MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE D'EXAMINER L'ENSEMBLE DES QUESTIONS LIEES A LA MAREE NOIRE PROVOQUEE PAR LE NAUFRAGE DU NAVIRE ERIKA

Table des matières


Mercredi 29 mars 2000

- Présidence de Mme Anne Heinis, présidente -

Audition de M. Bertrand Thoulin, directeur des transports maritimes (Total Elf), et directeur juridique " Trading Shipping " (Total), responsable de la cellule de crise Erika

La mission d'information a procédé à l'audition de M. Bertrand Thoulin, directeur des transports maritimes (Total Elf), et directeur juridique " Trading Shipping " (Total), responsable de la cellule de crise Erika, accompagné par Me Fontaine.

M. Bertrand Thoulin a présenté à la mission un exposé sur la vision de sa société sur le naufrage de l'Erika, et en particulier de l'évaluation de la qualité des navires. Cette évaluation se fonde sur quatre critères : l'état de la technique, la qualité de l'équipage, de la gestion et de la réputation du navire. Il a rappelé que, vis-à-vis de tous ces critères, l'Erika était conforme aux normes admises par l'ensemble des compagnies pétrolières, et qu'il serait sans doute souhaitable que les informations sur les contrôles effectués par l'Etat du port puissent être communiquées aux affréteurs, et notamment aux compagnies pétrolières, qui ont leur propre système de contrôle.

Me Fontaine, qui a été avocat dans trois contentieux de sinistre maritime : l'Amoco Cadiz, le Tanio et l'Erika, a trouvé curieux que l'opinion publique ne s'oriente pas vers les procédures existantes, créées par des conventions internationales, mais qu'elle se retourne plutôt sur les compagnies pétrolières, sur une " base morale " de responsabilité.

La question se posait de savoir si l'on devait suivre l'opinion et trouver d'autres responsables, ou bien rester dans le système existant, créé par de très nombreuses conventions internationales, quitte à l'améliorer peut-être par la suite.

Au cours du large débat qui a suivi, M. Henri de Richemont, rapporteur, a interrogé M. Bertrand Thoulin sur les contrôles prévus par le Mémorandum de Paris et, plus généralement, sur les problèmes posés par l'inégale ancienneté des navires pétroliers dans le monde, sur la conception des doubles coques et sur les modalités de transport maritime des hydrocarbures.

MM. Louis Le Pensec et Pierre Hérisson ont rappelé que l'Erika avait déjà suscité le clignotement de " signaux d'alerte " au cours de la précédente décennie, et que plusieurs de ses " sisterships " avaient déjà été retenus dans des ports, indice qui aurait dû alerter la compagnie Total sur la qualité de l'Erika.

M. Ladislas Poniatowski a demandé si la valeur des contrôles était identique dans tous les ports. Il serait également souhaitable, selon lui, de faire le point sur les problèmes que rencontrent la construction et la réparation des navires pétroliers en fonction des pays et des chantiers navals.

M. Michel Esneu, quant à lui, a rappelé que l'Erika avait surtout croisé dans des mers intérieures et que le naufrage avait eu lieu dans l'Océan Atlantique, où les conditions de navigation étaient très différentes.

M. Josselin de Rohan s'est interrogé sur les " sisterships " de l'Erika, et notamment sur les éventuelles difficultés que ces navires avaient pu connaître au cours de leur carrière.

M. François Autain a demandé s'il existait une régionalisation de la classification des navires, ou si la qualité d'un navire chypriote ou panaméen était rigoureusement équivalente à celle d'un navire français ou américain.

M. Guy Lemaire a demandé à M. Bertrand Thoulin ce qu'il convenait de penser des déclarations de presse affirmant que l'Erika figurait sur une liste noire.

Enfin, Mme Marie-Madeleine Dieulangard a posé la question de l'agrément des sociétés de classification elles-mêmes.

