MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE D'EXAMINER L'ENSEMBLE DES QUESTIONS LIÉES À LA MARÉE NOIRE PROVOQUÉE PAR LE NAUFRAGE DU NAVIRE ERIKA

Table des matières


Mercredi 5 avril 2000

- Présidence de Mme Anne Heinis, présidente -

Audition de MM. Patrick Boré et Joël Bouterolle, de " BARRY ROGLIANO SALLES " (Courtier)

La mission d'information a procédé à l'audition de MM. Patrick Boré et Joël Bouterolle, de " BARRY ROGLIANO SALLES " (Courtier).

M. Joël Bouterolle a tout d'abord présenté le rôle de courtier. C'est un intermédiaire entre un armateur et un affréteur de navire. Sa connaissance des marchés, ainsi que des positions et des capacités des bateaux, contribue à la négociation entre les deux parties en vue de la conclusion d'un contrat. Le courtier a un rôle de conseil ; il propose des navires, mais ne prend pas de position et de décision sur l'affrètement.

M. Joël Bouterolle a indiqué que le courtier utilise un questionnaire précis concernant les caractéristiques techniques des navires ainsi que l'émission et la validité des certificats. Il a évoqué les opérations du contrôle de " vetting ", effectuées par les compagnies pétrolières affréteuses. Il a précisé qu'il ne peut y avoir d'affrètement sans " vetting ", mais que cette inspection ne porte pas sur la structure même des bâtiments. Le " vetting " s'en remet aux certificats de classe.

M. Henri de Richemont, rapporteur, ainsi que MM. Louis Le Pensec et Charles-Henri de Cossé-Brissac ont souhaité savoir si les courtiers avaient connaissance des inspections, des incidents et des retenues des navires effectués dans le cadre du Mémorandum de Paris.

M. Patrick Boré a indiqué que les courtiers n'avaient pas accès aux résultats des inspections, mais que le questionnaire adressé à l'armateur portait sur les incidents survenus au cours des 12 ou 24 mois antérieurs. Il a ajouté que la réputation de l'armateur était un facteur important de choix pour l'affréteur.

M. Henri de Richemont, rapporteur, s'est interrogé sur l'importance de l'influence de l'âge des navires sur leur dégradation.

M. Joël Bouterolle a noté que le grand âge d'un bateau n'était pas forcément un critère pour apprécier le mauvais état d'un bâtiment. Il a ajouté qu'un bon armateur avait de bons navires.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a demandé à MM. Patrick Boré et Joël Bouterolle les améliorations qu'ils jugent nécessaires pour éviter les catastrophes comme celle de l'Erika et il a également sollicité leur opinion sur la mise en place éventuelle, en Europe, d'un corps similaire à celui des garde-côtes américains.

M. Joël Bouterolle a d'abord souhaité que les sociétés de classification ouvrent leurs dossiers et coopèrent avec les affréteurs. Il a ensuite indiqué que la multiplicité, pour les armateurs, des contrôles très sérieux, réalisés par les garde-côtes américains, étaient très efficaces parce qu'ils étaient redoutés.

Il a également préconisé, pour les navires de plus de 15 ans, une visite complète d'inspection, mais aussi un renforcement général des contrôles.

M. Patrick Boré a noté que, pour les produits pétroliers, l'affrètement à long terme (pour plusieurs voyages) contrairement à l'affrètement " spot " (voyage unique) pouvait être une garantie de sécurité des transports par la fidélisation des armateurs.

Audition de M. Georges Tourret, directeur du bureau enquêtes accidents (METL), accompagné de M. Jean-Louis Guibert, secrétaire général de l'Institut français de navigation

Puis, la mission commune d'information a entendu M. Georges Tourret, directeur du bureau enquêtes accidents (METL), accompagné de M. Jean-Louis Guibert, secrétaire général de l'Institut français de navigation.

M. Georges Tourret
a exposé les missions et le fonctionnement du bureau enquêtes accidents (BEA) qui est, en quelque sorte, le " juge technique de la norme ". Il a expliqué que, sur le fondement des obligations qui lui étaient imparties par les textes, le bureau enquêtes accidents (BEA) avait remis un rapport provisoire dans le mois qui a suivi l'accident de l'Erika. Il a exposé quels étaient les protagonistes de cette affaire, en insistant sur l'opacité de la chaîne des opérateurs.

Pour sa part, M. Jean-Louis Guibert a exposé la situation technique du pétrolier Erika. Il a également expliqué quel était le système de société de classification et a décrit, par le menu, la séquence des événements ayant conduit au naufrage de l'Erika.

Mme Anne Heinis, présidente, a interrogé MM. Georges Tourret et Jean-Louis Guibert sur les problèmes de corrosion des navires citernes et sur la qualité des travaux effectués dans les chantiers navals.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a demandé des précisions sur les visites subies par l'Erika durant les dernières années et sur la rapidité du retour de la corrosion. Il s'est interrogé également sur le niveau des taux de fret, et a demandé à MM. Georges Tourret et Jean-Louis Guibert si celui-ci était suffisant pour autoriser et un entretien correct des navires, et un taux de renouvellement suffisant de la flotte.

