MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE D'EXAMINER L'ENSEMBLE DES QUESTIONS LIEES A LA MAREE NOIRE PROVOQUEE PAR LE NAUFRAGE DU NAVIRE ERIKA

Table des matières


Mercredi 10 mai 2000

- Présidence de M. Louis Le Pensec -

Audition de M. Emmanuel Glaser, sous-directeur du droit public et international, et M. Frédéric Hébert, adjoint au chef du bureau du droit international

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la mission d'information a entendu M. Emmanuel Glaser, sous-directeur du droit public et international, et M. Frédéric Hébert, adjoint au chef du bureau du droit international (ministère de l'économie, des finances et de l'industrie).

M. Emmanuel Glaser a exposé les relations existant entre l'agent judiciaire du Trésor et le FIPOL. Il a souligné que l'agent judiciaire du Trésor était chargé de centraliser l'ensemble des créances relatives au plan Polmar.

A la suite de l'exposé de l'orateur, M. Louis Le Pensec, président, et M. Henri de Richemont, rapporteur, ont rendu compte de la visite effectuée par une délégation de la mission d'information, la veille, à Londres, auprès du FIPOL. M. Henri de Richemont a interrogé les représentants du ministère de l'économie sur l'évolution de la jurisprudence relative aux préjudices causés à l'environnement, ainsi que sur les diverses fonctions du bureau d'indemnisation du FIPOL en France.

Après avoir répondu aux orateurs, M. Emmanuel Glaser a présenté le mémorandum français, et notamment l'augmentation du plafond d'indemnisation, jugé insuffisant à l'heure actuelle, eu égard à l'ampleur du sinistre causé par l'Erika.

M. Louis Le Pensec, président, a souhaité que soit précisé si les indemnisations déjà reçues dans les zones sinistrées constituaient des avances ou bien le règlement définitif des dommages.

M. Emmanuel Glaser a remarqué que, payés à 100 %, il s'agissait de règlements définitifs, mais qu'il était difficile de régler dès à présent toutes les créances, car il est nécessaire d'attendre que l'ensemble des dommages puisse être quantifié.

M. Frédéric Hébert a précisé que le préjudice écologique était bien pris en compte par la convention de 1992 qui invoquait la " restauration " des dommages.

En réponse à M. Henri de Richemont, M. Emmanuel Glaser a précisé qu'en matière de dommages subis par l'environnement, seul, l'Etat pouvait demander une indemnisation par la voie judiciaire, au cas où la France ne serait pas d'accord avec les indemnisations du FIPOL.

M. Henri de Richemont a interrogé les orateurs sur les dépenses engagées, à l'heure actuelle, en cette affaire. M. Emmanuel Glaser, dans sa réponse, a précisé que le montant des sommes engagées au titre du plan Polmar pourrait s'élever à 400 millions de francs ; quant aux dépenses engagées par la société Total, elles atteignent 750 millions de francs, dont 400 pour le seul pompage de l'Erika.

En réponse au rapporteur, M. Emmanuel Glaser a précisé que si des actions judiciaires avaient été engagées contre le FIPOL devant des tribunaux nationaux, en tout état de cause, on restait dans les limites fixées par la convention, car et il s'agit " d'un jeu à somme nulle ".

En réponse à M. Guy Lemaire, qui s'interrogeait sur l'application du principe " pollueur-payeur ", M. Emmanuel Glaser a fait remarquer que tel était justement le cas des conventions actuelles, qui mettaient en cause la responsabilité objective des armateurs, même si cela était fait d'une manière trop peu " responsabilisante ".

M. Henri de Richemont, rapporteur, s'est interrogé sur les possibilités de réforme envisageables et acceptables du FIPOL. Dans ce domaine, M. Emmanuel Glaser a estimé que les propositions britanniques étaient, à l'heure actuelle, les plus rapides à mettre en oeuvre, et les plus efficaces à court terme.

Comparant le régime du FIPOL et le dispositif de la loi américaine anti-pollution (OPA), il a jugé que la différence tenait surtout à l'existence et au montant du plafond d'indemnisation.

Audition de M. Bernard Anne, directeur de la division marine du Bureau Veritas, accompagné par M. Luc Gillet, directeur opérationnel marine, et par M. Philippe Boisson, conseil juridique du Bureau Veritas, division marine

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi sous la présidence de Mme Anne Heinis, présidente, la mission a entendu M. Bernard Anne, directeur de la division marine du Bureau Veritas, accompagné par M. Luc Gillet, directeur opérationnel marine, et par M. Philippe Boisson, conseil juridique du Bureau Veritas, division marine.

M. Bernard Anne
a présenté le Bureau Veritas et le rôle des sociétés de classification dans le système global de sécurité maritime internationale. Il a notamment expliqué la nature des règles imposées à ces sociétés, ainsi que les différents modes de classification des navires.

Il a conclu en rappelant que le Bureau Veritas avait actuellement reçu délégation de 125 Gouvernements et que 6.500 navires étaient classés auprès de lui.

En réponse à M. Henri de Richemont, rapporteur, M. Bernard Anne a précisé que le dossier de classification résultait d'un contrat de droit privé et, qu'à ce titre, il s'agissait d'un document confidentiel que, seul, l'armateur était en droit de divulguer, même si ce dossier était aussi naturellement soumis à l'Etat du pavillon.