A la suite de ces interventions, M. Bertrand Thoulin a apporté les précisions suivantes :

- sur le Mémorandum de Paris et ses contrôles, très peu d'informations étaient communicables aux affréteurs ;

- sur l'Erika et sur ses sisterships, s'il y avait eu des signaux d'alerte dans des époques précédentes, le bâtiment avait été révisé par un chantier naval, ce qui laissait supposer que les déficiences étaient réparées ;

- sur les sociétés de classification, il a rappelé que celles-ci étaient contrôlées par l'Etat du pavillon, et que la plupart des Etats dits de " pavillon de complaisance " avaient des navires souvent très bien inspectés ; il a cité, en particulier, l'exemple du Liberia ;

- sur la " liste noire " évoquée par M. Guy Lemaire, il a déclaré que le système de contrôle établi par les compagnies pétrolières ne contenait que des constatations, et ne donnait pas d'avis sur les différents navires en cause ;

- enfin, pour l'avenir, il a déclaré que la compagnie Total avait signé une charte avec le ministère de l'équipement, des transports et du logement sur les normes d'emploi des navires pétroliers et sur le renforcement non pas des normes de contrôle, mais de la qualité de ces navires ; il a par ailleurs brossé le tableau de la structure de la flotte mondiale des navires pétroliers, en soulignant qu'il était très difficile, pour les petits pétroliers, de trouver des navires récents, faute de constructions dans les dernières années.

Audition de M. Pierre Miton, chef du bureau du contrôle des effectifs et des navires (sous-direction de la sécurité maritime au ministère de l'équipement, des transports et du logement)

Puis la mission d'information a procédé à l'audition de M. Pierre Miton, chef du bureau du contrôle des effectifs et des navires (sous-direction de la sécurité maritime au ministère de l'équipement, des transports et du logement).

M. Pierre Miton
a tout d'abord rappelé que le Mémorandum de Paris, accord administratif, signé en 1982 par 18 Etats, a pour objet d'établir un contrôle coordonné des navires. Les signataires de ce Mémorandum s'engagent à contrôler 25 % de navires étrangers entrant dans leurs ports. Ce contrôle par l'Etat du port peut entraîner la retenue des navires défectueux. Une base de données informatisée (SIRENAC), gérée par la France, collecte les informations sur les déficiences des navires.

M. Pierre Miton a indiqué que des campagnes ciblées de contrôles sont effectuées. Il a souligné que, depuis 1996, le nombre des inspections est en augmentation, celui des déficiences observées, stable, celui de navires sous normes immobilisés, en diminution. Il a noté que la qualité des navires varie suivant la qualité des inspections dans les ports, mais que certaines déficiences de structure des bâtiments sont indétectables lors de ces inspections.

M. Pierre Miton a ensuite abordé la situation des sociétés de classification. Ces sociétés de droit privé effectuent une double mission. D'une part, pour respecter les conventions internationales de l'Organisation maritime internationale (OMI) et aux fins d'assurance, les armateurs leur confient la classification des navires. D'autre part, les Etats délèguent, à ces sociétés, l'activité de certification et de délivrance des titres officiels de conformité des navires.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a interrogé M. Pierre Miton sur la nature des informations transmises aux affréteurs, concernant les déficiences des navires. Il s'est interrogé sur la nécessité du renforcement des contrôles dans le cadre du Mémorandum de Paris, mais aussi de l'Union européenne.

M. Philippe Darniche s'est inquiété de la nature aléatoire des contrôles et du risque de laisser naviguer des bâtiments défectueux. Il s'est également interrogé sur l'efficacité des visites de contrôle.

M. Pierre Miton a souligné que, depuis 1997, le nombre des inspections effectuées dans le cadre du contrôle par l'Etat du port a baissé par manque d'inspecteurs qualifiés, conduisant ainsi la France à ne pas respecter l'objectif des 25 %. Concernant le contrôle par l'Etat du pavillon, il a évoqué la surveillance et l'agrément des sociétés de classification par l'Etat. Par ailleurs, il a souligné la position délicate de ces sociétés, chargées de la classification et de la certification des navires, mais aussi rémunérées par les armateurs de ces navires.

Mme Anne Heinis, Présidente, s'est inquiétée du risque encouru par la France en ne respectant pas les 25 % de contrôle.

M. Pierre Miton a souligné que la qualité et le ciblage du contrôle des navires, plutôt que la quantité de ces contrôles, constituent l'axe de travail engagé. Dans le cadre de l'amélioration de la sécurité des transports, un ensemble de directives et de règlements européens tend à renforcer les dispositions du Mémorandum de Paris et un projet de nouvelle directive est en cours d'élaboration.