Pour sa part, M. Josselin de Rohan a exposé que le problème de la disponibilité des navires était souvent plus important que celui du montant du fret. Il a demandé à MM. Georges Tourret et Jean-Louis Guibert s'ils avaient connaissance de l'ensemble des pièces versées au dossier de l'instruction judiciaire.

En réponse aux questions, M. Georges Tourret a exposé les problèmes que posait le renouvellement de la flotte et, s'agissant du bureau enquêtes accidents (BEA), il a fait remarquer que le BEA était un organisme technique et administratif, et non pas judiciaire, et qu'il n'avait pas les mêmes pouvoirs et prérogatives que son homologue de l'aviation.

M. Jean-Louis Guibert a exposé, pour sa part, qu'il était nécessaire qu'il y ait plus de transparence dans la circulation de l'information, et que des améliorations étaient nécessaires dans ce domaine.

A M. Josselin de Rohan qui l'interrogeait sur la sévérité des contrôles américains, M. Georges Tourret a répondu que cette sévérité était plus facile pour les Etats-Unis, dans la mesure où il ne pouvait pas y avoir de détournement de trafic, ce qui n'était pas, à l'évidence, le cas des pays européens.

Jeudi 6 avril 2000

- Présidence de Mme Anne Heinis, présidente -

Audition de M. Edouard Berlet, délégué général du comité central des armateurs de France (CCAF), accompagné de Mme Françoise Odier, directeur juridique du CCAF

La mission commune d'information a entendu M. Edouard Berlet, délégué général du comité central des armateurs de France (CCAF), accompagné de Mme Françoise Odier, directeur juridique du CCAF.

M. Edouard Berlet
a tout d'abord brossé le tableau de la situation de la flotte française, avant d'exposer de quelle manière la sécurité maritime était assurée par les conventions en vigueur. Il a fait remarquer qu'alors que le trafic pétrolier avait doublé en quinze ans, le volume des rejets d'hydrocarbures avaient, eux, diminué de moitié durant la même période. Il a estimé que le principal effort devait porter sur un meilleur contrôle et sur une meilleure homogénéisation des procédures au sein des Etats européens. Il s'est prononcé, en ce sens, en faveur de la création d'une agence européenne de sécurité maritime. Il a également exposé quelles étaient les responsabilités juridiques et financières des différents acteurs du transport maritime. Il a enfin expliqué, comparativement, la manière dont était prévue la suppression des pétroliers à simple coque, et dans la législation américaine, et dans la réglementation de l'Organisation maritime internationale (OMI).

Sur le contrôle, M. Henri de Richemont, rapporteur, a estimé que le problème consistait surtout à harmoniser les pratiques européennes, et qu'il était illusoire de vouloir créer un corps de contrôleurs européens. Il a interrogé M. Edouard Berlet et Mme Françoise Odier sur les possibilités de publicité des informations dont ont connaissance les sociétés de classification. Il les a également questionnés sur la possibilité de la mise en jeu de la responsabilité des affréteurs et sur le régime américain de prévention de la pollution par les hydrocarbures (OPA). Il s'est enfin interrogé sur l'influence de l'Europe au sein de l'OMI.

Mme Anne Heinis, présidente, a souhaité obtenir plus de précisions sur le projet d'agence de sécurité maritime européenne.

M. Edouard Berlet s'est prononcé pour une plus grande responsabilisation des acteurs, et une plus grande transparence dans la diffusion d'informations que, pour l'instant, chaque organisme gardait par-devers lui-même.

Quant au problème de la responsabilité de l'affréteur, Mme Françoise Odier a expliqué que s'il était possible d'introduire un système parent du dispositif des " bonus/malus ", dans le secteur des assurances, il fallait, en revanche, être très attentif, car cette mise en jeu des affréteurs était susceptible de mettre en péril le Fonds international d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures lui-même, puisque celui-ci avait justement été créé après de longs débats, pour remplacer la responsabilité des affréteurs, qui étaient eux-mêmes ceux qui finançaient le fonds. Une telle responsabilité risquerait par ailleurs d'aboutir à une extension du système des " traders ", ce qui serait sans doute très dommageable et ce qui risquerait de fragiliser le milieu pétrolier.

Sur l'organisation américaine, Mme Françoise Odier a fait remarquer que la responsabilité illimitée prévue par la loi américaine recouvrait en réalité une responsabilité limitée, assortie, toutefois, de montants supérieurs aux plafonds du FIPOL.

Enfin, sur le problème des pétroliers à double coque, M. Edouard Berlet et Mme Françoise Odier ont expliqué que les pétroliers ne pouvaient pas se priver du marché des Etats-Unis, et qu'ils étaient par conséquent obligés de s'adapter à la loi américaine qui, d'ailleurs, n'était pas si différente des règles fixées par l'OMI.

En conclusion, M. Edouard Berlet a estimé qu'il fallait clairement répartir les rôles en accordant respectivement à l'OMI les règles techniques internationales, à l'Union européenne l'harmonisation des contrôles, à l'Etat, enfin, le renforcement des risques humains, matériels et technologiques ; sur ce tout dernier point, il a notamment souligné les difficultés rencontrées pour recruter des inspecteurs de navires dotés de la compétence requise, en attribuant l'existence de ce goulet d'étranglement à l'insuffisance numérique des équipes et à la faible attractivité, en termes de rémunérations, de la carrière.