M. Henri de Richemont a souhaité que soit mieux définie la manière dont étaient effectués les contrôles par les sociétés de classification et il a demandé s'il était possible, pour la France, d'adopter des règles plus strictes que dans d'autres Etats.

Dans sa réponse, M. Bernard Anne a fait ressortir qu'il existait un auto-contrôle des grandes sociétés de classification, groupées au sein d'une association internationale, que les règles y étaient identiques, par un système d'assurance-qualité, et que des règles particulières, pour un Etat donné, seraient susceptibles d'entraîner des détournements de trafic. Aussi bien toute avancée dans ce domaine devait-elle être, au minimum, européenne.

M. Philippe Boisson a fait remarquer que si l'Etat du port était habilité à fixer les conditions d'entrée des navires, il était nécessaire d'aboutir à une harmonisation régionale, afin de ne pas fausser la concurrence.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a interrogé les orateurs sur la possibilité, pour les garde-côtes américains, de procéder à des contre-expertises des navires mouillant dans leurs ports.

M. Bernard Anne a répondu que l'Etat du port, aux Etats-Unis comme ailleurs, avait toujours la possibilité de retenir un navire qui ne répondait pas aux normes minimales de sécurité.

S'agissant du cas de l'Erika, il a fait ressortir que si le navire s'était bien cassé, on ignorait toujours la cause du naufrage ; un risque certain existe à vouloir, à tout prix, mettre au point une réglementation, afin d'éviter tout nouveau sinistre de cette nature.

En réponse au rapporteur, M. Bernard Anne a fait état d'une proposition de l'association des sociétés de classification pour contrôler plus à fond les navires transportant du fuel lourd car cette cargaison devant être en permanence réchauffée, ces bateaux étaient nécessairement soumis à une plus grande corrosion que les autres. Le rapporteur a demandé aux orateurs quels étaient les particularités des bâtiments à double coque.

M. Luc Gillet a exposé que cette solution avait surtout préconisée pour éviter un certain type de collision, et des pollutions de faible ampleur.

A M. Henri de Richemont, rapporteur, qui l'interrogeait sur la transparence du résultat des contrôles effectués à tous les niveaux, M. Bernard Anne a répondu que les sociétés de classification souhaitaient avoir connaissance des rapports des visites effectuées par les Etats du port, affirmant qu'une connaissance plus approfondie des navires ne pouvait qu'améliorer la sécurité. Quant au dossier de classification, les grands affréteurs pouvaient tout à fait exiger d'y avoir accès, à l'instar de certaines compagnies d'assurances.

Audition de M. Christopher Kende, attorney at law (Cabinet Cosen and O'Connor, New York)

La mission d'information a enfin entendu M. Christopher Kende, attorney at law (Cabinet Cozen and O'Connor, New York).

M. Christopher Kende a rappelé son expérience d'avocat dans les espèces de l'Amoco-Cadiz et de l'Exxon-Valdez. Il a ensuite présenté la loi américaine antipollution (OPA), qui avait justement été adoptée après le naufrage de l'Exxon Valdez. Il a notamment remarqué que cette législation avait développé les notions de préjudice écologique, aussi bien " actif " que " passif ", et de restauration de l'environnement, laquelle devait nécessairement toujours faire l'objet d'une évaluation fiable et valide.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a interrogé l'orateur sur le caractère illimité de la responsabilité pour l'indemnisation des dommages. Dans sa réponse, M. Christopher Kende a commenté les règles américaines qui, en fait, limitent la responsabilité en fonction du tonnage et de la cargaison, système complété par un fonds d'indemnisation fédéral, au montant total de 1 milliard de dollars par sinistre. Pour ce qui est de l'environnement, le fonds ne pouvait assurer plus de 500 millions de dollars. Il a estimé que la relative modicité du montant d'indemnisation du FIPOL avait en partie poussé les Etats-Unis à ne pas ratifier la convention de l'OMI, et à se doter d'une législation proprement nationale.

M. Henri de Richemont , rapporteur, a demandé des précisions sur les étapes de la procédure suivie en cas de pollution.

M. François Marc s'est interrogé sur le rapport entre la pollution de l'Exxon Valdez et le remboursement des dommages.

Dans sa réponse, M. Christopher Kende a fait remarquer que si la pollution causée par l'Exxon Valdez avait été de l'ordre du 1/6e de celle de l'Amoco-Cadiz, la société Exxon avait quand même réglé plus de 5 milliards de dollars, et que les actions judiciaires portaient encore sur 5 autres milliards de dollars.

En réponse à M. Henri de Richemont, M. Christopher Kende a décrit la manière dont étaient réalisés les contrôles par les garde-côtes américains, en concluant que ces contrôles portaient davantage sur les dossiers des navires et sur les certificats d'assurance.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a demandé à l'orateur s'il estimait que les Américains pourraient ratifier les conventions de l'OMI si les plafonds étaient, conformément à la demande française, sensiblement réévalués.

M. Christopher Kende a estimé que la question restait ouverte, dans la mesure où la loi américaine sur la pollution se superposait à des lois d'Etats fédérés, qui pouvaient parfois être plus avantageuses pour les victimes.