la direction générale de la concurrence risquerait de s’opposer. Il s’agit plutôt de construire un cadre attractif pour les investissements et, dans cette optique, le sentiment personnel de M. Daniel Cloquet est que le maintien des tarifs administrés français, dans le secteur domestique, pourrait poser un problème ;

- plus globalement, l’état actuel de la libéralisation du marché de l’électricité en Europe n’étant pas satisfaisant, il semble nécessaire de prévoir un cadre spécifique pour les consommateurs intensifs en énergie, qui ont besoin de prévisibilité, en leur offrant des possibilités plus larges pour conclure des contrats à long terme, d’une manière qui reste compatible avec les exigences du droit communautaire de la concurrence. Mais il faut s’attendre à ce que la direction générale de la concurrence insiste pour que la part de consommation d’énergie représentée par l’ensemble desdits contrats ne dépasse pas un certain niveau ;

- un objectif unilatéral de 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2020 pénaliserait fortement l’industrie européenne, certaines études faisant déjà apparaître qu’une réduction de 15 % (voire de 10 % seulement) aurait de sérieuses conséquences économiques ;

- l’objectif communautaire visant à fixer à 20 % la part des énergies renouvelables dans l’approvisionnement énergétique est également très élevé. En tout état de cause, les pays de l’Union européenne devraient développer leurs politiques de promotion des énergies renouvelables sur la base d’un cadre européen harmonisé, idéalement assis sur un principe de marché.